Sur un ton railleur, dénoncer et décrire les principaux travers
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Sur un ton railleur, dénoncer et décrire les principaux travers
Notes de lecture / 113 Petit lexique pour l’usage du travailleur social, par Thierry Darnaud et Guy Hardy (Chronique Sociale, 2006, 113 p.) 7 millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes, par Jacques Cotta (Fayard, 2006, 301 p.) J’ouvre ce livre en toute confiance : je me dis que les auteurs connaissent bien le milieu et que ces « conseils aux travailleurs sociaux et aux bénéficiaires » pourraient bien servir… On nous prévient dès l’introduction (on se protège du froid en sortant les couvertures tout de suite ?) qu’un pamphlet est un écrit forcément féroce, qui peut donc déplaire, agacer, provoquer des sueurs et des nausées…certes ! Mais ça va bien au-delà ! Et c’est tout le problème… Cet ouvrage aborde un sujet jusque là confidentiel, voire tabou, mais devenu récurrent aujourd'hui. Evoquer, démontrer, dénoncer l'existence des travailleurs pauvres relèverait-il du pamphlet politique, dans notre société actuelle, alors que le pays n'a jamais été aussi riche ? Jacques Cotta, journaliste à Radio France, mène l'enquête avec précision et objectivité, sur ce qu'est le quotidien de plus de 7 millions de salariés qui perçoivent un salaire inférieur à 722 euros mensuels : difficulté à se nourrir, à se loger, à se vêtir, à payer la cantine de ses enfants... Bref, à vivre décemment. Plus de 12 millions de personnes ont moins de 843 euros/mois et plus de 3 personnes SDF sur 10 ont un travail à temps complet, partiel ou précaire, et gagnent entre 900 et 1300 euros/mois. Jacques Cotta nous brosse des portraits d'hommes et de femmes, dits travailleurs pauvres : Laïfa, boulanger-pâtissier au chômage et qui ne se voit proposer que des remplacements loin de chez lui et sans hébergement ; Didier et Charly, bardés de diplômes, mais qui se définissent comme « profs et précaires » ; Seïdou qui travaille pour 500 euros/mois dans une société de nettoyage ; Claude, agriculteur, qui « craque » tragiquement, à force d'amendes et de pénalités de retard... Les principaux problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs pauvres sont liés au travail : sa régularité, sa nature, et bien sûr le salaire. Le problème est encore plus crucial à Paris et dans sa proche région, où les loyers sont plus élevés et les travailleurs pauvres plus nombreux. Pour obtenir un logement, les critères que mettent en avant un employé de grande surface, un ouvrier intérimaire ou un artiste intermittent sont jugés peu fiables par les bailleurs. L'écueil le plus flagrant : la régularité des ressources à justifier désormais sur plusieurs années Sur un ton railleur, dénoncer et décrire les principaux travers du travail social, bon, admettons. Ces idées sont connues, je les ai lues ailleurs et autrement… Mais au nom de quoi (et à qui profite le crime ?) peut-on écrire aux « gueux », bénéficiaires obligés du travail social : « votre sincérité sera mise en doute à coup sûr » ; « le rôle du travailleur social n’est pas de vous aider » ; « il doit surveiller les gueux déviants » ; « le manque d’éthique dont fait preuve l’ensemble (!) des équipes médico-psycho-sociales chaque fois que vos propos sont divulgués sans votre accord ne heurte pas grand monde » ; « le seul principe d’une réflexion digne de ce nom est banni des formations des travailleurs sociaux » etc. (On se demande seulement pourquoi vous y participez…). Seules les questions sont importantes, dites-vous en conclusion…je n’ai trouvé ici que formules pesantes et assertions péremptoires qui abîment le genre pamphlétaire. J’arrête là, je ne voudrais pas par mes propos incendiaires allumer la curiosité de quelque lecteur, surtout pas. Patricia Vallet Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 114 consécutives, et un salaire équivalent à 3 fois le loyer demandé. Mais l'inaccessibilité des logements pour des millions de personnes a aussi permis l'éclosion tranquille et prospère d'une nouvelle profession : celle des marchands de sommeil, qui louent des chambres d'hôtel plus ou moins miteuses à des prix exhorbitants, à ceux qui n'ont rien. Dans cet ouvrage, l'auteur nous revèle le nouveau visage de la pauvreté et de la précarité en France. Touchant une frange toujours plus large de nos concitoyens, cette précarité est d'autant plus dérangeante et honteuse qu’elle met à mal l'efficience même des travailleurs sociaux : ils répondent aux critères « classiques » de l'insertion sociale, mais sont exclus d'un certain nombre de droits élémentaires, comme celui d'avoir un toit et de se nourrir. En somme, des personnes qui nous ressemblent étrangement, et c'est aussi en cela que le sujet est si dérangeant. Céline Chantepy usités par des discours divers, du médiatique au politique. Par un examen des plus rigoureux, nourri par des ancrages à la fois philosophiques et historiques, les notions et concepts clés de la sociologie transversale de la différenciation et de la hiérarchisation sociale sont revisités. Considérant en effet que certains termes peuvent être arbitraires, ambigus, quand certains peuvent s’avérer dangereux, l’auteur rappelle que toute démarche sociologique se caractérise par la rigueur, élément fondamental de scientificité. Ainsi, des notions ou termes tels que idéologie, différenciation, hiérarchie sociale, race, culture, nation, racisme, sont passés au crible et « à la moulinette » du chercheur, permettant ainsi de dépasser le terme, pour en extraire la chose. Quitter le sens des mots pour celui de l’emploi de ceux-ci, « ne pas se laisser jouer par ces derniers », abandonner la sociologie « portative » ou spontanée, telle est l’invite lancée par Simon, incitant ainsi le lecteur à reconsidérer les mots usuels, vidés généralement de leur substance, et à explorer la relation parfois désincarnée entre le signifiant et le signifié. Obscures, confuses, équivoques, la taire de Rennes, 2006, 347 p.) pensée et l’idéologie raciale ou raciste ont joué et jouent de manière constante sur la confusion sémantique. « Analyser cette Cet ouvrage, fruit d’une réflexion construite sur plusieurs années, se situe dans le champ communément appelé de la sociologie des relations ethniques. L’ensemble des travaux rassemblés par Pierre-Jean Simon s’articule autour des « relations sociales », des relations interculturelles, des problèmes de minorités, d’immigration, ainsi que des questions régionales ou nationalitaires. Longtemps remisée au second plan, l’analyse des relations interethniques par les sciences sociales retrouve dans cette compilation de textes une place centrale. La démarche choisie par Simon procède de la reconsidération ou déconstruction de termes confusion, c’est dénoncer un mythe, le plus dangereux du monde moderne ». Par la saisie de termes à forte charge polémique, Simon nous permet d’échapper aux discours construits, pour rejoindre celui de la réflexion et de l’analyse. Cet ouvrage se constitue donc comme un outil riche, dense, précis, permettant ainsi à tout lecteur, chercheur, travailleur social, juriste, étudiant ou tout simplement curieux, de « kärchériser » ou « nettoyer » un certain nombre de concepts clés dans la construction notamment d’une idéologie. Parce que la manière dont la diversité des sociétés humaines et de notre société est saisie et questionnée dans cet ouvrage, parce Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités, par Pierre-Jean Simon (dir.) (Presse universi- Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org Notes de lecture que les choix politiques et idéologiques sont traversés aujourd’hui par des thématiques et des choix qui conditionnent le vivre ensemble, parce que le caractère ethnique et la notion d’identité constituent une menace lorsqu’ils sont utilisés ou mobilisés pour des mobiles troubles ou sectaires, le travail de Pierre-Jean Simon trouve un sens qui dépasse certainement le simple cadre de la sociologie ou de la recherche. A un moment crucial où chaque Etat légifère et tend à se protéger de l’autre, différent, devenu le symbole de l’insécurité et du mal être, cette réflexion, qui se situe en amont des phénomènes sociaux, permet d’éclairer le sens profond de la relation à l’autre. Ahmed Nordine Touil / 115 jectif à atteindre (scolarisation réussie de l’enfant handicapé dans le système scolaire ordinaire), Louis et Ramond passent en revue les nouveaux outils préconisés par la loi et, bien évidemment, s’arrêtent assez longtemps sur le projet personnalisé de scolarisation dont chaque enfant fera l’objet. Ils n’en oublient pas pour autant de redéfinir les CLIS et autres UPI pour lesquelles ils entrevoient de nouvelles compétences. En conclusion, un ouvrage qui dresse une nouvelle philosophie de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Un ouvrage cependant écrit avec en filigrane une réussite envisageable en fonction de la capacité de chacun (professionnels et parents) à s’impliquer réellement dans l’accompagnement de l’enfant. Guy Vanwaelscappel Scolariser l’élève handicapé, par Jean-Marc Louis et Fabienne Ramond (Dunod, 2006, 265 p.) La loi de février 2005 a mis l’accent sur le droit à la scolarisation de tous les enfants, y compris l’enfant handicapé qui, aujourd’hui, doit être inscrit à l’école de son quartier. Au-delà de cette volonté politique affirmée, les auteurs soulèvent la question de la modification des pratiques enseignantes. Pour les auteurs : « la mentalité collective de l’Ecole, celle des enseignants se doit d’évoluer en même temps que la pédagogie doit s’adapter aux besoins, capacités et potentiels spécifiques de ce public ». L’ouvrage balaie de façon assez fouillée les différents domaines susceptibles de répondre à cette nouvelle donne proposée à l’école. Pour chaque axe exploré, les auteurs partent d’une définition pour ensuite envisager les pistes qui leur semblent les plus appropriées. C’est ainsi qu’ils abordent la scolarisa- tion en tant que « système complexe ». La place des parents (ou représentants légaux) fait l’objet d’une partie complète. A partir des exigences de la loi et donc de l’ob- Psychiatrie et folie sociale, par JeanPaul Arveiller (Erès, 2006, 253 p.) Faut-il psychiatriser la souffrance psychique produite par la société contemporaine ? La réponse proposée par Jean-Paul Arveiller est affirmative. « La psychiatrie ne peut être autre chose qu’une anthropopsychiatrie » déclare l’auteur, ne contredisant en cela en rien la tradition sociale de cette discipline. Pour s’adapter à ce nouveau champ d’intervention qu’est le social et recevoir toute plainte ou demande des individus qui s’adressent à elle, la psychiatrie doit tendre vers un soin plus « soignant », moins humanitaire mais plus humain et ne plus répondre en terme d’urgence sociale. C’est ainsi qu’en jouant un partenariat avec les différents acteurs sociaux du champ, elle pourra assurer son rôle fondamental qui n’est autre, selon l’auteur, qu’une « requalification du social ». Voici donc une réflexion largement menée sur les modalités institutionnelles et les nouvelles pratiques cliniques attenantes à l’explosion de ces « passions tristes ». La nécessité du soin repose là clairement sur Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 116 un constat de crise sociale et une intention philanthropique. Si l’auteur tend à questionner à ces endroits la légitimité de la prise en charge thérapeutique, il clôt toutefois le chapitre, laissant en suspens nombre de considérations d’ordre social et politique. En effet, répondre médicalement à cette souffrance psychique d’origine sociale, n’est-ce pas attribuer aux individus jugés défaillants une maintenance thérapeutique, répondant en symétrie aux normes de responsabilité individuelle, d’autonomie et de performance responsables précisément de cette souffrance ? Autrement dit, lorsque les professionnels de la relation, toutes spécialités confondues, instituent l’accompagnement individuel, ne se réfèrent-ils pas à cette même règle qui est de produire une individualité susceptible d’agir par elle-même et de se modifier en s’appuyant sur ses ressorts internes ? Comment penser alors l’objet d’une prise en charge thérapeutique qui ne se conformerait pas aux injonctions sociales actuelles et ne reproduirait pas finalement ce qu’elle conteste et tente de transformer ? C’est à ces questions principales que ne s’attaque pas l’auteur dans son plaidoyer, excluant finalement de son propos et de sa discipline leur dimension politique et sociale. Si l’ouvrage ne cesse pourtant de montrer que notre société produit une violence sociale et par conséquent une souffrance psychique certaine, il écarte la question qui serait aussi de se demander ce que produit à son tour le traitement psychiatrique de cette souffrance. La contextualisation socio-politique de cette discipline n’est finalement envisagée ni en amont ni en aval de la pratique thérapeutique. Allant en ce sens, retenons une question relative aux politiques sociales dont l’actualité est brûlante et qui ne semble guère faire polémique pour l’auteur. La mission de prévention et de santé publique attribuée aux psychiatres et autres experts du bien-être mental n’est-elle pas un déplacement des problématiques sociales au profit d’un traitement médical, une manière de les travailler techniquement, et pour le dire comme Robert Castel une façon de « recouvrir leur signification socio-politique d’ensemble pour en faire une pure question technique, relevant de la compétence d’un spécialiste neutre » ? Géraldine Landry Familles contemporaines et temporalités, par Laurence Charton (L’Harmattan, 2006, 260 p.) Que l’on soit passionné(e) par le sujet ou que l’on s’y arrête par simple curiosité, le livre de Laurence Charton sur les évolutions familiales dans les pays d’Europe occidentale viendra satisfaire le lecteur. L’auteur, maître de conférences à l’université de Strasbourg, a su à la fois allier la rigueur d’une démarche de recherche à une écriture accessible qui en rend la lecture facile et prenante. Ce n’est certes pas un roman policier, mais on se surprendra à vouloir connaître les logiques qui sous-tendent les transformations familiales de ces 40 dernières années et de ce fait à avancer avec rapidité au fil des pages. Pour tenter d’expliquer les changements familiaux observés, Laurence Charton a choisi de scinder sa démarche en deux parties. La première fait référence aux divers travaux théoriques et empiriques récents qui tentent, en fonction de changements sociaux concomitants, d’y apporter des éléments de réponses. Cette synthèse enfonce parfois des portes ouvertes mais aussi met à mal des idées reçues et d’une manière générale se révèle fort instructive. Il est toutefois évident, pour Laurence Charton, que les faits sociaux isolés des individus et inversement les comportements culturels et individuels considérés indépendamment du contexte sociétal ne peuvent expliquer les transformations familiales obser- Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org Notes de lecture vées. Ce n’est, nous dit-elle, qu’en tenant compte de l’acteur social et de son contexte qu’on appréhendera vraiment au plus près le phénomène. Au-delà de la cause, elle propose de rechercher le sens que l’acteur donne à son existence et par là même à ses actes pour comprendre les logiques qui sous-tendent son comportement. Cette compréhension apporte un éclairage nouveau sur la question initiale et la relie directement au rapport au temps que les uns et les autres développent. Ainsi dans sa deuxième partie c’est à partir de seize récits de femmes, de seize parcours familiaux différents, qu’elle analyse étape après étape les trajectoires des unes et des autres et nous fait partager ses conclusions. Ainsi ce qu’elle appelle les calendriers familiaux lui permettent de dégager trois grands types d’appartenance : celui où les comportements s’inscrivent dans le temps de la continuité et de la tradition, celui où les comportements s’inscrivent dans le temps de l’expérience et de l’individualisation, celui enfin où les comportements s’inscrivent dans le temps de l’individu. La lecture achevée, il apparaît que cet ouvrage mérite à mon sens une place privilégiée dans la bibliothèque afin de pouvoir s’y référencer et surtout de s’y replonger à de nombreuses occasions. Maurice Leduc Les initiatives solidaires, par Laurent Gardin (Erès, 2006, 191 p.) Même si le terme devient générique et rejoint la cohorte des termes usuels, la notion d'économie solidaire, née des initiatives non-reconnues dans le secteur de l'économie sociale et d'une démarche étrangère, est au coeur de cet ouvrage. En effet, Laurent Gardin, au travers de l'analyse d'une centaine de réalisations sur dix années qui ont la particularité d'incarner le principe de réciprocité, tente de répondre à la question suivante : « Dans quelle mesure était-il perti- / 117 nent de faire appel au principe de réciprocité pour rendre compte des nombreuses initiatives que l'on a l'habitude de recenser dans l'économie solidaire ? ». Souhaitant rendre visible et lisible une réalité complexe, 3 typologies de réciprocité sont déclinées : la réciprocité inégalitaire qui induit l’idée d’une action neutre de la part du bénéficiaire, la réciprocité entre pairs qui suppose la création d’un « système » qui permette de répondre à certains besoins et la réciprocité multilatérale qui autorise des acteurs aux positions différentes « d’avoir voix au chapitre ». L’intérêt de l’approche tient à l’inscription de cette notion dans une dynamique qui rompt avec les notions d’assistance ou de charité, ne conduisant à considérer dans l’économie solidaire que les actions traversées par une réciprocité égalitaire. Grâce à ce travail, il semblerait que nous puissions avoir accès à des critères ou des indicateurs qui nous permettent de reconnaître en quelque sorte si une initiative relève bien de l’économie solidaire. De plus, l’intérêt tient entre autres à la mise en valeur de projets de l’économie solidaire habités par ce principe de réciprocité. Construit de manière empirique, cet ouvrage nous invite tout d’abord à une approche conceptuelle, pour nous conduire ensuite vers les différentes formes de réciprocités incarnées dans les initiatives solidaires. Vient ensuite la problématisation, notamment au travers de la manière dont se réalise « une impulsion réciprocitaire » dans l’émergence des initiatives, démarche qui nous conduit vers des questionnements centrés sur la place de ces principes de réciprocités dans les champs de la sociologie économique. Alors que se dessinent de nouvelles modalités d’appréhension de la place pouvant être donnée à chaque citoyen afin qu’il se sente présent au sens social du terme, à l’heure où les privés d’emplois et les autres vivent une insécurité sociale réelle, des projets citoyens tentent d’inventer d’autres modalités d’échanges, de partages, dans une parité d’estime qui Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 118 permet de mobiliser la ressource chez chacun au profit d’un collectif. De toute évidence, cet ouvrage permet de déconstruire ce terme d’économie solidaire tellement usité qu’il est parfois dépossédé de son essence, et en même temps, révèle les capacités de changement politique que peuvent impulser les initiatives solidaires. Même si son approche « économique » peut refouler les insensibles à ce champ, cet ouvrage est une vraie ressource pour toutes les personnes curieuses de réfléchir à la notion de réciprocité, les invitant à imaginer les postures qui permettent à des personnes de ne pas se retrouver en situation de dette, alors que leur situation sociale et professionnelle les placent déjà en posture délicate. Ahmed Nordine Touil Guide de l’éducation spécialisée, par Guy Dréano (Dunod, 2006, 481 p.) L’auteur articule son ouvrage autour de trois axes : une analyse des fondements et de l'évolution de l'éducation spécialisée, une synthèse des thèmes d'intervention et des indications, une présentation du cadre réglementaire et administratif, une description synthétique des contenus professionnels (relation éducative, médiation, évaluation, formation). L'ouvrage tient compte de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. On regretterait peut-être ce « retranchement » de l’auteur derrière ce qu’il appelle « ce métier » lorsqu’il parle de l’éducation spécialisée. En effet, l’éducation spéciali- sée ne se caractérise-t-elle pas par une intervention pluriprofessionnelle ? En conclusion, un livre riche et très bien documenté, qu’il faut lire aussi entre les lignes pour ne pas s’enfermer dans l’idée que l’éducation spécialisée pourrait être l’affaire d’une « mono-profession ». Guy Vanwaelscappel La rue « choisie », par Gilles Orcel (L’Harmattan, 2006, 287 p.) Cet ouvrage propose une approche originale d’un sujet déjà maintes fois traité, d’une part parce que son auteur n’est pas seulement un sociologue mais aussi un architecte et, d’autre part, parce qu’il situe la démarche de sa recherche et ses fondements épistémologiques dans le domaine de la sociologie de l’imaginaire de Gilbert Durand et Gaston Bachelard. L’auteur se propose de dégager les formes sociales contribuant à réinvestir l’espace social de la rue dans une perspective créative, éloignée des archétypes de l’exclusion ou de la déstructuration identitaire. Ainsi abordée, la rue devient non seulement un lieu sensible de créativité, mais aussi un lieu choisi pour des personnes vivant la marginalité sociale au quotidien. Par une pratique de l’observation participante, longue (trois ans d’enquête) et difficile (population de personnes sans domicile fixe), à laquelle il convient d’ajouter un important corpus d’entretiens, l’auteur investit un univers à l’équilibre incertain : une fine oscillation entre la « rue choisie » et la « rue subie ». D’un autre côté, il ne s’agit pas d’aborder directement la population de la rue par ses manques, mais bien de mettre au jour une véritable poétique de l’espace. Poétique au sens de ce qui structure, c’est-àdire que la rue peut être comprise comme un support dynamique des espaces urbains identifiés et identifiables comme moyen de production d’une certaine qualité de sociabilité. Vivre « la » rue plutôt que vivre « dans » la rue. La rue constitue un lieu d’initiation, d’engagement de la relation et de l’échange social. Au-delà encore, la rue devient le catalyseur d’une expérience de la vraie vie, dépouillée des artifices de vies décrites et perçues comme conventionnelles (« métro, boulot dodo »). Elle rend possible ce qui ne serait pas possible autrement : une liberté illimitée, Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org Notes de lecture une vérité sans fard, une vraie solidarité, une authentique fraternité. Étrange situation où tout semble inversé par le simple jeu d’une construction imaginaire. Il s’agit en fait d’un consensus provisoire s’articulant sur une vision et une conception mythiques de la rue. En effet, cette sorte de « réenchantement social » se situe à mi-chemin entre une forme d’anarchisme romantique (refus de l’autorité, refus du patron, refus des contraintes, etc.) et une proximité avec une certaine philosophie christique (le « bon pauvre », la victime expiatoire, la nécessaire mise en scène du dénuement). Ceci étant, l’imaginaire de la rue n’échappe en rien à la noirceur des réalités individuelles d’homme et moins souvent de femmes, faites de ruptures affectives (séparation, abandon), d’échecs (scolaire, familial, culturel). Le mythe de la rue répond de manière provisoire à l’espérance d’un autre monde en attente, forcément différent et meilleur. C’est aussi la possibilité de mettre en œuvre le moyen de sortir de Soi (de sa condition matérielle) dans un autre rapport à l’Altérité. Ainsi la rue, scène sociale, offre l’expression et le développement d’un langage particulier, d’éléments vestimentaires codifiés et diversifiés, d’investissements dans des pratiques groupales, et donne la possibilité d’un minimum de consensus grâce au partage d’un imaginaire commun et fragile qui à la première défaillance disparaît. Denis Fleurdorge Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, sous la direction de JeanYves Barreyre et Brigitte Bouquet (Bayard, 2006, 638 p.) La première édition du Dictionnaire critique d’action sociale datait de 1995. C’est donc avec intérêt et empressement que nous avons pris connaissance de la version mise à jour en 2006. / 119 43 notices, jugées trop générales ou tout simplement désuètes par un comité scientifique solidement constitué, ont été supprimées dans cette version et 88 mots nouveaux ont été intégrés à cet ouvrage. Au total, quelque 300 mots clés –(précisément 281, si on se réfère à l’index) sont présentés et explicités, selon des axes volontairement critiques et pluriels, ce qui favorise l’éclairage des conditions de validité et d’usage des notions et concepts rassemblés ici. Cet ouvrage est le fruit d’un cercle de contributeurs importants : 132 professionnels (enseignants, universitaires, chercheurs, praticiens…) et d’un comité scientifique composé de manière adroite et judicieuse. Ce dictionnaire, à la fois précieux et ambitieux, permet, de toute évidence, de définir un fonds conceptuel commun aux acteurs du social, en présentant des cadres de pensée et des références critiques utiles. Il contribue, par ailleurs, à une meilleure lisibilité de la culture sociale et à son partage. En outre, ce Nouveau dictionnaire critique d’action sociale s’avère être un outil opératoire qui permet une compréhension fine des enjeux du social et cela ne peut que favoriser, à terme, l’optimisation des interventions au service des valeurs d’égalité et de solidarité avec les usagers. Il faut également souligner, et c’est important, la présence systématique de références bibliographiques à la suite de chaque notice. Cela permet aux lecteurs de prolonger aisément l’analyse des concepts et notions qui figurent dans ce dictionnaire et de charpenter davantage leurs connaissances à propos des multiples sujets traités. Le social aujourd’hui, de A à Z, pourrait-on dire dans un raccourci brutal. De l’Âgisme à la Zone – galère –, de l’Analyse des pratiques aux Valeurs, de l’Approche biographique à la Validation des acquis de l’expérience, en passant par le Capital social, la Gouvernance, l’Homoparentalité, la Médiation familiale, le Secret des origines ou bien encore la Téléphonie sociale… Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 120 quelques 300 mots clés, donc, pour poser précisément les problématiques sociales et pour définir toute activité humaine et institutionnelle au service des individus et des groupes en difficulté. La réalisation de ce Nouveau dictionnaire critique d’action sociale est à saluer, sans l’ombre d’un doute. Il s’agit d’un outil d’un usage facile, absolument indispensable pour les professionnels du secteur, les formateurs, les étudiants, bref, pour toutes les personnes sensibles à la Question sociale (cf p. 483). individualisé), ceux qui sont utilisés dans le cadre de la communication interne (note interne ou de service, cahier de liaison) et ceux utilisés dans la relation avec l’usager ou les partenaires (courriers). Une bibliographie modeste et une série d’annexes agrémentent ce guide. Notons le recensement des questions les plus fréquemment posées par les étudiants au sujet des écrits, les réponses à ces questions, et enfin un grand nombre d’écrits commentés et corrigés. Sophie Ansart Philippe Crognier Maîtriser les écrits du social, par Nathalie Mathieu (ASH, 2006, 144 p.) Nathalie Mathieu, directrice du CAMPS du Béarn, cumule les atouts propres à lui permettre de réaliser avec brio un guide des écrits du social simple et pédagogique puisqu’elle possède un DEA en sciences de l’éducation, un diplôme de l’Institut français de presse et du Centre de formation des journalistes, un certificat en droits de l’homme ainsi qu’un passé de formatrice aux écrits professionnels. Dans ce guide, un objectif majeur et de taille : aider tout professionnel dans la démarche rédactionnelle. C’est pourquoi, chaque point abordé donne un certain nombre de clés facilitatrices et se trouve illustré d’un grand nombre d’exemples. Le premier chapitre traite de l’obligation d’écrire, du contexte législatif des écrits professionnels, de l’évolution du sens de l’écrit, notamment par la loi du 2 janvier 2002, sans omettre de rappeler que la loi du 17 juillet 1978 permet l’accès de tout bénéficiaire à son propre dossier administratif. Le second chapitre traite de la spécificité des écrits du social en donnant caractéristiques, pistes méthodologiques et architecture de chaque type d’écrit que l’auteur classe en 3 familles : ceux qui accompagnent la prise en charge (note d’information, rapport et projet Quand on n'a plus que son corps, par Gisèle Dambuyant-Wargny, (Armand Colin, 2006, 230 p.) L'auteur, sociologue et chercheur dans le champ de la précarité et du travail social, part du postulat suivant: le corps est objet de significations, le dernier sur lequel toute personne exclue, marginalisée, peut encore exercer un choix. Se servir de son corps pour interpeller autrui et susciter le regard afin de laisser entrevoir de multiples indicateurs quant à son état : attitudes, tenues vestimentaires, hygiène, problèmes de santé, dénutrition ou excès de poids... Ces marqueurs physiologiques sont autant de marqueurs de la précarité et de la survie dans laquelle se maintiennent les personnes démunies. Plus la personne s'installe dans un processus d'exclusion, plus son corps en portera les traces et traduira un état de détérioration plus ou moins avancé. Quant à maintenir des relations sociales, il s'agit de déployer de véritables stratégies d'hygiène et de soins. Pour les femmes, continuer à se maquiller, même en « galère », peut devenir essentiel à cette survie ; pour d'autres, le choix d'un vêtement traduira son mode de vie (à la rue ou en structure, faisant la manche ou fréquentant les services sociaux, etc). Mais le corps réagit aussi à cet univers hostile que constitue « la rue ». Un état de Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 121 souffrance permanent s'installe bien souvent, tant physiquement que psychologiquement. Face à cette « mauvaise santé », on rencontre généralement deux attitudes opposées : le déni de son mal, ou la reconnaissance (et l'affirmation) de son problème. Mais très souvent, l'image du médecin et de la médecine en général reste très dévalorisée auprès des personnes démunies : peur de l'hospitalisation, de l'enfermement, des médicaments qui assomment et rendent vulnérables. Dans ce contexte, les pratiques addictives sont largement répandues : surconsommation d'alcool, de drogues, de psychotropes, pour mieux supporter le quotidien. Comment alors repérer dans toute cette détérioration des corps l'existence de liens sociaux ; car la personne exclue continue de maintenir et même de développer une forme de communication avec autrui, une « sociabilité de galères ». Ne serait-ce qu'avec ses pairs qui partagent son quotidien ! Quant aux liens familiaux, aux relations affectives, elles sont difficiles à maintenir, et les ruptures sont souvent irrémédiables. Et là aussi, le corps rappelle sa fragilité, son état d'usure, sa vulnérabilité, son impuissance... Dans ce monde de la survie, le corps peut être considéré comme objet de travail : il s'échange dans une interaction (manche ou prostitution), et peut devenir outil de travail pour tous les « bricolages » en matière de survie économique. Mais au-delà de cette approche pertinente de la précarité et de l'exclusion, c'est la question de la réponse sociale que pose l'auteur. Quelles gestion sociale de ces « corps précaires » ? Le RMI pour une insertion socio-économique, l'hôpital pour ses soins, les travailleurs sociaux pour l'écoute, les associations pour leurs soutiens logistiques ? In fine, l'auteur s'autorise à pointer les lacunes du système de prise en charge de ces publics meurtris et précaires : la gestion sociale actuelle ne prend pas suffisamment en compte les trajectoires corporelles de ces hommes et de ces femmes. Pourquoi ne pas imaginer des prises en charge plus novatrices de « récupération corporelle ». Enrayer la détérioration d'un corps, la repérer physiquement, psychologiquement, la reconnaître et en prendre soin, avant de parler d'insertion professionnelle. Panser les blessures de la vie avant de pouvoir de nouveau se sentir aimable (au sens éthymologique du terme) et de se projeter de nouveau. En conclusion, cet ouvrage est efficace par son écriture sobre et précise, efficient par son regard éclairé sur le monde des exclus, rassurant par sa « différence », son ouverture d'esprit et sa force de proposition quelque peu décalée. Céline Chantepy L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, par Abdelmalek Sayad (Liber, 2006, 125 p.) De l’invisibilité d’une population à l’accès à sa citoyenneté, tel est l’enjeu mis en lumière par l’auteur. Il témoigne d’un itinéraire quelque peu destructuré par l’exil de ces familles algériennes qui ont quitté leur terre natale pour s’installer en France. Déracinement creusé par la naissance de leurs enfants français. Désormais deux frontières, deux territoires s’affrontent : celui d’un pays resté en mémoire dont les traditions sont portées comme un étendard et de l’autre une géographie hostile à ses propres habitants. « Ces enfants illégitimes » que décrit l’auteur recèlent en eux toute la complexité d’une double appartenance : celle des parents et celle de leur pays de naissance. C’est par l’interview d’une jeune fille dite de deuxième génération que s’articulent les tabous d’une part d’une communauté aux aguets, et d’autre part d’une société postcoloniale qui ne reconnait pas ses propres Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org / 122 enfants et qui par là même refuse une citoyenneté pleine et vécue. Le parcours de cette jeune fille contient toutes les contradictions qui peuvent émerger de cette existence : au-dehors et au-dedans de sa communauté d’origine. Zahoua est la seule dans sa famille à avoir fait des études et cela l’amène à adopter un point de vue décentré, décalé de ses expériences et des relations avec sa famille, son quartier... Abdelmalek Sayad a mille fois raison lorsqu’il décrit les processus de déviation et d’exclusion dont sont victimes les immigrés et leurs enfants de la part des institutions républicaines (école, justice...). Il nous interroge sur la place qu’on veut bien leur accorder : celle de citoyens déclassés, simples figurants, qui n’aboutit pas à la construction d’identité civique. Najima Rouabah « L’autoformation : actualité et perspectives », Education permanente, (N° 168 septembre 2006, 236 p.) Ce numéro d’Education permanente nous propose une revue de questions sur l’autoformation à travers quatorze articles sur le thème, plus deux autres articles sur l’apprentissage par l’action et le e-learning. Plus de deux cents pages très denses, très riches, d’une lecture pas toujours des plus faciles. Mais rassurez-vous il y a un résumé pour chaque article. On rentre dans le sujet progressivement grâce aux premiers articles introductifs et généralistes. Ainsi dans un premier chapitre, G. Pineau retrace l’émergence de la notion d’autoformation (dans les années 70) et des approches conceptuelles qui progressivement jalonnent ces pratiques. Il n’hésite pas à resituer les enjeux du débat dans celui plus large et plus politique de la mondialisation marchandisée et de possibles altermondialisations. P. Carré développe ensuite comment l’autoformation s’inscrit dans une nouvelle culture de la formation, elle-même prise dans les figures de l’hypermodernité de la société cognitive et du savoir devenu enjeu stratégique des individus et des sociétés. Dans ces figures imposées, il note un chaînon manquant du discours : celui de « l’apprenance ». Il insiste enfin sur les limites de l’autoformation : les pratiques qui se restreindraient au « solo », laissant l’individu tout seul ; l’illusion que cela coûterait moins, alors que cela coûte autrement ; le risque de réduire l’autoformation à des plages de réserve d’Indiens. Je ne résumerai pas ensuite tous les articles qui montrent la complexité de l’approche, articulant des dimensions psychologiques de l’apprentissage et des dimensions sociales, institutionnelles et politiques car si l’autoformation est souvent discutée dans des termes de prise de responsabilité (dans l’article de Boutinet notamment), de prise de conscience existentielle, il apparaît aussi que l’autoformation peut venir renforcer des logiques très libérales dans lesquelles se défont les systè- mes formatifs structurants et démocratiquement pensés. Les références des auteurs sont souvent très larges, allant des grands psychologues de l’apprentissage (Piaget, Vygotski, Bandura), aux grands philosophes (Spinoza, Ricoeur, Habermas, Simondon). Ce numéro peut donc faire référence sur la question. Il faut le prendre, le reposer, le laisser reposer, revenir sur la lecture article par article, pour en profiter pleinement. Jacques Fraisse Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à nous faire part de vos lectures. Positives ou critiques, vos notes de lecture (ouvrage ou périodique) nous éclaireront sur l’actualité éditoriale ou revisiteront des textes fondamentaux sur le travail social. Téléchargement gratuit des n° épuisés sur www.lesociographe.org
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