NeuhausEtudes122014

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religion
et
s p i r i t ua l i t é
L’avenir des chrétiens
au Moyen-Orient
Une vision depuis la Terre Sainte
David Neuhaus
La situation des chrétiens du Moyen-Orient est marquée par la
peur. Mais celle-ci peut ne pas être le dernier mot. La connaissance de l’histoire est essentielle si l’on veut se garder des caricatures et s’ouvrir à la complexité des situations. De plus, une
attitude de dialogue et de service, aussi difficile soit-elle, permettra de sortir des enfermements et d’envisager un avenir meilleur.
D
ans l’une de ses lettres pastorales adressée aux fidèles de la
Terre Sainte, le Patriarche latin de Jérusalem, Michel Sabbah,
écrivait : « Votre premier devoir est d’être à la hauteur de la situation. Aussi compliquée et difficile soit-elle, vous devez essayer de la
comprendre. Prenez en compte tous les faits. Considérez-les objectivement, calmement mais courageusement, et résistez à toute tentation de la peur et du désespoir.1 »
La peur
Toute discussion actuelle sur la situation des chrétiens au MoyenOrient doit commencer par prendre conscience de la peur qui a saisi
ces communautés lorsqu’elles regardaient les horribles scènes diffusées depuis l’Irak et la Syrie.
Jésuite, Vicaire du Patriarche latin Il n’est pas insignifiant que le
de Jérusalem.
31 octobre 2010, quelques jours
1. Michel Sabbah, Priez pour la paix de Jérusalem, 1990.
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études • Décembre 2014 • n°4211 •
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après la clôture du Synode extraordinaire sur l’Église du MoyenOrient convoqué par le pape Benoît XVI au Vatican, l’attaque d’une
église catholique syrienne à Bagdad fit 58 morts. La poussée de violence qui s’ensuivit, dirigée contre diverses minorités ethniques ou
religieuses dans plusieurs lieux du Moyen-Orient, est l’une des conséquences de la chute ou de la déstabilisation de régimes qui avaient,
durant plusieurs décennies, tenu le monde arabe d’une poigne de fer.
En Égypte, en Irak comme en Syrie, les chrétiens regardaient avec
horreur comment les profondes aspirations et les désirs authentiques
de dignité humaine, de démocratie et de liberté, qui s’exprimèrent lors
des événements connus sous le nom de « Printemps arabe », se transformaient progressivement en un combat chaotique d’une brutalité
extrême pour le pouvoir. Des extrémistes, rendus à la liberté après
des décennies de répression brutale par des régimes dictatoriaux laïcs,
quittaient la clandestinité et sortaient au grand jour.
Depuis 2010, des milliers de chrétiens ont été chassés de leurs
maisons en Irak et en Syrie. Les racines chrétiennes ont été arrachées.
Tout un héritage chrétien a été effacé par des terroristes au visage
masqué parlant au nom de l’islam et appelant à l’établissement d’un
califat islamique sur des terres qui, depuis le tout début de la foi chrétienne, avaient été la demeure des chrétiens. Des centaines de milliers
d’entre eux ont dû abandonner leur terre natale, pas seulement en Irak
et en Syrie, mais aussi en Égypte, en Palestine, en Israël et ailleurs. À
la suite de l’effondrement d’un ordre politique qui leur était familier,
ils ont dû émigrer vers l’Occident, vers le Nouveau monde, ou vers des
pays arabes plus hospitaliers, comme la Jordanie ou le Liban.
La peur est associée à une expression qui vient volontiers sur les
lèvres de ceux qui observent la situation présente : la persécution des
chrétiens. Il ne fait aucun doute que des chrétiens sont tués parce
que leurs bourreaux musulmans extrémistes les considèrent comme
des infidèles, des polythéistes ou des espions occidentaux. Toutefois,
comme l’a relevé la Commission Justice et Paix de l’Assemblée des
évêques catholiques de Terre Sainte :
Au nom de la vérité, nous devons relever que les chrétiens ne sont
pas les seules victimes de cette violence et de cette barbarie. Des
musulmans laïcs, comme ceux qui sont qualifiés d’« hérétiques »,
de « schismatiques » ou simplement de « non-conformistes », ont
été attaqués et tués dans le chaos qui prévaut actuellement. Là où
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prédominent les extrémistes sunnites, des chiites ont été massacrés.
Là où prédominent les extrémistes chiites, ce sont des sunnites qui
se font tuer. Certes, il arrive que les chrétiens soient ciblés précisément parce qu’ils sont chrétiens, parce qu’ils confessent d’autres
croyances et que, par ailleurs, ils manquent de protection. Toutefois, ils sont victimes en même temps que bien d’autres qui souffrent
et meurent en ces temps où prévalent la mort et la destruction. Ils
sont expulsés de leurs maisons en même temps que bien d’autres,
et c’est ensemble qu’ils deviennent des réfugiés qui ont tout perdu.2
Il est aussi clair que le mot de « persécution », lorsqu’il est utilisé seulement pour décrire la souffrance des chrétiens dans l’actuel
Moyen-Orient, est souvent manipulé dans le contexte d’un programme politique particulier dont le but est de semer les partis pris et
la haine, montant les chrétiens contre les musulmans.
La peur de quoi ?
La crainte est un mauvais maître. Pour l’affronter et la surmonter, on doit la comprendre. Les chrétiens sont une portion particulièrement vulnérable du monde arabe car, pour une bonne part d’entre
eux, ils ont constamment refusé de s’organiser selon des lignes confessionnelles comme des partis politiques ou des milices. Pendant des
décennies, depuis la fin du XIXe siècle, les chrétiens les plus motivés
politiquement et socialement ont investi leurs énergies dans le développement du nationalisme arabe laïc sous ses diverses formes. Dans
ce projet, ils ont travaillé conjointement avec des musulmans et des
membres d’autres communautés minoritaires qui partageaient leurs
convictions. Ce qui est habituellement connu sous le nom de « réveil
arabe » a été couronné de succès tant que les Arabes développaient le
sens de leur identité, fondée sur la langue, la civilisation arabo-musulmane, dans le cadre de cette vaste région du monde qui fut le centre de
civilisations antiques qui donnèrent au monde le judaïsme, le christianisme et l’islam. Dans le sillage de la guerre israélo-palestinienne de
1948, dans de nombreuses parties du monde arabe, les régimes monarchiques furent renversés par des révolutions nationalistes. Toutefois,
2. « Are Christians being persecuted in the Middle East ? » (2 avril 2014).
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par la suite, ces régimes, souvent fermement soutenus par l’armée et
la police, se transformèrent en dictatures mettant en œuvre des systèmes de contrôle qui étouffèrent brutalement toute opposition. Parmi
les victimes de ces régimes se trouvaient des membres de mouvements
qui cherchaient à renforcer l’identité musulmane et à développer des
modèles de gouvernements islamiques et anti-occidentaux.
Le document de la Commission Justice et paix, précédemment
cité, écrivait :
Les chrétiens ont vécu dans une sécurité relative sous ces régimes dictatoriaux. Ils craignaient que, au cas où disparaîtrait cette autorité
forte, prévaudraient le chaos et des groupes extrémistes qui, s’emparant du pouvoir, apporteraient violence et persécution. C’est pourquoi des chrétiens tendaient à soutenir ces régimes. En revanche, la
loyauté à l’égard de leur foi et le souci du bien de leur pays auraient
dû peut-être les conduire à s’exprimer plus tôt, proclamant la vérité
et appelant à de nécessaires réformes vers plus de justice et de respect
des droits humains, conjointement avec de nombreux chrétiens et
musulmans qui, eux, osèrent prendre la parole.
Il semble que les pires cauchemars des chrétiens soient devenus
réalité quand les régimes dictatoriaux relativement laïcs furent défiés
par l’islam politique. L’émergence de ce dernier a suscité une peur légitime chez les chrétiens qui, au mieux, seraient marginalisés dans un
système politique qui mettrait l’accent sur l’identité confessionnelle
et définirait la société en termes confessionnels. Au pire, les chrétiens
seraient assassinés, chassés de leur maison, privés de leurs droits, forcés à subir extorsions et humiliations.
La peur ne connaît pas de distinctions subtiles. Il est essentiel
que les chrétiens étudient en détail chaque courant de l’islam politique. Les mouvements islamiques en Irak et en Syrie sont divers et
souvent divisés. Ils ne peuvent pas être assimilés purement et simplement à ceux que l’on voit à l’œuvre en Égypte et en Palestine.
Le meurtre et le déplacement des chrétiens ne peuvent être assimilés aux demandes que les symboles musulmans soient respectés et
même qu’on leur donne une certaine priorité. Vider Mossoul et la
plaine de Ninive de ses chrétiens n’est pas du même ordre que la
requête adressée par des musulmans qui demandent que leurs filles
aient le droit de porter un foulard (hijab) dans les écoles chrétiennes
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de Jérusalem. La peur peut être surmontée lorsque les chrétiens
prennent directement contact avec les responsables des différents
courants de l’islam, mais aussi lorsqu’ils les mettent au défi de réfléchir aux conséquences de leurs idéologies et de leurs visions. De fait,
il se trouve que plusieurs courants islamiques ont déjà commencé
à réfléchir au défi que représente la diversité confessionnelle et ont
entamé un dialogue avec les chrétiens. La peur tend à faire croire
que tous les musulmans seraient partisans d’une seule vision dans
laquelle les chrétiens n’auraient aucune place. Surmonter la peur
signifie être capable de percevoir la diversité et la complexité au sein
de ce phénomène complexe qu’est le réveil islamique.
Surmonter la peur et l’isolement
Le premier fruit de la peur est la tendance à s’isoler. Une tendance visible parmi les chrétiens du Moyen-Orient est leur isolement dans leurs quartiers, leurs institutions et leurs clubs. Après
avoir, durant des décennies, refusé les tendances isolationnistes
en politique, certains chrétiens souhaitent aujourd’hui avoir leurs
propres partis politiques. Les plus extrémistes proposent même que
l’identité chrétienne exclue la composante arabe, sa langue et sa
civilisation. Selon cette vision, les chrétiens seraient araméens (en
Syrie), phéniciens (au Liban), coptes (en Égypte) ou chaldéens (en
Irak), mais surtout pas arabes.
Surmonter la peur et son rejeton, l’isolement, suppose que les
chrétiens sortent des ghettos qu’ils se sont imposés, afin de découvrir
tous ceux qui, au sein du monde arabe au sens large, sont menacés
de manière semblable par des visions islamiques monolithiques qui
menacent la composition même de la société moyen-orientale. Tout
d’abord, on doit reconnaître que les premières victimes de l’extrémisme islamique, ce sont des musulmans qui ne s’accordent pas avec
la vision des extrémistes. Les extrémistes ont davantage assassiné de
musulmans que de chrétiens. Davantage de musulmans ont fui par
peur. Ensuite, d’autres minorités, par exemple les yézidis, les druzes
et les alaouites, sont en plus grand danger que les chrétiens car leur
foi et leurs pratiques sont perçues par les extrémistes comme dépassant ce qu’un musulman peut tolérer quant à la diversité religieuse.
Troisièmement, les divers courants au sein de l’islam politique sont
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loin d’être unifiés par une même vision des relations avec les nonmusulmans. Les chrétiens doivent rechercher, parmi ces courants,
ceux qui sont disposés à la rencontre et au dialogue.
Un dialogue national fondé sur des visions partagées de la société
et de son avenir ouvre les communautés à un agir commun. Dans le
document précité, la Commission Justice et Paix proposait :
Les chrétiens et les musulmans doivent résister ensemble aux forces
nouvelles de l’extrémisme et de la destruction. Tous les chrétiens et
de nombreux musulmans sont menacés par ces forces qui veulent
créer une société débarrassée de ses chrétiens et dans laquelle seule
une minorité de musulmans se sentiraient chez eux. Tous ceux qui
cherchent la dignité, la démocratie, la liberté et la prospérité sont
menacés. Nous devons nous tenir ensemble et élever la voix dans la
vérité et la liberté. […] C’est à nous seuls que revient de bâtir ensemble un avenir commun. Nous devons nous adapter à nos réalités, même aux réalités de mort, et nous devons apprendre ensemble
comment émerger de la persécution et de la destruction vers une
nouvelle vie dans la dignité dans nos pays.
Surmontant leur peur, les chrétiens sont provoqués à retrouver le
sens de leur solidarité avec leurs compatriotes du monde arabe. Alors
que de nombreuses voix les poussent à abandonner leurs maisons et
leur identité en ces temps de crise, l’Église et les leaders civils les invitent à rester fidèles à leur terre et à leur identité nationale, et à être
un levain d’espérance dans les drames actuels.
Institutions et discours chrétiens
Dans l’Exhortation de Benoît XVI, « L’Église au Moyen-Orient »,
le pape souligne le rôle prééminent des institutions chrétiennes dans
la mission de cette partie du monde :
Depuis longtemps, l’Église catholique au Moyen-Orient œuvre
grâce à un réseau d’institutions éducatives, sociales et caritatives.
Elle fait sien l’appel de Jésus : « Dans la mesure où vous l’avez fait
à l’un de ces petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »
(Mt 25, 40). Elle accompagne l’annonce de l’Évangile d’œuvres de
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charité, conformément à la nature même de la charité chrétienne,
en réponse aux nécessités immédiates de tous, quelle que soit leur
religion, indépendamment des partis et des idéologies, dans le seul
but de vivre sur terre l’amour de Dieu pour les humains. À travers le témoignage de la charité, l’Église apporte sa contribution
à la vie de la société et désire contribuer à la paix dont la région
a besoin. Le Christ Jésus s’est fait proche des plus faibles. Guidée
par son exemple, l’Église œuvre au service de l’accueil des enfants
dans des maternités et des orphelinats, de celui des pauvres, des
personnes handicapées, des malades et de toute personne nécessiteuse afin qu’elle soit toujours mieux insérée dans la communauté
humaine. L’Église croit en la dignité inaliénable de chaque personne
humaine et elle adore Dieu, créateur et père, en servant sa créature
dans le besoin tant matériel que spirituel. C’est à cause de Jésus,
vrai Dieu et vrai homme, que l’Église accomplit son ministère de
consolation qui ne cherche qu’à refléter la charité de Dieu pour
l’humanité. (n° 89-90)
Des centaines d’écoles, d’universités, d’institutions pour les
pauvres, les personnes âgées et les handicapées, d’hôpitaux et
d’autres institutions offrant éducation ou services sociaux, relevant
de l’Église, sont dispersés sur tout le territoire du Moyen-Orient.
Pratiquement tous ces établissements se caractérisent par leur dévouement et les services qu’ils rendent aux sociétés où ils se trouvent
et par leur ouverture à chacun et à tous, musulmans et chrétiens,
aussi bien qu’aux autres minorités. Ces institutions révèlent le visage
d’une présence chrétienne qui veut servir non seulement les chrétiens mais la société dans son ensemble.
Ces institutions représentent une avancée chrétienne très significative au-delà de la peur et de l’isolement. Particulièrement notables sont celles qui servent presque exclusivement des populations
musulmanes, manifestant le visage d’une Église qui veut contribuer
à l’élaboration d’une société fondée sur la convivialité et le respect.
Dans la Bande de Gaza, 98 % des élèves des écoles chrétiennes sont
musulmans. A contrario, on peut rappeler qu’après les révolutions
Baas en Irak et en Syrie, presque toutes les institutions chrétiennes
avaient été nationalisées, ce qui conduisit à la disparition de cette
forme de présence chrétienne dans la société. Il se peut que la catastrophe présente ne soit pas sans lien avec ce fait.
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Les institutions chrétiennes, surtout les écoles, les universités et
les hôpitaux, sont souvent des endroits où chrétiens et musulmans
ne se contentent pas de se côtoyer, mais établissent des relations mutuelles et développent des discours sur la diversité et le respect. C’est à
travers ces institutions que les chrétiens peuvent effectivement laisser
leur marque sur la société.
La promotion continuée des institutions chrétiennes au service de
l’ensemble de la population doit aller main dans la main avec le développement d’un discours approprié sur le monde dans lequel vivent
les chrétiens. C’est ce discours qui doit aussi distinguer le chrétien
comme une voix qui appelle à la justice, la paix, le pardon, la réconciliation et l’amour d’autrui. Dans la plupart des cas, la peur génère
un discours réactif et une attitude insulaire, isolant les chrétiens de
leurs voisins. Supporter et développer les institutions chrétiennes au
service de tous doit aller de pair avec l’élaboration d’un langage qui
ouvre les chrétiens vers ceux avec qui ils partagent leur vie quotidienne. Confronté à l’extrémisme musulman, le chrétien est appelé au
discernement, distinguant l’extrémiste du musulman qui est un ami,
un voisin ou un compatriote, le distinguant aussi de ceux qui sont
manipulés par lui. Il est appelé à se souvenir que les chrétiens peuvent,
eux aussi, être affectés par l’extrémisme, la confusion toxique de la
religion avec des intérêts politiques et la manipulation de la parole de
Dieu pour justifier sa cupidité et ses propres intérêts.
La présence chrétienne au Moyen-Orient ne se mesure pas et ne
peut se mesurer par sa seule importance numérique. Elle se mesure
plutôt par le sens de sa contribution à la société, surtout dans les services qu’elle rend à l’éducation, à la santé et au travail social, ainsi
qu’au langage de l’amour qu’elle tient.
La foi contre la peur
Face aux peurs que les chrétiens continueront à éprouver tant que
le Moyen-Orient sera secoué par l’instabilité et le chaos, le seul antidote
chrétien est la foi. Les chrétiens portent le nom de leur Maître qui ne
leur a pas promis un lit de roses. Le Christ a dit à ceux qui le suivaient :
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne
sa croix, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ;
mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile, la sauvera » (Mc
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8,34-35). Ces mots ont guidé des générations de chrétiens qui ont donné
leur vie en témoignage de foi à l’Évangile. On comprend aisément que
beaucoup se dérobent à ces paroles, préférant garantir à leurs enfants
un avenir meilleur dans un monde qui paraît plus sûr, en Europe, aux
États-Unis ou en Australie. Une diaspora chrétienne moyen-orientale
peut même fournir un soutien à ceux qui choisissent consciemment de
rester ou à ceux qui n’ont tout simplement pas les moyens de partir.
Cependant, il en existe qui, inspirés par leur courage, leur détermination et leur foi, décident, en dépit de toutes les circonstances
contraires, de rester sur la terre de leurs ancêtres, parce qu’ils savent
qu’il en va de leur vocation et de leur mission, de porter le témoignage du Christ sur la terre qu’il avait foulée. Ce sont eux, ces chrétiens dont le sens de la mission assure l’avenir de l’Église au MoyenOrient. Ils ont mis la main à la charrue et ne regardent pas en arrière,
ni ne s’évadent. Ils n’ont pas peur ; ils n’accusent pas non plus ; ils ne
s’isolent pas derrière des barrières confessionnelles ; ils ne
La présence chrétienne au Moyen-Orient
restent pas paralysés par leur
se mesure par sa contribution à la société
amertume ; ils regardent plutôt
en avant, cherchant à discerner
la route qui mène plus loin. La foi est la seule voie sûre au-delà de
la peur et de l’isolement, vers l’ouverture et le service, se mettant en
quête du Christ et marchant à la suite de celui qui est allé à la rencontre
de tous, même des plus éloignés. La foi est le sentiment profondément
enraciné que la victoire a déjà été acquise par la résurrection et que,
quelles que soient les croix rencontrées sur le chemin, l’extrémisme,
la haine et le rejet, les forces de mort ont été surmontées dans la Croix
du Christ. Finalement, c’est la vie qui l’emporte.
Le renouveau de la foi au Moyen-Orient, parmi des chrétiens
durement éprouvés, passe certainement par un sens plus affirmé de
l’unité chrétienne qui surmonte les divisions confessionnelles du passé. À de nombreuses reprises le pape François a souligné le thème de
l’« œcuménisme du sang », comme il le fit dans son discours devant
le Saint Sépulcre de Jérusalem, où il se trouvait en compagnie du patriarche grec orthodoxe de Constantinople, Bartholomeos.
Quand des chrétiens de diverses confessions se trouvent à souffrir ensemble, les uns à côté des autres, et à s’entraider les uns les
autres avec une charité fraternelle, se réalise un œcuménisme de la
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souffrance, se réalise l’œcuménisme du sang, qui possède une particulière efficacité non seulement pour les contextes dans lesquels
il a lieu, mais aussi, en vertu de la communion des saints, pour
toute l’Église. Ceux qui par haine de la foi tuent, persécutent les
chrétiens, ne leur demandent pas s’ils sont orthodoxes ou s’ils sont
catholiques : ils sont chrétiens. Le sang chrétien est le même.3
De la même façon, le renouveau de la foi passe par un engagement au dialogue avec les musulmans (et les juifs sur le territoire
d’Israël-Palestine), dans un appel franc et honnête au respect mutuel
et dans un travail partagé afin de bâtir une société délivrée de l’oppression, de l’ignorance et de la peur. Cela renforce aussi la requête
de devenir des citoyens à égalité, jouissant des mêmes droits et portant les mêmes obligations.
C’est cette voix de la foi qui est perceptible dans la déclaration de
la Commission Justice et Paix, lorsqu’elle dit :
Nous prions pour tous, pour ceux qui joignent leurs efforts aux
nôtres, et pour ceux qui, aujourd’hui, nous font du tort, et même
pour ceux qui nous tuent. Nous prions que Dieu leur permette de
voir la bonté qu’il a déposée dans le cœur de chaque être. Que Dieu
transforme chaque personne au fond de son cœur, lui apprenant à
aimer son prochain comme Il le fait, Lui qui est le Créateur et l’Ami
de tous. Notre seule protection est dans le Seigneur et, comme Lui,
nous offrons nos vies pour ceux qui nous persécutent aussi bien que
pour ceux qui, avec nous, défendent l’amour, la vérité et la dignité.
David Neuhaus s.j.
Traduit de l’anglais par François Euvé s.j.
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3. Discours du 25 mai 2014.
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