Electro-CIEN n°91 - CIEN - Le Centre Interdisciplinaire sur l`ENfant
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Electro-CIEN n°91 - CIEN - Le Centre Interdisciplinaire sur l`ENfant
ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 SOMMAIRE BULLETIN ÉLECTRONIQUE DES LABORATOIRES p.2 Événements: Ateliers régionaux de l’ipe : *Corte (17/03/12), J-P Denis, « Rencontre avec des images énigmatiques » ; L. Santucci, «Témoignage d’une avs » *Montpelliier : (31/03/12), A. Yzac, « Chantiers d’écriture » *Cournon d’Auvergne (24/03/12), C. Valette-Damase, *Manosque : M. Revel, « Au plus près des corps adolescents. Trois films » p.6 ÉDITO L es échos des Journées et Ateliers régionaux de l’ipe nous parviennent peu à peu : de Corte, Montpellier et Cournon d’Auvergne. Sous la rubrique «événements » également, M. Revel rend compte des leçons d’un cycle de Ciné-cien à Manosque. Un thème crucial est abordé dans ce numéro : celui de l’accueil d’enfants autistes dans les institutions, spécialisées ou pas. Ainsi la séquence issue de l’atelier de Corte nous présente le récit d’une avs confrontée sans préparation à l’accompagnement d’un enfant dit autiste. Elle adresse plusieurs questions au laboratoire. Jean-Pierre Denis interroge pour sa part ce que peut apporter la psychanalyse à cet enfant dans une perspective inter-disciplinaire, et répond à l’avs à partir de l’énigme qu’est pour cet enfant le rapport à la nomination. D’autres textes de ce numéro évoquent l’expérience de praticiens de l’éducation ou de l’enseignement avec des enfants qui ne parlent pas. Certains d’entre eux montrent de façon décidée, par leur réponse singulière aux offres des adultes, les conditions d’une rencontre, d’un travail avec eux ouvert à leur trouvailles. C. Valette Damase nous rappelle que « l’apport de la psychanalyse lacanienne change le statut du savoir. Celui-ci n’est plus préalable et prédictif, c’est-à-dire du côté de celui qui éduque […], il est du côté du sujet qui parle à l’intervenant qui l’accueille et se laisse enseigner par lui.» Pour conclure cet éditorial sans le clore, je vous invite à noter la parution prochaine d’un numéro spécial d’Électro-cien qui sera consacré à des retours de deux moments importants pour la vie de notre association : l’Assemblée générale du cien et la conversation des laboratoires qui suivit, inédite et riche d’enseignements (1er juillet 2012). ~ Michèle Rivoire ~ Au fil des labs • Manosque : M. Revel, « Du cien au ciné et retour » • Nice : M-A Saitour, « De l’envie d’un lieu à la vie d’un lieu d’envies» • Saintes : N. Gilard, « Une fenêtre ouverte sur du possible» Stages de formation inter-disciplinaire Recherches Actualités p. 10 Passerelles p.11 Vie de l’association p. 12 *cien-Brésil, A. M. Maia, G. Fleury, J. Lima, « Comment répondre à la folie des mères » * C. Bouchardie, «Vers une naissance de la voix ?» *Élaboration de l’Annuaire Messages Deuxième Journée de l’ie, «L’enfant et le savoir» (23/03/13) Journées de l’ECF (6-7/09/12), Autisme et psychanalyse 1 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 Événements •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.• æ De Corte : Atelier régional de l’ipe (17/06/12) y L’enfant et ses rencontres Le samedi 17 mars 2012, s’est tenu, à l’université P. Paoli de Corte, un Atelier de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, en présence de Philippe Lacadée, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, qui a su si bien sensibiliser les laboratoires du cien à cette note d’inter-disciplinarité qui en fait le sel et laisse encore une chance à la parole inventive. À partir de leur expérience dans le cadre d’un lieu de vie, d’un établissement de soin, d’un moment de cure, d’une école ou d’un collège, une dizaine d’intervenants ont témoigné brièvement d’une rencontre, de la singularité du sujet qui a pu en ressortir et trouver enfin une adresse en la personne du psychologue, de l’enseignant, de l’auxiliaire de vie scolaire, de l’éducateur ou du psychanalyste. À l’heure où certains ne voudraient plus parler qu’en termes de troubles, de « dys », misant sur des évaluations de plus en plus précoces pour repérer dès cinq ans les élèves « à risque » ; à l’heure où la psychanalyse est attaquée par ceux qui réfutent l’hypothèse du symptôme psychique pour adopter celle de maladie du cerveau ; dans un moment sociétal de déclin de l’autorité, où l’intime semble appelé à disparaître1, où ce qui compte c’est le calcul statistique et où les protocoles des cognitivistes se résument à un « ton inconscient, ta boîte noire, on va te la désactiver ! », il y a nécessité à témoigner, preuve à l’appui, du « havre et (de) la bonne heure que constitue le discours analytique pour ceux des enfants qui se confrontent à un réel qui les entrave », selon l’expression de Judith Miller. Le petit d’homme n’est pas tant un « animal comme les autr» 1 Cf. la thèse selon laquelle tout le réel doit être visible et la déclaration du fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg : «The Age of Privacy is Over ». qu’un être parlant. Ce qui fait symptôme chez l’enfant peut, par une bonne rencontre, se muer en appel, en un savoir susceptible de donner lieu à un savoir-faire inédit. Cette année, alors que certains voudraient couper tous les ponts de la prise en charge de l’autisme d’avec la psychiatrie et la psychanalyse, – à cet effet une pétition est en cours : http://www.lacanquotidien.fr/blog/petition/ –, il s’agit de faire savoir aux familles que les psychanalystes ne contestent en aucune façon l’inscription des enfants autistes dans des dispositifs d’apprentissage, et que, plus généralement, pour tous les enfants, nous travaillons à nous faire les partenaires des approches pédagogiques et éducatives qui savent s’adapter pour faire une place aux singularités sociales et cognitives des enfants en souffrance. La Journée a décliné, en matinée, quatre modalités de rencontre de l’enfant : la rencontre fortuite, la rencontre forcée, la rencontre curieuse et la rencontre unique. L’aprèsmidi, notre invité, Philippe Lacadée, est intervenu sous le titre : « Du nouveau dans la chambre de l’enfant et de l’adolescent au XXIe siècle «. Extraits de l’argument de l’Atelier Voici deux textes issus de cet Atelier : l’un est le le récit de la rencontre d’un jeune garçon de sept ans dit autiste et d’une Avs, Laura Santucci, présente en classe à ses côtés et sur qui il peut s’appuyer. L’autre est un commentaire de cette contribution par Jean-Pierre Denis, qui interroge la questions de l’énigme et propose l’« à côté » comme réponse. y Témoignage d’une Avs En octobre 2010, l’inspection académique m’a contactee en me demandant de me rendre à telle école pour accompagner tel enfant, sans précision sur la classe où il est scolarisé, ni les raisons pour lesquelles il a besoin d’une auxiliaire de vie scolaire (Avs). J’ai été immédiatement seule face à lui, sans aucun élément d’information communiqué par la maîtresse qui le connaissait seulement depuis un mois. Il ne me parlait pas, ne me répondait pas et ne me regardait pas dans les yeux. Lorsque je lui donnais une consigne, dans le cadre d’une tâche scolaire, il se tirait les cheveux, prenait les ciseaux pour se couper une mèche, se pinçait, se mordait… Je suis donc allée voir sa maman à la sortie et je lui ai spécifié que je ne comprenais pas le comportement de son fils. Elle m’a répondu qu’il était autiste et qu’il lui fallait un moment d’adaptation. Elle a rajouté que les changements brutaux le perturbent énormément, puis m’a expliqué que son enfant avait eu, en 3ème année de maternelle, une Avs avec laquelle ça s’était très mal passé toute l’année. Il faisait des « crises », il criait et se roulait par terre toute la journée. Il a ensuite eu une autre Avs en cp, à qui il s’est beaucoup attaché. Je vivais le contact avec cet enfant comme un conflit permanent, cependant, au bout d’un mois, il commençait à énoncer des phrases comme : « je ne veux pas te voir », « je ne veux pas travailler » , « je veux partir de l’école » , « je veux souffrir ». Le changement s’est fait au fil du temps, sans vraiment de méthode. Après trois mois de présence à ses côtés, j’ai constaté qu’il était plus communicatif et acceptait mes consignes. Après environ cinq mois une vraie relation s’est établie et il me demandait : « C’est bien ce que je te disais ? Je voulais te faire de la peine ? J’étais méchant avec toi? Pourquoi? Tu m’en veux? » Aujourd’hui, l’enfant est en ce2, c’est ma deuxième année de suivi et son comportement n’est plus du tout le même. Il me confie ses préoccupations, ce qui le dérange, ce qui se passe chez lui. Il n’a plus aucun geste agressif, ne se mord plus, ne se pince plus, ne se tire plus cheveux ; il est toujours de bonne humeur et arbore un grand sourire. Il est extrêmement tactile et vient au bras dès qu’il en a le droit ; il tient ma tête pour chercher mon regard lorsque je ne le regarde pas ; il me répète qu’il m’aime, que je suis très « rigolote ». Il aime également passer son temps à me raconter ce qu’il trouve rigolo: quand maman le gronde ou quand mamie pleure à cause de lui. À la maison, les relations sont tendues, l’enfant répète sans cesse des mots ou des situations qui énervent ses parents, puis me les raconte en riant, à l’école. À ce stade, la limite de la fonction d’avs est selon moi dépassée ; je suis devenue la confidente de cet enfant, un peu « comme sa boule anti-stress ». Cette rencontre est pour moi une révélation. Je 2 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 ne connaissais rien de cet enfant, Je me suis renseignée sur l’autisme, j’ai rencontré d’autres enfants autistes. J’ai également suivi quelques petites formations. Aujourd’hui, je trouve que travailler avec ce petit garçon est une chance : il est agréable et m’apporte parfois une vision différente du quotidien. C’est dans le cadre de l’échange proposé par le laboratoire du cien que je formulerais quelques questions : – Comment développer un savoir-faire au quotidien pour faciliter les apprentissages de cet enfant? – Comment l’aider à faciliter son intégration avec les autres élèves? – Que faire pour canaliser ses obsessions concernant ses sujets favoris et les paroles pour « embêter maman »? – Laura Santucci– y Rencontre avec des images énigmatiques C’est un enfant qui, selon les psychologues, avait l’ autonomie d’un enfant de dix-huit mois et qui semblait ne pas bien comprendre les paroles de la vie courante. S’agissait-il d’un trouble de l’attention ou d’un déficit cognitif, comme on dit aujourd’hui ? La maman, elle, a répondu spontanément aux questions de l’Avs, et a présenté son fils comme un autiste à qui il fallait donner un temps d’adaptation. Mais l’Avs va découvrir que derrière des troubles du comportement, cet enfant comprend beaucoup de choses et pose beaucoup de questions. Qu’en est-il exactement ? Et que peut apporter la psychanalyse à cet enfant, dans une perspective inter-disciplinaire ? Un exemple: les suites d’une séance de lecture Prenons la séance de lecture rapportée par Laura Santucci au laboratoire : il s’agit d’un petit texte du livre de lecture intitulé : « Lettre de Loïc à son ami Julien ». Quelque chose d’inattendu va se tramer entre le personnage de Loïc et l’enfant, qui en vient à demander : « Est-ce que Loïc existe ?» L’Avs commence par lui répondre qu’il a été inventé pour le livre, et qu’en vrai, il n’existe pas. L’enfant a beau répéter cela, un doute semble subsister. Un mois plus tard, il témoigne que ce Loïc qui n’existe pas l’a pourtant réveillé ce matin : « Pour toi, il existe pas, mais pour moi oui ! Il m’a réveillé ce matin. C’est vrai ou c’est pas vrai ? » Il est pathétique de sentir que tout en essayant d’adopter les versions que lui donnent les adultes – «c’est faux, c’est du papier, il ne parle pas, stop » –, l’enfant n’en est pas pleinement convaincu. C’est comme si la réitération de la question faisait signe du statut particulier de cette perception, et attestait que cet enfant appréhende la réalité d’une autre façon que ses camarades : « Ça t’étonnerait ou ça t’étonnerait pas si je l’ai vu chez moi ? » – C’est pas possible ! –Tu me crois ou tu me crois pas ? « Il faut bien reconnaître que nous sommes devant une question de fond : faut-il croire un enfant qui vous dit quelque chose d’aussi invraisemblable ? Et jusqu’où ? Bien entendu, on nous rétorquera qu’à le laisser croire à de telles sornettes, on ne fait que conforter ce mauvais penchant qui consiste à prendre son imaginaire pour de la réalité. L’éducateur n’est-il pas celui qui doit consolider le principe de réalité de l’enfant ? Un éclairage par la psychanalyse Alors, quelle pourrait être la réponse de la psychanalysse ? Disons que la rencontre avec l’enfant nous met en face de paroles spontanées qui souvent nous interrogent, qu’il est essentiel justement de faire la part entre ce qui relève encore de la fantaisie – et l’on sait ce que Winnicott a dit de bien à ce sujet, avec son idée d’espace transitionnel – et, d’autre part, ce qui relèverait d’un trouble de l’identité. Nous commencerons à entrevoir que l’impossibilité de l’enfant à trancher sur ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, nous renvoie à la question de ce qu’est une énigme. J’invite ceux qui s’intéressent à cette question à se référer au texte très éclairant de Jacques-Alain Miller, dans l’ouvrage Le Conciliabule d’Angers, où il compare et oppose surprise et énigme, jusqu’à mettre en valeur les liens de proximité entre énigme et psychose. Qu’est-ce donc qu’une énigme? C’est quelque chose qui est reconnu comme voulant dire quelque chose, mais ce quelque chose ne peut être énoncé et fait défaut. « En ce sens, l’énigme est au principe même de la distinction entre signifiant et signifié. On sait que c’est, mais on ne sait pas ce que c’est. »2 Dans notre cas, l’énigme c’est que certaines images n’en font qu’à leur tête ; en particulier celle de Loïc qui est sortie du livre de lecture et semble échapper à tout contrôle jusqu’à squatter la maison de l’enfant. Il s’agit d’une perception erratique qui fait intrusion dans sa réalité, au point que c’est lui qui maintenant est regardé et qui est attendu à la maison, à son réveil, par ce Loïc. C’est sans doute à cet endroit qu’est le comble de l’énigme, à savoir que « ça » le regarde et « ça » l’attend au réveil, sans qu’il sache ce que « ça » veut… Cet envahissement de l’environnement de l’enfant fait signe d’une faille au cœur même du psychisme, plus précisément, d’un dysfonctionnement de cette fonction symbolique dont Lacan nous a appris qu’elle permet au petit d’homme de structurer son identité et de cadrer l’imaginaire de façon à lui permettre une relation harmonieuse à lui-même et à autrui. Pour nous, la fonction symbolique n’est pas la même chose que le système neurologique, c’est une fonction qui relève de la pensée et non de telle ou telle zone du cerveau, et sans elle, pour l’être parlant, la réalité se réduit au chaos ! Mais maintenant que nous avons localisé la causalité psychique de l’énigme à laquelle cet enfant est confronté, il s’agit pour le laboratoire de répondre à l’Avs, quant à savoir ce que l’on fait de la question de l’enfant : « Il existe Loïc ? ». Pour cela, je m’appuierai sur le dernier enseignement de Lacan, qui envisage le signifiant à distance des effets de signification, séparé du sens. Avec cette approche à contre sens, que Jacques-Alain Miller a explicité dans son cours de 2011, on découvre qu’en essayant de dégager le signifiant du sens et de la signification auxquels il est supposé a priori associé, Lacan veut ouvrir notre écoute à un autre type d’interprétation. Ainsi, devant la question : « Il existe Loïc ? », il s’agit d’oublier l’association de bon sens avec les aventures du Loïc du livre, pour envisager que la question peut porter sur un autre aspect de ce «Loïc». Dans ce cas, rien ne nous empêche de répondre : « Oui, Loïc existe car Loïc est un prénom, il existe en tant que prénom et, comme tel, il existe dans le trésor de notre langue, 2 Miller J.-A., « De la surprise à l’énigme », Le Conciliabule d’Angers, Paris, Agalma, 1997, pp.15-17. 3 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 permettant de nommer toute une série de garçons ». Autrement dit, en tant que prénom, Loïc existe comme Un et peut servir à la nomination d’enfants, fictifs ou pas ! En me plaçant ainsi du côté de la logique plutôt que du côté du bon sens, et sans rien changer aux mots de l’enfant, je fais l’hypothèse que la question de l’enfant vise l’énigme qui est au coeur de cette l’opération de nomination, à savoir donner un nom aux personnes ou aux choses. Ce ne sont donc pas les images qui sont énigmatiques, mais la nomination. Cela explique pourquoi l’enfant répète cette question, pas parce qu’il manque d’intelligence, ni parce qu’il souffre de troubles cognitifs ; mais parce que pour lui, donner un nom aux choses et aux personnes reste sans garantie. Faute d’un ancrage suffisamment garanti dans la langue, les mots dérivent et cette dérive entrave la nomination qui reste marquée d’une « inquiétante étrangeté », laissant l’enfant dans une néo-réalité qui le coupe de ses camarades. On voit ainsi tout l’intérêt qu’il ait à ses côtés une Avs ouverte et rassurante auprès de qui il pourra dire l’angoisse qui l’affecte. Et rien n’interdit à celleci de répondre à l’enfant, qu’elle, elle ne voit pas ce qui le tourmente; et justement, à cause de « l’inquiétante étrangeté » dont il témoigne, elle restera à ses côtés pour l’aider à faire ce qu’il a à faire à l’école. C’est par là qu’elle participera, et à juste titre, à contrer ce réel qui menace de faire intrusion chez lui. –Jean-Pierre Denis – æ De Montpellier : atelier régional de l’ipe (31/03/12) Patricia Mercier-Bareck nous a transmis les contributions de deux membres du laboratoire «Trans-mission, transgression. Élaboratoire ?». Adeline Yzac, écrivain, anime au lycée des «chantiers d’écriture» ; Karine Gerbal, un « groupe de tchatche » dans un collège. Écriture ou tchatche, avec des adolescents, il s’agit d’abord de conversation. Voici ce qu’en dit A. Yzac3. y Chantiers d’écritures 3 Électro-cien publiera dans son numéro de rentrée le texte Karine Gerbal. Je parlerai depuis ma place d’écrivain qui publie des romans pour les adultes et les adolescents, des albums pour les plus petits. Outre que je rencontre le public (de tous âges) dans les salons du livre et les cafés littéraires, je propose une direction d’auteur dans mon atelier (Montpellier) auprès d’adultes et je vais à la demande accompagner des chantiers d’écritures/ lectures/paroles destinés aux jeunes (à l’école, en bibliothèque…) Je découvris le cien et le laboratoire «Trans-mission, transgression. Élaboratoire ? » lors de la journée du 18 octobre 2008, «Qu’est-ce que ça dit ta langue ?» J’y fus accueillie peu après. Une pause mensuelle au laboratoire, trois ans de suite, ça opère des bougés. Je tenterai ici d’énoncer ce que le croisement de mes questions « d’artiste dans la cité » et des réunions du laboratoire a mis et met en œuvre sur la question qui nous occupe ici: un savoir à prendre ? De quels savoirs s’emparent les adolescents lors des conversations sur les chantiers d’écritures ? Y a-t-il transmission ? Légitimité de l’écrivain ? En premier lieu, quelle légitimité ai-je à accompagner des élèves sur un chantier d’écritures ? En un, il y a mon désir de transmettre des savoirs ; il y a ce que je sais ou crois savoir de l’écriture et de ce qui l’entoure. Auprès de ma culture d’origine (bilingue et orale), des conteurs (dont je fus une quinzaine d’années), des écrivains, grâce à ce bien commun, je me suis enseignée de voix multiples et de la parole ; je guide les chantiers d’écritures en me soutenant de ce que j’ai reçu de mes devanciers et de mes contemporains, savoirs articulés à ce qui apparaît sur mon propre chantier d’écritures, savoirs sans cesse en questionnement et en mouvement. En deux, il y a la question de la demande. « Je n’ai rien demandé, Madame », disent des élèves qui se trouvent devant la page blanche. D’où vient-il qu’un écrivain entre dans telle classe de tel établissement durant, par exemple, six séances hebdomadaires de chantier d’écritures de trois heures chacune? Quand il y a demande d’atelier d’écriture, seuls les adultes, isolément ou en équipe, en décident. Pourquoi le demandent-ils ? Dans l’intérêt des élèves/de l’élève. Adage énigmati- que et équivoque pour l’écrivain qui se trouve du côté du désir et de la nécessité du parlêtre. En trois, la question est : qu’est-ce que je vais faire dans cette galère ? Regardons, à travers un exemple, comment ça s’écrit du côté des professeurs, que demandent-ils, qu’est-ce que ça dit leur demande ? Demandes de la part des professeurs ? Certains pensent que je sais ; lire, écrire, la langue, c’est mon métier ; j’ai bien dû en tirer des ficelles, des outils, des astuces, des recettes applicables à vingt-cinq élèves dont il m’a été rapporté les déficits, les défaillances, les défauts, les déboires chroniques – sauf chez quelques uns, « bons élèves», c’est la comptine des carences ; les enseignants parlent abondamment sur leurs élèves : mauvaise maîtrise de la langue, pauvreté de la culture, grand désert de l’imagination, absence de concentration, pénurie de motivation ; ça répète, ça lancine, ça prédique, ça déplore, ça cherche un bon mécano. Experte, j’ai assurément dans mon officine les moyens de réparer, j’ai à coup sûr quelque substance pour remédier aux lacunes et ramener à la norme académique d’un écrit « prêt à porter impeccable » sans erreurs, sans trous, correspondant point par point à ce que l’on attend des élèves – l es enseignants demandent spouvent aide pour hisser les jeunes gens hors de l’inéluctable galère dans laquelle ils sont. J’entends l’appel pressant qui souffle à bas bruit, j’entends le désarroi – je les vois désorientés et démunis. C’est dans ce contexte que l’on me demande de faire œuvre non pas seulement littéraire mais d’apaisement. Faudrait que ça colle, les élèves, les programmes, la norme, les enseignants, les parents, le social, la hiérarchie. Et ça ne colle pas. Ça ne décolle pas non plus. Ça ne décolère pas. Des réponses à côté Je réponds à côté. L’écrivain, de par sa posture singulière va à tâtons, avance à coté de certitudes et de réponses toutes faites, évolue à la lisière de l’inattendu. Paradoxe ; et cependant je vais sur la galère. Que me disent-ils quand une fois sur le chantier les adolescents lancent: « Madame, je bloque. – J’ai pas d’inspiration. 4 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 – J’ai rien à dire. – Je suis nul. – J’ y arriverai pas.» L’affaire me travaille. Je me soutiens de ce que je prends au laboratoire où l’on parle dans l’après-coup de ce qui a eu lieu : un désenclavement, un repositionnement, qui me rendent plus alerte pour écouter avec « goût et discernement » les dires des élèves. Ça pâtit. Pas seulement du côté de ce pour quoi je suis là, le chantier d’écritures, ça pâtit du côté des trumains, ça boite, on est dans du vivant, tout corps plongé dans la langue, ça parle, il y a de l’énigme, c’est momentanément grippé et ça s’agrippe. Qu’est-ce que je fais avec ce qui est ? Je converse avec les élèves en alternant les échanges au un par un avec les échanges en classe entière. J’appelle cela les conversations de chantier. Les élèves parlent de leur texte et de l’acte d’écrire, de leurs difficultés, de leur ferveur, de leurs réticences : « Madame, d’habitude, on dit rien de ce qu’on a écrit, les profs nous notent, c’est tout.» Je tâche de suivre le mouvement de ce qui émerge. Je donne une indication à l’un, par balle de rebond un élève propose tel éclairage à un autre qui s’en saisit aussitôt: «Ah, oui, super ton idée, je voyais pas mon personnage comme ça !» Nous trouvons des orientations à partir des faires et des dires de chacun – la direction d’auteur rappelle la direction d’acteurs au théâtre. Mes paroles désorientent parfois, elles créent du dérangement, débusquent des colères ou des soulagements, ça bouge, ça invente une ruchée. Parler, c’est de l’agir, ça confectionne du lien et de la relation, ça opère des mouvements. Le pas de côté, cher à Julien Gracq. Emerge du goût pour parler, apparaît du goût pour écrire, ça prend tournure et saveur4. Dans le Séminaire sur les écrits techniques de Freud5, Lacan dit quelque chose sur le statut de la parole dans le transfert, qui n’est pas autre chose que l’acte même de la parole, la parole « pleine et authentique » en tant qu’elle opère, fait de l’effet. Parler, ça opère des mouvements, des surprises côté pro4 On en vient à l’étymologie du mot savoir, apparu au IXè, de la famille du latin classique sapěre, avoir de la saveur (en parlant des choses) ; avoir du goût, du discernement (en parlant des gens). 5 Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1973. fesseurs et élèves, voilà ce qui émerge, la parole opère, fait de l’effet, accomplit quelque chose, constitue quelque chose de vraisemblable et de fiable, une part de possible, oui, c’est bien possible que quelque chose ait lieu, on peut s’évader hors de l’inéluctable, quelque chose bascule, un élève se dégage des idées toutes faites sur l’écriture, c’est nul, c’est un truc de vieux, m’en fous… Il s’en évade, il se questionne, il se repositionne, Madame, je n’imaginais pas qu’écrire, c’était ça… Madame, je ne savais pas que j’arriverais à écrire… –Adeline Yzac – æ De Cournon d’Auvergne : écho de l’Atelier clinique régional (24/03/12) Cet Atelier a mis en lumière la « clinique du détail» au principe de «l’éducation freudienne». Samedi 24 mars 2012 à Cournon d’Auvergne, un Atelier clinique régional s’est tenu à l’invitation de la municipalité de Cournon, dans la belle, lumineuse et conviviale salle de l’Astragale. Malgré le temps printanier invitant plus à la ballade qu’à l’étude, cent-vingt personnes étaient au rendez-vous de cette proposition inédite de l’ipe.. Le public était divers et varié. Outre celles fréquentant régulièrement les activités du Champ freudien, de nouvelles personnes ont répondu à cette invitation, notamment des étudiants et des professionnels des secteurs de l’éducation, sanitaire et social. Soulignons la présence et l’attention soutenue du public tout au long de la journée. Les membres des laboratoires du cien de la région étaient en nombre et ont largement contribué à la discussion. Pour ce Atelier clinique régional, Judith Miller, présidente de la Fondation du Champ freudien nous a fait l’honneur de sa présence et de sa participation active. L’Atelier a été scandé en quatre temps nouant l’orientation analytique, la dimension clinique, la dimension politique et l’élaboration. Dès son discours d’accueil, publié dans Lacan Quotidien n°196, Fabienne Loiseau, adjointe au maire chargée de l’enfance, de la jeunesse et de l’éducation, a donné le ton. Elle a témoigné de son intérêt d’élue à ouvrir les portes de sa commune à l’ipe. Au-delà de l’idéal gouverné par des perspectives de grands chamboulements, elle a mis l’accent sur une politique « des petites choses » et sur le lien entre le collectif et le singulier, invitant à des rencontres entre des psychanalystes et des politiques. « Aujourd’hui, a-t-elle dit, il est important que la politique aux côtés de la psychanalyse ou la psychanalyse aux côtés de la politique, organise la résistance aux ravages de cette société, notamment en permettant à chaque enfant d’être éduqué dans un collectif qui sait prendre en compte sa singularité». Jean-Robert Rabanel, membre de son comité d’initiative, a présenté l’ipe en mettant en exergue la clinique du détail révélée par le discours analytique où le savoir est du côté de l’enfant. Il a rappelé que Jacques-Alain Miller en indique la visée : « Il appartient à l’ipe de restituer la place du savoir de l’enfant. » J-R Rabanel a situé cet atelier clinique régional sur le chemin de la prochaine Journée de l’ipe, au printemps 2013, sur le thème du savoir de l’enfant. Le thème proposé pour ce premier atelier était celui de « l’éducation freudienne face à l’agressivité ». Freud a mis en valeur trois impossibles : éduquer, gouverner et psychanalyser. Alors pourquoi la psychanalyse s’intéresse-t-elle à la question de l’éducation au point de la qualifier d’éducation freudienne ? Actuellement, l’éducation se réduit à celle des comportements, assenant son injonction infaillible à éradiquer la subjectivité et ne tenant aucun compte de la parole et du langage. Ceci se traduit par une prolifération de techniques éducatives basées sur des comportements à redresser. Mais les voies de l’éducation sont multiples. Il n’y a aucun monopole et aucune généralité qui vaillent en matière d’éducation. Faire résonner le signifiant de « l’éducation freudienne » vise à faire entendre une autre voie(x). Si la psychanalyse s’intéresse à l’éducation, elle rencontre les signifiants-maitres du discours politique, plus particulièrement ceux de « violence » et de « maltraitance », ainsi que les recommandations de bonnes pratiques qui y sont associées comme solution: la « bientraitance », «la lutte contre les incivilités ». Lacan, avec son concept d’agressivité, conduit celui qui y consent à des voies nouvelles pour répondre autrement. Les quatre intervenantes, Nadège Talbot psychologue en pédopsychiatrie, Zoubida Hammoudi, éducatrice au ctr de Nonette, Stéphanie Haug psychomotricienne en pédopsychiatrie et Danièle Rouillon éducatrice au ctr de Nonette, ont su nous faire entendre les solutions inédites créées par le sujet luimême et accueillies dans le traitement proposé. En deux séquen5 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 ces, la première présidée par Hervé Damase et la seconde par Valentine Dechambre, ont été exposées des vignettes cliniques d’enfants autistes et psychotiques. Hervé Damase a introduit la première séquence en faisant valoir que l’orientation lacanienne dans la pratique consiste avant tout à accueillir l’énonciation du sujet. Cette place faite à la singularité, qui va de pair avec un souci du détail, est à l’envers de toute volonté normative, comme en témoignent les exposés cliniques. Dans son introduction à la seconde séquence, Valentine Dechambre a fait valoir les conséquences subjectives – d’apaisement et de création – d’une pratique de la parole qui n’espère rien des effets de sens, qui n’en passe pas par la signification commune. Chacune de ces quatre interventions a montré que la clinique d’orientation lacanienne permet à l’enfant autiste ou psychotique de se servir des signifiants de sa langue pour réfréner ses débordements et à partir de là trouver sa voie pour vivre à sa manière. L’après-midi, après l’introduction de Jean-Pierre Rouillon, président de séance, Judith Miller a infléchi le travail vers une conversation, se saisissant du signifiant « atelier » qu’elle a fait résonner dans le public. Dans un premier temps, elle a proposé de converser sur les travaux cliniques exposés le matin. Elle a invité chacun à prendre la parole pour dire comment il avait entendu ces interventions et avait reçu « ces petites choses » qui ont beaucoup d’importance pour un sujet. La finalité du travail clinique analytique est que la différence absolue de chaque être parlant soit reconnue, repérée et mise en valeur. Elle a précisé que cette clinique des petites choses suppose une formation extrêmement longue. Dans un deuxième temps, J. Miller a donné les raisons pour lesquelles elle n’a pas fait une conférence en lançant des pistes pour engager la conversation dans l’atelier : «Dans le cien, les psychanalystes apprennent quelque chose en écoutant les autres disciplines. » Les choix de la civilisation sont tels – idéologie sécuritaire, hygiénisme, etc. – que l’un des rares champs où les conséquences de ces choix sont assumées est celui de la psychanalyse lacanienne. Elle a souligné combien le titre choisi dont elle est co-responsable, pouvait prêter au malentendu, chacun s’édu- quant lui-même. Chaque être parlant a un statut d’exception par rapport aux autres êtres parlants, appelé la singularité. À partir de ces deux points d’appui, la conversation s’est engagée grâce à la prise de parole des membres du laboratoire «Ces brins de rencontre ». Pendant plus d’une heure et demi, et au-delà du temps programmé, les travailleurs du social, de la médecine, de l’enseignement se sont succédés de façon alerte pour dire ce qui met en impasse chacun des professionnels intervenant auprès des enfants dans sa pratique. L’agressivité provoquée par les politiques basées sur le chiffre et la gestion a été très souvent évoquée. Concernant l’éducation, l’apport de la psychanalyse lacanienne change le statut du savoir. Celui-ci n’est plus préalable et prédictif, c’està-dire du côté de celui qui éduque et donc sait pour l’enfant ; il est du côté du sujet qui parle à l’intervenant qui l’accueille et se laisse enseigner par lui. –Claudine Valette-Damase– æ De Manosque, premier cycle du ciné-cien Quand «le corps de l’enfance n’est plus qu’un habit trop petit face aux pulsions prêtes à se déchaîner sous la tendresse apparente»... yAu plus près des corps adolescents, trois films Le laboratoire de Manosque a poursuivi cette année son pari à propos de « L’adolescent dans le cinéma », avec trois films et trois invités pour un public régulier de spectateurs: * La fureur de vivre de Nicholas Ray, invité : Alain Revel membre de l’acf-map. *Les rêves dansants d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, invitée : Chantal Bonneau membre de l’ECF, psychanalyste à Nice. *Rosetta de Luc et Jean-Pierre Dardenne, invitée : Agnès Giraudel, membre de l’ECF, psychanalyste à Paris. Ces trois films, très différents les uns des autres, se sont pourtant révélés avoir un point commun qui a surgi dans chaque débat grâce à ce nouage singulier qu’est le ciné-cien.. Une discordance dans les corps Ce sont des discordances qu’Alain Revel a mit en exergue dans le film de N. Ray : – dans sa lecture du film où il substitue au personnage principal qu’est Jim (J. Dean), le personnage de son jeune ami Platon. « Ce n’est pas tant l’urgence de la question que Jim pose à son père : « Que faut-il faire pour être un homme ? » et qui se résout à la fin par l’image de la famille retrouvée, que ce qui rate, ce qui reste sur la carreau sous la figure de cet adolescent, étranger ici bas.[…] Ce que Jim reçoit, c’est la détresse de Platon qui ne connaît pas les règles du jeu ». – dans sa lecture des détails : « Devant les chaussettes dépareillées de Platon qui dort allongé par terre, position qui préfigure sa mort prochaine, les pleurs et les rires de Jim et de son amie se mêlent. Le film débutait sur Jim allongé sur le pavé devant un jouet de l’enfance dans ses derniers soubresauts. Le bancal de ce jouet du début se retrouve dans le disparate des chaussettes. Jim a cela devant les yeux. Est-ce perdre l’enfance, la sacrifier ou rire de cette discordance sur le corps ? Que dire alors de ce parcours ? Ne s’agit-il pas de savoir garder une place à cet objet discordant qui marque le vécu de l’adolescence sans le recours du père mais pas sans en passer par lui ? ». Des corps animés par la danse. C’est pas à pas, avec une délicatesse extrême dans l’écriture et une émotion dans le témoignage de sa rencontre avec Pina Bausch que Chantal Bonneau nous a fait partager le souci qu’avait la chorégraphe de « dire les choses autrement ». « Cet autrement n’est pas étranger au fait que quarante-six adolescents n’ayant jamais pratiqué la danse aient pu suivre Pina Bausch aussi loin dans le dépassement de soi […]. L’expérience menée par P. Bausch va à rebours des codes. Au code implicite de la société des années 2008 s’oppose le code choisi par la chorégraphe pour entraîner les adolescents dans cet univers imaginaire qui devient alors plus réel que la réalité. Un saut brutal les propulse alors du fantasme à sa mise en acte. […] Les femmes mordent, crient, gesticulent comme des poupées ou des marionnettes, comme les hommes. Le corps de l’enfance n’est plus qu’un habit trop petit face aux pulsions prêtes à se déchaîner sous la tendresse apparente. Ce déchaînement est très saisissant, inattendu, improbable […]. Singulièrement, cette expérience n’isole pas ces adolescents mais, au contraire, les rapproche. « La pièce a un rapport avec moi » dit l’un, comme auraient sans doute pu 6 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 le dire les autres ». Un combat à bout de souffle Agnès Giraudel nous a fait entendre le « corps vivant» de Rosetta. Sa lecture au plus près du scénario a rejoué pour nous les mouvements et les bruits qui font la lutte de Rosetta pour sortir de sa solitude. « L’on voit ce corps qui marche, de façon décidée, combattante, pour trouver sa place, ne pas « tomber dans le trou » ; un corps qui s’accroche pour survivre, ne recule pas devant l’empoignade, le corps à corps. […] Rosetta, sur fond de bruits de vie, de respirations, est aussi une parole comptée, comme si toute l’énergie de son héroïne était absorbée par son combat. Refus du superflu, de l’explication, parcimonie et précision des mots creusent ici l’espace de ce qui échappe à la parole. Quelque chose ne peut se dire. C’est via le nouage entre la mise en valeur des corps vivants – qui passe d’ailleurs également par ce qui ne se montre pas – et la prise au sérieux des mots traduite par cette langue un peu dénudée, que circulent le combat et la solitude de Rosetta.[…] La valeur particulière du film tient précisément au souci de ses réalisateurs de respecter ce qui, du réel, ne peut ni se dire, ni se montrer, à leur préoccupation de ne pas expliquer leurs personnages […] Rosetta est un film qui, à réussir un certain maniement du voile, offre aux spectateurs la chance de la rencontre, avec les personnages, avec une part d’eux-mêmes inconnue ». « Le corps et ses formules » pourrait être le thème commun à ces trois rendez-vous s’il n’avait déjà été le titre du VIème Colloque du cien. Car c’est ce que ces trois lectures ont éclairé, faisant surgir ce thème dans l’après coup, alors que ce n’était pas ce qui s’était imposé d’emblée dans le choix de ces trois films. Ce fut l’inattendu de ces rencontres : un écho d’une projection à l’autre. Mais au-delà de ces corps adolescents qui nous étaient racontés, c’est à ceux qui les avaient mis en scène que ces lectures rendaient hommage : au cinéaste de la fêlure, à la chorégraphe de l’intime, aux poètes du mouvement. –Martine Revel – Au fil des labs •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.• æ De Manosque, « Le jeu de vie» Martine Revel nous fait part d’un moment de rencontre du laboratoire «Le jeu de vie» avec Agnès Giraudel et de ses effets sur le projet de travail ultérieur. y Du cien au cine et retour Le 17 mars dernier, la venue d’Agnès Giraudel, présidente de l’association a été un événement. Invitée dans le cadre du cine-cien, elle nous a fait partager sa lecture du film Rosetta, des frères Dardenne. En se laissant enseigner par le metteur en scène, elle a mis en relief les éléments majeurs du film, la proximité du corps de Rosetta dans la façon extraordinaire dont elle était filmée, les objets de Rosetta venant prolonger ce corps, l’importance du regard tout au long du film. Parce que ce sont aussi des concepts analytiques, ils nous ont permis, cet après-midi là, d’ouvrir la perspective sur notre propos, qui est la façon dont les adolescents traitent le réel auquel ils ont à faire. C’est en quoi le débat fut une nouvelle fois très riche, car il s’enseigna de deux lectures : celle du metteur en scène et celle du psychanalyste. Deux lectures de l’adolescence qui trouvent leur écho dans le public et qui produisent, par leurs croisements, ce que l’on peut s’avancer à appeler une conversation inter-disciplinaire. C’est l’accent sur cette inter-disciplinarité qui a été l’enjeu de la rencontre que ce laboratoire avait initié avec Agnès Giraudel le matin-même. Ce fut un moment d’une grande intensité où chacun put exprimer l’importance de sa discipline dans le laboratoire, le point d’où chacun peut s’élancer à parler… ou pas. En effet, la présence d’Agnès Giraudel est devenue celle d’une extime qui permettait le déplacement de la parole sur ce qui fait nouage ou impasse. Cette position est venue en quelque sorte délier le laboratoire des effets de groupe qui sont issus souvent de l’ancienneté de ses membres. C’est d’ailleurs dans l’évocation de l’origine du laboratoire que nous avons pu cerner ce qui fait la singularité de notre point d’appui, le cinéma, pour notre recherche autour de l’usage de la langue avec les adolescents. La projection du film L’esquive d’A. Kéchiche a marqué le début de cette aventure. Elle s’est poursuivie avec la création du ciné-cien, cycle de deux ans de rencontres autour de « l’adolescent dans le cinéma ». Mettre ainsi en exergue un point de singularité a produit un mouvement lors des réunions suivantes, avec l’envie d’aborder de nouveaux thèmes en lien avec les derniers arrivants, une envie de faire jouer autrement notre inter-disciplinarité avec ce point de singularité. Il y eut donc un effet d’ouverture pour le laboratoire avec un au-delà, celui de saisir plus nettement les enjeux de l’association elle-même, grâce à la présence de sa présidente. Ceci fut un élément majeur de la rencontre qu’elle souligna en nous rappelant que les travaux du cien, ses recherches et avancées se soutiennent d’une précision que nous devons à Philippe Lacadée : l’inter-disciplinarité écrite avec un trait d’union. En effet la psychanalyse ne fait pas lien entre diverses disciplines mais se loge en creux entre ces disciplines pour en favoriser la rencontre afin qu’un savoir nouveau puisse en émerger. –Martine Revel– æ De Nice, « La chance inventive » Le texte de Marie-Anne Saitour est le produit d’un travail du laboratoire qui fait écho à deux autres textes présentés concernant les trouvailles d’enfants. Ici, il s’agit des enfants d’un lieu de vie particulier qui font usage d’inventions langagières pour « communiquer » entre eux, « chacun se faisant pour l’autre le traducteur d’un vouloir-dire inaudible aux adultes» (Alain Courbis). y De l’envie d’un lieu de vie à la vie d’un lieu d’envies Lou Merilhoun est un lieu de vie, une petite structure qui accueille sept enfants placés par l’ase et présentant un 7 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 handicap ou des troubles du comportement, entourés par une équipe de cinq professionnelles. Dans ce groupe, il est essentiel que la communication passe entre enfants et entre enfants et adultes et pourtant l’utilisation du langage courant n’est pas possible pour tous : certains ne parlent pas du tout, d’autres très peu, d’autres sont difficilement compréhensibles, et certains parlent sans arrêt mais sans communiquer. Pourtant en les observant on se rend compte qu’un langage commun s’est mis en place et que finalement chacun fournit des efforts parfois douloureux pour participer à cette exigence du « vivre ensemble ». Il est étonnant de voir un enfant qui a du mal à se faire comprendre, se placer en « traducteur » d’un autre qui ne parle pas mais dont il a « entendu » la demande. Ou bien un autre, capable de parler mais si peu à l’aise avec le dire et bloqué pour exprimer ses sentiments, nous dire de façon si fine le ressenti de tel autre qui n’a pas les mots. Il peut nous est arrivé d’être les spectateurs ébahis d’une conversation entre deux jeunes filles, complètement incompréhensible pour nous et pourtant si pleine de vie et de sens pour eux, avec questions, réponses, gestes et mimiques à l’appui attestant la réalité du dialogue. Un autre enfant présent traduit qu’elles n’arrivent pas à décider du ,choix d’un dvd ! Communiquer pour pouvoir partager est important et quel que soit le «bricolage » réalisé par un enfant, les autres adoptent la nouvelle langue. Cela donne un mélange de mots, de sons, de gestes qui nécessite une attention particulière de chacun tournée vers l’autre et c’est étonnant de voir cela chez des enfants qui, la plupart du temps, sont assez « hermétiques » aux autres. Que comprendre devant deux petits, hilares, suite à une bonne blague dont nos oreilles, si normales, n’ont perçu que des gazouillis incohérents ? Que penser de cette petite fille qui commence à peine à pouvoir dire oui, non, je veux, je ne veux pas, après plusieurs années ici, parfois, nous semble-t-il, en « jouant» presque sa vie, et qui nous régale de jolis « poney rôti », «compote minute » et autre « dentquifrise » dont elle savoure chaque syllabes ? Comment ne pas applaudir à ce grand garçon qui parle mal, inverse les syllabes mais fabrique des petites phrases remplies de ses « défauts » pour nous faire rire et dédramatiser ainsi ses difficultés en « poète » sachant alléger le poids des mots ? Le groupe est « porteur » pour les tentatives de l’enfant, car chaque petite avancée est repérée comme une grande victoire par les autres et reprise à leur compte, signifiant au sujet la reconnaissance de ses efforts et l’intérêt que les autres y portent. Il a pu nous être opposé qu’une «injonction à parler » est dommageable à certains enfants, mais il semble à l’équipe que donner le choix, offrir à chacun toute la gamme de moyens d’expression mise en place par les enfants eux-mêmes, peut permettre à celui qui cherche peut-être à se faire « entendre » de se saisir de ce soutien pour être compris, si, bien sûr, il en a besoin . Faut-il considérer qu’un enfant qui ne parle pas ne parlera jamais ? Ce qui compte ce n’est pas de «faire parler» à tout prix mais juste d’entrouvrir un espace où parler est possible si l’enfant le désire. Plusieurs enfants qui criaient à longueur de journée pour exprimer leurs frustrations se sont apaisés en mettant en place un moyen de communication, mais, pour cela, il nous semble que la façon dont les adultes accueillent cela en étant rassurants et actifs est importante et passe sans doute par une « envie » ou du moins un « parti pris » que c’est possible. Pour l’instant ce «langage commun » se limite au lieu de vie, mais nous avons décidé de faire le pari que communiquer en sécurité dans un lieu défini pourra donner suffisamment confiance à certains enfants pour qu’il recréent ailleurs cette possibilité. Et c’est cela qui compte pour nous finalement : accepter et mettre au travail l’ici et maintenant pour que certains s’élancent peut-être vers un ailleurs, un jour un peu mieux armés ou plus sereins ! –Marie-Anne Saitour– æ De Saintes, « Si ça te prend la tête » Nadia Gilard est professeur de français au lycée Caillaud. C’est elle qui a initié la venue du laboratoire dans cet établissement où ont eu lieu trois conversations en 2011, une en avril cette année. En janvier 2012, le lycée a accueilli Catherine Henri pour une conversation ouverte à d’autres. «L’espace offert par la conversation engage la possibilité d’un desserrage du couple autorité/coercition, par le déplacement vers les questions de la responsabilité et de l’agressivité qui se posent dans des inter-relations particularisées entre adultes et enfants : à condition de prendre en main le paradoxe entre un traitement particulier de chaque cas et les contraintes législatives et administratives, pour un bon usage des règles, d’une autorité en appui à l’éducation, par la scansion plus que la sanction.» ( Extrait du texte publié dans EC n° 84, à propos des premières conversations au lycée J. Caillaud). – Monique Variéras– y Une fenêtre ouverte sur du possible Le lycée professionnel Jean Caillaud a commencé un partenariat avec le cien voilà plus d’un an et demi ; grâce à Madame Pujol, proviseure, deux membres du laboratoire de Saintes, Monique Variéras et Claude Epsteyn, psychanalystes, animent avec le personnel du lycée des « conversations interdisciplinaires». Désormais le projet d’établissement inscrit ces rencontres, comme soutenant l’un des trois axes : «accompagner l’évolution de la pédagogie en encourageant des changements de pratiques ». Dès lors, le personnel du lycée a un lieu d’écoute et de «conversation inter-disciplinaire». Son lien avec le cien ne s’arrête pas là puisque Catherine Henri a accepté de nous rencontrer le 13 janvier 2012, dans notre établissement, pour évoquer les difficultés des adolescents d’aujourd’hui, la précarité langagière ainsi que la question de la transmission de la littérature et de la culture. Cette intervention liminaire a été suivie d’un échange avec les participants venus nombreux (55 personnes) et d’horizons variés (proviseur, éducateur, psychologue, instituteur, professeur, inspecteur de l’éducation nationale, psychanalyste, animateur culturel, surveillant). L’entrée du cien au lycée a favorisé une prise de conscience et, pour quelques uns) une envie d’aller au-delà de la plainte pour essayer d’étayer la remise en cause d’un quotidien empli d’habitudes rassurantes et de cadres qui ne favorisent plus la rencontre et le partage entre les adolescents et les adultes. Ainsi, un petit groupe de travail composé de personnes assistant aux « conversations » s’est investi pour poursuivre la réflexion et s’interroger sur le comment de la valorisation de la relation entre jeunes et adultes, entre élèves et enseignants. La 8 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 parole entre dans le lycée, s’assied et s’installe. Certains commencent à prendre conscience que la « solution » à leur quotidien difficile n’est autre que le mot, son écoute, sa mise en bouche, son échange. Désormais, trônent en salle des professeurs les trois ouvrages de Catherine Henri, mais aussi, Comment se faire entendre à l’école ? et L’Éveil et l’exil de Philippe Lacadée. Une rencontre avec Jean-Louis Gonfalone, membre du laboratoire de Saintes, metteur en scène et écrivain, est prévue : il propose, aux adolescents ainsi qu’aux adultes, un atelier d’écriture, « Les cris ? L’écrit ? », pour écrire autour de l’insulte et confronter ses écritures afin d’établir de la parole dans la fracture entre cris et écrit. Cet atelier vise à faire un pas de côté en partant à l’assaut des mots. L’entrée de la psychanalyse a modifié certains a priori, elle n’a pas changé les pratiques ; le travail sera long ; cependant la « conversation » s’offre comme une fenêtre ouverte sur du possible. Les deux psychanalystes écoutent, font surgir les mots et les maux des professeurs, du personnel du lycée, et nous montrent que le lien avec l’adolescent est possible. Il est souhaitable que ce partenariat plus que nécessaire avec le cien se poursuive, au moment où la violence des corps et des mots est de plus en plus présente à l’école et où les enseignants comme le personnel encadrant souffrent d’une perte de repère, de compréhension et de la fracture avec l’adolescent. Les adultes ne sont plus seuls, ils prennent la parole, racontent leur quotidien difficile et apportent une réflexion nouvelle à ce nouveau métier où tout est toujours à inventer. –Nadia Gilard – , Passerelles •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.• æ cien-brésil L’article ci-dessous, proposé par Fernanda Otoni de Barros Brisset, a été présenté à la Vème Journe du cien à Rio Janeiro, qui avait pour titre: « Les corps parlent – comment répondre?». y Comment répondre à la folie des mères ? La naissance d’un bébé est un moment particulier pour ceux qui l’entourent, parce qu’elle met en scène ce qui est singulier à chacun. Résultant de la rencontre toujours ratée parce qu’impossible entre un homme et une femme, elle touche à nos idéaux familiaux, nos liens parentaux, Dans une maternité spécialisée dans les grossesses à hauts risques, celle où nous réalisons nos conversations6, outre la santé du corps, d’autres facteurs ont des effets déterminants sur les conditions d’accouchement, d’hospitalisation, d’allaitement et la sortie de l’hôpital. Il y a une particularité dans l’histoire de ces femmes, marquée par les répétitions d’abandons, de violences, de crimes, de trafics de drogue, de chômage et de prostitution : beaucoup sont des consommatrices de crack, substance toxique dérivée du reste de la cocaïne produite par le «reste » de la civilisation dont elles font partie. Ces femmes, leur bébé, l’équipe de soins et nous-mêmes, du laboratoire, baignons dans ce contexte. Après avoir amené un cas à la discussion, une assistante sociale déclare : « C’est un pari ». Dehors, sur le chemin du tribunal correctionnel, nous avons donné cette orientation: « Écoutez, tout ce que vous m’avez dit, vous devez le répéter à la juge, dire que vous voulez changer, vous occuper de votre bébé, trouver un travail ». Ce n’est pas un mensonge, c’est ce qu’elle a déclaré au service social. On intervient pour certifier : « c’est ça! Elle a pris soin du bébé quand elle était à l’infirmerie. On doit lui faire confiance. » Une femme enceinte entre à la maternité sans papiers d’identité. Adolescente, elle a fait de la prison pour le meurtre 6 Le laboratoire « L´enfant entre la femme et la mère » a été créé en 2009. Au départ, les conversations se tenaient dans la maternité de Hôpital Fernando Magalhães. Avec le temps, d’autres professionnels de différentes intitutions – comme le Conseil Tutélaire et des cliniques psychiatriques – ont trouvé intérêt à y participer. Les discussions ont concerné les questions de la sexualité féminine, la maternité, la famille hypermoderne, l’enfance et l’adolescence. d’un policier qui avait tué son petit ami, trafiquant. Incarcérée une seconde fois, pour vol, à l’infirmerie, elle raconte ces épisodes sans le moindre regret. Un participant à la conversation intervient : « Elle a tué par amour !». Au départ, elle ne veut pas du bébé et envisage de le confier au père, comme elle l’a fait pour ses trois autres enfants. Elle habitait chez une amie venue à la maternité l’accuser d’un vol et dire qu’elle ne pouvait plus les héberger. Interrogée par l’assistante sociale, la patiente explique qu’elle voudrait bien garder le bébé mais qu’elle n’a pas les moyens de s’en occuper. En s’entendant dire que : «c’est une chose de ne pas vouloir et une autre de ne pas avoir les moyens », elle réaffirme son désir et commence alors un travail de réinsertion sociale. Il lui est nécessaire de se rendre au tribunal afin d’y obtenir un certificat de naissance qui lui permettra de quitter l’hôpital. Elle a peur que son enfant lui soit retiré pour être adopté. C’est un fantasme qui poursuit les femmes vivant dans ces mêmes conditions. Au-delà des particularités de chaque cas, le thème de l’adoption est très souvent évoqué par les participants du laboratoire et les mobilise. De qui est le bébé, finalement ? C’est une question complexe alors que la science détermine la paternité à partir de l’ADN, que les homosexuels constituent des familles pourvues de deux mères ou deux pères, parmi toutes sortes de configurations nouvelles qui émergent peu à peu. Une assistante sociale raconte : «Cette femme a été donnée par sa mère à une famille ; elle a elle-même donné ses trois enfants à sa mère mais voulait garder le quatrième. Comme il n’y avait pas de moyens de transport, j’ai payé un taxi et, malgré le risque de sa fuite en chemin, j’ai parié sur son désir. » Quelqu’un commente : « Tu as choisi ce risque pour offrir à cette femme la possibilité de faire différemment. » Et un autre : « Parier, c’est risqué, on ignore ce qui peut arriver. Tout est là, dans cette impossibilité de savoir que quelque chose peut être différent.» Et enfin : « Elle pourrait subjectiver la maternité autrement puisque l’institution lui en montre le chemin.» D’où est parti ce pari ? À ce moment de la conversation, l’assistante sociale remarque : « Elle a voulu allaiter le bébé et s’en occuper. » Selon le langage du corps en usage à la maternité, le désir d’enfant est « lu » dans l’acte d’allaitement comme un signe. Pour sa part, le désir maternel s’inscrit sur le corps du bébé dans son poids, sa tonicité musculaire, sa couleur de peau. Un regard phénoménologique sur ce que le corps 9 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 semble dire sert d’outil aux participants pour prendre position face aux cas, mais ceux qui prennent part au laboratoire supposent quelque chose au-delà de ce regard. Un même signe traduit des relations diverses. La pédiatre rapporte le cas d’une femme qui ne vivait pas bien avec son partenaire et n’avait pas accepté sa grossesse, car elle souhaitait la séparation tout en l’aimant encore. Il la quitte et elle entame alors un processus graduel de ravage intérieur. Elle continue l’allaitement mais le bébé dépérit. La jeune femme ne parvient pas à suivre les orientations pédiatriques et réclame des soins pour elle-même. L’enfant tète sans prendre de poids. Le lait, un aliment du corps biologique, est ici vidé du don maternel. Tandis que dans le premier cas, l’allaitement assure à la femme la reconnaissance de son désir de garder l’enfant, c’est ce qui, dans l’autre, la destitue. Dans le quotidien de sa pratique, le personnel de la maternité est appelé à vivre avec les fictions hypermodernes de la famille et à répondre aux délires des parents . La fonction de la famille comme résidu, objet a de la civilisation, comme le souligne Lacan , est en corrélation avec la fonction de l’enfant comme objet de jouissance de la mère, de la famille et de la civilisation. Winnicott nomme « folie maternelle » le moment de la période puerpérale où la femme est extrêmement sensible aux signes et aux manifestations du bébé, au point de s’éloigner de tout autre intérêt. Selon notre orientation , le désir de la mère porte la marque du manque et établit le fondement de la perversion féminine , le bébé étant l’objet a de la femme. Ce que ces cas présentés ici mettent en évidence, c’est que la « perversion maternelle » relève de la folie de chacune et l’objet drogue, vient au lieu de l’enfant. –Ana Martha Maia, Giselle Fleury, Jamille Lima – æÀ l’école d’un enfant qui ne parle pas Devant le souhait de son enseignante de le faire parler, Marc, huit ans, montre de façon décidée les conditions d'un travail avec lui. Devant l'angoisse suscitée par son désir, cette enseignante va adopter un mode de présence moins incisif. y Vers une naissance de la voix ? Marc a 8 ans quand je le rencontre. Il avait eu des crises d’asthme très violentes jusqu’à l’âge de deux ans et sa mère lui dit, lorsqu’il fut guéri, qu’il n’était plus malade et devait cesser d’attirer son attention en toussant; selon elle, le lendemain il cessa de parler. Lors du premier cours avec moi, il a rentré ses ongles dans ma chair jusqu’au sang et je ne parvenais pas à me détacher de son emprise. J’ai donc modifié mon attitude et je lui ai lu des contes sans le regarder. Durant cinq semaines, il écoute la lecture des contes et les chants qui appartiennent au répertoire de la classe sans bouger. Il semble très concentré sur ce que je dis et me fixe longuement. Il se met à faire vibrer sa langue contre une partie de sa bouche et agite ses mains très rapidement jusqu’à faire claquer ses doigts. Depuis peu, il reste quarante-cinq minutes en classe. Un jour que je chante en forçant sur l’intonation et les gestes expressifs, il se met à crier et ses yeux se remplissent de larmes alors qu’il avance vers moi. Puis il prend mes mains dans ses mains afin de les guider pour refaire la gestuelle qui accompagne un chant qu’il aime, « Le chat et le soleil ». Je lui ai chanté à nouveau le chant souhaité autant de fois que ses mains me le demandaient. Lors des chants, il vient toucher mon visage, mes joues et mon cou. Puis il prend ma main dans la sienne et la pose sur ses joues et sur son cou. Il constate peut-être, et me fait constater, que nos deux personnes sont différentes, que je chante et que les résonateurs vibrent, qu’il ne chante pas et que ses résonateurs ne vibrent pas7. Il semble fasciné par l’utilisation des lèvres dans la formation des mots, lors des chants. Marc prononce maintenant des sons en fronçant les sourcils avec concentration. Il s’agit toujours des mêmes, prononcés de manière saccadée, la voix très appuyée : « ouh, ouh, euh, euh, ih, ih ». Cette activité lui demande beaucoup d’efforts et mobilise tout son corps. Un jour, je lui ai chanté la chanson du film Les choristes : « Vois sur ton chemin », en frappant 7 Partie de l’appareil phonateur qui amplifie les sons émis par les cordes vocales ( cnrtl, dictionnaire en ligne).. sur ma jambe la pulsation. À la fin, Marc est venu prendre ma main pour taper à son tour la pulsation sur ma jambe. Je lui ai demandé mille fois ce qu’il voulait et il a fini par dire : « je veux!», en continuant de frapper sur ma jambe. Marc comprend très bien les questions que je lui pose en permanence afin de l’inciter à me répondre. Ainsi, je lui ai expliqué qu’il savait sans aucun doute parler et l’expression de cette certitude a provoqué chez lui une crise de larmes. Un autre jour, il a dit: « parler, didi, dodo, dudu», et je lui ai répondu que c’était cela parler, qu’il savait parler. Mais cela semble profondément l’angoisser et je lui dis souvent qu’il ne doit pas s’inquiéter : il m’écoute longuement mais je m’aperçois qu’il semble plus intéressé par le son que par le sens de mes paroles. Lorsque Marc utilise les gestes pour me demander un chant, j’insiste pour qu’il le fasse en parlant. Il peut alors me repousser vivement, mettant son avant-bras sur ma bouche pour me faire taire, car ma demande lui est insupportable, puis il me griffe le visage. Alors je chante sur un air qu’il aime bien une phrase le concernant : « Marc peut chanter si Marc le veut, Marc peut parler si Marc le veut ». Il écoute longuement et fait non de la tête plusieurs fois. Puis il met son oreille contre ma bouche qui parle de lui en chanson. Il a parfois les larmes aux yeux : subjectivation d’un affect ou événement de corps? Version énigmatique mais plus civilisée en tout cas que les griffures de sa réponse à l’angoisse. À son geste de demander un chant, je réponds par une question : « Que veux-tu exactement ?» Ce jour-là, il dit : « D’autres. – Tu en veux d’autres ? – Plein, plein, plein ! – Plein, plein, plein ? – Plein, plein, plein ! », puis il veux partir et lorsque je lui demande si ça va, il répond : « Ça va ». Je poursuis ainsi pendant plusieurs jours en lui chantant : « Marc peut parler », sur l’air qu’il aime. Il met son avant-bras sur ma bouche pour la fermer; ensuite il joue avec ses chaussures et je lui demande plusieurs fois ce qui le dérange dans ce que je dis : «qué qué tu dis », prononce-t-il, et je répète. Il me pousse alors de ma chaise en disant : « Dehors ! ». Quelque temps après, je lui demande de dire mon prénom. Il dit : « Titel, Titel », pour Christel, puis il me fait mal, et, lorsque je lui demande de me dire pardon, il fait de longues vocalises, bouche ouverte, vocalises plaintives, sourcils froncés, visage affecté, et, au milieu, il prononce : « padon », puis 10 ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 reprend sa complainte. Demander pardon, me parler, cela passe par des vocalises plaintives. De même, je choisis maintenant de ne pas lui dire qu’il sait parler, je lui chante, et il écoute la voix qui parle de Marc en chanson. – Christel Bouchardie – Professeur des écoles spécialisé Éléments à fournir dans l’ordre : 1. Lieu du laboratoire ; 2. Nom du laboratoire ; 3. Objectif de recherche ; 4. Parcours ; 5. Résultats, impasses, perspectives ; 6. Nom du responsable et adresses de contact (adresse postale, mail et téléphone) ; 7. Noms des participants et disciplines. Messages •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.• æL’enfant et le savoir Deuxième Journée de l’Institut de l’Enfant-UPJL æ Annuaire des laboratoires du cien francophone Indications concernant la mise en forme: Caractères : Times New Roman – taille 12. Nombre de caractères maximum : 2000. Format rtf (en pièce jointe par mail). Aucune autre mise en forme (ni paragraphe, ni italiques, ni mots en capitales, ni texte centré ou en retrait…). Philippe Cousty invite les responsables de laboratoires à ne pas partir en vacances sans avoir rédigé et envoyé la fiche de présentation de leur laboratoire, en respectant scrupuleusement le schéma indiqué ci- dessous. L’annuaire « n’est pas une formalité mais, pour chacun du cien et pour l’extérieur (via le site), une porte ouverte sur les activités et modes de travail des laboratoires » (Ph. Cousty). Nota Bene : La liste des participants des laboratoires est à envoyer par ordre alphabétique, en Word comme le reste, à la queue leu leu, avec espace après les prénom, nom, profession et adresse électronique (voir l’annuaire 2011) et tout en minuscules, sauf les initiales des noms et prénoms. Afin de permettre un gain de temps important, merci de faire très attention à cela. Vie de l’association •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.• Schéma de présentation des laboratoires Les 6 et 7 octobre prochains, se tiendront à Paris, au Palais des Congrès, les 42èmes Journées d’Étude de l’École de la Cause freudienne sur le thème : « Autisme et psychanalyse ». Comme chaque année à l’occasion de ces Journées, aura lieu la réunion générale des laboratoires du cien au cours de laquelle l’annuaire actualisé des laboratoires francophones sera mis à disposition. Dans la perspective de son élaboration, il est demandé à chaque responsable de laboratoire de présenter son laboratoire, selon le schéma rappelé ci-après. Nous vous remercions de le respecter afin de favoriser l’établissement d’un annuaire qui reflète la qualité des travaux du cien. Date et adresses d’envoi des présentations par mail : au plus tard le 6 Septembre 2012. Le samedi 23 mars 2013 Palais des Congrès à Issy-les- moulineaux Nous vous invitons à adresser vos propositions d’intervention à la prochaine Journée de l’Institut de l’Enfant sous la forme d’un argument ou d’un texte à partir d’un des axes proposés, avant le 30 novembre. Arguments ou textes sont à envoyer à : Judith Miller [email protected] et Éric Zuliani eric. [email protected] Pièces jointes et objet du mail porteront la mention suivante : JIE 2013 et votre nom. Contact : [email protected] Agnès Giraudel - [email protected] et Philippe Cousty - [email protected] (Voir la pièce jointe) ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 91, juin-juillet 2012 BULLETIN ÉLECTRONIQUE DES LABORATOIRES •.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•.•. Chacun est invité à contribuer aux rubriques de ce journal électronique en adressant des textes ne dépassant pas 2 500 signes (format Word) à Michèle Rivoire michele.rivoire@wanadoo • Pour mettre fin à votre abonnement, veuillez cliquer sur l’adresse suivante : [email protected] • La revue a été concue pour être lue sous format PDF. Vous pouvez lire un document PDF grâce à l’application Adobe Acrobat reader dont le téléchargement se fait gratuitement sur internet. • Merci à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce numéro. 12