Rorschach et TAT - Cursus
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Rorschach et TAT - Cursus
Université Rennes 2 GUIDE POUR LE REPÉRAGE DES MÉCANISMES DE DÉFENSE dans les épreuves projectives (Rorschach et TAT)1 LES MÉCANISMES DE DEFENSE Définition générale – Place dans l’analyse clinique projective Défense. – « Ensemble d’opérations dont la finalité est de réduire, de supprimer toute modification susceptible de mettre en danger l’intégrité et la constance de l’individu biopsychologique. Dans la mesure où le moi se constitue comme instance qui incarne cette constance et qui cherche à la maintenir, il peut être décrit comme l’enjeu et l’agent de ces opérations. « La défense, d’une façon générale, porte sur l’excitation interne (pulsion) et, électivement, sur telle des représentations (souvenirs, fantasmes) auxquelles celle-ci est liée, sur telle situation capable de déclencher cette excitation dans la mesure où elle est incompatible avec cet équilibre et, de ce fait, déplaisante pour le moi. Les affects déplaisants, motifs ou signaux de la défense, peuvent être aussi objet de celle-ci. « Le processus défensif se spécifie en mécanismes de défense plus ou moins intégrés au moi. « Marquée et infiltrée par ce sur quoi elle porte en dernier ressort – la pulsion – la défense prend souvent une allure compulsive et opère au moins partiellement de façon inconsciente.» (Laplanche & Pontalis, 1976, p. 108) « La défense est l’ensemble d’opérations dont la finalité est de réduire un conflit intrapsychique en rendant inaccessible à l’expérience consciente un des éléments du conflit. Les mécanismes de défense seront les différents types d’opérations dans lesquels peut se spécifier la défense, c’est-à-dire les formes cliniques de ces opérations. » - (D. Widlöcher, 1972) En clinique projective, lorsqu’on adopte une interprétation psychodynamique d’inspiration psychanalytique et comme dans toute analyse clinique s’inscrivant dans cette orientation, le repérage et l’identification des mécanismes de défense à l’œuvre dans les réponses du sujet testé constituent l’un des critères majeurs de l’interprétation (Chabert, 1998). La clinique psychanalytique, depuis Freud lui-même, a en effet montré que les différentes organisations de personnalité et leurs formes pathologiques se caractérisent par le recours à des mécanismes de défense plus ou moins spécifiques, c’est-à-dire plus ou moins pathognomoniques. Toutefois, il importe de souligner trois points : a) Le critère des mécanismes de défense doit être systématiquement associé et corroboré, dans le diagnostic clinique d’inspiration psychanalytique, par les deux autres critères du 1 - Rédaction : Claude Bouchard, MCU Psychologie, Université Rennes 2 – mars 2011. Mécanismes de défense en clinique projective / 1 type d’angoisse et du mode de relation d’objet : voir document Annexe (Bergeret, 1985, 1996). A ces trois critères de base, et notamment pour le test de Rorschach, Catherine Chabert propose d’ajouter un quatrième : la problématique identitaire et identificatoire.2 b) Ce que l’on repère en réalité dans les réponses aux tests sont des manifestations d’angoisse et de défense contre cette angoisse, en lien soit avec la situation de test elle-même, soit avec les affects et représentations que le stimulus du test suscite chez le sujet, ces deux sources possibles étant souvent étroitement intriquées. C’est pourquoi les auteurs français parlent d’aménagements défensifs (Perron) ou de procédés d’élaboration défensive (Shentoub) pour désigner ces aspects manifestes. Il revient au clinicien, au cours de son analyse diagnostique progressive des réponses projectives d’un sujet donné, de réunir suffisamment d’indices de ce type pour formuler l’hypothèse que tel ou tel mécanisme de défense inconscient (ou implicite) est bien à l’œuvre chez ce sujet et en tirer alors les conséquences compréhensives et diagnostiques qui s’imposent. Autrement dit, on ne peut jamais observer d’emblée un « mécanisme de défense » ; on ne peut en repérer que les effets ponctuels et indirects, à vérifier selon le principe d’une analyse clinique globale et hypothético-déductive par convergence expérimentale (ou contradictoire) d’indices. C’est ce que nous rappelait Roger Perron lorsqu’il s’exprimait comme suit à propos de son test D.P.I. (épreuve projective thématique inspirée du TAT) : « Il importe de rester très prudent dans les conclusions. Comme toute technique utilisée par le psychologue, le D.P.I. doit conduire à des conclusions dont la portée dépasse les caractères étroitement contingents de la situation créée par l’examen ; de même qu’après un Binet-Simon on se hasarde à dire qu’un enfant “est intelligent”, on pourra, après un D.P.I. se hasarder à dire qu’il présente, par exemple, une structure névrotique de tel ou tel type. On prend alors, en généralisant, un certain risque, mesuré tout à la fois par le degré de validité de l’épreuve utilisée et par la compétence clinique de celui qui l’utilise. Si donc on relève dans un protocole – par exemple – cinq exemples de “dénégation” (contraction en une seule phase d’une évocation et de sa négation), il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une modalité défensive d’élaboration du récit, et, stricto sensu, de rien d’autre. Il se peut que chez ce sujet l’usage de la “dénégation” soit réellement permanent, et constitue un trait essentiel de se personnalité ; mais on ne peut conclure de l’un à l’autre ipso facto et sans examen soigneux du problème. » - (Perron, 1969, p. 41-42) c) Vica Shentoub (1990) a particulièrement insisté sur le fait que toute réponse projective comporte une part d’élaboration défensive, qui détermine le point d’équilibre trouvé par le sujet entre les motions pulsionnelles inconscientes réactivées par le stimulus et 2 - Pour cet auteur, les processus d’individuation (« problématique de l’identité ») peuvent être considérés comme établis et opérants lorsqyue les formes perçues, au Rorschach par exemple – mais cela vaut aussi pour tout autre test projectif –, sont claires, sans ambiguïté d’appartenance à telle ou telle catégorie d’objet (monde humain, monde animal…), bien distinctes par rapport à l’environnement. « Au contraire, la confusion des limites, les relations symbiotiques, les références aux doubles (jumeaux) rendent comptent d’une séparation insuffisante entre sujet et objet, d’une absence de contnuité dans le sentiment d’exister témoignant d’une identité mal différenciée » (Chabert, 1998, p. 75). Les processus d’identification sexuelle (« problématique de l’identification ») sont considérés comme stables et opérants lorsqu’il y a cohérence entre l’identité sexuelle (ou sociale, fonctionnelle) attribuée aux personnages évoqués dans les réponses du sujet et les conduites que celui-ci leur attribue. « Quand les identifications sexuelles sont conflictuelles, la confrontation aux représentations humaines est chargée d’anxiété, entraînant évitement ou hésitation dans les choix identificatoires. Les modèles sexués sont caricaturaux, les planches à symbolisme sexuel sont génératrices d’angoisse, conduisant à des blocages ou à des prises de positions rigides mettant en évidence un déchirement douloureux entre des tendances vécues comme contradictoires, barrant les possibilités d’identification satisfaisantes. » (ibid.) Mécanismes de défense en clinique projective / 2 la fantaisie consciente qu’il pourra produire et communiquer au psychologue. Cette élaboration défensive n’est pathologique que si elle recourt à des procédés répétitifs, rigides, qui empêchent la prise en charge par le moi de ces motions inconscientes, ou au contraire qui ne peuvent les soumettre au travail des processus secondaires, aboutissant alors à une production aberrante, « illisible ». D’où la question de distinguer la qualité des processus défensifs, car la notion de mécanisme de défense n’est pas à entendre uniquement dans un sens pathologique, négatif, de dysfonctionnement ou d’ « anormalité ». «... il apparaît immédiatement que ces défenses sont plus ou moins “réussies”, plus ou moins “adaptatives”. Certains sujets parviennent à adopter, face à l’épreuve, une distance et un style où les difficultés qu’elle suscite sont remarquablement bien aménagées et maîtrisées : d’où des récits tout à la fois bien construits et riches, développés avec liberté et plaisir ; d’autres au contraire bloquent, dérivent, transposent, annulent, isolent, etc., donnant l’impression de lutter contre une angoisse désadaptante. Le praticien expérimenté peut assez aisément distinguer ces deux types de sujets, et expliciter les critères qu’il utilise. Il y faut, cependant, beaucoup de doigté et d’expérience ; et, au delà du problème technique, se trouvent posées de redoutables questions théoriques et cliniques sur la distinction entre “défenses adaptatives”, “défenses névrotiques réussies”, “défenses névrotiques désadaptantes”, “défenses psychotiques”, etc., qui, au delà des jugements de valeur ainsi impliqués, constitue l’un des problèmes les plus difficiles de la psychopathologie contemporaine. » - (Perron, op. cit., p. 40) MÉCANISMES DE DÉFENSE Définition et exemples dans l’épreuve de Rorschach et au TAT Voir Tableau ci-après. A noter : 1) Dans le tableau qui suit nous avons retenu les principaux mécanismes de défense classiquement définis par la tradition freudo-kleinienne (la plus communément utilisée dans la clinique projective psychanalytique francophone) et sur lesquels s’accorde la majorité des auteurs. Il existe cependant d’autres classifications définissant davantage de mécanismes défensifs du Moi ou des mécanismes différents ; ou qui assimilent et combinent la notion de « mécanisme de défense » avec celle de mode de coping (voir : Ionescu & coll., 2005 ; Chabrol, 2005). 2) Il est toujours quelque peu artificiel de citer des réponses ou extraits de réponses pour montrer l’action des mécanismes de défense dans les épreuves projectives cat cette action peut apparaître de diverses manières et ne peut se résumer à une réponse-type. Au Rorschach par exemple les mécanismes de défense peuvent se manifester dans la réponse elle-même (réponse cotable) mais aussi à travers une combinaison ou une constellation de facteurs (éventuellement repérable dans le psychogramme), ou encore à partir de particularités d’énonciation de la réponse non cotables. De même au TAT où il est toujours facile et tentant d’identifier les mécanismes de défense à l’œuvre chez le sujet à partir des seules caractéristiques et actions attribuées aux personnages de ses histoires, en oubliant que la défense "travaille" aussi la narration de ces récits et la relation actuelle au clinicien auquel cette narration s’adresse. Mécanismes de défense en clinique projective / 3 Références bibliographiques Bergeret J. (1990). Problème des défenses, in : Bergeret J. & coll., Psychologie pathologique, 4ème éd. complétée, Paris, Masson, p. 90-112. Bergeret J. (1996). La personnalité normale et pathologique. Les structures mentales, le caractère, les symptômes, 3ème éd., Paris, Dunod - (première éd. : 1985). Brelet F. (1986). Le TAT. Fantasme et situation projective, Paris, Dunod. Brelet-Foulard F., Chabert C. (2003). Nouveau manuel du TAT. Approche psychanalytique, 2ème éd, Paris, Dunod. Chabert C. (1997). Le Rorschach en clinique adulte. 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Mécanismes de défense en clinique projective / 4 Tableau 1 LES MÉCANISMES DE DÉFENSE AU RORSCHACH ET AU TAT Mécanismes de défense Définition Exemples commentés Annulation (ou Annulation rétroactive) « Mécanisme psychologique par lequel le sujet s’efforce de faire en sorte que des pensées, des paroles, des gestes, des actes passés ne soient pas advenus ; il utilise pour cela une pensée ou un comportement ayant une signification opposée. Il s’agit là d’une compulsion d’allure "magique", particulièrement caractéristique de la névrose obsessionnelle.» - (Laplanche & Pontalis, 1976, p. 29) TAT, pl. 4 : « C’est une femme qui aime un homme et l’homme veut la quitter, quelque chose comme ça, il en aime un autre, et la femme elle le retient et l’homme va rompre avec elle, il va pas revenir. Ou si c’est pas une rupture, c’est la police qui l’emmène : il se fait arrêter ou quelque chose comme ça. Il sait qu’il pourra compter sur sa femme pour l’aider. » « L’annulation rétroactive va plus loin que la formation réactionnelle : elle tente de supprimer non seulement le désir ou le besoin, mais aussi la conduite antérieure qui a été engendrée par lui. Le discours obsessif est typique de ce mécanisme : une affirmation n’est pas plus tôt posée qu’elle est immédiatement contredite ou modifiée par une autre.» - (Morval, 1982, p. 39) RCH (Rorschach), pl. II : « Des taches de sang… Ou plutôt des taches d’encre rouge. » « Mécanisme décrit par Mélanie Klein et considéré par elle comme la défense la plus primitive contre l’angoisse : l’objet, visé par les pulsions érotiques et destructives est scindé en un "bon" et un "mauvais" objet qui auront alors des destins relativement indépendants dans le jeu des introjections et des projections. Le clivage de l’objet est particulièrement à l’œuvre dans la position paranoïde-schizoïde où il porte sur des objets partiels. Il se retrouve dans la position dépressive où il porte alors sur l’objet total. Le clivage des objets s’accompagne d’un clivage corrélatif du moi en "bon" moi et "mauvais" moi, le moi étant pour l’école kleinienne essentiellement constitué par l’introjection des objets.» - (Laplanche & Pontalis, op. cit., p. 67) Le clivage est un mécanisme difficile à repérer dans les tests projectifs. Il ne suffit pas qu’il y ait juxtaposition de deux (ou plusieurs) réponses différentes et non liées entre elles pour que l’on puisse parler de clivage. Une telle juxtaposition peut aussi correspondre par exemple à une annulation ou à un renversement dans le contraire. Tout dépend du type de rapport établi entre ces parties différentes. La spécificité du clivage est qu’il n’obéit nullement à une ambivalence et à une alternative sous l’effet d’un refoulement, bien au contraire : le clivage crée de la coupure, du contraste (« ou », « et »… autre chose) et non de l’alternance (« ou bien, ou bien… », « ni, ni… ») comme dans l’ambivalence (conflit intrapsychique, refoulement). Clivage de l’objet RCH, pl. VIII : « Deux bêtes féroces qui semblent se précipiter sur… les couleurs sont douces, ce sont des animaux doux, un félin à la fourrure tendre. » TAT, pl. 3 BM : « Ça c’est une femme… qui… est très malheureuse et, euh, elle pleure, elle est effondrée par terre, à mon avis elle a eu un chagrin d’amour… On pourrait penser qu’elle est fatiguée aussi En fait c’est pas une position pour se reposer, quand on regarde le haut du tableau seulement, car quand on regarde le bas, la position… quand on regarde le bas, quelqu’un qui est effondré, quand on regarde le haut, quelqu’un qui se repose. Parce que c’est pas du tout une position confortable en fait. » (clivage de l’objet + rationalisation) Mécanismes de défense en clinique projective / 5 RCH, pl. VII : « Je me retrouve devant... le..... une sorte de danse un peu orientale, un peu caricaturale... On dirait plutôt des vieilles femmes ou... ou des, ou des caricatures de, de mondaines, ou de je ne sais quoi... et puis... leurs mains qui esquissent une sorte de... ouais... Maintenant je le vois moins comme une danse, parce que leurs corps sont quand même très statiques, leur corps est vraiment lourd... Ouais, je les vois assises en fait, avec leurs corps qui sont affaissés... Et finalement je ne dirais pas que c’est deux danseurs, mais je dirais plutôt que c’est une vieille dame qui se regarde dans une glace... une sorte de caricature... Elle semble tendre la main comme pour recevoir un baisemain, ou comme pour s’appuyer sur un objet, je ne sais pas... » (multiples indices de refoulement face à l’image perçue d’une rencontre entre deux femmes, avec clivage final annulant la dualité) Clivage du moi « Terme employé par Freud pour désigner un phénomène bien particulier qu’il voit à l’œuvre dans le fétichisme et les psychoses : la coexistence, au sein du moi, de deux attitudes psychiques à l’endroit de la réalité extérieure en tant que celle-ci vient contrarier une exigence pulsionnelle : l’une tient compte de la réalité, l’autre dénie la réalité en cause et met à sa place une production du désir. Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s’influencer réciproquement.» - (ibid., p. 67) En clinique projective, le clivage du moi est encore plus délicat à repérer que le clivage de l’objet. Il s’y apparente mais s’en distingue principalement par le fait que, dans le clivage du moi, le sujet va signifier une division de son interprétation et non une division de l’objet interprété. TAT, pl. 13 MF : « Alors là on peut imaginer deux scènes différentes. Peut-être la première scène, ce serait un sadique qui vient de violer, de brutaliser une femme, de la tuer peut-être, la femme ayant son bras qui déborde du lit. Ou alors la deuxième scène, c’est un monsieur qui vient de dormir, de passer la nuit avec cette femme, et qui se lève, qui part à son travail. La scène se déroule dans une chambre. » RCH, pl. VI : « La peau d’un animal, un animal dépecé, une vivisection… oh, c’est horrible de penser une chose pareille !... Moi je dirais, là (D lat. inf.), des bottes en cuir, très raffinées. » Dénégation Voir Négation. Déni « …mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante, essentiellement celle de l’absence de pénis chez la femme. Ce mécanisme est particulièrement invoqué par Freud pour rendre compte du fétichisme et des psychoses. » - (ibid., p. 115) TAT, pl. 9 GF : « C’est une femme qui se regarde dans de l’eau, au bord de la mer. C’est pareil. C’est un peu démodé la coiffure. Elle est jolie, elle s’appuie contre un tronc d’arbre. Y a deux personnages, mais je pense qu’il y en a une qui est le reflet. C’est assez serein. » (déni de la différence et de la dualité) « ... dans l’aménagement pervers, le déni ne porte que sur la représentation du sexe de la femme. » - (Bergeret, 1986, p. 157) TAT, pl. 2 : « Elle est drôle cette image. Elle m’inspire pas. J’comprends pas ce que fait cette femme-là [personnage à droite]. C’est visiblement une paysanne qui ne travaille pas. A côté, une jeune fille de bonne Afin de distinguer le déni dans les psychoses (déni de la réalité) Mécanismes de défense en clinique projective / 6 et le déni dans les perversions (déni de l’absence de pénis chez la femme), certains cliniciens ont proposé de parler, dans les perversions, non de déni mais de "démenti" ou de "désaveu" (Assoun), ou encore de "déni de la différence des sexes" (Merceron), voire par extension de "déni de l’altérité de l’autre". Notons, enfin, que certains cliniciens parlent de déni pour qualifier le « refus de voir » hystéro-phobique (Brelet-Foulard & Chabert). Il s’agit là d’une extension abusive du concept de déni puisque, par définition, le déni ne relève aucunement du registre du refoulement comme c’est le cas dans la phobie névrotique, mais bien d’une ignorance radicale et primaire de l’objet ou d’un aspect du moi. La « réalité » dans le déni n’existe pas, alors que dans le processus phobo-névrotique (hystérique ou obsessionnel) elle existe, connue, reconnue mais repoussée, refoulée et défensivement projetée comme telle. Formation réactionnelle Idéalisation famille [personnage à gauche] qui va prendre ses livres ou aller travailler dans un champ. Les livres sont plus à leur place dans une maison ou dans un jardin. C’est tout ce que je peux vous dire. » Dans ce dernier exemple, la non-évocation du personnage masculin central, de type « scotome d’objet manifeste » (Shentoub), peut aussi bien relever d’un déni, par exemple de la différence des sexes (homme / femme), que d’un refoulement (évitement) de la triangulation avec ses implications conflictuelles oedipiennes éventuelles. Il faudra travailler de façon différentielle ces deux hypothèses en fonction d’autres indices cliniques repérables chez le même sujet. RCH, pl. VII : « La forme de petits anges, chacun sur leur nuage. Vu l’avancée du visage, on dirait deux mêmes corps qui se disputent, ou une personne identique à l’autre qui se dispute. On ne sait pas pourquoi. Ils se ressemblent bien, identiquement, ils sont identiques. » (déni de la différence de l’autre, à partir d’une représentation déjà "pseudo-humaine", irréelle et vague) « Attitude ou habitus psychologique de sens opposé à un désir refoulé, et constitué en réaction contre celui-ci (pudeur s’opposant à des tendances exhibitionnistes par exemple). ( ... ) Les formations réactionnelles peuvent être très localisées et se manifester par un comportement particulier, ou généralisées jusqu’à constituer des traits de caractère plus ou moins intégrés à l’ensemble de la personnalité. Du point de vue clinique, les formations réactionnelles prennent valeur symptomatique dans ce qu’elles offrent de rigide, de forcé, de compulsionnel, par leurs échecs accidentels, par le fait qu’elles aboutissent parfois directement à un résultat opposé à celui qui est consciemment visé (summum jus summa injuria). » - (Laplanche & Pontalis, op. cit., p. 169) Les formations réactionnelles se traduisent par des réponses insistant exagérément, sous l’effet d’un conflit intrapsychique et d’un refoulement de « mauvais penchants », sur telle ou telle attitude positive, socialement valorisée (respect, gentillesse, bienveillance, esprit de solidarité, amour du travail, propreté…). « Processus psychique par lequel les qualités et la valeur de l’objet sont portés à la perfection. (...) Le rôle défensif de l’idéalisation a été souligné par de nombreux auteurs, notamment par Mélanie Klein. Pour cet auteur, l’idéalisation de l’objet serait essentiellement une défense contre les pulsions destructrices : en ce sens, elle serait corrélative d’un clivage poussé à l’extrême entre un “bon” objet TAT, pl. 16 : « Il me vient à l’esprit le bonheur. Une jeune femme sur une plage avec un enfant dans les bras, tous les deux dorés, lisses, jeunes, blonds aux yeux bleus. Ils sont sur le sable, dans les vagues, ils rient, ils rien, bon. Ça se passe dans le midi. Dans le fond il y a une très jolie ville, fraîche, remplie de couleurs et de fleurs et… [long silence] Il y a un homme assis à une table qui travaille. Ah ! [soupirs]… Il est bien, et TAT, pl. 10 : « (Mine d’étonnement.) D’emblée je dirais que c’est un fils d’une quarantaine d’années qui embrasse sa mère sur le front. Il la remercie d’avoir été si bon [sic, lapsus] toute sa vie avec lui et il a une espèce de compassion en même temps Il n’a sûrement pas eu la même vie qu’elle et cependant il la respecte Il la soutient. Pas très inspirée, cette image-là. » RCH, pl. III : « Deux gentlemen qui vont se battre en duel, dans les règles de l’art, ils se font des courbettes avec respect, très élégants, c’est tout un protocole, un peu comme dans les corridas. » Mécanismes de défense en clinique projective / 7 idéalisé et pourvu de toutes les qualités (par exemple sein maternel toujours disponible et inépuisable) et un objet “mauvais” dont les traits persécutifs sont également portés au paroxysme. » - (ibid., p. 186-187) L’idéalisation est l’un des modes de lutte contre des affects dépressifs. En ce cas, elle relève de défenses maniaques. qui va crier que le déjeuner est prêt, servi à table. » TAT, pl. 8 BM : « Mon père était un grand chirurgien. Il aurait voulu que je sois à son image. Il faut avouer que si lui maniait merveilleusement le scalpel, moi je préférais manier un archet. J’étais un rêveur. J’écrivais des poèmes et je les mettais en musique mais je ne voulais pas déplaire à mon père et j’étais très tourmenté à cause de ça. Heureusement ma mère me soutenait. Elle dit tout à mon père, que je préférais la musique et l’écriture à la chirurgie. Il prit cela très bien et au contraire me conseilla, me félicité d’avoir choisi cette voie qui m’allait. [Psychologue : « Qui sont les personnages sur l’image ? »] Je pense que c’est l’enfant qui parle et le chirurgien son père. Il me dit une phrase très juste : s’il guérissait avec son scalpel, la musique pouvait guérir également de bien des maux. » (idéalisation de soi en miroir avec une figure paternelle elle aussi idéalisée + récit à la première personne par identification narcissique à un enfant talentueux et reconnu comme tel). L’idéalisation peut se manifester par une expression excessivement positive ou négative, parfois de façon successive chez un même sujet et au RCH pour une même planche. RCH, pl. V : « Un paon qui fait la roue, le plumage est superbe… Un albatros qui traîne ses ailes dans la boue. » Identification à l’agresseur « ...le sujet, confronté à un danger extérieur (représenté typiquement par une critique émanant d’une autorité), s’identifie à son agresseur, soit en reprenant à son compte l’agression telle quelle, soit en imitant physiquement ou moralement la personne de l’agresseur, soit en adoptant certains symboles de puissance qui le désignent.» - (ibid., p. 190) TAT, pl. 3 BM (récit d’enfant) : « C’est un garçon qui était triste parce que sa maison avait été détruite par un bombardement, c’était la guerre, il était le seul survivant de toute sa famille. Deux ans plus tard il s’engage dans l’armée pour combattre le roi qui a explosé sa maison et il réussit à enlever sa fille. À la fin il va voir le méchant roi et lui dit : "J’ai capturé ta fille préférée, si tu n’arrêtes pas de faire la guerre je la tue !" Il disait ça pour faire peur au roi parce qu’il était amoureux de la fille en fait. Le roi a promis d’arrêter la guerre et le garçon a fini par épouser la fille. Voilà, j’ai fini. » RCH, pl. I : « Un masque d’un monstre qui fait peur, pour faire peur, un masque de carnaval, quoi. » Identification projective «Terme introduit par Mélanie Klein pour désigner un mécanisme qui se traduit par des fantasmes, où le sujet introduit sa propre personne (his self) en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder ou le contrôler. (...) L’identification projective En clinique projective – et pour la même raison que pour la projection – il n’est pas facile de repérer l’œuvre défensive de l’identification projective. La signature de l’identification projective est moins son caractère projectif que son intentionnalité (en principe Mécanismes de défense en clinique projective / 8 apparaît donc comme une modalité de la projection. Si M. Klein parle ici d’identification, c’est en tant que la personne propre est projetée.» - (ibid., p. 192-193) inconsciente) de contrôle ou de destruction de l’autre, en « introduisant » en lui un doute, une peur ou un état de confusion affective ou mentale. TAT, pl. 18 GF : « C’est une mère qui dit adieu à sa fille qui part vivre à l’étranger. Elle lui dit qu’elle l’aime et la met en garde contre les difficultés qui l’attendent de vivre loin de sa famille, de ses amis, seule dans un pays inconnu, avec une situation professionnelle incertaine. La fille est triste, elle pleure dans les bras de sa mère. La mère est décidée à respecter le choix de sa fille mais elle sait qu’elle est fragile et qu’elle lui reviendra bientôt. Elle dit à sa fille qu’elle priera pour elle, pour qu’elle ne soit pas malheureuse et qu’elle n’ait pas à regretter sa décision de partir. C’est un déchirement pour la fille. » Au RCH, C. Chabert souligne la présence de mécanismes d’identification projective chez les sujets narcissiques et dans les organisations limites : « La visée de l’emprise qui apparaît clairement dans les protocoles narcissiques est une mainmise sur l’objet qui l’empêche en quelque sorte de bouger : la pétrification des mouvements pulsionnels est 1 activement recherchée dans une image de l’autre immobile et figée . Pourtant, quand l’emprise est défaillante, d’authentiques mouvements d’identification projective surgissent dans des réponses isolées (clivées) sous-tendues par une agressivité orale très intense : réponses telles que "mâchoires", "dents", etc., ou évocation de personnages maléfiques (tels que "monstres", "sorcières") associés à des kp [kinesthésies partielles] ; ou encore dans l’apparition d’un bestiaire inquiétant ou persécuteur ("une espèce de cochon pas très aimable", "une tête de rapace", "des araignées, c’est méchant"). » (Chabert, 1998, p. 113) (1) - Des réponses de figures (humaines ou animales) figées, pétrifiées, statufiées sont également possibles chez les sujets psychotiques dans le registre de la dévitalisation ou d’une ambiguïté vivant/non-vivant, être vivant/objet… ; ou chez des sujets névrotiques, dans le registre du refoulement et de l’inhibition. Comme pour tout autre indice clinique, au RCH comme au TAT, il convient d’évaluer ce procédé en fonction de l’ensemble des réponses du sujet et de leur registre défensif dominant. Intellectualisation « Processus par lequel le sujet cherche à donner une formulation discursive à ses conflits et à ses émotions de façon à les maîtriser. (...) L’intellectualisation est à rapprocher d’autres mécanismes décrits en psychanalyse et principalement de la rationalisation. TAT, pl. 2 : « Tableau allégorique de la rencontre du travail manuel représenté par le fermier et la fermière et d’une personne à l’allure savante avec des livres à la main. Il laboure, ils n’ont aucun contact entre eux, chacun restant sur ses positions. » (intellectualisation + Mécanismes de défense en clinique projective / 9 Introjection Une des finalités majeures de l’intellectualisation est de tenir à distance et de neutraliser les affects. La rationalisation est à cet égard dans une position différente : elle n’implique pas un évitement systématique des affects, mais attribue à ceux-ci des motivations plus plausibles que vraies en leur donnant une justification d’ordre rationnel ou idéal (par exemple un comportement sadique, en temps de guerre, justifié par les nécessités de la lutte, l’amour de la patrie, etc.). » - (ibid., p. 204-205) clivage de l’objet) « … le sujet fait passer, sur un mode fantasmatique, du “dehors" au “dedans” des objets ou des qualités inhérentes à ces objets. L’introjection est proche de l’incorporation qui constitue son prototype corporel mais elle n’implique pas nécessairement une référence à la limite corporelle (introjection dans le moi, dans l’idéal du moi, etc.). Elle est dans un rapport étroit avec l’identification. » - (ibid., p. 209) TAT, pl. 9 GF : « C’est une jeune fille qui est en vacances au bord de la mer avec une amie. Elle l’observe, l’autre court à sa recherche, j’sais pas pourquoi… C’est bizarre, elles se ressemblent beaucoup… Ah, je sais ! La jeune fille est une pauvre orpheline et elle a volé des vêtements à son amie pour les essayer en cachette, parce que son amie n’est pas prêteuse, quoi, elle voudrait voir quelle allure elle a dans ces beaux vêtements de son amie riche [incorporation]… Cette jeune fille sait qu’elle est belle, peut-être même plus belle que son amie, mais elle pense que son amie est, euh, comment dire, jalouse de sa beauté et qu’elle veut l’empêcher de paraître aussi belle qu’elle [projection]. Son amie se fâche parfois contre elle quand elle imite sa coiffure ou sa façon de marcher [introjection], ça l’énerve, parfois elle se moque d’elle… Oui, là elle est très en colère de ne pas retrouver ses vêtements disparus... Plus tard, la jeune fille pauvre réussira à devenir une grande dame, quand elle aura compris que ce n’est pas la beauté extérieure qui compte vraiment mais la beauté intérieure [projet d’identification, sous-tendu par une idéalisation]. » (introjection envieuse) Pour Freud, incorporation, introjection et identification correspondent, dans cet ordre, à une intégration de l’objet "dans" le sujet, depuis des procédés ou des comportements qui mettent en jeu les limites corporelles (principalement par ingestion, injection ou infiltration), jusqu’à des opérations plus subtiles, davantage psychiques, d’assimilation inconsciente de l’objet ou de ses qualités, et au bénéfice d’une construction du sujet (processus de subjectivation). Entre incorporation et identification, l’introjection (intro-jection) s’apparente à la projection (pro-jection : passage du "dedans" au "dehors") dont elle serait en quelque sorte l’inverse, et qui lui est souvent associée. Comme la projection en effet, c’est un mécanisme défensif qui vise inconsciemment à introduire psychiquement dans le sujet ce qui paraît "bon" ou acceptable pour lui, tandis que la projection renvoie et attribue au dehors ce qui est refusé, méconnu au dedans (voir ci-après Projection). En ce sens, l’introjection permet et favorise l’identification dans la mesure où elle évite l’angoisse et contribue ainsi à l’enrichissement du moi. Au RCH, l’intellectualisation correspond souvent, du point de vue du contenu, à des réponses Abstraction ou Symbole ; mais elle peut aussi s’exprimer par exemple par une localisation vague, globale ou pseudoglobale, éventuellement confabulée ou contaminée, accompagnant de tels contenus. RCH, pl. II : « Ça me fait penser à un couple, quand deux personnes s’entendent pas… la discorde, mais qu’il y a une tentative de… à la difficulté de relation peut-être, un thème très contemporain. » Le travail de l’introjection est plus difficile à repérer au Rorschach et transparaîtra surtout dans des qualificatifs ou des commentaires indiquant un rapport à l’objet perçu pouvant s’apparenter à de l’introjection. Par exemple, une remarque comme « c’est rassurant », ou une réponse « c’est un joli papillon dont on aimerait garder le souvenir » peuvent être des signes d’introjection, surtout s’ils apparaissent dans un ensemble de réponses par ailleurs dominé par l’angoisse (l’introjection, alors, intervient bien comme mécanisme de défense du moi). Mécanismes de défense en clinique projective / 10 Isolation Négation (ou Dénégation) « Mécanisme de défense, surtout typique de la névrose obsessionnelle, et qui consiste à isoler une pensée ou un comportement de telle sorte que leurs connexions avec d’autres pensées ou avec le reste de l’existence du sujet se trouvent rompues. Parmi les procédés d’isolation, citons les pauses dans le cours de la pensée, des formules, des rituels, et d’une façon générale, toutes les mesures permettant d’établir un hiatus dans la succession temporelle des pensées ou des actes. » - (ibid., p. 216) TAT, pl. 8 BM : « Là il y a deux médecins qui sont en train d’opérer un garçon qui imagine comment va se passer l’opération. On lui a dit qu’il va être opéré, alors il imagine. Ça a plutôt l’air de lui faire peur parce que l’autre a l’air de souffrir sur la table… Tiens, là y a un fusil [détail latéral] ! Autre version : celui-là opéré en catastrophe pendant la guerre, ce serait son fils, on lui raconte une histoire, l’histoire de son père opéré d’urgence pendant la guerre. » (isolation + intellectualisation) L’isolation porte généralement sur le rapport entre un affect et une représentation, en présentant ces deux aspects comme n’ayant pas de lien entre eux. La différence avec le clivage est que ce dernier est fréquemment associé à du déni, alors que l’isolation relève du registre du refoulement et de la répression des affects. L’isolation s’associe souvent à d’autres processus défensifs comme la dénégation, la rationalisation ou l’intellectualisation. « Procédé par lequel le sujet, tout en formulant un de ses désirs, pensées, sentiments jusqu’ici refoulé, continue à s’en défendre en niant qu’il lui appartienne. » - (ibid., p. 113). TAT, pl. 17 GF : « Une femme regarde... l’eau, mmm... La rambarde est très basse, mmm... C’est rare que les rambardes de pont soient si basses... mmm... On ne peut pas dire non plus qu’elle est... elle semble un peu fascinée, mais je ne peux pas dire non plus qu’elle a l’attitude de quelqu’un qui va se, qui est fasciné au point de se jeter par-dessus... bord. Non, on ne peut pas dire... Le temps semble un peu suspendu... » « La dénégation porte sur des représentations et des affects donc sur la réalité interne et non sur la réalité externe comme le déni. » (Shentoub & al., 1990, p. 83) RCH, pl. IX : « Là je ne vois rien… C’est ravissant. Peut-être une fleur. Ça ressemble pas tellement à une fleur, une fleur qui aurait plusieurs couches de pétales superposés, un peu tirés par les cheveux comme ressemblance, mais il n’y a qu’à ça que ça pourrait ressembler. Peutêtre aussi le fait qu’il y ait deux taches vertes, ça fait penser aux plantes. » RCH, pl. VII (D blanc médian) : « Je suis complètement butée, bornée. Ça me fait penser à l’angoisse de la page blanche, panique, c’est plutôt l’angoisse de la page blanche. Je suis bloquée devant cette page blanche, il y a d’ailleurs un grand blanc là, au milieu, c’est le trou, le vide. J’aurais pu vous parler de neige, mais le format est réduit alors que la neige c’est grandiose. » (dénégation + idéalisation) RCH, pl. VI : « Ça peut exprimer une peau de panthère sur le sol. » (Enquête : « Il manque les yeux mais il y a les moustaches. Seulement la panthère n’est pas mouchetée. ») Projection « Dans le sens proprement psychanalytique, opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des "objets", qu’il méconnaît ou refuse en lui. Il s’agit là d’une défense d’origine Par définition et au sens général, la projection est supposée à l’œuvre dans toutes les réponses aux tests projectifs. Dans un sens plus spécifique, elle peut se repérer notamment dans les réponses qui attribuent à l’objet perçu une intention malveillante, voire persécutrice. Mécanismes de défense en clinique projective / 11 très archaïque et qu’on retrouve à l’œuvre particulièrement dans la paranoïa mais aussi dans des modes de pensée «normaux" comme la superstition. » - (Laplanche & Pontalis, op. cit., p. 344) TAT, pl. 2 : « Là, c’est des parents qui labourent le champ et sa fille [lapsus ?] va au lycée, quoi. Ça se passe y’a très longtemps, en 1925. On dirait que la mère est très fatiguée, elle travaille dur. On dirait que la mère se moque de la fille et on dirait aussi que la mère est enceinte un peu… L’histoire et l’image est infinie [sic]. La mère aura un enfant et la vie continuera toujours ainsi. » RCH, pl. V : « Un papillon exotique. Je dis "exotique" parce qu’il a pas la forme d’un papillon de chez nous, qu’a rien à voir avec ce que nous connaissons dans nos contrées. Un papillon vénéneux, euh, venimeux je veux dire, ça existe, ça ? » Rationalisation « Procédé par lequel le sujet cherche à donner une explication cohérente du point de vue logique, ou acceptable du point de vue moral, à une attitude, une action, une idée, un sentiment, etc., dont les motifs véritables ne sont pas aperçus ; on parle plus particulièrement de la rationalisation d’un symptôme, d’une compulsion défensive, d’une formation réactionnelle. La rationalisation intervient aussi dans le délire, aboutissant à une systématisation plus ou moins marquée.» - (ibid., p. 387) TAT, pl. 3 BM : « C’est un pistolet à côté ? Dans ce cas c’est quelqu’un qui s’est suicidé. Dans ce cas la personne était gauchère... non, pas forcément, l’arme pouvait tomber de la main droite. Une suicidée. C’est plutôt un homme parce que les femmes en général n’utilisent pas le pistolet pour se suicider, c’est extrêmement rare dans les statistiques. Il y a très peu de probabilité que ce soit une femme. » Au Rorschach la réponse "Position" (construction confabulée à partie d’un détail qui organise logiquement le tout selon un schéma directeur lié à la représentation première partielle) est exemplaire de la rationalisation. RCH, pl. VIII : « Là (bleu-vert) c’est les poumons, donc là c’est la trachée (gris sup.), la cage thoracique (rose lat.) et les viscères (rose-orangé inf.). C’est une découpe du corps humain, une planche d’anatomie. » Refoulement « Au sens propre : opération par laquelle le sujet cherche à repousser ou à maintenir dans l’inconscient des représentations (pensées, images, souvenirs) liées à une pulsion. Le refoulement se produit dans les cas où la satisfaction d’une pulsion – susceptible de procurer par elle-même du plaisir – risquerait de provoquer du déplaisir à l’égard d’autres exigences. Le refoulement est particulièrement manifeste dans l’hystérie mais joue aussi un rôle majeur dans les autres affections mentales ainsi qu’en psychologie normale. Il peut être considéré comme un processus psychique universel en tant qu’il serait à l’origine de la constitution de l’inconscient comme domaine séparé du reste du psychisme.» (ibid., p. 392) Tout comme le déni peut être considéré comme le registre défensif typique, générique, des organisations psychotiques et perverses avec ses diverses expressions, le refoulement est le registre défensif majeur des organisations névrotiques et peut se manifester de bien des manières. Il participe par exemple à l’annulation, à la (dé)négation, à l’isolation, aux formations réactionnelles. TAT, pl. 8 BM : « Alors là !... On dirait qu’on opère quelqu’un… Ça ne m’inspire rien d’autre… une opération. Il ne s’agit pas tout de même d’une mise en bière, n’est-ce pas ? Plutôt, à mon avis, des soins… une opération… Quelqu’un qui est allongé et qui est soigné. On a peut-être essayé de le tuer… Ce que je comprends pas, c’est un homme différemment habillé et qui ne regarde pas [personnage au premier plan, à droite], manifestement très triste. » (lutte contre une image refoulée Mécanismes de défense en clinique projective / 12 de meurtre, avec amorce de refus, dénégation, minimisation et clivage de la scène) RCH, pl. III : « Cette partie (D rouge central) me rappelle quelque chose, mais je ne sais pas exactement quoi… je suis sans doute trop influencé par ma dernière visite médicale, je comprends rien, ces trucs rouges ça me dit absolument rien. » Régression « La régression est une notion d’emploi très fréquent en psychanalyse et dans la psychologie contemporaine; elle est conçue le plus souvent comme un retour à des formes antérieures du développement de la pensée, des relations d’objet et de la structuration du comportement.» - (ibid., p. 400) La régression peut se repérer, en clinique projective, par le passage d’un registre « évolué », très élaboré de réponse à un registre plus « archaïque » (Chabert). TAT, pl. 2 : « Elle va réussir, cette jeune fille (personnage à gauche], elle est belle, très mignonne, sa mère (personnage à droite] l’envoie à l’école pour qu’elle soit pas une paysanne mais une demoiselle. Il est beau, l’homme, de dos on voit rien, mais elle, elle sera pas satisfaite, il faut absolument qu’elle quitte la ferme et qu’elle parte mais c’est quand même beau là où elle est, c’est très beau. Il y a la mère, mais elle aura d’autres mers, [épelle :] m-e-r-s, sa mère elle a rien connu mais elle est peut-être très contente, il y a beaucoup de gens qui ne bougent pas, ils posent pour un tableau, mais elle est belle, elle a de beaux yeux, j’ai envie de porter un truc qu’elle a, c’est très joli. » (détérioration progressive de la « lisibilité » du récit et de la « distance interprétative » + idéalisation) RCH, pl. VII : « Une petite fille avec des couettes [tiers sup.]… deux personnages, en fait, des silhouettes [l’ensemble]… des ombres chinoises, comme un jeu d’enfant… Ou bien des algues marines. » (succession de réponses marquant une régression tant du point de vue du contenu que de la précision de la perception, probablement sous l’effet d’un refoulement de ce qu’impliquait la première réponse, d’une meilleure qualité identitaire et identificatoire que la suite) Renversement dans le contraire « Processus par lequel le but d’une pulsion se transforme en son contraire, dans le passage de l’activité à la passivité. » - (ibid., p. 407) Le renversement dans le contraire peut aussi passer de la passivité à l’activité. (A propos du renversement dans le contraire et du retournement sur la personne propre :) «... ces deux processus – le premier concernant le but, le second l’objet – sont en fait si étroitement liés l’un à l’autre, Mécanisme défensif parfois difficile à distinguer non seulement du retournement sur la personne propre (voir ci-après) mais aussi de l’annulation, de la formation réactionnelle ou de l’identification à l’agresseur – dont il est très proche. TAT, pl. 4 : « C’est un homme qui en a marre de sa femme, d’ailleurs il vit déjà avec une autre, il veut quitter celle-là. Il est prêt à la frapper si elle insiste encore trop, parce qu’elle veut le retenir, ouais, elle l’a poussé à bout avec cette scène qu’elle lui fait là. Même qu’au point Mécanismes de défense en clinique projective / 13 comme il apparaît dans les deux exemples majeurs, celui du sadismemasochisme et celui du voyeurisme-exhibitionnisme, qu’il est impossible de les décrire séparément. » - (ibid., p. 408) où il en est, il en faudrait pas beaucoup pour que… C’est une pauvre femme au fond, il se laisse attendrir. Il trouve une solution, il se laissera aimer par elle jusqu’à ce qu’elle se trouve un nouveau mec… Oh, il est malin, il saura lui en trouver un ! Pendant ce temps-là il continuera de fréquenter sa nouvelle amie, hein ?… Il en est fou amoureux, prêt à tout pour lui plaire, à obéir à ses moindres désirs, bref à la garder à tout prix… Au fond, c’est un grand sentimental. » (alternance d’une position amoureuse active/passive, "sadique"/"masochique") RCH, pl. I : « Une tête d’animal méchant, là c’est les yeux (détails blancs) qui regardent durement… un masque d’animal, en fait, avec des trous pour les yeux, en creux. » (renversement actif/passif combiné à une modification de l’objet passant du vivant au simulacre du vivant). Retournement sur la personne propre « Processus par lequel la pulsion remplace un objet indépendant par la personne propre.» - (ibid., p. 425). On considère habituellement que ce mécanisme comporte des composantes masochistes. En ce cas, on parle parfois de « retournement contre soi-même » (Ionescu & coll.). TAT, pl. 1 : « Il est en train de dormir, c’est tout, ça va sauter la pièce, là, il va tout faire sauter, il met les doigts dans ses oreilles pour ne pas entendre, ça va exploser, il va être mort. Peut-être il veut se faire tuer parce qu’il déteste sa famille, il a fait des sottises, voler une voiture. Il attend l’explosion, il va être mort, il va plus exister. Et sa famille, elle pleurera. » - (fabulation autour d’un projet extrême de destruction haineuse, teinté d’un sentiment de culpabilité conduisant à un retournement autopunitif, passif, de l’agressivité contre soi-même ; la haine est cependant partiellement maintenue par l’idée d’un chagrin occasionné à la famille détestée) RCH, pl. IV : « C’est un gros bonhomme ridicule et laid, tout le monde se moque de lui… oui, il est vraiment grotesque… il avance d’un pas menaçant, on dirait qu’il veut se venger. » Sublimation « La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisées. » - (ibid., p. 465). Selon la conception freudienne, la sublimation est, avec le refoulement, l’un des mécanismes majeurs de la construction de l’appareil psychique et de notre « humanisation » (ou acculturation). C’est donc en principe un mécanisme de défense plutôt structurant, créatif. En clinique projective on pourra en apprécier le travail et l’effet par la qualité de symbolisation et d’ « adaptation » des réponses. Avec toutefois la difficulté fréquente de discerner entre une authentique sublimation et une pseudo-sublimation, de surface ou de conformisme, relevant par exemple de mécanismes de rationalisation, d’idéalisation, de formation réactionnelle ou de renversement dans le contraire. L’analyse clinique et différentielle devra donc être très fine sur ce point. C’est surtout dans les épreuves projectives thématiques que sera Mécanismes de défense en clinique projective / 14 parfois attribuée aux personnages mis en scène une transformation personnelle ressemblant à un processus de sublimation. Il conviendra alors d’en apprécier la teneur afin de déterminer s’il s’agit d’une sublimation « réussie », « adaptative » (Perron) ou non. TAT, pl. 13 BG : « J’imagine un solitaire qui... Un vieux peintre. Non... mmm... un vieux monsieur qui a été... Il a été boucher toute sa vie, à Paris. Sa famille était originaire de, de l’Orne. Et euh... il a passé toute sa vie à être dans une boucherie, d’abord commis, et puis ensuite... à monter tous les échelons. Et c’était un dur travail, loin du pays. Et puis lorsque la retraite est venue, il est revenu se... reprendre la maison de ses parents. Elle est au bord de, non c’est dans la Sarthe, je crois. Elle est au bord la Sarthe. Et il y a une rivière qui s’écoule, paisible. Et ce monsieur qui a été boucher toute sa vie, qui a découpé des, des centaines de milliers de viandes (rit), toutes rouges... saignantes, était en fait un poète, un doux, un... pacifique. Et... il... il finit ses jours dans ce, dans ce, dans ce pays des peintres, qui a tellement inspiré d’artistes. Et on voit là sa vieille barque, et il la prend tous les jours, il va faire un tour, enfin, sur la rivière. Et il est devenu végétarien. (Rire.) Et il est un peu malheureux, parce que... parce qu’il ne peut plus travailler autant qu’avant. Maintenant le jardin qui, pour qui il avait tant d’amour, et qui était tellement bien entretenu, tellement... il est maintenant un peu sauvage. Il est encore plus beau quelque part, mais lui... aimerait pouvoir plus travailler la terre. Voilà... alors... c’est la vision de... qu’il voit en ses derniers jours. » (essai de sublimation de désirs et d’affects agressifs sur un mode en fait ambivalent et nettement nostalgique-dépressif) RCH, pl. X : « Le peintre qui a réalisé ce tableau a voulu saisir toute la violence de cette explosion… peut-être un volcan en pleine éruption, terrifiant, il a cherché à en montrer la beauté, terrible et magnifique à la fois, à communiquer cette impression magnifique de puissance invincible. » (intellectualisation + essai de sublimation réduisant sur un mode ambivalent une forte angoisse non refoulée, clairement reconnue comme telle). Mécanismes de défense en clinique projective / 15 Université Rennes 2 PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE Une Introduction Plan I. QU’EST-CE QUE LA PSYCHOPATHOLOGIE ? 1. La psychopathologie ne sert pas qu’à étudier les maladies mentales 2. Les concepts de base 2.1. Personnalité 2.2. Trouble mental 2.3. Symptôme Ŕ Syndrome 2.4. Défense II. ÉLÉMENTS DE NOSOGRAPHIE 1. Qu’est-ce qu’une psychose ? 2. Qu’est-ce qu’une névrose ? 3. Psychopathie et perversion Références bibliographiques ___ I. QU’EST-CE QUE LA PSYCHOPATHOLOGIE ? 1. La psychopathologie ne sert pas qu’à étudier les maladies mentales La première définition que nous pouvons donner de la psychopathologie, c’est Ŕ au sens propre Ŕ l’étude des « affections de l’âme ». (Le mot « psychopathologie » est composé à partir des radicaux grecs pathos : ce qui affecte, affection, maladie ; psykhê : l’âme sensitive ; logos : discours, étude, science). De fait, la psychopathologie est d’abord la partie de la psychologie qui étudie les « maladies du psychisme », c’est-à-dire les troubles mentaux, et (chez l’enfant) les troubles du développement. Mais dans la mesure où la psychopathologie a été amenée à élaborer des théories de la personnalité pour soutenir son étude, elle nous permet également de saisir les aspects psychiques en jeu dans les comportements non pathologiques. Plus précisément, la psychopathologie a été amenée à construire des théories de la personnalité et du fonctionnement psychique à partir de l’étude des maladies ème mentales. Déjà à la fin du XIX siècle, Théodule Ribot préconisait de rechercher les mécanismes de la mémoire ou de la volonté, par exemple, dans l’étude des troubles de la mémoire ou de la volonté, estimant que la pathologie réalisait, pour ainsi dire, une expérimentation spontanée des mécanismes et processus en jeu dans ces fonctions complexes. Cette approche du psychisme nous permet d’en apercevoir le fonctionnement à partir de ses « ratés », plus explicites que le fonctionnement normal, par définition « silencieux » ; elle nous permet aussi de réduire le risque d’une compréhension psychologique trop vite fondée sur une normalité posée a priori, en nous donnant de précieuses indications sur ce qui compose, justement, cette normalité apparente. L’étude des troubles névrotiques, par exemple, nous éclaire grandement sur les processus sous-jacents à certains phénomènes courants, communément partagés, comme l’anxiété ou encore comme les actes manqués. Ces phénomènes étant particulièrement fréquents et intenses chez les sujets névrosés, l’étude de l’anxiété névrotique et des actes manqués des névrosés nous informe de façon particulièrement évidente, instructive sur ces expériences affectives et psychiques que connaissent aussi les sujets normaux. Cette lecture de la psychopathologie est possible, bien entendu, dans la mesure où l’on considère qu’il n’y a pas de frontière radicale entre normalité et pathologie, ce qu’admettent aujourd’hui pratiquement toutes les théories en psychopathologie. Dans ces conceptions, le pathologique ne se distingue du normal que par une question de degré d’organisation, et non par nature (voir plus loin : définition de la notion de « maladie mentale »). Le premier point sur lequel nous pouvons insister est donc que la psychopathologie n’a pas seulement pour but d’étudier les troubles psychiques ou les troubles du développement ; elle nous propose aussi des théories de la personnalité issues de l’étude de ces troubles et nous permet, par conséquent, de comprendre tout autant le fonctionnement psychique de l’homme non pathologique. Un second point, corollaire du précédent, s’impose alors à nous. Il consiste à dire que ce n’est pas parce que nous nous proposons d’étudier un comportement ou un phénomène psychique à la lumière de la psychopathologie, que nous considérons pour autant qu’il s’agit d’un comportement ou d’un phénomène relevant de la pathologie. Cela veut simplement dire que nous utiliserons les modèles explicatifs de la personnalité et du psychisme développés par la psychopathologie, mais pour comprendre des phénomènes qui peuvent très bien rester de l’ordre du « normal » ou, comme disait Freud, de l’ordre d’une « psychopathologie de la vie ordinaire ». Ces précisions étant faites quant au sens de notre approche, voyons à présent quels sont les concepts fondamentaux de la psychopathologie. Psychopathologie générale / 1 2. Les concepts de base Il existe plusieurs théories et courants de pensée dans le champ de la psychopathologie. Toutefois, la plupart des approches contemporaines relèvent de conceptions psychodynamiques (du grec dynamis : « force »). Cela veut simplement dire que ces théories conçoivent généralement le fait psychique comme la résultante de forces et de tensions entre forces, ces forces pouvant être soit intrapsychiques, soit relever d’interactions entre l’individu et son milieu. La notion de dynamique psychique ou de de psychodynamique s’oppose à une approche descriptive, « statique », qui réduirait les phénomènes psychiques à un ensemble de facteurs isolés et plus ou moins fixés. Nous ferons principalement référence ici à l’un des principaux courants théoriques développés à partir de telles vues psychodynamiques : le courant psychanalytique. (On aurait pu citer aussi, autre exemple d’approche psychodynamique, le courant systémique.) L’approche psychanalytique est actuellement, en France, la plus représentée en psychopathologie. L’approche psychanalytique défend l’idée que les conduites individuelles sont essentiellement l’effet de conflits intrapsychiques entre des niveaux différents de fonctionnement (conscient / préconscient / inconscient, Ça / Moi / Surmoi) et se présentent comme un équilibre instable, plus ou moins susceptible de se défaire et de produire alors des symptômes (voir ci-après). Pour l’approche systémique, les conduites individuelles ou groupales sont relatives à l’ensemble dynamique (système) dont elles font partie et dont elles contribuent à maintenir l’équilibre interne (homéostasie) et externe (relations inter-systèmes). Lorsque le système ne peut plus maintenir cet équilibre, ni le modifier, surgissent des conduites apparemment aberrantes mais qui visent en fait à ramener le système à son équilibre antérieur. Nous développerons donc le point de vue psychanalytique, et c’est dans cette perspective que nous allons définir nos concepts de base. 2.1. Personnalité Les théories psychanalytiques contemporaines considèrent que le fonctionnement psychique de tout individu présente des constantes qui lui sont propres et qui organisent l’ensemble de sa conduite. Notre comportement est ainsi déterminé, de façon constante et relativement stable, par des particularités de fonctionnement, qui ne sont pas à identifier à des « traits de personnalité » que l’on pourrait énumérer et dont la personnalité serait la somme, mais qui sont plutôt à concevoir comme des caractéristiques structurelles, dont notre comportement est en quelque sorte une série de variations. (Analogiquement, en musique, les « variations » possibles à partir d’un « thème » mélodique : les variations peuvent être fort nombreuses, mais cependant de façon non infinie, dans les limites de ce que permet plus ou moins richement le thème de base, et aussi selon l’aisance, la créativité du compositeur ou de l’interprète auteur de ces variations.) Dans cette conception, la personnalité est donc une structure, c’est-à-dire un ensemble fini de rapports entre les divers aspects du fonctionnement psychique. La personnalité comme structure « Dans ses Nouvelles conférences de psychanalyse, en 1932, S. Freud nous rappelle que si nous laissons tomber par terre un bloc minéral sous forme cristallisée, il se brise ; mais il ne se brise pas d’une façon quelconque. « Dans tout corps cristallisé, en effet, il existe, à l’état d’équilibre normal, des microcristallisations invisibles, réunies entre elles pour former le corps total selon des lignes de clivage dont les limites, les directions et les angulations se trouvent préétablies de façon précise, fixe et constante pour chaque corps particulier ; il n’existe pour chaque corps qu’une seule façon de se cristalliser et chaque mode de cristallisation demeure le propre d’un seul corps chimique seulement. De plus, ces lignes de clivages demeurent invisibles tant que le corps n’est pas brisé ou bien placé sous un appareil optique particulier ; tout au plus, à l’état d’équilibre, la forme générale de l’échantillon examiné montrera-t-elle à l’observateur quelques figures géométriques spécifiques sur son pourtour, sa périphérie, ses limites extérieures au monde. « Si nous laissons tomber à terre notre échantillon minéral cristallisé, il ne pourra se briser, comme l’explique Freud, que selon les lignes de clivage préétablies à l’état d’équilibre, selon leurs limites, leurs directions, leurs angulations jusque là invisibles. De telles lignes de clivage originales et immuables, définissent la structure interne du minéral. « Et Freud pense qu’il en serait de même pour la structure mentale, que l’organisation d’un individu se trouverait constituée de façon durable, spécifique et invisible dans la situation normale. Il suffirait d’un accident ou d’un examen minutieux pour qu’on en retrouve les lignes de clivage (et aussi de soudure) fondamentales entre les éléments primaires. « Que ce soit au niveau de la maladie ou au niveau préalable de la simple structure non décompensée, on ne peut passer du mode de structuration névrotique au mode de structuration psychotique, ou inversement, une fois qu’un Moi spécifique est organisé dans un sens ou dans l’autre. » (Bergeret, 1985, p. 50-51) L’approche psychanalytique définit généralement une structure donnée de personnalité par divers paramètres, dégagés de l’observation différentielle des diverses pathologies mentales et de leurs soubassements psychodynamiques. Il s’agit essentiellement : du mode de relation d’objet : en psychanalyse, on appelle « relation d’objet » le type d’investissement psychoaffectif libidinal que le sujet établit avec les « objets » de cet investissement, ces objets pouvant être aussi bien des choses que des personnes ou des activités par exemple (la psychanalyse reprend ici le sens ancien du mot « objet », que l’on retrouve par exemple dans le vers cornélien « Rome, aucune objet de mon ressentiment ») ; du type d’angoisse fondamentale : toute personnalité, même en dehors d’une maladie mentale, est susceptible de connaître des expériences d’angoisse ; or, on repère qu’il existe quelques modes d’angoisse typiques, et qui distinguent des structures de personnalité différentes ; des mécanismes de défense du moi, visant à réduire l’angoisse et à préserver l’équilibre psychique : là encore, Psychopathologie générale / 2 on repère que chaque structure de personnalité se caractérise par le recours à des mécanismes de défense spécifiques, et donc particulièrement discriminants. fonctionnel par lequel se caractérise telle ou telle structure de personnalité. 2.3. Symptôme Ŕ Syndrome L’approche psychanalytique a défini quelques grandes « lignées structurelles », c’est-à-dire quelques grandes structures de personnalité, en posant que tout un chacun relève de l’une de ces grandes lignées. Les deux structures principales sont la structure névrotique et la structure psychotique. Ces qualificatifs ne signifient pas qu’il s’agit, dans ces organisations de personnalité, de maladies mentales (un sujet qui présente une structure névrotique, par exemple, n’est pas nécessairement un « névrosé »). Cela veut simplement dire qu’il s’agit de personnalités dont les fondements structurels se rattachent à ce qu’on observe dans les pathologies névrotiques ou dans les pathologies psychotiques. Cela veut dire aussi que, dans le cas de troubles psychiques, ces personnalités s’orientent vers les pathologies, névrotiques ou psychotiques, correspondant à leur « lignée structurelle » : une structure de personnalité névrotique ne peut donner, en cas de décompensation, que des troubles de personnalité psychotique, et de même, une structure de personnalité psychotique ne peut s’orienter, en cas de pathologie, que vers des troubles de type psychotique (cf. citation de Freud). 2.2. Trouble mental Cette dernière remarque nous éclaire sur ce qu’on peut appeler « trouble mental » ou « maladie mentale », ou encore : « dysfonctionnement psychique ». Nous avons dit que, pour la psychanalyse, la vie psychique est à comprendre comme un jeu de forces qui se maintient dans un certain équilibre. Les mécanismes de défense, en particulier, vont contribuer au maintien de cette équilibre, empêchant que l’angoisse ne soit trop forte et que se déstabilise l’ensemble du fonctionnement psychique. Autrement dit, il y a trouble mental, et donc pathologie, lorsque l’organisation structurelle de la personnalité se « décompense » (i.e. se déséquilibre), cette décompesation pouvant être ponctuelle, passagère (on parle alors d’épisode pathologique ou d’épisode morbide), ou plus durable (en ce cas, on parle de maladie mentale proprement dite). Le psychiatre contemporain Jean Bergeret définit ainsi la maladie mentale : « Dans le cas d’épisodes morbides véritables les termes de “névrotique” ou de “psychotique” désignent un état de désadaptation visible par rapport à la structure propre et profonde. C’est une forme plus ou moins durable de comportement émanant réellement de la structure profonde à la suite de l’impossibilité de faire face à des circonstances nouvelles, intérieures et extérieures, devenues plus puissantes que les défenses mobilisables habituellement dans le cadre des données structurelles, et dans ce cadre seulement. En effet, telle maladie ne peut éclore que sur telle structure et telle structure ne peut pas donner naissance à n’importe quelle maladie. » (Bergeret, 1985, p. 47) Dans la perspective psychanalytique structuraliste, il y a donc lien étroit, de nature dynamique, entre structure de personnalité et maladie mentale : celle-ci n’est qu’un état de perte, plus ou moins durable, de l’équilibre défensif et Les manifestations par lesquelles se présente et se repère une pathologie mentale, s’appelle un symptôme. L’observation clinique des principales affections mentales a permis de dégager les symptômes de ces grandes pathologies et même de classer celles-ci en fonction des symptômes auxquels elles donnent lieu (nosographies). Toutefois, il faut ici retenir un point important : un symptôme est toujours équivoque ; il peut renvoyer à plusieurs types d’affections mentales (polysémie du symptôme), et à l’inverse, une même affection mentale peut s’exprimer à travers des symptômes variés ; autrement dit, il n’y a pas de liaison directe et univoque entre symptôme et structure. Ce point entraîne deux conséquences décisives : en psychopathologie, pas plus d’ailleurs qu’en physiopathologie, un symptôme ne suffit pas à lui seul à déterminer de quel type de pathologie il s’agit : un trouble mental, quel qu’il soit, se reconnaît non à un symptôme mais à un groupe typique de symptômes, c’est-à-dire en fonction d’un syndrome ; d’autre part, le syndrome repéré ne sera lui-même assuré que dans la mesure où il est resitué par rapport à une structure définie de personnalité, c’est-à-dire que s’il est vraisemblable dans le cadre des critères par lesquels se définit telle ou telle organisation (mode de relation d’objet, angoisse de base, mécanismes de défense). 2.4. Défense La notion de défense nous ramène à celle d’angoisse, précédemment citée. Sans entrer trop en détail dans les théories de l’angoisse développées par la psychopathologie psychanalytique, indiquons simplement que l’angoisse est l’expérience émotionnelle par laquelle se signalera un risque de « décompensation » (i.e. de déséquilibration) de l’organisation de personnalité. Dit en d’autres termes, c’est donc l’expérience psycho-affective qui va se manifester lorsque les mécanismes défensifs qui contribuent habituellement à maintenir cette organisation en équilibre, se trouvent plus ou moins débordés, ou en imminence de le devenir. L’angoisse, en ce sens, est un signal : celui d’un moment de fragilisation de la structure. 2.5. En résumé : Quels en sont les grands principes d’une psychopathologie psychodynamique d’inspiration psychanalytique ? Enonçons-les succinctement en les complétant sur certains points : 1) que les faits psychiques sont la résultante d’un ensemble complexe de forces (intra- et extra-psychiques) en interaction constante, dans le sens soit d’un renforcement soit d’une inhibition mutuelle (conflit intrapsychique) Ŕ d’où la notion de psychologie « dynamique » ; 2) que cet ensemble, toutefois, n’est pas sans se maintenir en un ensemble équilibré, relativement défini et constant. C’est ce qu’on appellera la personnalité, ou mieux encore : la structure de personnalité. On pourra parler aussi d’organisation de la personnalité et de fonctionnement psychique. Psychopathologie générale / 3 3) que la conduite par laquelle s’exprime la personnalité inclut différents niveaux (actes, pensés, langage) qui la déterminent consciemment et inconsciemment (en ce sens, la conduite n’est pas le comportement) ; 4) que la conduite manifeste d’un individu (son « comportement » et son « discours ») a essentiellement pour fonction de maintenir son fonctionnement psychique en un équilibre optimal. Sur ces bases simples, l’approche psychopathologique commence lorsqu’il apparaît qu’un tel équilibre est fragile (immaturité, détérioration) ou qu’il est brusquement et plus ou moins passagèrement rompu (décompensation). On parlera alors de comportement symptomatique. D’où les principes suivants, à propos du symptôme : a) Un symptôme exprime un dysfonctionnement psychique en même temps qu’il en permet la régulation. (Exemple : la phobie, l’inhibition intellectuelle.) D’où l’importance d’envisager toujours un symptôme dans ses aspects à la fois négatifs (invalidants) et positifs (défensifs-créatifs), et de ne jamais aborder un symptôme « de front » sans prendre la précaution d’en comprendre le sens et la fonction. b) Tel ou tel comportement ou type de discours, pris isolément, ne permet pas d’emblée d’en déduire un type de fonctionnement psychique particulier. Il n’existe jamais d’adéquation univoque entre tel symptôme et tel type de personnalité (fausses catégories psychopathologiques : dépression, alcoolisme, toxicomanie, homosexualité... ). Sur ce point, nous partageons tout à fait la position énoncée par Hubert Van Gijseghem (psychocriminologue contemporain) à propos des « abus sexuels » : « Il nous semble que l’on fait fausse route si, en matière d’abus sexuel (comme dans toute matière de symptôme !), on se fie à l’aspect visible – i.e. observable et descripible de la chose. Et on fait doublement fausse route si on fonde sur la description du geste, une typologie. C’est un peu comme si, en voulant classifier les gens à partir du critère de la couleur de cheveux, on ignorait qu’en dessous du visible, qui peut toujours bien relever du factice - la teinture il existait une réalité plus fondamentale, non visible celle-là. En plus, il nous paraît clair que l’abus sexuel ne peut être vu comme une entité nosologique, pas plus que ne l’est l’alcoolisme, l’abus de drogue ou le vol. En poursuivant la caricature, une typologie d’abuseurs sexuels se fondant sur la description des gestes abusifs (homo, hétéro, etc.) ressemble malgré tout à une fictive typologie d’abuseurs d’alcool proposant des types tels que : alcoolique du whisky, alcoolique de gin... etc ! « Dès lors, une typologie ne devrait pas utiliser comme critère l’acte abusif et sa description, mais devrait partir plutôt de l’être qui le commet. « Nous proposons donc une porte d’entrée différente, c’est-à-dire la structure de la personnalité de l’abuseur [...]. Une fois la structure connue, il s’agira par la suite de saisir le sens de l’agir ponctuel dans la perspective de cette structure. En dehors de cette approche, l’entreprise typologique dépendra bien toujours de l’anecdotique, de l’accidentel, du factice. » (H. Van Gijseghem, La personnalité de l’abuseur sexuel, 1988, p. 52-53) « L’abus ne répond pas à des types sui generis [en soi], mais est symptôme d’une condition psychologique de base. Il semble donc beaucoup plus rentable (sur le plan de la compréhension des phénomènes) de décrire les types de structures psychologiques chez qui l’abus peut apparaître comme symptôme parmi d’autres. C’est de la condition psychique plus large de l’individu que l’abus tirera son sens en tant que symptôme ou signifiant. » (ibid., p. 66) Encore un mot pour conclure ce préambule. Il s’agit cette fois de terminologie. Certains termes issus de la psychopathologie se sont introduits dans le langage courant Ŕ mais parfois en changeant de signification à l’occasion de cette familiarisation. (Exemples : le qualificatif « maniaque » pour qualifier quelqu’un de perfectionniste, alors qu’en psychopathologie la manie est un état d’agitation anormale ; le terme de « psychose » pour désigner une panique collective ; le mot « hystérie », utilisé pour désigner un état d’excitation ; etc.) Il nous faudra donc être particulièrement attentif sur ce point, notamment lorsque nous évoquerons la perversion et la psychopathie (confusion sens psychopathologique / sens criminologique au niveau de ces termes). II. ÉLÉMENTS DE NOSOGRAPHIE Nous présenterons d’abord les deux grandes lignées, psychotiques et névrotiques, pour traiter ensuite de la question particulière de la psychopathie et de la perversion, sur lesquelles les psychopathologues ne sont pas tous d’accord quant à leur statut structurel. 1. Qu’est-ce qu’une psychose ? Qu’appelle-t-on psychose ? Et comment comprendre l’agir violent dans le cadre d’une personnalité psychotique ? Les psychoses se subdivisent en : schizophrénies, paranoïa, psychose maniaco-dépressive (P.M.D.), mélancolie. On peut y ajouter : les démences (détérioration mentales organiques). Certaines personnalités dites « déficientes mentales » ou « carencées » relèvent également du registre psychotique. En psychopathologie, on définit les psychoses comme un trouble (généralement précoce) de la relation d’objet, ou plus précisément : un trouble du processus par lequel le petit d’homme accède à la différenciation sujet-objet ou moi-autre. (Le terme d’objet peut désigner ici autant une chose qu’une personne. C’est ce par quoi se réalise l’investissement pulsionnel.) Les psychologies dynamiques modernes considèrent le développement humain précoce comme un long processus partant d’une totale indifférenciation entre « sujet » et « objet » Ŕ l’objet étant d’abord la « mère », support maternant primaire (ou objet maternel primaire). L’enfant n’a pas d’emblée d’existence propre, clairement distincte par rapport à l’entourage. On parle parfois de fusion ou de symbiose pour désigner cet état primordial où l’enfant, par conséquent, ne peut non plus clairement repérer ses besoins et ses satisfactions en fonction d’un agent extérieur (narcissisme primaire, identification primaire). Ce n’est que vers la fin de la première année que cette connaissance d’un « objet » extérieur à soi pourra se faire et que l’enfant pourra identifier l’autre comme « autre » en même temps qu’il se découvrira lui-même comme « non-autre », c’est-àdire comme « moi ». Pour effectuer cette différenciation (que certains auteurs ont appelé séparation-individuation), l’enfant doit Psychopathologie générale / 4 cependant pouvoir bénéficier de deux conditions essentielles, apparemment paradoxales mais en fait complémentaires : d’une part, une continuité et une régularité des soins maternants qu’il reçoit ; d’autre part, l’expérience d’une discontinuité lui permettant de percevoir que ces soins, d’une certaine manière, échappent à son besoin et qu’il existe donc un monde extérieur (i.e. autre que lui). Sans entrer dans le détail, disons simplement que les pathologies psychotiques s’originent dans des échecs plus ou moins sévères de ce processus de séparationindividuation, soit par l’effet de carences ayant compromis gravement la continuité des expériences de soins, soit par l’effet d’une trop grande continuité ayant maintenu l’enfant dans une relation indifférenciée (symbiotique) à l’autre maternant et dans une illusion de toute-puissance. Les psychoses correspondent ainsi à des perturbations (primaires ou acquises) des processus organisateurs de la personne, entendue à la fois comme individualité et comme identité. L’angoisse de base, dans les psychoses, est donc une angoisse de morcellement (perdre son unité et/ou son identité, par éclatement ou par fusion). (L’inorganisation psychotique trouve un écho « normal » dans les expériences ordinaires de changement de rôle, de statut, de lieu, d’activité : déménagement, changement de travail, adolescence, mariage, grossesse et accouchement, retraite, entrée en institution...) L’accord se fait aujourd’hui pour reconnaître sous le nom de psychoses : des distorsions pathologiques, plus ou moins précoces, du processus d’organisation de la personne – ce processus incluant à la fois des facteurs relationnels et des aspects de structure. Structures Critères différentiels Définition du trouble Relation d’objet Angoisse de base Mécanismes de défense Formes pathologiques La structure psychotique processus suivants : se caractérise par les un développement fragmentaire du moi et de l’identité : le moi, en tant qu’instance de synthèse et de contrôle, est extrêmement fragile, d’où un sentiment d’identité défectueux (repérable notamment par des troubles de l’image du corps) et une non-maîtrise de la vie pulsionnelle, chaotique et souvent contradictoire (intrications des pulsions agressives et des pulsions sexuelles) ; une angoisse typique de morcellement : le sujet est saisi par des craintes intenses et des impressions d’anéantissement, d’éclatement, d’engloutissement, de décomposition, de dépersonnalisation, d’envahissement (sentiment de persécution ou d’influence), qui impliquent la perte du sentiment d’exister et d’être soi ; un mode de relation d’objet caractérisé par la confusion entre moi et non-moi (et plus globalement entre le moi et le monde environnant) : le sujet n’établit pas vraiment de distinction entre lui et les autres, la frontière entre ses limites propres et celles d’autrui ne sont pas clairement définies ; d’où des réactions inadaptées à la présence d’autrui (chez le jeune enfant), ou l’impression que les autres pensent et sentent de la même façon que soi, la sensation de se perdre dans l’autre, ou l’impression d’être menacé ou envahi par l’autre (chez le grand enfant et l’adolescent) ; contre l’angoisse de morcellement, plus ou moins intense, le sujet recourt à des mécanismes de défense typiques : déni de la réalité, projection, identification projective (basée sur l’identification primaire), clivage (de l’objet, du moi). Du point de vue évolutif, le pronostic des psychoses les plus précoces (psychoses infantiles) est généralement Structure psychotique trouble du processus d’individuation non-accès ou accès incomplet à la différenciation moi-autre angoisse « de morcellement » déni de la réalité clivage de l’objet clivage du moi schizophrénies - paranoïa psychose maniaco-dépressive mélancolie - démences déficiences mentales (psychotiques) Structure névrotique trouble de l’investissement de l’objet comme source de désir et de plaisir relation d’ambivalence (conflit intrapsychique désir versus inhibition) angoisse « de culpabilité » refoulement projection de l’angoisse de culpabilité vers l’extérieur névrose hystérique névrose obsessionnelle phobies névrotiques Comparaison structurale psychose / névrose Psychopathologie générale / 5 sévère, et justifie la mise en place d’interventions précoces et intensives Ŕ bien que l’on puisse rarement atteindre une véritable réintégration des processus en cause. 2. Qu’est-ce qu’une névrose ? Avec les personnalités névrotiques, nous nous trouvons dans un tout autre registre. Le trouble fondamental ne concerne pas la constitution de l’objet (son existence ou son gauchissement) Ŕ mais le désir que l’on peut en avoir et la satisfaction que l’on peut en retirer. Le névrosé, pour ainsi dire, souffre d’une conscience morale exacerbée, qui perturbe inconsciemment Ŕ et jusqu’à l’empêcher parfois Ŕ tout ce qui peut être de l’ordre d’un désir ou d’une jouissance. L’angoisse névrotique typique est une angoisse de culpabilité, en conséquence d’un sentiment morbide de transgression et d’illégitimité. D’après la psychanalyse (qui s’est tout particulièrement consacrée à l’étude des névroses), ce sentiment trouverait principalement son origine dans l’expérience infantile connue sous le nom de « complexe d’Œdipe », et qui correspond au moment où l’enfant accède à une identité sexuée. Cette identification se fait d’abord dans un élan amoureux pour le parent du sexe opposé, donc dans une rivalité avec le parent du même sexe. Puis, conformément à l’interdit de l’inceste qui régit tous nos rapports humains (principe anthropologique dont les parents réels de l’enfant sont les premiers témoins), l’enfant aura à dépasser cette configuration première pour renoncer à l’objet incestueux, s’identifier au parent du même sexe, et rechercher un objet d’amour différent du premier objet incestueux. Sur le plan affectif, tout ce processus s’accompagne d’une expérience d’ambivalence à l’égard de la figure parentale du même sexe, et d’un sentiment de culpabilité corrélatif à l’intégration de l’interdit de l’inceste (complexe de castration). Les échecs de l’expérience œdipienne tendent à « fixer » cette ambivalence et cette angoisse, sans trouver l’issue d’une identification constructive au parent du même sexe. D’où une incertitude de l’identification sexuelle (mais non de l’identité) et l’impossibilité, plus ou moins sévère, du sujet névrosé à s’autoriser l’accès à un désir et à un plaisir « heureux ». L’autorégulation des désirs incestueux par laquelle se résout l’expérience oedipienne devient, chez le névrosé, une auto-frustration (« auto-castration ») plus ou moins radicale, par laquelle il se punit inconsciemment de toute jouissance puisque celle-ci est systématiquement contaminée par des désirs œdipiens restés vivaces. Contre l’angoisse de culpabilité qui le mine ainsi, le sujet névrotique va recourir à divers mécanismes de défense (dont certains peuvent apparaître comme des traits « caractériels »). Citons notamment : la conversion somatique (hystérie) : déléguer au corps l’expression symbolique de la souffrance morale inconsciente, et y trouver dans le même temps un empêchement physique réel à agir dans le sens du désir ; la projection phobique : déplacer sur un objet extérieur l’angoisse méconnue (refoulée) et éviter cet objet pour contrôler l’angoisse qu’il représente symboliquement ; la ritualisation obsessionnelle : contenir l’angoisse dans un ensemble réglé et plus ou moins immuable d’actions et/ou de pensées n’autorisant aucun « débordement » du désir, aucune fantaisie, aucune surprise ; la culpabilisation de l’autre (hystérie) : induire plus ou moins délibérément chez autrui le sentiment inconscient de culpabilité et ainsi s’en décharger sur lui ; l’échec inconscient (syndrome d’échec, névrose de destinée, masochisme moral) : la personne se trouve « comme par hasard » victime d’accidents, de contrariétés ou de malchances dès qu’elle est susceptible de connaître un succès ou une satisfaction personnelle. Ce type de conduite à répétitions peut aller parfois jusqu’à une autodéchéance sociale et/ou affective massive. De façon générale, on peut dire que la structure névrotique s’exprimera par une inhibition, plus ou moins importante, plus ou moins directe Ŕ et par une ambivalence mêlant amour et haine, séduction et agressivité. (Exemple : l’attitude névrotique à l’égard du pouvoir, à la fois envié et impossible à prendre ou à tenir.) Remarquons que le conflit inconscient entre désir et interdit qui mine le névrosé de façon chronique, trouve son correspondant « ordinaire », chez tout un chacun, dans toutes les situations de choix problématique, de décision « cornélienne » (conflit désir vs devoir), de légitimation (« de quel droit puis-je... ? »). Là encore, la pathologie ne fait que nous montrer, de façon extrême et dans un effet « grossissant », ce qui détermine nos comportements les plus communs et leurs bases structurelles. Chez l’enfant et l’adolescent, on parle plus volontiers de troubles névrotiques, de préférence à « névroses infantiles ». À la différence des psychoses, en effet, dont on a pu progressivement dégager des formes spécifiquement infantiles, il n’existe pas de formes aussi caractérisées pour les névroses, et l’on peut se demander s’il n’est pas abusif de transposer chez l’enfant ce que l’on a d’abord défini comme névroses chez l’adulte. Tout au plus peut-on repérer chez l’enfant des symptômes similaires à ceux de la série névrotique, et en constatant qu’ils ne sont pas forcément significatifs d’une organisation névrotique déjà structurée, ni même qu’ils y conduiront. Ces symptômes, de plus, peuvent être très variables selon les interactions vécues par l’enfant et selon les remaniements liés à la croissance. C’est pourquoi il paraît préférable de parler de conduites ou de manifestations d’apparence névrotique, en nous réservant de reconnaître dans certains cas des états névrotiques proprement dits, variables selon l’âge. 3. Psychopathique et perversion 3.1. Psychopathie Voici un mot qui évoque couramment un tueur cynique, sans scrupule, qui tire sur « tout ce qui bouge »... comme dans les séries américaines de la télévision. On affuble, en effet, du terme de « psychopathe » tout criminel violent Ŕ mais au risque d’une généralisation vidant de son sens strictement psychopathologique l’appellation de psychopathie. Ŕ Qu’en est-il exactement ? En revenant au critère de la relation objectale, on peut dire que, à la différence des psychoses, la psychopathie (ou « déséquilibre mental ») a pu élaborer une relation d’objet différenciée Ŕ mais dans une relation à une figure maternelle très ambivalente : Psychopathologie générale / 6 « ... cette figure maternelle, elle-même souvent ambivalente à l’égard de son enfant, établit avec celui-ci un genre de “relation yo-yo” (alternance rejet agressifrécupération coupable). L’enfant, dans une telle conjoncture, ne peut que se défendre. Mené souvent de force vers la séparation – insoutenable puisque brusque – cet enfant, pour ne plus connaître cette alternance destructrice qui le laisse chaque fois intensément démuni, se réfugie dans un genre d’illusion, celle de contrôler luimême la situation. Il devient ainsi, bien que sur un mode illusoire, le seul maître de sa destinée. Le moyen qu’il utilisera toutefois pour préserver cette illusion sera calqué sur l’activité qui le menace : l’exploitation et l’agressivité. L’autre étant un agresseur en puissance, il se défendra par l’attaque, instaurant ainsi le jeu d’exploiteur-exploité où il convient d’être du bon côté pour éviter de tomber dans le camp de l’exploité où la survie est impossible. » (H. Van Gijseghem, op. cit., p. 113) Les personnalités psychopathiques déploient ainsi divers moyens dans une lutte constante, en fait, contre un risque de dévalorisation brutale (l’angoisse de base est une angoisse dépressive de perte de l’objet : risque de dépression narcissique-anaclitique). D’où leur intolérance à toute frustration, leur recherche continuelle d’excitations de toutes sortes, leur fuite de toute mentalisation équivalant à l’investissement d’un « intérieur » vulnérable, leur incapacité à « tirer expérience » d’une existence délibérément dans l’action faute de pouvoir supporter une « réflexion ». Le maître-mot du fonctionnement psychopathique est de manipuler pour ne pas (ne plus) être manipulé, de prendre le pouvoir (par la force et/ou la séduction) pour ne pas (ne plus) dépendre de l’autre. Dans ce contexte, l’agir est important et s’expose facilement comme hors-règlement ou hors-la-loi. (Cf. la formule de J.P. Chartier : « Déni, délit, défi ».) D’autre part, les actes violents sont déterminés par des besoins précis et immédiats : « ... le psychopathe commet rarement un acte qui ne lui procure pas quelque gain au sens large du terme (malgré le fait que certains l’ont appelé “a rebel without a cause”). Le gain peut toutefois être de nature diverse : la satisfaction sexuelle, l’affirmation de son pouvoir, le gain monétaire ou matériel, l’élimination d’un témoin gênant... En fait, le but ultime réside bien toujours dans son besoin insatiable de maintenir un genre de “high” narcissique, et le sexe joue un rôle prépondérant dans l’arsenal dont il dispose pour se procurer ce “high”. [...] Devant le danger d’être découvert ou dénoncé, il peut décider d’éliminer sa victime. » (H. Van Gijseghem, op. cit., p. 115) 3.2. Perversion Voici une autre dénomination délicate à manier. D’abord, parce qu’elle est lourde de connotations morales (perversion = perversité, perversion = anormalité sexuelle...), qui peuvent insidieusement infiltrer à son tour l’approche psychopathologique. Aussi parce que l’on a tôt fait de renvoyer à une personnalité supposée « perverse » toute conduite sexuelle jugée anormale (perversion déviance sexuelle), sans prendre en considération qu’une même conduite peut correspondre à d’autres types de personnalités (cf. principe de non-univocité du symptôme). (Exemples : exhibitionnisme, homosexualité... dans les structures névrotiques ou psychotiques, et pas seulement chez des pervers.) Sans compter qu’il existe des sujets relevant d’une personnalité perverse, qui ne présentent aucune désorganisation sexuelle (pervers de type « personnalité grandiose »). La notion de perversion, autrement dit, est le lieu de toutes les confusions entre : normes sexuelles, comportements sexuels dits « anormaux » ou « déviants » au regard de ces normes, et structure perverse proprement dite. A fortiori lorsqu’il s’agit d’agressions ou d’atteintes sexuelles Ŕ vite (trop vite) assimilées à des actes « de pervers », en écho à l’horreur commune qui englobe et ces actes et la représentation d’une sexualité « pervertie ». Comme pour la structure psychopathique, la structure perverse peut s’originer dans un échec partiel de la constitution d’un objet, et dans le maintien de l’enfant dans une illusion défensive de toute-puissance. Mais à la différence de ce qui se passe dans la psychopathie (utilitarisme agressif), la faille « narcissique » qui s’ensuit trouve à se compenser, dans la structuration perverse, par une mise en scène des relations, à but d’emprise et de maîtrise des désirs et des pensées de l’autre. (Par rapport à la psychopathie, la structure perverse est plus évoluée, conduisant à une élaboration psychique des relations avec autrui au lieu du recours à l’agir caractéristique de l’organisation psychopathique.) Le pervers se pose volontiers en maître de la jouissance d’autrui, et ce faisant, il peut préserver sa propre complétude narcissique. Un tel scénario relationnel sera sexuel par excellence dans la mesure où c’est dans ce domaine qu’une telle emprise trouvera le plus matière à s’exercer Ŕ mais dans la mesure aussi où le pervers doit lutter contre la menace que représentent pour lui, pour sa toute-puissance imaginaire, la différenciation des sexes et la génitalité. Dans le cadre de la structure perverse, les agressions sexuelles seront donc relatives à une attitude que certains psychopathologues ont pu assimiler à un désaveu de la sexualité dans ses aspects de génitalité : la sexualité est connue, reconnue par le sujet pervers, mais détournée à l’avantage de pratiques maîtrisées, mises en scène, souvent esthétisées Ŕ et ainsi moins dangereuses pour l’intégrité d’une personnalité narcissiquement très vulnérable. Dans la même logique, il est fréquent que les agresseurs sexuels de structure perverse justifient leurs actes en alléguant une intention pédagogique, esthétique, ou même éthique (ex. : le « goût du risque » chez certains exhibitionnistes). À propos du déni de leurs actes par les « pervers » : souvent interprété comme absence de sentiment de culpabilité, ce déni est plutôt à comprendre comme une lutte contre l’effondrement narcissique que cet aveu entraînerait (déni de l’aveu n’est pas déni de la culpabilité). Texte : Claude Bouchard Ŕ MC Psychologie Université Rennes 2 Ŕ mai 2002, révisé mars 2011. Psychopathologie générale / 7 Références bibliographiques Bergeret J. (1996). La personnalité normale et pathologique. Les structures mentales, le caractère, les symptômes, ème ème 3 éd., Paris, Dunod Ŕ (première éd. : 1974 ; 2 éd. : 1985). Braconnier A. (1998). Psychologie dynamique et psychanalyse, Paris, Masson. Ionescu S., Jacquet M.M., Lhote C. (1997). Les mécanismes de défense. Théorie et clinique, Paris, Nathan Ŕ nouvelle éd. : 2005. ème Marcelli D. (1999). Enfance et psychopathologie, 5 éd., Paris, Masson. Marcelli D., Braconnier D. (2000). Adolescence et psychoème pathologie, 5 éd., Paris, masson. Ménéchal J. (1997). Introduction à la psychopathologie, Paris, Dunod. Psychopathologie générale / 8 PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE : Comparaison entre lignées structurales (modèle psychanalytique) Aspects métapsychologiques Structures Formes typiques Relation d’objet Instance dominante STRUCTURES PSYCHOTIQUES Schizophrénie Paranoïa Psychose maniacodépressive (PMD) Mélancolie Ŕ Démences Déficiences mentales (psychotiques) Aménagements psychopathiques (ou « caractériels ») ORGANISATIONS LIMITES STRUCTURES NÉVROTIQUES Non-accès à (ou perte de) la relation d’objet Trouble de la différenciation moi-autre et/ou de la séparation-individuation (Relation fusionnelle) Perturbation précoce de la relation d’objet marquée par une ambivalence de l’attitude maternelle (aimante-rejetante) (Relation de domination violente et de séduction utilitaire) Aménagements pervers Perturbation précoce de la relation d’objet dans le sens d’une illusion de toute-puissance narcissique (Relation d’emprise) Névrose hystérique Névrose obsessionnelle Phobies névrotiques Trouble de l’investissement de l’objet en tant que source de désir et de jouissance Inhibition (Relation d’ambivalence) d’après J. Bergeret, La personnalité normale et pathologique, 3 ème éd., Paris, Dunod, 1996. Ça Type de conflit Type d’angoisse Défenses principales Ça avec la réalité Angoisse de morcellemen t Déni de la réalité Forclusion Angoisse de perte d’objet (dépression anaclitique) Déni partiel de la réalité (désaveu) Clivage du Moi Clivage de l’objet Idéal du Moi Idéal du Moi avec : - Ça - réalité Surmoi Surmoi avec le Ça Angoisse Refoulement de castration