ACTUALITÉS - CABINET

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9. On peut faire des textes une lecture différente. En effet, tout
d’abord, le premier paragraphe de l’article L. 464-2 ne pose
aucune alternative entre les engagements et les injonctions
puisqu’il énonce : « l’Autorité peut ordonner (…) elle peut
aussi accepter des engagements ». Les pouvoirs ne sont donc
pas alternatifs mais cumulatifs. Ensuite, s’il est évident que
l’Autorité n’a pas le pouvoir d’imposer des engagements à
une entreprise qui demande le bénéfice de la non-contestation
de griefs (surtout après la réforme opérée par l’ordonnance
n° 2008-1161 du 13 novembre 2008), il n’en demeure pas
moins que les engagements proposés par les entreprises ne
deviennent obligatoires, et ne peuvent constituer des remèdes,
que s’ils sont repris par une injonction de l’Autorité. Sinon ils
ne seraient qu’une promesse dénuée de sanction. Or, le non
respect d’un engagement « prévu au I » du texte est sanctionné
par une amende. Est-ce à dire que le non respect d’un engagement « prévu au III » ne serait pas sanctionné ? Rien ne permet
d’aller dans cette direction.
10. À notre sens, les différents paragraphes de l’article L. 464-2 se
combinent et ne s’opposent pas. Le premier paragraphe constitue
un chapeau exposant les prérogatives générales de l’Autorité dans
le cadre de sa compétence contentieuse. Les autres paragraphes
déclinent les situations en les aménageant. En d’autres termes,
s’il est évident que la Cour n’a pas souhaité exercer ses pouvoirs
de réformation à propos des engagements, on peut douter qu’elle
n’en ait pas le pouvoir. On attend donc avec impatience que la
Cour de cassation se prononce sur le sujet.
RLC
V. S. et M. D.
1582
L’exclusivité
de la commercialisation
de l’iPhone : chronique
d’une mort annoncée ?
L’Autorité de la concurrence rend obligatoires
les engagements proposés par Apple et Orange visant
à mettre fin à l’exclusivité de la commercialisation
de l’iPhone en France.
Aut. conc., n° 10-D-01, 11 janv. 2010, relative à des pratiques
mises en œuvre dans la distribution des iPhones
L’Autorité de la concurrence vient de clore au fond le second
volet de la procédure visant l’exclusivité de la commercialisation de l’iPhone consentie jusqu’alors par Apple à Orange. En
décembre 2008 (Cons. conc., n° 08-MC-01, 17 déc. 2008, mesures conservatoires
relatives à des pratiques mises en œuvre dans la distribution d’Iphones, RLC 2009/19,
n° 1337, Sélinsky V., ; RLC 2009/19, n° 1362, Muguet-Poullennec G.), elle avait pro-
noncé des mesures conservatoires permettant aux opérateurs
de téléphonie mobile concurrents de bâtir une offre avec ce
terminal, lesquelles ont ensuite été confirmées par la Cour
Droit l Économie l Régulation
d’appel de Paris dans un arrêt du 4 février 2009 (CA Paris, 1re ch.,
sect. H, 4 févr. 2009, n° RG : 2008/23828 ; La décision de la Cour d’appel de Paris vient,
cependant, d’être cassée par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
en date du 16 février 2010).
En acceptant les engagements proposés par Apple et Orange
en réponse aux préoccupations de concurrence soulevées par
le rapporteur lors de son évaluation préliminaire, l’Autorité
de la concurrence scelle définitivement la fin de l’exclusivité
d’Orange sur le territoire français. Ainsi, les sociétés Apple et
Orange s’engagent-elles pour une durée de trois ans à compter
de la publication de la décision, à ne conclure et/ou mettre en
œuvre, sur le territoire français, aucun accord d’exclusivité
opérateur ou grossiste portant sur la distribution des modèles
actuels et futurs d’iPhones, à l’exception d’accords d’exclusivité dont la durée – non renouvelable – ne serait pas supérieure
à trois mois pour chaque modèle. Orange promet, par ailleurs,
de procéder à la régularisation des contrats de distribution,
dans un délai de deux mois à compter de la décision, afin de
pérenniser les clauses provisoirement suspendues à l’issue de
la procédure de mesures conservatoires. Autrement dit, Orange
est tenue de notifier à ses distributeurs l’inapplicabilité et la
suppression des clauses litigieuses.
Cette décision est intervenue un mois à peine avant l’arrêt de
la Cour de cassation dont il ressort que l’exclusivité en cause
avait été « suspendue » par l’Autorité de la concurrence à la
suite d’une analyse économique contestable, ou pour le moins
mal expliquée, donnant l’impression d’un certain désordre
(Cass. com., 16 févr. 2010, nos 09-11. 968 et 09-65. 440 ; voir RLC 2010/23, n° 1577).
RLC
à vérifier le caractère « crédible, substantiel et vérifiable » des
engagements et à prendre simplement acte des remèdes proposés s’ils sont adéquats. Dans le cas contraire, de nouveaux
engagements peuvent être proposés : en effet, cette procédure
suppose une négociation avec l’Autorité (Discours du président Lasserre
au colloque de l’Afec, 10 avril 2008). L’Autorité de la concurrence n’aurait
qu’à approuver, ou refuser, les engagements proposés sans
disposer du pouvoir de donner des injonctions.
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
1583
Validité des clauses
de non-concurrence insérées
dans les contrats de franchise
L’arrêt rendu le 24 novembre 2009 par la chambre
commerciale de la Cour de cassation réaffirme sans
ambiguïté la validité des clauses de non-concurrence
post-contractuelles stipulées dans les contrats
de franchise. Il demeure néanmoins totalement
muet sur la question d’une éventuelle indemnisation
du franchisé à laquelle un arrêt du 9 octobre 2007
paraissait avoir entrouvert la voie. Reste à savoir quelle
interprétation et quelle portée donner à ce silence.
Cass. com., 24 nov. 2009, n° 08-17.650, D
1. Depuis l’arrêt Trévisan (Cass. 3e civ., 27 mars 2002, n°00-20.732, Bull.
civ. III, n° 77, JCP G 2002, II, n° 10112, p. 1312, note Auque F.,Contrats, conc., consom.
2002, comm. 111, obs. Malaurie-Vignal M., Contrats, conc., consom. 2002, comm. 155, obs.
Leveneur L.,JCP E 2002, Cah. dr. ent., Fasc. 5, p. 29, obs. Respaud J.-L.. Parmi les nombreux
commentaires, cf., notamment Blatter J.-P. Franchise et propriété commerciale, AJDI 2002,
p. 376 et s. ; Kenfack H.,Le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux, D. 2002,
p. 2400 ; Chevrier É.,Le franchisé a la propriété commerciale du fonds exploité, D. 2002,
p. 1487 ; Ferrier D.,Le franchisé bénéficie de la propriété commerciale dès lors que le franchiseur reconnaît le droit d’en disposer, D. 2002, p. 3006 ; Saintourens B.,La reconnaissance
par la Cour de cassation de l’existence d’une clientèle propre du franchisé, éléments de son
fonds de commerce, RTD com., 2002, p. 457 ; Monéger J.,La clientèle du franchisé, RTD com.
2003, p. 273), les clauses de non-concurrence post-contractuelles
insérées dans la plupart des contrats de franchise sont sujettes
à caution. Puisque le franchisé développe, pendant l’exécution
du contrat, une clientèle qui lui est personnelle, par l’exploitation à ses risques et périls des éléments mis à sa disposition
par le franchiseur (il s’agit là de l’attendu de principe de l’arrêt Trévisan), >
N ° 2 3 • A V R I L / J U I N 2 0 10 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
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peut-on admettre que ce dernier puisse légalement l’en priver
à la rupture des relations contractuelles ? On se souvient du
mystérieux arrêt Sté ETE c/ SA SFR (Cass. com., 9 oct. 2007, n° 05-14.118,
RJDA 2008, n°4, p. 381, note Kenfack H., D. 2008, p. 388, note Ferrier D.,RDC 2008, p. 410,
note Béhar-Touchais M., RLDA 2007/22, n° 1354, note Ferré D. et Deberdt E.,JCP G 2007,
II, n° 10211, note Dissaux N., JCP E 2008, n° 20, p. 24, note Mainguy D., JCP E 2008, n° 1,
p. 31, note Dissaux N.,Contrats, conc., consom. 2007, comm. 298, note Malaurie-Vignal
M..)qui avait, à l’automne 2007, suscité la perplexité et les
interrogations de la doctrine. À première vue, cette décision
semblait consacrer l’idée de l’indemnisation du préjudice subi
par un franchisé débiteur d’une clause de non-concurrence qui,
à la rupture du contrat, se voit ainsi dépossédé de la clientèle
qu’il a développée (sous réserve d’un certain nombre de conditions fixées par
l’attendu de principe. Voir infra nos 20 et s.).
6. La solution semble donc des plus orthodoxes et pourrait ainsi
paraître trancher ce qui n’aurait alors été qu’un faux débat :
les critères d’appréciation d’une clause de non-concurrence
ne diffèrent pas en matière de franchise de ceux établis pour
l’ensemble des autres contrats civils et commerciaux (sur les
2. L’arrêt ne pouvait toutefois que susciter la perplexité.
N’étant pas destiné à une publication au Bulletin, il était
difficile d’y voir l’affirmation d’une solution aussi radicalement nouvelle et révolutionnaire. Un nouveau « tsunami »
(cette expression avait été utilisée par Yves Serra pour qualifier les arrêts rendus par la
de plus près, la solution pourrait toutefois être plus originale
qu’il n’y paraît, tant du point de vue de la validité (I) que de
l’exécution de l’engagement de non-concurrence (II).
chambre sociale le 10 juillet 2002 qui érigeaient la contrepartie financière en condition
de validité de la clause de non-concurrence en droit du travail : Serra Y., Tsunami sur la
clause de non-concurrence en droit du travail, note sous Cass. soc., 10 juill. 2002, D. 2002,
p. 2591) sur la clause de non-concurrence aurait probablement
donné lieu à une plus large publicité. En outre, le fondement
de cette solution ne pouvait que laisser songeur. La Cour de
cassation visait en effet l’article 1371 du Code civil, lequel a
déjà démontré qu’il servait relativement mal l’imagination des
Hauts Magistrats (on se souvient ainsi du problème des loteries publicitaires que
la Cour de cassation a entrepris de résoudre sur le fondement de ce texte : Cass. ch. mixte,
6 sept.2002, n° 98-22.981, Bull. civ. ch. mixte, n° 4. Parmi les nombreux commentaires,
cf., notamment Brun Ph., Loteries publicitaires trompeuses, in Mélanges J. Calais-Auloy,
2004, Dalloz, p. 191 ; Fages B., Les loteries publicitaires devant la chambre mixte : et
le numéro complémentaire est… le 1371 !, Rev. Lamy dr. aff. 2002, n° 54, n° 3427 ; Le
Tourneau Ph., Zabalza A.,Le réveil des quasi-contrats [à propos des loteries publicitaires],
Contrats, conc., consom. 2002, chron. 22.).La doctrine était ainsi partagée
entre enthousiasme et scepticisme, mais quasi-unanime pour
affirmer qu’il convenait de considérer cet arrêt avec la plus
grande circonspection (cf. cependant contra, Dissaux N.,note sous Cass. com.,
9 oct.2007, JCP G 2007, II, n° 10211. Selon cet auteur, « qu’une telle décision n’ait pas été
publiée au Bulletin ne suffit nullement à en minimiser la portée. Il s’agit bien d’un revirement
de jurisprudence susceptible de bouleverser le droit de la distribution ».).
3. La présente décision de la chambre commerciale du 24 novembre 2009 qui, elle non plus, n’a pas reçu les honneurs de la
publication, vient a posteriori justifier cette sage prudence des
commentateurs. Le problème soulevé était toutefois différent.
Un franchisé avait maintenu son activité à l’issue de la rupture
du contrat, alors que ce dernier stipulait au profit du franchiseur
une clause de non-concurrence post-contractuelle. La violation
de l’engagement était manifeste et il ne restait au franchisé
comme seul moyen de défense qu’à en contester la validité.
4. Condamné en appel, le franchisé développait cette analyse
dans la première branche de son moyen. La cour d’appel, en
refusant d’annuler la clause litigieuse qui le contraignait à
perdre son fonds de commerce, aurait violé tant l’article 1131
du Code civil que le principe de la liberté du commerce et
de l’industrie. Plus originale, la seconde branche du moyen
avançait l’idée selon laquelle le franchisé, qui avait poursuivi
son activité en dehors de toute réaffiliation, n’avait fait que
l’usage le plus strict de la liberté du commerce et de l’industrie,
ce qui ne saurait être constitutif d’une faute.
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5. La Cour de cassation répond en rappelant clairement les
critères traditionnels d’appréciation des clauses de non-concurrence et déduit de leur respect en l’espèce la validité de la
stipulation litigieuse. C’est donc à juste titre que la Cour
d’appel de Lyon avait pu condamner l’ancien franchisé à
réparer le préjudice causé par la violation de l’engagement
de non-concurrence.
REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL/JUIN 2010 • N° 23
conditions classiques de validité de la clause de non-concurrence, cf. Picod Y. (dir.), Obligation de non-concurrence, in Rép. com., Dalloz 2009,spéc. nos 94 et s.). À y regarder
I. – LA VALIDITÉ DE LA CLAUSE
DE NON-CONCURRENCE
POST-CONTRACTUELLE INSÉRÉE
DANS UN CONTRAT DE FRANCHISE :
UN RÉGIME SUR-MESURE ?
7. La décision énonce clairement que « la validité d’une clause
de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat
de franchise n’est subordonnée qu’à la condition que cette
clause soit limitée dans le temps et dans l’espace et qu’elle
soit proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur au
regard de l’objet du contrat ». La Cour de cassation rappelle
ainsi clairement les critères classiques d’appréciation de la
validité des clauses de non-concurrence que sont l’existence
d’un intérêt légitime du créancier et la protection minimale
des libertés du débiteur. Cette affirmation n’est cependant
pas dénuée d’intérêt tant elle apporte une innovation quant
à l’appréciation des limitations de la clause (A) et confirme
la relative prudence de la Cour dans l’usage du critère de
proportionnalité (B).
A. – L’innovation : le caractère cumulatif
des limitations spatiale et temporelle
8. Afin de protéger la liberté du débiteur, la jurisprudence
exige logiquement que l’engagement de non-concurrence soit
limité quant à l’activité qu’il vise, mais également quant à
son périmètre spatio-temporel. Hormis en matière sociale, il
semblait cependant acquis que les limitations dans le temps
et dans l’espace n’étaient qu’alternatives (cf. Picod Y. (dir.), Obligation
de non-concurrence, op. cit., n° 108. Cf., cependant, contra, Béhar-Touchais M., note sous
Cass. com., 9 oct.2007, RDC 2008, n° 2, p. 410 : pour cet auteur, « la jurisprudence interne
(…) affirme que l’engagement de non-concurrence doit être justifié, limité dans le temps et
dans l’espace et proportionné ». Les décisions citées à l’appui de cette thèse ne permettent
cependant pas de la corroborer. Il semble donc que le caractère cumulatif des limitations
était jusqu’alors réservé à la matière sociale : Cass. soc., 10 juill.2002, n° 99-43.334,
Bull. civ., n° 235 ; Cass. soc., 10 juill.2002, n° 00-45.387, Bull. civ. V, n° 235 ; et Cass.
soc., 10 juill.2002, n° 00-45.135, Bull. civ. V, n° 239, D. 2002, p. 2491, note Serra Y.).
La Cour de cassation acceptait ainsi de valider des clauses
limitées exclusivement dans le temps (cf., par exemple, Cass. com.,
30 oct. 1989, n° 88-16.804, Bull. civ. IV, n° 260, D. 1990, somm. 332, obs. Serra Y.) ou
exclusivement dans l’espace (cf. en ce sens Cass. com., 18 déc. 1979,
n° 78-11.393, Bull. civ. IV, n° 340 ; Cass. com., 19 mai 1987, n° 85-16.840, Bull. civ. IV,
n°121, D. 1988, somm., p. 177, obs. Serra Y. ; ou encore Cass. 1re civ., 25 mai 1987,
n° 85-15.821, Bull. civ. I, n° 161).
Droit l Économie l Régulation
9. Le présent arrêt semble cependant opter pour une solution
diamétralement opposée : pour être valable, une clause de
non-concurrence post-contracuelle insérée dans un contrat de
franchise devrait être limitée à la fois dans le temps et dans
l’espace (on remarquera cependant une décision du 1er juillet 2003 qui, sans affirmer le
caractère cumulatif des deux limitations, constatait toutefois qu’une clause insérée dans un
contrat de franchise était limitée dans le temps et dans l’espace pour en justifier la validité.
Mais comme l’enseigne l’adage : qui peut le plus, peut le moins : Cass. com., 1er juill.2003,
n° 02-11.384, JCP E 2004, p. 768, note Moracchini-Zeidenberg S.).D’alternatifs
les critères deviennent ainsi cumulatifs, la jurisprudence de
la chambre commerciale s’alignant sur celle de la chambre
sociale, comme elle l’avait déjà fait pour le critère de proportionnalité (Cass. com., 4 janv. 1994, n° 92-14.121, Bull. civ. IV, n° 4, D. 1995, p. 205,
note Serra Y.).Il est vrai qu’en pratique, la plupart des contrats de
franchise optent aujourd’hui pour une limitation à la fois dans
le temps et dans l’espace. En effet, le droit communautaire
des ententes réserve le bénéfice de l’exemption aux clauses
de non-concurrence d’une durée d’un an, qui sont cantonnées
aux locaux et aux terrains à partir desquels le franchisé a opéré
(Règl.Comm. CE n° 2790/99, 22 déc.1999 concernant l’application de l’article 81§ 3 du Traité
à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 5 b. La Cour de cassation
a d’ailleurs récemment fait application de ce texte, sans avoir préalablement vérifié que le
marché communautaire était affecté, dans un arrêt qui concernait le même franchiseur (Cass.
com., 9 juin 2009, n° 08-14.301, JurisData n° 2009-048751).
10. On peut toutefois s’interroger quant à la portée de ce qui
peut apparaître comme un revirement de jurisprudence. La
Cour de cassation semble en effet soucieuse de limiter cette
solution au seul contrat de franchise (l’arrêt qui, rappelons le, n’est pas
destiné à être publié au Bulletin, précise en effet que seule « la validité d’une clause de
non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise » est subordonnée
à ces conditions).. Il semble cependant difficile, dans ce domaine,
de justifier un traitement spécifique à ce contrat. On voit mal
comment les limitations dans le temps et dans l’espace seraient cumulatives en matière de franchise et alternative, par
exemple en matière de concession. La solution doit-elle donc
être étendue à tous les contrats voisins, voire à l’ensemble des
contrats civils et commerciaux ? Si tel était le chemin suivi par
les Hauts Magistrats, on aboutirait alors, paradoxalement, à
une unification des critères d’appréciation de la limitation des
clauses de non-concurrence, ces limitations étant désormais
cumulatives pour l’ensemble des matières.
B. – La prudence : l’application timide
du critère de proportionnalité
11. Le pourvoi, fondé sur l’article 1131 du Code civil invitait en
outre la Cour de cassation à se prononcer sur une éventuelle
disproportion entre l’atteinte à la liberté de l’ancien franchisé
et l’intérêt protégé par le franchiseur (on sait que la cause sert désormais
de fondement au contrôle de la proportionnalité des clauses de non-concurrence : en ce sens,
cf. Auguet Y., Au nom de la cause, vive la généralisation du critère de proportionnalité, Dr. &
patr. 2001, p. 33 et s.). Cet intérêt protégé est clairement identifié, dans
le cadre d’un contrat de franchise, comme étant le savoir-faire.
A cet égard, la Cour de cassation prend soin de rappeler que
« le franchiseur avait apporté au franchisé un savoir-faire dont
celui-ci avait reconnu la réalité et la valeur ». L’intérêt légitime
du franchiseur à l’insertion d’une clause de non-concurrence
n’était donc pas discutable.
12. Il n’en demeure pas moins que de l’insertion d’une telle
clause était en l’espèce particulièrement lourde de conséquences
sur la situation du franchisé. Si la clause ne privait pas le
franchisé de toute possibilité d’exercice de son activité professionnelle, dans la mesure où il lui était, en théorie du moins,
Droit l Économie l Régulation
loisible de se réimplanter au-delà de la zone proscrite, voire de
laisser s’écouler la durée d’un an avant de se rétablir (le débat
ne se situait donc pas, en dépit de l’ambiguïté des termes du pourvoi, sur la possibilité pour
le franchisé d’exercer librement sa profession. On sait qu’il s’agit d’un critère utilisé par la
jurisprudence pour apprécier la validité des clauses de non-concurrence : cf. Y. (dir.) Obligation
de non-concurrence, op. cit., nos 109 et s. Les limitations portant sur une durée d’un an et un
rayon de trois kilomètres lui laissaient largement le loisir d’ouvrir un autre commerce, afin
d’y développer son activité), elle le contraignait toutefois à abandonner
ACTUALITÉS
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
la clientèle qu’il avait pu développer au cours de l’exécution
du contrat de franchise (une clause de non-concurrence entraînant une atteinte
importante au patrimoine de son débiteur n’en est pas pour autant illicite. L’affirmation du
requérant selon laquelle « une clause de non-concurrence (…) est nulle si (…)elle fait perdre son
fonds de commerce (à celui qui y est soumis) » demeure donc inexacte. Seules sont prohibées
les clauses de non-concurrence qui privent leur débiteur de toute possibilité d’exercer son
activité professionnelle, ce qui n’était pas le cas ici). De fait, l’ancien franchisé
se voyait ainsi dépossédé de son fonds de commerce.
13. Dès lors, y avait-il adéquation et proportionnalité entre le
but légitime poursuivi par le franchiseur et l’atteinte portée
aux intérêts du franchisé ? Pour la Cour de cassation, la réponse est affirmative. Bien que dépossédant le franchisé de
son propre fonds de commerce, la clause de non-concurrence
demeure proportionnée au souci de protection du savoir-faire
du franchiseur. La décision n’est cependant pas absolue, et il
convient d’examiner avec attention la nature et l’importance
du savoir-faire protégé.
14. Néanmoins, la solution eût pu être radicalement différente. Il n’aurait fallu que peu d’audace à la Cour de
cassation pour dégager le principe selon lequel une clause
de non-concurrence qui prive un commerçant de son fonds
de commerce est, par nature, disproportionnée, quelle que
soit la légitimité de l’intérêt protégé par le créancier. Une
telle solution aurait eu l’avantage de la clarté, sans pour
autant aboutir à l’illicéité de principe des engagements de
non-concurrence post-contractuels dans les contrats de distribution (si telle devait être la solution, le franchiseur demeurerait toutefois libre
d’imposer une limitation de concurrence à son ancien franchisé, par le biais notamment
d’une clause de non-réaffiliation. C’est d’ailleurs le raisonnement auquel semblait inviter la
seconde branche du pourvoi). Reste toutefois qu’en utilisant l’expres-
sion « a pu », les Hauts Magistrats semblent opter pour un
contrôle léger de l’application du critère de proportionnalité,
laissant ainsi une marge d’appréciation non négligeable aux
juridictions du fond.
15. En réalité, il semble que la Cour de cassation opère un
raisonnement à deux temps, dissociant la question de l’atteinte
à la liberté du débiteur de celle de l’atteinte à son patrimoine.
N’entre ainsi en jeu, pour apprécier la validité de la clause,
que l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et donc
à la liberté d’entreprendre de l’ancien franchisé. La question
de l’atteinte au patrimoine de l’ancien franchisé, et donc de
l’éventuelle perte de son fonds de commerce, semble devoir
être prise en compte par le biais des modalités d’exécution de
la clause de non-concurrence.
II. – LA CONTREPARTIE DE LA CLAUSE
DE NON-CONCURRENCE
POST-CONTRACTUELLE INSÉRÉE
DANS UN CONTRAT DE FRANCHISE :
UN REGIME À ÉLABORER
16. L’arrêt demeure muet quant à la question controversée de
la nécessité d’octroyer une indemnité financière au franchisé >
N ° 2 3 • A V R I L / J U I N 2 0 10 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
41
débiteur d’une clause de non-concurrence post-contractuelle. Il
n’est cependant pas impossible que l’on puisse tirer quelques
enseignements de ce silence. Le premier est indubitablement
qu’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de
franchise demeure assurément valable en l’absence de contrepartie financière (A). Le second est que la portée de l’arrêt du
9 octobre 2007 n’a jamais été aussi incertaine dans la mesure
où, si les faits de l’espèce étaient l’occasion de voir confirmée
cette solution, il n’en a finalement rien été (B).
A.–Le rejet de la contrepartie financière comme
condition de validité de la clause
de non-concurrence post-contractuelle
17. L’arrêt confirme en effet ce que l’arrêt Sté ETE c/ SA SFR
laissait déjà largement entrevoir. La Cour de cassation ne
semble pas vouloir faire d’une éventuelle contrepartie financière une condition de validité de la clause de non-concurrence
post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise. On sait
que telle avait été la méthode suivie par la chambre sociale de
la Cour de cassation en 2002 (Cass. soc., 10 juill. 2002, préc.). Il n’est
pas impossible que les critiques qu’avait alors soulevées cette
solution (le revirement de jurisprudence de la chambre sociale avait en effet suscité
nombre de critiques de la part des praticiens mais également de la doctrine. Sur les difficultés
pratiques générées par ce revirement, cf. notamment Chautard F., Le Berre L.,Contrat de travail : comment gérer les clauses de non-concurrence depuis les arrêts du 10 juillet 2002 ?, JCP
E 2002, p. 2046 et s.) soient à l’origine de la position désormais plus
prudente de la Cour de cassation. Une telle position a en effet
pour conséquence immédiate et particulièrement préjudiciable
de rendre nulles, rétroactivement, l’ensemble des clauses de
non-concurrence insérées antérieurement à la décision.
18. En l’espèce, le requérant, qui entendait faire annuler la
clause de non-concurrence, ne s’est d’ailleurs pas risqué à
soutenir la nullité de la clause de non-concurrence en l’absence
de contrepartie financière. Cela aurait été aller à l’opposé de la
jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Par son
silence, l’arrêt confirme donc ce qui est désormais unanimement admis : l’exigence d’une contrepartie financière en tant
que condition de validité d’une clause de non-concurrence
reste et devrait rester cantonnée à la matière sociale.
19. Cela ne veut cependant pas dire que le franchisé ne peut
prétendre à une contrepartie financière. À cet égard, le requérant
n’eut-il cependant pas pu tenter de demander, à titre subsidiaire,
un dédommagement pour le préjudice que lui cause l’insertion
d’une clause de non-concurrence qui, quoique valable car sauvegardant au minimum sa liberté professionnelle, ne le dépossède
pas moins de son fonds de commerce ? La Cour de cassation
aurait ainsi dû trancher la question de la portée de l’arrêt du
9 octobre 2007 (à supposer, évidemment, que cette décision ne soit pas uniquement
un arrêt d’espèce, mais que l’on puisse tout de même y voir l’esquisse timide d’un revirement
de jurisprudence). Malheureusement, l’occasion a été manquée.
B. – La question en suspens de l’indemnité
de clientèle quasi-contractuelle comme modalité
d’exécution de la clause de non-concurrence
post-contractuelle
20. L’arrêt Sté ETE c/ SA SFR fonde le droit à une indemnité de
clientèle du franchisé débiteur d’une clause de non-concurrence
post-contractuelle sur l’article 1371 du Code civil. La doctrine y
a majoritairement décelé le recours à l’action de in rem verso,
tout en relevant le paradoxe inhérent à cette interprétation (cf. en
ce sens, Dissaux N., note sous Cass. com., 9 oct. 2007, préc. ; Mainguy D., note sous Cass.
com., 9 oct. 2007, JCP E2008, n° 20, p. 24 ; ou encore Béhar-Touchais M., note sous Cass.
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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • AVRIL/JUIN 2010 • N° 23
com., 9 oct. 2007, RDC 2008, p. 410.P.-Y. Gautier envisage également la gestion d’affaires tout
en relevant que ce quasi-contrat suppose en principe que la gestion soit effectuée sans l’accord
du maître, ce qui n’est évidemment pas le cas ici. L’obstacle serait toutefois moins difficile à
surmonter que celui posé par l’enrichissement sans cause : Gautier P.-Y., Intérêt commun,
analogie ou quasi-contrat ? Le franchisé reçoit enfin une indemnité compensatrice, RTD civ. 2008,
p. 119) : l’enrichissement est, par hypothèse, causé puisqu’il est la
conséquence directe de la clause de non-concurrence (Nicolas
Dissaux propose de tenter de dépasser cette contradiction en
estimant que la clause de non-concurrence n’est pas une cause
suffisante à l’appauvrissement du franchisé. L’idée, bien que
séduisante, revient cependant à rechercher, au-delà de la stricte
cause objective, une cause subjective au transfert de valeur.
Or, il semble qu’en matière d’action de in rem verso, la cause
soit entendue strictement comme étant la simple justification
juridique. En outre, la Cour de cassation vient une nouvelle
fois de rappeler que l’enrichissement sans cause ne peut être
invoqué entre personnes engagées contractuellement (Cass. 1re civ.,
5 nov. 2009, n° 08-16.497, JCP G 2009, n° 47, p. 450, obs. Charbonneau C.et Pansier J.-F. et
n° 51, p. 560, obs. Dupont N.).
21. S’écartant d’ailleurs quelque peu du régime traditionnel de
l’enrichissement sans cause, la Cour de cassation semble poser
dans cet arrêt des conditions originales à l’exercice de l’action :
outre la démonstration d’un appauvrissement et d’un enrichissement corrélatif, celle-ci semble notamment être subordonnée
au fait que la rupture du contrat soit imputable au franchiseur.
Il a déjà été relevé qu’une telle condition s’accordait mal avec
le régime traditionnel de l’enrichissement sans cause (Béhar-Touchais M.,note sous Cass. com., 9 oct. 2007, préc. : « Ce fondement, particulièrement inadapté,
invite à la plus extrême prudence dans l’appréciation de la portée de cetarrêt »). En effet,
l’action de in rem verso n’est classiquement refusée qu’à celui
dont la faute intentionnelle est la cause de l’appauvrissement.
Or, la rupture du contrat de franchise à l’initiative du franchisé
ne saurait être systématiquement être assimilée à une faute.
22. En l’espèce, le débat portait précisément sur l’imputabilité de la rupture : constatant divers manquements de son
franchiseur, le franchisé avait prétendu faire valoir la clause
résolutoire insérée au contrat, ce à quoi le franchiseur avait répondu en demandant reconventionnellement la prononciation
de la résolution du contrat aux torts exclusifs du franchisé. En
application de la jurisprudence du 9 octobre 2007, la possibilité
pour le franchisé de bénéficier d’une indemnité de clientèle
dépendait donc du succès de son argumentation visant à faire
constater les manquements contractuels de son franchiseur,
d’après lui à l’origine de la rupture. On peut toutefois s’étonner
que le requérant ne soit pas allé au bout du raisonnement en
demandant, à tout le moins subsidiairement, à bénéficier de
la jurisprudence Sté ETE c/ SA SFR (on peut imaginer que le franchisé
aurait pu sans trop de difficultés démontrer son appauvrissement, c’est-à-dire la perte de sa
clientèle, ainsi que le bénéfice qui en résultait pour le franchiseur.]. Il semble dès
lors manifeste que la doctrine n’est pas la seule à douter de
la portée de l’arrêt du 9 octobre 2007. Bien que cette affaire
eût pu être l’occasion d’en préciser les contours, la question
reste plus que jamais en suspens.
OBSERVATIONS : Sur cette décision, cf. également Contrats, conc.,
consom. 2010, comm. 43, obs. Malaurie-Vignal M. et JCP E 2010, n°9, 1220, note Dissaux
N. (ces notes n’étaient pas publiés lors de la rédaction de ce commentaire).
Alexandre RIERA
Allocataire de recherche – Moniteur de l’enseignement supérieur
Centre de droit de la concurrence Yves Serra
Université de Perpignan Via Domitia
Droit l Économie l Régulation