la vente immobilière confrontée à la réforme du droit

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la vente immobilière confrontée à la réforme du droit
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LA VENTE IMMOBILIÈRE
CONFRONTÉE À LA RÉFORME
DU DROIT DES CONTRATS
ET DES OBLIGATIONS
Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier,
Maître Laurent Lemetti, notaire à Paris 7e, et Christophe Salmon, Direction Juridique
du Crédit Foncier.
P
ierre angulaire du droit français des contrats depuis
1804, le Code civil a été amendé à de nombreuses
reprises, ce qui a donné lieu à des réactions parfois mitigées
de la doctrine et des praticiens du droit.
Cependant, le droit des obligations et des contrats n’a connu
que deux adjonctions notables relatives, en 1975, à la clause
pénale et en 2004 aux contrats électroniques.
Cette quasi-intangibilité des dispositions du Code civil relatives au droit des obligations et des contrats ne traduit pas
les solutions du droit positif caractérisé par une jurisprudence foisonnante, qui a considérablement fait évoluer la
matière depuis 1804.
Nul n’ayant un droit acquis au maintien de solutions jurisprudentielles, une réforme d’envergure permettant également d’adapter les dispositions du Code aux exigences de la
modernité et d’améliorer leur lisibilité était impérative au
seul regard de la sécurité juridique.
Du fait d’un caractère a priori technique et d’annonces successives restées sans suite, la réforme finalement appliquée
par voie d’ordonnance n’a pas suffisamment appelé l’attention des professionnels, notamment de l’immobilier et du
grand public.
La présente étude s’efforce d’identifier les possibles effets
concrets de cette réforme sur de futures ventes immobilières.
L’ordonnance, qui s’appliquera aux contrats signés à compter du 1er octobre 2016, sous réserve de sa ratification par
le Parlement, a essentiellement pour conséquence, dans ce
cadre d’étude, la sécurisation des avant-contrats et de la formation du contrat de vente lui-même.
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juridique
3.1 / LA SÉCURISATION
DES AVANT-CONTRATS
L
a période précontractuelle peut être définie comme
l’intervalle de temps compris entre les premières négociations et la régularisation d’un avant-contrat.
Les règles applicables étaient exclusivement d’origine jurisprudentielle ; le Code civil encadre désormais les relations
des futurs contractants.
LA PHASE PRÉCONTRACTUELLE
Distinction entre offre et invitation à entrer
en négociation
Le nouvel article 1114 du Code civil dispose qu’une offre ne
peut engager la personne qui l’émet qu’à condition que cette
personne ait clairement manifesté le souhait d’être liée en
cas d’acceptation du destinataire de l’offre. Dès lors, l’accord
de principe qui indique clairement qu’un accord définitif
ultérieur devra intervenir (ce qui constitue une offre avec
réserves) ne pourra engager son auteur (1).
Maintien obligatoire de l’offre
L’émetteur de l’offre ayant pris position de façon ferme, il ne
peut désormais plus se rétracter pendant la durée de validité de l’offre. Il s’agit là d’une position novatrice (2).
Absence de caractère tacite de l’acceptation
A contrario de l’adage qui veut que « qui ne dit mot
consent », le nouvel article 1120 du Code civil consacre le
principe selon lequel « le silence ne vaut pas acceptation ».
Il est à craindre que les exceptions énumérées dans la deuxième partie de cet article, c’est-à-dire « la loi, les usages,
les relations d’affaires ou les circonstances particulières », ne
suscitent une jurisprudence fournie et dont les lignes directrices seront difficilement déterminables.
Obligations des parties en phase de négociation
Les articles 1112 et suivants du Code civil établissent dorénavant un cadre légal aux pourparlers et au processus d’élaboration du contrat.
Trois obligations sont mises à la charge des futures parties
au contrat de vente.
◗ L’obligation de négocier de bonne foi (article 1112, « ils
doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne
foi »), d’ordre public et qui ne pourra donc ni être exclue, ni
être conventionnellement aménagée.
(1) Il s’agit d’une confirmation de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière bancaire (Cour de cassation, Com. 10 janvier 2012, pourvoi n° 10-26.14).
(2) Une jurisprudence constante considérait que l’acceptation de l’offre ne produisait pas effet lorsque l’auteur de l’offre s’était rétracté avant que l’acceptation
n’intervienne, faute de rencontre des volontés (Cour de cassation Civ. 3 – 15 décembre 1993, pourvoi n° 91-10199). Seule la révocation fautive de l’offre pouvait donner
lieu à une réparation au profit du destinataire de l’offre, sous forme de dommages et intérêts (Cour de cassation Civ. 3 – 7 mai 2008, pourvoi n°07-11.690).
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du droit des contrats et des obligations
LE PACTE DE
PRÉFÉRENCE,
LA PROMESSE
UNILATÉRALE DE VENTE ET
LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE
DE VENTE N’ONT PAS TOUS ÉTÉ
CONSACRÉS PAR LA RÉFORME.
◗ L’obligation de réparer les fautes commises à l’occasion de
« l’initiative, le déroulement, ou la rupture des négociations
précontractuelles ». L’objectif est de prévenir la rupture abusive des négociations.
Cependant, la réparation du dommage ne « peut avoir pour
objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat
non conclu ».
◗ L’obligation d’informer le futur contractant. Le régime de
cette obligation est défini en détail par l’article 1112-1, qui
dispose que « celle des parties qui connaît une information
dont l’importance est déterminante pour le consentement de
l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son
cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte
pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont
un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou de
la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une
information lui était due de prouver que l’autre partie la lui
devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a
fournie ».
On note que cette obligation spécifique d’information se
distingue de la réticence dolosive en ce sens que les manquements à cette obligation peuvent être non intentionnels.
Elle dépasse les exigences du droit de la consommation
puisqu’elle peut être due à un professionnel et peut aller
au-delà des informations auparavant requises par des lois
particulières, par exemple environnementales. Dans des
cas extrêmes, elle pourrait conduire à des jurisprudences
surprenantes. Si une telle obligation d’information avait
existé, les protagonistes du film Nous irons tous au Paradis (3) auraient vraisemblablement pu obtenir l’annulation
d’une vente de maison contigüe à la piste d’un aéroport,
maison acquise après visite pendant une longue grève des
pilotes de ligne.
3.2 / LES AVANT-CONTRATS
P
ratiquement ignorés du Code civil, le pacte de préférence, la promesse unilatérale de vente et la promesse
synallagmatique de vente n’ont pas tous été consacrés par
la réforme.
LE PACTE DE PRÉFÉRENCE
(ARTICLE 1123 DU CODE CIVIL)
Souvent accessoire à un autre contrat, et aux modalités de
mise en œuvre très variées, le pacte de préférence peut se
révéler comme un risque pour le praticien qui ne l’aurait
pas pris en compte dans le cadre de la préparation d’un
contrat.
Définition
Le pacte de préférence, dans le cadre d’une vente, est un
contrat par lequel le promettant s’engage, au cas où il se
déciderait à vendre un bien, à le proposer en priorité à une
autre personne, le bénéficiaire. Le promettant ne s’oblige
pas à vendre mais, au cas où il vendrait, à se tourner en
premier lieu vers le bénéficiaire. Cette mécanique est transposable à d’autres types de contrat (par exemple un pacte de
préférence portant sur la conclusion d’un bail).
(3) Comédie française sortie le 9 novembre 1977, réalisation Yves Robert, scénario Jean-Loup Dabadie.
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juridique
Exemples pratiques
On peut citer différents cas de figure dans lesquels on rencontre ce type d’avant-contrats ; par exemple :
◗ lorsqu’une personne fait face à des difficultés financières
qui l’obligent à vendre un bien, et souhaite avoir la possibilité de racheter le bien vendu s’il est à nouveau mis sur
le marché, et si elle est alors revenue à meilleure fortune ;
◗ dans les baux commerciaux, le locataire peut souhaiter
avoir la priorité sur un autre acheteur en cas de vente de
l’immeuble qu’il loue. Depuis la loi Pinel, qui offre au locataire commercial un droit de préemption, ces pactes de
préférence n’ont d’intérêt que lorsque la vente sera un cas
d’exception au droit de préemption.
Portée du pacte
La principale source de contentieux constatée en la matière
concerne le cas où le promettant, ne respectant pas le pacte,
conclut un contrat avec une tierce personne sans l’avoir proposé au préalable au bénéficiaire. En effet, le pacte de préférence crée un droit personnel au profit du bénéficiaire et n’est
donc pas supposé être attaché au bien lui-même. On peut dès
lors s’interroger sur les recours dont dispose le bénéficiaire
évincé, et les sanctions qui pèsent sur le tiers contractant.
Droits du bénéficiaire évincé
Consacrant la jurisprudence en la matière (4), le Code civil,
dans sa nouvelle rédaction, offre au bénéficiaire évincé
la possibilité d’agir en nullité ou de se substituer au tiers.
Toutefois, cette demande du bénéficiaire ne pourra être
accueillie par les juges qu’à la condition que l’acquéreur soit
de mauvaise foi, ce qui peut être établi en prouvant qu’il
connaissait l’existence du pacte, et qu’il savait que le bénéficiaire du pacte entendait accepter la proposition qui devait
lui être faite. Dans tous les autres cas, le bénéficiaire évincé
ne pourra obtenir qu’une compensation financière (la « réparation du préjudice subi »).
Action interrogatoire
Innovation de la réforme, l’action interrogatoire (article 1123
alinéas 3 et 4) est un outil de sécurisation.
Elle permet au tiers d’interroger par écrit le bénéficiaire du
pacte, dans un délai déterminé. Le tiers demande au bénéficiaire de confirmer qu’il est titulaire d’un droit de préférence, et d’indiquer s’il compte s’en prévaloir. Une fois
le délai fixé expiré, et faute pour le bénéficiaire de s’être
prononcé, la nullité ou la substitution ne pourront plus être
demandées, et le tiers pourra se porter acquéreur de l’immeuble sans courir le risque d’une action en substitution
ou en nullité par un « éventuel » bénéficiaire d’un pacte de
préférence. Il est permis de s’interroger sur l’opportunité
d’une telle action interrogatoire pour un tiers.
En effet, la preuve du fait que le tiers avait connaissance de
« l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir » semble difficile
à apporter en dehors de l’exercice par ce dernier de cette
action interrogatoire. Par conséquent, le risque de se voir
opposer la nullité de l’acte, ou la substitution, semble limité
aux cas de fraude manifeste. Paradoxalement, un tiers de
mauvaise foi qui n’aurait pas interrogé le bénéficiaire d’un
pacte de préférence et aurait conclu un acte de vente sur le
bien concerné ne serait exposé qu’à une action en dommages
et intérêts.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
connaissance du pacte
L’exercice de l’action suppose d’avoir connaissance de l’existence du pacte. En raison de la multiplicité des hypothèses
possibles, un pacte de préférence peut ne pas avoir été inséré
(4) Avant cet arrêt en date du 26 mai 2006, la jurisprudence constante avait posé le principe que l’exécution en nature n’était envisageable que sous réserve « qu’elle soit
possible » et ne viole pas les dispositions de l’article 1142 du Code civil, et avait exclu du périmètre le pacte de préférence.
La chambre mixte, le 26 mai 2006, opère un revirement et rend un arrêt posant le principe que le bénéficiaire d’un pacte de préférence a le droit d’exiger l’annulation
du contrat conclu mais, surtout, obtenir la substitution à l’acquéreur. « Si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec
un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du
pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. »
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du droit des contrats et des obligations
dans le titre de propriété du vendeur, ou ne pas avoir été
publié au service de la publicité foncière (5). Il est également
possible qu’il fasse l’objet d’une clause de confidentialité.
En tout état de cause, l’exercice de l’action interrogatoire
suppose que le pacte de préférence soit révélé aux tiers.
Il est donc possible de s’interroger sur l’effectivité de cette
action.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
délai raisonnable
Par ailleurs, le délai de réponse du bénéficiaire doit être « raisonnable », ce qui laisse une part de subjectivité et donc d’interprétation des parties et, le cas échéant, des juges. En pratique, le délai raisonnable sera vraisemblablement identique
aux délais de réponse des titulaires de droits de préemption.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
mention écrite
Enfin, le troisième alinéa de l’article 1123 indique que l’écrit
par lequel est exercée l’action interrogatoire doit mentionner
l’extinction des actions en nullité et en substitution en l’absence de réponse du bénéficiaire du pacte. Ce texte ne précise
pas la nature des sanctions de l’absence de cette mention.
LA PROMESSE UNILATÉRALE DE VENTE
(ARTICLE 1124 DU CODE CIVIL)
Ignorée du Code civil antérieurement à la réforme mais utilisée par les praticiens, la promesse unilatérale de vente est
consacrée par la réforme.
Définition
La promesse unilatérale est le contrat par lequel l’une des
parties, appelée « promettant », donne son consentement
à un contrat définitif, dont les conditions sont d’ores et
déjà déterminées, et offre à l’autre partie, appelée « bénéficiaire », la faculté de conclure ce contrat, à son choix. On dit
alors que le bénéficiaire est titulaire d’une option.
Engagement des parties à l’acte
Le promettant est définitivement engagé et ne peut plus se
rétracter, tandis que le bénéficiaire conserve sa liberté en
contrepartie d’un éventuel dédommagement financier, de ne
pas finaliser l’opération.
Sort des parties en cas d’inexécution du contrat :
solutions antérieures à la réforme
L’enjeu majeur dont la jurisprudence a dû connaître est la
possibilité de forcer l’exécution du contrat lorsqu’une des
parties refuse de régulariser le contrat définitif.
◗ Du côté du bénéficiaire, la sanction est purement financière et prévue au contrat : il lui est permis de ne pas signer
le contrat définitif. Dans ce cas, il accepte de perdre l’indemnité d’immobilisation convenue lors de la signature de la
promesse, sauf à prouver qu’une des conditions suspensives
prévues dans l’avant-contrat ne s’est pas réalisée.
◗ Du côté du promettant, il était établi en jurisprudence
que l’obligation pesant sur lui était une obligation de faire,
dont l’inexécution donnait lieu à des dommages et intérêts
en vertu de l’actuel article 1142 du Code civil, mais pas à la
signature forcée de la vente. La pratique avait donc pour
habitude d’insérer dans les avant-contrats une clause aux
termes de laquelle le promettant consentait à renoncer au
bénéfice de l’article 1142 du Code civil, et acceptait que le
bénéficiaire poursuive l’exécution forcée de la vente si le
promettant refusait de signer l’acte définitif.
Disparition de la notion d’obligation de faire
L’ancienne classification des obligations (obligations de
faire, de ne pas faire, et de donner) est ignorée par l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel article 1217 du Code
civil énumère les sanctions du non-respect d’une obligation
contractuelle :
◗ le refus ou la suspension d’exécution du contrat ;
◗ l’exécution forcée en nature ;
(5) Ainsi, par exemple, et cette hypothèse très fréquente recouvre les deux premiers cas de figure, lorsqu’un bail commercial contient un pacte de préférence au profit
du locataire en cas de vente de l’immeuble.
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juridique
LA PROMESSE
UNILATÉRALE DE VENTE
APPARAÎTRA À COMPTER
DU 1ER OCTOBRE 2016 COMME
L’AVANT-CONTRAT DE RÉFÉRENCE.
◗ la réduction de prix ;
◗ la résolution du contrat ;
◗ la réparation des conséquences de l’inexécution.
Ces différentes sanctions sont cumulables lorsque cela est
possible.
Sort des parties en cas d’inexécution du contrat :
solutions postérieures à la réforme
L’article 1124 du Code civil, dans sa nouvelle rédaction,
prévoit que la levée d’option par le bénéficiaire forme le
contrat, même si le promettant a manifesté sa volonté de
se rétracter, et que le contrat conclu en violation de la promesse de vente peut être annulé.
Par ailleurs, le nouvel article 1221 du Code civil dispose que
l’exécution en nature peut être poursuivie, en cas d’inexécution par une partie, sauf si elle est impossible ou si elle est
disproportionnée.
La combinaison de ces dispositions permet donc de s’interroger sur l’utilité de continuer à intégrer dans les promesses
de vente une clause d’exécution forcée, celle-ci semblant
être ouverte au bénéficiaire par le seul effet de la loi.
Devenir du contrat conclu en violation de la promesse
La sanction prévue en cas de contrat conclu en violation d’une promesse est la nullité de l’acte frauduleux, au
contraire des dispositions concernant le pacte de préférence : la simple preuve de la connaissance qu’avait le tiers
de l’existence de la promesse suffit pour demander la nullité.
LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE
Seul avant-contrat connu du Code civil à ce jour, la promesse synallagmatique de vente n’est mentionnée que par
un seul texte (6), qui l’assimile au contrat de vente définitif et
l’envisage alors en tant que vente et non en tant qu’avantcontrat.
Définition
La promesse synallagmatique de vente est le contrat par
lequel l’une des parties, appelée « promettant », donne son
consentement à un contrat définitif, dont les conditions sont
d’ores et déjà déterminées, ce qui est accepté par l'autre
partie, appelée « bénéficiaire », qui donne également son
consentement à ce contrat.
Difficultés de qualification
La frontière est ténue entre la promesse synallagmatique de
vente et la vente elle-même, dans la mesure où les consentements réciproques ont été donnés et constatés. En effet,
le droit français des contrats est fondé sur le principe du
consensualisme, qui veut que le contrat se forme par la
simple rencontre des volontés, dès lors que les parties sont
d’accord sur la chose et le prix. La promesse synallagmatique de vente est donc fréquemment présentée comme une
vente sous condition suspensive.
Intérêts et inconvénients de la promesse
synallagmatique de vente
Souvent considérée comme plus protectrice pour le promettant, puisque le bénéficiaire est immédiatement engagé,
la promesse synallagmatique n’est pas sans soulever des
difficultés en cas de défaillance du bénéficiaire. En effet,
alors que, dans une promesse unilatérale, le promettant peut
recouvrer sa liberté et exiger le paiement de l’indemnité
d’immobilisation, dans une promesse synallagmatique, il n’a
d’autre choix que de faire constater en justice que la vente
est effective, pour en demander l’exécution forcée.
(6) Article 1589 du Code civil, alinéa 1 : « La promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ».
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du droit des contrats et des obligations
contrats. Nous nous attacherons ici à présenter les modifications que le praticien devra avoir à l’esprit, sans que cette
liste soit exhaustive.
LE CONSENTEMENT
Réticence dolosive
Consacrée par le nouvel article 1137, la réticence dolosive consiste à cacher sciemment une information dont la
connaissance aurait pu influer sur la décision de l’autre partie de contracter ou non.
Lien entre réticence dolosive et inexécution
de l’obligation d’information
Le nouvel article 1112-1 du Code civil relatif à l’obligation
d’information renvoie, pour la sanction, à l’annulation qui
peut être demandée sur le fondement des articles 1130 et
suivants, relatifs aux vices du consentement.
Place de la promesse synallagmatique dans le nouveau
droit des contrats
La promesse synallagmatique de vente est purement et
simplement ignorée du nouveau dispositif légal. La promesse unilatérale de vente apparaîtra donc à compter du
1er octobre 2016 comme l’avant-contrats de référence.
3.3 / LA SÉCURISATION DE LA
FORMATION DU CONTRAT DE VENTE
LA VALIDITÉ DU CONTRAT
Dans une volonté de simplification, l’ordonnance du
10 février 2016 a remanié les conditions de validité des
Il est permis de s’interroger quant à la différence effective entre les deux notions très voisines de manquement
à l’obligation d’information et de dol par réticence (silence
dolosif). La première, si elle ne s’accompagne pas d’un vice
du consentement, peut seulement donner lieu à une action
en dommages et intérêts. La seconde, en tant que vice du
consentement, pourrait justifier une action en nullité du
contrat.
Caractère subjectif du contenu de l’information
Le Code civil affirme que l’obligation d’information, d’ordre
public, n’a pas pour objet « l’estimation de la valeur de la
prestation », sous réserve de la bonne foi des négociations
édictée par le nouvel article 1104 du Code civil. Par ailleurs,
on peut s’interroger sur la notion « d’importance déterminante » pour le consentement au sens de l’article 1112-1,
qui risque de générer un contentieux important. Ainsi, par
exemple, que penser des informations relatives à des événements survenus dans l’immeuble à vendre tels qu’un drame
familial ou encore les informations relatives à l’utilisation
antérieure de l’assiette foncière (par exemple un ancien
cimetière) ?
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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juridique
Notion de violence
La violence a été redéfinie et son régime largement modifié
par la réforme.
Pour les contrats de vente d’immeuble régularisés à compter du 1er octobre 2016, ceux-ci pourront être contestés pour
violence dans deux hypothèses possiblement cumulatives.
Dans une première hypothèse, la violence peut être caractérisée par des actes matériels concernant une ou plusieurs
parties et/ou leurs « proches », cette notion devant être précisée par la jurisprudence ou la loi de ratification.
Dans une seconde hypothèse, la violence vice du consentement peut être admise en dehors de tout acte matériel.
Elle pourrait résulter d’un « abus de dépendance » au sens
du nouvel article 1143 du Code civil. La dépendance envisagée peut être d’ordre économique ; c’est la raison pour
laquelle la doctrine majoritaire la qualifie déjà de « violence
économique ». Mais cette dépendance pourrait également
être d’ordre psychologique, sentimental, etc., le texte définitivement adopté ayant renoncé à l’utilisation du terme de
« faiblesse ». Par ailleurs, pour être caractérisé, ce nouveau
type de violence doit également permettre au cocontractant
d’obtenir « un engagement » que l’autre partie « n’aurait pas
souscrit en application de la contrainte » et « d’en tirer un
avantage manifestement excessif ».
LA CAPACITÉ DE CONTRACTER
Risques inhérents à la représentation
La procuration ou délégation de pouvoir, fréquemment utilisée en pratique pour permettre la régularisation d’un contrat
lorsque l’une des parties ne peut être physiquement présente, n’est pas sans danger. En effet, le mandat étant révocable (article 2004 du Code civil), un doute peut toujours
subsister quant à savoir si le mandataire est toujours effectivement investi d’une délégation de pouvoir. Certes, une
protection est offerte au contractant qui n’était pas averti de
LA CAUSE DU CONTRAT
A DISPARU DU NOUVEL
ARTICLE 1128 DU CODE
CIVIL, QUI FIXE LES CONDITIONS
DE VALIDITÉ DU CONTRAT.
la révocation (article 2005 du Code civil). Mais l’incertitude
peut aussi relever de l’étendue des pouvoirs, lorsque le mandat est imprécis ou ambigu.
Action interrogatoire
Pour remédier à cette situation, le nouvel article 1158 du
Code civil offre au contractant une action interrogatoire
qui lui permet de vérifier auprès du mandant l’étendue des
pouvoirs du mandataire. Il suffira alors, pour le tiers au
mandat, d’interroger le mandant pour obtenir confirmation
du contenu du mandat, en fixant un délai de réponse raisonnable (7) à l’expiration duquel l’acte peut être conclu sans
que le mandant puisse par la suite contester l’habilitation du
mandataire à le représenter.
LES MOTIFS DU CONTRAT
Disparition de la notion de cause
Redoutée par des générations d’étudiants en droit, décriée
par certains auteurs qui en contestaient l’utilité, pilier de
la théorie contractuelle pour d’autres, la cause du contrat
a disparu du nouvel article 1128 du Code civil, qui fixe les
conditions de validité du contrat.
Consécration de la théorie des ensembles contractuels
Faut-il voir dans la suppression de ce terme de cause une
réelle modification ? En effet, l’ordonnance du 10 février
2016 a recours à trois notions évoquant cumulativement les
anciennes notions de cause :
(7) Nous renvoyons ici le lecteur aux questions soulevées par le caractère raisonnable du délai de réponse dans le cadre d’un pacte de préférence, supra.
38 la vente immobilière confrontée à la réforme
du droit des contrats et des obligations
◗ le « contenu » du contrat (nouvel article 1128) et son « but »
(nouvel article 1162), qui constituent la cause subjective du
contrat ;
◗ et la « contrepartie » de la prestation (nouvel article 1166),
qui constitue la cause objective du contrat.
LA DÉMATÉRIALISATION DU CONTRAT
Recodification des dispositions existantes
L’ordonnance du 10 février 2016 reprend presque à la lettre
les dispositions des articles 1360-1 et suivants du Code civil
actuel, mais les intègre aux règles de validité des contrats,
ce qui manifeste une volonté de renforcer une pratique qui
tend à se démocratiser.
Pratique croissante des échanges par voie électronique
On constate, en effet, que les échanges par voie électronique
se font de plus en plus nombreux dans le cadre de la conclusion d’un contrat, même si à ce jour une infime proportion
des ventes immobilières est réalisée par voie numérique.
Il s’agit naturellement des échanges de correspondance
par courriel dans le cadre des négociations, mais aussi de
pratiques plus formelles comme le courrier électronique
recommandé. Ce nouvel outil permet d’adresser par voie
électronique des documents qui devaient auparavant être
nécessairement acheminés par recommandé postal : ainsi,
notamment, des documents nécessaires à la purge du droit
de rétractation ou de réflexion prévu au bénéfice de l’acquéreur par l’article L.271-1 du Code de la construction et de
l’habitation, mais également des offres de prêt et documents
annexes adressés à l’emprunteur. Outre l’aspect écologique,
ce procédé sécurise les délais, puisque la date de réception
d’un courriel est bien plus facile à maîtriser que sa date de
réception.
de validité éventuelles de ces documents (nouvel article 1176
du Code civil) ;
◗ se soit assuré, dans certains cas, que le destinataire dispose d’une imprimante (nouvel article 1177 du Code civil,
concernant les envois devant être réalisés en plusieurs
exemplaires) ;
◗ ait recueilli au préalable l’accord du destinataire pour
que l’envoi lui soit fait sous forme électronique (nouveaux
articles 1126 et 1127-5 du Code civil).
Précautions pratiques : mention manuscrite
Soulignons, enfin, concernant les actes sous signature privée relevant du droit de la famille ou constitutifs de sûretés consenties par les particuliers que, lorsqu’une mention
manuscrite est exigée, cette mention ne peut être apposée
par voie électronique (nouvel article 1175 du Code civil).
Les premiers commentaires de l’ordonnance du 10 février
2016 mettent en lumière différentes améliorations à apporter
à la réforme. Des ajustements seront donc à prévoir dans le
cadre de la loi de ratification, qui devra être déposée devant
le Parlement au plus tard six mois à compter de la date de
publication de l’ordonnance, intervenue le 11 février 2016.
Précautions pratiques : vérifications préalables
Une vigilance particulière s’impose lorsque le contractant
n’est pas un professionnel, puisque le Code civil exige, dans
ce cas, que l’expéditeur :
◗ ait vérifié au préalable que la lisibilité et la présentation
des documents électroniques sont conformes aux conditions
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