ALEx, la machine où parler, c`est montrer des représentations
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ALEx, la machine où parler, c`est montrer des représentations
ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations Maryvonne ABRAHAM, Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Bretagne résumé Un problème concret d’interface évoluée de coopération avec une machine nous est posé, dans le cas d’acquisition de leur langue par des enfants IMC (infirmes moteurs cérébraux)1 privés de la faculté de parler . Pour les aider à s’exprimer, nous leur construisons une machine d’Aide à L’Expression, ALEx, qui s’appuie sur une interface présentée sous forme d’un langage pictographique : « parler » devient « montrer des représentations »2 (d’objets, de propriétés, de schèmes d’action). La suite de pictogramme représentant les mots d’une phrase est ensuite traduite en une phrase de texte, prononcée par une synthèse vocale. Une telle aide à l’expression vocale requiert de définir tant les niveaux utiles de la langue dans une architecture convenable, que les choix de modélisation des connaissances et les modalités de l’interaction homme-machine, qui doivent au mieux prendre en compte le fonctionnement des systèmes cognitifs naturels de ces enfants et leur handicap moteur. Après avoir rappelé les contraintes portant sur les périphériques d’entrée dûes au handicap des utilisateurs, nous évaluerons les caractéristiques essentielles de la langue icônique, ce qui soulèvera quelques problèmes d’ordre cognitif : • le vocabulaire de cette machine est fermé. Comment « dire » ou montrer un mot qui n’est pas dans le lexique ? • dans un grand nombre de cas, les icônes représentent des mots polysémiques : quelle représentation prototypique choisir pour que l’image soit correctement interprétée ? • le mouvement de la souris est simulé par un balayage automatique présentant le plus intuitivement possible les mots-icônes 1Depuis une vingtaine d’années, le CNET - Lannion a collaboré à la conception de machines de prothèses langagières pour enfants IMC (SAHARA, MUTAVOX). Nous nous situons dans la lignée de ces travaux. 2 Ce pourrait être aussi montrer explicitement des objets (ce que fait mon chat) ou des schémas d’actions ; dans ces deux cas, l’abstraction es moindre puisque il n’est pas fait appel aux représentations. prototypiques : il faut déterminer comment les grouper par micro-domaine sémantique. • doit-on icônifier tous les mots ou bien peut-on, par défaut, forcer les articles, et certaines prépositions ou conjonctions ? en ce cas, quelles sont les limitations de l’expressivité de la langue ainsi créée? Nos travaux de construction de la langue icônique se placent dans le cadre d’analyse de la grammaire applicative et cognitive. La question des relations des mots avec les images sensées les représenter permet de poser la question de l’architecture d’analyse de la langue et des liens entre la langue et l’image. Nous prendrons l’exemple d’un verbe polysémique. Nous évoquerons la question de sa représentation icônique à partir d’icônes primitives, et nous verrons comment insérer ce verbe dans des phrases faisant appel à différents micro-domaines sémantiques, et à différentes combinaisons avec des prépositions. Les problèmes liés à l’analyse et à la compréhension de la langue naturelle mis en évidence dans ce cas particulier pourront être pris en compte dans le cadre plus général d’interfaces hommes-machines appliqués à d’autres situations. OoOoo Mots-clés : schémas de modélisation des connaissances, primitives sémantiques, prototypes, conception des interfaces d'accès, organisation des connaissances dans les interfaces de coopération homme-machine. 1. COMMUNIQUER AVEC UN ORDINATEUR 1.1 Organiser des connaissances dans un système d’aide à des enfants IMC. 1.1.1 La problématique Un problème concret d’interface évoluée de coopération avec une machine nous est posé, dans le cas d’acquisition de leur langue par des enfants IMC (infirmes moteurs cérébraux)3 privés de la faculté de 3Depuis une vingtaine d’années, le CNET - Lannion a collaboré à la conception de machines de prothèses langagières pour enfants IMC (SAHARA, 1 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 • le vocabulaire de cette machine est fermé. Comment « dire » ou montrer un mot qui n’est pas dans le lexique ? • dans un grand nombre de cas, les icônes représentent des mots polysémiques : quelle représentation choisir pour que l’image soit correctement interprétée ? • le mouvement de la souris est simulé par un balayage automatique présentant le plus intuitivement possible les mots-icônes prototypiques : il faut déterminer comment les grouper par micro-domaine sémantique. • doit-on icônifier tous les mots nécessaires à la construction d’une phrase, ou bien peut-on, par défaut, forcer les articles, et certaines prépositions ou conjonctions ? en ce cas, quelles sont les limitations de l’expressivité de la langue ainsi créée? Chacune de ces questions appelle un long développement. Nous les aborderons à l’aide d’exemples. 1.1.2 Quel lien entre la langue et l’image? La question des relations des mots avec les images sensées les représenter permet de poser la question de l’architecture d’analyse de la langue et des liens entre la langue et l’image. Un texte qui décrit des situations spatio-temporelles extra-linguistiques est une représentation verbalisée MUTAVOX). Nous nous situons dans la lignée de ces travaux. 4 Ce pourrait être aussi montrer explicitement des objets (ce que fait mon chat) ou des schémas d’actions ; dans ces deux cas, l’abstraction est moindre puisque il n’est pas fait appel aux représentations. Représentation cognitive foncteur de transfert Représentation discursive Représentation cognitive figure r-> représentations intermédiaires -> oter dén Une telle aide à l’expression vocale requiert de définir tant les niveaux utiles de la langue dans une architecture convenable, que les choix de modélisation des connaissances et les modalités de l’interaction homme-machine, qui doivent au mieux prendre en compte le fonctionnement des systèmes cognitifs naturels de ces enfants et leur handicap moteur. Après avoir rappelé les contraintes portant sur les périphériques d’entrée dûes au handicap des utilisateurs, nous évaluerons les caractéristiques essentielles de la langue icônique, ce qui soulèvera quelques problèmes d’ordre cognitif : de ces situations. Comprendre un texte portant sur des situations spatiales évolutives, c'est construire des représentations intermédiaires qui aboutissent à des représentations ``mentales" ou sémanticocognitives. A l’inverse, ces représentations sont exprimées par le texte qui lui-même dénote une situation spatio-temporelle évolutive. Représentée par une image, la même situation externe doit aboutir à une représentation mentale compatible avec la représentation discursive. comprendre -> parler . Pour les aider à s’exprimer, nous leur construisons une machine d’Aide à L’Expression, ALEx, qui s’appuie sur une interface présentée sous forme d’un langage pictographique : « parler » devient « montrer des représentations »4 (d’objets, de propriétés, de schèmes d’action). représentations intermédiaires Représentation imagée ou figurale Référentiel spatio-temporel extra-linguistique Figure 1-1 de la langue à l'image Dans le cas qui nous intéresse, le contrôle et l’acquisition du vocabulaire reposent sur la description de tableautins à l’aide du vocabulaire icônique. Une telle opération suppose nécessairement une compatibilité entre les deux représentations cognitives. « Un noème apparaît [donc] comme une relation abstraite sous-tendant les opérations sémantiques générales des langues, et il est visualisable afin de se rapprocher le plus possible de l’intuition d’une représentation mentale partagée» (Pottier 1992:78). 1.2 L'analyse de la langue: les trois niveaux de la grammaire applicative et cognitive La compréhension de textes par une machine fait appel à plusieurs niveaux d'analyse. La théorie de la GAC (Grammaire Applicative et Cognitive5), retient trois niveaux de représentation de la langue: linguistique, prédicatif et cognitif. Les énoncés d'une langue dénotent des situations externes (concrètes ou mentales). Au niveau linguistique, celui des observables, une langue est un système de représentation où certaines unités grammaticales encodent des opérations, et où certaines unités lexicales expriment des significations. Les encodages et les expressions de signification sont déterminés par le système de la langue. 5 langue phénotype : Les expression de langue phénotype et de langue génotype sont empruntées à la Grammaire Applicative Universelle (GAU) de S.Shaumyan (1977). Dans la GAC, J.P.Desclés étend la G.A.U. au niveau cognitif. 2 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 Les opérations qui sont encodées par les marqueurs grammaticaux sont décrites à un autre niveau, qui aura pour tâche, entre autres, de décrire les agencements prédicatifs sous-jacents aux énoncés de la langue observée; en particulier cet agencement prédicatif fera ressortir l'opposition entre prédicat et arguments6, et des opérations universelles dont les unités linguistiques ne sont que les traces (prédication, énonciation, thématisation, ...) A un troisième niveau, le niveau cognitif, la signification des mots peut être décrite par des réseaux de relations, et, pour les verbes, par des réseaux de schèmes7 . Pour un même mot, il peut exister plusieurs descriptions sémantiques. Considérer les mots comme polysémique revient à organiser les différentes significations du mot autour d’un sens abstrait8. La machine que nous allons présenter vise une production de paroles en s’adressant à la perception visuelle, ce qui pose le problème de la représentation icônique : pour être interprétées, les icônes doivent-elles représenter des prototypes évoqués par les mots, ou bien prendre en compte l’archétype cognitif du mot, très abstrait, mais permettant la polysémie ? 2. ENTRE LA LANGUE ET L’IMAGE, LE PICTOGRAMME 2.1 quel est le statut du pictogramme dans la machine ALEx ? Il s’agit de relier le verbal au figuratif. Les représentations sémantico-cognitives issues de la langue doivent être compatibles avec d'autres modes de représentation non verbalisés (comme les représentations figuratives ou imagées des situations extra-linguistiques). Nous cherchons à traduire la compatibilité entre les représentations cognitives construites : i) à partir du discursif ; ii) à partir d'images ou de figures ; iii) et à partir du langage pictographique. Le langage pictographique se présente comme une langue intermédiaire tenant à la fois des deux systèmes de représentation: les mots sont représentés par des icônes, mais ils sont agencés en une suite de la même manière que dans une phrase de texte. L’encodage du désigné change, perd l’information sémantique indiquée par les 6 On retrouve ici le langage conceptuel de Ray Jackendoff (1983). 7 La représentation des verbes qui expriment des modifications spatio-temporelles fait appel à des schèmes sémantico-cognitifs (SSC) qui sont des combinaisons de primitives sémantiques, ancrées en particulier sur la perception visuelle Desclés 1985 , 1991; Abraham 91, Abraham 95 8 Le signifié de puissance chez les Guillaumiens (Picoche 1986), ou un archétype cognitif (Desclés 1985). transformations morphologiques9 qui, sur une figure, ne sont plus possibles avec les mêmes conventions. LANGUE pictogrammes Représentations Représentations cognitives Génotype invariants opératoires Phénotype observables de la langue IMAGE Représentations cognitives icôniques Représentations intermédiaires observab les : suite cognitives figurales Représentations intermédiaires observables d’icônes : image Référentiel extra-linguistique Figure 2-1 relation entre texte, suite icônique et image Les correspondances qui peuvent exister entre les mots encodés dans la langue, et ceux représentés par des icônes, soulèvent plusieurs questions. Si chaque mot d’une phrase de texte est remplacé par une icône, comment se fait la production de cette phrase ? Nous sommes devant un nouveau langage puisque les flexions possibles sur une structure alphabétique ne le sont pas sur une structure icônique : nous perdons les encodages sémantiques correspondants. Rien ne nous assure que nous ayions dans la langue pictographique le même schéma de compilation du niveau icônique vers le niveau cognitif, tel qu’il est représenté dans la Erreur ! Source du renvoi introuvable.. Ce n’est pas tout : dans le nouveau langage, il faut de plus « redescendre », c’est-à-dire passer du niveau des représentations cognitives à l’expression linguistique. Que faut-il donner aux icônes qui puisse assurer ces passages sans trop de perte d’information ? Une icône peut-elle être polysémique ? quelles sont les relations entre la polysémie de l’icône et celle du mot ? Nous voyons bien vite apparaître des difficultés de représentation liées aux parties du discours noms, verbes, articles, qualificatifs, ... Nous allons nous limiter à quelques remarques concernant les noms et nous détaillerons plus amplement des exemples de verbes. 9 Les différents prototypes confirment qu´il faut, dans tous les cas de langage icônique (où une icône représente un mot) , capter une structure de "phrase", qui, dans les langues naturelles, est indiquée, soit par l´ordre des mots, soit par des cas marqués morphologiquement. On remarquera à l´appui que la structure du BLISS (qui est une langue à part entière) s’appuie sur une grammaire complexe réalisée par des assemblages d´icônes. 3 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 2.2 L’opposition verbo-nominale : les icônes résolvent-elles le problème de la polysémie ? Figure 2-2 Les représentations pictographiques des tableaux de communication pour IMC utilisent deux systèmes: figuratif (COMMUNIMAGE) pour les entités concrètes, et symbolique (BLISS) pour les verbes. Ce mélange de systèmes de représentation, choisi pour des raisons d’efficacité de perception, souligne en pratique l’opposition verbo-nominale. Il s’agit de rendre perceptible visuellement des propriétés caractéristiques des entités, reconnues facilement par tous. Dans Alex, les mots sont présentés à l’écran dans les catégories constituées par les parties du discours, repérées par des couleurs ; chacune des catégorie est organisée en une hiérarchie de micro-domaines sémantiques10, qui peuvent permettre de résoudre la polysémie nominale. Par exemple, le poulet vivant sera recherché dans les animaux ; cuit, on le trouvera dans le micro-domaine « nourriture ». Cette représentation intuitive pose rapidement des problèmes d’encombrement, il devient préférable de ne garder qu’un des représentations d’un même mot . D’autre part, on ne peut éviter la polysémie11 des icônes, conséquence de la limitation du dictionnaire proposé, qui est fermé. L’utilisation des tableaux de communication montre que différents glissements sémantiques, ou bien phonétiques, sont nécessaires pour que le co-locuteur puisse interpréter les phrases icôniques: Gaétane choisit « bonbon » pour remplacer « bijoux », absent du dictionnaire, ce qui 10 En pratique, on a privilégié dans quelques cas d’icône isolée, les micro-domaines sémantiques, qui facilitent l’accès aux icônes. 11 En nous appuyant sur les méthodes courantes d’enseignement des langues, nous avions d’abord cru qu’un langage pictographique résolvait les problèmes de polysémie, du moins nominale, comme dans la figure 22. Une analyse de notre comportement a révélé que lors des tests de la machine à écriture icônique, nous ne regardions pas les icônes, sous-titrées par du texte, mais les mots qu’elles représentaient. Cette utilisation n’est pas celle des enfants, en particulier, elle exclut la polysémie de l’image, puisque cette dernière n’est pas vue. Cette lecture biaisée ne nous est pas personnelle : tous les étudiants qui ont testé la machine ont procédé de cette façon, qui est aussi utilisée par les éducateurs puisque ce sont eux qui ont demandé le sous-titrage pour mieux aider l’enfant: nous lui proposons donc un outil que nous n’utilisons pas. peut se concevoir au niveau sémantique12, où leurs propriétés respectives sont comparables. En ce cas, c’est au co-locuteur de comprendre les raisons de la substitution. Sébastien utilise l’icône Noël (fête) pour désigner un homme prénommé Noël, car le nom de cette personne n’est pas enregistré dans son dictionnaire. Sans contrôle de cohérence sémantique, la phrase produite, puis prononcée, sera la phrase voulue, alors que, dans le dictionnaire fourni à l’enfant, le pictogramme « Noël » représente un événement d’un micro-domaine sémantique qui n’a rien à voir avec une personne13. Si, malgré tout, nous pouvons estimer que les pictogrammes figuratifs représentant les entités concrètes ne posent pas trop de difficulté de perception puis d’interprétation, la représentation devient moins aisée dans le cas des adjectifs où il s’agit finalement d’une convention de code, représentée par une icône la plus évocatrice possible : comment représenter grand, heureux, méchant? Ces adjectifs décrivent des états pouvant affecter aussi bien des objets, des personnes, des lieux14, que du temporel ou du notionnel. 3. LES VERBES 3.1 quelques langages icônique de représentations des verbes L’encodage des entités en BLISS15 et en COMMUNIMAGE ne nous semblent pas toujours adéquat pour représenter la sémantique verbale à l’adresse d’enfants. Un verbe traduit très souvent une modification spatio-temporelle, que l’on peut 12 un bonbon est pour elle un plaisir, comme peuvent l’être les bijoux pour un adulte 13 par exemple, la suite [Noël] [manger] [le bonbon] devra produire la phrase « Noël mange le bonbon », et non « A Noël, (je) mange le bonbon ». 14 Par exemple, « beau » est représenté par l’image d’une belle personne. Une enfant de huit ans (pas IMC) commente : « je suis belle ». La représentation idéale serait donnée par une transformation visualisée de l’entité à laquelle s’applique le qualificatif. L’ambition du dictionnaire pour le moment n’est pas aussi grande. Il se limite à des représentation de la sémantique de chacun des mots; la signification de la phrase doit être reconstituée par le co-locuteur. L’animation représentant la scène exprimée par la phrase n’est pas envisagé ici ; pour de tels travaux voir (Battistelli, Valliez). 15 Le BLISS, est un langage symbolique abstrait qui combine des caractères icôniques de base pour former un pictogramme. Des opérations sur ces symboles permettent une dérivation autour du sens. Il n’est pas envisagé, pour les enfants, d’écrire en BLISS, c’est-à-dire de combiner l’alphabet BLISS pour créer des mots. Nous prenons les pictogrammes des mots constitués. 4 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 représenter au minimum par deux images, la situation initiale et la situation finale ; si la modification est repétitive, (marcher, courir, ..), la conservation d’une même situation évolutive doit pouvoir être perçue. Verbaliser, c’est placer l’entité dans le temps. L’encodage des verbes en BLISS utilise explicitement cette opération, marquée par le signe ^ qui surmonte une entité nominale Par exemple, le signe ~ représente l’eau, et ∪ un contenant. La composition du contenant et de l’eau représente un bain ; surmonté du signe d’action, l’icône représente laver. : ∧ ∼ ∪ Le langage BLISS est donc très puissant, mais très abstrait ; surtout, il est une nouvelle écriture, qui demande un apprentissage assez complexe pour des enfants le plus souvent atteints de paralysie, qui ne savent ni ne peuvent écrire ; ils ne disposent pas d’une machine qui leur permettrait de composer les symboles. COMMUNIMAGE, plus figuratif, moins abstrait, choisit une des représentations imagées, et laisse ainsi de côté la possibilité de composer des primitives. casser Sit1 modification → Sit2 /casser/ en BLISS est la verbalisation d’une rupture : dans la GAC, nous représentons /casser/ comme une modification spatio-temporelle entre deux situations référentielles Sit1 et Sit2 ; en Sit1, l’entité y est dans son état intègre ; en Sit2, elle est dans un nouvel état, rompu. : le nouvel état est lié aux propriétés de l’entité cassée, qui peut être abstraite un jugement, la voix, ... Nous nous appuyons sur le modèle de la GAC pour animer la représentation des verbes sur un écran. 3.2 exemples de verbes Si, pour construire une phrase, il faut assembler des mots à la suite, en respectant des règles syntaxiques, ces mots n’ont pas tous le même statut. A l’usage, nous voyons bien vite que si l’on remplace les motstexte par des « mots » icôniques, un certain nombre de questions se posent au sujet des articles, prépositions, conjonctions... Peut-on, sans trop de distorsion de sens, faire l’économie des icônes qui leur correspondent16 ? .... dans le cas de notre 16 Ce serait intéressant en pratique, puisque chaque choix d’icône nécessite au minimum deux appuis de la part de l’enfant, qui a de grandes difficultés de mobilité machine, quelle confiance peut-on lui accorder si elle doit réintroduire ces mots, moyennant quelles limitations dans la signification résultante? 3.2.1 le verbe /jouer/ Prenons l’exemple de la suite: [Marie] poupée]. [jouer] [la Décrire le verbe jouer, qui tient une grande place dans le vocabulaire des enfants, fait appel à des représentations d’activité, de situations imaginées et à des états affectant le joueur. Nous avons, dans ALEx, représenté jouer par une petite animation prototypique, très souvent interprétée comme « jouer au ballon », elle est trop spécifiée. Une représentation concrète induit une trop grande spécificité ; /jouer/ est assez compliqué à décrire donc à représenter visuellement. Sans entrer dans les détails de notre méthode, nous pouvons dire que le schème sémantico-cognitif17 de /y jouer/ se décrit comme la conservation d’un même type de situation entre deux situations référentielles Sit1 et Sit2. En Siti, y est à l’intérieur d’une activité non précisée ; y se représente cette activité, et la réalise ; de plus, l’état de y change : il prend du plaisir à cette activité. L’activité peut être précisée par un complément, introduit ou non par une préposition En BLISS, jouer s’écrit (ci-dessous) « faire des activités qui rendent heureux ». Un jouet est l’activité de jouer. : 3.2.2 peut-on se passer des prépositions ? En français, « jouer » peut se construire sans ou avec des prépositions comme: à, avec, de, dans18 ... Est-il possible, sans information supplémentaire, (sans préposition explicite) de reconstruire une phrase qui soit du français et qui ne trahisse pas ce que voudrait dire l’enfant ? Autrement dit, y a-t-il dans le typage19 ou les propriétés des compléments introduits par la préposition manquante des informations suffisantes pour retrouver cette préposition ? La question revient à se demander si, étant donnée une entité, elle ne peut complémenter un verbe que dans une seule construction : le prédicat verbal associé à 17 pour la définition des schèmes, voir (Desclés, 1985), Abraham. 18 Il y en a certainement d’autres, mais nous nous limitons à des échanges assez simples avec des enfants. 19 Dans la GAC, nous retenons la nécessité d’un typage sémantique (Desclés, 1990): nous distinguons les entités individuelles, notées J, les lieux, les entités massives, les entités collectives et les entités notionnelles. Les entités peuvent changer de type : la poupée devient l’activité construite autour d’une poupée ; nous notons A le type activité. 5 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 On peut jouer : /jouer/ peut être unaire ou binaire : composé avec une préposition, le prédicat peut être binaire, ternaire, .. Prenons des exemples correspondant à un prédicat binaire et demandons-nous si les significations associées au prédicat complexe résultant sont voisines ou non. Par exemple, Marie joue la fée (dans un rôle au théâtre), la Maman, ... mais plus difficilement le ballon, le violon, le jardin ou la rue. A partir des constructions possibles, essayons de caractériser les propriétés sémantiques des compléments qui donnent à la phrase une signification. • à (la poupée, le ballon, les cartes, ....) (le chien, la mariée, le pompier...), à (le jardin, la maison,...), mais pas à (la rue, ...) • avec (la poupée, le ballon, les cartes, ....) (Marie, Papa, le garçon ...) (le chien, la mariée, le pompier...), mais sans doute pas, ou beaucoup moins, avec le jardin, et plus généralement pas avec des lieux. • de (le violon) • dans (le jardin, la maison, la rue). La fée (la) Maman la poupé e le chien la fleur le ballo n le violon le jardin la maison la rue type premier J J J J J J J L L L rien (activité) A A A A A à A A A A L L avec J J J J L L A J de J J A dans Peut-on trouver des conditions qui permettent de sélectionner une combinaison ? Dans les exemples, les entité de type sémantique lieu sont introduites par les prépositions à et dans. La distorsion de signification est acceptable dans le cas qui nous occupe. Mais nous voyons que les constructions sur avec et à diffèrent, puisque l’une conserve le type des entités, alors que l’autre change leur type. La préposition à introduit un lieu spatial (le jardin,..) ; mais elle introduit aussi une activité dans le cas du /ballon/ de /la fée/, /la maman/, /la poupée/, /le chien/... Nous pouvons expliquer ces constructions de la préposition à : nous avons montré, rejoignant en cela les travaux de B.Pottier sur l’homologie entre le spatial, le temporel, et le notionnel, que les mêmes constructions de la langue étaient utilisées pour ces différents « lieux », introduisant ainsi des « lieux d’activité ». Ici, les activités sont construites sur des entités individuelles, la construction /jouer/ ou /jouer à/ change leur type (tableau). La préposition avec introduit une entité, qui garde son type premier. Nous pourrions avoir : je joue à la fée (type : activité), avec la fée (type : entité individuelle). Les prédicats complexes construits sur /jouer à/ et /jouer avec/ n’ont pas la même signification.; le premier construit une activité autour de l’entité complément; le second introduit une nouvelle entité sans changement de type sémantique. Ce n’est pas le complément qui possède le type activité, mais le prédicat qui le lui donne L’exemple confirme qu’il n’y a pas, pour un mot donné comme complément, unicité de spécification correspondant L au verbe jouer composé avec une préposition : il faut indiquer la préposition. Cette remarque sur les construction verbales peut être vérifiée pour un grand nombre de verbes, et vient à l’appui d’un certain nombre de travaux sur les changements de type (Desclés, Pustejovsky, Abraham, Flageul, ..) 4. QUE NOUS APPRENNENT DE TELLES MACHINES À PARLER? L’observation de certains enfants IMC privés de parole confrontés à l’utilisation exclusive d’appareils utilisant des tableaux de communication pour construire des messages vocalisés a permis de mieux mettre en évidence quelques considérations de nature cognitive, liées à la langue naturelle dans les interfaces de communication homme-machine. Dans notre machine, il ne peut être question d’imposer une interprétation qui sera fausse dans certains cas. Le problème, tel qu’il est posé, est trop contraint Pour la machine, il s’agit moins de comprendre, (l’étendue des champs sémantiques à couvrir nous y met au défi), que de choisir le niveau où l’aide sera la plus efficace possible pour produire des phrases, et la part d’automatisation laissée à la machine. La machine doit produire des phrases relativement correctes, qui surtout ne trahissent pas les représentations du niveau conceptuel de l’enfant20, quitte à être sous-spécifiées. L’interface de 20 quitte à être moins performante sur le style de la phrase synthétisée 6 ALEx, la machine où parler, c’est montrer des représentations PREMIERES JOURNEES DU CHAPITRE FRANCAIS DE L'ISKO, 1997 coopération homme-machine fournit une aide guidée à la structuration de la phrase, mais ne se substitue pas à la construction mentale. Si en pratique, on ne veut pas introduire les prépositions dans le vocabulaire de la machine, nous devons admettre : ou bien que la phrase soit a-grammaticale, et le colocuteur devra faire l’effort de la rétablir; ou bien, que l’on propose plusieurs phrases, au choix. Nous avons établi que : • Un modèle cognitif d’analyse de la langue et de ses liens avec le noémique est nécessaire pour choisir le niveau de l’aide et le modéliser. • Le problème posé nous a confrontés une fois de plus à la partition de la langue en classes fermées, les grammèmes, et classes ouvertes, les lexèmes. Nous voyons que les possibilités d’expressions se réduisent : i) si l’on ferme le dictionnaire, et nous ne pouvons l’éviter ; ii) si l’on ne prend pas en compte toute la grammaire. • Nous avons mis en évidence l’importance de la polysémie des mots, qu’ils se présentent sous forme de caractères ou d’icônes, et la polysémie n’est pas la même dans les deux cas. • De plus, nous retrouvons des possibilités de changement de type sémantique provoqués par le prédicat verbal, qui montrent qu’un mot peut, en contexte, représenter une activité. Développer tous les aspects (nombreux) de l’interface aurait dépassé le cadre de cet article, mais nous pensons avoir souligné quelques points importants liés à ce type de langage. En particulier, le cadre théorique de la grammaire applicative et cognitive qui sous-tend notre projet linguistique montre que l’absence des prépositions qui, combinées avec un verbe, forment un nouveau prédicat, ne peut conduire à une reconstruction juste de la phrase. La mise à l’épreuve de la GAC dans la construction d’une machine à exprimer des représentations mentales fait apparaître que le changement de type sémantique d’une entité doit être pris en compte, même dans des lexiques réduits. COLING-92, Proceedings of the fifteenth International Conference on Computational Linguistics, : 1043 -1047. (vidéo-film) ABRAHAM,M. DESCLES,J.P. (1992) « Du spatial au cognitif: peut-on envisager une invariance operatoire? » Actes du colloque ECCOS'92 : 141-- 155. ABRAHAM,M. (1994) Semantique lexicale des verbes CIRCULER ET EVITER. -- Traitement Automatique des Langues (TAL).-- VOL 35, N.1 :131-145 ABRAHAM,M. (1995) Analyse sémantico-cognitive des verbes de mouvement et d’activité ; contribution méthodologique à la constitution d’un dictionnaire informatique des verbes; thèse de doctorat, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. BATTISTELI D., VALLIEZ C. 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