Le Tour de France en zone Fukushima
Transcription
Le Tour de France en zone Fukushima
Note de synthèse Le Tour de France en zone Fukushima La France est-elle prête à gérer une crise nucléaire majeure au Tricastin et à en payer le prix à moyen et à long terme ? Le 16 juillet, le Tour de France – véritable patrimoine français, l’une des épreuves sportive les plus regardées et suivies dans le monde avec la coupe du monde de Football et les Jeux olympiques – aura pour départ Vaison-la-Romaine à 30 kilomètres de la centrale nucléaire du Tricastin et de ses quatre réacteurs de 915 MW. Il s’agit d’une des centrales les plus dangereuses de France, à fermer en priorité pour des questions de sûreté, de risque d’agressions externes naturelles ou humaines et en raison des conséquences qu’aurait un accident majeur sur la région et le pays tout entier. D’abord toute la région du Tricastin ou de Vaison-la-Romaine – bien au-delà de la zone de 10 km prévue actuellement en France – devrait être évacuée de toute urgence et pour un temps indéterminé. Un événement comme le Tour de France devrait lui aussi être évacué et annulé en urgence sur toute une partie de son parcours. Les zones contaminées seraient inhabitables à long terme. Le Tour de France serait amputé définitivement d’une des régions qui fait son succès. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale en mai 2013, le président de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) déclarait : « Nous disons clairement, […], que l'accident est possible en France, et qu'il faut donc se préparer à ce type de situation, y compris à des crises importantes et longues. Fukushima n'a fait que confirmer la pertinence du sujet, sur lequel nous avons des travaux importants à mener. » Malgré ces déclarations, il semblerait que les dirigeants français soient loin d’avoir tiré les leçons de la catastrophe de Fukushima. En effet, les dispositifs actuellement en place en France pour faire face à un accident sont loin de répondre à l’urgence et aux conséquences d’une catastrophe nucléaire. Cette incapacité est d’autant plus irresponsable qu’avec son vieillissement, notre parc nucléaire est de plus en plus dangereux et les risques d’accident majeur augmentent. De plus, nos vieux réacteurs n’ont pas été conçus pour faire face à de tels accidents. Au-delà des impacts immédiats d’un accident majeur sur les populations, le risque nucléaire menace de sacrifier des territoires entiers pendant des centaines d’années. Le patrimoine français, son économie et ses richesses sont ainsi sous menace permanente. D’ici l’automne 2013, le gouvernement de François Hollande doit élaborer une loi cruciale sur l’énergie. Dans cet exercice, le président de la République ne pourra se dispenser de prendre en compte les risques inhérents à l’industrie nucléaire dans l’avenir énergétique de la France. Il faudra clairement choisir. Entre, d’une part, le choix des risques gigantesques qui, malgré des progrès évidents à faire immédiatement en termes de gestion accidentelle, ne pourront être comblés. Et, de l’autre, la transition vers un futur plus sûr pour l’ensemble des Français et des Européens. La fermeture de réacteurs additionnels en plus de ceux de Fessenheim s’impose. Enfin, pour être en mesure de tenir sa promesse de ramener la part de l’électricité nucléaire de 75 à 50% du mix électrique français en 2025, François Hollande doit s’engager à fermer au moins 20 réacteurs d’ici à 2020. Des dispositifs de gestion de crise sous-dimensionnés et mal calibrés Aujourd’hui, ni la conception de nos réacteurs, ni notre organisation de gestion de crise ne prennent en compte le risque d’accident grave et d’accident majeur alors même que tous les acteurs de la sureté nucléaire s’accordent pour dire que ce risque ne peut pas être écarté. La catastrophe de Fukushima démontre ainsi que le périmètre d’urgence (PPI : plan particulier d’intervention) de 10 km retenu en France est loin de recouvrir la réalité d’un accident nucléaire. A ce jour, l’accident a des conséquences en termes de contaminations radiologiques qui s’étendent dans un rayon d'au moins 80 km (cf. schéma ci-dessous, source IRSN). Les plans particuliers d’intervention (PPI) Aujourd’hui en France, le dispositif existant en cas de crise nucléaire majeure s’articule autour d’un plan particulier d’intervention (PPI). En cas d'accident nucléaire et de risque de rejets radioactifs dans l'environnement, les autorités doivent mettre en place les mesures nécessaires pour protéger les populations. Ceci peut aller de l'évacuation des habitants les plus proches du lieu du sinistre au confinement, en passant par la prise de comprimés d'iode. Le PPI peut être déclenché sous différents modes : un mode réflexe – pour des accidents où la phase de rejets radioactifs débute moins de six heures après l’accident –, souvent suivi d'une mise à l'abri immédiate des populations les plus proches de la centrale, et un mode concerté – pour des accidents entraînant des rejets plus de six heures après le commencement –, qui peut être assorti de la prise de comprimés d'iode et d’une évacuation. Ce sont les préfets et l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) qui sont responsables de la délimitation des zones couvertes par le dispositif d'urgence sous l’impulsion du ministère de l’Intérieur. Actuellement, bien qu'aucune valeur ne soit imposée, presque tous les plans restreignent les mesures de mise à l'abri et d'évacuation de la population à des zones de 2 à 5 km et de 10 km. Au-delà de 10 km : « advienne que pourra ! » Les communes situées au-delà de ce périmètre n’ont donc accès à aucune préparation, ni équipements particuliers pour faire face au risque nucléaire. Sur ce sujet, l’ASN se contente d’affirmer qu’« il pourrait être nécessaire d’étendre les actions de protection au-delà des rayons préétablis des PPI ; les délais disponibles seraient alors mis à profit pour la mise en œuvre de ces actions. » Or selon la Commission d’enquête indépendante du Parlement japonais sur l’accident de Fukushima, « l’accident nucléaire de Fukushima a été le résultat d'une collusion entre le gouvernement, les organismes de réglementation et TEPCO, et de la gestion défectueuse des dites parties. Celles-ci ont effectivement trahi le droit de la nation à vivre à l’abri d'accidents nucléaires. Par conséquent, nous concluons que l'accident était clairement d'origine humaine. Nous croyons que les causes profondes étaient les systèmes organisationnels et réglementaires qui ont couvert des décisions et des actions erronées. » Il est donc clair que même avec une prévention préalable, les sociétés ne sont en aucun cas en mesure de s’organiser en quelques heures pour faire face à une catastrophe nucléaire. À Fukushima, se sont ainsi 2, puis 20 puis 30 km qui ont été évacués dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe1. Ainsi, 150 000 Japonais ont dû être déplacés. En France le gouvernement refuse toujours d’étendre les « zones PPI » à plus de 10 km. Placer la France en zone PPI Parce que la France a la particularité de concentrer 58 réacteurs sur un territoire relativement petit, et parce qu’il est impossible de prévoir exactement la dispersion des éléments radioactifs en cas d’accident nucléaire, l’ensemble des Français sont aujourd’hui concernés par le risque nucléaire. Les périmètres couverts par ces plans d’intervention doivent être étendus afin de faire en sorte que les 36 000 communes de France et que la totalité des citoyens soient préparés à gérer une crise nucléaire. L’exemple de la centrale nucléaire de Tricastin : www.greenpeace.fr/nucleaire/ppi/ http://goo.gl/Do0aJ 1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Fukushima#cite_note-JapanTimes2011_11_09-128 Des impacts irréversibles et éternels Après la catastrophe de Fukushima, les territoires irradiés sont en cours de décontamination. Mais certaines zones les plus contaminées ne pourront certainement jamais retrouver un aspect normal. En effet, les dépôts radioactifs ne peuvent être nettoyés pour baisser l’exposition des habitants sous un seuil qui ne présente pas de risque à court, moyen ou long terme. Actuellement, ces « zones rouges » se situent dans un rayon de 30 km autour de la centrale de Fukushima2. 2 http://www.world-nuclear-news.org/RS_Iitate_evacuation_relaxed_1607121.html http://www.world-nuclearnews.org/uploadedImages/wnn/Images/Fukushima_evacuation_evolution_16_July_2012_(1200 x720).jpg La France et François Hollande prêts à payer le prix d’un accident nucléaire majeur au Tricastin ? L’IRSN a mené deux études pour évaluer le coût éventuel d’un accident majeur sur une centrale en France. Cette étude prend en compte –comme l’étude de Greenpeace sur les cinq centrales nucléaires à fermer en priorité– les coûts directs de l’accident ainsi qu’une évaluation des coûts liés à l’évacuation de la population sur le long terme, les impacts sociaux et économiques sur le tourisme, l’économie locale, l’agriculture, l’industrie, etc. Ces études tiennent compte également de l’éventuelle mise à l’arrêt d’une partie du parc nucléaire français, comme ce fut le cas à Fukushima et des conséquences économiques d’une telle situation3. L’IRSN évalue le coût d’un accident majeur à un montant allant de 430 milliards à 5 800 milliards d’euros selon les scénarios, soit jusqu’à trois années de PIB. Selon la centrale concernée, un tel accident pourrait avoir un impact important sur un ou plusieurs pays voisins avec des répercussions politiques importantes. Quels vents dominants pour quelle contamination ? Les vents dominants dans la vallée du Rhône viennent du nord vers le sud. Le mistral est un vent du nord qui souffle uniquement en vallée du Rhône et notamment à partir de Valence, jusqu’à Marseille. Sa vitesse est accentuée par l’encaissement de la vallée du Rhône. Le mistral souffle à une vitesse moyenne de 50 km/h, avec des rafales pouvant dépasser régulièrement les 100 km/h. À Montélimar, il y a 66 % de risques que le vent souffle du nord dans l’axe de la vallée du Rhône4. En moyenne sur l’année, le vent autour de la centrale du Tricastin souffle à 15 km/h. Si l’on retient cette hypothèse moyenne, cela veut dire qu’en 3 heures, un nuage radioactif pourrait avoir atteint Avignon (~50 km) et en moins d’une journée toute la Côte d’Azur. Évidemment, nous sommes ici dans le cas d’un scénario moyen. La France et le gouvernement ne sont absolument pas préparés à cette éventualité. 3 http://www.usinenouvelle.com/article/l-irsn-evalue-a-430-milliards-d-euros-le-cout-d-un-accident-nucleaire-majeuren-france.N191192 http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/l-irsn-chiffre-le-cout-d-un-accident-nucleaire-majeur-822756 4 Archives Wind Guru : http://bit.ly/12JpVL2 Centrale du Tricastin À Fukushima, c’est le sens du vent, tourné vers l’océan, qui a empêché que la catastrophe ne soit encore pire que ce qu’elle a été et par exemple que le vent emporte les rejets d’éléments radioactifs massivement sur Tokyo. Si l’on considère le régime des vents sur la région de la centrale du Tricastin, il y a donc de forts risques, qu’en cas d’accident avec rejets massifs, au-delà de la zone des premières dizaines de kilomètres immédiatement concernés, la radioactivité puissent s’étendre jusqu’à la région marseillaise et la Côte d’Azur. Risques en termes d’image et impacts socio-économiques La centrale du Tricastin présente deux particularités : - - Elle est située à proximité d’axes de transports majeurs et notamment l’autoroute A7. Elle draine en moyenne 70 000 véhicules par jour, seuil de saturation d’une autoroute deux fois trois voies. Lors des fortes affluences estivales, le trafic monte jusqu’à 175 000 véhicules en une journée, d’après les comptages des Autoroutes du Sud de la France. Selon Bison Futé, l’A7 est considérée comme chargée 40 jours par an dont au moins 14 classés en prévision rouge ou noir. Elle est située dans la vallée du Rhône, exposée à des vents violents et notamment au mistral. Les plus grands axes routiers, autoroutiers et ferroviaires d’Europe passent dans une zone située à moins de 10 km de la centrale : l’autoroute A7 (500 m), la nationale N7 (3,5 km), le Rhône (6,5 km), la ligne TGV Paris-Marseille (2,5 km), la ligne de fret SNCF Nord-Sud (2,5 km). En 2010, le TGV passant par la vallée du Rhône a transporté plus de 22 millions de passagers ; 33 millions de tonnes de fret sont aussi concernées. L’autoroute A7 a accueilli 25 millions de véhicules dont 13 % de poids-lourds qui ont transporté 219 millions de tonnes de marchandises, et le Rhône a charrié en 2009 environ 6,7 millions de tonnes de marchandises. La région proche de la centrale du Tricastin est aussi fortement agricole, et de nombreux AOC sont produits comme la truffe noire de Tricastin (1er bassin trufficole d’Europe). La région proche est aussi très touristique : en 2011, la Drôme a accueilli 1,8 million de visiteurs. Le tourisme représente 5 700 emplois salariés permanents. L’Ardèche accueille plus de 2,4 millions de visiteurs qui permettent le maintien de 5 000 emplois salariés. Mais en cas d’accident majeur et en raison des conditions météorologiques et topographiques des lieux, c’est toute la vallée du Rhône jusqu’à Marseille qui serait fortement contaminée. La zone Aix-Marseille est la 3e concentration urbaine de France. 40 % de la population de la région PACA vit dans les Bouches-du-Rhône soit plus d’un million de personnes. 50 % des entreprises de la région PACA se trouvent dans les Bouches-du-Rhône, qui emploient plus de 700 000 salariés. Le vignoble de la vallée du Rhône est le 2e vignoble français d’AOC en superficie et en production pour le conventionnel et le Bio. Produits sur six départements, les vins de la vallée du Rhône représentent la première activité économique de la région avec 390 millions de bouteilles commercialisées en 2011/2012 dans 155 pays. En 2012, les vins AOC de la vallée du Rhône ont généré un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros et se sont exportés à plus de 30 %. Avec 46 000 emplois directs, l’activité vinicole est le 1er employeur de la vallée du Rhône. En 2010, les vins du Tricastin ont été rebaptisés « Grignanles-Adhémar » après les incidents de 2008 survenus sur la plateforme industrielle, les viticulteurs ayant estimé qu’ils subissaient un préjudice d’image. Le tourisme est également un élément déterminant pour l’économie des Bouches-du-Rhône, représentant plus de 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, soit 6 % du PIB départemental ; 50 000 emplois sont liés directement ou indirectement au tourisme dans le département, soit 6 % des emplois. Par ailleurs, la contamination serait transportée par les eaux du Rhône jusque dans le parc régional de Camargue, notamment réputé pour la culture de son riz.