TA Melun – 15 février 2016 – 1601237

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TA Melun – 15 février 2016 – 1601237
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MELUN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
N°1601237
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. X.
___________
Le Tribunal administratif de Melun,
M. Godbillon
Juge des référés
_______________
Le juge des référés
Ordonnance du 15 février 2016
___________
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 5 février 2016, M.
demande au juge des référés :
X., représenté par Me Cochain,
1°) d’enjoindre au ministre de l'intérieur de suspendre l’exécution de l'arrêté du 14
décembre 2015 décidant son assignation à résidence dans la ville de l'Hay-les-Roses, lui faisant
obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de cette ville, lui imposant
de demeurer tous les jours de 21 heures 30 à 7 heures 30 dans les locaux de cette ville et lui
interdisant de se déplacer en dehors de son lieu d’assignation à résidence sans avoir préalablement
obtenu l'autorisation écrite du préfet de police ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 € en application de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- l'arrêté litigieux préjudicie gravement à sa situation en le privant de la possibilité d'aller
et venir et d’exercer son activité professionnelle ;
- il prépare actuellement le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement
secondaire et ignore s'il pourra se rendre sur les lieux de l'examen ;
- l'arrêté porte une atteinte grave et immédiate à la liberté d'aller et venir et au droit à la
présomption d'innocence ;
- les mesures prises à son encontre sont entachées d'illégalité dès lors qu'elles portent une
atteinte grave et disproportionnée aux droits de l’intéressé ; les mesures ne sont pas limitées dans le
temps ;
- l'arrêté litigieux est signé par un brigadier de police qui ne justifie d’aucune délégation
de signature de la part du ministre de l'intérieur ;
- la copie qui lui a été remise est dépourvue de signature ;
- les mesures imposées ne sont ni nécessaires, ni proportionnées ni adaptées à sa situation
; il a vainement souhaité obtenir une modification des horaires de pointage afin de pouvoir se
rendre à son travail ;
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- il lui est reproché d'avoir été en contact avec des radicaux islamistes qui eux-mêmes ne
font pas l'objet d'une assignation à résidence ;
- les faits rapportés dans l'arrêté sont inexacts ;
- il lui est imputé d’être un fervent partisan de la lutte armée et d’être disciple d'un exégète
radical dont il suivait les cours depuis 2012 avec assiduité ;
- il n'a jamais rencontré cet islamiste radical ; il n'a jamais fréquenté la mosquée du 19e
arrondissement de Paris située rue de Tanger ;
- il n'a jamais porté atteinte aux valeurs de la France ni même à celle de l'Occident ;
- s’il a côtoyé deux personnes qui se sont radicalisées, il n'était pas au courant de leurs
intentions et ne les fréquentait que dans le cadre de pratiques sportives ;
- il a certes fréquenté une salle de boxe où s'entraînait un champion de boxe islamiste
radical, mais il s'est contenté de s'entraîner ;
- il a d'ailleurs cessé cet entraînement sportif en groupe depuis plusieurs mois ; il a
continué à s'entraîner avec une seule personne dont il ne soupçonnait pas la radicalité de
l'engagement religieux ; son mode de vie et sa culture, ainsi que son contexte familial, excluent le
radicalisme islamiste sectaire ; il souffre au demeurant d'une grave pathologie.
La procédure a été transmise au ministre de l'intérieur n'a pas produit en l’espèce.
Vu :
-la décision attaquée ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, notamment son article 6 ;
- la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n°55-385 du
3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions ;
- les décrets n°2015-1475, n°2015-1476 modifié et n°2015-1478 du 14 novembre 2015
portant application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Godbillon, premier vice-président, comme juge des
référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Godbillon,
- et les observations de Me Cochain, représentant le requérant qui soutient qu'il n'a aucun
contact avec les milieux islamistes radicaux.
Le ministre de l'intérieur n’était ni présent ni représenté.
La clôture de l'instruction a été prononcée 11 heures 45.
1. Considérant que M. X. demande la suspension de l'arrêté du ministre de l'intérieur du
14 décembre 2015 procédant à son assignation à résidence sur le territoire de la commune de l'Hayles-Roses, lui faisant obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de
cette ville, de demeurer tous les jours de 21 heures 30 à 7 heures 30 dans les locaux où il réside et
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lui interdisant de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans avoir obtenu
préalablement l'autorisation écrite du préfet de police ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes
mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale
de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait
porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge
des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » et qu’aux termes de l’article
L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite
ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et
L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure
de l’audience publique (...) » ; que l’article L. 522-3 du même code dispose : « Lorsque la
demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la
demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est
irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut l a rejeter par une ordonnance
motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’ article L. 522-1 » ;
qu’enfin aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au
prononcé de mesures d’urgence doit (...) justifier de l’urgence de l’affaire » ;
3. Considérant que par le décret n°2015-1475 du 14 novembre 2015, l’état d’urgence
institué par la loi n°55-385 du 3 avril 1955 a été déclaré, à compter du 14 novembre 2015 à zéro
heure sur le territoire métropolitain et en Corse ; qu’en vertu du décret n°2015-1478 du
14 novembre 2015 : « sont applicables à l’ensemble du territoire métropolitain et de la Corse les
mesures mentionnées aux articles 6, 8 et au 1° de l’article 11 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955
relatif à l’état d’urgence. » ; que la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi
n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions a
prorogé, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015, l’état d’urgence déclaré par
les décrets délibérés en conseil des ministres des 14 et 18 novembre 2015 ; que la loi du
20 novembre 2015 a modifié certaines des dispositions de la loi du 3 avril 1955, en particulier
celles de l’article 6 de cette loi ; que les modifications résultant de cette loi sont applicables aux
mesures prises après son entrée en vigueur, qui est intervenue, en vertu des dispositions
particulières de son décret de promulgation, immédiatement à compter de sa publication le
21 novembre 2015 ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction
résultant de l’article 4-1 de la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 : « Le ministre de l’intérieur
peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la
zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons
sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics
dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2.(…). La personne
mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le
lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur pendant la plage horaire qu’il fixe, dans
la limite de douze heures par vingt-quatre heures(…) Le ministre de l’intérieur peut prescrire à la
personne assignée à résidence de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités
de gendarmerie, selon une fréquence qu’il détermine dans la limite de trois présentations par jour,
en précisant si cette obligation s’applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés » ;
5. Considérant que les dispositions de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état
d’urgence doivent en l’état être comprises comme ne faisant pas obstacle à ce que le ministre de
l’intérieur, tant que l’état d’urgence demeure en vigueur, puisse décider, sous le contrôle du juge de
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l’excès de pouvoir, l’assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par
l’état d’urgence, dès lors que des raisons sérieuses donnent à penser que le comportement de cette
personne constitue, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la
déclaration de l’état d’urgence, une menace pour la sécurité et l’ordre publics ;
6. Considérant qu’il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction
devant lui, que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des
libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à
une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le
comportement de l’intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l’état
d’urgence, ou dans la détermination des modalités de l’assignation à résidence ;
7. Considérant que pour prendre l’arrêté litigieux, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur
le fait que le requérant était le disciple d'un exégète radical de l'islam, ancien dirigeant des filières
irakiennes de recrutement et d'acheminement de djihadites ; qu’il était également membre
historique d'un groupe d'islamistes radicaux de Bercy ; qu'il s'entraînait au sein d'un groupe de
boxe dirigée par un champion de cette discipline également islamiste radical ; qu’il a continué la
pratique de ce sport avec un autre islamiste radical ;
8. Considérant cependant que le requérant conteste la matérialité des faits qui lui sont
imputés ; qu’il soutient notamment qu’il n’est pas en contact avec des islamistes radicaux ; qu'il n'a
fréquenté le cercle de boxe que pour des motifs sportifs et a continué son entraînement pour les
mêmes motifs ; qu'il n'est nullement en voie de radicalisation et que son mode de vie ne correspond
en rien à celui de militants islamistes radicaux ; qu’il produit à la barre une photographie le
représentant à la manifestation « je suis Charlie » ; que le ministre de l'intérieur n’a produit aucune
« note blanche » qui serait susceptible de corroborer ses allégations ; qu'en l'état de l'instruction, le
requérant est fondé à soutenir que l'arrêté litigieux est fondé sur des faits matériellement inexacts et
porte ainsi illégalement atteinte de manière grave et immédiate à sa liberté d'aller et venir ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, qu’il y a lieu d’ordonner la suspension de
l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 décembre 2014 assignant le requérant à résidence ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie
perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non
compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la
partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire
qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de
l'État la somme de 800 € au titre des frais exposés par M. X. et non compris dans les dépens ;
ORDONNE:
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Article 1er : L’exécution de l'arrêté du 14 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur a
procédé à l'assignation à résidence de M. X., l'obligeant à se présenter trois fois par jour au
commissariat de police, lui faisant obligation d'être présent à son domicile tous les jours de
21 heures 30 à 7 heures 30 et il lui interdisant de quitter sa commune de résidence sans autorisation
du préfet de police est suspendue.
Article 2 : l'État paiera M. X. la somme de 800 € en application de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M.
X. et au ministre de l'intérieur.
Fait à Melun, le 15 février 2016
Le juge des référés,
Le greffier,
B. Godbillon
M. Lavaud
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous
huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties
privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
M. Lavaud