confrontation de points de vue autour de la notion de respect

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confrontation de points de vue autour de la notion de respect
CONFRONTATION DE POINTS DE VUE AUTOUR DE LA NOTION DE RESPECT
Interventions : - Renée HIPONA – Déléguée départementale APF, Nancy
- José COTI – Directrice de foyers pour adultes, Handas, Nice
- Annie FOURNIER – Parent ressource, commission nationale des parents, APF
- René LEBOUCHER – Directeur régional Nord-Pas de Calais, APF
Renée HIPONA
La valeur du respect d’autrui semble être de plus en plus mise en avant par la société. Elle est utilisée
même dans les spots publicitaires : pour une marque de café ou l’entreprise Gaz de France. On parle
aussi beaucoup de respect à l’école, du respect dû aux personnes âgées ou à la police. Dans la
Déclaration des droits de l’homme et dans tous les codes de déontologie, on affirme le droit au respect
de la vie privée. C'est une aspiration constante des individus d'avoir un espace hors de la curiosité
d’autrui, un lieu d'intimité, d’identité et de dignité. En même temps, on assiste à une violation de cette
intimité, à du voyeurisme par exemple dans certaines émissions de télévision qui bénéficient de fortes
audiences.
Il n’existe pas de recette de bonnes relations entre les personnes et la notion de respect n'est pas la
même pour tous. Je n'ai donc pas d'autre ambition que d'apporter les idées qui sont nées de mon
expérience, ou de celle d'autres personnes handicapées, et qui peuvent peut-être aider à comprendre
ce qui rend une relation correcte et durable.
Dans la relation professionnel-usager, je préfère parler d'aidant et d’aidé. Je distingue trois champs
dans le respect : celui de l'espace, celui du corps et enfin le respect des sentiments et des idées.
Dans la dépendance, l’espace d’intimité et le corps sont soumis à un tiers. Il est alors difficile de garder
son identité. La personne aidée ou soignée est vue dans un espace réduit et avec une mobilité réduite,
ce qui fausse son image et la dévalorise. C'est pourquoi la notion de respect est essentielle entre aidant
et aidé, l’un dépendant par ses limitations physiques et l’autre détenant un certain savoir et une forme
de pouvoir. C'est le respect qui va rééquilibrer l’inégalité de départ.
Pour un professionnel, tel qu’un infirmier, un kiné ou une tierce-personne, respecter l'espace de la
personne soignée ou aidée, c'est frapper avant d'entrer, c'est demander l'autorisation d'ouvrir ou de
fermer une fenêtre, c'est respecter les objets et leur place, avec les manies de la personne. C'est laisser
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à la personne la maîtrise de son environnement, même s'il est illusoire de rester maître chez soi quand
plusieurs personnes étrangères ont accès quotidiennement à votre chambre. Le respect requiert de la
discrétion, et non pas une intrusion.
Le corps, lui, est le support de notre individualité, de notre identité. Rien n'est plus respectable que lui.
Alors certains regards sont vécus comme de la curiosité indécente. Le respect passe déjà par
l’éducation du regard. Quant aux gestes indélicats, ils sont une violation de notre intimité. Ces manques
de respect sont une réelle violence. Ils sont pourtant assez fréquents par inadvertance, par manque de
retenue ou par inconscience. Tous ceux qui ont subi, à l'hôpital par exemple, la visite du médecin
accompagné de ses étudiants ont vécu cette violence.
Ces attitudes indélicates sont un problème encore plus crucial chez l’enfant que chez l'adulte, car tout
son développement affectif peut en dépendre. Or l'enfant n’est pas toujours respecté, surtout en
institution. La personne âgée n'est pas, non plus, toujours respectée dans les établissements.
Pourquoi ? Peut-être parce que l'un comme l'autre ne savent pas encore ou ne savent plus exiger le
respect de l'autre.
Or le respect de soi-même, c'est entre autres, exiger le respect de l'autre. C'est se dévaloriser que de
tolérer l'irrespect. Mais le manque de confiance en soi, par exemple, peut entraîner le manque de
respect. Il est aussi quelquefois suscité par l'attitude même de la personne qui s'en plaindra ensuite :
c'est le problème de la provocation consciente ou inconsciente. La familiarité, le tutoiement, la moquerie
sont des manques d’irrespect s’ils ne sont pas consentis. Ils constituent de la violence verbale. En fait,
toute atteinte à la vie privée est violence.
Respecter quelqu'un c'est aussi respecter ses idées. Or, la relation de dépendance peut être une cause
de difficultés particulières dans ce domaine, car l’aidant peut devenir ascendant sur l’autre. La personne
dépendante désire être aidée plutôt qu'assistée, en restant « égale » à l’autre et donc digne. Pourtant,
elle est souvent contrainte de justifier ses demandes et même ses droits. Il faut donc que la personne
aidant essaie de ne pas trop user de son pouvoir ou de ne pas utiliser l'autre.
Un travailleur social, par exemple, dont la mission est de guider et de conseiller, doit savoir écouter, ne
pas être indifférent ou fermé aux idées de l'autre. Il doit prendre en compte les réticences et les
angoisses qui sont dues à l'aggravation du handicap, par exemple, et qui vont freiner un projet. Il vaut
mieux conseiller adroitement plutôt qu'imposer.
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Par exemple, si une personne émet le désir de vivre au quinzième étage d'un immeuble ou dans une
campagne reculée et que cela pose des problèmes d'ascenseur ou de transport, il ne faut pas rejeter
d'emblée le projet, mais en étudier ensemble les inconvénients. Il faut aussi étudier les dangers car
protéger la personne, y compris d'elle-même quelquefois, c'est la respecter.
Garantir à l’autre son espace de liberté, c'est le respecter. La personne en demande d'aide doit rester
libre quoique dépendante, mais elle aussi doit savoir écouter les conseils, avoir la même tolérance, la
même ouverture d'esprit même si on dérange ses habitudes ou ses convictions. Quant au pouvoir de
l'autre, elle ne doit le respecter que s'il est sous-tendu par du bien-fondé, par de la légitimité. Ce n'est
que dans ce respect réciproque des idées que peut s'établir une coopération et aboutir un projet.
Des difficultés à vivre des relations de pouvoir peuvent entraîner des défenses chez la personne aidée,
sous forme d'agressivité ou au contraire de repli sur soi. Il faut donc éviter toute attitude désinvolte,
arrogante ou condescendante dans l'aide.
La personne aidant doit aussi être respectée car la vulnérabilité existe des deux côtés de la relation.
Cette personne a des contraintes, telles que des horaires à respecter, une charge de travail importante
et souvent une lassitude ou une fatigue qu'elle doit surmonter. On ne doit pas par exemple, exiger d'elle
une bonne humeur et un sourire permanents. On ne doit pas non plus lui demander plus que ce qu'on
est en droit d'attendre d'elle de par la nature de son aide, de son contrat, ou de par les codes de sa
profession elle-même. On pourrait, à ce sujet, aborder la confusion qui existe souvent entre les tâches
des personnes qui aident à la vie à domicile.
Respecter quelqu'un c'est respecter sa volonté et ses souhaits, mais aussi ses secrets, ses croyances,
en bref son identité, sa singularité. Concrètement, c'est par exemple ne pas lire ce qu'il est en train
d'écrire, ne pas se moquer de ce qu'il regarde à la télévision, ne pas critiquer ses lectures, ne pas trahir
ses confidences et ses secrets et ne jamais juger. C'est le respect de la différence.
Entre aidant et aidé, seule une relation négociée et consentie, un véritable contrat moral, peuvent
garantir le respect dans des limites qui sont inhabituelles. Il y a une barrière à ne pas franchir, une
notion de juste distance qui se trouve dans une certaine complicité. Chacun doit pouvoir apporter ses
propres idées, sa propre richesse. Le respect, c'est le contraire de l'indifférence ou du rejet. C'est
l'accueil de l'autre. En fait, c'est l’intention de la relation qui est importante.
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Ce qui est vrai de cette relation aidant-aidé est vrai de toute relation. Nous ne pouvons pas vivre repliés
sur nous-mêmes. La présence de l’autre est essentielle à notre vie, mais elle doit être de qualité. Or
sans respect, il n'existe pas de relation de qualité possible et surtout durable.
Josée COTI
Le respect, ce regard que je porte sur l’autre, les égards que j’ai pour lui, cette considération que je dois
avoir sur cet autre moi-même, ce respect est–il mis à mal lorsque l’autre est dépendant de moi ?
Pendant que je réfléchissais à mon intervention d’aujourd’hui un événement est arrivé au foyer de Sclos
qui me semble illustrer la difficulté du sujet.
En novembre 2002, le papa de Laure est décédé. Sa sœur et sa grand-mère, seules personnes de sa
famille encore vivantes, ont décidé, pour la protéger, de ne rien lui dire. Nous apprenons le décès en
janvier 2003. Marie, sœur de Laure, explique la nécessité pour elle de protéger Laure, de ne pas la faire
souffrir, de ne pas la faire participer à tout ce qui entoure le décès et notamment l’enterrement.
Personnellement, c’est la colère qui m’habite, colère de ne pas permettre à Laure de vivre sa vie. Le
décès de son papa, aujourd’hui ou il y a trois mois, c’est son histoire. Il me semble que le respect qui
est dû à Laure est aussi de lui permettre la souffrance qui est la sienne dans la forme qui est la sienne.
C’est seulement quelques jours après l’annonce de ce décès que Laure demande à me parler de la
mort de son papa. Avec ses mots à elle, elle m’explique « ça va être dur » , « il va me manquer » , « je
n’ai pas de chance ».
C’est à l’écouter, à la regarder que tout à coup ma colère contre sa famille tombe. L’ai-je plus respectée
dans mon discours de professionnel ? Je nous en veux à tous, en fait, aucun d’entre nous n’a supposé
que Laure pouvait avoir à dire ce qu’elle souhaitait. Chacun, famille et professionnels avons eu à cœur
d’imaginer ce qui était le mieux pour elle.
Et Laure vit les choses telles que nous les lui donnons à vivre. Sa dépendance est telle qu’elle n’a pas
conscience d’être dépendante. Et pourtant, le respect c’est une notion que nous abordons souvent dans
nos projets, d’ailleurs chaque matin nous frappons à la porte de Laure avant de rentrer dans sa
chambre, preuve du respect que nous avons pour elle.
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Alors oui je pense que la dépendance vient mettre à mal le respect qui est dû à chaque être humain. Et
plus la dépendance est importante plus le risque est grand.
Dans le cas du polyhandicap, où l’on peut parler de dépendance absolue au sens décrit par Winnicott,
c’est à dire, pour l’exprimer rapidement, lorsqu’il n’y a pas conscience de cette dépendance, le risque
est majeur.
Pour autant la dépendance relative, toujours selon Winnicott, où la personne a conscience de sa
dépendance, ne rend pas les choses plus faciles. Si j’ai besoin de toi pour vivre, pour m’alimenter, il va
me falloir être conciliant avec toi, la peur de te perdre met en jeu mon existence même et donc
m’impose de mettre des formes à notre relation.
Chaque fois qu’il y a dépendance, qu’elle soit physique, psychique ou sociale… il y a risque d’irrespect.
Ceci étant, il nous faut constater que la dépendance est inhérente et nécessaire à la construction et à
l’épanouissement de tout individu. S’il y a, chez un enfant qui se met debout pour marcher un désir
d’autonomie, il n’y a pas forcément désir d’indépendance. C’est peut-être même parce qu’il sait que sa
maman est là et restera là qu’il peut sans peur se mettre debout.
Chacun d’entre nous sait bien les avantages, le plaisir que l’on a à être dépendant de quelqu’un,
quelqu’un qui va faire pour nous des choses que l’on ne sait pas, ne souhaite pas faire, ou également le
bonheur qu’il y a à s’abandonner dans les bras de quelqu’un.
A contrario, je doute que quelqu’un qui ne dépend de rien, ni de personne, d’aucune image ou
représentation et donc totalement autonome, ne soit pas dans une solitude extrême. Décidément, la
dépendance est une notion pleine de malentendus, (« les malentendus de la dépendance » Bernard
Ennuyer).
Mon discours paraît bien sombre quant à notre capacité à être en permanence respectueux de l’autre.
Pourtant, je pense sincèrement qu’il est possible d’établir des relations basées sur un respect mutuel,
permettant à celui qui est dépendant de s’épanouir dans la dignité qui lui est due.
Je ne pense pas néanmoins qu’il existe une réponse universelle à cette préoccupation.
Il y a une publicité, à la télévision qui dit :
- Ne pas toucher, c’est respecter.
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- Ne pas laisser de trace c’est respecter.
- Ne pas déranger c’est respecter.
Parallèlement, je garde en tête les propos de Dominique COLIN, lorsqu’il nous dit : « Certains résidants,
très fragiles dans leur mécanisme de pensée, ne peuvent peut-être penser, éprouver que par le lien de
dépendance ».
J’utilise le mot parallèlement parce qu’en fait ce qui pourrait paraître extrême entre ces deux opinions,
peut être valable selon les circonstances et/ou selon l’état de dépendance.
Dans le cas de Laure, évoqué précédemment, le respect consistait sans doute à ne pas penser les
choses à sa place. Dans d’autres circonstances, le respect est à mon sens d’aider la personne
handicapée à s’accommoder des formes de dépendance qui sont les siennes.
Lorsque Virginie me dit « je voudrais être danseuse comme ma sœur », je peux pour respecter son
désir, l’inscrire à un cours de danse. Bien sûr ma fonction éducative m’a préparé à accompagner un
échec, mais cette fonction ne m’impose-t-elle pas de préserver sa dignité en ne lui faisant pas croire
que tout est possible ?
En fait, je pense que ce n’est pas le handicap qui produit dépendance et irrespect, mais les conditions
de prise en charge qui peuvent les entraîner.
En conclusion, il reste certaines pistes de réflexion qui sont à mon sens incontournables autour des
notions de respect et de dépendance.
Je vous les propose sous forme de questions :
-
En quoi l’autonomie est-elle un idéal de vie ? Doit-on culpabiliser des personnes qui
s’épanouissent dans ou malgré la dépendance ?
-
Le respect n’a de sens que s’il est réciproque, qu’en est-il du respect que les résidants doivent
aux professionnels ?
-
Qu’en est-il des professionnels qui sont dépendants du regard que les résidants portent sur
eux ?
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Pour finir, je pense que le respect se construit. Si la relation que l’on a établie avec une personne est
« suffisamment bonne », le respect est présent. Je ne crois pas que les méthodes de mise à distance
relationnelle, telles que le vouvoiement, protégent de l’irrespect.
Annie FOURNIER
Vous me demandez d’exprimer mon point de vue de parent sur le « respect » ?
Pour la mère d’adulte IMC que je suis, les expériences de la vie quotidienne ont abondamment nourri,
voire exacerbé, ma sensibilité aux situations où le respect de la personne est en jeu ! Expériences
puisées dans ce long parcours personnel depuis 34 ans, dans des échanges avec d’autres parents ou
par l’écoute de témoignages, bouleversants parfois, de personnes de tous âges, souvent infantilisées
dans leur quête d’autonomie, en institution ou autres services, ou dans la société lorsqu’elles s’osent à
exercer leur citoyenneté.
Me reviennent en mémoire ces journées nationales de Poitiers, en juin 1999, qui rassemblaient près de
150 résidants provenant de 41 foyers de vie de l’APF, autour de 4 thèmes soumis à leur réflexion : le
résidant est une personne, le résidant est citoyen, le résidant est acteur, le résidant est en relation.
Ces résidants s’étaient exprimés avec fougue, passion…
Mais pourquoi avait-il été si souvent revendiqué le besoin d’être reconnus libres et dignes de respect,
comme si pour beaucoup, ce n’était pas toujours la réalité ?
Quelle force dans cette exigence d’être respecté, non pas en tant que personne handicapée ou individu,
mais en tant que personne singulière, unique, comme les autres et parmi les autres ; une personne qui
a une histoire, des aptitudes même si elles sont minimes, une personne riche de sentiments, d’affection,
assoiffée de vie, de joie, de plaisir, d’entrer en relation avec d’autres, capable de revendiquer un projet
et d’avoir des rêves…, malgré la relation de dépendance qui la lie à tant d’intervenants différents…
Pourquoi cette impression, voire cette réalité fortement exprimée, de non-reconnaissance, de nonrespect, alors que tous ceux qui ont en charge la bonne marche d’une institution conviendront que le
projet institutionnel est pourtant basé sur le respect de la personne ?
Certains pourront réfuter ce qu’ont dit ces jeunes, y voir un manque de reconnaissance envers un
personnel qui fait tant pour chacun…
J’ai déjà entendu ceci bien souvent, par rapport à un salarié qu’il fallait excuser :
« Personne n’est à l’abri d’un peu de fatigue, d’avoir passé une mauvaise nuit à cause d’un enfant en
bas âge, d’avoir un problème familial grave … il faut comprendre… ». Une sorte de réponse-type et
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passe-partout, brandie dès la moindre remarque exprimée à propos du manque d’égard vis-à-vis d’une
personne, dans son quotidien. Pourtant la faute, l’exagération, la violence ne sont pas
systématiquement dans un camp, celui des plus fragiles, le « bon droit » et la justification dans l’autre,
celui du pouvoir !
Voici des témoignages recueillis chez des personnes, atteintes de déficience motrice, avec des troubles
plus ou moins importants de la communication et nécessitant la présence d’un accompagnement pour
de nombreux actes de la vie quotidienne.
Ce sont des petits événements routiniers en institution : réponse à un appel différée exagérément,
station sur le bassin qui dure comme il n’est pas permis, chambre pas faite ou laissée avec les
télécommandes posées dans des lieux inaccessibles ou encore avec les instruments audiovisuels
débranchés, vêtements revenus si tardivement de la lingerie parfois mélangés ou abîmés, repas avec
des conversations personnelles au dessus de la tête, annulation de rendez-vous ou de sortie sans
prévenir, appel téléphonique non transmis, interpellation des personnes en les appelant par leur numéro
de chambre, manque de confidentialité, réflexions humiliantes comme par exemple « toi de toute façon
tu es ici à vie » etc. Vous connaissez tout ça et ce n’est pas médire que d’en parler.
Ces incidents de parcours, qui existent aussi dans les maisons de retraite avec les personnes âgées
dépendantes et désorientées, passent inaperçus pour celui qui ne les subit pas. Mais ils pèsent lourd,
très lourd, pour celui ou celle qui ne peut rien faire sans l’aide de l’autre, qui tente d’être reconnu
comme une personne actrice de sa propre vie. N’est-il ou n’est-elle pas une personne respectable ? Il
ou elle observe aussi que certains sont plus entourés que d’autres (au repas, lorsqu’ils sonnent, à la
pause), qu’ils sont salués avec des petits mots de politesse en plus. Il se joue là de la discrimination,
mettant à mal ce beau principe d’égalité en valeur et en dignité des personnes!
…Et, ne pouvant pas changer le cours des choses, par manque d’écoute et de dialogue, par
incompréhension, par crainte de représailles, puisque rien ne sert de se plaindre pour si peu, souvent la
personne « fragilisée » se soumet : devenue captive, elle ressent l’humiliation d’être un « objet » à la
charge d’un personnel débordé de travail ! Appauvrie, elle se rend absente au monde qui l’entoure!
Rencontrant quelqu’un qui enfin l’écoute, la considère comme un être digne d’échange, elle exprimera,
entre autre, sa révolte, pour signifier ce qui est à défendre de toute urgence en l’homme : le respect de
sa dignité.
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Et lui, mon fils, qui me raconte, alors qu’il était aux toilettes, cet homme qui est entré dans sa chambre
sans y être invité, puis dans la salle de bain et, au mépris du besoin d’intimité qu’exigeait la situation,
pourquoi s’est-il permis de désinfecter son espace de vie comme si c’était une tanière, « sans un mot,
me dit-il, sans excuse, sans me voir » ? « Tu vois, je suis transparent, je n’existe pas ! »
Et ceux, victimes de sévices, d’abus de leur intimité, de leur personne, traumatisés à jamais…
Et moi, nous, parents, n’avons-nous pas vécu des situations difficiles, culpabilisantes, humiliantes,
uniquement parce que nous avions le tort, de façon maladroite peut-être, de vouloir parler d’une
situation ! ?
Mais ces attitudes de dévalorisation de la personne, cette indifférence à l’autre, cette façon insidieuse,
involontaire de faire souffrir, se rencontrent également dans la vie de tous les jours, en société ! Il y a là
aussi des tonnes d’incidents à dire, qui se renouvellent à l’identique dans n’importe quel coin de
France !
« Quand je suis en fauteuil, on s’adresse toujours à la personne qui m’accompagne comme si le
fauteuil, les mouvements incontrôlés de mon corps, gommaient qui je suis en dedans ! »
D’autres vous diront aussi l’humiliation qu’ils ont subie dans leur volonté d’être citoyen comme les
autres : quand après avoir trouvé de l’aide pour gravir les marches qui donnent accès au bureau de
vote, après avoir entendu non sans fierté son identité déclinée, juste avant ce moment de silence où on
entend « a voté », quelqu’un s’est soudainement opposé à ce geste en hurlant : « il n’a pas le droit de
voter ! ». Stigmatisation publique de la différence! Se sentir dans l’impossibilité, à cause de sa parole
défaillante et rebelle, d’expliquer en cet instant qu’il est en possession de ses droits civiques…
Quel dégât ! Gagner si difficilement un peu plus d’autonomie sociale et avoir encore et toujours à
prouver que l’on est comme les autres à égalité de chances ?
On ne peut, pour l’heure, d’un coup de baguette magique changer cette société des petits pouvoirs, de
l’égoïsme, de l’individualisme, de l’irresponsabilité, de la peur du risque ! Ce sera pour un autre soir, le
grand soir…
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Mais on peut cependant s’interroger avec ceux qui ont choisi la profession d’accompagner des
personnes, sur ce qui devrait être en jeu dans le face à face qu’implique une relation de dépendance,
quand on parle de respect.
L’institution s’interroge-t-elle régulièrement sur la routine et l’usure de son fonctionnement, sur
l’accoutumance à des mots, à des situations à la marge qui, relativisées, deviennent progressivement
tolérables, puis acceptées par habitude et reproduites tacitement ?
Echange-t-elle avec cette personne en situation de handicap et l’écoute-t-elle sur ce qu’elle vit, sur la
façon dont elle le vit et sur ce qu’elle aimerait vivre? Y a-t-il des lieux de paroles, pour les résidants,
pour les intervenants ?
S’interroge-t-elle sur ce qu’elle lui offre, à cette personne, en terme de compétence du personnel dans
le champ de la relation de dépendance ?
Enfin, y a-t-il place pour un questionnement sur des pratiques qui concernent le respect de la dignité
des personnes et l’amélioration de leur qualité de vie ?
Mes attentes, par rapport aux professionnels, sont énormes, quels que soient leur fonction, leur grade,
leur rôle, leur responsabilité par rapport à la personne dépendante :
- rencontrer chez eux des comportements pleins d’égards, vis-à-vis des personnes en situation de
handicap et de leur famille, ce qui signifie une considération, une valorisation, une écoute, mais aussi
une déférence, une réserve, un soucis de ne pas nuire et de ne pas faire souffrir, ou encore de nondiscrimination, d’empathie, une volonté de construire ou de préserver un lien de confiance, d’exister soi
même en faisant exister l’autre…
- rencontrer chez eux un engagement moral, des convictions fortes, un respect évident de la dignité de
l’humain, qui traduisent par leurs réflexions et leurs attitudes la cohérence nécessaire entre ce qu’ils
sont et la façon dont ils agissent.
Autant de points sur lesquels je pense qu’il est nécessaire d’insister encore et toujours, par des
formations qualifiantes ou continues, sur la représentation de la personne et l’éthique de la relation.
Vous me direz que j’ai fait un tableau fort pessimiste de la situation ! Que globalement tout ne va pas si
mal chez dame « institution » ! C’est sûr, j’ai rencontré des professionnels en tous points
extraordinaires, capables de paroles, d’écoute, d’attention, de tolérance, de donner du sens à leur
travail et d’en faire profiter les autres.
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Mais peut-on se contenter d’une appréciation globale en matière de respect ? On ne peut tolérer les cas
à la marge, qui font honte à tous, la chape de silence qui s’installe dans les situations les plus graves.
Parler du manquement au respect du droit de chacun, des atteintes à la dignité de la personne, c’est un
devoir, une obligation, pour ne pas se sentir complice de cette maltraitance, ne pas s’autoriser à être
lâche et préserver le sens que l’on donne à sa vie.
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