Fatima », femme de ménage, une star est née

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Fatima », femme de ménage, une star est née
SOCIÉTÉ /// TÉMOIGNAGES
« Fatima », femme de
ménage, une star est née
Dans son sixième film, Philippe Faucon braque la caméra sur des héroïnes ignorées : ces femmes
de ménage et leurs filles qui résistent à la souffrance et qui livrent bataille pour leur liberté.
Présenté à Cannes, lors de la Quinzaine des réalisateurs, « Fatima » sera en salle mercredi 7 octobre.
Soria Zeroual, émouvante Fatima, a pris goût au tournage. Elle crève l’écran. Chapeau !
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PYRAMIDE
EMBÛCHES ET SOLIDARITÉ
Nesrine (Zita Hanrot), la fille aînée de Fatima (Soria Zeroual), la comprend. Elle réussit dans ses études,
tandis que sa mère se met à écrire en arabe ce qu’elle ne peut pas encore dire en français.
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« TU ES UNE CAVE,
TU COMPRENDS TOUT
DE TRAVERS », DIT
À SA MÈRE LA CADETTE
EN RÉVOLTE.
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LATIFA MADANI
[email protected]
« Fatima », de Philippe Faucon.
France, 79 minutes. Sortie au
cinéma mercredi 7 octobre.
(1) « Prière à la lune » (2006) et « Enfin,
je peux marcher seule » (2011) de
Fatima El Ayoubi. Éditions Bachari.
(2) Programme des avant-premières et
projections-débats sur facebook.com/
Fatima.lefilm
De l’ombre à la lumière. La vraie vie de Fatima
LPPI 2014
Fatima El Ayoubi, auteure autodidacte, femme de ménage, vit à La Garenne-Colombes(Hauts-de-Seine). Ce sont ses livres
qui ont inspiré le film de Philippe Faucon. Ses deux filles sont nées en France. À 30 ans, l’aînée est secrétaire trilingue.
La cadette, 27 ans, est éducatrice spécialisée. Fatima est venue en France en 1987 rejoindre son mari, travailleur immigré.
Son histoire est celle d’une renaissance et d’une dignité retrouvée qu’elle a confiées à « l’Humanité Dimanche ».
Fatima El Ayoubi assiste, au Festival de
Cannes, à la projection du film relatant sa vie.
À 11 ans, au Maroc, Fatima doit quitter l’école. C’est
« une aiguille en plein cœur. Un regret sans fin ». Pour
ses parents, la priorité est de nourrir la famille. Elle fait
de la broderie et dévore les livres de la bibliothèque de
son frère. Elle découvre Rousseau et Hugo traduits en
arabe. Elle arrive en France en 1987 « pleine de
jeunesse et de santé » et se retrouve dans un 7 m2. « Il
fallait agir ! J’ai décidé de travailler. C’est mieux que la
pauvreté et le besoin. » Fatima fait des ménages.
À la naissance de ses filles, elle multiplie les cadences,
dans les bureaux et chez les gens. « Je me réveillais des
heures avant le soleil et rentrais longtemps après
son coucher. C’était une souffrance, mais le travail m’a
aidée à préserver ma dignité. » Sa langue se résume
alors à « oui, merci ». Elle ne parle ni ne lit le français,
« c’était comme si on m’avait coupé la langue. J’avais
honte. De ne pas pouvoir parler avec mes filles.
Handicapée de ne pas comprendre la société. C’était
une question de vie ou de mort. Il fallait que je m’en
sorte ». Elle apprend le français comme elle peut, en
interrogeant ses filles, en lisant tout ce qui lui tombe
entre les mains et au cours d’alphabétisation lorsqu’elle
peut y aller entre ses heures de ménage.
En 1998, Fatima se sépare de son mari. « Je croyais
qu’il allait réaliser qu’il avait une femme intelligente,
sensible. Au bout de 16 ans j’ai admis l’échec. Continuer
à vivre sans penser, je n’y suis pas arrivée. En 16 ans,
je n’ai pas connu le repos un jour. Je n’ai pas connu
ma féminité un jour. »
Une vie sans répit, et si peu de joies. Le 12 janvier 1999,
Fatima tombe dans l’escalier avec l’aspirateur.
Commence alors une bataille de plus de 10 ans pour
faire reconnaître l’accident du travail… et toujours,
« courir après la langue française » avec les
associations. En attendant, elle écrit à ses filles en
arabe ce qu’il ne lui a pas été possible de dire jusque-là
en français. Au service souffrance et travail de l’hôpital
de Nanterre, elle montre ses carnets intimes aux deux
médecins qui la suivent. Ils aiment et lui conseillent de
continuer. « C’est entre leurs mains que ma parole s’est
reconstruite et qu’est sortie ma nouvelle âme. Pleine
d’espoir. » Mais la frustration d’avoir quitté l’école ne
quitte pas Fatima. Elle a retrouvé le goût pour la lecture.
Et l’écriture. Elle veut aller plus loin, plus haut. En
septembre 2007, la voici à l’université Paris-X-Nanterre
pour un diplôme d’accès aux études universitaires.
« J’y ai trouvé les lettres et l’histoire, mes deux matières
préférées. J’ai retrouvé Balzac, Rousseau et Hugo, en
français cette fois. » Pour celle qui a inspiré l’héroïne du
film de Philippe Faucon, beaucoup de femmes peuvent
se reconnaître dans son histoire : celle « d’une femme
qui cherche sa place, qui court derrière sa dignité ».
Même si elle se sent « comme une étudiante avec
un petit diplôme qui n’arrive pas à décrocher un job »,
Fatima El Ayoubi dit avoir trouvé sa place en France.
« Le pays de mes enfants et petits-enfants est mon
pays. J’en suis fière. Je suis chez moi, libre et de plein
droit, en France et au Maroc. »
Son regret : on ne valorise pas assez le rôle des femmes
immigrées en France. « Elles sont des arbres déplantés,
transplantés d’une terre à l’autre. Beaucoup se fanent.
Mais si elles trouvent l’attention, l’arbre va porter
ses fruits. »
L. M.
1er AU 7 OCTOBRE 2015 . HD . 33
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