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« L’amour en migration », un roman de Ghislaine Nelly Huguette Sathoud
Par Leaticia Bath
Ghislaine Nelly Huguette Sathoud poursuit aisément sa route dans sa passion
littéraire et son intérêt pour la condition féminine. Ses œuvres littéraires sont
prolixes, denses et diversifiées, abordant différents genres littéraires : de la poésie
au théâtre, en passant par des essais, contes et nouvelles. Elle a participé à des
ouvrages figurant au programme d’enseignement au Canada, aux Etats Unis
d’Amérique [1].
Son nouveau roman publié aux éditions Ménaibuc en France s’intitule L’amour
en migration ,
Ce livre met en valeur la femme africaine. Comme sa pièce de théâtre Les maux du
silence mise en scène sur les tréteaux de Sherbrooke au Canada à l’occasion de la
Marche mondiale des femmes et son livre Le combat des femmes au CongoBrazzaville récemment publié aux éditions L’Harmattan, ce nouveau souffle de
l’auteure rend un vibrant hommage à la femme africaine qui ne cesse de se battre
pour son émancipation en dépit des préjugés de toutes sortes dont elle est souvent
l’objet aussi bien dans son environnement d’origine qu’en Occident, à cause des
différences culturelles. Certaines coutumes ou traditions rétrogrades vont à
l’encontre des objectifs du millénaire pour le développement recommandés par les
Nations Unies. Rappelons que ces objectifs encouragent, entre autres, la
promotion du genre et la parité.
L’amour en migration est une histoire captivante qui plonge le lecteur ou la
lectrice au cœur des vertus caractérielles incarnées par la femme africaine, que
nous relate passionnément la narratrice Leki, en dévoilant au grand jour son
admiration débordante et sans limite pour ces héroïnes dignes des amazones des
temps modernes. En effet, bien que vivant loin de la terre de ses ancêtres, dans un
environnement propice à l’épanouissement de l’Homme avec grand H, ou les
femmes sont censées bénéficier de plusieurs droits fondamentaux, Leki suit avec
un grand intérêt l’évolution de la situation de la femme dans son pays d’origine le
Bouala, au point de se poser des questions sur le sort des Africaines qui vivent
désormais en Occident.
Telle est la quintessence du questionnement fondamental mis en exergue dans le
roman de Ghislaine Sathoud, à travers la narration de Leki, qui tient bien
évidemment compte du fait que même en Afrique, les femmes dénoncent les
injustices sociales dont elles sont victimes du fait de la misogynie ou du
machotisme de certains hommes et n’hésitent pas à réclamer une reconsidération
de la condition féminine. Ce qui prouve à suffisance que contrairement à certaines
idées reçues, les femmes africaines sont bel et bien combatives et ne restent pas en
marge des revendications internationales visant l’amélioration de la condition
féminine. Effectivement, elles ne cessent de lutter à leur manière pour acquérir au
jour le jour des droits avec une détermination que Ghislaine Sathoud décrit à
merveille dans son livre. Au regard de ce qui précède, peut-on affirmer que les
femmes africaines établies en Occident vivent au même rythme que leurs
consoeurs restées dans le continent ?
Sathoud affirme qu’on parle souvent « d’assimilation » pour porter un jugement
sur elles ? Ce roman montre que cette combativité est « innée »… ce n’est pas un
fait du hasard ou une « imitation » du nouvel environnement…
Pour cette écrivaine fière de ses origines, les femmes africaines ont dans les veines
la volonté de changer la condition féminine et soutient qu’elles ont toujours été
animées par un esprit de combativité depuis des lustres, à l’instar du cas
emblématique de Tchimpa Vita alias Dona Béatrice, redoutable guerrière aux
allures Jeanne d’Arc qui avait, selon une légende datant au 17e siècle, reçue la
mission divine de plaider la cause des peuples noirs d’Afrique auprès de Dieu et de
restaurer le royaume Kongo, au sein duquel elle s’illustrera avec bravoure dans les
luttes de résistance contre l’occupation portugaise, avant de trouver la mort brûlée
vive avec son bébé et son compagnon devant l’église Santa Maria de San Salvador
au terme de la bataille d’Ambuila.
Un regard sur la maternité
Ce sujet crucial trouve aussi une place de choix dans L’amour en migration.
L’auteure énonce le drame de Leki qui bien que mariée n’a pas « réussi » à avoir
un enfant. Elle a du mal à vivre cette « pression ». Entre les attaques de la bellefamille, l’impuissance et la tristesse de sa propre famille, la narratrice est
désemparée et souffre énormément. Elle souffre surtout pour sa mère qui doit
toujours subir quelque part les « conséquences » de ses actes. En effet, ça se
passait toujours ainsi depuis sa tendre enfance. Si pendant son enfance la
pression se faisait autour de ses études pour la forcer à réussir et ne pas
« ramener » des enfants « indésirables » à la maison, elle n’a pas pourtant
bénéficié d’un répit après avoir passé haut les mains ces « exigences ». Bien
qu’ayant du mal à supporter les « brimades », contrairement à ses frères qui
bénéficiaient du droit de sortir, Léki, de surcroît l’aînée de la famille devait rester
à la maison pour éviter de se faire « rouler » par les hommes, comme s’évertuait
de lui dire son père, pour justifier sa rigueur à son égard. Et, après les études, la
pression se focalisait maintenant sur le mariage…
Mais, le Bouala, pays imaginaire que l’auteure utilise pour nous emmener dans ce
voyage, n’est pas en fait seulement un pays imaginaire, il reflète la réalité de
certains pays africains qui peuvent s’y retrouver. Plusieurs femmes à travers le
continent peuvent se retrouver dans l’histoire de Léki. Plusieurs femmes qui
vivent en Occident peuvent partager les interrogations de Léki et même ses
expériences.
Les cas de disproportionnalité sexuelle entre filles et garçons dans le domaine de
l’éducation par exemple, tout comme les pressions au niveau de la maternité sont
des tristes réalités dans bien des pays… Finalement, la pression est si forte que
Léki se retrouve constamment humiliée par les paroles choquantes de son mari,
qui n’hésite pas de déclarer crûment que compte tenu de sa stérilité, plusieurs
femmes se bousculent au portillon pour prendre sa place au foyer… Cependant,
après sa séparation, alors qu’elle est en instance de légaliser son divorce, Léki
attend un enfant. Celle qui était déclarée stérile par le verdict social ou par
héritage des coutumes rétrogrades découvre qu’elle peut désormais avoir des
enfants.
Malheureusement, elle ne peut pas vivre pleinement sa joie et décide de recourir à
l’avortement, pour semble-t-il éviter le déshonneur.
La relation avec l’homme est également illustrée dans ce roman à partir de la vie
amoureuse de Léki. Alors qu’elle vivait une relation « d’oppression » dans son
ménage, après sa séparation, cette femme blessée se retrouve dans une relation
remplie, riche, épanouissante qui la comble. Léki s’interroge d’ailleurs sur les
effets de cette relation sur elle, une relation « clandestine » qui la rendait plus
heureuse que la relation « légitime ».
L’amour en migration révèle aussi de nombreuses injustices pouvant susciter des
réactions allant de la révolte au désespoir… L’ouvrage aborde par ailleurs le fléau
de la mortalité maternelle et infantile actuellement au centre des préoccupations
dans plusieurs pays.
Ces « femmes de nulle part »
Quels sont les impacts de la traversée des océans sur les femmes au niveau
individuel ? Le moins que l’on puisse dire est que des métamorphoses sont
perceptibles. Ceci nous renvoie à la manière dont chacune s’attelle à gérer les
« différences ». Au bout du compte, ces femmes qui traversent les océans
deviennent « des femmes de nulle part » pour reprendre l’expression de la
narratrice. Léki juge qu’elle n’est ni avec les femmes du pays d’origine qui
continuent de s’imposer quotidiennement, ni avec celles du pays d’accueil qui ont
des droits acquis dont celles qui viennent d’ailleurs ont « peur » de se servir :
« Ainsi, ces femmes de nulle part ne sont ni avec celles du pays d’origine, ni avec
celles de la société d’accueil. C’est un monde imaginaire qui veut qu’elles soient
intègres. Une intégrité qu’elles n’atteignent jamais quoi qu’elles fassent, même si
elles acceptent de descendre plus bas que terre, ce n’est jamais suffisant. » [2]
Yves Ekoué Amaizo, directeur de la collection Interdépendance africaine aux
éditions Ménaibuc décrit l’illustration du roman L’amour en migration en ces
termes : « Dès que le rêve du voyage devient réalité, la migration se décline au
sens propre et au sens figuré. La jolie femme noire, pleine d’assurance et
d’espérance, galvanisée par un amour titubant entre naïveté et destin, se
retrouve dans un pays étranger et finit par se métamorphoser pour s’adapter à
son nouvel environnement lequel ne manque pas de laisser des
traces…Intégration disent certains…Assimilation disent d’autres…L’image de la
femme se fond dans le brouillard glacial de l’hiver ou le froid social finit par
brouiller jusqu’au sourire. Est-ce que son conjoint s’en aperçoit ? Est-ce que la
famille restée au pays s’en soucie ? Comment reconstituer ce visage, reflet d’un
rêve qui s’écroule dans un quotidien stressant ? La liberté retrouvée après
maintes tribulations forgera-t-elle un nouveau caractère qui illuminera ce
visage ? ». [3]
Pour conclure, le roman L’amour en migration de Ghislaine Sathoud vaut la peine d’être lu.
La force des mots entraîne dans cet univers féminin, la description réelle et valorisante des
personnages donne une autre image de la femme Africaine, une femme forte qui se prend en
charge.
Ghislaine Nelly Huguette Sathoud
L’amour en migration,
Paris, Éditions Menaibuc,
Collection Interdépendance Africaine, 2007.
18,00€ (178p)
ISBN : 978-2-35349-024-0.
Leaticia Bath
P.-S.
Née au Congo Brazzaville, Ghislaine Sathoud vit aujourd’hui au Canada. Elle est titulaire
d’une maîtrise en relations internationales et d’une maîtrise en science politique. Elle a mené
des recherches sur la démocratie participative au sein de l’administration municipale à
Montréal en 2004. Fervente militante pour les droits humains, elle utilise le théâtre pour
sensibiliser le monde sur la violence faite aux femmes. Elle publie régulièrement sur les
questions du genre.
www.ghislainesathoud.com
Notes
[1] http://www.pearsoned.ca/school/fsl/nouvelles11/soi.html
Ghislaine Sathoud, Le marché de l’espoir, Imaginez, le français sans frontières, Boston,
Éditions Vista Higher Learning, 2007, pp 188 -192.
[2] L’amour en migration, p. 8.
[3] Yves Amaizo, est le directeur de la collection Interdépendance africaine aux éditions
Ménaibuc, Op, Cit, p. 4.