que faire des autoroutes urbaines ? bruxelles : un carrefour
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que faire des autoroutes urbaines ? bruxelles : un carrefour
Divercity #6 DONNONS DU SENS À LA VILLE MOBILITÉ QUE FAIRE DES AUTOROUTES URBAINES ? DOSSIER BRUXELLES : UN CARREFOUR DE GÉNÉRATIONS DÉVELOPPEMENT DURABLE JARDINER AU TRAVAIL PORTRAIT KRISTIAAN BORRET FAIRE AIMER BRUXELLES 2 MOBILITÉ STEPHAN SONNEVILLE QUE FAIRE DES AUTOROUTES URBAINES ? 4 QUALITÉ ARCHITECTURALE 6 SKYTOWER AT E N O R G R O U P Edito Osons le débat DOSSIER BRUXELLES : UN CARREFOUR DE GÉNÉRATIONS 8 La devise demeure inchangée : « donnons du sens à la ville ». À ce titre, DiverCity se positionne plus que jamais comme un espace de débat, un forum propice au dialogue, un carrefour d’idées. N’est-ce pas également la fonction première d’une ville ? Interconnecter les quartiers, les générations, les cultures, les métiers… et les idées ? Cette culture du débat, nous y tenons parce qu’elle est nécessaire face à l’ampleur des défis que rencontrent aujourd’hui les grandes métropoles en matière de densité, de mixité, de mobilité ou de qualité architecturale. DÉVELOPPEMENT DURABLE JARDINER AU TRAVAIL Nouveau format, nouveau mode de diffusion, nouveau lectorat plus large : le magazine DiverCity évolue pour se rapprocher de vous. 11 Avec Kristiaan Borret, vous retrouverez cette ouverture et liberté de ton. Fraîchement désigné Bouwmeester de la Région de Bruxelles-Capitale, il évoque sans détour son rôle en tant que garant de la qualité des nouveaux projets qui se dessinent pour la capitale de l’Europe. À Francfort, découvrez comment la Skytower brise l’image parfois technocrate de la Banque centrale européenne (BCE), en misant sur un lieu dont l’histoire a marqué la vie populaire de la ville. CULTURE MONS CAPITALE CULTURELLE EUROPÉENNE 2015, ET APRÈS ? 12 COLOPHON Éditeur Responsable : www.atenor.be Concept, design, contenu éditorial et rédaction : www.concerto.be Images : Getty Images, iStockphoto Juillet 2015 Dans notre dossier consacré à l’accueil des aînés et des étudiants à Bruxelles, des acteurs de terrain vous exposent leurs pistes de réflexion. Au registre mobilité, cherchons à comprendre comment peuvent évoluer les autoroutes urbaines. Pourquoi ne pas observer les expériences fructueuses menées à l’étranger ? Coup d’œil sur la nouvelle tendance de l’agriculture urbaine et d’entreprise : le bonheur est-il dans le potager ? Et pour terminer sur une note culturelle, examinons comment Mons, après une année au cœur de l’attention, pourra transformer cette expérience éphémère en succès durable. Bonne lecture ! Stéphan Sonneville CEO Atenor Group PHOTO DE COUVERTURE © GettyImages 58 heures par an Selon le bureau d’études Inrix, les automobilistes belges perdent en moyenne 58 heures par an, bloqués dans les embouteillages. Notre pays serait ainsi celui qui souffre le plus de la densité du trafic. Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bruxelles (BECI), le coût de ces embouteillages dépasserait les 500 millions d’euros par an, rien que pour la capitale. Au niveau de l’Union européenne, les embouteillages feraient perdre chaque année 120 milliards d’euros. Source : http://inrix.com Prix Belge pour l’Architecture 2015 C’est en décembre prochain que sera remis le Prix Belge pour l’Architecture. Ce concours se tient tous les deux ans, à l’initiative de la Fédération des Architectes de Belgique. Le prix couronne les réalisations de qualité dans notre pays. Les lauréats sont sélectionnés par un jury d’experts belges et internationaux. En 2013, il avait été attribué à Robbrecht & Daem et Marie-José Van Hee. Flickr © Bob Walker Source : www.fab-arch.be Une batterie pour stocker chez soi l’énergie photovoltaïque Après s’être lancé sur le marché des voitures électriques, le constructeur américain Tesla vient de présenter une batterie Li-On à installer chez soi, pour stocker l’énergie produite par des panneaux photovoltaïques, des éoliennes ou l’électricité du réseau en heures creuses. Baptisé Powerwall, le dispositif sera disponible dès la fin de l’année aux États-Unis en capacités de 7 et 10 kWh (respectivement 3 000 et 3 500 USD), pouvant être groupées pour atteindre un total de 90 kWh. En Europe, le système Bluestorage développé par le groupe Bolloré propose déjà le même type de services, mais basé sur la technologie LMP (Lithium Metal Polymer). Sources : www.teslamotors.com ou www.bollore.com Des concerts souterrains à Londres En 1825, Londres entamait la construction du premier tunnel qui passait sous une voie navigable : le tunnel Rotherhithe sous la Tamise. Dès 1869, celui-ci avait été intégré au réseau ferroviaire, puis de métro. L’entrée du tunnel était depuis lors fermée au public. Le Musée Brunel envisage de transformer le lieu, qui descend jusque 20 mètres en sous-sol, en salle de concert. La salle pourra accueillir jusqu’à 135 personnes. La notion de musique « underground » prend ici une nouvelle dimension. Source : www.brunel-museum.org.uk Tesla Motors © 2015 Focus D I V E R C I T Y # 6 / 1 Portrait Kristiaan Borret Faire aimer Bruxelles Photo courtesy of www.pro-realestate.be - Photograph Bernard De Keyzer. © Debby Termonia Désigné en décembre dernier comme nouveau Bouwmeester de la Région de Bruxelles-Capitale, Kristiaan Borret a directement pris sa mission à bras-le-corps. Sans langue de bois, il nous explique comment il envisage son rôle. Depuis 2009, la Région de Bruxelles-Capitale a créé la fonction de Bouwmeester : un maître architecte qui veille à la qualité architecturale, paysagère et urbanistique des nouveaux projets. L’idée était de briser l’image – certes éculée – qui colle toujours à Bruxelles : celle d’une ville où l’on construit et détruit sans se soucier de la cohérence d’ensemble. Après 5 années de bons et loyaux services, Olivier Bastin cède le témoin à Kristiaan Borret, un autre amoureux de la capitale qui ne manque pas d’ambition pour sa région. « Je ne me contenterai pas d’étudier les aspects esthétiques. J’accorderai également de l’importance à la fonctionnalité, à l’habitabilité et au rôle social des différents projets », prévient-il d’emblée. POTENTIEL CRÉATIF SOUS-EXPLOITÉ Kristiaan Borret balaie d’un revers de la main les critiques qui reprochent à Bruxelles son manque d’audace. Il prend pour exemple la pile de dossiers qui s’entasse sur son bureau, preuve que la créativité ne manque pas : « Bruxelles regorge de talents créatifs et intellectuels. Le problème ne vient pas d’un manque de vision, mais plutôt du peu de cohérence entre toutes les visions qui s’expriment. Mon rôle consistera à fédérer ces visions afin de forger un récit cohérent pour Bruxelles. » La « méthode Borret » visera donc à rassembler les différents partenaires et à les inciter à dialoguer de manière plus systématique. L’urbaniste ne cache d’ailleurs pas qu’il compte s’impliquer beaucoup plus en amont sur les différents projets, afin de gagner un temps précieux. « Bruxelles souffre parfois de sa lenteur. Les projets qui prennent trop de temps avant de se réaliser ont tendance à perdre une partie de leur créativité initiale », reconnaît-il. Mais plusieurs signes laissent croire que les choses évoluent dans la bonne direction. Ainsi, par exemple, l’accord de majorité du gouvernement régional mentionne précisément le rôle du Bouwmeester et place la qualité architecturale parmi ses priorités. « La volonté politique y est. Il ne reste plus qu’à passer à l’acte », se réjouit-il. LE CANAL ET LA PREMIÈRE COURONNE Parmi les priorités pour Bruxelles, Kristiaan Borret entend réussir la métamorphose du quartier du canal. Une équipe de 8 personnes est mobilisée sur ce dossier. Objectif : démontrer que des projets de qualité peuvent voir le jour, tout en comprimant le temps de décision. À plus long terme, c’est la densification de la capitale qui sera également à l’agenda : « Densifier ce qui l’est déjà n’a aucun sens. Mais il me semble qu’il y a des choses intéressantes à réaliser du côté de la première couronne historique de Bruxelles : Jette, Koekelberg, Woluwe, etc. Nous avons l’expertise pour densifier le centre-ville. Mais on parle ici de quartiers à la morphologie totalement différente. Tout reste à inventer. C’est un terreau très propice à l’innovation et à l’exploration. » INSPIRATION Pour ses modèles d’inspiration, Kristiaan Borret évite soigneusement de citer les mégapoles dont la structure n’a rien en commun avec Bruxelles. Il cite plutôt des villes à taille plus humaine, avec une préférence pour Zürich, Bâle et Munich : « J’y ai vu des habitants de tous horizons qui se sont réapproprié leur ville, les réseaux de transport en commun, même les cours d’eau. Chez nous, il faudra d’abord développer l’infrastructure. Le changement de mentalité suivra. » Une vision qui résume bien sa mission : faire aimer la ville. Portrait Kristiaan Borret DIVERCIT Y#6 / 3 Mobilité Que faire des autoroutes urbaines ? Témoignages d’une partie de notre histoire post-industrielle pour d’uns, cicatrices qui balafrent la capitale pour d’autres, les autoroutes urbaines bruxelloises voient leur avenir remis en question : qu’allons-nous faire de ces voies à plusieurs bandes qui jalonnent Bruxelles ? En 1989, un tremblement de terre secoue San Francisco et endommage sérieusement l’autoroute centrale qui surplombe des quartiers entiers de la ville. Un débat public est lancé sur l’avenir à donner à ces voies rapides. Les citoyens s’emparent de la question et décident de les démanteler, purement et simplement. Ce projet a permis d’ouvrir de vastes espaces publics qui reconnectent le centre‑ville et les quartiers est, le long de l’océan, alors plus défavorisés. San Francisco se lance alors dans le projet de l’Embarcadero, un boulevard à 6 voies de plus de 2 kilomètres de long. Celui-ci s’accompagne d’une promenade piétonne de plus de 8 mètres de large et garnie de palmiers, d’une nouvelle trame d’éclairage urbain et de plusieurs places publiques le long du littoral. L’espace libéré par l’ancienne autoroute a permis de construire plus de 3 000 logements, des bureaux, des commerces et un terrain de baseball. Selon une étude du Preservation Institute, la valeur de l’immobilier dans le quartier a augmenté de 300 % depuis le démantèlement de l’autoroute.* l’Embarcadero de San Fransisco * Lire à ce sujet « The Life and Death of Urban Highways », édité par le Institute for Transportation and Development Policy et le bureau d’urbanisme EMBARQ. Flickr © Thomas-Xavier Christiane San Francisco s’ouvre sur l’océan Lyon une métamorphose à l’horizon 2030 La France est également profondément confrontée au phénomène des autoroutes urbaines. Conformément aux souhaits du président Georges Pompidou, c’est « la ville qui s’est adaptée à la voiture ». Lyon n’a pas échappé au phénomène et voit notamment la grande autoroute nord-européenne A6/A7 traverser la ville de part en part. « L’objectif initial était de créer des grandes métropoles en singeant les villes américaines, résume Olivier Roussel, directeur des missions et stratégies métropolitaines de l’Agence d’urbanisme de Lyon. On pensait à l’époque que ces autoroutes urbaines allaient irriguer les différents quartiers et stimuler le développement économique en amenant la voiture au cœur de la ville. De véritables toboggans autoroutiers déversaient sur les cités des torrents de voitures à plus de 90 km/h ! Au lieu de contribuer au développement de la ville, cette situation a stérilisé l’espace public. » Dès les années 80 et 90, l’arrivée du tramway à Lyon a relancé la réflexion sur l’espace public et le nécessaire rééquilibrage entre l’automobile et les piétons. « Il a fallu désadapter la ville à l’automobile pour lui rendre son attractivité, explique Olivier Roussel. Nous travaillons sur deux axes. D’une part, des politiques de reconfiguration du territoire qui avancent pas à pas, en intégrant les lignes de tramway, les parcs, une signalétique pour les vélos, des bandes réservées aux bus, la reconquête des berges du Rhône, la requalification de certains tronçons en boulevards urbains, etc. D’autre part, pour l’horizon 2030, nous travaillons sur le projet de réflexion autour de l’A6/A7 et du bouclage du ring qui n’est toujours pas terminé sur la partie ouest. Cet immense chantier va de pair avec la redensification de la ville qui devrait passer de 1,5 million à 2 millions d’habitants d’ici 2030. Le ring jouera alors un rôle de connecteur hybride, alliant voitures et transports en commun, afin de relier les différents quartiers, les centres de compétences, proposer de l’événementiel, etc. » Les autoroutes urbaines sont apparues chez nous à partir des années 50 et 60. Elles s’inspirent du modèle américain qui y voyait un moyen de traverser à pleine vitesse une métropole de part en part, sans rencontrer le moindre feu de signalisation. Leur développement coïncide avec la popularisation des automobiles et un contexte économique florissant qui voit également dans l’autoroute un moteur de croissance de l’activité industrielle. L’autoroute urbaine est vue à l’époque comme une solution radicale de gestion des flux à l’intérieur même de la ville, mais sans véritable vision concertée. Ministre des Travaux publics de 1965 à 1973, Jos De Saeger résumait à l’époque cette vision : « Il semble peu sensé de réduire les distances entre deux centres par la construction d’une autoroute si, en même temps, il devient de plus en plus dur et de plus en plus long d’entrer et de sortir de ces centres. » CARREFOUR DE L’OCCIDENT MYTHE ÉCORNÉ Les voies rapides urbaines traduisent également le poids du secteur de l’assemblage automobile en Belgique : construire des autoroutes et inciter les citoyens à acquérir une voiture permettent de faire tourner l’économie. À Bruxelles, l’Exposition Universelle de 1958 donne un coup de fouet aux projets autoroutiers urbains. « La volonté politique était de faire de Bruxelles un “Carrefour de l’Occident”, pour employer les termes utilisés à l’époque, explique Gery Leloutre, architecte urbaniste du bureau bruxellois Karbon et chercheur à la Faculté d’Architecture La Cambre – Horta (ULB). Mais il n’existait pas vraiment de vision intégrée, ni au niveau de la ville, ni au niveau du pays. On s’est donc lancé dans de vastes projets tels que l’arrivée de l’autoroute E40, le rond-point Schuman, les viaducs Reyers et Herrmann-Debroux, etc. Il était même prévu à un moment de couvrir une portion de la ligne de train 161 Bruxelles – Namur d’une bande autoroutière. » Quelques décennies plus tard, difficile de nier l’échec du mythe de l’autoroute urbaine. Dès 1969 déjà, un moratoire met un terme à ces projets à Bruxelles, qui se recentre sur les grands boulevards urbains. Le moteur de développement s’est surtout transformé en une plaie qui coupe les villes, génère du bruit et de la pollution. Pire, les quartiers traversés par les voies rapides ont perdu de leur attrait. « Les villes sont faites pour les gens, les autoroutes pour les véhicules. L’essence d’une ville se compose d’un réseau de rues interconnectées, qui stimulent les échanges entre les quartiers, les entreprises et les résidents. Les autoroutes urbaines rompent cette dynamique et deviennent une entrave au commerce et à la culture », résume Peter J. Park qui, en tant que Directeur de la planification urbaine dans la ville de Milwaukee, a supervisé le démantèlement d’une de ces autoroutes. À partir des années 80 et 90, commencent alors les projets de démantèlement et de requalification, avec en point de mire cette question : comment trouver le bon équilibre entre la qualité de vie, la place des transports publics et l’automobile dans la ville ? « L’automobile répond encore à certains besoins, en particulier en Belgique où nous avons fait le choix d’une forme de dispersion urbaine, tempère Gery Leloutre. Nous devons dès lors réfléchir à des solutions pour diminuer le poids de la voiture sur la ville. Mais imaginer Bruxelles sans voiture ne me semble pas réaliste. » HÉRITAGE Les autoroutes urbaines bruxelloises ont également façonné l’aspect métropolitain de la ville et stimulé l’émergence de nombreuses tours et quartiers d’affaires. En effacer les traces, c’est également gommer une partie de l’histoire de Bruxelles. « Avant d’agir sur l’arrivée de la E40 jusque Reyers, n’oublions pas que cette bande fait également partie de notre patrimoine urbain, qu’il serait idiot de détruire par principe. On pourrait la conserver et lui affecter une autre utilité. Je ne dis pas qu’il faut absolument y faire rouler des voitures. Mais d’autres solutions que la destruction pure et simple sont à envisager », conclut Gery Leloutre. Mobilité Que faire des autoroutes urbaines ? DIVERCIT Y#6 / 5 La BCE s’installe dans une « ville verticale » La Skytower à Francfort Qualité architecturale En mars dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a officiellement inauguré son nouveau siège : la Skytower à Francfort. Conçu par le bureau d’architectes viennois COOP HIMMELB(L) AU, le projet a démarré en 2004 pour s’achever en 2014. Il se compose de trois éléments. D’abord, le Grossmarkthalle représente le cœur « historique » de la Skytower. Entre 1928 et 2004, le bâtiment a accueilli le marché de gros des fruits et légumes de la ville. Le choix du site traduit ainsi la volonté de la BCE de se positionner sur ce « foyer urbain », un lieu chargé d’histoire, synonyme de dialogue entre les différentes composantes de la cité. Ensuite, deux tours polygonales culminent à 185 mètres (45 étages) et 165 mètres (43 étages). Elles se présentent comme une « ville verticale » selon leurs concepteurs. Cellesci multiplient les espaces d’échanges et de communication, avec un atrium, de nombreux lieux de passage, des places, etc. L’accent est mis sur l’interconnexion entre les différentes sections des tours. Enfin, un bâtiment d’accès connecte les différentes composantes du site. Le site s’étend sur 120 000 mètres carrés. Selon Werner Studener, Directeur Général de l’Administration à la BCE qui a coordonné le projet de nouveau site de la BCE, la vision consistait à « créer un bâtiment combinant une architecture à la fois très ancienne et à la pointe de la modernité. En outre, nous ne voulions pas uniquement offrir à notre personnel des bureaux et des salles de réunion fonctionnels et confortables, nous souhaitions également établir un point de rencontre ici, à Francfort, au cœur de l’Europe. Je crois que nous avons réussi ». © European Central Bank/Robert Metsch Qualité architecturale La Skytower à Francfort DIVERCIT Y#6 / 7 Dossier Bruxelles : un carrefour de générations ? Parmi les défis qui attendent toutes les métropoles, fournir des solutions d’accueil adaptées aux spécificités de chaque frange de la population figure parmi les priorités absolues. En prenant le cas de Bruxelles, nous avons décidé de nous intéresser à deux groupes a priori diamétralement opposés : les aînés et les étudiants. Avec en toile de fond cette question : Bruxelles sera-t-elle en mesure de fournir des infrastructures suffisantes aux seniors et aux étudiants dans les années à venir ? 8 / D I V E R C I T Y #6 Dossier Bruxelles : un carrefour de générations BENJAMIN WAYENS GÉOGRAPHE ET DOCTEUR EN SCIENCES FRÉDÉRIC RAYNAUD RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT « CONNAISSANCE TERRITORIALE » DE L’AGENCE DE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL (ADT) Jusqu’en 2 014, aucune étude n’avait été menée sur la population étudiante à Bruxelles dans son ensemble. Depuis l’an dernier, deux rapports permettent de mieux saisir cette réalité, l’un publié par l’Agence du Développement Territorial (ADT) et l’autre par le Brussels Studies Institute (BSI). Ces deux études présentent des approches complémentaires et révèlent de nombreux enseignements quant aux interactions entre les étudiants et la ville. Avec 51 universités et hautes écoles, Bruxelles est aujourd’hui la première ville étudiante belge. La capitale accueille 86 000 étudiants, loin devant Gand (63 000), Leuven (40 000), Liège (38 000), Anvers (38 000) et Louvain-la-Neuve (23 000). Pourtant, Bruxelles reste à la traîne en matière d’infrastructures d’accueil pour ses étudiants. Cette lacune est particulièrement frappante lorsque l’on examine le parc de logements spécifiques mis à la disposition des étudiants : Bruxelles compte 11 kots pour 100 étudiants, là où Anvers en compte 25, Liège 31, Gand 34 et Leuven 67 ! À l’autre extrême de la pyramide des âges, on retrouve la problématique de l’accueil des seniors. Bruxelles comptait en 2014 un peu plus de 150 000 habitants âgés de plus de 65 ans. Parmi ceux-ci, 26 000 ont plus de 85 ans. On estime à environ 12 000 le nombre de places disponibles dans les maisons de repos et les résidences- services de la Région de Bruxelles-Capitale. Ici aussi, la pénurie est manifeste, même si, comme nous allons le voir, ces deux groupes présentent des perspectives d’évolution démographique totalement opposées. THIBAUT VAN DIEREN DIRECTEUR D’ECKELMANS IMMOBILIER , L’UN DES LEADERS SUR LE MARCHÉ BELGE DU LOGEMENT ÉTUDIANT RUDI VERVOORT MINISTRE-PRÉSIDENT DE L A RÉGION DE BRUXELLESCAPITALE LE KOT N’A PAS LA COTE Malgré une pole position au classement des villes belges qui attirent le plus grand nombre d’étudiants, Bruxelles ne s’identifie toujours pas comme une ville étudiante à part entière. Contrairement à Paris par exemple, la capitale belge ne présente pas une cité universitaire identifiée comme telle. L’offre étudiante à Bruxelles se caractérise par son éclatement. Les 51 institutions présentes sur le territoire de la capitale se répartissent sur 5 grandes zones : le centre-ville, le campus d’Erasme à Anderlecht, l’AZ-VUB à Jette, le site de l’UCL-Woluwe et enfin la zone Ixelles Etterbeek sur l’axe qui relie les campus de la Plaine et du Solbosch. Combiné à la faiblesse de l’offre en matière de kots, cet éclatement a une conséquence directe sur le logement étudiant : « Notre étude a mis en évidence qu’un tiers des étudiants sondés choisissent la colocation dans un logement classique, plutôt qu’un kot à proprement parler. À Bruxelles, les étudiants entrent donc directement en concurrence avec les ménages traditionnels sur le marché locatif », constate Benjamin Wayens, du Brussels Studies Institute. Ainsi à Bruxelles, selon l’étude de l’ADT, 30 % des étudiants optent pour la colocation, 20 % pour une résidence universitaire et 17 % pour un kot hors résidence (une chambre avec espace commun). Les autres restent chez leurs parents. Néanmoins, même si l’offre est peu abondante, les étudiants ne semblent pas dans leur majorité éprouver de difficulté particulière pour trouver un logement. « Près de deux tiers des étudiants trouvent un logement sans problème, ajoute THIBAUT CHEVRIER DIRECTEUR DE L A RÉSIDENCE « LES TERRASSES DU BOIS » DU GROUPE ARMONEA, À WATERMAEL-BOITSFORT Frédéric Raynaud, chef du département Connaissance territoriale à l’ADT. Pour les autres, les obstacles principaux sont le coût, la durée du bail qui n’est pas flexible – par exemple pour les mois d’été ou pour ceux qui envisagent un séjour Erasmus -, et également les discriminations sur base de l’origine ethnique. » « Il y a deux tendances très fortes actuellement sur le marché du logement étudiant, constate Thibaut Van Dieren, directeur d’Eckelmans Immobilier, l’un des principaux acteurs privés sur le marché du logement étudiant en Belgique. D’une part, les étudiants demandent des logements bon marché. Il est difficile pour les acteurs privés de répondre à cette demande, notamment en raison des normes à respecter et du prix du foncier dans les localisations recherchées. Sur ce segment, la balle est plutôt dans le camp des pouvoirs publics et des universités. D’autre part, nous voyons émerger depuis 2008 une demande pour des résidences-services. Les étudiants y disposent d’un studio autonome, équipé d’une kitchenette et de sanitaires. La résidence propose également la présence d’un concierge, des espaces communs pour les repas, des salles d’étude, un foyer, une buanderie, un local pour les vélos, etc. Nos résidences de ce type connaissent un taux de remplissage de 99 %. À l’inverse, les grands communautaires où les étudiants partagent la cuisine et les sanitaires n’ont plus tellement la cote. » INTERACTIONS URBAINES L’un des autres enseignements frappants de l’étude de l’ADT, c’est le très faible niveau d’interaction entre les étudiants de certains Dossier Bruxelles : un carrefour de générations DIVERCIT Y#6 / 9 campus et la vie urbaine. « Nous constatons principalement sur les campus excentrés, comme par exemple Erasme, que les étudiants utilisent très peu les commerces ou l’horeca du centre d’Anderlecht, qui ne se situent pourtant qu’à quelques stations de métro. Pour leur vie sociale, ils préfèrent se rendre directement dans le centre-ville de Bruxelles. C’est pourquoi, parmi nos recommandations, nous appelons à un développement de l’offre de commerces et de services autour des campus situés en deuxième couronne. Pour les autres étudiants, l’appropriation de la ville est plus marquée, avec un niveau de satisfaction très positif », poursuit Frédéric Raynaud. Quels projets développer à l’avenir ? La Brussels University Alliance, qui développe les synergies entre l’ULB et la VUB, plaide pour une réaffectation des casernes qui seront bientôt désertées par la police fédérale, notamment à l’angle du Boulevard Général Jacques et de l’Avenue de la Couronne. Toute la réflexion porte sur le développement d’une véritable cité universitaire, qui inclut du logement, mais également des services, des espaces communs dédiés à la recherche ou à la création d’entreprises. Le projet que défend la BUA entend également s’ouvrir aux habitants extérieurs et s’inscrire dans le cadre d’une réhabilitation et d’un remaillage du quartier, aux zones plus défavorisées du côté de la Chaussée de Wavre. LE NERF DE LA GUERRE « Le problème est avant tout d’ordre financier, commente Benjamin Wayens. En 20 ans, les moyens alloués par étudiant ont baissé de 20 %. Les universités et les hautes écoles n’ont plus de marge à investir dans de nouveaux logements. Tout le budget est consacré au fonctionnement. Mais nous avons toutefois des raisons de nous montrer optimistes, avec un nouvel acteur qui entre en jeu : la Région, qui semble avoir pris conscience des enjeux. » Parmi les initiatives qui sont actuellement en cours, la Plateforme sur le Logement étudiant entend s’inspirer du modèle que Br(ik a développé en Région flamande. « La Région soutient la Plateforme Logement Étudiant qui est chargée de développer un outil pour faciliter la rencontre de l’offre et de la demande de logement étudiant, conclut Rudi Vervoort, Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale. Nous souhaitons que les étudiants qui recherchent un logement étudiant puissent avoir accès, via une base de données ad hoc, à tous les logements étudiants mis sur le marché et de même que les propriétaires de kots puissent offrir à tous les étudiants leur proposition de logement. De plus, la Ministre Frémault et moi-même travaillons sur un projet permettant de créer une agence immobilière sociale s’adressant aux étudiants. Ce sont deux exemples d’actions déjà mises en place par notre Gouvernement pour améliorer la vie des étudiants à Bruxelles. D’autres doivent encore être entamées, certaines sont déjà pointées dans l’accord de Gouvernement comme le projet de Cité internationale étudiante, l’amélioration de la mobilité douce et des transports en commun autour des lieux d’étude, etc. » SENIORS : BRUXELLES RAJEUNIT L’une des particularités de la démographie de la Région de Bruxelles-Capitale, c’est que la population a tendance à rajeunir. « La Région bruxelloise se distingue actuellement par une faible proportion de personnes âgées contrairement aux deux autres régions du pays, rappelle Rudi Vervoort. Cette proportion a de plus diminué au cours des deux dernières décennies. Cela s’explique par le processus de périurbanisation qui draine en dehors de la Région principalement des familles de 30 à 49 ans avec enfants, en ce compris les adolescents. Ce processus étant très actif depuis plusieurs décennies, il explique la nette sous-représentation des personnes âgées – beaucoup d’individus ne vieillissent pas sur place, car ils ont quitté la Capitale auparavant –, de même que le déficit du nombre d’adolescents. » Néanmoins, le Bureau fédéral du Plan estime que la population âgée de plus de 65 ans va croître de près de 27 000 unités entre 2014 et 2030 à Bruxelles. Une situation qui demandera forcément des solutions d’accueil adaptées. D’autant que les attentes des aînés ont considérablement évolué ces dernières années. « L’image de la maison de repos à l’ancienne a vécu, constate Thibaut Chevrier, Directeur de la résidence Les Terrasses du Bois, à WatermaelBoitsfort. La nouvelle génération de seniors a eu la chance de voyager, de connaître la société de consommation et internet. Ils se montrent dès lors beaucoup plus exigeants, notamment par rapport à la cuisine qui leur est proposée, aux différents services disponibles sur place, à leur participation à la vie de la commune, etc. » ÉTAPE INTERMÉDIAIRE Aujourd’hui, on distingue plusieurs types d’infrastructures d’accueil pour les aînés. À côté de la résidence médicalisée classique, se développe une demande très forte pour des résidences qui proposent une gamme de services à la carte, plus ou moins étoffée. « Ces résidences s’adressent à des aînés qui sont encore très actifs, mais qui veulent être soulagés d’une série de tâches quotidiennes et pouvoir bénéficier d’une assistance sur place, disponible 24 heures sur 24, en cas de problème de santé. C’est une étape intermédiaire entre le domicile et la maison de repos, indique Thibaut Chevrier. Ce public s’intéresse particulièrement aux services que propose la résidence (une boucherie, une boulangerie, une pharmacie, un médecin avec son propre cabinet de consultation sur place), ainsi qu’aux possibilités de mener une vie sociale active. De nombreux résidents participent à des activités intergénérationnelles au sein de la résidence, mais restent également actifs à l’extérieur. Nous comptons par exemple énormément d’aînés qui continuent à fournir une aide à l’école de devoirs ou même carrément à donner des cours ! » Si la situation est moins alarmante à Bruxelles que dans les autres régions, c’est essentiellement dû au fait que les aînés quittent la capitale. Néanmoins, en coulisse, il se dit que certaines résidences bruxelloises comptent déjà plus de 200 inscrits sur leurs listes d’attentes ! Selon le KCE, le Centre fédéral d’expertise des soins de santés, il faudra créer en Belgique entre 1 600 et 3 500 lits par an pour rencontrer la demande d’ici 2025 ! PRÉOCCUPATIONS COMMUNES Entre la situation des étudiants et celle des aînés, outre le besoin de nouvelles infrastructures de logements auxquelles est associée une gamme de services, un point commun semble émerger : la volonté d’inscrire ces lieux dans la vie de la Cité. À la retraite ou aux études, chacun souhaite avant tout rester un acteur de la vie sociale de sa commune, avec ses services, ses commerces, ses activités sportives et culturelles. Le vrai défi pour demain sera donc de trouver les moyens d’interconnecter et décloisonner toutes ces catégories de citoyens. Bruxelles pourra alors se présenter comme un véritable carrefour de générations. « Panorama de la vie étudiante à Bruxelles : pratiques urbaines et rapport à la ville », résultats intermédiaires, octobre 2014, consultable sur http://www.adt-ato.brussels « L’enseignement supérieur et Bruxelles », avril 2014, consultable sur www.brusselsstudies.be 10 / D I V E R C I T Y # 6 Dossier Bruxelles : un carrefour de générations Développement durable 35 000 heures pour les habitants Canal-Midi Jardiner au travail Profiter de sa pause pour jardiner un peu, planter, arroser, désherber… permettrait de réduire le stress des employés. Outre-Atlantique et en France, la tendance est bien implantée. Petit tour d’horizon. Tout droit venus des États-Unis, les « corporate gardens » se font petit à petit une place dans les entreprises européennes. En France, ils sont de plus en plus nombreux à fleurir sur les toits, les balcons ou dans les jardins des entreprises. Mettre les mains dans la terre pour ensuite savourer les fruits de son travail serait en effet une activité particulièrement relaxante. Aux États-Unis, le phénomène est tel que l’on parle d’orthithérapie. Toyota, PepsiCo, Kohl, Google, Yahoo et bien d’autres incitent leurs employés à consacrer une partie de leur pause au jardinage. D’après une étude américaine menée en 2011 dans l’Oregon, travailler dans un environnement connecté à la nature améliorerait la performance des salariés et pourrait réduire l’absentéisme de 10 %. Cédric Jules, co-fondateur de Macadam Gardens, une start-up spécialisée dans les potagers urbains basée à Toulouse : « Pour l’entreprise, la finalité du potager peut être double : le potager peut être productif (pour alimenter la cantine par exemple), mais il peut également s’envisager dans un esprit de culture d’entreprise et de détente, l’un n’empêchant pas l’autre bien sûr. » CRAINTES INFONDÉES En Belgique, même si des associations telles que Lateral Thinking Factory soutiennent ce type d’initiatives, elles restent peu nombreuses. « Pourtant, c’est tout à fait possible. En 2013, nous avons réalisé une étude pour l’IBGE sur le développement de l’agriculture urbaine à Bruxelles et identifié toute une série de sites qui pourraient être utilisés dans ce but », explique Michael Moradiellos, fondateur de la société. Beaucoup d’entreprises se laissent décourager par la structure de leur bâtiment. Une erreur, selon Cédric Jules : « Toit plat, jardin, terrasse… tout est possible. Même sur des petites surfaces on peut concevoir de beaux projets. » Autre frein : la pollution. « Mais c’est là que les gens se trompent, explique Cédric Jules. En ville, la pollution est surtout constituée de métaux lourds qui ne montent pas à plus de 5 mètres du sol. En hauteur, pas de risque de contamination. » Et Michael Moradiellos d’ajouter : « Cultiver en entreprise peut également se faire à l’intérieur, en réutilisant les ressources comme la chaleur, 300 étudiants de la faculté d’architecture de l’ULB accompagné par des étudiants de BA2 en architecture du paysage ont travaillé sur l’aménagement d’un quartier de Bruxelles. Cette année, c’est la zone « Canal-Midi » qui a été sélectionnée. En collaboration directe avec le Contrat de quartier, les architectes ont réfléchi à des possibilités d’aménagement. Le périmètre de travail porte sur 2 400 m2 comprenant des zones de loisirs et un potager urbain sur une parcelle de 2 000 m2 récemment dépolluée par la commune. Ce potager urbain devra profiter aux habitants et permettre d’organiser des activités culturelles et sociales. ATENOR apporte son soutien à ce projet en participant à son financement via une plateforme de crowdfunding : http://www.kisskissbankbank.com les restes des cuisines ou encore les eaux grises. De plus, cela améliore la qualité de l’air dans le bâtiment. » Enfin, dans notre contrée frissonnante, le climat décourage également. Cédric Jules : « La qualité des récoltes dépend de l’ensoleillement. Mais même avec un climat tempéré, toutes sortes de fruits et légumes peuvent être cultivés : il suffit de bien les sélectionner. » Il ne se laisse malgré tout pas décourager : « Ces dernières années, nous constatons un véritable regain d’intérêt pour le jardinage. Les scandales alimentaires jouent aussi un rôle : plus que jamais, les gens se soucient de ce qu’il y a dans leur assiette. Les potagers d’entreprise ont donc de beaux jours devant eux. » La preuve : quelques sociétés pionnières tentent l’expérience, comme l’IBGE, qui a eu durant plusieurs années un potager à son siège social de Woluwe-Saint-Lambert. Développement durable Jardiner au travail D I V E R C I T Y # 6 / 11 ©Icarus Projects | Flickr Culture Mons 2015 Capitale culturelle européenne, et après ? Durant toute cette année, Mons est en pleine ébullition grâce à son statut de capitale culturelle européenne. Mais que reste-t-il de ces capitales européennes une fois que l’attention est retombée ? En se promenant dans les rues de Mons, il est difficile de nier l’effervescence qui s’empare de la ville. La Grand Place est noire de monde, les logos Mons 2015 sont omniprésents, d’innombrables œuvres et performances jalonnent les ruelles pavées. Plus étonnant encore pour celles et ceux qui connaissent la Cité du Doudou : Mons s’est transformée en une sorte de Tour de Babel. En laissant traîner les oreilles, on surprend des conversations en néerlandais, en anglais, en allemand, en italien ou en espagnol. Du jamais vu. Les mésaventures qui avaient émaillé les premières semaines de cette année culturelle (des chantiers pas tout à fait terminés, une sculpture branlante d’Arne Quinze qu’il a fallu démonter en urgence) font désormais partie du passé. À l’heure d’écrire ces lignes, l’exposition « Van Gogh au Borinage » totalisait déjà 150 000 visiteurs. Un 12 / D I V E R C I T Y # 6 Culture Mons 2015 succès qui a poussé les organisateurs à investir des moyens supplémentaires dans son système de réservations, toutes manifestations confondues. Les demandes pour des visites de groupes guidées permettent de mesurer ce succès : la ville en reçoit en moyenne 70 par jour ! PARI AUDACIEUX Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. Avec un peu moins de 100 000 habitants, Mons reste après tout une ville de taille relativement modeste. Dans l’arrondissement de Mons, le taux de chômage flirte avec les 20 %. C’est justement pour sortir de ce marasme latent que les autorités communales ont pris le pari d’attirer un événement qui redonnerait un peu de fierté à ses citoyens. « Nous avons préparé cette candidature depuis 2003, explique Yves Vasseur, le directeur de la Fondation Mons 2015. La volonté était de sortir Mons d’une situation de stagnation économique et sociale qui s’est installée depuis la fin des années 60. La candidature au titre de capitale européenne de la culture cadrait parfaitement avec les axes de redéploiement dessinés par les autorités communales, à savoir le tourisme, la culture et les nouvelles technologies. » Le but affiché par les autorités ne manque pas d’ambition : Mons et ses environs veulent saisir cette opportunité pour accélérer leur reconversion et devenir une « Creative Valley ». Cette voie a déjà permis d’attirer dans la région quelques enseignes prestigieuses telles que Google, Microsoft et IBM. L’idée est de susciter des vocations auprès des jeunes entrepreneurs de la région. MÉTAMORPHOSE CHANGER LES ESPRITS Parmi les grandes thématiques de Mons 2015, celle de la « métamorphose » occupe une place centrale. La ville s’est ainsi dotée de nouveaux outils culturels et touristiques qui traduisent cette volonté de redéploiement. Le Centre de Congrès flambant neuf imaginé par Daniel Libeskind et la gare en construction signée Santiago Calatrava illustrent cette dynamique. Les deux édifices s’ajoutent aux cinq musées qui ont vu le jour cette année : l’Artothèque dédiée au patrimoine local, le Mons Memorial Museum consacré aux deux guerres mondiales, le Beffroi qui vient d’être rénové et est désormais accessible au public, le site archéologique du Silex’s et le Musée du Doudou qui fait la part belle au folklore montois. Le vrai défi de Mons 2015, ce sera la métamorphose des esprits. Tout le monde cite l’exemple de Lille 2004 et son fameux « bond en avant de 10 ans ». Mais d’autres capitales culturelles européennes ont été de véritables success-stories. « Ces lieux ont vocation à durer et enrichissent l’offre culturelle que la ville continuera de proposer après 2015, poursuit Yves Vasseur. Le Mons Memorial Museum ouvre une piste qui n’existait pas encore chez nous : celle du tourisme mémorial. Or, nous savons tous que c’est un volet important pour de nombreux touristes, en particulier pour ceux venus de Grande Bretagne qui savent qu’en 14-18, leurs premier et dernier morts sont tombés sur notre territoire. À Ypres, le musée In Flanders Fields accueille un million de visiteurs chaque année. Nous n’allons évidemment pas leur faire de l’ombre. Mais Mons se trouve à 60 kilomètres d’Ypres. On peut imaginer que de nombreux visiteurs prolongeront leur séjour jusque dans le Hainaut. » Ainsi, une étude l’Université de Liverpool a montré que la ville des Beatles avait pu générer un impact économique positif de 754 millions de livres lorsqu’elle a été capitale culturelle européenne en 2008, pour un investissement initial de… 55 millions. Yves Vasseur cite également l’exemple de la ville d’Essen en Allemagne, qui avait accueilli « Ruhr 2010 ». Le profil d’ancien bassin minier frappé par le déclin économique est assez semblable à celui de Mons. La similitude n’a pas échappé à la presse allemande qui suit de près l’expérience Mons 2015. « Avant 2015, Mons accueillait 250 000 touristes par an. Cette année, nous visons la barre des 2 millions. Si nous pouvons nous maintenir audessus de 500 000 à partir de 2016, l’exercice aura été un franc succès. Mais pour cela, il faut que l’esprit Mons 2015 perdure au-delà de cette année », conclut Yves Vasseur. La ville a d’ailleurs désigné un bureau d’audit indépendant qui sera chargé de dresser le bilan de l’année. Le rapport est attendu pour le printemps 2016. Mais à Mons, tout le monde sait que pour le vrai bilan, il faudra se montrer patient. Ce n’est peut-être que dans 10 ou 15 ans que l’on pourra mesurer si la région a pu poursuivre sur sa lancée et réussir sa métamorphose. NICOL AS MARTIN PREMIER ÉCHEVIN DE L A VILLE DE MONS Interview Mons demain ? L’année 2015 marque-t-elle un nouveau départ pour le développement urbain de Mons ? Nicolas Martin, premier échevin de la ville de Mons : « Mons 2015 est un projet majeur pour la ville, même s’il y en a beaucoup d’autres évidemment. Notre projet de ville, qui intègre Mons 2015, a commencé il y a de nombreuses années. Nous avons déjà mené à bien de nombreux chantiers dans le cœur de la ville. Nous travaillons maintenant sur la première couronne, avec des projets qui intègrent 2 000 logements, des bureaux, des commerces, la passerelle qui mène à la future nouvelle gare, des hôtels, l’aménagement des berges de la Haine en pistes cyclables, un nouveau parc arboré, etc. » Avec des objectifs en termes de densité de population ? DOMINIQUE COMINOTTO SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU MACS le Grand Hornu © Grand-Hornu - Macs Le Borinage s’invite sur la carte de l’art contemporain Ouvert en 2002 sur le site du Grand Hornu, à 15 minutes de Mons, le Musée d’Arts Contemporains (le MACs) est une autre illustration de cette volonté de miser sur la culture pour insuffler une nouvelle dynamique à la région de Mons Borinage. Aujourd’hui, on parle du Grand Hornu au MoMA à New York, à la Tate Modern de Londres ou au Centre Pompidou à Paris, ce qui était inimaginable il y a 15 ans. De là à tirer toute la région vers le haut ? « Nous avons certainement contribué à rétablir une forme de fierté auprès des habitants du quartier », reconnaît Dominique Cominotto, le secrétaire général du MACs. « Mais un musée à lui seul ne peut entraîner toute une région dans une spirale positive. Nous sommes une pièce d’un puzzle plus large qui inclut également les investissements publics et privés, le travail social, etc. À notre échelle, nous participons tous au mouvement. » Nicolas Martin : « Mons compte aujourd’hui 96 000 habitants. Selon nos estimations, nous devrions franchir la barre des 100 000 d’habitants d’ici 3 ou 4 ans. » La revitalisation économique est-elle aussi à l’ordre du jour ? Nicolas Martin : « Bien entendu. De grandes entreprises se sont déjà installées dans la région, comme Google et Microsoft, et créent un cadre propice au développement des PME. Nous disposons par ailleurs d’un outil qui a vocation à perdurer : le Club Mons 2015, qui rassemble 800 entrepreneurs de la région pour réfléchir aux pistes de développement économique. » Culture Mons 2015 D I V E R C I T Y # 6 / 13 Avenue Reine Astrid, 92 B-1310 La Hulpe Tél. : + 32 2 387 22 99 Fax : + 32 2 387 23 16 www.atenor.be [email protected] www.linkedin.com/company/atenor-group