Dit de la Force et de l`Amour La Courbe de tes yeux
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Dit de la Force et de l`Amour La Courbe de tes yeux
Dit de la Force et de l'Amour Entre tous mes tourments entre la mort et moi Entre mon désespoir et la raison de vivre Il y a l'injustice et ce malheur des hommes Que je ne peux admettre il y a ma colère Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce Le pain le sang le ciel et le droit à l'espoir Pour tous les innocents qui haïssent le mal La lumière toujours est tout près de s'éteindre La vie toujours s'apprête à devenir fumier Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini Un bourgeon sort du noir et la chaleur s'installe Et la chaleur aura raison des égoïstes Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas J'entends le feu parler en riant de tiédeur J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert Toi qui fus de ma chair la conscience sensible Toi que j'aime à jamais toi qui m'as inventé Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre Tu rêvais d'être libre et je te continue. Paul Eluard La Courbe de tes yeux La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs, Parfums éclos d'une couvée d'aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l'innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards. Paul ELUARD, Capitale de la douleur, (1926) Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l'orage Sur la pluie épaisse et fade J'écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J'écris ton nom Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J'écris ton nom Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J'écris ton nom Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l'écho de mon enfance J'écris ton nom Sur l'absence sans désirs Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J'écris ton nom Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées J'écris ton nom Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l'espoir sans souvenir J'écris ton nom Sur tous mes chiffons d'azur Sur l'étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J'écris ton nom Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Sur les champs sur l'horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J'écris ton nom Sur chaque bouffée d'aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente J'écris ton nom Liberté. Paul Eluard Poésie et vérité, 1942 Je t'aime Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud Pour la neige qui fond pour les premières fleurs Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas Je t'aime pour aimer Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte Entre autrefois et aujourd'hui Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie Comme on oublie Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne Pour la santé Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas Tu crois être le doute et tu n'es que raison Tu es le grand soleil qui me monte à la tête Quand je suis sûr de moi. Paul Eluard - Le Phénix La victoire de Guernica I Beau monde des masures De la nuit et des champs II Visages bons au feu visages bons au fond Aux refus à la nuit aux injures aux coups III Visages bons à tout Voici le vide qui vous fixe Votre mort va servir d'exemple IV La mort cœur renversé V Ils vous ont fait payer le pain Le ciel la terre l'eau le sommeil Et la misère De votre vie VI Ils disaient désirer la bonne intelligence Ils rationnaient les forts jugeaient les fous Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux Ils saluaient les cadavres Ils s'accablaient de politesses VII Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde VIII Les femmes les enfants ont le même trésor De feuilles vertes de printemps et de lait pur Et de durée Dans leurs yeux purs IX Les femmes les enfants ont le même trésor Dans les yeux Les hommes le défendent comme ils peuvent X Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges Dans les yeux Chacun montre son sang XI La peur et le courage de vivre et de mourir La mort si difficile et si facile XII Hommes pour qui ce trésor fut chanté Hommes pour qui ce trésor fut gâché XIII Hommes réels pour qui le désespoir Alimente le feu dévorant de l'espoir Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir XIV Parias la mort la terre et la hideur De nos ennemis ont la couleur Monotone de notre nuit Nous en aurons raison. Paul Eluard, Cours naturel, 1938
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