ETUDE SUR LES PAROISSES DU VAL D`ALLARMONT Pierre GENY
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ETUDE SUR LES PAROISSES DU VAL D`ALLARMONT Pierre GENY
ETUDE SUR LES PAROISSES DU VAL D'ALLARMONT Pierre GENY (de Glacimont) Chapitre I Le plus ancien document que nous possédions sur le passé de nos villages est l'acte de donation, plus exactement de confirmation de donation, par la comtesse Agnès de Salm à l'abbaye de Saint Sauveur de la partie du village de Raon située sur la rive droite de la Plaine, c'est à dire du Raon-LesLeau actuel. Le titre, rédigé en latin porte la date du XI Kalandas Apriles MCXXXVIII (1138). L'acte original a disparu mais, dans sa supplique adressée au Duc de Lorraine Léopold le 7 mars 1727, Jean Baptiste Piart, abbé de Domèvre, à l'occasion de son différend avec les officiers du comté de Salm à Badonviller, précise que "son extrait d'un cartulaire ancien de près de trois cents ans (donc datant de 1430 environ) et échappé de quatre incendies qui, dans le cours des trois siècles, ont consumé chaque fois presque entièrement cette abbaye tant en Vosges qu'à Domèvre, n'est pas l'original mais une copie des plus en forme puisqu'elle est attribuée, signée et paraphée en bas et que Joannes Stephani qui l'a écrite et attestée était même, suivant la tradition orale de l'abbaye, pronotaire apostolique, autre que l'ancienneté du titre qui se reconnaît par le caractère de son écriture et de son papier le rend vénérable." Puisque l'abbé Piart a gagné son procès, alors que celui-ci était dirigé contre les officiers du Duc de Lorraine lui-même en sa qualité de Comte de Salm, le titre a été alors reconnu valable; nous pouvons en faire autant. L'acte nous apprend qu'avant 1138 il existait déjà une église, certainement commune aux deux parties du village qui ont constitué dans la suite Raon sur Plaine et Raon-Les-Leau, ce qui suppose l'existence d'une agglomération de quelque importance. Chacun sait, en effet, qu'à l'époque galloromaine et très probablement auparavant, le Donon était un lieu de pèlerinage très fréquenté ainsi que l'indique l'ouvrage d'Emile Gerlach intitulé : une montagne sainte dans les Vosges. Le fait certain est que l'église de Raon-Les-Leau est, de plusieurs siècles, la plus ancienne du Val d'Allarmont. Le titre précise qu'un fils de la comtesse Agnès, nommé Guillaumes, y était enterré. L'acte de donation nous apprend encore que l'on fabriquait alors à Raon des meules en grès qui étaient exportées au loin, que l'apiculture y était en honneur et que les forêts appartenant au ban de Raon-Les-Leau s'étendaient jusqu'au lieu dit Laudamont. Ce nom a fait l'objet de discussions lors des procès de l'abbaye au XVIII° siècle; l'abbé Piart soutenait qu'il n'était qu'une corruption de "des deux monts (le grand et le petit Donon). Je pense qu'il avait raison et Laudamont désignait alors le col connu aujourd'hui sous le nom l'Entre les deux Donons; ce fut aussi le Tilleul de Bismark des Allemands, dénomination maintenant disparue, avec d'autant plus de raison que le chancelier de Guillaume I n'est jamais venu dans le pays, pas plus que de Moltke n'a connu le tilleul qui portait son nom sur la route du Donon. En fait, la forêt donnée à l'abbaye par la comtesse Agnès n'était autre que la forêt domaniale de Raon-Les-Leau avant le traité de Francfort; elle était même plus grande car, à la suite du procès Domèvre - Beauveau, elle fut amputée d'une bonne centaine d'hectares au profit des baronnies de Turquestein. Enfin, Agnès "donnait" à l'abbaye les hommes, les femmes avec leurs enfants ce qui implique une souveraineté totale. En conséquence, dès 1138, Raon Sur Plaine et Raon-Les-Leau se trouvèrent soumis à deux souverainetés différentes, situation assez paradoxale qui n'en persista pas moins jusqu' en 1799. Qui était donc la comtesse Agnès? De la maison de Montbéliard - Mousson - Bar, elle avait reçu en partage la partie du comté de Salm tel qu'il nous est connu au XVI° siècle qui s'étendait sur la rive droite de la Plaine et les villages de la vallée, Celles y compris. Elle résidait au château de Langstein (La longue Pierre) et c'est à elle que la tradition attribue la construction du donjon et le forage du puits encore visible de nos jours; c'est ce dernier ouvrage, remarquable pour l'époque qui a donné au château son nouveau nom de Pierre Percée (Petre perforata dans l'acte de 1138). Elle épousa, à une date inconnue, Hermann de Salm dont elle eut trois fils: Hermann, Conrad et Henri. La maison de Salm était originaire des Ardennes où son château dominait la rivière du même nom; c'est aujourd'hui Nidersalm, arrondissement de Bastogne, dans le Luxembourg belge. Le père d'Hermann, Hermann lui même, petit-neveu et neveu de Thierry II et d'Adalbéron III, évêque de Metz de 1006 à 1072, s'était fixé très jeune dans cette ville épiscopale. Il fut très probablement l'avoué de l'abbaye de Senones, charge dont hérite son fils, mari de la comtesse Agnès et premier comte de Salm en Vosges. L'abbaye de Senones avait été fondée en 661 par Saint Gondelnart, évêque de Sens, qui s'y était retiré. D'après Dom Calmet " elle était soumise directement au Saint Siège et jouissait des droits épiscopaux dans tout son territoire qui s'étendait en longueur, de l'Orient à l'Occident, depuis la Broque (sur la Bruche) jusqu'au bourg de Senones et en largeur, du Midi au Septentrion, depuis le village de Chatas jusqu'à l'ermitage de la Mer (la Maix). Toutefois, à la fin du VIII° siècle, Charlemagne fit don de l'abbaye à son chancelier Angelrame, évêque de Metz, ce qui explique la dépendance assez étrange de cet évêché en territoire de celui de Toul. L'avoué ou voué d'une abbaye était un laïc chargé de protéger les religieux contre les attaques du dehors et d'assurer l'intégrité de leurs biens moyennant certaines redevances en nature ou en argent. A l'origine, il était nommé par l'autorité ecclésiastique, mais dès la fin du XI° siècle, cette charge très recherchée était devenue en fait héréditaire et s'était transformée en une véritable propriété de famille : ce qui explique que Hermann, premier comte de Salm, en ait hérité de son père. Nous verrons que théoriquement défenseurs de l'abbaye de Senones, les comtes de Salm s'appliquèrent avec une persévérance peu louable et pendant quatre siècles et demi à grignoter par petits bouts ou par gros morceaux les biens de celle-ci. Hermann lui-même ne manqua de mettre la main à ce travail de longue haleine et fut excommunié par l'évêque de Metz pour ses entreprises contre l'abbaye. D'après Digot, il fut tué à la bataille de Frouard en 1127. La comtesse Agnès épousa en deuxième noces Godefroid de Castres, comte de Belcastel (c'est le Gottfried de l'acte de 1138) et en eut un fils Guillaume (le Wilhelmus du même acte). Tous deux moururent peu après. Ici se placent, la donation de Raon-Les-Leau à l'abbaye de Saint Sauveur puis la fondation, en 1140, toujours par la comtesse Agnès, de l'abbaye de Haute Seille, peu à l'aval de Cirey-Sur-Vezouze; en voit aujourd'hui quelques reste à la ferme du même nom. Nous arrivons à la guerre entre le comté de Salm d'une part, Etienne de Bar, évêque de Metz et Renaud, comte de Bar, tous deux frères de la comtesse Agnès, guerre qui a fait l'objet de plusieurs récits plus ou moins romancés. Il est certain que cette guerre a eu lieu, mais la date exacte n'en est pas connue; elle est certainement postérieure à 1140. D'après la tradition le château de Pierre Percée aurait été assiégé par Etienne de Bar et plusieurs fortins auraient été élevés par ses troupes en vue d'empêcher toute communication avec le dehors; c'est au cours de l'attaque de l'un de ces ouvrages par les assiégés, au lieu dit Dame Galle, que la comtesse Agnès aurait été mortellement blessée. On rapporte que son corps fut ramené par ses soldats, par la montagne et avec bien des difficultés, jusqu'à Raon-Les-Leau où il fut inhumé dans l'église par Ysembert, ermite de la Maix. Si cette tradition est véridique les restes de la comtesse Agnès et de son fils reposent encore sous le sol de l'église de Raon-Les-Leau qui fut élevée au XVIII° siècle à la place même de l'ancienne ruinée vers 1636. Notons ici que, d'après le baron Seillère, l'ermitage de la Maix avait été fondé vers la fin du XI° siècle par un religieux de l'abbaye de Senones. La guerre dont il vient d'être question n'empêcha pas Henri de Salm, le plus jeune fils d'Hermann et d'Agnès de succéder à son père comme comte et la maison de Salm ainsi établie plus solidement dans le pays après cette crise, il est utile de préciser quels étaient ses voisins, quel était son domaine et quel était aussi celui de l'abbaye de Senones. Dans la vallée de la Plaine, Raon-Les-Leau et les forêts de la rive droite, en commençant par l'amont, étaient la propriété de l'abbaye de Saint Sauveur jusqu'à la frontière de 1871, domaine lui-même limité à l'Ouest et au Nord par les baronnies de Turquestein. Puis venait le Ban le Moine qui s'étendait jusqu'à la Basse de Haranzey, celle que remonte la route actuelle d'Allarmont à Badonviller ; cette basse la séparait du domaine propre des comtes de Salm, non seulement jusqu'à la ligne de crête, vers la chapelotte, mais, par Allencombe, jusqu'à Bréménil aux environs duquel une partie de forêt a conservé jusqu'à ce jour le nom de Ban le Moine. A noter qu'au XVII° siècle encore le pont qui traverse la Plaine à la scierie de la Turbine portait le nom de Moinepont. On doit conclure que ce domaine forestier de grande étendue appartenait originairement à une abbaye; comme il ne s'agit ni de Senones ni de Haute Seille, on peut supposer que le propriétaire en était l'abbaye d'Offonville dont il ne subsiste que le nom et dont on sait seulement qu'elle s'élevait dans la vallée de Celles Au delà de la basse de Haranzey commençaient les bois du conté de Salm, soit la forêt actuelle des Ellieux, qui comprenaient des bois dits de chambre, propriété exclusive des comtés et des bois communaux où les habitants des villages voisins avaient des droits d'usage (paisson des porcs dans les bois de chênes et de hêtres, bois pour la réparation des maisons et autres bâtiments ruraux et pour l'entretien des clôtures). Cette forêt et le comté étaient limités au Sud par le ruisseau de Voney qui les séparait des bois de l'Evêché, châtellerie de Baccarat, forêt actuelle du Grand Reclos. Sur la rive gauche de la Plaine, en face de la scierie Lajus, les comtes possédaient encore le petit bois communal de Malhay (Mals Haye, c'est à dire Mauvais Bois) sur la limite des bois de Raon-La-Tappe: c'était alors le nom de Raon l'Etape, sans doute parce que les marchandises qui passaient par là devaient payer une taxe: on y était tapé. Enfin le bois de chambre de la basse d'Ougney. Puis commençaient, en remontant la rivière, les bois communaux de Celles qui s'étendaient jusqu'à la fontaine de la Hallière, très voisins de la scierie du ce nom. A cet endroit, la vallée prenait le nom de Val d'Allarmont, district comprenant le village de ce nom, Vexaincourt, Luvigny et Raon Sur Plaine: tout le long du Val d'Allarmont régnaient les Bois Sauvages qui se prolongeaient jusqu'au pied du Petit Donon. Les bois communaux de Celles comme les Bois Sauvages appartenaient à l'abbaye de Senones, de même que tous les villages et forêts dont il va être question ci-après. Le Val d'Allarmont était limité de Val de Senones (vallée du Rabodeau) et du Ban de Salm par la crète de la Montagne (Noir Brocard, Haut du Bon Dieu), la Corbeille, la Vieille Sente Ferry (la route actuelle de Prayé) et enfin par le chemin du Marché des Paisseaux (à peu de chose près la route de Cirey et Abreschviller), laissant en Ban de Salm le Donon qui faisait partie du Han des forges de Framont. Le ban de Salm comprenait les villages de Grandfontaine, Vacquenoux, La Broque, Vipucelle, Fréconrupt et le hameau des Quevelles. Sa limite avec les bois de l'évêché de Strasbourg était d'abord la goutte du Marteau, le Moosbach des Allemands, qui descend d'Entre les deux Donons puis par le cours d'eau formé par la réunion de celui-ci à plusieurs autres : 1. La goutte Ferry venant du col du Donon 2. Le ruisseau de Grandfontaine descendant des Minières : c'est à la source très abondante de celui-ci que le village de Grandfontaine doit son nom. Il y a quelques années encore, elle jaillissait à l'air libre au bas de l'agglomération; elle a été depuis captée en partie. 3. Le ruisseau de Framont, le grand Goutty des cartes, venu des Hautes Chaumes. Peu après, le cours d'eau ainsi formé prenait le nom de rivière de Vacquenoux jusqu'à son confluent avec la Bruxine (la Bruche d'aujourd'hui) On voit qu'à cette époque, les cours d'eau changeaient ordinairement de nom à chaque confluent important. En voici un autre exemple tiré du ruisseau de Framont : il ne portait ce nom que depuis son confluent jusqu'à la basse de la Truite, (on la nommait ensuite chesnal du Moulin jusqu'à la basse Madeleine), autrefois basse de la Soie de Salm, et plus haut encore, vers les chaumes, la Grande Goutte. Vers le sud, le ban de Salm était séparé du ban de Plaine par le ruisseau de Lambermoulin qui descend des environs de la Chatte Pendue pour se jeter dans la Bruche au Pont d'en bas (et non des Bas). Et vers l'ouest, sa limite avec le Val de Senones était constituée par les chaumes depuis la Croix des chaumes jusqu'à la Corbeille. Il comprenait un bois de chambre, la Panbois (la Tête Pelée d'aujourd'hui), des bois communaux et le han des forges de Framont qui fournissait à celles-ci le charbon qui lui était nécessaire. J'ai quelque peu insisté sur ce ban de Salm pour deux raisons: sa proximité de nos trois villages et le fait que dans la suite, beaucoup de leurs habitants furent employés par les forges ou exploitèrent les chaumes. Du ban de Plaine, déjà plus éloigné, nous dirons seulement que les comtés de Salm y possédaient une minière et une forge à Champeney et nous nous bornerons à nommer la prévôté de Saint Ail (le Saint Stail actuel) et le Val de Senones au sud du domaine de l'abbaye. Il est certain que, dans la description qui précède, il a été anticipé sur l'état des choses à l'époque où nous sommes parvenus, c'est à dire au milieu du XII° siècle. Le château de Salm n'était pas encore édifié et il ne pouvait donc être question du ban de Salm. De même, les forges de Framont et de Champenay n'existaient pas. Les divisions du pays, telles qu'elles ont été précisées ne l'ont sans doute été que plus tardivement, peut-être seulement après le coup d'état de 1571: elles sont en tout cas exactes pour l'époque au sujet de laquelle seront apportés des renseignements inédits. Ajoutons enfin, d'après Gerlach, qu'avant 1152 Granfontaine avait une église, l'une des plus ancienne du pays. Chapitre II L'abbaye de Senones et les comtes de Salm A Henri I, deuxième comte de Salm en Vosges, succéda son fils, Henri II. C'est lui qui fit édifier avant 1190 le château de Salm entre la Chatte Pendue et le hameau qui a pris son nom, en plein domaine de l'abbaye; il n'en reste que bien peu de chose: le sommet d'une petite tour d'où on a une vue agréable, notamment vers le Donon qui se présente particulièrement bien, on remarque aussi fixée au rocher une plaque de fonte provenant de Framont portant une inscription commémorative de la visite d'un des princes de Salm au XVIII° siècle au château de ses lointains ancêtres. D'après Dom Calmet, Henri, 32° abbé de Senones de 1205 à 1225, commit l'erreur de recourir à Henri II pour arbitrer un différend qui s'était élevé entre lui et ses religieux: le comte en profita pour reprendre sur le domaine de Senones les empiétements inaugurés par son grand-père. Il n'en prit pas moins part à la troisième croisade dans l'armée de l'empereur Frédéric Barberousse. Il eut une bien triste fin, racontée par le chroniqueur Richer, moine de Senones, son contemporain. Henri avait deux fils, Henri et Frédéric, qui s'entendirent pour le dépouiller. Le premier tomba si gravement malade qu'on le crut mort; la mère, Judith de Lorraine, le fit ensevelir à la hâte dans l'abbaye de Haute-Seille; quand on s'aperçut qu'on s'était trop pressé, il n'était plus temps. Richer considère cet affreux fait comme un avertissement du ciel. Bien loin d'en être effrayé, Frédéric poursuivit ses projets et chassa son vieux père qui s'éloigne à pied, cherchant un asile. L'abbé de Senones lui procura un cheval et il gagna le château de Salm où il finit ses jours dans la misère. L'abbaye lui assura une sépulture honorable dans son église et Richer affirme avoir gravé lui-même sur la pierre tombale l'effigie du défunt. Son petit fils, Henri IV, lui succéda et, plus encore que ses prédécesseurs, s'en prit au domaine de Senones. C'est lui qui édifia les forges de Framont, événement important pour nos villages car si leurs habitants ne furent jamais mineurs ni métallurgistes, beaucoup d'entre eux exerçaient dans la suite le métier de bocquillons: ceux-ci coupaient le bois en forêt, le transformaient en charbon par le procédé des meules et le transportaient aux forges. Le ban des Forges de Framont, tout entier dans le ban de Salm, fut à l'origine spécialement apprêté à cette fourniture, mais assez tôt il n'y suffit plus malgré l'importance de son étendue qui était de 11355 arpents soit 2316 hectares: il fallait chercher le charbon plus loin, même dans des forêts ne dépendant pas du comté. C'est ainsi que l'on retrouve aujourd'hui encore, à grande distance de Framont, de nombreuses "places à charbon"; d'où aussi le nom des "chemins des bannes" ou Bennes qui servaient au transport, sur la crête Plaine - Rabodeau par exemple. Comme Henri IV avait construit ses installations sur le terrain de l'abbaye, il s'ensuivit au procès au cours duquel le comte fut excommunié en 1264 et qui se termina par sa condamnation à démolir ses bâtiments; ce n'était pas une solution et un compromis intervint: les forges seraient exploitées conjointement par les comtes et par l'abbaye. Les divers éléments de cette industrie étaient assez curieusement disposés. Le minerai, on disait alors la mine, était extrait à ciel ouvert de la minière. Celle-ci se trouvait sur le versant Nord de la tête Mathis, au-dessus du village actuel des Minières, un peu à l'ouest de la cote 685 de la carte au 1/25000°. Au cours de la guerre de 1914-1918, les allemands ont tenté de retrouver ce gisement: il existe encore un découvert important vers la cote 669 de la même carte et plusieurs galeries furent creusées au fond même de la vallée: de l'une d'elles est sortie pendant plusieurs années une source chaude qui s'est depuis refroidie mais reste très chargée en sel de fer. Il ne semble pas que ces recherches aient été couronnées de succès; il est toujours dangereux de mésestimer l'efficacité des mineurs du temps passé. Le haut fourneau se trouvait dans la basse de Framont près de la petite agglomération qui en a conservé le nom: d'où premier transport du minerai. Quant à la forge, elle était à Framont même: d'où deuxième transport de la fonte. Enfin, le nom de la basse du Marteau implique qu'au bas de celle-ci existait un marteau pilon, sans doute mû hydrauliquement. On voit que la concentration n'était pas encore à l'ordre du jour. D'après Dom Calmet, l'abbé de Senones fit en 1284 un tort irréparable à l'abbaye en "accompagnant" les comtes de Salm pour tous les bois de l'abbaye, soit pour plus de 80.000 arpents, chiffre qui paraît peu exagéré, alors qu'en contrepartie les comtes n'étaient accompagnés que pour les bois des Ougney de 2.000 arpents environ. D'après cet arrangement le propriétaire originaire restait maître su sol, gardait le droit de paissonnage mais cédait la moitié des produits forestiers. L'abbaye ne conservait en toute propriété que "quelques forestelles et bois taillis", en particulier le bois dit "de la tour" au-dessus de la Broque qui a aujourd'hui disparu. En 1328, Jean I de Salm fit avec les abbayes de Senones et de Moyenmoutier une opération analogue par laquelle il les accompagnait dans tous les bois de la vallée de Ravines qui prirent alors le nom de bois de compagnie. Un siècle et demi s'écoule ensuite sans qu'à notre connaissance il se passe rien qui intéresse directement nos trois villages. En 1459, Jeannette de Salm, fille du comte Claude qui n'a pas régné, épouse le rhingrave Jean V. La famille des rhingraves était originaire du Palatin et comprenait deux branches, celle de Dhaun et celle de Kirburg. La première qui nous intéresse plus spécialement avait ajouté à son titre celui de comtes sauvages par confusion entre les mots allemands Waldgraf et Wildgraf, depuis que le rhingrave Jean III avait épousé Adélaïde, fille du dernier rhingrave de Kirburg. Du mariage de Jeannette de Salm et de Jean V sort la branche des rhingraves qui régnèrent conjointement avec celles des comtes en restant en indivision. C'est ainsi qu'en 1488 le rhingrave Jean VI fait hommage pour sa part dans les châteaux de Pierre Percée et de Salm à l'évêque de Metz. Jean VI mourut en 1499. Ses fils, Philippe et Jean se partagèrent ses biens ressuscitant la branche de Kirburg et recevant la terre de Neuviller sur Moselle et la moitié de la baronnie de Fénétrange, Philippe conservant le titre de Dhaun et recevant les droits de la famille sur le comté de Salm. Le rhingrave Philippe eut lui-même deux fils, Philippe François et Jean Philippe; celui-ci après une vie très mouvementée au service du roi de France mourut sans enfants; ses neveux, Jean Philippe II et Frédéric succédèrent donc à leurs père et oncle C'est en 1540 que les rhingraves embrassèrent la réforme luthérienne. En 1524 déjà, l'abbaye de Saint Sauveur avait été dévastée une première fois par les Rustauds: ces paysans alsaciens protestants, révoltés contre les nobles et le clergé, furent peu après écrasés par le duc François de Lorraine. Le rhingrave Jean Philippe appela des ministres à Badonviller et la religion protestante se répandit rapidement dans le comté. En 1552, le roi de France Henri II s'empara de Metz dont la possession fut confirmée par le traité de Coteau Cambrésis en 1559: la suzeraineté de l'évêque de Metz sur les châteaux de Pierre Percée et de Salm ainsi que sur la vouerie de Senones disparaissant ainsi et le comté, tout en continuant à faire partie du Saint Empire devenait pratiquement indépendant. Un fait curieux est que les rhingraves de Salm, quoique protestants et favorisant la réforme dans leurs possessions autant qu'ils le pouvaient, continuèrent à servir le roi de France et c'est ainsi qu'en 1569 Jean Philippe, combattant dans les rangs catholiques à la bataille de Moncontcour, fut grièvement blessé au cours d'un combat singulier contre l'amiral de Coligny, chef de ses coreligionnaires: quoique soigné par le célèbre chirurgien Ambroise Paré, il mourut au bout de quelques jours. Restait le rhingrave Frédéric; ce sont probablement de ses sujets protestants qui incendièrent l'abbaye de Saint Sauveur et c'est alors que celle-ci, sous le gouvernement de l'abbé Malziat se transporte à Domèvre (Domèvre = Dom Epvre) et il y eut plus tard une scierie Saint Epvre dans le ban de Raon-Les-Leau. Frédéric, qui se maria quatre fois, épousa en premières noces Françoise de Salm, sœur de Jean X, dernier comte de Salm de la première dynastie, maréchal de Lorraine comme l'avaient été son père et son grand-père, gouverneur de Nancy. Deux beaux frères régnaient donc en indivision sur le comté. C'est en 1571 que, débarrassés de l'hommage auparavant dû à l'évêque de Metz et sûrs de trouver un appui dans ceux de leurs sujets devenus protestants, ils se décidèrent à établir leur souveraineté sur le domaine de l'abbaye de Senones. En février, une première assemblée eut lieu à Badonviller, alors capitale du comté, qui réunit les officiers et les maires de la vallée de la Plaine et du Val de Senones qui prêtèrent serment de fidélité au comte et au rhingrave. L'abbé Raville, jusqu'alors souverain incontesté dans son domaine, adresse une plainte directe à l'empereur Maximilien qui désigna comme arbitre Nicolas de Polweiller, grand bailli d'Alsace; sous ses auspices, plusieurs conférence eurent lieu, sans aucun résultat. C'est alors que fut employée la manière forte : une nouvelle assemblée eut lieu le 29 septembre, à Senones cette fois, mais avec la participation de la force armée et de la partie de la population que l'on savait favorable. Les moines effrayés prirent la fuite et les deux beaux-frères n'eurent aucune peine à obtenir de ceux qui se trouvaient là le serment de fidélité, constaté sur le champ par un notaire. Cette opération que l'on peut qualifier de pur brigandage ne se passa pas sans violence. Une bande armée poursuivit les moines jusqu'à l'abbaye du Moniet près de Baccarat où il s'étaient réfugiés et Nicolas Saxenat, curé de Domptail, qui engageait les protestants à se retirer, fut massacré sans pitié. L'abbé Raville ne manqua pas de protester auprès du pape et de l'empereur mais les choses traînèrent en longueur. Sur l'intervention de celui-ci Jean de Manderscheid, évêque de Strasbourg s'efforça de trouver un compromis et, le 2 Octobre 1573, l'abbé Raville ratifia le prétendu plébiscite (de 1571). Les moines rentrèrent à Senones mais l'abbaye perdait non seulement sa souveraineté mais aussi une grande partie de ses biens. Elle renonçait notamment à tout que qu'elle pouvait prétendre sur les scies du Val d'Allarmont et sur les Bois Sauvages, gardant les scies du Val de Senones, elle cédait aussi sa part des forges de Framont moyennant une redevance annuelle de deux mille livres de fer ouvré. Enfin, comme c'était déjà le cas à Badonviller, les églises du Val de Senones devenaient communes aux catholiques et aux protestants. Il ne semble pas que la même mesure ait été prise pour les autres églises du comté, notamment pour celles de Luvigny et de Celles. En bref, la maison de Salm pouvait considérer que son oeuvre multiséculaire était heureusement menée à bien. Le procès-verbal de la visitation des bois du comté effectuée par le sieur Barnet, châtelain de Badonviller, pour le comte et par Mr de Billistein, super intendant de Mgr le rhingrave depuis 1564 au moins pour ce dernier, démontre en effet que les propriétés de l'abbaye étaient passées en presque totalité aux mains du comte et du rhingrave de Salm. Il est intéressant de remarquer qu'au milieu du XVIII° siècle, l'un des principaux officiers des princes de Salm était un Billistein. C'est de lui sans doute qu'il est question dans l'ouvrage intitulé : Réflexions sur l'histoire de Lorraine d' Hubert Elie (1961). Chapitre III Il est utile de s'arrêter quelque peu au procès-verbal dont il vient d'être question car il apporte de précieux renseignements sur l'état du pays lors de sa rédaction bien qu'il ne s'occupe que des forêts et des forges; et d'autre part, quoiqu'il soit le plus anciens des documents importants consultés, il apparaît comme le plus méthodiquement et le plus soigneusement établi. Nous ne reviendrons pas sur les divisions du comté qui ont été indiquées précédemment et pas d'avantage sur la prévôté de Saint Ail, le Val de Senones et le ban de Plaine trop éloignés du Val d'Allarmont. Nous noterons seulement à propos des deux derniers : 1. que la roche de ma mère Henri, au dessus de Senones, qui a eu les honneurs du communique de la guerre 1914-1918 est en réalité "la pierre du Maire Henri". 2. que le col du Hantz doit son nom dont l'étymologie a été discutée à ce qu'il donnait accès du Val de Senones au Han ou Hanz des forges de Champenay. 3. que le nom de la Chatte Pendue, qui est évidemment un calembour pour la Haute (prononcé Hatte) Pierre Pendue, reste respectable car la Chatte apparaît déjà dans le document de 1577. Les commissaires arrivent à Framont le 29 mars au soir. "le lendemain, pénultième jour dudict mois, après avoir faict visitation de la forge de Grand Fontaine et l'avoir trouvée forgeant un meslange faict avec les trois quarts de la mine (du minerai) dudict Grand Fontaine et un quart de la mine de Champenay fondus ensemble au fourneau qui fond à Framont et pour cognoistre la bonté dudict fer, a esté éprouvé par le mareschal dudict Grand Fontaine en fers de ....., clous, chaînons soudés et fer ouvragé lequel a esté trouvé partout fort doux, pliant et malléable, de mesme estant en bandes. y a esté faict démonstration de sa bonté par les.... qui se voient de long et non plus de travers comme elles faisaient du passé et c'est la seule cause du meslange. Au moyen duquel le fondeur se trouve beaucoup soulage en abrégeant et faisant plus d'ouvrage d'un quart qu'il ne faisait avec la pure mine dudict Grand Fontaine laquelle à raison dudict meslange fond plus vite et coule mieux. de mesme, les affineurs et martelleurs qui augmentent leurs ouvrages d'un tiers de fer fort bon et du meilleur quoy savoir trouver. Et pour entretenir le fourneau d'un quart de mine de Champenay a esté advisé d'acheter six asnes qu'on pourra trouver à l'environ de Nancy qui coûteront environ cent francs et pour les conduire fauldra trouver aussy un asnier qui les aura en sa charge, lequel tant en sa nourriture qu'en son salaire ne pourra couster plus de cent francs par an ny les asnes pour leur entretènement. Il faudra faire logis aux Quevelles pour l'aise de ce bestail et la facilité plus grand du chemin, estant au milieu des deux forges. A quoy fauldra pouvoir incontinent. Il fauldra enfin avoir un controlle qui sache lire et écrire et soit fidèle et diligent lequel pourra fournir au delfruict desdistes forges et pourra controller le gruyer qui sera commis es marches des bois du Val de Senones, du ban de Plaine et du ban de Salm." Ce texte assez savoureux nous apprend qu'au seizième siècle les forges de Framont avaient déjà leur bureau d'études et aussi que le seul élément du prix de revient qui ne coûtât a peu près rien était le travail humain. On imagine mal aujourd'hui un haut fourneau fourni de minerai par des ânes ; le parcours assez accidenté entre Champenay et Framont est d'une vingtaine de kilomètres et les Quevelles se trouvent à peu près au milieu. Notons ici que leur nom, connu de tout temps a été transformé assez malheureusement en les Quelles. On peut se demander où les exploitants des forges trouvaient alors leur castine: probablement sur le filon de dolomie utilisé par le chauffour de Raon sur Plaine au pré le Masson et par celui des Minières; ce filon reparaît sur le sentier de Schirmeck au Donon et devait être exploité aux environs de Grandfontaine. "Du Dimanche dernier dudict mois de Mars. il a esté dict que la goutte du Marteau faict séparation des bois de l'Evesché de Strasbourg et de ceulx des comtes de Salm laquelle goutte monte droit aux deux Donons et faict séparation desdits Donnons dont l'un est plus grand sur ledict comté et l'autre est plus petit sur ledict évesché. Commencent lesdicts commissaires partant des forges de Framont et passant par le village de Grandfontaine auraient monté en hault par la goutte Ferry laissant le grand chemin allant en allemagne à gauche". Le grand chemin que les commissaires laissent est le vieux chemin conduisant de Raon sur Plaine en Alsace. De Grandfontaine, il remontait le vallon des Minières, passait à l'Etoile, longeait au Nord les près de la Crache, dits alors la feigne de Corbolle et rejoignait au-dessous de l'ardoisière le chemin actuel du Haut Bout par lequel il arrivait à Raon. "Par laquelle goutte Ferry (son nom était presque oublié mais la carte au 1/25.000° l'a rétabli) se trouvent deux autres basses, l'une appelée la basse des Allemands à droicte vers lesdicts Donons, l'aultre la basse du bruslé à gauche " Ici, il faut comprendre que les commissaires remontant la goutte Ferry se tournent vers le Donon et y voient deux basses, l'une à droite qui est traversée par la route de Raon à Schrirmeck à la cote 634, l'autre à gauche, donc à l'amont, qui est marquée par un tournant de cette route. " Sur ladicte basse de la goutte Ferry y a une montagne tirant à Raon sur Plaine appelée la montagne du Rullieu (le morveux actuel) où il reste encore quelque peu de bois pour la forge ayant été depuis naguère couppé pour l'usage d'icelle. Aux plaines du dessus (qu'on appelle les Ordons) qu'il y ait eu de fort beau bois qui a esté fort longtemps couppé pour l'usage de la forge, n'y est rien resté à cause du labourage qu'on y a faict et du bestail qui y a continuellement pasturé. ce qu'il faut nécessairement deffendre et prendre garde qu'il n'y soit plus entrepris car le fond y apparaît fort bon pour renaistre du bois et est la seule cause de destruction du bois" . Les Ordons étaient les régions de bois spécialement destinés à la fabrication du charbon nécessaire aux forges. Il y a lieu de penser que le mot Ordons viens de ce que ces bois étaient exploités suivant un certain ordre, ce qui n'était pas le cas pour les autres. L'ordon prenait le nom de l'équipe, ordinairement familiale, qui y travaillait; je pense que le nom de la Tête Mathis vient de l'ordon Mathieu mentionné dans nos documents. Nous nous trouvons ici au col du Donon, dans les prés dépendant aujourd'hui des fermes du Donon et du Bas Donon ; ce lieu était, dans d'autres textes, nommé les Pasturaulx. Val d'Allarmont "De là commence le finage de Raon sur Plaine qu'est le premier village du Val d'Allarmont et prend dès le pied du grand Donon descendant vers la coste dudict Raon à gauche et à droite dedans la basse de la Chaulde Roche laquelle basse dès le pied du petit Donon se continue jusques audict Raon et fait le fond de ladicte basse séparation du conté de Salm des bois de l'abbaye de Saint Sauveur." La côte de Raon est la ligne de hauteurs limitant les basses de Chauderoche d'une part et celle de la goutte Guyot d'autre part. Dès cette époque elle était suivie par "le neuf chemin allant de Ravon en Allemagne". Celui-ci, dit de Haranzey, empruntait depuis Raon les deux racourcis actuels (chemin des corvées), suivait sur une courte distance le tracé actuel de la route, puis par le calvaire le chemin communal en laissant Glacimont à droite, gagnait la maison des basses Abrayes (aujourd'hui les Oberlé) puis le vieille sente Ferry (route de Prayé) qu'elle suivait jusqu'à la plateforme du Donon. "le penchant de laquelle (basse de Chauderoche) du coste du comté et spéciallement de la scye dicte de Rozière jusques au petit Donon est for bien peuplée de bois notamment de sappin, le plus hault et le mieux peuplé qui s'en puisse trouver dans tout le dict comté sauve qu'en hault sous le gros Donnon en aulcurs endroits que les passeleurs du ban de Salm ont ruynés." La partie de forêt dont il est question était limitée en haut par le chemin du marché des paisseaux (échalas) qui suivait à peu près le tracé de la route actuelle d'Abreschviller. Le nom de ce chemin mérite explication car il n'y avait évidemment, et surtout à cet endroit, de marché spécialisé aux échalas. Je propose la suivante : d'une part cette région, comme on vient de le voir, était exploitée par les passeliers ; et d'autre part ce chemin rejoignait à la cote 789 celui des Botteliers allant à Saint Quirin et à proximité duquel se tenait avant les guerres du XVII° siècle, au lieu dit Sac de pierre (cote 823 au Sud Est de la Malcôte) un marché aux grains et aux bestiaux. L'existence de ce marché a fait l'objet de discussions mais d'après les pièces du procès de Domèvre contre les princes de Craon et de Beauvau il est certain que cette tradition était encore bien vivante au milieu du XVIII° siècle. "Tout lequel pendant du moins depuis le scye de Rozière sert de marches à six scyes qui sont au fond de ladicte basse de la Chaulde Roche dont la première s'appelle comme dict la scye de Rozière, la seconde la Haulte Scye, la troisième la scye de la Roche, la quatrième le scye de la Chaulde Roche, la cinquième la scye de la Brocque, la sixième la scye de Chenomprey (plus tard Thémenonprey ; prey = pré)" Suit la description des marches de ces scies sur laquelle nous n'insisterons pas mais qui permet de situer les ruisseaux de Rozière, de Hatton et de Sourel. Le premier est celui qui, né au flanc du Grand Donon, traverse le route d'Abreschviller quelques centaines de mètres après la plate-forme et rejoint la Plaine à la cote 577 ; le rux de Hatton prend sa source dans les prés du Donon et atteint la Plaine un peu à l'amont des Chaudes Roches ; le rux de Sourel, dont le nom transformé en Soriet se retrouve à l'ancien cadastre de Raon, vient de la maison forestière de la Tête du Cerf et desservait la carrière exploitée il y a quelques années encore par la famille Benay. La scie de la Brocque (de l'allemand Brücke =pont), nom encore très répandu dans le pays, devait se trouver au pont de la Plaine en face de la maison forestière de Saint Pierre. Quant à la scie de Thémenonprey, elle était au village même ; elle fut plus tard transformée en moulin puis redevint scierie sous le nom de scie du Moulin. Outre sa marche dans la basse de Chauderoche, elle exploitait la Poutal (Poutot actuel) et la Hazelle de Raon jusqu'au pré le Kief. "Toutes lesquelles marches peuvent encore rendre de bon bois pour lesdicts scyes et alors qu'elles fauldront (en manqueront), le dessus de ladicte contrée de bois pendant sur Chaulde Roche de ladicte scye de Rozière en montant jusques au pied du petit Donon sera suffisant pour distribuer à une chascune une nouvelle marche pendant bien longtemps, estant le bois fort beau et bien peuplé et aussy facile pour le charroy fors qu'il est un petit peu plus éloigné. Cependant lesdictes vielles marches se garderont et se reposeront pour donner loisir aux sapineaux qui poussent en abondance de devenir grands et propres à servir aux scyes et ainsy alternativement de temps en temps, lesquelles scyes seront fournies et ne discontinueront jamais." Les commissaires étaient si bien persuadés de cette pérennité que, quelques années après, on édifiait une septième scierie, celle du Cerf, à l'amont de celle de Rozière. Ils se trompaient lourdement ; sans doute ont-ils évalué trop largement la superficie disponible à l'amont du rux de Rozière ou ontils commis une erreur analogue à celle du gruyer de Nancy qui, visitant en Décembre 1598 le fey des Donons (haut du Blanc Rupt) estimait le cube de bois à "150 à 200 voire 250 cordes par arpent" Le Chiffre de 200 cordes correspond à environ 1000 mètres cubes à l'hectare, ce qui est évidemment exagéré. En fait, une vingtaine d'années après, plusieurs des scies de la basse étaient arrêtées faute de bois et d'autres allaient le chercher au fey des Donons. "La teste de la coste dudict Raon sur Plaine pendant sur le village est toute déforestée estant le lieu où les habitants labourent et plus où les charretiers qui reviennent d'Allemagne couppent et chargent du bois pour la retenue de leurs chars en descendant. Ce quoy fauldra donner ordre à ce que les habitants de Ravon n'entrent d'avantage dans les bois pour y labourer plus oultre et que, selon l'ancienneté, les charettiers s'abstiendre de coupper bois mais qu'il garnissent ... pour serrer les roues des chariots comme font les aultres qui descendent semblables montagnes où il n'y a pas de bois. Le semblable faut-il observer à la descente du Grand Fontaine pour le (ragdr) desdicts charretiers spéciallement". Cette observation des commissaires est certainement à l'origine du droit de "trainesses" peu après mis aux enchères à la chandelle. L'adjudicataire achetait ainsi le droit de couper du bois mort et de le vendre aux charretiers pour leur servir de frein. "De l'aultre part de ladicte coste de Raon vers les channes (chaumes) est une basse dicte la coste Guyot en laquelle sont encore quatre scyes. Dont la première (à l'amont) s'appelle la scye du rux d'Abraye (probablement aux environs du confluent du rux d'Abraye et du rux de la Crache), la deuxième la Vielle scye Guyot, la troisième la Neuf scye Guyot (le Martinet ?) et la quatrième la scye du Grabe (scie du Vautour au Haut Bout de Raon, le nom du Grabe étant encore connu aujourd'hui). Nous ne détaillerons pas les limites des marches de ces scies, nous bornant à relever certains noms de lieux : la montagne de La Corbolle (la Corbeille). La Haulte Teste (la plus élevée des Hazelles, cote 832); le prey le Kieffre (d'abord Keiffer, le Kieffre, enfin le Kief), le saut de la Crache, le feigne de Borbolle (le près de la Crache); le briseux le Prestre (col 721-729) entre la basse de la Crache et celle de la Maix et à proximité de la Croix Brignon, la Teste du Foug (du hêtre) cote 809 au dessus de l'ardoisière. Ajoutons que, lors de la visite des commissaires, trois de ces scies devaient chercher partie au moins de leur bois dans le haut de la basse de la Maix, leurs marches étant pratiquement épuisées. " le dessus des marches de quatre scyes devant déclarées est le commencement des chaves (chaumes) de ce costé là qui est razé et a esté dict qu'en tout le contenu desdictes chaves il n'y a aulcun bois sinon qu'en un seul lieu la Haulte Loge pendant sur le ruisseau qui descend à Moussey, Val de Senones, dedans lequel bois on ne saurait jamais rien prendre ny pour forge ny pour scye." (à cause de son éloignement et de sa situation presque au sommet des Hautes Chaumes) Ce texte démontre qu'à l'époque les chaumes de Raon étaient d'un seul tenant avec celles du Val de Senones. J'ai encore connu la Corbeille non plus en chaume mais en bruyères qui s'étendaient jusqu'à la maison forestière de Prayé. Et d'après l'aspect actuel de la forêt on doit supposer que les chaumes, du coté de Raon descendaient à peu près jusqu'au chemin qui conduit du haut des prés de la Crache à la Croix Brignon ; il est probable qu'elles se prolongeaient vers le Haute Tête. C'est sans doute pour cette raison que les chaumes ont été au XVI° et XVII° siècles exploitées par des gens du Val d'Allarmont ; le fait est démontré par le choix des experts consultés lors du partage de 1598 dont il sera question ci-après: c'étaient tous des habitants de Raon sur Plaine et d'Allarmont ; très fréquemment aussi ils ont été adjudicataires des scies des chaumes, les Chavons actuels : il est donc indiqué d'en parler à propos de nos trois villages. On croyait alors que les chaumes avaient été primitivement boisées et transformées à une époque ancienne en pâturages propres à nourrir le bétail pendant la belle saison. Cette opinion parait inacceptable pour deux raisons 1. le pays était connu sous le nom de chaumontais, appellation qui implique l'existence des chaumes à une époque très reculée. Le vocable subsiste aujourd'hui aux anciennes écuries de Chaumont sur la crête rive droite de la Plaine au-dessus d'Allarmont. 2. On imagine difficilement qu'alors que la région était encore très peu peuplée ses habitants se soient livrés à un travail énorme de défrichement et de mise en valeur cela précisément dans les lieux les moins accessibles. Toujours est-il qu'au XVI° siècle les Chaumes occupaient une superficie très importante. Il y avait au Blanc Rupt : celle de Marcairerie dont une maison forestière dans la vallée de la Sarre Rouge rappelle encore le nom, celles de la Large Pierre et de Réquival sur la crête rive gauche. Dans la vallée de la Plaine, les Chaumes s'étendaient de la Corbeille jusqu'au Noir Brocard. Mais les plus importantes et les plus régulièrement exploitées se trouvaient sur le crête qui sépare le Val de Senones des bans de Salm et de Plaine depuis Bipierre jusqu'au sommet dominant directement le col du Hanz : celles-ci ne cessèrent d'être utilisées comme pâturages qu'au XIX° siècle. Elles furent en dernier lieu la propriété de l'Etat vers 1840, elles furent repiquées à partir de cette époque. De même, les chaumes de l'abbaye de Domèvre, notamment celle de la Belle Ligne furent exploitées comme telles au cours du dix huitième siècle. "Après la montagne de la Hazelle de Ravon vient la montagne de la Hazelle de Levigny qui est chargée compétamment de bois mais fort peu de sapin cause qu'elle n'est d'aulcune marche de scye mais propre pour faire du bois de bollée comme les autres montagnes qui suyvent. Puis la goutte de Levigny qui finit à la teste de Blompierre." Les commissaires descendent alors la vallée en s'éloignant des lieux qui nous intéressent. Chapitre IV A la fin de l'année 1597 intervint le mariage de François de Lorraine, comte de Vaudémont, et de Christine (ou Chrétienne) de Salm seule héritière de la banche des comtes d'après le testament de son oncle Jean X. Sur l'initiative de François, très probablement, il fut procédé au partage du comté jusqu'alors indivis entre les comtes et les rhingraves. Ce partage visait notamment les forêts qui, toutes, furent divisées en deux parties égales. Voici le préambule du procès-verbal rendant comtes de cette opération. "Déclaration des arpentages, partages et abornements par moitié des bois et forêts du comté de Salm scavoir des bois appartenant à la ville de Baudonviller, communaulx de ladicte ville avec les villages de Saincte Paule, Perxonne, Fenneviller, Pierre Percée et Celles, des bois de Champel, la Voivre, la Grange (bois situés en plaine), les lieux et Menable qui sont bois de chambre. Et des bois Sauvages et des channas ; des bois communaulx des bans dudict Salm et Plaine, du Val de Senones des bois et forêts dédiés pour le service des forges (de Framont et de Champenay) et finalement des bois de la prévosté de Saint Aille, le tout aux fins du général et absolut partage dudict comte de Salm jusques à ce jour par indivis entre illustre, hault et puissant seigneur Monseigneur le comte de Salm, baron de Vivier, Ruppe, seigneur de Pargney sur Meuse, Dom Rémy la Pucelle, Maxey, Daneviller, Bethonville, maréchal de Lorraine et Gouverneur de Nancy et Friderich, comte sauvage du Rhin et de Salm, barron de Fenestrange desquels, du premier Mai de la présente année 1598 le bon plaisir ayant esté de donner charge et commission aux sieurs Charles Villermin, conseiller d'Estat de son Altesse (le duc de Lorraine) et surintendant des affaires de mondict comte de Salm; Jean Philippe Betz, chatellain audict Fenestrange pour mondict seigneur le comte sauvage et soulsignés gruyer de Nancy et Avant Garde1 et arpenteur général du duché de Lorraine (pour le comte) et Hans Jagd, grand gruyer de Monseigneur le marquis de Hochberg (pour le rhingrave) d'exécuter au plus tost les arpentages, partages et abornements desdicts bois, auraient lesdicts soubsignés pour icelles effectuer y vacqué dès le sixième du juillet ensuyvant, le plus diligemment, justement et équitablement que faire s'est peu, avec pareil esgard des profficts, intérest, commodités ou incommodités en résultant pour ou contre, avec l'ayde des sieurs Demenge Rouyer et Claude Cuny officiers es estats de gruyer et contrerolleur desdicts bois suyvis de leurs forestiers chacun d'iceux au district de sa charge desquels sont partout esté conduitcts pour faciliter et avec assurance d'autant plus grande mettre fin à leur besogne, duquel jour pour jour et suyvant ordre et progrès d'iceluy description est faicte es feuillet sénestre."2 Les bois ne furent pas seuls partagés; il en fut de même pour les localités principales telles que Badonviller, Celles, Senones et la Broque. Les villages et hameaux allèrent à l'une ou l'autre partie à l'exception de Luvigny dont la partie aval échut au rhingrave et la partie amont aux comtes. A partir donc de ce partage, les trois villages relevèrent de trois souverainetés différentes : Raon-Les-Leau de l'abbaye de Domèvre. Raon sur Plaine et moitié de Luvigny des comtes de Salm, c'est-à-dire de la Maison de Lorraine, l'autre moitié de Luvigny des rhingraves qui recurent de l'empereur en 1621 le titre de princes de Salm. Il y a lieu de préciser que les ducs de Lorraine, souverains absolus dans leur part du comté de Salm alors que leur pouvoir était limité dans le duché par celui des Etats, se gardèrent bien d'incorporer celle là à la Lorraine. Bien au contraire, François de Vaudémont s'employa à agrandir son domaine particulier, c'est ainsi que tout au début du XVII° siècle il fit l'acquisition de la plus grande partie des baronnies de Turquestein (totalité des deuxièmes et troisièmes lots dit de Chatillon). Un peu plus tard, il se rendit maître du ban le Moine et de la Gagère. Il conserva cet ensemble jusqu'à sa mort (14 octobre 1632) où il passa aux ducs de Lorraine et d'abord à son fils Charles IV. La situation assez paradoxale de nos trois villages ne se modifia qu'en 1751 où Raon Sur Plaine et Luvigny firent partie de la principauté indépendante de Salm-Salm. Du partage de 1598 nous ne retiendrons que ce qui concerne Raon sur Plaine et Luvigny. Les Bois Sauvages : " les bois tant communaulx que de compagnie remis à partage, l'arpentage d'iceux faict quant à ceulx du Val de Senones, lesdicts députés assistés comme dessus reconnurent et arpentèrent une grande quantité de bois dicts les Sauvages desquels le contenu est de 16.575 arpens (1.285 hectares) qui s'étendent dès les bois communaulx de Celles bout d'en bas jusques à une tranchée qu'est l'autre bout laquelle se prend eu Hault de Corbeil en tirant par dessous les Donnons délaissés à dextre ladicte tranche faisant séparation du Han des Forges de Framont en une contrée dicte des Pasturaulx; le costé de dessus longeant les bois du val de Senones, les channes au-dessus de l'Hermitage de la Mer et le Hault de Corbeil d'une part et celuy d'en bas qui a son regard sur la rivière et les terres et preys des villages d'Allarmont, Vexaincourt, Levigny et Raon Soub Plaine d'aultre part. Le bois est partout montueux et presque inaccessible. La ligne de bornes partageant les bois sauvages partait de Comechamps, aux environs de Vexaincourt et suivait la crête qui sépare les vallons de Menombru et de la Maix pour aboutir aux chaumes près du Haut du Bon Dieu, cote 812. Les comtes recevaient la moitié amont. La montagne d'ardoises: C'est l'ardoisière dont on aperçoit encore les excavations et d'assez importants déblais sur l'éperon, dit alors rein du Poirier, qui sépare avant leur confluent les ruisseaux de la Crache et d'Abraye. "Consécutivement a esté partagé la montagne d'ardoise ayant vue sur la goutte Diot (pour Guyot) comme forme d'oval divisée d'une tranchée abornée de quatre bornes. La première posée sur le prey le Masson, la quatrième posée sur (c'est à dire en haut de) le rein du Poirier. Une deuxième ligne de cinq bornes partant de cette quatrième borne et perpendiculaire à la première aboutissait au pré Geffroy. Ces deux lignes de bornes délimitaient la partie de l'ardoisière appartenant aux rhingraves au milieu des Bois Sauvages des comtes. il y a lieu de remarquer qu'il s'agit ici de bornes posées, telles que nous les entendons aujourd'hui et non des rochers marqués d'un trait. Il est possible que l'une ou l'autre existe encore . Pour ne plus y revenir, nous donnons ici ce que nous savons de l'ardoisière. - 1591. " Mandement pour faire travailler à l'ardoisière de Raon sur Plaine. Aux chastellains haults officiers de nostre comté de Salm et à chascun d'eux salut. Comme pour nostre proffict et de Monsieur le comte du Rhin nostre beau-frère et comparsonnier (Jean X et le rhingrave Frédéric), ensemble le bien publique, nous avons advisé et résolu de faire travailler à la montaigne d'ardoise proche de nostre village de Raon sur Plaine et de faire les descombres de ladicte montaigne par corvée de nos subjects du Val d'Allarmont et par après y employer des ouvriers experts pour tirer les ardoises promptement." L'exploitation était donc notablement antérieure à 1591 ; il s'agissait alors de faire dégager par corvées le bas de la montagne pour entreprendre ensuite une exploitation directe par les seigneurs. - 1601. "Au compte précédent a esté démonstré qu'à l'instance et poursuitte de Nicolas Masson demeurant à Levigny, les sieurs chastellains auraient ordonné que ladicte montaigne ou mine d'escaille fût de nouveau mise (à l'enchère) à l'estaindre de la chandelle à la condition que le preneur serait tenu d'ouvrir la montaigne par le pied ou gît ladicte escaille pour la tirer plus commodément et avec plus de proffict qu'on a faict jusques à maintenant. A faultre d'offre, le comptable aurait fixé la location annuelle à trente frans, sur laquelle mise la chandelle aurait esté allumée et aurait esté estaincte sans aulcun preneur et que peu de jours après ledict Masson aurait repris son admodiation pour trois ans consécutifs." Ce Nicolas Masson qui travaillait aussi au chauffour de Raon sur Plaine tout voisin a laissé son nom qui figure encore au cadastre au prés le Masson dans le vallon du ruisseau d'Abraye. - En 1606, la montagne d'ardoise est louée à Daniel Bertrand. En 1624, c'est Demenge Virion, de Badonviller, qui est le fermier moyennant dix francs par an. - 1629. " Les officiers de ceste gruerie remonstrent qu'ils auraient traité avec un certain nommé Claude Margeron demeurant à Raon sur Plaine pour faire les descombres de la montaigne d'ardoise et auraient accordé trois cents francs à charge et conditions qu'il la rendrait es estat pour y pouvoir travailler et y tirer de l'ardoise comme on a faict du passé, pour l'assurance de quoy il s'estait mesme engagé à en tirer deux cents... mais comme il ne voulait fournir caution pour l'argent qu'on lui devait avancer l'affaire a esté mise en surséance, n'y ayant eu personne qui se soit présenté pour l'admodier sinon les Pères Bénédictins de Saint-Nicolas qui l'ayant esté voir et recognoistre leur ont dict qui si Monseigneur leur voulait laisser moyennant quelque redebvance annuelle, ils en feraient le descombre à leurs frais." Il semble bien que cette offre n'ait pas eu de suite. - 1663. "Il ne s'est faict aulcun proffit de la montagne d'ardoise depuis les guerres." Nous ignorons ce qu'est devenue ensuite l'ardoisière. En 1794, Fachot l'aîné, auteur d'un petit ouvrage que la principauté de Salm dit avoir visité une ardoisière considérable au-dessus de Raon sur Plaine. D'après lui, on y trouverait beaucoup de pyrites cuivreuses ? . - Vers 1920 enfin il y eut une tentative de remise en activité avec percement d'une galerie de reconnaissance mais elle n'a pas été poursuivie. Montaigne du Donnon : "A esté dict dans la description des Bois Sauvages qu'ils s'estendent jusques au bout du Han des forges scavoir du Hault Donnon lequel est compris audict Han des forges dont sera traicté cy après; estant quoy a semblé bon de faire partage particulier pour la singularité, bruit et renom d'iceluy, eslevé qu'il est par dessus tous les aultres monts du comté." La ligne de bornes commence au-dessous de la Bruslée, sans doute sur le sentier de Grandfontaine. La quatrième borne est au plain de la Bruslée (le mot plain indique une surface sensiblement horizontale au cours d'une montée). La septième est "au lieu dict le chemin Jacquet, le chemin Jacquet est la pente qui, du col entre les deux Donons, passe au-dessus de la maison forestière et de l'hôtel Velléda. La onzième borne est " un rocher estant au dessus du Donnon et faisant teste vers les forges" : nous nous trouvons au sommet S.O. dominant la vallée de la Plaine. "La douzième posée au plain dudict Donnon proche des vestiges d'un chateau encommencé de bastir, distante de la précédente de cinquante toises." Ces vestiges sont ceux du temple de Mars alors plus important qu'aujourd'hui puisque, au XVIII° siècle, les moines antiquaires en trouvèrent les murs encore debout. La treizième est une "borne posée tirant vers la poincte la plus haulte dudict Donnon." Nous arrivons au sommet coté 1009. La ligne de bornes se dirige alors vers le col entre les deux Donons ; elle descend le rein de la Fosse, traverse le "chemin des Sarrasins" qui contourne du N.E. au S.O. le sommet. La dix neuvième borne est " au pied dudict Donnon qu'est entre les deux Donons ung rocher triangulaire eslevé de quatre pieds sur terre." Les commissaires indiquent à proximité le "chemin de la vieille Creuse aultrement au bout du chemin de Lafrainbole." Ce chemin devait descendre du col au tournant de la route actuelle de Cirey, gagne la Croix Gardon en coupant les détours de celle-ci, puis la Croix de Fer et rejoindre le chemin d'Allemagne au Rouleux Bacon. La ligne de bornes aurait du s'arrêter là ou tout au moins à la vingtième car le comté de Salm ne s'étendait pas plus avant. Néanmoins cinq bornes furent posées ou marquées le long du chemin des Botteliers jusqu'à sa rencontre avec la route actuelle d'Abreschviller : ces cinq bornes séparaient en fait les bois de l'évêché de Strasbourg de ceux de l'abbaye de Domèvre. Cette erreur dut être réparée lors du procès commencé en 1723 entre l'abbaye et les officiers de Badonviller ; elle le fut en tout cas lors du bornage de la principauté de Salm entre 1751 et 1754. Elle démontre combien les limites des propriétés étaient imprécises à cette époque. Ban de Salm et Han des Forges : Dans le ban de Salm le rhingrave recevait "la moitié de la Brook, Albet, Grandfontaine et Vacquenou" ; le comte devait se contenter de l'autre moitié de la Broque, de Fréconrupt et des Quevelles. "Reconnurent et arpentèrent particulièrement lesdicts députés le han des Forges de Frammont pour estre dédiés au service d'icelles, la totalité desdicts bois entre les bois communaux du ban de Salm, ruisseau du ban de Plaine (à l'Est et au Sud) d'une part et le Bois Sauvages d'autre part (au Nord), aboutissant aux channes du costé du Val de Senones (à l'ouest) et à l'aultre bout (au nord-est) aux bois appartenant à Monseigneur le Cardinal (de Strasbourg) Partye dudict Han des Forges charbonnée en plusieurs endroits ressentement et plusieurs années de ça, n'ayant grande apparence de réserves et signemment es environ des dictes forges, n'est (sinon) es extrémités et approchant les channes où y a quantité de vieil bois." Je n'insisterai pas d'avantage sur le ban de Salm, me bornant à noter quelques anciens noms de lieux : Les "météries" de Salm, appartenant l'une au comte, l'autre au rhingrave ; elles se trouvaient dans la partie est de la petite agglomération actuelle, contre la forêt du Banbois la Croix des channes, cote 861 de la crête des Hautes Chaumes. L'Abbrévoir : à l'origine de la basse des Auges, branche Sud de la basse Madeleine La Teste de Lamex : c'est la Maix actuelle La basse des la scye de Salm, maintenant basse Madeleine La Roche des Bipierre, nom conservé, cote 905,9 La basse du Breux ; celle-ci s'est appelée ensuite Putte Basse ou Voite Basse; elle figure maintenant sur les cartes comme basse Voitel, du nom d'un particulier qui n'a jamais existé Channe du Moulin ; c'est le Rond Pertuis La tête de la Minière ; Tête Mathis des cartes. Les Channes : "Vient présentement à traicter des channes, sommets de montaignes convertis en pasturages dont malaysément en peut estre comprise la forme, par suyte de la difformité de scituation d'iceux sur distinctes montaignes lesquelles de combien semblent se précéder en hauteur, d'aultant ont donné et rendent pasturage fertil et meilleur dictes à ce moien les Haultes Channes n'ayant les basses pasturage de si grande valleur, à raison de quoy a semblé expédient partager icelles non à comparaison d'égalité d'estendue ains de la bonté et fertilité des contrées joinctes aux commodités de conduicte et de rafraichissement du bestail. Ce qu'a esté faict avec l'avis de plusieurs particuliers ayant cy devant ou y partagé la pasture qu'aultrement faict profession de hantise." Tous les experts ainsi consultés étaient du Val d'Allarmont, dont "Jean Salmon et Grand Loÿs de Raon sur Plaine et Demenge Tisserant, pastre demeurant à Louvigny." CHAPITRE V La situation de nos trois villages vers la fin du XVI° siècle ayant été précisée par l'étude de la visitation de 1577 et du partage de 1598, nous revenons quelque peu en arrière pour examiner les documents qui nous donneront sur eux des renseignements plus détaillés. Les premiers datent de 1564; ils permettent de se faire une idée des pénalités alors appliquées par les seigneurs hauts justiciers, à leur profit naturellement. "Le chastellain (de Badonviller) requiert taxe d'ung plaintif faict par Jehan Saffroy, gruyer du comté de Salm contre Jean de Sainct Dié demeurant Pershomme (Pexonne) se complaignant d'avoir esté grandement et à tort insulté par le dict de Sainct Dié qui, en blessant son honneur, luy aurait haultement dict qu'il rapportasse les vaisselles d'argent qu'il avait prises à Strasbourg en l'appellant en oultre meschant homme et coquin; de quoy ledict de Sainct Dié ne pouvant soutenir de tels propos s'en est repenti en demandant pardon audict Jehan Saffroy plaignant en présence de plusieurs, le tenant en déclarant homme de bien et disant tels propos avoir esté par luy dicts mensongèrement et plus par colère qu'aultrement." Malgré ses excuses, le coupable est taxé au tiers de ses biens au profit de Nos seigneurs. "Pareillement d'un plainctif faict par Mangenot de Grand Fontaine contre Hannezo le prévost disant sa femme avoir esté à tort battue et oultragée jusques à sang coulant par ledict Hannezo et sa femme de sorte qu'elle en a esté alittée quelques temps." Hannezo s'excuse et s'en tire avec une amende de soixante sols. Il est certain que les amendes tant forestières que criminelles constituent une part non négligeable du revenu des seigneurs. - Décembre 1564. "A hault et puissant Monseigneur le comte de Salm, nostre très redoublé Seigneur. Plaise à vostre bénignité, honoré Seigneur, vouloir à l'humble supplication et requeste de vostre plus que très humble et obéissant serviteur et dubisct Anthoine Lhoste, cellérier au chasteau de Pierre Percée, ordonner provision pour couverture de vostre part dudict chasteau qui présentement a grande nécessité à recouvrir ainsy que Monseigneur en a bien la cognoissance pour avoir veu le lieu n'a pas longtemps lors qu'il vous pleut vous y transporter vers la Sainct Jean dernière et qui la laisserait en tel mauvais estat irait plutôt à la ruyne qu'aultrement. Par quoy vous plaira d'y avoir esgard et ledict suppliant, faisant toujours debvoir de fidèle subject et très humble serviteur, priers à Lamaix Dieu pour vostre très noble santé et prospérité." Suit acceptation de Claude, comte de Salm. Ce texte nous apprend que, dès 1564, le château de Pierre Percée n'était plus habité normalement. Le comte Jean X et son frère Claude résidaient dans leur maison de Badonviller. 1566. Le châtelain de Badonviller est, pour une année seulement, Bertrand Louyot, curé du lieu. Son rapport nous donne des précisions sur l'impôt direct de la taille. "La taille du Val d'Allarmont qui monte et avalle (diminue) à la volonté de Messeigneurs les comtes a esté par leur permission cette année taxée par les haults officiers à la somme de quatre vingt francs. La mairie du ban de Salm : "la droicture appelée la hache. Les habitants du ban de Salm ne doibvent aulcune taille mais tous culn tenant mesnaige en ladicte mairie doibvent annuellement une droicture appellée la hache qui monte pour ung chascun à sept gros quatorze deniers. (le gros était la douzième partie du franc) autant le fort que le faible, lesquels sont ceste année au nombre de cinquante deux dont la justice y prend quatre et du reste 48 appartenant à Nosseigneurs les comtes la moitié contre l'abbé de Senones (qui n'était pas encore dépossédé de sa souveraineté). Revient à mondict seigneur pour ce douze haches qui montent en argent à sept frans dix gros." "Les habitants de la mairie du ban de Salm voulaient faire le guet par chascun au chasteau de Salm et pour raison de la ruyne dudict chasteau sont appoinctés pour le somme de vingt frans par an jusque au bon plaisir de Nosseigneurs" Le château de Salm dont il ne subsiste à peu près rien était donc déjà détruit en 1566 après trois siècles environ d'existence. On ignore par qui et dans quelles conditions il fut ainsi ruiné. Suit la déclaration des scies du Val d'Allarmont : celle de Chenomprey est louée à Jean Dony de Raon sur Plaine, ancêtre probable de la famille Dony encore existante : de même, je suppose que Jean Bièque, alors locataire de la scie de la Broque est à l'origine de la famille Beck. - "Recette de chappons". Les moulins du Val d'Allarmont (Luvigny et Raon) devaient chacun un chapon par année. - Ce que coûtait un voyage à Nancy. "Par mandement de mondict Seigneur fut contraint ledict officier se transporter à Nancy obstant certaine maladie de laquelle il dut se faire accompagner d'ung nommé le maire Georges dudict Badonviller qu'estant le sixième jour d'Apvril dernier où il ne purent aller plus loin disner que à Mairenviller (Marianviller) là où tant pour eux que pour leurx chevaux dépensèrent 18 gros. Au souppé, à ... près Lunéville, fut dépensé 22 gros. Le lendemain au giste de Sainct Nicolas 6 gros. Au retour, pour le souppé et le giste à .... 6 gros." 1567-1570 : "Recette de poulles ou gellines. Chascun conduict des habitants dudict Val d'Allarmont doibt deux poulles pour une droicture appellée le feu. Il y a soixante quatorze contribuables à deux poulles, soit "sept vingt huit" poulles." "Recette ordinaire de planches des scyes du comté de Salm. Au Val d'Allarmont sont dix huit scyes appartenantes à Messeigneurs les comtes pour la moictié et au Sieur abbé de Senones pour l'aultre, laissées et admodièes par les officiers à plusieurs particuliers soub certaines conditions de ne passer leur limites anciennes de bois, coupper et abbatre ce bois sans faire dégast, de ne faire planches audessous de douze pieds de long, de payer le prix de leurs admodiations et de rendre les scyes en bon et suffisant estat comme y appert amplement par les actes de bails et d'admodiations." Suit la liste des scies avec, pour chacune d'elles, le nombre de charrées de vingt cinq planches que l'admodiateur devait livrer annuellement aux seigneurs. Nous voyons apparaître ici la tronce de quatre mètres qui, il y a trente ou trente cinq ans, était encore en usage exclusif dans notre région et aussi la planche lorraine, bien délaissée aujourd'hui. Moyennant la livraison des charrées de planches portées à leurs baux, il semble bien que les admodiateurs coupaient ce qu'ils voulaient dans l'étendue de leurs marches, ce qui devait produire un beau gâchis. Ils étaient à la fois bûcherons, scieurs et voituriers et probablement aussi schlitteurs. Nous relevons le droit de "thonneux, une droicture due par ceulx qui vendent du vin audict Val d'Allarmont" adjugée à Demenge Biecque, de Luvigny, pour six frans" C'est depuis 1570 que nous possédons les comptes de la gruerie, c'est à dire de l'administration forestière du comté et c'est au gruyer que les artisans payaient le bois dont ils avaient besoin pour leur métier: C'est ce que l'on appelait alors leurs assortages. "En l'an de ce présent compte ne s'est faict aulcuns paisseaux 'échalas' pour ce que Messeigneurs les ont deffendus à cause du grand dégast de bois qui se faict pour lesdicts paisseaux. Pareillement ne se sont assortis aulcuns charries (charrons) ny cuvelliers parce que le prix de Messeigneurs est trop hault pour eulx." "Assortage des mareschants. En l'an de ce présent compte ne saurait faict que des charrées de charbon pour les mareschants dudict Val ; ainsy ne seraient assortés au Ban le Moine à raison que le prix est trop hault et qu'ils n'ont grande pratique dudict métier (la cuisson du bois en meules)." Bois deffendu de Messeigneurs arresté et vendu par ordre des chastellains. En l'an du présent compte aurait été vendu au proffict de Messeigneurs à Mongeon Demenge, maire de Raon la Tappe, marchand, lequel les avait déjà achettés à Nicolas le maire et Colas .... qui, sans octroy ny permission avaient faict et vendu lesdiscts bois en nombre de quatorze charrées de traffeteaux (charpentes)." Suit une série d'amendes pour coupe de bois sans autorisation ou pour 'trippon" dans les bois communaux. Le mot trippon, plus souvent trépois signifie dégâts en forêt causé par les hommes ou par les éléments: dans ce dernier cas, il pouvait être attribué au diable. D'où Diable Trépois transformé en Dialtrepois dans la forêt de Celles : col et Vierge de ce nom qui nous rappelle en fait un gros coup de chablis survenu il y a plusieurs siècles. De même il existait une montagne des Haults Trépois dans la vallée de Vaquenoux (partie Est de la forêt de Grandfontaine, 1610) et un lieu dit du même nom entre la maison des Hautes Abrayes et le col du Donon (1595). Pour la plupart des délits forestiers, le gruyer indique que le délinquant "est pauvre et n'a peine pour payer l'amende ; l'affaire est remise à la bonne grâce de Messeigneurs. 1572. "Plus faict encore recepte de vingt cinq francs pour la quantité de cinquante voilles de mort bois que jean Titot, marchand de Saint Nicolas, aurait faict descendre es la ripvière de Celles lesquelles voilles de bois payent à Messeigneurs les comtes chascune six gros. Et porte icelle voille huit pièces de bois penne et chevron, douze en doubles pennes et recharges trois comme il appert es vérification de Phillebert Doney qui a la clef du bousson de la ripvière." Les comtes prélevaient une taxe d'exportation sur toutes les marchandises qui sortaient de leur territoire par terre ou par eau. Le plus clair de cette recette provenait des bois flottés sur la Plaine par où ils gagnaient la Meurthe puis la Moselle. Ces bois étaient expédiés en voiles, sortes de radeaux dont nous avons ici une composition; les acheteurs étaient appelés marchands voileurs ; il y en avait notamment à Raon l'Étape. Nous ne savons pas en quoi consistait exactement le bousson de Celles : c'était sans doute une porte qui barrait la rivière et dont un employé avait le clef. il est intéressant de retrouver après quatre siècles les dénominations dont nous nous servons encore : le chevron, la penne (notre simple panne), la double penne (notre panne), la recharge (petit bois de planches). Récepte de bois de bollée (ou bolée) pour la saline de Rozière. Le bois de bolée était notre bois de chauffage d'essence feuillue, où le bouleau (bolle) tenait une grande place : à rapprocher du Rein des Boules dans la basse de Verdenal, nom qui n'a rien à voir avec un jeu de boules mais désignait une pente peuplée de bouleaux. 1577. "Compte sixième de la récepte de despense rendu par Nicolas Jacob, chastellain et hault officier au comte de Salm." Ce compte nous apprend que les scies étaient alors louées moyennant une certaine somme d'argent, ce qui constituait un progrès. Parmi ces scies figurent celle du Croisé Sappe, dépendant d'Allarmont. Le nom de Croisé Sappe doit s'interpréter : sapin marqué d'une croix : celui dont il est question, sur la sente conduisant d'Allarmont à Moussey est le lieu dit aujourd'hui le Calvaire. Il y avait sur la même crête Plaine-Rabodeau un autre Croisé Sappe, le haut du Bon Dieu actuel au-dessus du lac de la Maix : le sapin marqué y est remplacé par une minuscule chapelle. Le même rapport nous apprend que la charrée de vingt cinq planches valait alors deux francs et demi et que le bousson de Celles avait rapporté en 1576 la somme, très considérable pour l'époque de 3 336 francs: ce bousson constituait certainement l'une des principales recettes du comté. 1579. Il est levé sur le Val d'Allarmont soixante dix florins, soit cent quarante francs, au titre de la défense contre le Turc. Le comté de Salm faisant partie du Saint Empire devait participer aux frais de la guerre que celui-ci menait contre les musulmans. Quoique ne se renouvelant qu'à intervalles irréguliers, cette contribution était une charge sensible pour la population. Nous avons à cette date la première liste complète des habitants de Raon sur Plaine et de Luvigny. Raon sur Plaine. "Le maire Georges Colin, Colas Homan, Valentin le thonneux (cabaretier), Demenge Jean Jacquemin, Mongenot Thirion, Didier Maire Claude, Colas Simon, Demenge Simon, Claudon Robin, Balthazar Tisserand, Jean Bourguignon, Demenge Papellier, Estienne Le Comte, Le grand Bastien, le grand Anthoine, Jean Biègue, Samuel le Loup, Colas Marchal." Soit vingt sept foyers. Luvigny. "Vesve (veuve) Jehanne Dedegnon, Jean Michiel, Gérardin Mulnier, Colas Papellier, Lucas Marchal, Didier et Demenge Dedegnon, Jean de la Roche, Colas Maçon, Jean Valentin, Chrestien Dedegin, ... Parmentier." Soit dix huit foyers. On peut estimer que la population des deux villages était comprise entre 225 et 250 personnes. Il y a lieu de remarquer que la plupart des noms de famille sont des prénoms ou des noms de métier : Tisserant, Mulnier, Marchal, Maçon (ou Masson). A noter aussi la fréquence du prénom Demenge qui avec ses nombreuses variantes : Mougeon, Mengenot et autres a donné beaucoup de noms de familles. Comme il devait en être de même à peu près partout en Lorraine, il est très difficile d'identifier les familles, qui, existant en 1579, se sont perpétuées au même lieu jusqu'à nos jours. "Jehan .... soubsigné Ministre le la parole de Dieu de l'église réformée de Baudonviller reconnaît et confesse avoir reçu de Nicolas Jacob chastellain et officier du comté de Salm pour la part de monseigneur de comte de Salm, nostre très honoré et souverain seigneur, la somme de cinquante frans monnaie courante au pays en quatre payements de douze frans et demi, de trois en trois moisselon que porte l'ordonnance de Messeigneurs les comtes pour la pension et entreténement octroyés au moinistre de ladicte église pour l'an 1579." Nous ne pouvons préciser la date à laquelle le culte protestant a été introduit dans le comté de Salm ; ce fut vraisemblablement vers 1550. Comme le ministre recevait du rhingrave protestant un traitement au moins égal à celui que lui servait le comte resté catholique, il était, nous le verrons, plus favorisé que le curé de Luvigny. Le même compte pour 1579 fait état des frais de deux exécutions capitales à Badonviller, l'une pour pour vol, l'autre pour maléfice : celle-ci marque le début de l'épidémie de sorcellerie dont nous dirons quelques mots plus loin. 1587. Les assortages progressent : il y a un maréchal à Raon sur Plaine, deux charriers dont l'un à Luvigny et pas moins de six "bollengiers" dont quatre à Raon et deux à Luvigny : chacun d'eux paie deux francs par an pour son bois. "Récepte de deniers venant des amendes de bois de chambre et des intérêts" Outre l'amende proprement dite, le délinquant payait la valeur du bois coupé indûment : c'est cette valeur que le gruyer appelle les intérêts. "Remonstre compte ledict gruyer de douze francs et ce pour deux amendes commises par Jean Humbert et le maire Arnoulx Ambedeux d'Allarmont pour avoir abatu cinq pièces de cheane sans permission au lieu dict Grand Goutty (nom conservé)." On peut remarquer le mot ambedeux : il semble qu'on doive le rapprocher de Lambiemaix qui désignait alors un lieu voisin du confluent des ruisseaux de Chauderoche et de Réquival : les deux ruisseaux. Le gruyer porte en compte son propre traitement qui se montait à 42 francs par an et celui de ses six forestiers : chacun d'eux recevait douze francs par an plus le tiers des amendes infligées à la suite de leurs procès-verbaux. Les guerres de religion. Quoique ces guerres n'aient que peu touché la Lorraine, elles s'en rapprochèrent un moment et furent l'occasion de levées d'impôts extraordinaires en vue de mettre le comté en état de défense. En juin 1587, le duc de Bouillon sortit de Sedan et passa en Alsace en juillet ; il y fut renforcé par des protestants français, des reîtres allemands et des suisses ce qui constituait une armée redoutable. Quoique celle-ci ait été assez rapidement dispersée sans qu'il y ait eu de véritable bataille, l'état de guerre subsista jusqu'à l'entrée d’Henri IV à Paris et les aides extraordinaires furent levées jusqu' en 1595. C'est à cette époque que Blamont fut victorieusement défendu contre les protestants par Mathias Klopstein. "Réparations et ouvrages extraordinaires du comté de Salm. Compte de la despense et frais soubtenus par les chastellains et haults officiers Nicolas Jacob et Guillaume Gilles pour la garde et la conservation de la ville de Baudonviller, chasteau de Pierre Percée, villages subjects et appartenans dudict comté pendant les remuements de guerre, passages et secours des trouppes. Idem es bastiments des moÿneaux et corps de garde es portes de Baudonviller pour flanquer et deffendre les advenues et entrées, accomoder et creuser les fossés et pourvoir à la sécurité d'icelles et aultres affaires publiques concernant d'estat du pays dès l'an 1588. Idem de la levée des receptes pour y fournir." Les comptables déclarent qu'au mois de novembre 1587, de l'ordonnance de Messeigneurs les comtes de Salm fut levée "sur le corps entier de subiects et appartenans, tant ecclésiastiques que laÿcs, le fort aydant le faible, francs et non francs, personne excepté, la somme de 1689 florins à deux francs pour la garde des places et subiects durant le passage des gens de guerre conduicts par Monsieur de Bouillon..., En 1591, l'aide extraordinaire se monte à 3 250 florins. Le curé de Celles paye 8 florins et l'appendier de Luvigny 4 florins, soit 16% de son traitement de 50 francs. Nous apprenons ainsi que l'église de Luvigny existait alors, probablement depuis un certain temps ; c'est la plus ancienne du Val d'Allarmont. Mais alors son desservant n'avait pas encore le titre de curé et il restait dépendant dela paroisse de Celles. - Aventrere d'Anthoine Huguenin, drapier à Badonviller, envoyé en Alsace par le comte de Salm auprès du comte d'Anhalt en vue d'obtenir sauvegarde pour ses états. A son retour, il est arrêté à Mutzig, mis à rançon et détenu pendant un mois ; il parvient à s'échapper et, de retour à Badonviller, il présente sa note de frais. - Remarquons enfin que dès cette époque il est question de "nostre comté de Salm-Salm" appellation que les historiens ont jusqu'à présent réservé à la principauté indépendante constituée en 1751. 1595. Le rapport de la gruerie pour 1595 présente une revue assez détaillée des bois du comté. Quoique permettant de préciser un certain nombre d'anciens noms de lieux, elle ne vaut pas le procès-verbal de la visitation de 1577. Presque partout, le gruyer se déclare incapable de donner une évaluation, même approchée, de la superficie de ces bois, lacune qui sera bientôt comblée par l'arpentage de 1598. Dans ce rapport, on peut néanmoins tirer certaines conclusions : 1. le peuplement des forêts était très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Sur la rive droite de la Plaine, il n'y avait que très peu de sapin ; sur sa rive gauche, les essences feuillues dominaient aussi jusqu'à Allarmont sauf dans la basse d'Ougney. 2. là où les sapins avaient une certaine importance qui s'accroissait à mesure qu'on remontait la vallée pour atteindre son maximum à l'extrémité des bois sauvages, l'intensité de l'exploitation était telle que plusieurs scieries ne trouvaient plus dans leurs marches assez de sapins exploitables. C'était le notamment le cas à Raon sur Plaine : des quatre scies du vallon de la goutte Guyot, deux seulement restaient en activité ; encore devaient-elles chercher une partie de leur bois dans le haut de la basse de la Maix, par le Briseux le Prêtre. Dans la basse de Chaude Roche, il n'y avait plus en marche que six scieries eu lieu de sept. Il n'est pas douteux que le règlement de gruerie qui parut l'année suivante eut pour but de remédier à la situation inquiétante révélée par ce rapport. Règlement de gruerie de 1596. "Nous Joan comte de Salm et Friderich, comte sauvage du rhin à tous ceulx qui ces présentes verront et oront, salut. Scavoir faisons, comme il soit évident que nostre comté de Salm consistant le plus en forest et forges, il ait esté expédient chercher et trouver moiens d'en tirer commodités et profficts et qu'il soit requis pour ad ce continuer à apporter tous bons mesnages, soing et vigilance affin que, tout ainsy qu'avec grands fraix nous aurions remis en estat nos forges, réduict le payement de nos scyes en aultre nature, faict faire une couppe de nos bois, tel estat puisse subsister à nostre proffict et utilité et soit que par plusieurs visitations et véages que depuis quatre ans le surintendant de nos affaires Claude Villemin a faict en nostre comté nous avons advertissement certain de l'apparence qu'il y a de la ruyne de nos bois sy de bref il n'y est pas pourvenu et que pour ad ce obvier de se continuer ces ruynes et en retirer proffict à perpétuité il soit requis et très rapidement de réformer le règlement de nos bois et forest et establir de nouveau des officiers de gruerie pour tenir la bonne et diligente main à la conservation d'iceulx....." Le règlement créait un second gruyer pour le Val de Senones, la prévôté de Saint Aille et partie du Ban de Plaine ; il n'était prévu que cinq gardes forestiers, toujours aux gages de douze francs par an plus le tiers des amendes. Des dispositions de ce document, pour la plupart banales, nous n'en retiendrons que deux ; l'une relative aux hameaux des Quevelles et de Fréconrupt, l'autre à la scie de Grandfontaine. Les quevelles de Fréconrupt ; "Et pour que ce village des Quevelles a esté jusques icy une retraicte de gens malvivans et n'ayant aulcuns moiens qui se sont licencés de dépopuler et fourrager les bois, ordonnons que pour l'advenir il n'y aura que quatre maison pour y loger quatre habitants des plus aysés et de meilleurs prudhommie que nos chastellains auxquels est donné charge de cognoistre y trouveront. Le surplus sera envoyé avec liberté (de se rendre) es aultres villages où ils pourront mieulx faisant proffict de leurs biens. Comme au semblable et pour mesmes raisons le nombre des habitants de Fréconrupt est réduict à six conduicts de pareille qualité qui seront choisis par les officiers, le surplus renvoyés ailleurs pour s'y accomoder avec liberté de faire proffict de leurs biens dans certains temps de délais compétans, n'estant permis à aulcun d'excéder le nombre d'habitants statué en l'ung et l'aultre lieu ny de s'agrandir ou faire trèpois oultre les limites ordonnées à peine de punition corporelle et de confiscation des maisons et des biens." La scye de Grandfontaine. "Si elle ne porte préjudice à nos forges, pour estre de bon rapport et revenu sera continuée en ses marches devant nos forges, le long (du chemin) du marché des paisseaux, au-dessus du chemin de la Goutte Ferry et au pendant de la goutte du Marteau vers le chemin Jacquet, là où provisionnellement les bocquillons de la forge coupperont pour le defruict d'icelle quand le temps le requerra. Toutefois sera donné ordre par le maistre ou chafner (de l'allemand Schaffner) d'icelle et ses employés auxquels en sera faict le commandement bien exprès que les bocquillons parvenus en ceste lisière et lieux circonvoisins ne touchent aux sapins droicts, non creux et non trop branchus lesquels demeureront pour l'usage de ladicte scye pour le grand et évident proffict qui sorte des planches." Pour la chasse enfin :"Deffendons généralement à toute personne de ne chasser, hayer ou tirer le harquebuse suyvant nos deffenses cy-devant qu'ils n'en ont permission particulière à peine de cent francs d'amende, le tiers au rapporteur." 1597. "Le ... janvier 1597, le contrerolleur s'estant transporté au Val d'Allarmont au lieu de Vexaincourt où luy estant apparu que Jean ... Marchal avait tiré sur des compagnies de perdrix, s'informant soub main où il les aurait bien vendues et trouvé qu'il les avait vendues à Mongenot Bailly, hermite à la May et pour plus grande affirmation ledict contrerolleur les aurait rachetées dudict Bailly et en a payé six gros d'iceulx." D'après ce texte il semble bien que les ermites de la Maix n'étaient plus des religieux de Senones mais des laïcs qui tout en appréciant le calme et le silence ne dédaignaient pas pour autant un salmis de perdreaux. 1604. "Inventaire des meubles de Monseigneur et de Madame de Vaudémont en leur maison de Baudonviller." On y relève à la déclaration de la vaisselle d'étain deux pots de chambre aux armoiries du comté. 1605. Location des scies de Raon sur Plaine. "Aujourd'hui, premier jour du mois de Mars 1605, le sieur Dietremann, chastellain hault officier au comté de Salm, assisté du gruyer et du controlleur dudict comté de la juridiction de très hault et puissant prince Monseigneur de Vaudémont, comte de Salm, s'estant acheminés à Raon sur Plaine pour faire l'enchère des scyes, les baux desquelles expirèrent à la Saint Georges dernière, les publications faictes au préalable sous l'observance de l'ordre y mis par le sieur ...... lequel ordre consiste en ce que désignation sera faicte de certaine quantité d'arbres pour la fourniture de chaque scye et avec estimation de chascun pied d'arbre par enchérissement à qui plus, et devant chaque arbre avoir pied et demy (en diamètre) au-dessus de la première tronce et que les planches n'auront moins de douze pieds de longueur, un pied deux doigts de largeur d'un pouce d'épaisseur (c'est la planche 12 x 12), à peine d'amende telle qu'il plaira à son Excellence de qui le gruyer et le controlleur seront appellés pour marquer et désigner les arbres nécessaires à la fourniture desdictes scyes, après plusieurs publications faictes pour ce regard es lieux accoutumés, ont esté mises en echères comme s'en suyt au lieu de Raon sur Plaine, le peuple congrégé et assemblé." Ainsi, pour la deuxième fois, le mode de location des scies a été modifié : l'enchère porte maintenant sur le prix unitaire du pied d'arbre, ce prix s'appliquant à un nombre d'arbres fixés à l'avance. "Et premier la scye du cerf (à l'amont de celle de Rozière). L'enchère à qui plus a l'estainte de la chandelle est revenue à Demenge .... Dudict Raon qui est obligé de prendre soixante pieds d'arbres, ayant les gruyers et controlleur affirmé à l'instant de cette enchère la marche de la scye ne pouvoir porter que ladicte quantité, à raison de neuf gros par pièce (trois quarts de franc) par an trois ans durant. S'il échet qu'il lui soit marqué plus grande quantité de bois et aussy s'il s'en prend moins il paiera à proportion desdictes soixante pièces." Nous pouvons, d'après ce qui précède, évaluer assez exactement le prix du bois sur pied à cette époque. Un arbre mesurant un pied et demi de diamètre au bout de la première tronce de quatre mètres mesure 50 centimètres de diamètre à hauteur d'homme. Dans une région où, d'après la visitation de 1577, les sapins étaient les plus hauts qu'on puisse trouver, on peut leur attribuer sans crainte une hauteur utile de 22 à 23 mètres ce qui correspond à un cube unitaire légèrement supérieur à deux mètres cube et demi : le mètre cube revenait donc à 0,30 F, et cela pour le cube minimum de l'arbre. Même en tenant compte de la dépréciation de la monnaie ce prix parait faible. "La haulte scye sous Rozière aussy mise en echère tant pour la recognaissance de la scye et cours d'eau sis au comté de Salm que pour le bois pour le fourniture d'icelle, lequel depuis trois ans a esté print au bois du Faÿ des Donnons appartenant pour la moictié par indivis à son Excellence à cause de la Seigneurie de Turquestein contre Monsieur de Marcossey l'aultre moictié à charge de prendre au moins cinquante pied d'arbres." Situation compliquée : le prix de location se compose de deux éléments : l'usage de la scie et du cours d'eau d'une part, la valeur du bois d'autre part. Il est précisé que ce bois le locataire l'allait chercher depuis 1602 au fey des Donnons, c'est-à-dire dans le haut du Blanc Rupt : il ne pouvait évidemment pas le prendre notablement au-dessous de la crête Croix de Fer - Croix Gardon ; or, cette partie de forêt appartenait incontestablement non pas aux baronnies de Turquestein mais à l'abbaye de Domèvre. Et par où les tronces parvenaient-elles à la scierie ? Elles n'étaient certainement pas transportées par voitures à Raon sur Plaine par le Donon pour revenir au fond de la basse de Chauderoche tout près de leur point de départ. Tout indique qu'elles étaient lancées de la crête au fond de la basse, toujours à travers la forêt de Domèvre. Il faut en conclure qu'à cette époque les limites étaient si peu certaines et la surveillance des bois si peu effective qu'un propriétaire pouvait exploiter pendant des années chez le voisin sans que personne s'en aperçut. La chandelle étant allumée "le châtelain avise le peuple que Monseigneur a cy-devant tiré huit gros pour la scye et douze gros pour le bois." Chrestien Ydoux, de Celles, fait une mise à neuf gros pour le tout qui n'est pas acceptée par les officiers ; on rallume une autre chandelle, sans aucun succès : on le comprend facilement : Résultat identique pour les scies de Chauderoche et des Roches qui se trouvent dans la même situation ; aucun amateur ne se présente. Quant à la scie Guyot, le châtelain et le gruyer "ont recogneu la marche de ladicte scye et n'ont trouvé bois suffisant pour la fourniture d'icelle et que grand préjudice serait faict à son Excellence de permettre la couppe et abbattage des médiocres sapins qui se retrouvent lesquels pourraients grossir cy après de sorte qu'on en pourra autant rendre de tronces que deux pourraient faire présentement." La même année la scie de Thémenonprey, au village même, est transformée en moulin aux frais de la population tout en restant propriété du seigneur. Les habitants demandent à conserver ce moulin douze ans et ensuite au bon plaisir de Monseigneur, moyennant redevance de douze résaux de seigle. Le moulin est loué pour trois ans à David Gérardin. Ainsi des onze scieries existantes à Raon quelques années auparavant, une seule reste en activité et contrairement aux prévisions optimistes des commissaires de 1577, les réserves en sapin ont pratiquement disparu. Le rôle de la taille fait état de cinquante sept conduits pour Raon sur Plaine et de dix huit pour la partie de Luvigny appartenant au comté : la population augmente donc rapidement depuis quelques années. 1606. Inventaire et vente, au profit des seigneurs, des biens de Simon le Mariesse, de Bréménil, exécuté par le feu pour crime de sortilège. Cette ventre produit 764 francs, ce qui pour l'époque était considérable. 1609. De même furent exécutées à Badonviller Alizon Chazelle et Mengeotte femme de Didier Tixerant, de Celles. La première avait avoué avoir tué trois personnes par maléfice et la seconde cinq. Les sorciers qui avaient reconnu leurs crimes, sous la torture naturellement, étaient étranglés et leurs corps étaient brûlés. Une troisième femme accusée par Alizon fut soumise à la question mais n'avoua rien: elle fut condamnée au bannissement perpétuel. Cette épidémie se poursuivit encore pendant un certain temps notamment à Domèvre. Ce sujet ayant été traité par divers auteurs nous n'y insisterons pas d'avantage. "Nouveaux entrans - Cette droicture est de telle nature que chaque nouveau entran doit payer pour sa bienvenu cinq frans en quoy son Excellence y prend la moictié et l'aultre moictié vient à la communauté." "Redevances de poulles. Il y a en ceste mairie de partie de Luvigny et Raon sur Plaine soixante et dix sept conduicts contribuables aux poulles, chascun desquels paye deux poulles dont fault oster seize harquebusiers compris le phiffre et le tambour, le maire, l'eschevin et le faiseur de chemine qui sont francs soit dix neuf conduicts, lesquels déduicts des soixante et dix sept demeure à son excellence cinquante huit conduicts faisant CXVI poulles." Il existait donc à Raon et Luvigny une sorte de garde nationale ; il faut probablement rattacher son origine à une ordonnance du duc de Lorraine Charles III qui prescrivit à la fin de 1595 d'armer un dixième de la population des villages à la fin des guerres de religion. Cette compagnie d'arquebusiers existait encore en 1619 ; il ne paraît pas qu’elle n’ait jamais eu à entrer en action. "Les .... de l'église de Luvigny ont faict rapport que, le jour de la Purification Nostre Dame de l'année dernière, Nicolas Pierre mareschal dudict lieu, subject de son Excellence forgeait en sa forge en scandal des catholiques, lequel mérite nonobstant sa profession de religion contraire à la catholique de payer l'amende qui peut être taxée à cinq frans puisque telle profanation est advenue depuis la rénovation et publication des ordonnances touchant l' observation des festes." Cet incident reflète un changement profond de l'état religieux du pays. On a vu que le réforme avait été activement favorisée par le rhingrave Frédéric, le comte Jean X gardant une attitude de neutralité qu'on peut qualifier de bienveillante. A son décès survenu en 1600 lui avait succédé François de Vaudémont, très attaché comme toute la maison de Lorrains à la religion catholique. Et d'autre part, le rhingrave Philippe Othon, fils de Frédéric et son successeur en 1608, s'était converti au catholicisme au cours d'un voyage à Rome en compagnie du cardinal de Lorraine. L'abbé Martin, dans son histoire du diocèse de Toul place cette conversion en 1591. Ainsi, la religion réformée perdait tout appui des souverains. "Location des scies. Il n'est mis aux enchères que la haulte scye soub Rozière et celle de Chauderoche et des Roches. Les deux premières ne trouvent pas d'amateur. Pour la dernière, la troisième chandelle allumée, a esté faicte mise par Claudon Biecque de Levegny de quatre frans trois ans durant, laquelle mise n'aurait esté jugée ny trouvée raisonable par lesdicts officiers; que, à l'estainte de la chandelle, il aurait enchéry a six frans par an que lesdicts officiers n'ont aussy acceptée parce que ladicte mise n'approche de beaucoup du proffict et rapport des comptes de 1602, 1603 et 1604 et qu'au prétexte de cette petite redevance se pourrait commettre dégradation de bois. Et parce qu'il convient de veiller audict bastiment et à ce que clandestinement les ferrements ne soient emportés, a esté ordonné au mayeur de Raon sur Plaine à l'assistance de Louys Gérard, forestier au district dudict Raon sur Plaine de les faire oster et de les garder jusques à ce qu'il ait pleu à son Excellence d'en ordonner soit pour les vendre ou remestre en un nouveau bastiment avec les ferrements de la scye Guyot que ledict forestier a dict avoir en main." 1610. Apparaît parmi les habitants de Raon Jean Kieffer, sans doute alsacien, d'abord fixé à Luvigny ; son nom s'est transformé, à la mode lorraine en le Kieffre, puis en le Kief, d'où le pré le Kief, dans le vallon de la goutte Guyot. 1611. Le rapport du châtelain fait état de plusieurs droits seigneuriaux dont il n'a pas été question jusqu'à présent. "Du passage. Le hault et ancien passage du comté qui se paye audict Val pour les denrées de marchandises et bestail qui sortent du comté par le destroit dudict Val publié à qui plus a été adjugé à Claude Benay de Raon sur Plaine plus offrant et dernier enchérisseur pour trois ans commençant à la Saint Rémy 1610, à charge de payer aux termes Saint georges et Saint Rémy par moictié le somme de cent cinq frans." "De la ripvière. La ripvière dudict Val à la part de son Excellence, à prendre depuis les Halbach (nom conservé) jusqu'à Thémenonprey" est louée par les officiers de la gruerie ; de même les ruisseaux de Chauderoche et de Réquival. "Nouveau proffict de la gabelle de vin." Adjugée à Demenge Simon, de Badonviller, pour trois ans, moyennant 175 francs par an. "Du pasturage des channes. Le pasturage des channes du comté de Salm à la part de son Excellence scavoir les contrées de Chatte Pierre Pendue, de Champenay, du Xay (le Pesle du Xay, au dessus du col du Hantz), la grande channe de Rougeterre, basse de Corveline (aujourd'hui Courbeline), Joly Fontaine, Croisé Sappe et la channe de Biecque (ces trois dernières sur la crête Plaine-Rabodeau) est loué à Pierre Colin de Raon sur Plaine pour la somme de 130 francs par an, trois ans durant." L'adjudicataire s'engage en outre à construire une grange et à "nettoyer certains lieux pour y faire prairies." "Ascencement du fond de bois dict la Bruslée. Faict recepte le comptable de la somme de sept frans dix gros trois deniers pour l'ascencement de tout le fond d'un petit bois proche Raon sur Plaine dict la Bruslée faict en l'année 1607 par Monsieur ..... à Pierre Colin pour luy, Agnès sa femme, leurs hoirs et ayant cause à perpétuité à raison de deux gros l'arpent qui ont été trouvés au nombre de 46 arpens 6 ommées et quelque part d'ommée faisant ladicte somme payable au jour de la feste Saint Martin d'hyver d'an en an." Il s'agit ici du premier ascencement, bail perpétuel bien proche de la pleine propriété, accordé au Val d'Allarmont ; la Bruslée figure encore, en une parcelle, au cadastre de Raon sur Plaine, le long du chemin qui conduit à la carrière Benay. Temple de Badonviller. Son excellence donne 600 francs pour l'érection d'un temple à Badonviller, ceci en vue de rendre aux catholiques le plein usage de l'église qu'ils partageaient depuis 1571 avec les protestants : bel exemple d'une tolérance qui n'était guère à la mode alors : on n'en est pas encore venu aux mesures de rigueur qui intervinrent par la suite. 1608-1610. Les assortages se multiplient au Val d'Allarmont. Nous notons : trois maréchaux : Estienne Cochot et Claudon Ferry à Raon, Colas Pierre à Luvigny ; trois boulangers : Colas Michiel et Jean Sondur à Raon, Jean Mulnier à Luvigny ; deux charriers : Jean Babel à Raon, Dieudonné Valentin à Luvigny ; trois cuvelliers : Toussaint Verdelet et Colas Cuvellier à Raon. Blaise Verdelet à Luvigny ; un corrier : Claudon Barbier à Raon. Les corriers fabriquaient les conduits en bois alors utilisés pour la captation des sources et dont on retrouve des restes encore aujourd'hui. "Assortages au bois mort." Ces assortages étaient accordés par son Excellence aux "bourgeois" de Luvigny ressortissants du rhingrave, trop éloignés des bois appartenant à leur seigneur pour y exercer commodément leurs droits d'usage. 1614. En vue de la lutte contre l'hérésie, le Saint Siège avait conféré en 1604 à l'abbé de Haute Seille la juridiction épiscopale sur le comté de Salm et cela pour dix années. Cette période écoulée, cette mesure exceptionnelle est prorogée pour dix autres années. 1615. Reçu de Messire Jean Colbé, curé du Val d'Allarmont à Luvigny de son traitement de cinquante francs par an. le Val d'Allarmont constitue donc maintenant une paroisse indépendante de Celles : l'église de Luvigny doit être considérée comme l'église mère de celles d'Allarmont, de Vexaincourt et de Raon. 1616. Le compte du châtelain Petigot fait état d'un versement au trésorier général des finances de Monseigneur de Vaudémont d'un somme de 13 897 francs pour sa part du comté de Salm. La progression rapide de ce revenu, malgré la réduction des recettes provenant des scieries fournit la preuve d'un développement certain des ressources du pays. Ce même compte note la dépense faite à Raon sur Plaine, chez le sieur de Mouilly, contrôleur, par les sieurs Févrel, intendant des maisons et affaires de Monseigneur de la Huttière, trésorier général, Harrois, secrétaire et greffier, Grangié, gruyer et Chrestien Ydoux, marchand voilleur à Celles, venus examiner curremment avec les représentants du rhingrave, certaines difficultés d'interprétation du partage de 1598. On vend au maître des forges de Grand Fontaine, "quatre vingt pièces de bois sappin pour bastir une grande tour et un engin servant à tirer l'eau qui distille dans le grand choque de la Misnière et qui empesche de tirer la misne dudict chocque." 1619. Estienne Cochot, taillandier à Raon sur Plaine, sollicite la permission d'établir dans un pré lui appartenant sur la goutte Guyot un "battan" à émouler les taillants pour l'aider dans son métier ; il s'agit probablement d'une meule mue hydrauliquement. François de Mouilly, contrôleur, demande l'autorisation d'exploiter chaque année pendant six ans trois mille toises, soit neuf mille mètres, de bois de bolée à prendre au lieu dit la goutte Guyot, preuve de l'abondance des feuillus dans cette basse et de "construire une scie au lieu, vulgairement appelé l'Ameÿ où il y a grande quantité de sappins en lieu désert et inaccessible desquels on ne peut tirer proffict que par scÿage et non aultrement." Il s'agissait d'établir une scie dans la partie supérieure de la Maix à l'amont de la vieille et de la neuve scie qui existaient depuis longtemps ; il ne semble pas que ce projet ait eu de suite. Le droit de chasse dans les forêts du comté de Salm, de la seigneurie d'Augomont (Ban le Moine) et dans les bois de Saint Maurice et de Parux est laissé pour deux ans, à raison de cent dix francs par an à Daniel Grancolas de Badonviller. Claude Bazin, maître d'école à Badonviller, reçoit cinquante deux francs par an "tant à titre d'aumône que pour instruire douze pauvres écoliers, à raison d'un gros pour chacun et par semaine (Il n'y avait donc pas alors de vacances scolaires) et pour chanter un Salve Régina dans l'église tous les jours à l'intention de son Excellence." Le rôle de la taille pour Raon sur Plaine et partie de Luvigny fait état que quatre vingt deux conduits. 1621. "De par le comte de Vaudémont et de Salm. Très cher et féal, nous avons faict passer le sieur de Clerge à Baudonviller pour vous advertir du jour où vous ferai tenir pretz les cinquante hommes de nos subjets du comté de Salm pour s'acheminer au lieu qu'il vous dira ; donnez ordre que le choix se fasse des plus lestes et plus propres à servir ainsy que nous l'avons escript cy-devant et comme le sieur de Clerge aura affaire de quelque argent là où nous l'envoyons, vous luy délivrerez des deniers de vostre charge la somme de trois cents frans lesquels vous seront alloués en despense de vos prochains comptes rapportant sa quittance. Et nous prions Dieu, très cher et féal, qu'il vous ait en sa garde. Nancy le 6 décembre 1621." La guerre de Trente ans avait commencé depuis peu en Allemagne et François de Vaudémont avait accepté le titre de chef de la Ligue catholique sur la rive gauche du Rhin. le 8 novembre 1620 avait lieu en Bohème la bataille de la montagne Blanche à laquelle Charles, fils de François avait pris part à la tête de trois régiments de cavalerie lorraine. Le comte de Bansfeld, chef de protestants, battu dans cette rencontre, avait gagné l'Alsace avec les débris de son armée. La levée de soldats au comté de Salm doit avoir fait partie des mesures de sécurité prises en vue de protéger la Lorraine d'une attaque possible. Il n'apparaît pas que ces recrues aient été bien loin, encore moins qu'elles aient eu à combattre. Le cas mérite pourtant d'être signalé car c'est, du moins à notre connaissance, le seul exemple de service militaire imposé aux sujets de Salm jusqu'à la réunion de la principauté à la France. Pierre ou Pierrot Drouat, fondateur de la ferme du Donon. Pierrot Drouat est locataire de la moistresse (ferme ou métairie) de Grand Fontaine depuis 1607 ; il s'agit ici de la "vieille moistresse" aujourd'hui disparue ; elle se trouvait aux environs immédiats de la maison forestière et de l'ancien chauffour, tout en haut du village des Minières. Dès 1613, il habite Raon sur Plaine et y paie la taille en 1614. Il est adjudicataire de l'ancien passage puis en 1618 des trainesses. En 1619, son bail de la moistresse lui est renouvelé pour six ans ; il est alors qualifié "hostellain" à Raon sur Plaine ; de sorte qu'on pourrait le considérer comme le précurseur de la vocation touristique de la vallée. Vers 1620, il devient locataire de prés au Haut Donon ; 19 jours au champ Hannezo, 18 jours et demi à la Fainefin, 40 jours "es environs de la Fontaine du Hault Donnon": en tout 15,8 hectares. Ces prés sont situés pour la plus grande partie au Nord de la route actuelle, c'est-à-dire sur le territoire de Raon sur Plaine à l'époque. Peu après, ces prés font l'objet d'un ascencement perpétuel moyennant une redevance de 98 francs 6 gros 10 deniers. il agrandit quelque peu son domaine en faisant un "essart sur (au-dessus de) la moistresse de Grandfontaine au pendant de la Goutte Ferry d'une contenance de trois arpens comme il est apparu dans l'arpentage." Cette fois, il s'agit de la neuve moistresse que j'identifie à la ferme actuelle du Bas Donon. En même temps, Pierrot Drouat est boulanger à Raon et le reste jusqu'en 1634 au moins. C'est vers 1625, pour la fin de son bail de la Vieille moistresse que la construction de la ferme du Donon a dû être terminée. En 1626, Drouat paie une amende de 44 francs pour "44 bestes rouges luy appartenant qui sont esté gagées pasturant de garde faicte sur l'ordon de la goutte Ferry" ce qui suppose une fortune assez considérable. En 1633, il est adjudicataire des trainesses, moyennant 99 frans si gros, somme jamais atteinte à beaucoup près. Des indications qui précédent on peut conclure qu'immédiatement avant la période désastreuse qui allait suivre le pays a connu un essor économique certain. En 1661, l'ascencement de Pierrot Drouat est en friche. En 1665, notre homme est avec Demenge Le comte signataire de la convention par laquelle la communauté se rend adjudicataire du domaine pour trois ans ; la même année, il obtient une fourniture de bois pour le rétablissement de sa ferme. En 1667, il exerce concurremment les métiers de bocquillon et de boucher. En 1668, il est maire de Raon et renouvelle pour trois ans, avec Jean Mongeon, l'admodiation du domaine à la communauté. En 1669, il est admodiateur de la scie du Cerf ; puis son nom disparaît. Assurément Pierrot Drouat n'appartient pas à la grande histoire, il a paru intéressant néanmoins de préciser la carrière d'un homme qui ne manquait certes pas d'initiatives ni d'activités. 1622. Le sieur Freystroff devient admodiateur général des rentes et revenus de son Altesse pour le comté de Salm. A cette occasion, le sieur Petitgot, châtelain et honorable François de Mouilly, son contrôleur, visitent les diverses dépendances du comté en vue de la faire remettre en état. A partir de ce moment la pratique de l'admodiation générale deviendra constante pour le comté comme pour les forges. 1623. Le 8 janvier, la partie du comté relevant des rhingraves est érigée en principauté par l'Empereur : nous avons donc à partir de cette date des princes de Salm. Affaires religieuses. 1627. 'Denis Thiriot marchal à Levegny est rapporté à l'amende par le sieur curé dudict lieu de ce que le jour du saint Sacrement dernier, pendant que la procession se faisait audict Levegny avec le Saint Sacrement ne daigne pas oster son chappeau,a insy faisait semblant de compter de l'argent sur son siège devant son logys, partant est amendez de dix frans." En 1624, un édit impérial prohibe l'exercice du culte calviniste et ordonne la fermeture des temples. En conséquence, le 12 mars 1625, le comte de Vaudémont et le rhingrave promulguent une ordonnance dans le même sens, obligeant les pasteurs et les maîtres d'école protestants à quitter immédiatement le comté et les habitants réformés à se faire instruire dans le religion catholique dans le délai d'une année. A noter que les réformés du comté professaient à l'origine à la confession d'Augsbourg, il semble qu'ils soient passés ensuite au calvinisme probablement sous l'influence du fameux Farch. C'est en 1625 que Saint Pierre Fourier se rendit à Badonviller et s'employa, après les jésuites, à la conversion des protestants. Il y réussit tant dans la capitale que dans les vallées voisines. Connu sous le nom du Bon Père, sa dévotion est restée populaire dans le pays et on trouve sa statue dans beaucoup d'églises. Celle de Badonviller, qui avait servi aux réformés dut de nouveau consacrée par le suffragant de Strasbourg assisté des représentants des abbayes et précurés voisins. Il ne semble pas que la religion réformée ait laissé des traces sensibles dans la région et aucun document n'indique qu'on ait recouru à des mesures d'expulsion envers les habitants pour cause de religion. 1622. "Requeste de Messire Jean Calbé, curé du Val d'Allarmont, Messire Jean Calbé, curé à Luvigny, Raon sur Plaine et Val d'Allarmont, comté de Salm, vostre très humble serviteur, vous remonstre comme depuis trois ans il aurait plu à Votre Altesse d'establir curé et pasteur desdicts lieux pour le soulagement et entreténement des âmes catholiques qui y sont entremeslées et fréquentées de beaucoup d'hérésie qui y pullulent journallement à la confusion de la foi catholique, pour avoir esté du passé les habitants desdicts lieux mal instruits et endoctrinés sinon depuis peu que votre remonstrant s'a efforcé de leur rendre le seing et service qu'il doibt à Dieu, leur célébrant de jour en jour la saincte Messe et exortation au mieulx que sa petite capacité luy peut permettre. Et comme les villages de Leuvegny et Raon sont assis en lieux montagneux et de petit rapport, les dismes desquels ne peuvent rapporter que six à sept résaulx de seigle et autant d'avoine qu'est la rente que le dict pauvre remonstrant peut avoir pour son entreténement pendant l'année avec cinquante frans qu'il a pleu à Votre Altesse luy octroyer par an, laquelle rente n'est suffisante pour la nourriture d'un homme d'église surtout auxdicts lieu de Leuvegny et Raon où la charité est extrèmement refroidie. Qu'est la cause que ledict remonstrant retourne de rechef à Votre Altesse le suppliant très humblement avoir pitié et compassion de luy et que ce faisant il luy plaise oultre lesdicts cinquante frans luy octroyer six résaulx de bled froment par chacun an provenant de la recepte de vostre domaine pour d'autant plus à faire de mieulx en mieulx le service qu'il doit à Dieu, à l'Altesse de Monseigneur et de Madame et de journellement prier Dieu pour la prospérité, santé de l'estat et grandeur de vostre illustre lignée." Cette supplique reçut un accueil favorable ; son texte confirme que, trois ans après l'ordonnance du comte et du rhingrave, il y avait encore des réformés au Val d'Allarmont et qu'aucune mesure violente n'avait été prise à leur égard. 1623. "Démonstre le comptable que sur le fin de 1623 il aurait esté visité les hans des forges de Chamepney assisté des forestiers du ban de Salm et de Plaine et de Jacob Puissant des Quevelles, retournant de ladicte visite il aurait passé par les ordons de la Crache et à la descente par les marches des scyes de la goutte de la Maix admodiées à Christian Ydoux où il aurait trouvé un notable dégats de sapin abbatu sans marque ny assignat de gruyerie tant pennes que chevrons et doubtant que ledict comptable était fou, mal disposé du travail qui l'aurait recreu en visitant lesdicts hans des forges et les marches des scyes, se serait retiré à Baudonviller." Le lendemain, le contrôleur et les forestiers de Raon et de Luvigny se rendent sur les lieux "avec d'aultres gens appellés avec eulx" et comptant "tous les arbres sappins couppés sans marque que s'en est trouvé vingt pennes et cent dix chevrons." 1627. "Le comptable démonstre que le maire Nicolas Benay cy-devant demeurant à Levegny, admodiateur de la scye de la Goutte Guyot pour trois années dont la présente est la dernière aurait esté l'été dernier exécuté en tous ses biens par les officiers de Monsieur le prince de Salm (le rhingrave) sans que personne en ait rien sceu de façon qu'il n'y a pas eu moien de se faire payer ladicte." Ce qui n'empêche pas le maire Benay de louer ensuite la scie de Chauderoche, mais sous la caution de Nicolas Dedegnon et de Jean et Demenge Biecque. 1632. "Au district de Raon sur Plaine un nommé Chestien Haumaire dudict Raon a esté trouvé égorgé proche du sommet d'une montaigne, lequel fut cherché par partye de la bourgeoisie dudict lieu pour ne scavoir ce qu'il éstait devenu sy bien que son corps trouvé et gardé plusieurs jours et nuits par ordonnance de justice, son procès formalisé et sentence rendue par la cour de justice de Baudonviller" (qui prononce la confiscation de ses biens.) Il s'agit évidemment ici d'un suicide, alors puni comme crime. Le comptable met en comte une recette de 338 francs. Il paraît fort possible que ce suicide doive être attribué au début des calamités qui s'abattirent peu après sur le pays. Le 14 octobre, mort de François de Vaudémont : son fils, le duc Charles IV lui succède comme comte de Salm. En 1633, une pièce signée de lui vise cinq soldats nommés "la Taille, Courtalaix, la Pierre, la Croix et Poirier" des déserteurs probablement qui, arrêtés à Raon sur Plaine sont détenus à Badonviller ; le duc ordonne de les relâcher et de les envoyer à Lunéville "car telle est nostre volonté." CHAPITRE VI La peste, la Guerre, la famine On sait que la politique malheureuse de Charles IV attire sur l'ensemble de la Lorraine les pires calamités. Le comté de Salm fut plus tardivement touché par elles que d'autres parties du pays mais n'y échappa pas et fut complètement ruiné. Par suite de la désorganisation de l'administration, les documents font défaut, comme nous l'avons dit, de 1640 à 1657. Nous devons nous borner à préciser autant que possible la situation avant et après la catastrophe. Il convient de rappeler auparavant quelques dates de l'histoire générale de Lorraine. - 1631. Apparition de la peste à Pont-à-Mousson puis à Nancy, nouvelle épidémie en 1633. - 1633. Siège et prise de Nancy par le roi de France Louis XIII. - 1634. Mariage du cardinal Nicolas François, frère de Charles IV, avec Claude de Lorraine, sa belle soeur, leur fuite romanesque de Nancy à Besançon puis à Florence. Premier siège de Lamothe par les Français. Le 30 septembre, victoire de Charles IV sur l'armée suédoise de Bernard de Saxe Weimar, ceci pour indiquer que Charles IV, piètre souverain, n'était pas mauvais guerrier. - Novembre 1635. Les suédois pillent, massacrent et brûlent à Saint Nicolas de Port. - 1636. Destruction systématique des fortifications et châteaux de Lorrains, notamment à Raon l'Etape et Badonviller, très probablement aussi Pierre Percée. Prise de Blâmont par les Suédois et pendaison de Mathias Klopstein fils du défenseur de la ville en 1587. - 1638-1641. Misère et dépopulation croissante en Lorraine, aide apportée par St Vincent de Paul. - 1642. Famine - 1643. Le marquis de la Ferté Sennectère est nommé gouverneur général de Lorrains ; son administration, quoique très dure et avide, ramène quelque sécurité. - de 1643 à 1651. Hostilités réduites en Lorraine. - de 1653 à 1658. Captivité de Charles IV en Espagne. - 14 avril 1661. Rentrée de Charles IV en Lorraine, la convention de Vincennes du 28 Février lui ayant rendu pour un temps ses états. La situation du comté vers 1632 paraît avoir été favorable et il semble que le premiers tiers du XVII° siècle ait été pour lui une période de progrès. Comme nous l'avons vu, le dernier rôle de la taille qui nous soit parvenu, visant l'année 1619, indiquait 62 foyers pour Raon sur Plaine et partie de Luvigny appartenant au comte ; il est très probable que ce nombre a augmenté au cours des années qui suivirent. Une supplique datée de 1633 du curé Villermain semble le confirmer ; elle précise que dans les trois villages de Vexaincourt, Luvigny et Raon, il y avait plus de cinq cents communiants ; étant donné la brièveté de la vie moyenne à cette époque ce chiffre correspondrait à une population de plus de sept cents âmes. Le curé ajoute que, sur ce nombre, plusieurs ont été récemment convertis à la foi catholique et on peut supposer qu'il restait encore un certain nombre de réformés. Par ailleurs, il a lieu de remarquer que le curé de Luvigny n'avait plus Allarmont sous sa juridiction ; c'est donc entre 1610 et 1630 qu'on peut fixer la date de construction de l'église de ce village. En ce qui concerne les assortages, d'assez nombreux artisans exercent leur métier ; pour 1631, nous relevons à Raon sur Plaine et partie de Luvigny trois maréchaux : Jean et Daniel Cochot, Claudon Ferry ; cinq boulangers : Jean Soudieux le Viel et Jean Soudieux le Jeune, Jean Charbonnier, Pierre Drouat, Thirion Mangenot ; deux charriers : François Arnoux et Dieudonné Charrier ; quatre corriers, Christian Barbier, Jean Phalle, Toussaint et Jean Verdelet. L'exploitation des forêts a repris une certaine activité et plusieurs scieries sont en marche. En 1629, la scie Guyot consomme 200 sapins à 28 gros l'un et en 1631 le même nombre à 23 gros et demi ; la scie de Chaude-Roche exploite également 200 sapins à 23 gros un denier. On remarquera que, depuis le début du siècle, les prix du bois ont triplé. Le bois de bolée est exploité très activement ; c'est ainsi qu'en 1625, 6746 toises soit plus de 20.000 stères, sont façonnées par les ouvriers des scieurs de Mouilly, Henri Masson et Chrestien Ydoux. L'administration de la gruerie a été renforcée. Elle comprend un gruyer aux appointements de 120 francs par an, un contrôleur à 100 francs, un chevaucheur des bois à 50 francs et dix forestiers à 25 francs plus le tiers des amendes, à savoir : Jean Martenotte au plat pays, Claude Masson à Celles, Dieudonné Valentin à Luvigny, loys Gérard à Raon sur Plaine, Didier Aubry au ban de Salm, Colas Simon au ban de Plaine, Claudon Estienne à la prévôté de Saint Aille, Thiriot Parisot au Val de Senones, Colas Claudon et Humbert Colas le maire en la seigneurie d'Augomont. Il existe une grande quantité de gros bétail ; on a vu ce que possédait Pierrot Drouat ; le montant de plusieurs amendes pour pâturage aux lieux défendus démontre que d'autres particuliers élevaient de vingt à trente bêtes. Les admodiations sont très disputées ; nous l'avons noté pour les traînesses et pour les scies ; on trouve même un profit des mouches à miel ; "ont été découvert deux essaims aux Bois Sauvages vendus a qui plus pour six francs." C'est en 1633 que les fléaux de la guerre, de la peste et de la famine qui avaient déjà touché d'autres parties de la Lorraine s'abattirent sur la vallée pour atteindre leur maximum au cours de l'hiver 16351636. En ce qui concerne la guerre, il ne faut pas oublier qu'étant donné la composition des armées d'alors, les troupes amies étaient presque aussi redoutables que celles des ennemis. Toutefois les Suédois, protestants farouches, ont laissé en Lorraine une réputation de cruauté que la tradition a conservée jusqu'à nos jours. - 1633. Requête de Jean le Kieffre, admodiateur du passage du Val d'Allarmont. Il expose que "depuis que les Suédois ont occupé les passages allant à Strasbourg et en Allemagne et brûlé le Neufville sous Barainbac dit Schurmeck, ses récoltes sont tombées à rien. Il obtient décharge des deux tiers du montant de son admodiation. - 1634. Le 2 novembre, les recettes de la gruerie du comté sont mises sous séquestre par Louis Lefebvre, conseiller du roi de France. Le 17 Novembre le conseil souverain établi à Nancy par le roi y convoque le gruyer pour présenter ses comptes le 24 janvier 1635 : le comté est donc, comme la Lorraine, soumis à l'administration française. - 1635. Supplique d'Elisabeth Naibourg, veuve du comptable (châtelain) Isaac Ves, qui ne peut présenter les comptes de celui-ci, ses papiers ayant été dispersés lors du pillage de Badonviller. "Remonstre le comptable (le gruyer) qu'au mois de Mars 1635,, son controlleur aurait été tué sur le hault chemin des channes ; quelque temps après et dans la suyte des misères tous ses forestiers mors fors le chevaucheur des bois. Une grande partie de ses papiers ont été perdus ou deschirés ; pourquoy il supplie très humblement Messieurs les Présidents, Conseillers et auditeurs des comptes de Lorraine que s'il se trouve manquer quelques pièces justificatives du présent compte, d'en imputer la cause au malheur des temps et de s'en fier à sa mémoire." "Le soussigné, chevaulcheur des bois du comté du comté de Salm certifie à tous qu'il appartiendra qu'en suite de plusieurs et diverses commissions du sieur Raville, gruyer dudict comté, il aurait été le 28 octobre 1635 interpellé les fermiers des scyes et aultres qui devaient le canon de leurs admodiations du terme de St Jean Baptiste de ladite année, lesquels sur ladite interpellation auraient répondu qu'ils n'avaient rien fait pour la plus part, d'autant qu'il avaient été grandement empechés par les soldats qui leur avaient print leur best qui servaient à mener le bois sur les scyes et print tout ce qu'ils avaient trouvé ne leur laissant que leurs maisons et ce qu'il avaient en fond (en terre). Certifie encore que, en suitte desdites commissions, environ deux mois après (donc à la fin de 1633), je me serais derechef acheminé domiciles des dits fermiers lesquels étaient le plus grande partie morts les aultres auraient abandonné leurs maisons et se seraient retirés dedans les bois à l'occasion des courses des soldats et pour la mortalité qui régnait (la peste) ny ayant aulcun moyen de tirer aulcun payement d'iceulx, ce que je certifie estre véritable sous mon seing accoustumé cy mis le de janvier 1636," signé de France. Ce texte fait allusion aux exactions des soldats et à la peste qui régnait alors dans la vallée. Il est évident qu'en conséquence toute culture a cessé et qu'à ces deux maux s'est ajoutée la famine. "Le soubsigné (le gruyer) certifie que Jacob le .... forestier au comté de Salm se serait transporté au lieu de Raon sur Plaine, où estant, il aurait interpellé Jean Parxel, maire audit Raon à payer le prix de la ferme de la scye de la goutte Guyot pour sa moictié à la Saint Jean année 35. Quoy ledit Parxel faict réponse qu'il ne pouvait rien debvoir." Evidemment pour les même raisons que ci-dessus. C'est certainement alors qu'un particulier de Raon sur Plaine du nom de Parmentier se retira sous une roche qui porte encore son nom. Elle se trouve sur la crête Plaine-Blanc Rupt à la cote 700. Cette roche a joué un rôle important, au titre de borne, dans le procès qui opposa au XVIII° siècle deux abbés de Domèvre aux princes de Craon et de Beauveu ; elle a eu l'honneur d'une visite des délégués du parlement de Metz accompagnés des parties et se trouve décrite avec tous les détails désirables dans une des mémoires de l'abbaye. Il est fort possible que la roche Pain Sec du blancRupt à l'entrée de la basse Hauzard (précédemment Grosse Basse Simon), doive son nom à un autre ermite forcé de la même époque. L'abbé Chetton, dans son histoire de l'abbaye de Saint Sauveur Domèvre rapporte que le village de Saint sauveur fur alors détruit et qu'il n'y resta que deux habitants qui se retirèrent en forêt. Le choeur de l'église abbatiale subsiste seul et sert d'église au village actuel. Enfin un mémoire de l'abbé de Domèvre datant probablement de 1736 précise qu'au début du XVIII° siècle encore le village de Raon-les-leau était "complètement détruit et abandonné en suite des grandes guerres et pestes sans qu'il y restat aucune maison, ni l'église ni personne." C'est en 1636 que la nef de l'église de Luvigny fut incendiée par une partie de l'armée de ....., Général de l'empire et par conséquent allié de Charles IV, comte de Salm. De 1637 à 1647, il subsiste quelque reste de l'administration du comté ; mention est faite que les murailles de Badonviller sont tombées et ébréchées en plusieurs endroits, que les moulins de Bréménil, Moussey, Luvigny et la Broque ne se peuvent rétablir d'autant qu'il n'y a presque plus d'habitants. Toutefois le moulin de Raon sur Plaine est encore loué et le 17 juin 1639 les scies de la goutte Guyot, de Luvigny et de la goutte de la Maix sont encore adjugées, non plus à des gens de la vallée mais au sieur Jean, capitaine de Blâmont, à raison de 6 gros par pied d'arbres c'est-à-dire à moins du tiers des prix précédemment pratiqués ; "Elles allaient tomber faute d'entretien et il était nécessaire de les admodier à quel prix que ce soit, joinct qu’elle serait vacantes que les reste des subjects de la montagne n'auraient aucun moyen de pourvoir à les alimenter." Tels sont les derniers renseignements que nous possédions sur cette période de misère ; les comptes généraux et les comptes de la gruerie ne reparaissent qu'en 1657, toujours sous l'administration française. - 1667. Par bail du 20 décembre 1656 les forges de Framont furent louées pour quatre ans, à raison de cent francs par an, prix symbolique, au sieur Basile Mus, administrateur du mont de Piété de Nancy aux conditions suivantes : "Le sieur Mus rétablira à ses frais et despens le haut fourneau de ladite forge avec les hasles à charbon et les autres bastiments nécessaires pour y pouvoir fondre et tirera la mine qu'il pourra et qu'il lui sera loisible faire tirer et prendre avec la callistenne (Kaltestein = castine) et toutes autres pierres et matières requises à l'entreténement de ladite usine à ses frais et despens par tous les endroits dudit comté et de la juridiction de son Altesse qu'il en saura et pourra découvrir, avec le moins de dommages néanmoins que faire se pourra et à charge de dédommager les propriétaires de gré à gré, sinon au taux qui en sera fait par les officiers de son Altesse ; comme aussi une affinerie et la chaufferie, fera les bastiments à la chambre du ....pour y loger et qui soient couverti en thuilles à cause du danger du feu ; pourra agrandir la hasle du charbon qui est près de ladite forge de la moitié ; fera les autres bastiments qu'il trouvera nécessaire pour y loger ; fera faire à la forge à battre tout ce qu'il jugera pareillement nécessaire ou utile par-dessus ce que l'admodiateur précédent est obligé à faire par son bail, le tout pareillement à ses frais et despens saulf qu'il luy sera fourni le bois gratis es lieux plus propres et plus commodes moiennement les frais et droits de marquage qu'il payera aux officiers de gruerie. Lesquels bastiments il entretiendra pendant lesdites quatre années et duquels il sera faict visite si tost après la construction en faicte par expert convenu de part et d'autre. Il sera fourni par année du bois pour faire mille bennes de charbon, la benne portant douze cuvaulx." Nous ne connaissons malheureusement pas les contenances de la benne et du cuveau. Le sieur Mus jouissait par ailleurs du droit de pâturage pour "cent bestes tant chevaux, boeufs que vaches, plus deux vaches par ouvrier des forges et du permis de chasse aux grandes bestes avec deux de ses domestiques avec arquebuses et aultrement." "Estat que présente Jacques Montal, chastelain du comté de Salm pour obéir aux ordres de Monseigneur l'Intendant du dernier Novembre 1657 à luy signifiée par une missive du dernier Décembre suivant de la recepte et despenses dudict comté pour l'année 1657. Et premier récepte. Remonstre que le domaine dudict comté luy a été laissé à bail pour trois ans par Messieurs de la Cour de son Altesse ainsy qu'il en appert par le bail du dernier Avril 1655 cy reproduit du original, ledit bail pour trois années çà commencer du premier Janvier 1656 et finir au dernier décembre 1658 à raison de 1000 francs par an payables de deux termes égaux à Saint Jean Baptiste et Noël." Il est intéressant de comparer ce chiffre de 1000 francs à celui des recettes du comté avant les guerres, plus de 13.000 francs sans compter les recettes en nature. - 1658. "Le président et Conseillers de la Cour Souveraine tenant les chambres des comptes de Lorraine et Barrois à notre cher et bon amiy le sieur Raville, gruyer du comté de Salm, cher et bon amy : ayant reçu plaincte que vous estes refusant de vous acquitter de la gruerie du comté de Salm, nous vous ordonnons d'y satisfaire promptement, à peine d'y estre contraint par emprisonnement de votre personne, de saisie de vos biens pour deniers princiers ; à quoy nous assurant que vous ne ferez pas faute, nous prions Dieu de vous tenir en sa Saincte Garde. fait à Trèves, le quinzième d'Apvril 1658." Par la cour, Bailly. Cette lettre était adressée au sieur Raville par la Cour instituée à Trèves par Charles IV qui, bien que dépossédé en fait de ses états, entendait bien en recevoir les revenus et en recevait effectivement une partie. On peut déplorer la situation difficile du gruyer dans cette alternative mais on doit admirer la façon élégante dont sont dites des choses désagréables. - 1659. Reconstruction de la nef de l'église de Luvigny. "Supplient très humblement les habitants des villages de Luvigny, Raon sur plaine et Vexaincourt scitués dans la terre de Salm disant que depuis très longtemps l'église paroissiale desdicts lieux estant bruslée par le malheur des guerres, il auraient pris la résolution de la réparer afin d'y pouvoir faire célébrer la messe et vacquer avec plus de dévotion au service divin et que la réparation et l'entretien de la nef de ladite église est du temps immémorial à la charge de ladite terre de Salm pour la moictié et en conséque de quoy ayant plusieurs fois porté plaincte à Messieurs les chastellains et haults officiers de ladicte terre de Salm et représentés l'intérêt (le dommage) très notable qu'ils trouveraient si ladite nef n'estait promptement réparée ........" Sans réponse des officiers de Salm, les habitants adressent leur supplique à la Chambre des comptes de Lorraine, qui, après enquête ordonne la dépense de 80 francs. Cette réparation, exécutée sans doute en 1659, a donc coûté en tout 160 francs. - 1659. "Compte que Bazil Mus admodiateur du comté de Salm rend à Monseigneur de Colbert, seigneur de Ste Pouange et de Tillacerf, conseiller du Roy en ses conseils, Intendant de la justice, police et finances en Lorraine tant de la somme principalle à quoy monts le canon de la ferme dudit domaine que de la despense faicte et soutenue sur icelle pendant l'année dernière 1659. Net en comte le comptable la somme de 4.400 frans a quoy monte le canon de la ferme dudit domaine." - Aux dépenses figure la somme de 80 francs accordée pour la réparation de l'église de Luvigny. Le sieur Mus se plaint de l'opposition ou tout du moins de l'inertie qu'il rencontre de la part des officiers du comté. On voit qu'à l'expiration de son bail Jean Mortel, serviteur du duc de Lorraine, a été éliminé au profit de B. Mus, également admodiateur des forges. -1667. "L'ascencement de la Bruslée n'a rendu aulcun proffit depuis les guerres et ne sera prest d'en rendre de longtemps à cause que ledit bois de la Bruslée est en friche et même qu'il y a à Raon sur Plaine des terres beaucoup meilleures que celles dudit ascencement qui demeurent en friche et sont incultes par le peu de subjects qui est audit Raon et aux environs." Il en est de même de l'ascencement de Pierrot Drouat au Donon ; le moulin de Luvigny a été brûlé par les soldats et le battant d'Estienne Cochot est ruiné. "Le pasturage des channes. Ce pasturage n'a été admodié depuis les guerres ; s'il était admodié pour cinq ou six années, on pourrait en tirer proffit de quelques cinquante frans par années d'autant qu'il faut ce temps pour remettre la pasture en estat qui s'est rendue sauvage pendant la longueur et laps de temps." Le rapport indique enfin qu'il n'y a que ruynes an ban de Salm. Les comptes de gruerie ne relèvent aucun assortage au Val d'Allarmont, au ban de Salm et à Celles pour les années 1661 et 1662. Quelques très modestes recettes sont perçues : location de la rivière et des ruisseaux de Chauderoche et de la Maix ; Jean Paticier, maire de Raon sur Plaine paie un franc pour le ruisseau de la goutte Guyot ; Claude Sayer et Jean Parxel versent la même somme pour le droit de porter arquebuse. En 1662, la scie de la goutte Guyot est louée au maire Salmon de Raon la Tappe, celle du Cerf au sieur Jean Mortal, cy devant châtelain du comté, celle de Chauderoche au sieur Aubry, tabellion de la principauté de Salm, celles enfin de Luvigny et de la goutte de la Maix à Jean Benay. - 1663. Le duc Charles IV, de retour dans ses états, se hâte de se débarrasser du sieur Mus : "le domaine de Salm a été laissé à titre de bail et d'admodiation pour trois années suivantes et consécutives qui ont commencé le premier Janvier 1663 à M. Gaspard de Glatigny, tabellion général du duché de Lorraine, résidant à Saint Diez, à charge d'en payer pour chacune des dites trois années une somme de 5.700 francs sous la caution de MM. François Simonaire lieutenant du bailliage de Saint Diez y demeurant et Jean Nicolas, bourgeois dudit lieu." Raon sur plaine paie 17 francs pour la taille et 22 francs pour l'aide Saint Rémy. Voici la répartition de celle-ci : * Jean Paticier franc à cause de sa charge de maire ayant exemption de son Altesse. * Jean Michel, maréchal, taxé à un fran 3 gros. * Jean Mongeon, forestier faisant un quart de charrière, taxé à 4 frans 1 gros, prétend être franc à cause de sa charge. * Pierre Drouat, bocquillon, taxé à un fran 4 gros. * Jean Michel le vieil, faisant un quart de charrière, taxé à 3 frans 4 gros. * Nicolas Chappelier, recouvreur, taxé à un fran 5 gros. * Jean Parxel, faisant un quart de charrière, taxé à 2 frans 11 gros. * Nicolas, de Luvigny, manouvrier, taxé à un fran 3 gros. * Claude Tonnesse, réfugié (il y en avait donc déjà) manouvrier, taxé à un fran. * Jean Colin, manouvrier, taxé à un fran 6 gros. * La veuve Demenge Lecomte, faisant un quart de charrière, taxée à 3 frans 6 gros. "Le soubsigné, Curé de Raon sur plaine, certifie n'y avoir autres paroissiens audit lieu que les nommés au présent roolle, faict à Raon sur Plaine. signé : Ordent." Cette liste appelle les observations suivantes : l'indication d'un habitant de Luvigny paraît indiquer que ce sont là tous les foyers qui subsistaient alors à Raon et dans la partie de Luvigny appartenant au comté et donc que dans celle-ci il ne restait qu'une seule famille ; d'autre part, même en tenant compte du réfugié qui n'apparaît plus dans les états postérieurs, le nombre des foyers était tombé de 85 environ à onze, c'est-à-dire qu'il avait été réduit à un sur 7,7. Ceci précise l'étendue de la catastrophe qui avait atteint la vallée et l'ensemble du comté ; on peut s'étonner qu'aucun des historiens de la région n'en ait, à notre connaissance du moins, signalé l'importance. Nous avons vu précédemment qu'il ne restait plus personne à Raon-les-Leau ; voici ce qui est indiqué pour Pierre Percée ; "il n'y a plus qu'un habitan pour son Altesse : encore est ledit habitan très pauvre et duquel on lui a souffert demeurance sans rien payer jusques à ce qu'il soit en moyen de le faire." C'est en 1663 que reparaissent les assortages : celui de Jean Michel le jeune, maréchal à Raon sur Plaine et celui de Chrestien Barbier, tonnelier à Luvigny. Le chauffour de Raon sur Plaine est loué à "certains massons italiens du pays de Tirolle pour trois années à charge de le mettre en bon estat ; ce qu'ils firent du commencement mais à cause de la cherté des vivres, ils abandonnèrent le pays de sorte que les officiers de gruerie l'ont faict recouvrir de planches pour le maintenir en estat en attendant d'en faire proffict." "Le proffict des traînées à faciliter les descentes de Raon sur Plaine et Grandfontaine est admodié à Jean Paticier, maire de Raon, pour quatre frans, personne n'y ayant voulu donner d'avantage." (contre 99 francs en 1633). - 1665. Nous possédons le montant de l'aide Saint Rémy pour cette année et pour les différentes parties du comté. Un total de 685 francs est réparti comme il suit : Badonviller : 130 ; Celles : 42 ; Val de Senones : 215 ; Saulxures (ban de Plaine) : 52 ; Raon sur Plaine : 44 ; Bréménil : 12 ; Parux : 35 ; Saint Maurice : 68 ; Ban de Salm : 18. De ces chiffres, on peut raisonnablement conclure que la plaine avait relativement moins souffert que la montagne et que c'était aussi le cas du Val de Senones ; qu'il ne restait presque plus personne au ban de Salm et que Raon sur Plaine (et partie de Luvigny) se trouvait dans la misère : nous avons vu précédemment ce qu'elle était. Les déclarations des habitants de Raon nous sont connues jusqu'à l'année 1668. L'une d'elles précise qu'il n'y a dans la paroisse aucun noble, aucun officier ou autre prétendant franchise, aucun garçon ou fille tenant ménage, aucun mendiant. - 1665. La communauté de Raon sur Plaine se rend adjudicataire du domaine. "Les soubsignés, officiers du domaine du comté de Salm ayant reçu ordre de Nosseigneurs de la Chambre des comtes de Lorraine datte du dix huitième de Septembre dernier d'affermer ledit domaine et d'en faire des fermes particulières en la forme ancienne pour le terme et espace de trois années consécutives et à cet effet lesdits officiers ayant fait faire les publications par, tous les lieux dudit comté et du voisinage en déclarant par icelles spécifiquement tous les revenus dudit domaine, y comprenant toutes les amandes indictées par les ordonnances, moictié des arbitraires et les espaves et confiscations les frais de justice préalablement pris, à la réserve néanmoins de celles desdites espaves et confiscations qui excéderont trois cents francs après les frais de justice préalablement pris, de l'ayde St Rémy et du droit de sceau et tabellionnage dudit comté, jour aurait été pris au trentième Octobre dernier, pour vacquer au lieu de Raon sur Plaine à l'enchère du moine du Val d'Allarmont et lesdits officiers ayant veu que les mises de d'estail faictes par les particuliers de ce lieu n'étaient recevables sur ce que lesdits officiers auraient fait assembler en corps la communaulté et ayant proposé que quiconque particulier d'entre eux voudrait faire une mise recevable dudit domaine dudit lieu au delà de ce qu'il avait rapporté les années dernières, il jouissait des franchises et exemptions ordinaires. N'y ayant en personne qui s'y soit offert ainsi (mais) la communauté en ayant fait mise de deux cent trente frans à charge d'estre quelque peu considérée aux ... et répartitions qui se feront pendant lesdites trois années sur les habitans et communaultés dudict comté, la chandelle ayant été allumée et les encherres édictées à dix frans et n'y ayant eu aulcune n'y de la part de ladite communaulté n'y d'aulcun particulier d'icelle n'y d'aultre lieu, ladite chandelle esteinte, ledit domaine serait demeuré eschu à ladite communaulté laquelle aurait demandé aux dits soubsignés de luy on passer bail pour et moyennant ladite somme de 230 frans, lesdits soubsignés ont recogneu et confessé et recognoissent et confessent par les présentes avoir loué et admodié à titre de bail, ferme et admodiation pour trois années consécutives qui y a commencé à courir au premier jour de l'année présente 1665 et finissant au dernier jour de Décembre 1667 à ladite communaulté acceptante par Pierre Drouat et Demenge Le comte, bourgeois et députés d'icelle pour eulx, leurs successeurs et ayant cause tout le domaine que son Altesse eu au Val d'Allarmont en quoy il puisse consister." Il y a lieu de remarquer qu'alors encore Raon sur Plaine et la partie de Luvigny appartenant au duc de Lorraine ne formaient qu'une seule communauté. Une semblable adjudication eut lieu au ban de Salm où le domaine fut également loué à la communauté mais à raison de cent francs seulement. Il apparaît probable que ces opérations avaient fait l'objet d'une entente préalable entre les officiers du comté et les habitants. Cette adjudication du domaine à la communauté marque une étape importante dans la situation des habitants des deux villages et notamment dans leur degré de liberté. Ceux-ci, il est vrai, avaient depuis longtemps et en tout cas depuis l'époque où les documents originaux nous sont parvenus, c'est-à-dire depuis la seconde moitié du XVI° siècle, un statut qu'on doit considérer comme privilégié si on le compare au régime qui régnait en Allemagne. Il n'y avait plus en effet de trace de servage ; les habitants étaient propriétaires de leurs maisons et de leurs héritages, c'est-à-dire de leurs terres et il possédait des droits assez étendus sur les forêts communales. au point de vue des charges fiscales, si on excepte les amendes qui paraissent avoir été très lourdes pour des délits sans véritable gravité, il n'est pas douteux que la part prise par les seigneurs sur les revenus de leurs sujets était infiniment moindre que celle que nous versons aujourd'hui à l'état. En revanche, le mode de perception des impôts était aussi vexatoire que possible ; on a vu en effet que la plupart des revenus du domaine étaient adjugés à la chandelle à des habitants du lieu : il est évident que chaque adjudicataire s'efforçait de tirer le plus possible de ses concitoyens ce qui constituait une source de continuelles contestations et inimitiés. La gestion du domaine par la communauté constitue un progrès important. Le bail du domaine du Val d'Allarmont fut renouvelé le 9 Avril 1669. "Par devant le tabellion général du comté de Salm soubsigné et en présence des témoings en bas nommés et comparu le sieur Simon le Clercq faisant et exerçant les fonctions de la charge de receveur dudit comté par commission de son Altesse du 27 janvier dernier, lequel à l'assistance dudit soubsigné en qualité de controlleur dudit domaine, a reconnu avoir laissé et admodié pour le temps et espace de trois années consécutives à la communauté de Raon sur Plaine acceptante par Pierre Drouat maire et Jean Mongeon bourgeois audit lieu pour eux conjointement puis pour leurs hoirs et ayant cause scavoir : le passage du dit Val et des Donnons, le thonneux, la gabelle, le dixmage ..., le moulin, les channes, la taille, l'ascencement de Pierre Drouat, la Bruslée, les amendes basses, la moitié des arbitraires et des confiscations, espaves et deniers casuels, sur ce que lesdits officiers auraient recogneu que les mises en destail n'approchaient pas la mise en gros cy après déclarée." Les documents nous manquant à partir de 1669, nous ne pouvons affirmer qu'après 1671, la communauté est restée adjudicataire du domaine mais étant donné les deux précédents, cela parait bien probable. Les derniers renseignements que nous possédions en provenance des comptes de Salm sont les suivants : en 1667, jean Soudier est adjudicataire des channes ; le comptable fait recette de sept francs qu'il a "tiré" de Nicolas Chappelier pour avoir le droit de refaire les grands chemins de Grandfontaine. Après Jean Soudier, maire ne 1667, personne ne veut plus admodier cette charge (moyennant cinq francs) "pour estre plus nuisible que proffitable." De même, on ne trouve plus personne pour le droit de refaire le grand chemin, par suite de la suppression des salaires en nature (foin et grain) qui étaient attribués au titulaire de ce droit. Et voici enfin le dernier rôle qui nous soit parvenu des habitants de Raon ; "Demenge le Comte laboure environ cinq ou six jours de terre seigle sur son fond ; le reste du temps employé à mener du bois pour fournir les forges et entretient sa mère qui est veuve. Cotisé à 4 francs 9 gros. Jean Michel laboure environ cinq ou six jours de terre seigle en partie sur son fond et les reste par louage ; le reste du temps, s'en va quérir du vin en Allemagne ; 4 francs 9 gros. Jean Mongeon laboure environ six jours de terre seigle en partie sur son fond, le reste par admodiation d'héritage d'autruy et le reste du temps employé à mener du bois pour les forges : 5 francs. Jean Parxay laboure environ 4 jours de terre seigle la plus part par admodiation et le reste du temps va mener du bois pour fournir les forges : trois francs six gros. Des manouvriers ; Pierrot Drouat, maire : un franc dix gros, Nicolas Chappelier qui va à la journée : 20 gros, Jean Colin qui va à la journée : deux francs six gros, Jean Jacquot, sagaire : un franc deux gros, Jean Michel, maréchal : deux francs, Nicolas de la Garde : un franc deux gros ....." Signé par Nicolas Ordent, curé de Luvigny et Raon. CHAPITRE VII Les comptes de Salm se terminant en 1668, les documents originaux nous manquent jusqu'en 1710. Voici quelques dates de l'histoire de Lorraine pour cette quarantaine d'années. - 1670. Mort de Nicolas François, frère de Charles IV : son fils Charles devient héritier présomptif de son oncle. La même année, tentative d'enlèvement de Charles IV par les Français : averti à temps par le sieur Roussel (ou Rouxel), il s'échappe de Nancy et gagne Cologne puis Francfort. C'est sans doute pour reconnaître ce service que Charles donne à Roussel la baronnie Saint Georges pour lui et pour son fils jusqu'à la mort du survivant d'entre eux. Charles reprend la lutte contre la France ; il participe à la victoire de Consarbrück et meurt peu après (17.9.1675). Son neveu devient duc de Lorraine sous le nom de Charles V. Son duché étant occupé par les Français, reste à la cour de Vienne. Il est nommé gouverneur du Tyrol en 1678. En 1685, il s'illustre au cours de la guerre contre les turcs : bataille de Vienne, reconquête de la Hongrie, victoire de Mohacz. après une dernière guerre contre la France, il meurt le 17 avril 1689. son fils Léopold lui succède comme duc de Lorraine. En 1698, le traité de Ryswick lui rend son duché et il rentre à Nancy au mois d'Août. Sous son règne, la Lorraine n'a plus d'armée et garde une stricte neutralité au cours des guerres des règnes de Louis XIV et de Louis XV. - 1718. Revue des paroisses du diocèse de Toul "Luvigny. La paroisse de Luvigny est composée dudit village où est la mère église. Allarmont que l'on prétend être annexe et qui a été détaché de Celles dans les temps lequel village d'Allarmont est entièrement de la principauté de Salm, le village de Vexaincourt qui est un hameau, également de la principauté et Raon appelé sur Plaine qui est aussi de cette paroisse. Quant à Luvigny il est de la comté et de la principauté distingué par les habitations. Ceux qui sont de la comté sont en très petit nombre, le village étant fort petit, n'y ayant que quinze ou seize habitants en tout. Ceux du comté sont justiciables de la prévôté de Badonviller et ressortissant aussi au baillage de Lunéville." De ce texte on peut conclure qu'en 1710 Luvigny comptait environ 90 âmes dont une moitié appartenaient au comté et que celui-ci, quoique restant propriété personnelle du duc, avait été, au point de vue judiciaire, rattaché au duché. "La métairie de deux noms est aussi de cette paroisse. Ces pays, depuis Badonviller en tirant cers l'Alsace ont été beaucoup infecté d'hérétiques et même cette cense de deux noms est occupée par des anabaptistes, à ce qu'on croit : on a dit depuis qu'il n'y en a plus et que cette cense est habitée par des catholiques." Cette cense de deux noms n'est autre que la ferme du Haut Donon ; ce calembour, transformation du Donon ou des deux monts, est à attribuer sans doute aux religieux de Senones ou de Moyenmoutier qui les premiers ont étudié les antiquités du Donon. On peut conclure du texte qui précède que les anabaptistes se sont établis dans la région vers la fin du XVII° siècle. Ils étaient plus ou moins persécutés dans leur pays d'origine, aussi bien par les réformés que par les catholiques. Et d'autre part, les seigneurs des contrées les plus sévèrement ravagées par les fléaux dont nous avons parlé étaient tout disposés à accueillir qui que ce fût dans leurs domaines. Il n'y a pas bien longtemps existait encore au Blanc Rupt une petite communauté d'anabaptistes où un père de famille exerçait des fonctions religieuses ; elle doit avoir disparu maintenant. Un groupe plus important s'était formé autour du hameau de Salm ; on y voit encore deux petits cimetières qui lui étaient réservés. L'un aux Quevelles, l'autre à proximité des anciennes métairies de Salm. Il y a quelques années encore, ce dernier était entretenu et même garni de fleurs et il est possible que subsistent encore une ou deux familles d'anabaptistes. Ceux-ci n'avaient pas du tout mauvaise réputation, ils se distinguaient surtout en ce que leurs habits n'avaient pas de boutons mais des cordons et en ce qu'ils se refusaient à porter les armes, avant 1914, les allemands incorporaient leurs conscrits dans les services de santé. "Le territoire de Levigny est un pays de montagnes et par conséquent peu cultivé ; aussi il y a peu de dîmes qui ne sont que de seigles et d'avoine, lesquelles dîmes ne peuvent guère valoir que cinquante escus dans les bonnes années ; ce sont les habitants qui les perçoivent et qui payent la portion congrue. Ils sont chargés de fournir tout ce qui est nécessaire à l'église et même de la réparer. Et tous les habitants contribuent à la maison curiale" Ce qui a été ainsi déclaré par MM. les curés de Badonviller et de Celles qui nous ont dit en avoir connaissance et qui ont dit aussi que le patronage de la cure appartient à l'abbé de Senones et on signé ce 3 Août 1718. Il y a aussi un droit sur les onctions que l'on croit être d'un escu par toutes les communautés. Raon sur Plaine n'est qu'un hameau situé sur la rive gauche de la Plaine et qui est de la paroisse de Levigny. Il y a environ 18 à 20 habitants à Raon ; on a dit depuis qu'il y en avait près de 30." Cette indication est à retenir : il semble qu'au cours des premières années du XVIII° siècle la population a augmenté rapidement à Raon. "S.A.R. (Son Altesse Royale, titre qu'avait pris le duc Léopold) y est seigneur haut justicier, moyen et bas et sont les habitans justiciables de la Prévôté de Badonviller et est Raon du comté de Salm. Il y a aussi quelques dîmages qui sont peu de choses et qu'on joint ensemble avec celles de Levigny pour payer la portion congrue. Outre les espèces décimales ordinaires qui sont le seigle, le chanvre, le lin et le millet, il y a des pommes de terres dont on paye aussi la dîme. Raon est éloigné d'une demi lieus de Levigny, la paroisse." Ce texte nous apprend que le chanvre, le lin et le millet étaient alors cultivés à Raon, toutes cultures qui ont disparu depuis longtemps, mais qu'en revanche le blé y était inconnu : c'est de nouveau le cas aujourd'hui ; la culture toutefois n'en a cessé que depuis quelques années. Il nous indique aussi que la pomme de terre était cultivée depuis assez longtemps : tant qu'elle n'avait été que la nourriture des animaux, il n'avait pas été question de dîme mais quand les humains se sont mis à la consommer, cette dîme a fait l'objet de procès entre certaines communautés et le clergé. La date de l'introduction de la pomme de terre est importante car pendant plus d'un siècle elle a fait, avec le lard, le fond de la nourriture de la population. Digot la place en 1666 et précise que la pomme de terre a été cultivée en premier lieu dans la vallée de Celles. Quoiqu'il en soit, il est certain qu'elle était connue et appréciée dans nos villages bien avant la propagande de Parmentier célébrée par les manuels scolaires. Les indications qui suivent proviennent des archives de l'abbaye de Domèvre et ne concernent directement que Raon les Leau, mais il est évident que la manière de vivre était identique dans les trois villages. "Certificat comment la pierre des fonts baptismaux de l'église de Raon les Leaux a esté donnée et transportée à Luvigny. Je soussigné, Nicolas Guilleré curé de Louvigny, certifions à tous qu'il appartiendra que la pierre des fonts baptismaux de l'église de Louvigny a été donnée par Monsieur Henri Charles le Bègue, abbé de Saint Sauveur et Domèvre, seigneur haut justicier aux dits lieux et au lieu de Raon sur Plaine ditte les Leaux laquelle a été prise dans l'église ruinée dudit Raon les Leaux et transportée dans l'église de Louvigny par Jean Mougeon, maire de Raon sur Plaine en foi de quoi ledit Jean Mougeon a signé aux présentes avec nous comme aussi Toussaint Charton et Jean Michel qui a fait la marque faute de savoir écrire. Fait à Raon sur Plaine, le 20 Mai 1678." "Estat de ce qui s'est passé de plus remarquable dans l'abbaye de Saint Sauveur Domèvre et des actes passés dans l'année 1704 depuis la mort de notre très Révérend Père en Dieu Mathias Aleine ci-devant abbé de Domèvre, mort le 29 septembre 1704. Avis du décés est donné à Monseigneur et Révérendissime Achille François Massu, abbé de Saint Pierremont et général des chanoines réguliers de la congrégation de notre Sauveur." Le duc Léopold envoie ses délégués qui sortent du chapitre avant l'élection par celui-ci du nouvel abbé : c'est le père Collin, deuxième assistant qui est élu. - 1708. "Le rude hiver qui commença la veille des Rois par une gelée qui, la nuit succéda à une pluie qui l'avait précédée et glace les eaux et les terres innondées avec tant de violence que les vignes furent gelées jusqu'à la racine en plusieurs endroits ; plus de quatre cents arbres du grand jardin abbatial furent détruits par le froid ; les bleds furent gelés et au printemps il fallut resemer de l'orge, de l'avoine ou des pois dans les champs qui avaient été ensemencès de froment. Les oiseaux tombaient morts par les cheminées, les estourneaux se laissaient prendre à la main et les corbeaux cherchaient à vire autour des maisons comme les autres oiseaux. Il y avait cent ans que pareil hiver n'était arrivé." - 1714. "Au mois de Janvier, il fit une si grande bise et un si furieux ouragan dans les montagnes qu'il y eut une infinité de sapins renversés et gâtés. Pour faire profit de ces ruines, le R.P. abbé Pierre Collin fit bâtir et construire une nouvelle scie à Raon les Leau qui fut nommé la scie Saint Epvre.' Il s'agit très probablement de la scierie qui, dans la basse de Réquival, a conservé jusqu'à ces derniers temps le nom de scierie l'abbé. - 1719. Rétablissement de l'église de Raon les Leau. Cette église, la plus ancienne du Val d'Allarmont, avait été détruite en même temps que le village, très vraisemblablement en 1636. "Unement tous que devant le tabellion en la seigneurie de Saint Sauveur en Vosges demeurant à Blâmont et en présence des témoins cy bas nommés est comparu Messire Pierre Collin, abbé de l'abbaye dudit Saint Sauveur - Domepvre, prieur d'icelle, ordre des chanoines réguliers, soumis immédiatement au Saint Siège, premier assistant de la congrégation de Notre Sauveur, seigneur spirituel et temporel en susdits lieux Raon les Leaux et autres en toutes juridictions quasi épiscopales, en haute, moyenne et basse justice, prétenotaire apostolique, premier conseiller prélat en la Cour souveraine de Lorraine et Barrois, à tous ceux qui les présentes verront salut en Notre Seigneur." "L'ancienne église de Raon les Leau soumise à la juridiction dudit seigneur abbé, appartenant depuis plusieurs siècles aux abbés de la susdite abbaye de Saint Sauveur en Vosges transférée à Domepvre dont ledit seigneur est titulaire et cédée avec tous les droits seigneuriaux, bois, forêts, champs, preys, chaumes, sapinières et autres héritages en dépendant, ladite église, après avoir été ruinée par le malheur des anciennes guerres, est restée dans cet état depuis un temps immémorial (?) et a été enfin rétablie pendant le cours de l'année 1719 par les soins de libéralités dudit seigneur abbé et en aurait fait la bénédiction et celle du cimetière qui l'entoure ainsi qu'il est porté sur le procès-verbal dressé à cet effet pendant le cours du mois d'avril de ladite année 1719, auquel jour ledit seigneur abbé a consacré le grand autel sous l'invocation de la Nativité de la Très Sainte Vierge, mère de Dieu, et recouvré la pierre des fonts baptismaux prêtés par un abbé prédecesseur il y a plus de cinquante ans (en réalité quarante et un ans) aux habitans de Luvigny qui en ont fait la restitution de bonne foi et le tout mis en bon et suffisant état pour y faire le service divin comme il s'y fait actuellement. La maison curiale étant bâtie tout à neuf aussi avec les secours que ledit seigneur abbé y a apportés, pour le logement d'un curé prêtre chanoine régulier de l'abbaye de Domepvre qui y a été nommé et institué par ledit seigneur abbé pour la plus grande gloire de Dieu, la consolation des fidèles et le salut des âmes depuis si longtemps abandonnées et par ce moyen laissées dans l'ignorance. A été procédé par ledit seigneur abbé à la dotation de ladite cure." Le premier curé de Raon les Leau fut le R.P. Boulanger, procureur de l'abbaye. Les ressources de la cure étaient les suivantes : o Les grande et menue dîmes de Raon les Leau. o "Toutes les terres, preys et autres héritages qui pourront se trouver en deshérance sur le ban et finage" (Les documents citent plusieurs de ces parcelles, notamment aux champs du Trupt). o "Le droit de pâturage sur les chaumes des montagnes" (Belle ligne et Réquival). o "La jouissance d'une scierie que ledit seigneur abbé a fait construire tout à neuf sur le ban dudit Raon les Leau, au dessous du village au couchant, dans le canton vulgairement appelé le Pransieux, de dessous la basse de Nieuflargoutte (ou la Neuve Largoutte, qui descend du col de la Charaille), tout proche la séparation du ban dudit Raon les Leaux d'avec la forêt du Ban le Moine ; pour l'exploitation de ladite scierie le seigneur abbé y a attaché la quantité de deux cents pieds de bois de sapins propres à faire tronces à prendre dans les forêts de la seigneurie de les Leaux aux cantons du Rein des Bolles, basse de la Belle Ligne et les voisins." Cette scierie, indépendante de toutes les autres sera nommé la scierie de la Cure. Le curé devait payer à l'abbaye, pour l'usage de cette scierie un cens de cent francs par an. La scierie de la Cure n'existe plus ; elle était connue dans les derniers temps sous le nom de scierie le Prêtre. elle se trouvait sur la Plaine, à proximité du territoire de Bionville. Ses cantons d'exploitation se trouvaient, pour la plus grande partie tout au moins, sur le versant Sud de la basse Vardenal, donc assez éloignés. C'est ce qui explique sans doute qu'en 1752, le curé François Arnoux, également chanoine régulier, renonça à l'usage de la scierie moyennant une rente de sept cents francs. Mais à l'inverse, en 1772, le curé d'alors procédait pour la récupérer : les cours du bois avaient sans doute monté. La même année, la dîme de Raon les Leau était évaluée comme suit : o "Cinq résaux et demi de seigle à dix livres : 55 livres o "Huit résaux d'avoine à quatre livres : 32 livres o "Six quarterons d'orge à vingt sols : 6 livres o "Trente résaux de pommes de terre à 50 sols : 75 livres. o "Vingt livres de lin ou chanvre à 15 sols : 15 livres. En tout 183 livres. L'abbaye n'avait pas été seule à contribuer à la reconstruction de l'église : le 5 Août 1719, cession était faite par "honorable Toussaint Charton, maire de Raon sur Plaine, d'un terrain pour y bâtir la maison curiale. C'est Jean Dony, maître charpentier à Raon les Leau, qui, suivant marché passé le 10 juin 1719, s'engagea à exécuter la charpente et la couverture de l'église, celle-ci en assies. Le 29 Avril 1726, l'abbé de Domèvre concède au curé Boulanger le droit de chasse sur le finage "avec pouvoir de relaisser ledit droit à qui il jugera à propos, à condition de lui faire avoir à l'abbaye de Domèvre par chaque année deux chevreuils et un faisan s'il s'en trouve quelqu'un (il y a lieu de supposer qu'il s'agit du coq de bruyère), se réservant encore la hure et le quartier du sanglier qui lui revient de droit, s'il s'en tire." Le 2 Octobre 1746, le curé nomme des chasseurs gardes-chasse ; Claude Godé maire et Jacques Linard, syndic de Raon les Leau, Antoine Moitrier de Raon sur Plaine, Jean Urbain, Jean, Barthélémy et Christophe Benay de Luvigny. Un prix, à verser à la cure, est fixé pour chaque gibier : le chevreuil est à dix livres, la gelinotte à six livres, le lièvre à vingt sols, la perdrix à quinze sols. En 1763, la situation avait changé : "Je soussigné confesse avoir laissé à Mr. de Pollereczki, colonel de cavalerie et capitaine au régiment de Chembarant hussards, le droit de chasse des forêts, bois et plaines appartenant à l'abbé de Domèvre sur les bans et finages de Raon les Leau pour six ou neuf années au choix du laisseur à condition qu'il en rendra chaque année trois chevreuils en trois termes, scavoir aux environs de la saint martin, au Nouvel An et au carnavale, ou à défaut de chevreuils payera la somme de quarante livres argent de France au terme de Pâques. Au surplus se réserve ledit laisseur le droit de chasser dans des cas extraordinaires." Location des chaumes. Les chaumes de la Belle Lune (Belle Ligne) et de la charrée (La Charaille) avaient été louées le 14 octobre 1673 à Dominique Perrier, de Badonviller, pour la somme de quatorze francs barrois par année. "Moyennant quoy on donne pouvoir au preneur de mettre le feu dans lesdits pâturages afin de les mettre en état d'être pâturés." Nous rappelons cet usage car on voit encore au sommet de la Roche de Feu dans la forêt du Taurupt une sorte de jeu de dames gravé dans le grès qui d'après la tradition servait de passe-temps aux guetteurs chargés de surveiller la marche du feu allumé dans les chaumes. Le 15 novembre 1719 encore, marché était fait "entre le sieur Toussaint Charton, demeurant à Raon sur Plaine, admodiateur de la seigneurie de Lélo (sic), appartenant à Mr l'abbé de Saint-Sauveur Domèvre d'une part et Gaspard Pili, marcaire à la cense Dolot, scavoir que ledit Gaspard Pili a pris à titre de bail pour neuf ans consécutifs les chaumes de la seigneurie de Lélo en ce qui regarde la vaine pâture dont ledit Charton lui abandonne le même droit qu'il peut avoir envers ledit sieur abbé, avec la permission de porter une arme à feu avec lui pour la conservation de son bétail, moyennant une somme de soixante deux livres argent barrois que ledit Pili sera obligé de payer tous les ans à la Saint Martin." Ce dernier texte démontre que, vers 1740, les chaumes de Raon les Leau étaient encore exploitées comme telles. Plus tard, les unes se sont naturellement transformées en sapinières (Belle Ligne et Charaille), les autres ont été repiquées artificiellement, principalement en épicéas (Réquival). Vers 1728, après avoir réorganisé l'ancienne justice et la gruerie de Raon les Leau, l'abbé Colin soumit volontairement le territoire à la souveraineté de Lorraine ; les appels devaient en conséquence être adressés au baillage de Lunéville puis, éventuellement, à la Cour Souveraine. En 1729, mort du duc Léopold ; son fils François III devient duc de Lorraine mais reste fixé à Vienne et la régence du duché est exercée par sa mère Elisabeth Charlotte. Le règne de Léopold avait été pour tout le pays une période paix et de reconstitution ; il n'est pas douteux qu'il en ait été de même pour nos trois villages. Après une brève visite en Lorraine, François III marié à Marie Thérèse, pressé par son beau père l'Empereur, se décida à abandonner son duché pour la Toscane ; il devait devenir empereur lui-même et faire souche de la maison de Habsbourg-Lorraine qui a régné en Autriche jusqu'à la fin de la première guerre mondiale. Par le traité de Vienne (3 Octobre 1736) la Lorraine passait sous la souveraineté, plus théorique que réelle de Stanislas Leszezinski ancien roi de Pologne et beau-père du roi Louis XV, en attendant qu'à sa mort elle fût réunie purement et simplement à la France, ce qui ne changeait rien à la situation réciproque des trois villages. Au début du règne de Stanislas et en attendant le renversement des alliances, les hostilités se poursuivirent entre le France et l'Empire. Par deux fois les troupes du prince Charles de Lorraine s'approchèrent du pays et on rapporte que des feux furent allumés au sommet du Donon, alors dénudé, pour l'informer qu'il serait bien reçu. Son avant-garde était formée de troupes irrégulières qui, sous le nom de pandours, ont laissé un mauvais souvenir : nous connaissons encore la roche du pandour et le carrefour du même nom entre Wangendourg et le Nideck. Par le traité du 21 Décembre 1751, le comté et la principauté de Salm surent partagés entre le Lorraine (en fait la France) et la famille des rhingraves : la Lorraine recevait outre la seigneurie de Fénétrange, le pays sur la rive droite de la Plaine : la nouvelle principauté indépendante gardait tout ce qui se trouvait sur la rive gauche, c'est à dire Celles, le Val d'Allarmont, les bans de Salm et de Plaine, la prévôté de Saint Aille et le Val de Senones ; c'est à Senones que la principauté, toujours rattachée à l'empire, avait sa capitale. Son abornement ne fut terminé qu'en 1755 : deux de ces bornes existent encore entre les deux Donons : toutes deux portent d'un coté les saumons de Salm et de l'autre, l'une les armes de France (séparation de l'Alsace), l'autre les alérions de Lorraine. Une troisième borne doit encore exister au tournant de la route de Cirey-Abreschviller qui précède immédiatement sa bifurcation. Pour la vallée, la limite de la principauté suivait la rivière, puis le territoire de Raon l'Etape. Cette fois, Raon sur Plaine et totalité de Luvigny se trouvaient réunis sous la même souveraineté. Tant que subsista la principauté de Salm, le pays fut tranquille et l'augmentation de la population s'accentua. Il en fut naturellement de même pour Raon les Leau. Le plaid annuel, réunion de tous les chefs de famille au cours de laquelle étaient nommés les 'officiers" pour l'année suivante, tenu le 29 Novembre 1757, nous en apporte la preuve. Nous y relevons: Joseph Lhôte, créé maire; Jean Louis, continué échevin; Jean Nicolas Morel continué greffier; Christophe Valentin continué sergent; Dominique Jacquot et François César, continués forestiers; bangards (gardes champêtres): Charles Jacquot, continué, Nicolas Cuny et Charles Jacquot le jeune, créés; vérificateurs des fours, cheminées et lanternes : Nicolas Thouvenin et Christophe Valentin, continués gardes des fontaines : Michel Matelet et Pierre Nicolas. Il y avait donc alors douze fonctionnaires à Raon les Leau, ce qui suppose une population assez nombreuse. En 1766, mort de Stanislas : Raon les Leau devient français avec toute la Lorraine. L'histoire des trois princes de Salm-Salm qui régnèrent à Senones n'intéresse guère Raon sur Plaine et Luvigny; ils séjournaient assez souvent dans leurs possessions étrangères et je ne crois pas qu'aucun d'eux ait eu la curiosité de visiter nos villages. il nous suffira d'indiquer que leur administration fut assez paternelle, que par leur nationalité, les habitants échappèrent aux levées militaires assez massives faites en Lorraine par le gouvernement de Louis XV et que les forges de Framont connurent une période de prospérité avec cinq cent ouvriers environs. Notons encore que parmi les principaux officiers de la principauté, P. de la Condamine cite un sieur de Billiistain qui est évidemment un des descendants de l'un des signataires du procès-verbal de visitation des bois du comté en 1577 : les rhingraves avaient vraiment des lignées de fidèles serviteurs. C'est le 2 mars 1793 que la Convention nationale, sur le rapport de Lazare Carnot, accepte le voeu librement émis par le peuple souverain composant les communes de la ci-devant principauté de Salm pour leur réunion à la République Française : ce jour là, pour la première fois depuis les origines, les trois villages se trouvèrent réunis dans la même nationalité. il faut ajouter que le voeu de la population n'avait pas, dans la réalité, été tout-à-fait libre. Le traité de 1751, en effet, garantissait la libre circulation des personnes et des marchandises entre la principauté et ses voisins : France et Lorraine. La convention ayant interdit l'exportation des grains, la mesure fuit appliquée à la principauté et maintenue après des négociations qui restèrent sans effet. au surplus, un état souverain dépendant de l'empire, situé en plein territoire français et si petit que, d'après le mot de Voltaire, un escargot en aurait fait le tour en une heure, était par nature invivable et sa réunion à la France était inéluctable. Le voeu des populations de 1793 indiquait que beaucoup de jeunes gens de la principauté s'étaient déjà engagés dans les armées de la république et il n'est pas douteux que les guerres de la révolution et de l'Empire coûtèrent fort cher à la vallée, bien plus cher que la défense du Donon romancée, avec talent, par Erckmann-Chatrian, sous le titre 'l'Invasion ou le fou Yégof". Comme les opérations des partisans se sont déroulées en fait dans la vallée de la Bruche, nous n'insisterons pas sur cette légende, en notant cependant qu'Erckmann a séjourné à plusieurs reprises à Raon sur Plaine. La Restauration et la monarchie de Juillet ramenèrent la paix et, avec elle, une certaine prospérité et une rapide augmentation de la population. La statistique du département de la Meurthe de Lepage (1843) donne les chiffres suivants pour Raon les Leau 1802 : 195 habitants pour 36 feux (5,40 par feu) 1822 : 280 habitants pour 55 feux (5,10 par feu) 1842 : 394 habitants pour 75 feux (5,25 par feu) Enfants à l'école : 45 en hiver, 10 en été. C'est probablement vers 1850 que la population des trois villages a dû atteindre son maximum avec un total de quinze cents. Après la guerre franco-allemande, Raon sur Plaine et Raon les Leau faillirent être annexés à l'Allemagne comme le prévoyait le premier tracé de la frontière ; à la suite d'un échange, ils restèrent à la France. Mais les Allemands gardèrent les forêts domaniales et les deux villages se virent privés d'une grande partie de leur territoire. Il est surprenant qu'elle ne leur ait pas été rendue après la première guerre mondiale, là tout au moins où la disposition des lieux paraissait l'imposer, c'est à dire pour la presque totalité. Depuis près d'un siècle, on doit constater une dépopulation de plus en plus rapide. Sans doute, les deux grandes guerres ont-elles coûté à nos villages de biens lourds sacrifices mais il n'est pas douteux que le délaissement de la campagne pour la ville et la disparition des usines qui permettaient aux familles une économie mi industrielle mi agricole en ont été les facteurs prépondérants. Il reste à souhaiter ne pas voir une époque où les fruits de la terre se réduiraient aux cocottes d'épicéas. GLACIMONT C'est en vue de rechercher les origines de notre maison de Glacimont que l'ai consulté des archives de Salm et de l'abbaye de Saint Sauveur - Domèvre et qu'à l'origine je n'ai obtenu à cet égard aucun résultat. En revanche, l'ouvrage du baron Saillière (documents pour servir à l'histoire de la principauté de Salm, coté N II 1 aux archives de Nancy) m'a apporté quelques renseignements, relatifs d'ailleurs à une époque relativement récente. Cet ouvrage donne la reproduction de trois cartes exécutées n 1738; 1770 et 1783. sur la première, le nom de Glacimont apparaît et les bâtiments sont figurés mais sous la désignation de "grange" qu'il y a lieu d'interpréter. A cette époque, le mot de moistresse n'était plus employé ; celui de cense était réservé aux propriétés ayant fait l'objet d'un bail perpétuel accordé par les seigneurs : exemples , l'asencement de la Bruslée et celui de Pierrot Drouat au Haut Donon : le nom de grange, a l'époque où celui de la ferme, qui signifiait bail, n'était pas encore en usage, peut très bien désigner une ferme au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Cette carte de 1738 figure aussi l'une des maisons des Abrayes sans qu'il soit possible de préciser s'il s'agit des Basses ou des Hautes. La carte de 1770 reproduit le nom de Glacimont mais sans qu'aucun bâtiment y soit figuré. Sur celle de 1783, nous trouvons le nom et les bâtiments ; un signe douteux semblerait indiquer une chapelle, ce qui est peu vraisemblable. La maison des prés de la Crache apparaît : elle a don dû être édifiée entre 1770 et 1783. J'aurais bien voulu remonter plus haut dans le passé; la clef du problème m'a été donnée par deux descriptions de la marche de la scie de Thémenonprey (devenu postérieurement moulin, puis redevenu scye du Moulin, à Raon sur Plaine même). La première provient du procès-verbal de visitation des bois du comté de Salm en 1577 (H.1411 N°1) ; elle nous donne un seul renseignement utile: que "la petite contrée de bois dicte le Poutal (le Poutot actuel)" appartenait à la marche de cette scie. La seconde est tirée du rapport de gruerie de 1595 (B.9092) "Item la scye de Thémenomprey prend sa marche au dessus de Grand Fontaine est Hault Trespois (et) au dessus du Rux d'Abraye en tournant sur le prey Sord, tirant aux preys Jean Parxe, continuant vers le prey d'Abraye, au dessus de là tirant la long de la marche de Chaulde Roche jusque à la vieille sente Ferry, comme le rux d'Abraye se porte depuis le rang du Potar en venant des scyes Guyot comme le rux se continue." Mon interprétation de ce texte est la suivante : les premiers mots décrivent la limite amont de la marche : c'est la vieille sente Ferry, route de Prayé actuelle, au dessus de GrandFontaine (les Minières) est hault Trespois (entre le haute Abraye et la route du Donon) et, de l'autre côté, au dessus du rux d'Abraye. Le reste du texte est évidemment en désordre. J'en retiens d'abord la fin : "comme le rux d'Abraye porte depuis le rang du Potar (le rein du Poutot) comme le rux se continue." Il est évident que le milieu du texte décrit la limite Nord de la marche et voici comment je le complète; cette limite commence à la pointe N.O. de la forêt communale du Poutot, au voisinage de la borne frontière 2065 (P.D.), fait le tour de cette forêt en finissant par longer le coté Ouest du pré Sord (entre nos fontaines), remonte le coté Est de ce pré (tournant sur le prey Sord) et arrivant ainsi (à la traversée du chemin des mélèzes) aux "prey Jean Parxe (grand pré de Glacimont avant nos plantations) continue à suivre la lilite actuelle de la forêt communale jusqu'au chemin de Glacimont à la Crache, suite le chemin actuel des Abrayes et rejoint la route de Prayé par le chemin que nous connaissons. Un point est donc fixé : le grand pré de Glacimont faisant partie en 1595 des prés Jean Parxe, sans qu'on puisse dire jusqu'où ceux-ci s'étendaient du côté de Raon. o Or, en 1629, on relève un Claude Parxe à Raon sur Plaine (B.9112) o En 1635 (B.9116), Jean Parxel, maire de Raon sur Plaine, est admodiataire de la scie de la Goutte Guyot. o En 1659 (B.9117), Jean Parxel (le même ou son fils) est admodiataire de la scie de Chauderoche. o En 1661, il obtient moyennant un franc par an, "le droit de porter arquebuse sur sa scye." o En 1664, il est qualifié laboureur, faisant un quart de charrière ; il est taxé à 2 francs 11 gros (B.9077) o En 1665 (B.9078), il tient toujours la scie de Chauderoche et est taxé comme laboureur à 28 gros. o En 1667 (B.9080 et 9083)."Jean Parxay laboure environ quatre jours de terre la plus part par admodiation et le reste du temps va mener du bois pour fournir les forges." o En 1668 (B.9082) il laboure trois jours de seigle mais n'est taxé qu'à trois francs huit gros "à cause des montagnes", alors que Jean Mougeon et Jean Michel le vieil paient pour la même surface cinq francs neuf gros. La même année, il obtient une fourniture de bois pour la réfection de sa maison. De ce qui précède, il résulte qu'une famille Parxe, ou Parxel, ou Parxay existait à Raon sur Plaine avant 1595, qu'elle y possédait des prés qui font partie de Glacimont et qu'elle a été assez heureuse pour survivre à la période critique de la guerre, de la peste et de la famine. Quant aux Cuny, nous trouvons ; Jean Cuny, tonnellier à Raon sur Plaine en 1631, puis à Raon les Leau ; Joseph Cuny, bangard en 1719, 23, 36, 42, 45 et maire en 1728 et de 1743 à 1753, jean Cuny, bangard en 1732, 35, 63, garde fontaines en 1755, Nicolas Cuny, bangard en 1757, Charles Cuny, bangard en 1758. La famille Lhôte vendit Glacimont, le 17 avril 1853 à Mr Joseph Gérard, elle en était propriétaire depuis trente cinq ans. Dans le courant de 1956, soit cent cinq ans après cette vente, un descendant de la famille Lhôte s'est présenté à Glacimont, établi aux Etats Unis, il venait en pèlerinage au berceau de sa famille et j'ai beaucoup regretté de ne pas avoir été présent alors. Du fait que ce Mr. Lhôte a pu se payer ce voyage sentimental, je conclus que la famille n'a pas mal réussi en Amérique. Mr Gérard mourut au début de 1875 et la propriété passe à sa fille, Mme Rambaud, mère elle-même de Mme Lebègue. C'est Mr Lebègue qui fit construire la tour. il est curieux de constater que ce même Mr. Gérard vendit la forêt du Mouzard à mon arrière grand père Huin. Mme Rambaud vendit Glacimont, le 5 avril 1898 à Mr. Toussaint, marchand de bois à Raon l'Etape. La propriété avait appartenu à la famille Gérard-Rambaud-Lebègue pendant 45 ans. Mr. Toussaint a commencé les plantations et a augmenté la propriété de la plantation Marande et du pré des Abrayes. Il nous a vendu Glacimont, à mon frère et à moi, le 30 juillet 1908.