Lino ne portait pas de Mercurial à 1000 euros 23/04/12

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Lino ne portait pas de Mercurial à 1000 euros 23/04/12
Lino ne portait pas de Mercurial à 1000 euros
23/04/12
Vous savez, Marie-Laure, que je suis passionné de football. Le foot à la télé,
(la Champion’s League, la Coupe du Monde) le foot au stade (de Sclessin,
bien sûr), et le foot entre copains, le samedi après-midi. J’aime tout le
football. Mais je n’aime pas tout dans le football, où l’on trouve le meilleur et
le pire, et qui de ce point de vue est très représentatif du monde dans lequel
nous vivons.
Deux histoires croisées pour l’illustrer.
Mardi soir, à Munich : match au sommet Bayern-Real de Madrid. 2-1, mais
c’est pour l’anecdote, car ce dont on a le plus parlé ce soir-là, et dans les
jours qui ont suivi, c’est du vol dans les vestiaires du Real de 3 maillots et 6
paires de chaussures appartenant à ces superstars que sont Ronaldo,
Benzema et Özil. Une affaire vécue par le club madrilène comme gravissime :
une vraie profanation ! Grâce à un de vos confrères, Clément Decors1 (il n’a
pas encore sa carte de presse, mais ça ne saurait tarder), je sais tout de ce
crime de lèse-majesté footballistique : il s’agissait de pantoufles Nike
Mercurial série limitée à plus de 1 000 € la paire ; le responsable du matériel
du Real a découvert la disparition des objets sacrés (il faut les appeler par
leur nom) à 17h00, alors que la porte du vestiaire était fermée. La police de
Munich a aussitôt lancé ses plus fins limiers pour essayer de savoir qui, du
1
Clément est le fils de ma femme ; il joue aussi à Cointe …
Colonel Moutarde ou du Docteur Olive, avait dérobé les fameuses Nike
Mercurial à 1000 euros. C’est comme si on avait touché au Saint Suaire de
Turin ou à la Joconde.
Le football que je n’aime pas. Celui du fric et de la frime. Le foot de
l’arrogance et du bling-bling. Le salaire de Ronaldo s’élève à 9 millions
d’euros par an, hors primes et publicités. Le budget du Real de Madrid est
de 1,430 milliards d’euros, dans un pays – l’Espagne – tétanisé par la crise
sociale.
Au moment où les projecteurs étaient braqués sur ces Dieux du stade dont
on avait profané le sanctuaire, à Liège disparaissait Lino Portolan. Aux
antipodes du foot spectacle. Lino était un des piliers de mon petit club de
foot de Cointe, sur les hauteurs de Liège. Un (ex-)joueur amateur (il allait
avoir 70 ans), professeur de latin dans le civil, et qui s’occupait des jeunes
du club quand j’y suis arrivé fin des années 70 (la télé était toujours en noir
et blanc ou presque). Lors de mon premier entraînement, il m’avait montré
(chose essentielle pour un footballeur) comment on fait correctement le
nœud de ses chaussures ( dont je ne me souviens plus du prix, c’était en
francs belges).
Il nous a encadrés et suivis, moi et plusieurs générations de jeunes fondus
de football. Avec passion, mais aussi avec discrétion et finesse. Et même
retraité des terrains, même retraité tout court, même malade, Lino a
continué à venir nous voir jouer tous les week-ends, jusqu’il y a quelques
semaines.
Je vous parle d’un autre football. Celui des fouteux, de l’amitié, des
troisièmes mi-temps où l’on refait le monde (Lino était passionné de
politique, et tellement désolé de voir ce qu’était devenu son pays d’origine,
l’Italie, sous la férule de Berlusconi). C’est le foot des mordus, des gamins à
qui il faut apprendre à attacher leurs chaussures, et des vétérans qui ne
veulent pas raccrocher les crampons.
J’imagine que Cristiano Ronaldo, avant de gagner un salaire mirobolant et
de porter des Mercurial à 1 000 euros, a dû, lui aussi, croiser dans sa vie un
homme comme Lino. Un anonyme qui l’a canalisé, guidé, soutenu. Quand je
vois ces grands enfants multimilliardaires jouer divinement bien (il faut le
reconnaître), je me dis que ce n’est pas seulement pour le fric, mais aussi
pour le simple plaisir de jouer et de s’amuser. Et que ce plaisir leur a été
transmis par quelqu’un qui, lui, ne pensait ni au fric ni aux paillettes.
Quelqu’un qui, faut-il le dire, n’a jamais chaussé de Mercurial à 1000 euros
…