Urbanisation et urbanisme
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Urbanisation et urbanisme
10 Urbanisation et urbanisme Michel COQUERY Un état des recherches récentes en français sur l'urbanisation et l'urbanisme dans les pays en voie de développement appelle trois séries de remarques préalables : a) Le thème ne se définit pas a priori par référence à une discipline déterminée. C'est un champ d'investigation que géographes, sociologues, anthropologues, historiens, économistes, démographes, juristes, politologues, architectes, ingénieurs... ont plus ou moins précocement défriché, en l'inscrivant au cœur ou aux marges de leur discipline respective de rattachement. On sait, dans le contexte académique français, combien ce cloisonnement demeure vivace, par-delà quelques lieux et moments privilégiés d'interdisciplinarité active. b) S'agissant de l'urbain, précisément, le débat reste ouvert entre ceux qui l'appréhendent comme objet de connaissance- parmi d'autres - et y appliquent une démarche conceptuelle et méthodologique propre à leur discipline, et ceux qui inscrivent leur approche par référence à des actions ou interventions possibles ou souhaitables. Les premiers pensent devoir s'en tenir à la relation intelligible et critique de leurs recherches, les seconds croient pouvoir articuler cette relation sur une pratique, celle de l'aménageur ou de l'urbaniste. Ce débat, assez spécifiquement français, n'est certes pas nouveau entre les tenants d'une recherche dite fondamentale qui conserverait sa pureté scientifique, et les partisans d'une recherche dite appliquée ou applicable qui émanerait d'une demande sociale et serait sujette à dérives ou manipulations. Je ne jalonnerai pas ici de références un débat à bien des égards dépassé ou biaisé, malgré diatribes occasion- ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT URBANISAnON ET URBANISME nelles ou résurgences feutrées. S'il peut exister des études à finalité prédéterminée, la recherche scientifique est une : il y a seulement de bons et de moins bons chercheurs. On voit mal une connaissance de l'urbain ignorant le décryptage rétrospectif du comportement et du jeu d'acteurs ou groupes d'acteurs identifiés, dans un contexte socioéconomique, juridique, politique et culturel donné. On n'accepterait pas davantage la formulation de diagnostics, de propositions anticipatrices sans analyses préalables critiques d'une situation saisie dans une durée significative, sauf à sortir du champ de la recherche pour entrer dans celui du simple discours ou dessin prospectif. On ne s'étonnera donc pas d'un bilan construit par référence au terme de développement urbain. Ce terme est parfois encore controversé (séquelle de la question du « biais urbain») alors que celui de développement rural, qui pourrait appeler réflexion, est admis depuis longtemps. L'urbanisation est un processus de transformation de l'espace et des sociétés dans une durée. La spécificité de la plupart des pays dits en développement tient, entre autres éléments, à la rapidité de ce processus (<< l'explosion urbaine» des trente dernières années) (Bairoch, 1985), malaisément identifiable sans requestionnement des concepts et des méthodes mobilisés pour en saisir les facteurs, les formes et les effets. A fortiori, lorsqu'on aborde la question de l'urbanisme, défini comme démarche volontariste de maîtrise de l'urbanisation, il apparaît bien que le transfert de méthodes, de modèles et de savoir-faire issus des pays développés a le plus souvent reposé sur une méconnaissance des sociétés auxquelles ils étaient censés s' appliquer : ils ont conduit à des échecs démobilisateurs ou à des pratiques de détournement dont on a tardé à tirer les enseignements. c) Une dernière remarque tient à la relative étanchéité des littératures en anglais et en français sur la question, au moins jusque dans les années soixante-dix. La querelle opposant J.C. Turner à R. Burgess sur l'autoconstruction en est un exemple significatif. Peu nombreux sont les chercheurs francophones qui, de la fin des années soixante au début des années quatre-vingt, ont suivi les étapes de la rude confrontation entre ces deux architectes britanniques, rompus au terrain des villes d'Amérique latine comme aux arcanes de la Banque mondiale, ou aux séminaires des universités nord-américaines. A l'inverse, combien de chercheurs anglophones connaissent, par exemple, la pertinence des travaux en français sur la question foncière urbaine, appliquée notamment à l'Afrique sub-saharienne (Pratiques Urbaines, 1, 1984), sur l'économie de la construction en milieu urbain (près d'une dizaine d'ouvrages publiés entre 1986 et 1988, suite au programme Rexcoop) (Coquery, 1990) ou encore le décapant réexamen de la notion d'autoconstruction (Canel, Delis, Girard, 1990)? Le dialogue s'est heureusement ouvert depuis quelques années : en témoigne l'édition bilingue d'une bibliographie annotée sur l'urbanisation rapide en Afrique (R. Stren, 1986). Mon propos était simplement de rappeler une évidence: il est difficile d'opérer une sélection de références en faisant abstraction des apports de la communauté scientifique internationale, mais il a bien fallu se plier ici à ce périlleux exercice. 192 193 1. De l'Outre-mer au Tiers monde : la pesanteur des héritages L'évolution d'un corps de connaissances sur les villes et l'urbanisation dans les pays dits aujourd 'hui « en développement » a longtemps reflété en France la double empreinte de ses origines. Récits de voyageurs et d'explorateurs de terres qualifiées de lointaines, exotiques ou sauvages, qu'ils fussent érudits et savants désintéressés, commerçants, missionnaires ou aventuriers ; rapports de diplomates et surtout de militaires, d'autre part, directement impliqués dans la conquête et l'administration coloniales. Quand vinrent les temps d'un « Outre-mer» en principe politiquement maîtrisé, des années vingt aux années cinquante, on put déceler des convergences de curiosités et de démarches, parallèlement à la mise en œuvre d'une certaine division du travail scientifique et technique, et à l'émergence, sinon de disciplines (encore que l'ethnographie semble y avoir trouvé son terreau fondateur), du moins de champs nouveaux et spécifiques pour nombre d'entre elles (géographie, médecine, architecture, urbanisme, droit, etc.). Le qualificatif de « colonial» fut souvent adjoint d'emblée à ces branches nouvelles d'un savoir en constitution sans que les contemporains en soient offusqués : aussi bien l'École Coloniale ou l'École de médecine de Bordeaux, entre autres établissements, avaient-elles institutionnalisé le vocable, maintenu jusqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, puis progressivement mué en « outre-mer» ou « tropical ». La géographie, sans lever toutes les ambiguïtés, avait certes plus précocement tenu à donner au champ « tropical » une référence plus sereinement assise sur une approche zonale conforme à son objet et à ses méthodes, sans s'éloigner trop de ce qui avait fait la renommée de l'école française : l'analyse régionale. Cette évocation paraîtra fort schématique, mais il s'agissait moins ici de restituer, pour chaque discipline, les moments et les modalités 194 URBANISAnON ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT de son accroche au fait urbain « outre-mer ~ que de rappeler la durable et forte imprégnation, implicite ou explicite, de la référence à l'héritage colonial. 2. Quelle approche, quelle périodisation significative ? Une approche par discipline, certes concevable et non dénuée d'intérêt, rendrait mal compte ici d'un thème en l'occurrence progressivement identifié par des apports pluridisciplinaires novateurs. On pourrait bien sûr, s'agissant par exemple de géographes, mesurer les formes et les étapes d'implication de leur discipline dans le champ urbain du Tiers monde, l'émergence des problématiques et l'évolution des méthodes appliquées à ce champ d'ouvrages remarqués en leur temps, souvent conduits de façon solitaire, à des travaux plus récents, souvent issus d'équipes et de confrontations. En effet, quel chemin parfois parcouru dans l'éclairage des processus et des effets de l'urbanisation ! Encore faudrait-il rappeler que, pour certains, l'attachement à leur discipline d'origine, appliquée au monde tropical, y demeure intangible. Pour d'autres, en revanche, prévaut la référence aux problématiques urbaines d'ensembles géopolitiques et culturels certes différenciés, mais tous confrontés à la question du développement; la discipline d'appartenance, outil maîtrisé, est alors mobilisée, avec d'autres, pour cette connaissance des Tiers mondes. De proche en proche, discipline par discipline, il faudrait alors évoquer les facteurs internes et externes de leur évolution pour situer valablement les recherches sur l'urbain. Les redites ne manqueraient pas, sans permettre pour autant une vision plus globale. La démarche sectorielle, pourtant fort usitée par commodité opérationnelle et comptable, fractionnerait aussi le regard et la réalité. Il serait assez facile d'ordonner les recherches notables sur l'habitat, les matériaux et les techniques de construction, sur les transports, les voiries et réseaux divers, ou sur l'eau, la santé, la démographie, l'emploi, la production ou encore les institutions administratives et politiques en milieu urbain. Sciences de l'homme et de la société et sciences de l'ingénieur s'y croiseraient parfois, mais leurs apports suivraient le plus souvent des chemins séparés, dans le sillage institutionnel implicite de tutelles distinctes, jalouses de leurs prérogatives respectives. Or, ce qu'il s'agit précisément de restituer, ce sont les moments et les formes pertinentes d'appréhension des interfaces du développement urbain. ET URBANISME 195 Une approche par aires culturelles aurait l'avantage d'un regard géopolitique, permettant de rendre compte de la diversité des Tiers mondes, tout en permettant aux africanistes, américanistes, orientalistes. .. de se retrouver entre eux : il n'est pas sûr toutefois qu'elle autorise, comme telle, une appréhension suffisamment adéquate du champ urbain, révélateur des mutations sociales et spatiales généralisées qui caractérisent la période contemporaine. En tout état de cause, le recours à la chronologie semble s'imposer. L'établissement d'une périodisation adéquate n'est cependant pas chose aisée. Telle série d'événements politiques considérés comme opérant une coupure historique majeure - par exemple l'accession à l'indépendance d'une majorité de pays africains francophones en 1960 peut ne revêtir qu'une signification médiocre dans le domaine urbain : les vraies coupures sont antérieures (immédiat après-Seconde Guerre mondiale) ou postérieures (début des années soixante-dix), répondant à d'autres critères. Il y a, en outre, fréquent décalage entre l'émergence d'une série de phénomènes porteurs de changements ou de mutations, ces changements eux-mêmes s'ils se confirment, et l'apparition et plus encore la diffusion d'une littérature scientifique les concernant. Ce n'est certes pas propre à la recherche urbaine, mais pour peu que ses analyses et, le cas échéant, ses diagnostics invitent à l'action sur le terrain, dans l'intervalle de temps précédant la prise de décision il y a de fortes chances pour que la situation ait évolué, rendu caduques les éventuelles mesures opératoires et entraîné de nouveaux décalages. Pour s'en tenir à une reconstitution a posteriori, seule concevable ici, et dès lors qu'on ne souhaite pas en rester au puzzle vacuolaire des espaces-temps issu du monceau de monographies, ni s'enfermer dans le cadre théorique ou dogmatique d'une périodisation a priori universelle, quelques éléments viennent compliquer la tâche : - l'évolution, les formes et le degré d'accessibilité et de perméabilité de la recherche de langue française aux littératures scientifiques étrangères ; le strict confinement dans une seule langue de référence n'est plus concevable, quel que soit le poids des héritages dans chaque culture et langue de référence ; - chaque pays ou ensemble de pays appelle ou peut appeler sa propre périodisation et, en particulier ici, la tentation est grande de calquer la démarche sur les seuls moments forts de l'histoire et de l'historiographie françaises pour rendre compte des étapes et des développements d'une littérature scientifique donnée ; - à l'inverse et en raison de l'avancée du concept d'économie-monde, on pourrait être porté à gommer toutes périodisations par- 196 ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT ticulières, l'histoire étant considérée dans son universalité, mais ce serait aller à l'encontre de l'objet même du bilan tenté ici. Il faudra donc en quelque sorte louvoyer et s'en tenir à ceux des faits majeurs reconnus comme porteurs de signification au regard des points qui viennent d'être soulevés. On pourrait ainsi situer vers le milieu des années soixante-dix la coupure la plus généralement admise et ramasser l'exposé en deux parties. Fin des trente glorieuses avec la crise économique et pétrolière, premières interventions significatives de la Banque mondiale dans le secteur ·urbain, mobilisation de la Commission des établissements humains des Nations unies sur le devenir urbain du Tiers monde, prise de conscience généralisée de l'explosion urbaine des pays en développement, début de reconnaissance de l'échec, de l'inanité ou de l'absence de politiques du logement et plus généralement, de politiques urbaines appropriées aux mutations démographiques et sociales observées: autant d'indices invitant au tri critique d'une littérature d'avant et d'après ce tournant des années soixante-dix. Ce schéma se révélerait toutefois réducteur à l'usage pour rendre compte des spécificités de la production scientifique de langue française, comme le suggèrent le premier bilan de la recherche urbaine française dans le Tiers monde (Coing, JoIe, Lamicq, 1978) et le plus récent (Leirndorfer, Vidal, 1992) d'où l'ordre d'exposition plus nuancé proposé ici. 3. De la fin des années 1950 au début des années 1970 : la tardive mobilisation de la recherche française sur la question urbaine dans le Tiers monde Le début de cette période est profondément marqué par le contexte de la décolonisation, conflictuelle et sanglante en Algérie (après l'Indochine), relativement pacifique en Afrique noire: c'est la fin d'un empire ... et d'une république. Il n'est pas indifférent pour notre propos de rappeler que, dès les années vingt, cet empire fut le cadre d'expérimentation d'un urbanisme que la métropole était encore loin d'admettre sur son propre territoire comme pratique de réglementation et de planification de l'usage des sols, a fortiori comme principe fondateur de villes nouvelles. Dans la foulée de l'Exposition Coloniale de 1931, un colloque international sur l'urbanisme colonial, dont les actes furent publiés en 1932, révéla l'intérêt porté aux villes d'outre-mer. Ces textes reflètent certes la lan- URBANISATION ET URBANISME 197 gue et la pensée coloniales alors dominantes, mais ils inscrivent la ville et son devenir dans la modernité, telle qu'issue du bouillonnement intellectuel et artistique international des années vingt. C'est d'autant plus remarquable que l'urbanisation demeurait encore fort modeste dans les régions évoquées. Ce discours paraît donc novateur et prémonitoire, tout en convenant aux objectifs immédiats de la domination coloniale. A quelques retouches près, il va marquer pour plus de trente ans ce qui servira de pensée française sur l'urbain d'outre-mer. Encore faut-il rappeler que le terme de ville, appliqué aux colonies, concerne essentiellement l'espace réservé de facto aux expatriés blancs, et signifie « ville européenne, à l'européenne », les simples quartiers « indigènes » - quand bien même ils regroupaient la grande majorité de l'espace et de la population - n'appelant généralement pas la même attention. Il en fut de même, pour l'essentiel, dans l'empire britannique, que dès l'aube du xx· siècle les pionniers du mouvement des cités-jardins voulaient couvrir de cette forme nouvelle d'urbanisation. « L'urbanisme est une affaire de Blancs» me disait encore en 1982 un collègue africain, résumant ainsi son caractère importé comme son étroite liaison au politique. De fait, c'est parce qu'il avait besoin d'un pouvoir politique fort que l'urbanisme a pu s'expérimenter dans des territoires sous autorité coloniale discrétionnaire et sans partage. Réciproquement, l'urbanisme apporta des réponses au gouverneur ou au résident général souhaitant marquer dans l'espace l'empreinte du pouvoir (on disait aussi « mission civilisatrice de la France»). Lyautey, qui sut s'entourer d'hommes de l'art, en est un exemple bien connu, parmi d'autres. En d'autres termes, au regard du fait urbain outre-mer, il a existé précocement dans la pensée française une référence explicite à la notion moderne de planification urbaine, peut-être associée aussi implicitement au souvenir des droits régaliens du bâtisseur, un temps occultés par les institutions républicaines. Cette tradition a perduré par la reproduction d'un corps de professionnels (des officiers du génie aux architectes agrémentés, des administrateurs aux ingénieurs prêts à l'expatriation), fonctionnaires ou libéraux ayant su créer agences et bur~aux d'études appropriés. C'est à eux qu'on doit les premières génératIons de plans d'urbanisme ayant couvert systématiquement les villes des territoires africains, de la fin des années trente à la fin des années cinquante, et les quelques réalisations ayant suivi. Ils n'ont pas disparu avec les indépendances africaines en 1960 : on serait tenté de dire bien au contraire. Le transfert du pouvoir ne s'est pas accompagné de transformations sensibles de ses formes relativement autoritai- 198 ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT URBANISAnON res, et nombre d'administrateurs coloniaux ont été remplacés par des conseillers techniques, quand ils ne sont pas eux-mêmes restés sur place, en changeant simplement de casquette. Le secteur des infrastructures, incluant l'urbanisme, n'a pas échappé à ce processus et, de FIDES en FAC, la continuité s'est trouvée assurée. Certes, l'enseignement, la santé, la logistique administrative et financière et surtout l'agriculture ont été les secteurs privilégiés, mais les équipements urbains, le logement et l'urbanisme sont demeurés dans l'orbite de politiques rationalisantes et volontaristes reprises à leur compte par les nouveaux dirigeants africains et ce, jusqu'au début des années soixante-dix. Si le discours a changé, avec l'institutionnalisation du terme de coopération et les espoirs généreux qu'il a pu à l'occasion susciter, le corps de conceptualisation et de pratiques dominantes est demeuré assez stable. L'urbanisation pouvait, devait être maîtrisée; le transfert des techniques de l'urbanisme, qui connaissaient dans l'ex-métropole un développement sans précédent, y pourvoirait. En 1960, est créé le Secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat, qui tient en 1965 son premier grand colloque « Urbanisme et Coopération» (SMUH 1965). Ce sera le vivier de coopérants aménageurs et urbanistes, la source d'une abondante littérature « grise », un actif foyer de formation et d'échanges pour les cadres et professionnels du Tiers monde et, plus rarement, un lieu de rencontre et de confrontation avec les chercheurs, lorsque vint le temps de réviser quelques certitudes (Colloque de Vincennes, 1970, non publié à l'époque. Voir plus loin, Lacoste & Naciri, 1980). On n'aurait pas fait ce rappel s'il ne témoignait de l'apparente avance prise par les praticiens sur les chercheurs dans le domaine urbain. Motivés par l'action, sous la tutelle néanmoins vigilante d'une administration centrale héritière de l'ancien ministère de la France d'outre-mer, ces urbanistes, souvent architectes ou ingénieurs de formation, ont certes recouru à l'apport de géographes, de sociologues, de démographes, mais de façon dispersée. Pouvait-il alors en être autrement? En dehors de manuels généraux et de vulgarisations parfois brillantes, où se trouvaient évoqués les paysages, les fonctions et les populations de certaines villes de ce qu'on commençait à appeler le Tiers monde, rares étaient les textes fondateurs (J. Dresch, 1948, 1950 ; P. George, 1952 ; G. Balandier, 1955). Dans un contexte de forte croissance démographique, aux manifestations et effets non encore véritablement mesurés mais progressivement et ponctuellement ressentis sur le terrain, l'un des problèmes majeurs émergeant dans les années soixante fut celui du logement. ET URBANISME 199 L'espoir ou l'illusion persista jusqu'au début des années soixantedix, qu'on maîtriserait à terme la demande « du plus grand nombre » par des politiques dites « de logement social », le plus souvent décalquées dans leurs ~ormes et leur~ procédures, des modèles européens (financement publIc, offices étatiques de promotion et de gestion de logements économiques locatifs octroyés clés en mains) si possible intégrés dans des plans directeurs d'urbanisme destinés à encadrer la croissance urbaine. L'offre de logement ainsi conçue ne pouvait pourtant répondre qu'à une fraction limitée d'une demande sans cesse accrue. L'habi.tat d~s plus pauvres, souvent désigné sous le terme générique de « bIdonvilles », restait considéré de façon péjorative quand il n'était pas simplement ignoré (des autorités, des documents cartographiques), o~ se trouvait l'objet d'opérations bulldozer et autres formes de déguerpissement. Dans la relative euphorie développementaliste des années soixante, c~s zones d'habitat précaire, irrégulier, illégal, anarchique et pour tout dIre « spontané », selon un terme qui fit fortune et demeure tenace malgré sa médiocre adéquation, furent mises au compte d'une marginalité appréhendée, voire théorisée, comme un effet provisoire ou transitoire de la croissance, appelée à terme à se résorber sinon à disparaître, avec l'aide des urbanistes. Une majorité d'experts français et la plupart des responsables politiques des pays concernés semblaient d'accord sur cette vision des choses: il fallait supprimer cette « lèpre» des villes du Tiers monde. Les contre-avis formulés par des chercheurs, à l'occasion d'études monographiques, étaient encore rares, dispersés et peu accessibles (Prenant, 1953 ; Bernus, 1969). Il fallut attendre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix pour qu'apparaissent des analyses susceptibles d'ébranler le credo des « experts» et des responsables politiques, au reste progressivement bousculés par l'évolution de la situation sur le terrain et conduits à une vue plus réaliste et contraignante des choses (1973 : la Caisse centrale de coopération économique cesse de financer le logement social en Afrique). L'apport des géographes est notable, mais à quelques exceptions près (Lacoste-Naciri, 1970-1980; Santos, 1971 ; Vernières, 1977; CEA, 1973) reste encore marqué par les méthodes de l'analyse régionale classique (Lasserre, 1958), la confrontation d'études de cas préfigurant toutefois une vision à l'échelle de plus vastes ensembles (CNRS-CEGET, 1972). Prémisses intéressants, mais dans le volumineux ouvrage offert à Pierre Gourou, l'un des fondateurs de la géographie tropicale française (Études de Géographie Tropicale, 1972), 200 ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT un seul des quarante-deux textes produits concerne les villes (P. Vennetier : «L'approvisionnement des villes en Afrique noire, un problème à étudier »). C'est dans ce contexte, qui ne témoigne pas, du moins chez les géographes, d'une mobilisation évidente sur les problèmes urbains, qu'apparaissent les premières formes d'approches pluridisciplinaires (Castels, 1970; Duchac, CNRS, 1974). Ces auteurs, parmi d'autres, plus ouverts sur les théories de la dépendance, qui remettaient vigoureusement en cause celles des étapes de la croissance, contribuèrent à forger de nouveaux concepts (habitat sous-intégré, Lacoste-Naciri - urbanisation inégale, Santos - urbanisation dépendante, Castels), de nouveaux outils d'investigation et surtout de nouvelles perspectives dans l'appréhension globale des phénomènes d'urbanisation dans le Tiers monde. 4. Le tournant du milieu des années soixante-dix et l'émergence de la question urbaine Il fallut cependant un certain temps et la ténacité de cherch~urs-e~perts - au reste souvent dans la sphère de langue anglaise, et a partIr du cas des villes d'Amérique latine - pour convaincre les organisations internationales, les gouvernements et les autorités locale~ q.ue les zones d'habitat précaire non réglementé n'étaient pas a P?on des repaires de délinquants, de prostituées, de paysans sans travail fil ressource~,. d'opposants potentiels même si l'on pouvait y déceler des formes eVldentes de pauvreté de masse. De là à reconnaître l'aptitude d'une masse accrue de citadins, en l'absence d'autres choix, à p~endre e~ main la question de leur logement, il y avait encore plus d un pas a franchir. Une première étape fut l'ouvrage du géographe brésilien Milton S~t~s (1975), à l'époque réfugié en France. Son analyse des deux c~r~U1,tsde l'économie urbaine des pays sous-développés peut être con~lderee comme fondatrice des recherches ultérieures sur le secteur mformel. . C'est en ce, ~eu ,des ~~s soixante-dix que les dynamiques spéCIfiques caractensant 1 urbamsatIon dans le Tiers monde et notamment les proce.ssus liés. à ce que par commodité de langage on appela l' autoconstruetlon, .se VIrent reconnus par la communauté internationale (Conférence HabItat, Vancouver, 1976). Il s'agit bien d'un tournant dont le meilleur témoin, dans la littérature française, est la Table Ronde URBANISAnON ET URBANISME 201 de Talence (1977) sur La croissance périphérique des villes du Tiers 1980). Pour la première fois, sur ce thème un centre institutionnel de recherches de géographie tropicale s' ouvrai~ aux confrontations interdisciplinaires et à l'apport de travaux conduits par des sociologues, des économistes, des architectes, des urbanistes, universitaires et praticiens. Le rôle de la promotion foncière et immobilière et de ses acteurs dans les processus et les formes d'urbanisation s'en trouva singulièrement éclairé: il n'avait jusqu'alors été qu'effleuré, sinon ignoré. Quelques ouvrages isolés, mais de qualité, révèlent aussi un renouvellement des approches disciplinaires du fait urbain : ainsi en sociologie (Osmont, 1978), en histoire (Gouellain, 1975), en géographie (Mondjanagni, 1977). On pourrait en citer bien d'autres, qui jalonnent toute cette période, ne voyant souvent le jour qu'à l'issue d'une thèse. Un fait marquant fut aussi, après que le concept de « secteur informel » eut été « inventé », disons plutôt vulgarisé, par les économistes du Bureau international du travail au tout début de la décennie, sa reprise en compte de façon approfondie et critique, et sous ses aspects proprement sociaux et urbains, par Philippe Hugon, son équipe d' économistes de Nanterre et la revue Tiers monde (Hugon, 1980 ; Deblé et Hugon, 1980). Le champ de ces analyses n'allait pas cesser de s'amplifier et de se diversifier par la suite, dotant la recherche urbaine sur les pays en développement d'une solide base de références. Enfin, même si la littérature de langue française y fut au départ moins attentive que l'anglaise, il faut rappeler que c'est au début des années soixante-dix qu'instances nationales et internationales commencèrent à intervenir ès-qualité en matière de développement urbain proprement dit. La Banque mondiale lança en 1972 ses premiers programmes de «parcelles assainies ». Nouveaux acteurs et nouveaux enjeux attirèrent l'attention des chercheurs. Des appels d'offres du CNRS et de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique, à la fin des années soixante-dix, commencèrent à promouvoir une politique de « recherche urbaine en PVD ». Cette période est marquée par la création du réseau qui allait devenir Inter-Urba - Tiers monde (animé par A. Durand-Lasserve) regroupant des chercheurs du CNRS, de l'ORSTOM et de centres universitaires spécialisés sur quelques objectifs et programmes de recherches déterminés. De cette période date aussi le soutien actif des pouvoirs publics, en particulier du ministère de la Coopération, à l' ACA (Agence Coopération-Aménagement, héritière de l'ancien SMUH). Ce contexte, brièvement résumé, favorisa l'émergence de véritables équipes pluridisciplinaires. C'est ainsi qu'on peut dater de la fin monde (CNRS-CEGET, 202 ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT des années soixante-dix la véritable éclosion d'une recherche française cohérente sur la question urbaine dans les PVD. 5. Le renouvellement des problématiques et des méthodes dans les années quatre-vingt Les années quatre-vingt apportent une abondante moisson de recherches diversifiées qui font enfin émerger de façon significative la littérature de langue française sur l'urbanisation dans le Tiers monde. Plusieurs raisons convergent pour rendre compte de cet enrichissement des problématiques, des méthodes et des apports: a) Le caractère inéluctable de la croissance urbaine dans le Tiers monde, désormais reconnu, prend figure de phénomène majeur appelé à marquer profondément la fin du xx· siècle à l'échelle mondiale. b) Le repliement frileux sur une discipline-mère gardienne du temple, comme la fuite en avant vers les théories globalisantes et modélisatrices (dépendance, accomodation, biais urbain), n'ont pas résisté à l'épreuve concrète de la dynamique des acteurs sur le terrain des villes. c) La démarche pluridisciplinaire, sans exclure l'apport de travaux solitaires, a prouvé son efficacité, sa capacité mobilisatrice. Des équipes ont été créées, ont appris à se connaître, se sont étoffées et ouvertes à des chercheurs du Tiers monde. Le dialogue avec les praticiens, parfois malaisé ou discontinu, s'est néanmoins renforcé. d) Des réseaux se sont progressivement constitués, facilitant les contacts avec la communauté scientifique internationale, introduisant non sans mal un peu de souplesse dans les institutions lourdes (CNRS, ORSTOM), en liaison avec des universités, des organismes parapublics ou privés. e) Enfin, et ce n'est pas le moindre facteur car il a souvent servi de catalyseur aux précédents, une politique de la recherche urbaine dans les pays en développement a été assez clairement définie dans la première moitié des années quatre-vingt avec l'énoncé de « programmes mobilisateurs» coordonnés par le ministère de la Recherche, renforcés par le ministère de l'Urbanisme, suivis par quelques autres grandes administrations centrales de l'État. Sans les fmancements d'appels d'offres incitatifs et répétés, il est probable que le tableau n'aurait pas été aussi conséquent. La mobilisation s'étant effectuée simultanément sur plusieurs fronts, le temps de maturation et l'ordre d'arrivée importent moins que URBANISAnON ET URBANISME 203 l'énoncé des thèmes reconnus et maîtrisés, qui souvent se croisent et se complètent. La question du logement demeure une constante préoccupation. D'une abondante littérature, on retiendra les repères facilitant les confrontations Afrique / Amérique latine / Asie, même si mes champs de lecture et de spécialité me portent plus volontiers à souligner ce qui concerne l'Afrique. L'explosion urbaine du Tiers monde étant devenue expression courante, on ne s'étonnera pas que la revue animée par Y. Lacoste innove en regroupant dans un numéro intitulé « L'implosion urbaine ? » quelques textes annonciateurs de nouvelles hypothèses sur l'évolution des grandes villes du Tiers monde (Hérodote, 1983). C'était prendre ses marques par rapport au gigantisme urbain, générateur de colloques et d'ouvrages sur l'Afrique (Coopération et Développement, 1982) - où l'on relèvera les textes brefs mais lumineux et refondateurs de P. Pelissier et de G. Sautter -, le monde arabe (Urbama, 1986), l'Amérique latine (Bataillon-Gilard, 1988 ; BataillonPanabière, 1988). S'agissant du logement, la question cruciale concerne les pauvres, qui représentent la majorité des populations urbaines, et la politique de l'État (Pratiques urbaines, 2, 1984). Dans un ouvrage remarqué (Durand-Lasserve, 1986), consacré à l'analyse des modalités d'accès au sol et au logement, l'auteur développe la problématique du réseau CNRS qu'il animait depuis 1979-1980 sur l'évolution des systèmes de la production foncière et immobilière dans les villes des PVD. Rigoureusement construit par thèmes, étayé d'une solide bibliographie, la première du genre, l'état comparatif des lieux est percutant, comme le titre du livre. La question du logement des pauvres dans les grandes villes du Tiers monde est reprise, développée, nuancée, enrichie par d'autres chercheurs (Rochefort, 1988). Sociologues et ingénieurs apportent un regard neuf et de solides contributions sur les aspects techniques et les problèmes sociaux liés à l'assainissement en milieu urbain (Coing-Montano, 1985; Knaebel et al., 1986). Un cheminement parallèle conduit d'autres équipes, associant surtout des géographes et des sociologues, à identifier des dynamiques et des stratégies d'acteurs dans le champ urbain. L'ORSTOM est souvent le cadre de leurs confrontations, de leur collaboration et les villes d'Afrique noire, leur terrain d'élection. Leur démarche a reposé sur un requestionnement des objectifs et des méthodes de leurs disciplines respectives, sur un changement d'échelle, sur l'élaboration d'un langage commun. Les appréhensions macrogéographiques (hiérarchies et réseaux urbains, voire analyses régionales classiques) et macrosociologiques (analyses de la marginalité) leur ont semblé conduire à ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT URBANISATION ET URBANISME une impasse pour saisir la nature même des changements observés sur le terrain. D'où le titre significatif du premier ouvrage qui rassemble des travaux illustrant cette démarche: Villes africaines au microscope (CEA, 1981). La position de l'enquête anthropologique en milieu urbain africain est un texte refondateur qui allait susciter de fécondes recherches sur la production de l'espace, ses qualités et ses usages dans les villes d'Afrique noire francophone (Le Bris, Marie, Osmont, Sinou, 1987). Lecture croisée peut s'en faire avec les textes publiés sous le titre évocateur de Terres des uns, Villes des autres. Questions foncières et pratiques urbaines en Afrique dans le premier numéro de ce qui demeure la seule revue française consacrée aux problèmes urbains du Tiers monde (Pratiques urbaines, 1, 1984), conçue comme organe de liaison scientifique du réseau Interurba - Tiers monde (CNRS, ORSTOM). C'est aussi par un renouvellement de leurs problématiques et de leurs méthodes que géographes et démographes contribuent à mieux cerner la dynamique urbaine (Dupont-Dureau, 1988), à éclairer l'insertion urbaine des migrants (Antoine, Coulibaly, 1989), à produire, après tant d'études et d'articles dispersés ou disparates sur le sujet, le premier vrai livre sur Abidjan (Antoine, Dubresson, Manou-Savina, 1987). Enjeux fonciers, pratiques sociales différenciées d'accès au sol, au logement, à l'emploi, aux services: la toile se tisse qui sert de fond au repérage de l'attitude des pouvoirs publics et à l'éclairage de la question des politiques urbaines. On serait tenté de reprendre le titre d'une communication publiée récemment: Mais comment faut-il donc le dire ? Les solutions de demain sont inscrites sur le sol depuis des lustres (Haeringer, 1990). Un colloque international tente de faire le point en 1985 sur les stratégies urbaines dans les pays en voie de développement (Haumont, Marie, 1987), une revue consacre aux politiques urbaines un numéro complet (Politique africaine, 1985). Aussi précieuses que soient ces contributions contemporaines et complémentaires de celles citées plus haut, il semble encore trop tôt pour en tirer une synthèse sur les politiques urbaines dans le Tiers monde. Apparaissent des recherches novatrices dans les villes d'Asie: la crise de Calcutta et le débat sur la planification urbaine (Racine, 1986), les stratégies urbaines et les politiques du logement dans les métropoles de l'Asie du Sud-Est, remarquablement identifiées, (Goldblum, 1987). Un regard rétrospectif est jeté sur l'intervention française en longue durée dans le secteur urbain en Afrique noire francophone (Venard, 1986), qui développe et élargit un rapport au ministre de la Coopération (Coquery, 1983). D faudra toute l'audace et la compétence de deux chercheurs-praticiens pour que paraisse le brillant Essai sur les politiques urbaines dans le Tiers monde (Massiah, Tribillon, 204 205 1988) ; même s'il repose surtout sur la connaissance achevée du terrain africain, ce livre marque une étape décisive dans la recherche de langue française sur les villes en développement. Les géographes amplifient leur « couverture » des villes africaines de façon souvent solitaire (même avec l'appui de l'ORSTOM), comme le veut le genre de la thèse: Yaoundé, construire une capitale (Franqueville, 1984), Kinshasa, la ville et la cité (Pain, 1984), Kinshasa, ville en suspens (De Maximy, 1984), Douala, croissances et servitudes (Mainet, 1985). La péri-urbanisation dans les pays tropicaux demeure un axe de recherche au CEGET-CNRS (Vennetier, 1989). Une nouvelle et forte orientation est donnée par une thèse sur les villes et les industries en Côte-d'Ivoire avec l'émergence d'une géographie de l'accumulation urbaine (Dubresson, 1989), en liaison désormais avec la dynamique équipe de géographie tropicale de l'Université de Paris X-Nanterre. Avec l'éloignement du temps et l'ouverture des archives, des historiens attentifs aux développements de la question urbaine engagent sous cet angle un réexamen critique de la période coloniale et postcoloniale, principalement en Afrique. Dans le sillage d'un laboratoire associé du CNRS (Tiers monde, Afrique, Paris VII), chercheurs africains et français conjuguent leurs travaux sous forme de thèses (Kipre, 1985), ou couronnant plusieurs années de réflexions en équipe sur les processus d'urbanisation (Coquery-Vidrovitch, 1988), en sortant au besoin de l'Afrique francophone (Cahen, 1989) ou encore sous forme de recherches individuelles ou collectives sur des thèmes encore jamais étudiés en longue durée, comme les investissements publics urbains (Dulucq & Gœrg, 1989) ou sur des terrains jusqu'alors peu explorés (Margolin, 1990). Au reste, cette relecture historique des villes (Coquery- Vidrovitch, 1993) ne mobilise pas que des historiens. Des littéraires, des sociologues, et surtout des urbanistes et des architectes, moins soucieux désormais - et surtout moins sollicités - d'établir des plans d'urbanisme destinés au placard que de la préservation des patrimoines bâtis menacés par l'implosion urbaine, participent à un courant refondateur des valeurs culturelles de la ville, notamment en terres d'Islam. Ds gardent ainsi le fil de travaux antérieurs sur l'espace social de la ville arabe (Chevalier, 1979) en s'attachant au décryptage des formes et de l'évolution de leurs usages (CRA, 1982), en proposant sous le terme d' « arabisances » une vision renouvelée de l'architecture urbaine en Afrique du Nord coloniale (Beguin, 1983), en s'attaquant aux racines mêmes des processus de décomposition de la casbah d'Alger (Lesbet, 1985) 206 ÉTAT DES SAVOIRS SUR LE DÉVELOPPEMENT ou aux effets structurants ou dévastateurs de la modernité (Deluz, 1988). En Afrique noire aussi sont engagées des recherches sur les procédés architecturaux et urbanistiques, souvent à l'initiative ou avec l'appui des autorités, comme au Bénin (Sinou & Oloude, 1988). La genèse des processus d'urbanisation est étudiée in vivo (Gaye, Nicolas, 1988). C'est à la lumière de tels apports, auxquels contribue un nombre accru de chercheurs issus des pays de référence, que peuvent être proposées de nouvelles « lectures de la ville africaine contemporaine» (Fondation Aga Khan, 1983), véritable condition pour que l'urbanisme soit autre chose qu'un mot. Conclusion Avec les années quatre-vingt-dix s'ouvre, à n'en pas douter, une nouvelle période, ne serait-ce qu'en raison de l'ambiguïté accrue du terme de Tiers monde, le second n'apparaissant plus comme un modèle ni comme un recours (tout dépendra à cet égard de l'évolution de la Chine). La déstabilisation politique de nombreux pays va bon train et les villes, mal poussées, mal gérées, en sont et en seront le cadre. En France, la politique de la recherche urbaine sur les pays en voie de développement semble marquer le pas. Le réflexe de repli sur le « pré-carré» africain a toujours ses partisans. Les grands programmes mobilisateurs n'ont pas été renouvelés comme tels, le programme Rexcoop a été supprimé à la fin des années quatre-vingt, de même que l'ACA, transformée en un organisme plus modeste, sous la désignation de Villes en Développement, qui a su préserver l'héritage d'une précieuse bibliothèque spécialisée et publie un bulletin utile. Mais dans le même temps la recherche de langue française s'est plus volontiers ouverte sur des problématiques identifiées par la communauté scientifique internationale et réciproquement (on ne me tiendra pas rigueur à ce propos d'en porter témoignage par une référence en anglais: Stren, 1992). Un point de non-retour semble avoir été atteint, à partir des incitations évoquées plus haut : une nouvelle génération de chercheurs a pris le relais, dans la mouvance des institutions et équipes mobilisées de la fm des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt, en France et dans les pays francophones. On y voit désormais plus clair sur les politiques urbaines en Amérique latine (Schneier, 1989 ; C. Sachs, 1990 ; Henry/Sachs, 1991, où l'on trouvera une substantielle bibliographie thématique), sur la production URBANISAnON ET URBANISME 207 de l'espace urbain en Afrique centrale, à une échelle plus large que monographique (Piermay, 1989), sur la dimension culturelle du développement urbain (La Cambre, 1991), sur la gestion urbaine en Afrique (Jaglin, 1991 ; Stren, White, Coquery, 1993). On requestionne les formes et l'impact du secteur informel (Coquery- Vidrovitch et Nedelec, 1991). De récents colloques permettent de faire le point de ces avancées et de ce renouvellement de la recherche urbaine de langue française (ORSTOM, 1991, CNRS-GRAL, 1991). Plusieurs thèses s'achèvent, qui pour la première fois confrontent des situations urbaines en pays d'Afrique francophone et anglophone (Gervais-Lambony, 1993, Rocher). Le réseau Interurba - Tiers monde vient enfin d'accéder au statut de Groupement de Recherche (GOR). Autant d'éléments convergents, et il y en a d'autres, qui témoignent d'une mobilisation active des milieux de la recherche sur une question désormais considérée comme essentielle pour appréhender de façon correcte les problèmes liés au développement. Il n'en demeure pas moins, dans le contexte de crise généralisée des économies-monde et de redistribution des formes de domination et de dépendance, que les villes du Sud, en croissance démographique non démentie (elles totaliseront d'ici la fin du siècle plus des deuxtiers de la population urbaine mondiale), appellent un singulier et courageux élargissement des thèmes majeurs de recherche qui les concernent actuellement: au travers même et au-delà d'une reconnaissance de leurs modes de croissance, de fonctionnement et de gestion (effets des politiques d'ajustement structurel inclus), c'est à l'aune du difficile cheminement vers des formes démocratiques de gouvernement qu'on pourra mesurer leurs chances d'intégration dans un processus de développement qui ne peut pas, ne peut plus se produire sans elles. Encore faut-il que les droits et devoirs liés à la citadinité et à la citoyenneté, certes par référence à des contextes historiques et culturels donnés, soient reconnus et respectés, notamment en termes de fiscalité, de services de l'État et des collectivités locales. On est pour l'instant assez loin du compte. Malgré quelques signes prometteurs mais fragiles, c'est un véritable défi de cette fin de siècle. URBANISAnON ET URBANISME ORIENTATION BffiUOGRAPHIQUE ANTOINE Ph., DUBRESSONA., MANOU-SAVINAA., Abidjan «côté cours ». Pour comprendre la question de l'habitat, Karthala, ORSTOM, Paris, 1987. ANTOINE Ph. & COULffiALY S. (textes réunis par), L'insertion urbaine des migrants en Afrique, Actes du Séminaire CRDI - ORSTOM-URD, Lomé, fév. 87, Paris, ORSTOM, 1989. BAIROCHPaul, « Les causes de l'explosion urbaine du Tiers monde », in De Jericho à Mexico, Paris, Gallimard, 1985 (chapitre 7). 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