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LE TRAVAIL : une addiction potentielle ? L. Karila (1, 2, 3), K. Liot (2), M. Reynaud (1, 2) RÉSUMÉ : Le concept de l’addiction au travail (ou «workaholism») est apparu Outre-Atlantique il y a 40 ans. Il était alors décrit comme étant une dépendance au travail au même titre qu’une dépendance à une substance psychoactive. Différents modèles théoriques et différentes définitions ont été proposés. Malgré l’intérêt grandissant pour cette maladie, l’addiction au travail n’a fait l’objet que d’un nombre restreint de travaux. Cliniquement, l’addiction au travail peut se présenter de façon très variée selon les sujets. Elle est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur la santé physique et mentale des individus concernés, ainsi que sur leur entourage familial et professionnel. La prise en charge de ce trouble doit être globale, et peut faire appel à différents intervenants. L’objet de ce travail est de proposer une synthèse des données de la littérature, afin d’aider les cliniciens à identifier et à prendre en charge les sujets qui entretiennent un rapport pathologique avec leur travail. Pour ce faire, nous avons interrogé les bases de données suivantes entre 1968 et 2009 : Medline, Embase, PsycINFO, Google Scholar. Mots-clés : Addiction - Dépendance - Travail - Workaholism Workaholic Introduction Le terme addiction se réfère aux patients qui consomment de l’alcool et/ou des drogues. En 1990, Goodman l’a défini comme étant un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut procurer du plaisir et soulager un malaise intérieur. Il se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit de conséquences négatives (1). Le concept d’addiction a progressivement évolué d’une approche centrée sur les produits vers une approche centrée sur les comportements. Cette évolution a permis l’application de la notion d’addiction à un ensemble de troubles qui ne sont pas uniquement en lien avec la consommation de substances psychoactives. L’entité nosologique des dépendances comportementales, également appelée addictions sans produit, regroupe des troubles comprenant le jeu, le sexe, les achats et le travail. Le concept de dépendance comportementale se justifie par le fait que les sujets atteints de ces troubles présentent une symptomatologie clinique similaire à celle retrouvée dans la dépendance aux (1) Université Paris-Sud, 94276 Le Kremlin Bicêtre, France. (2) Centre d’Enseignement, de Recherche et de Traitement des Addictions, Hôpital Universitaire Paul Brousse, AP-HP, 94800 Villejuif, France. (3) Inserm U797, CEA, 91400 Orsay, France. Rev Med Liège 2010; 65 : 2 : 71-77 Work : a potential addiction SUMMARY : Although the term workaholism is widely used, there is very little consensus about its meaning. Since the seventies, workaholism has been described as a work addiction such as drug or alcohol addiction. Similarities with other addictions include craving, withdrawal, tolerance, progressive involvement, and denial. Although considerable attention has been devoted to the concept of workaholism in recent years, little empirical research has been undertaken to further the understanding of this phenomenon. The existence of different types of workaholism has been described. Questionnaires were developed to assess this concept. This heterogeneous disease has negative health, personal, family relationships and professional consequences. Many therapeutic interventions are possible for this unknown addictive trouble. The objective of this paper is to gain a better understanding and knowledge regarding the phenomenon of workaholism. Data obtained for this review are based on a Medline, EMBASE, PsycINFO, Google Scholar search of English- and French-language articles published between 1968 and 2009. Keywords : Addiction - Dependence - Work - Workaholism Workaholic substances psychoactives (2). En créant le terme «workaholism», afin de décrire le rapport pathologique qu’il entretenait avec son travail, Oates fut le premier à émettre l’hypothèse de l’existence d’une addiction au travail (3). Plusieurs définitions de cette pathologie existent dans la littérature. Leurs contenus diffèrent significativement en fonction des modèles théoriques sur lesquels ils s’appuient. Robinson propose la définition suivante : «un trouble obsessionnel compulsif qui se manifeste par des exigences auto-imposées, une incapacité à réguler ses habitudes de travail, et un hyper-investissement dans le travail qui mènent à l’exclusion de la plupart des autres activités de la vie» (4). La définition la plus employée est certainement celle de Spence et Robbins. La caractéristique principale du patient dépendant au travail est «qu’il est hautement engagé dans son travail, et y consacre une grande partie de son temps». Ces auteurs identifient 3 caractéristiques qui sont le surinvestissement dans le travail, le fait de se sentir poussé ou obligé à travailler en raison de pressions internes et le peu de plaisir ressenti au travail (5). Ce modèle tridimensionnel n’a cependant pas été répliqué dans d’autres études (6, 7). Porter évoque un investissement excessif dans le travail qui se manifeste par une négligence des aspects extra-professionnels de la vie, 71 L. Karila et coll. basé sur des motivations personnelles et non sur des exigences liées à l’emploi (8). Cette définition peut être perçue comme une amélioration de celle proposée par Spence et Robbins car elle intègre clairement la notion de travail excessif. Le concept d’addiction au travail n’a pas cessé de susciter l’intérêt populaire, et le terme «workaholic» appartient désormais au langage courant. A ce jour, les recherches dans ce domaine restent limitées. Compte tenu de toutes les valeurs positives associées à la notion de travail, il peut paraître surprenant que celui-ci puisse faire l’objet d’une addiction comme pour l’alcool ou les drogues. L’avancée des travaux sur le sujet permet de mieux cerner cette pathologie méconnue. Que l’on considère ou non le travail excessif comme une addiction, il est nécessaire de mieux appréhender ce phénomène. En effet, des conséquences sur la santé physique et mentale des individus concernés et de leur entourage sont possibles. L’objet de ce travail est donc de proposer une synthèse des données de la littérature, afin d’aider les cliniciens à identifier et à prendre en charge les sujets qui entretiennent un rapport pathologique avec leur travail. Pour ce faire, nous avons interrogé les bases de données suivantes entre 1968 et 2009 : Medline, Embase, PsycINFO, Google Scholar. Les mots clés employés utilisés seuls ou en combinaison étaient : addiction, dépendance, travail, «workaholism», «workaholic». Seuls les articles en langue anglaise et française étaient pris en compte dans notre analyse. Modèles t r ava i l Le modèle psychologique des addictions propose que l’abus d’une substance, malgré des conséquences négatives, procure manifestement un bénéfice secondaire (11). L’application de ce modèle à l’addiction au travail suppose que les individus retirent des bénéfices économiques et/ ou psychosociaux de leur comportement excessif. Ils s’engagent continuellement dans des comportements de travail de nature addictive, en dépit des conséquences négatives (fatigue, dépression, stress, problèmes familiaux). A l’inverse, si les bénéfices du travail excessif peuvent être obtenus par d’autres moyens, le sujet va transférer son addiction sur d’autres sources de récompense immédiate (12). Le paradigme des addictions semble approprié pour émettre des hypothèses sur la nature de l’addiction au travail. Cependant, d’autres études sont nécessaires pour affiner ce concept. Le modèle de l’apprentissage Le modèle de la personnalité théoriques de l’addiction au Les principaux modèles théoriques retrouvés dans la littérature sont le modèle des addictions, le modèle de l’apprentissage et le modèle de la personnalité. Le modèle des addictions L’hypothèse que le travail puisse être source d’addiction a été avancée. Il existe deux modèles théoriques des addictions : le modèle médical et le modèle psychologique (2). Le modèle médical implique des processus physiologiques au travers desquels l’organisme devient dépendant à une substance. Différents auteurs soulignent les analogies cliniques entre l’addiction au travail et les addictions à des substances psychoactives comme le besoin irrésistible de consommer (craving), le phénomène de tolérance ou les signes de sevrage (3, 8-10). 72 Des 3 modèles théoriques de l’apprentissage que sont le conditionnement simple (13), l’apprentissage social (14) et le conditionnement opérant (15), seul le dernier a été appliqué à l’addiction au travail. Dans ce modèle, le sujet a tendance à répéter les actions qui lui paraissent avoir des conséquences bénéfiques (renforcement positif), ou qui lui permettent d’échapper à certaines situations désagréables (renforcement négatif). Dans le cas de l’addiction au travail, le renforcement positif correspond aux bénéfices psychosociaux et le renforcement négatif à la fuite d’une vie personnelle non satisfaisante (16). La théorie du conditionnement opérant prédit que chaque individu, soumis aux facteurs de renforcement adaptés, est susceptible de devenir dépendant au travail. La suppression de ces facteurs de renforcement permettrait donc de faire disparaître les comportements pathologiques. Cette théorie optimiste présente le défaut de ne pas tenir compte des caractéristiques individuelles comme la personnalité ou les expériences passées, alors qu’il s’agit d’éléments susceptibles de favoriser le développement d’une addiction au travail (12). Les comportements sont l’expression d’un ensemble de traits. Appliquée à ce modèle, l’addiction au travail est conceptualisée comme l’expression d’un trait de personnalité sousjacente apparu à la fin de l’adolescence, resté stable au cours des différentes expériences professionnelles, et exacerbé par des stimuli environnementaux comme le stress. Les principaux Rev Med Liège 2010; 65 : 2 : 71-77 Le travail : une addiction potentielle ? traits associés à l’addiction au travail sont le caractère consciencieux, l’incapacité à déléguer, le perfectionnisme et l’hypomanie (17, 18). Ainsi, il apparaît qu’une combinaison de traits sous-jacents puisse fournir une explication à l’addiction au travail. Cette théorie peut être critiquée pour son pessimisme; si l’addiction au travail est une composante de la personnalité, elle sera relativement inflexible et donc difficile à changer. Bien que les modèles des addictions et celui de l’apprentissage puissent fournir des explications valides à certains comportements, la théorie de la personnalité doit faire l’objet de plus amples recherches afin d’améliorer la compréhension de cette pathologie (12). Ces trois modèles théoriques appliqués à l’addiction au travail fournissent des hypothèses intéressantes. Ils s’accordent sur le fait que cette pathologie se maintienne dans le temps mais s’opposent sur les causes de son apparition et sur sa capacité de réponse au changement (12). Données Données cliniques Typologies Différents travaux mettent en évidence l’existence de différents types de patients possédant chacun leurs propres caractéristiques. Citons à titre d’exemple les descriptions d’Oates, Robinson, Spence et Robbins. Oates fut le premier à proposer une typologie comprenant 5 catégories de sujets : le «workaholic» né, le «workaholic» converti, le «workaholic» situationnel, le pseudo «workaholic» et le «workaholic» fuyard (3) (Tableau I). Robinson, quant à lui, développe une typologie basée sur la quantité de travail achevée en fonction de la quantité de travail initiée. Quatre types différents de «workaholic»s sont décrits: l’infatigable qui initie et achève de grandes quantités de travail, le boulimique qui initie de faibles quantités de travail mais en achève une quantité élevée, celui avec déficit de l’attention Tableau I. Typologie de Oates (1971) é p i d é mi o l o g i q u e s Il existe peu de données dans la littérature concernant les caractéristiques épidémiologiques du travail pathologique (19). Spence et Robbins, dans un échantillon de 291 travailleurs sociaux, observent des niveaux significativement plus élevés de pression interne à travailler et de satisfaction au travail chez les femmes. Il n’existe pas de différence significative entre les deux sexes pour l’investissement au travail (5). Burke, dans un échantillon de 530 titulaires de MBA, ne retrouve aucune différence significative entre les deux sexes pour chacune des 3 dimensions mesurées (20). Harpaz et Snir évaluent l’addiction au travail par le nombre total d’heures hebdomadaires travaillées rapportées aux besoins financiers. L’échantillon se compose de 942 hommes et femmes, exerçant leur emploi dans le secteur public ou privé. Les résultats montrent une prévalence de l’addiction au travail significativement plus élevée chez les hommes et les travailleurs du secteur privé (21). Les relations entre le secteur d’activité professionnelle et l’addiction au travail ont été étudiées. Aucune différence significative entre hommes et femmes ainsi qu’entre les deux secteurs d’activité professionnelle (secteur social ou commercial) n’a été retrouvée (22). Rev Med Liège 2010; 65 : 2 : 71-77 Type de «workaholic» Description clinique Né Perfectionniste Prend son travail au sérieux Produit un travail d’excellente qualité A horreur de l’incompétence chez les autres. Converti S’impose des limites à ses heures de travail Préserve soigneusement son temps libre Evite les heures supplémentaires ou les surcharges de travail. Situationnel Travaille pour atteindre une sécurité d’emploi plutôt qu’en raison de besoins psychiques internes ou pour le prestige. Pseudo «workaholic» Possède en apparence les caractéristiques du «workaholic» né S’affiche comme tel afin d’avancer dans la hiérarchie de l’organisation où il travaille. Son objectif est le pouvoir et non la productivité. Fuyard Trouve dans le travail une échappatoire à une vie domestique déplaisante. Traîne au travail pour ne pas rentrer chez lui. 73 L. Karila et coll. qui initie beaucoup de travail mais en achève peu et le gourmet qui est lent et méthodique (23). Spence et Robbins (1992), s’appuyant sur leur modèle tridimensionnel, proposent une typologie incluant 6 types de travailleurs (Tableau II) (5). Instruments d’évaluation Différents instruments psychométriques visant à dépister et à quantifier l’addiction au travail ont été développés. Nous citerons à titre d’exemples les outils les plus utilisés dans les études comme le «Work Addiction Risk Test» (WART) et la «Workaholism Battery». Le «Work Addiction Risk Test» (WART) est un auto-questionnaire à 25 items. Chaque réponse est cotée de 1 à 4. Robinson établit trois niveaux de risque en fonction du score obtenu : faible entre 25 et 56, moyen entre 57 et 66 et élevé entre 67 et 100. Plusieurs études ont évalué les qualités métrologiques du WART (24-27). La «Workaholism Battery» a été développée par Spence et Robbins (1992) à partir de leur modèle tridimensionnel constituant des souséchelles (investissement dans le travail, pression interne à travailler et satisfaction dans le travail). Chacune se compose de 7 à 9 items cotés de 1 à 5. En fonction des résultats obtenus, les travailleurs sont classés dans l’un des six types de travailleurs précédemment décrits (5). Conséquences t r ava i l Conséquences de l’addiction au individuelles L’addiction au travail peut provoquer des allergies, des ulcères, des reflux gastriques, des migraines et un surpoids (4). Les plaintes somatiques sont très présentes (5, 6, 20). Les dépendants au travail sont plus à risque de dépression, de troubles anxieux et de syndrome d’épuisement professionnel (burnout syndrome) (28-30). Le stress professionnel est lié à l’addiction au travail (5). Il est difficile de déterminer si l’addiction au travail le provoque, si le stress le favorise ou encore s’ils sont liés au travers d’une troisième variable (31). Conséquences familiales Les familles, dont au moins l’un des deux parents est dépendant au travail, connaissent inévitablement des conflits. Les parents malades considèrent les membres de leur famille comme des extensions de leur propre ego (19). 74 Tableau II. Typologie de Spence et Robbins (1992) Investissement Pression dans le travail interne à travailler Satisfaction au travail «Workaholic» Elevé Elevée Faible «Workaholic» enthousiaste Elevé Elevée Elevée Travailleur enthousiaste Elevé Faible Elevée Travailleur non engagé Faible Faible Faible Travailleur détendu Faible Faible Elevée Travailleur désenchanté Faible Elevée Faible Les caractéristiques structurelles et dynamiques de ces familles indiquent que tous les membres sont affectés de façon négative par la maladie et qu’ils sont susceptibles de développer des troubles anxieux ou dépressifs. L’addiction au travail contribue aux conflits conjugaux et crée des dysfonctionnements familiaux (32). Les parents dépendants au travail sont peu disponibles pour leurs enfants, et leur imposent des standards de perfectionnisme auxquels ils s’astreignent euxmêmes. Ces enfants présentent des niveaux d’anxiété et de dépression plus importants que les enfants de sujets non malades. Les conjoints, quant à eux, ressentent plus d’éloignement dans leur couple et éprouvent moins de sentiments positifs à l’égard de leur partenaire (33). Conséquences professionnelles Les niveaux de satisfaction professionnelle sont négativement corrélés à l’addiction au travail (12, 34). En effet, les sujets atteints de ce trouble ont des niveaux de conflit vie/travail supérieurs aux autres types de travailleurs (35). Ils nuisent aux entreprises car ils sont dépendants du travail lui-même et non de ses résultats. Ils travaillent mieux seuls car ils sont incapables de déléguer ou de fonctionner correctement au sein d’une équipe. Ils n’apprécient pas le produit de leur travail, sont motivés par la peur de l’échec et de la perte de leur statut, sont moins efficaces du fait de leur tendance à s’appesantir sur des détails. Ils évitent de prendre des risques et se montrent très autocritiques et intolérants face à leurs propres erreurs (36). Rev Med Liège 2010; 65 : 2 : 71-77 Le travail : une addiction potentielle ? Approches A l’instar des autres formes de dépendance, l’addiction au travail est un phénomène réversible. Cependant, à l’exception de certains individus financièrement privilégiés, chacun est obligé de travailler pour subvenir à ses besoins. L’abstinence totale ne peut donc être considérée comme un objectif thérapeutique dans la majorité des cas. Différentes approches thérapeutiques peuvent être envisagées (37). La est le cœur du programme de soins. Après avoir essayé le plan pendant une semaine, le patient fait le bilan avec son thérapeute et décide s’il désire poursuivre sur sa lancée, modifier son programme de soins, ou le stopper. thérapeutiques Les thérapies familiales Les groupes d’entraide Une structure familiale dysfonctionnelle peut, dans certains cas, être à l’origine du désir des sujets dépendants de se laisser totalement absorber par leur travail (40). Les familles ont besoin d’aide pour comprendre les raisons qui poussent le membre malade à se consacrer totalement au travail au détriment de l’intérêt qu’il est censé porter à ses proches. Dans le cas où certaines difficultés familiales ont contribué au style de vie «workaholic», le thérapeute peut aider les membres de la famille à faire évoluer leurs attitudes et leurs comportements (4). Les thérapies familiales permettent d’améliorer la communication, et de donner ainsi à chacun la possibilité d’exprimer ses sentiments de colère et d’abandon. Elles clarifient le rôle de chacun des membres au sein du système familial, contribuant ainsi à améliorer son fonctionnement (42). gestion du stress Les techniques de gestion du stress sont susceptibles de constituer un abord pertinent dans la prise en charge de l’addiction au travail (31, 35, 38). Cependant, il faut être prudent car le risque est de voir des sujets devenus plus endurants au stress employer leurs nouvelles capacités pour supporter des charges de travail toujours plus lourdes (10). L’approche psychothérapeutique Le recours à l’aide d’un professionnel, psychologue ou psychiatre, afin d’aider les dépendants au travail qui le désirent à changer leurs habitudes de travail, est suggéré par différents auteurs (4, 37, 39, 40). La psychothérapie peut permettre d’appréhender les sentiments d’infériorité, la peur de l’échec et le sentiment d’inutilité qui sont à l’origine de la relation pathologique entretenue avec le travail. Robinson propose un auto-programme d’inspiration cognitive et comportementale, visant à rétablir un équilibre vie/travail satisfaisant (4). Pour commencer, les sujets doivent représenter leur vie sous forme d’un cercle à quatre quadrants, représentant chacun l’un des aspects de l’existence. Le premier domaine concerne l’individu lui-même et ses besoins personnels en termes de repos, de spiritualité et d’estime de soi (41). Le second domaine est celui de la famille et représente les activités réalisées avec le conjoint et les enfants. Le troisième domaine concerne les loisirs et le quatrième le travail. Dans un premier temps, le patient fait le bilan de la situation actuelle en établissant pour chaque domaine le pourcentage de temps qu’il y consacre. Dans un second temps, il fixe ses objectifs en cotant pour chaque domaine le pourcentage de son temps qu’il souhaiterait y dévouer. Il calcule alors, pour chacun des domaines, la différence entre ses objectifs et la situation actuelle. Sur la base des résultats obtenus, il doit alors établir pour chaque domaine une liste de trois ou quatre actions à entreprendre afin d’atteindre ses objectifs. La mise en œuvre de ces actions Rev Med Liège 2010; 65 : 2 : 71-77 Sur le modèle du programme en douze étapes des Alcooliques Anonymes, des groupes d’entraide appelés «Workaholics Anonymes» se sont créés, tout d’abord aux Etats-Unis puis en Europe. Ces groupes proposent des réunions hebdomadaires où chacun évoque sa relation pathologique au travail (43). Le rôle des entreprises Certaines entreprises, du fait de leur fonctionnement interne, favorisent l’apparition et le maintien de l’addiction au travail chez certains de leurs employés. L’encouragement excessif à la compétition, une mauvaise communication, la focalisation imposée sur des buts à court terme font le lit de cette addiction. Il en est de même pour les structures qui promettent augmentations et promotions en échange d’un dévouement total au travail (10). Les managers doivent rechercher de la part de leurs employés un niveau d’investissement dans le travail qui favorise la productivité sans pour autant avoir de conséquences négatives pour l’individu ou l’entreprise. Ils doivent être capables d’identifier les sujets malades au sein de leurs équipes et de les aider à retrouver un mode de vie plus équilibré (23, 44). Le développement au sein de l’entreprise de valeurs qui font la promotion de priorités équilibrées et d’un mode de vie sain est une aide importante 75 L. Karila et coll. pour tous les sujets dépendants qui souhaitent modifier leurs comportements de travail (45). Conclusion Certains individus qui entretiennent un rapport pathologique avec leur travail sont atteints d’addiction au travail. Cette pathologie reste un phénomène méconnu et revêt des aspects très variés. Différentes typologies visant à décrire les travailleurs pathologiques ont été développées. L’addiction au travail est significativement liée à des niveaux élevés de stress, de plaintes et de certaines pathologies somatiques. En plus de ces conséquences individuelles, un retentissement sur le couple, la famille et le milieu professionnel est constaté. Les différentes approches proposées dans la prise en charge de l’addiction au travail sont la gestion du stress, la psychothérapie, les thérapies familiales et les groupes d’entraide. Différentes critiques méthodologiques ressortent toutefois de notre analyse de la littérature sur le plan épidémiologique, clinique et thérapeutique. Afin d’améliorer les connaissances sur cette pathologie, il est nécessaire de développer des travaux de recherche afin d’améliorer la prévention, le repérage précoce et la prise en charge de ce trouble. B ib l i o g r a p h i e 1. Goodman A.— Addiction : definition and implications. Br J Addict, 1990, 85, 1403-1408. 2. Reynaud M.— Traité d’Addictologie. Paris, Flammarion Médecine Sciences, 2006. 3. 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Karila, Centre d’Enseignement, de Recherche et de Traitement des Addictions, Hôpital Universitaire Paul Brousse, AP-HP 94800 Villejuif, France. Email : [email protected] 77