Fatima », femme de ménage, une star est née
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Fatima », femme de ménage, une star est née
SOCIÉTÉ /// TÉMOIGNAGES « Fatima », femme de ménage, une star est née Dans son sixième film, Philippe Faucon braque la caméra sur des héroïnes ignorées : ces femmes de ménage et leurs filles qui résistent à la souffrance et qui livrent bataille pour leur liberté. Présenté à Cannes, lors de la Quinzaine des réalisateurs, « Fatima » sera en salle mercredi 7 octobre. Soria Zeroual, émouvante Fatima, a pris goût au tournage. Elle crève l’écran. Chapeau ! ʼn8 QDUEUHTXLWRPEHIDLW SOXVGHEUXLWTXłXQHIR UÓWTXLSRXVVHŊ/łDUEUH TXLWRPEH3KLOLSSH)DXFRQOłDUD FRQWÒGDQVVRQSUÒFÒGHQWğOPʼnOD 'ÒVLQWÒJUDWLRQŊRčLOPRQ WUDLWODGÒULYHWHUURULVWHGHMHXQHV )UDQÍDLV&HWWHIRLVSDUFHTXłLOOXL VHPEODLWLPSRUWDQWGHʼnSUÒVHUYHU OłHVSRLUŊLOPRQWUHʼnODIRUÓWTXL SRXVVHŊ ʼn)DWLPDŊVRQVL[LÑPHORQJPÒ WUDJHDGDSWÒGHVUÒFLWVGH)DWLPD (O$\RXELPHWHQOXPLÑUHGHV IHPPHVGHOłRPEUH&HVSUROÒWDLUHV LQYLVLEOHVTXłRQFURLVHWRXVOHV MRXUVGDQVOHVUXHVRXTXłRQDSHU ÍRLWW÷WOHPDWLQGDQVOHVFRXORLUV GHVEXUHDX[2QOHVYRLWVLSHXGDQV OHFLQÒPDIUDQÍDLV PYRAMIDE EMBÛCHES ET SOLIDARITÉ Nesrine (Zita Hanrot), la fille aînée de Fatima (Soria Zeroual), la comprend. Elle réussit dans ses études, tandis que sa mère se met à écrire en arabe ce qu’elle ne peut pas encore dire en français. /DFDPÒUDGH3KLOLSSH)DXFRQGÒ YRLOHWRXWHQUHWHQXHHWVDQVVWÒUÒR W\SHVXQʼnSDUFRXUVGHFRPEDW WDQWHŊDXTXRWLGLHQFRQIURQWÒHDX UDFLVPHGDQVODUHFKHUFKHGłXQOR JHPHQWHW¿ODYLROHQFHGXPRQGHGH OłHQWUHSULVH&HSDUFRXUVQłHVWSDV TXHVHPÒGłHPEďFKHV/DVROLGDULWÒ GHVYRLVLQHVOłÒFRXWHGHVWUD YDLOOHXUVVRFLDX[ODSDUROHGHVPÒ GHFLQVQRXUULVVHQWOłHVSRLU )DWLPDHWVHVğOOHVWURLVWUDMHFWRLUHV GHYLHWURLVSRUWUDLWVGHIHPPHV VHUYLVSDUGHVDFWULFHVÒFODWDQWHVGH YÒULWÒDXSRLQWGHVHFRQIRQGUHDYHF OHXUVSHUVRQQDJHVʼn(OOHVRQWÒWÒ WRXFKÒHVSDUOHVWKÑPHVDERUGÒV (OOHVRQWFKDFXQHHQJDJÒTXHOTXH FKRVHGHWUÑVIRUWGDQVOHğOP/HV SHUVRQQDJHVVRQWWUÑVLQFDUQÒV 6DQVGRXWHSDUFHTXHFKDFXQH¿VRQ QLYHDXVHVHQWDLWFRQFHUQÒHŊFRQğH OHUÒDOLVDWHXU 32 . 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QłHQIHUDSDVVRQPÒWLHUʼnTXLYRX GUDGłXQHIHPPHDUDEHGHDQV TXLSRUWHOHIRXODUG"Ŋ0DLVVLRQ DYDLWEHVRLQGłHOOHʼnHOOHUHFRP PHQFHUDLWELHQŊ 3KLOLSSH)DXFRQDPLVGHVDQQÒHV SRXUERXFOHUVRQğOPDSULRULSHX DWWUD\DQWSRXUOHVğQDQFHXUV$SUÑV DYRLUÒWÒWUÑVELHQDFFXHLOOL¿&DQQHV HWSRXUÒYLWHUTXłLOQHVRLWFDQWRQQÒ DXVHXOFLUFXLW$UWHWHVVDLOHVGLVWUL EXWHXUVRQWGÒFLGÒFHWWHIRLVGHWHQ WHUOHUÒVHDXJUDQGSXEOLF LATIFA MADANI [email protected] « Fatima », de Philippe Faucon. France, 79 minutes. Sortie au cinéma mercredi 7 octobre. (1) « Prière à la lune » (2006) et « Enfin, je peux marcher seule » (2011) de Fatima El Ayoubi. Éditions Bachari. (2) Programme des avant-premières et projections-débats sur facebook.com/ Fatima.lefilm De l’ombre à la lumière. La vraie vie de Fatima LPPI 2014 Fatima El Ayoubi, auteure autodidacte, femme de ménage, vit à La Garenne-Colombes(Hauts-de-Seine). Ce sont ses livres qui ont inspiré le film de Philippe Faucon. Ses deux filles sont nées en France. À 30 ans, l’aînée est secrétaire trilingue. La cadette, 27 ans, est éducatrice spécialisée. Fatima est venue en France en 1987 rejoindre son mari, travailleur immigré. Son histoire est celle d’une renaissance et d’une dignité retrouvée qu’elle a confiées à « l’Humanité Dimanche ». Fatima El Ayoubi assiste, au Festival de Cannes, à la projection du film relatant sa vie. À 11 ans, au Maroc, Fatima doit quitter l’école. C’est « une aiguille en plein cœur. Un regret sans fin ». Pour ses parents, la priorité est de nourrir la famille. Elle fait de la broderie et dévore les livres de la bibliothèque de son frère. Elle découvre Rousseau et Hugo traduits en arabe. Elle arrive en France en 1987 « pleine de jeunesse et de santé » et se retrouve dans un 7 m2. « Il fallait agir ! J’ai décidé de travailler. C’est mieux que la pauvreté et le besoin. » Fatima fait des ménages. À la naissance de ses filles, elle multiplie les cadences, dans les bureaux et chez les gens. « Je me réveillais des heures avant le soleil et rentrais longtemps après son coucher. C’était une souffrance, mais le travail m’a aidée à préserver ma dignité. » Sa langue se résume alors à « oui, merci ». Elle ne parle ni ne lit le français, « c’était comme si on m’avait coupé la langue. J’avais honte. De ne pas pouvoir parler avec mes filles. Handicapée de ne pas comprendre la société. C’était une question de vie ou de mort. Il fallait que je m’en sorte ». Elle apprend le français comme elle peut, en interrogeant ses filles, en lisant tout ce qui lui tombe entre les mains et au cours d’alphabétisation lorsqu’elle peut y aller entre ses heures de ménage. En 1998, Fatima se sépare de son mari. « Je croyais qu’il allait réaliser qu’il avait une femme intelligente, sensible. Au bout de 16 ans j’ai admis l’échec. Continuer à vivre sans penser, je n’y suis pas arrivée. En 16 ans, je n’ai pas connu le repos un jour. Je n’ai pas connu ma féminité un jour. » Une vie sans répit, et si peu de joies. Le 12 janvier 1999, Fatima tombe dans l’escalier avec l’aspirateur. Commence alors une bataille de plus de 10 ans pour faire reconnaître l’accident du travail… et toujours, « courir après la langue française » avec les associations. En attendant, elle écrit à ses filles en arabe ce qu’il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français. Au service souffrance et travail de l’hôpital de Nanterre, elle montre ses carnets intimes aux deux médecins qui la suivent. Ils aiment et lui conseillent de continuer. « C’est entre leurs mains que ma parole s’est reconstruite et qu’est sortie ma nouvelle âme. Pleine d’espoir. » Mais la frustration d’avoir quitté l’école ne quitte pas Fatima. Elle a retrouvé le goût pour la lecture. Et l’écriture. Elle veut aller plus loin, plus haut. En septembre 2007, la voici à l’université Paris-X-Nanterre pour un diplôme d’accès aux études universitaires. « J’y ai trouvé les lettres et l’histoire, mes deux matières préférées. J’ai retrouvé Balzac, Rousseau et Hugo, en français cette fois. » Pour celle qui a inspiré l’héroïne du film de Philippe Faucon, beaucoup de femmes peuvent se reconnaître dans son histoire : celle « d’une femme qui cherche sa place, qui court derrière sa dignité ». Même si elle se sent « comme une étudiante avec un petit diplôme qui n’arrive pas à décrocher un job », Fatima El Ayoubi dit avoir trouvé sa place en France. « Le pays de mes enfants et petits-enfants est mon pays. J’en suis fière. Je suis chez moi, libre et de plein droit, en France et au Maroc. » Son regret : on ne valorise pas assez le rôle des femmes immigrées en France. « Elles sont des arbres déplantés, transplantés d’une terre à l’autre. Beaucoup se fanent. Mais si elles trouvent l’attention, l’arbre va porter ses fruits. » L. M. 1er AU 7 OCTOBRE 2015 . HD . 33 032_HD.indd 33 29/09/2015 11:55:18