Burkina Faso Issa Diallo Les victimes ethniques de 2008 au Burkina
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Burkina Faso Issa Diallo Les victimes ethniques de 2008 au Burkina
Burkina Faso Issa Diallo Le Burkina Faso est un pays d’une soixantaine d’ethnies parmi lesquels les Peuls que l’on retrouve sur l’ensemble du territoire national, notamment dans les régions situées dans le Nord du pays : Séno, Soum, Yagha, Oudalan. Dans plusieurs localités du Burkina Faso, les éleveurs peuls ont tendance à se sédentariser complètement. Toutefois, nombreux sont restés nomades et mènent des transhumances saisonnières, allant à des centaines de kilomètres à l’intérieur des Etats voisins, notamment au Togo, au Bénin, au Ghana… Contrairement aux autres populations du Burkina Faso, les Peuls nomades sont des éleveurs dont toute la vie est rythmée par des activités liées à la survie de leurs animaux. Aussi, sont-ils encore nombreux qui rejettent toute activité non liée à l’élevage extensif ; ils sont également très peu intéressés par la scolarisation des enfants ou la participation aux élections politiques locales et nationales. Pour permettre, entre autre, la sédentarisation des nomades dans les régions où ils constituent de véritables îlots ethniques, des espaces pastoraux ont été délimités par l’Etat. Mais la gestion du foncier pose problème et ils sont de nombreux innocents à mourir chaque année du seul fait de leur appartenance ethnique dans des localités où leurs activités pastorales les rendent plus vulnérables. Les victimes ethniques de 2008 au Burkina Faso Chaque année, des Peuls sont tués au Burkina Faso du seul fait de leur appartenance ethnique. Le modus operandi est toujours le même. A la suite d’une rixe entre un éleveur et un agriculture, l’engrenage génocidaire est mise en branle. Des groupuscules se forment. Ils attaquent les hameaux peuls, incendient les habitations et organisent la battue. Tout Peul qui est pris est tué car dans cette chasse à l’homme, ni de l’âge, ni du sexe, ni la profession de celui qui doit être tué n’importe, l’essentiel étant qu’il s’agisse d’un Peul. Qu’importe qu’il soit de la localité ou de passage dans la localité, qu’il soit éleveur ou agent de l’Etat, son appartenance ethnique le condamne à mort ! C’est ainsi que des enfants de 7 ans et de personnes âgés de 70 ans sont abattus, juste parce qu’ils sont Peuls. Pour l’année 2008, les chasses aux Peuls, opérations de plus en plus régulières au Burkina Faso, se sont soldées par la mort d’enfants et d’adultes qui ne sont ni de près, ni de loin, liés à ce qui semble être à l’origine des chasses. En effet, les massacres des Peuls de 2008 ont été déclenchés par la mort d’un homme de l’ethnie lobi, tué par un autre homme de l’ethnie silmimossi. Le meurtrier du Lobi s’étant dénoncé, son employeur de l’ethnie peule l’a remis aux forces de l’ordre de la localité. Mais cela n’empêcha pas des tueries d’une barbarie inouïe d’hommes et de femmes peuls dont le seul crime réside dans le fait que le meurtrier est un berger s’occupant des animaux d’un Peul, lequel berger a été du reste remis aux forces de l’ordre par son employeur. C’est ainsi que Tall Ramatou, une femme âgée de 52 ans ayant trouvé refuge dans une case après une longue fuite avec ses 2 petits fils de 7 ans chacun, ainsi que Dicko Fatoumata, une adolescente de 16 ans, ont été sauvagement battus jusqu’à ce que mort s’en suive. Diallo Douadji, 40 ans, a été vraisemblablement mis à nu avant d’être découpé en morceaux et 1 enfoui dans une termitière. Barry Issa roulait sur sa moto lorsqu’il a été arrêté, juste parce que d’ethnie Peule et bestialement mis à mort comme les autres. C’est au total 11 personnes qui ont toutes été tuées du seul fait de leur appartenance ethnique à la suite de la battue humaine organisée du 24 mai au 14 juin. Il y a eu au nombre de ceux qui ont perdu la vie des hommes et des femmes de tous les âges : 4 femmes de 52 à 7 ans, 7 hommes de 70 à 7 ans furent atrocement tués. La spécificité de la battue ethnique de 2008 au Burkina Faso Une battue ethnique consiste en une opération pour rechercher des êtres humains dont le dénominateur commun est leur appartenance à une même ethnie. Dans la province du Poni, il s’est agi pour les organisateurs de la battue de rechercher uniquement les enfants, les femmes et les hommes de l’ethnie peule. Elle s’est soldée par la mort de 11 Peuls et un douzième qui est porté disparu. La spécificité de la battue ethnique de 2008 est l’absence de toute spécificité si on la compare aux battues humaines des années précédentes : • • • Les organisateurs de la battue n’ont pas l’adhésion de tous les membres de leur ethnie. En 2008 par exemple, de nombreux leaders de l’ethnie Lobi, parfois au risque de leur vie, se sont opposés à la tuerie des Peuls ; Les partis politiques du Burkina Faso, toutes tendances confondues, ainsi que la quasitotalité des organisations de la société civile ont choisi la politique de l’autruche en ne dénonçant pas les massacres et en les passant sous silence, comme ce fut le cas en 2007 et avant ; Le pouvoir central a manqué de fermeté, et montré de la frilosité à sévir, peut être de peur d’effaroucher l’électorat local. Ce qui est interprété par les génocidaires comme un blanc seing qui leur est donné. D’ailleurs les rencontres de réconciliations organisées par les autorités de l’Etat ont servi de tribune à certaines personnes pour prêcher la haine et la xénophobie. Ainsi ceux qui ont organisé le massacre des Peuls sont présentés comme des défenseurs des intérêts de leur ethnie face à la menace des « étrangers » et ceux qui s’opposent à ces mêmes massacres comme des traîtres. Les nombreuses battues humaines organisées contre l’ethnie peule en situation de minorité se sont toujours soldées par une atrocité immense. Le est souvent humilié avant d’être tué et après sa dépouille est profanée. Si les années passées, les corps étaient souvent laissés à la charogne et aux intempéries avec une impossibilité pour les familles de les récupérer en temps voulu, l’innovation en 2008 a souvent consisté à ôter les vêtements du cadavre, à découper son corps en lambeaux avant d’enfouir les morceaux de chair dans une termitière. Ou de traîner le cadavre dans la boue. En outre, les tueries ont connu une dimension importante dans le temps et dans l’espace. En effet, elles se sont déroulées en plusieurs jours et sur des dizaines de km2, toute chose démontrant qu’il s’agissait bel et bien d’une tentative d’extermination ethnique sur au moins un espace géo - ethnique donné. Les contributions des organisations de la société civile dans la promotion des droits des minorités ethniques vulnérables 2 Par minorités ethniques vulnérables au Burkina Faso, nous entendons tout groupement humain pouvant subir à tout moment des massacres du seul fait de leur appartenance ethnique. Jusqu’à présent, il s’est agit des membres de l’ethnie peule, installés dans des localités où ils sont minoritaires. En 2008, ce sont deux organisations de la société civile qui se sont investis, à notre connaissance, dans la recherche de l’information relative aux massacres des Peuls. Il s’agit de l’Association défense des droits et diversités culturelles des personnes appartenant à des minorités (ADCPM) et de Tabital pulaaku. L’ADCPM a aidé à faire l’état des lieux de la battue de l’ethnie peule organisée en 2007 dans la province du Zoundwéogo. Cet état des lieux qui a pris fin en début 2008 a porté sur 65 personnes et a permis d’aider à identifier ceux qui ont pris part à la chasse aux Peuls, d’évaluer les pertes enregistrées et de remettre toutes les données à un avocat. Quant à Tabital Pulaaku, il a organisé en décembre 2008, une rencontre sur « l’élevage et problème sécuritaire au Burkina Faso : état des lieux et perspectives ». Cette rencontre a fait en partie un état des lieux des conflits entre agriculteurs et éleveurs. En outre, une Etude sur le conflit entre agriculteurs et éleveurs à Manga-Est dans le Département de Gogo a été menée (CEDEAO, Mécanisme et prévention et de gestion des conflits, Zone d’observation et de suivi n°II, mai 2008). En vérité, il s’agissait d’une chasse aux peuls organisée par des groupes d’agriculteurs et d’éleveurs appartenant à d’autres ethnies, et non un conflit entre agriculteurs et éleveurs. Analyse critique Quoique le droit à la vie soit reconnu au Burkina Faso, les massacres ethniques répétitifs des Peuls n’ont jusque là pas été dénoncés, à notre connaissance, par les partis politiques toutes tendances confondues ainsi que les organisations de la société civile mieux implantées au Burkina Faso. Quant à l’Etat, il refuse encore de reconnaître qu’il s’agit de massacres d’ordre ethnique, s’évertuant à étouffer cette triste réalité sous l’euphémisme de «conflits agriculteurs éleveurs» comme si les Peuls s’adonnant à l’agriculture étaient épargnés lors des massacres, et les membres des autres ethnies s’adonnant à l’élevage non épargnés lors des massacres : nous pensons qu’il y a des questions tabou au Burkina Faso, comme celle relative à la xénophobie. La constante dans les massacres des Peuls réside dans le fait qu’ils ont jusque là eu lieu dans des localités où les Peuls constituent des îlots ethniques, de véritables minorités très vulnérables. L’autre spécificité est qu’il ne s’est jamais agi d’une ethnie donnée contre l’ethnie peule. Il s’agit plutôt d’organisations de génocidaires à but non avoué. Nous pensons que dans un pays où près de la moitié de la population croupit au dessous du seuil de l’extrême pauvreté, et où « la morale agonise », s’abattre sur une cible très fragile qui se trouve propriétaire de dizaines de bœufs, est une tentation à laquelle certains individus succombent aisément surtout lorsqu’ils pensent qu’ils ne tomberont pas sous le coup de la loi. D’ailleurs, après la chasse au Peul de 2007 dans certains villages du Zounwéogo, des animaux des victimes Peuls se sont retrouvés en vente au marché de bétail par des inconnus. Issa Diallo est chercheur au Centre national de la recherche scientifique et technologique à Ouagadougou, il est également Président de l’Association de défense des droits et diversités culturelles des personnes appartenant à des minorités – ADCPM officiellement reconnue par le Gouvernement du Burkina Faso en 2005. Source : Indigenous world 2009 3