La santé au travail, nouvelle contrainte paradoxale
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La santé au travail, nouvelle contrainte paradoxale
Santé et travail • Le Réseau francophone de formation en santé au travail La santé au travail, nouvelle contrainte paradoxale ? intérieur. Chacun de ces espaces est constitué de multiples composantes, hétérogènes et elles-mêmes en « concurrence » (voir figure). Il est probablement impossible que toutes ces contraintes soient en accord les unes avec les autres. Chacun est en perpétuel arbitrage. Il arrive qu’il y ait des conflits cognitifs nets, parfois insurmontables (nous nous plaçons ici uniquement au niveau cognitif et n’abordons pas les aspects physiqueset émotionnels). Chaque salarié, et tout particulièrement le manager, doit faire face, dans son travail et dans sa sphère privée, à de multiples contraintes. Dans l’organisme, chaque nouvel enjeu qui s’impose plus ou moins fortement est souvent perçu comme une nouvelle contrainte, qui génère des freins au changement. De nouvelles règles de gestion, la qualité, l’internationalisation des organisations, la gestion multiprojets, la multiculturalité, le respect de l’environnemental, etc. en sont l’illustration. Il en va de même pour la santé au travail. Même si la demande sociale et sociétale paraît forte, on observe de fortes résistances, aussi bien du côté des directions, du management ou des opérationnels. Nous ne développerons pas ici les systèmes de résistance au changement et les leviers pour y remédier. Nous discuterons de la place que doit prendre la santé au travail, dans le champ de contraintes du manager. Le socle de la réglementation Dans le domaine SST, le socle de base est connu, il s’agit de la réglementationfrançaise issue très souvent des directives et règlements européens. Il définit ce qu’il faut et ne faut pas faire. Cependant, deux remarques : – il ne dit pas comment faire ; – il ne garantit pas que l’entreprise fasse bien. Un perpétuel arbitrage Les contributeurs à ce texte sont Jean-Luc Bonnet, Martine Plawner et Laurent Théveny, INRS, William Dab et Dominique Vacher, Cnam (chaire d’hygiène et sécurité), Hervé Lanouzière, DGT, Philippe Bielec, CNAMTS, JeanMichel Hotyat, DGESIP, Liliane Lament, ANACT, et Laurent Gravelaine, DGAFP. Formateur, formation, référentiel de compétences, santé-sécurité au travail 82 Préventique Sécurité - N° 119 - Septembre-octobre 2011 Illustration Grpe Préventique, d’après RFFST Toute personne est au cœur d’un réseau complexe, constitué de grands ensembles : l’espace de travail au sens large du terme, l’espace privé (famille, amis, relations dans diverses activités…) et l’espace Si la réglementation au sens large définit le « quoi-faire » et le « quoine-pas-faire », elle ne définit pas nécessairement le « commentfaire ». Elle propose cependant des éléments méthodologiques de base, comme les neuf principes généraux de prévention (Code du travail, art. L.4121-2). Mais chaque organisation devra développer sa propre mise en œuvre de ces principes, ainsi que les exigences réglementaires particulières. Cependant, ce n’est pas parce qu’on édicte une règle dans le but de diminuer, voire de supprimer, le risque d’accident du travail ou de maladie professionnel, que ces préconisations vont être suivies et mises en œuvre correctement. Le « comment-faire » est bien un point crucial, tous les préventeurs en SST et managers sont un jour ou l’autre confrontés à cette question. Mais il ne peut jamais être correctement évoqué sans une autre question corolaire et indissociable : le « pourquoi ? ». Depuis quelques Santé et travail années, on place le manager comme un traducteur et un vecteur de sens. On peut retenir l’idée que le fait de manager sans donner d’explications, sans mobiliser l’intelligence de l’autre, ne peut conduire qu’à un transfert de contraintes, elles-mêmes génératrices de tensions, de résistances, de stress et finalement aboutir à une situation pire qu’au départ. Le sens de son action Sur le champ de l’humain, le manager se doit de donner du sens à l’action et aux changements1 bien sûr, mais aussi de plébisciter les diverses pratiques qui œuvrent à l’appropriation des actions par le plus grand nombre (coconstruction par exemple), faute de quoi les résistances et les conflits seraient inévitables. S’il s’agit pour un organisme de juste se mettre à jour réglementairement, pour éviter une injonction de l’inspection du travail, par exemple, on est bien loin d’un véritable management qui donnerait du sens à son action en SST. Un des leviers principaux est le développement d’une culture sécurité, en fait déclinaison d’une culture plus globale du « bien faire » quel que soit le domaine. Mais pour ce faire, un préalable incontournable est d’avoir travaillé sur les aspects organisationnels. Il est bien évident qu’on n’effectue pas un virage à 180° (car pour beaucoup il s’agit de cela) sans remettre en cause l’organisation du travail et les pratiques de management. On ne passe pas d’une santé au travail, domaine exclusif du médecin du travail, à une organisation où toute action prend en compte le bien-être physique et mental des salariés. De plus, sur le plan aussi bien organisationnel que comportemental, il n’y a pas de recette miracle et immédiate pour changer de culture, quand bien même tous les salariés le souhaiteraient. La gestion des contraintes Sur le champ organisationnel, l’intégration d’une politique de santé est-elle une nouvelle « injonction paradoxale » ? On entend par là une nouvelle contrainte qui vient en opposition à d’autres contraintes déjà existantes dans l’organisation. En fait, la réponse va dépendre de la façon dont cette politique va être intégrée ou pas aux politiques préexistantes et comment la gouvernance de l’entreprise, puis son organisation, va prendre en compte au quotidien, depuis les actes de conception jusqu’au démantèlement des process, mais aussi dans l’attribution des ressources ainsi que, dans la mesure des performances « globales », les aspects SST qui s’y rattachent. En tout état de cause, il est possible de définir schématiquement trois niveaux dans la gestion des jeux de contraintes : le « faire contre », le « faire avec » et le « faire dans ». Dans le « faire contre », les contraintes s’affrontent, souvent dans un mode réactif et coercitif aux événements, et ne peuvent jamais se concilier. Dans le « faire avec », par la négociation, l’histoire et les habitudes de l’organisation, les contraintes se superposent, sans vraiment être en conflit, mais sans véritable synergie et surtout d’arbitrages cohérents entre eux, d’où la survenance d’injonctions paradoxales. Avec le « faire dans », les contraintes sont en synergie, complètement intégrées depuis le mode de gouvernance, en passant par l’organisation générale mise en place pour gérer l’activité de l’entreprise, et dans tous les actes quotidiens à tous les niveaux de management et de façon cohérente. Les pratiques opérationnelles relèvent aujourd’hui de ce qu’on appelle couramment « un système de management intégré », regroupant SST, qualité, environnement, finances, éthique, intelligence économique, etc. Elles servent au quotidien les objectifs d’un projet industriel et d’une stratégie, mis en musique par un mode de gouvernance approprié qui vise à répondre aux attentes des parties intéressées dans une logique d’exercice de sa responsabilité sociale d’entreprise (voir norme Iso 26000). La formation des managers Pour déployer une telle approche, des auteurs comme Le Goff2 et des acteurs de plus en plus nombreux du monde de l’entreprise et de l’ensei gnement, dont bien sûr le RFFST, ont bien identifié que la formation des managers est un acte essentiel aux changements en entreprise. Les managers doivent acquérir un corpus minimal de culture générale, notamment des connaissances de base en santé au travail3. Les pratiques qu’ils sauront mettre en œuvre, décrivant une véritable « posture managériale » vis-à-vis de l’équipe de travail4 feront trois gagnants : chaque individualité de l’équipe, l’entreprise et par conséquence le manager lui-même. Le RFFST a dans ce sens toute sa place, en mettant à disposition des éléments validés de savoir en SST. Ceuxci doivent être mis en perspective, dans le cadre spécifique de chaque public, pour les adapter à des situations concrètes de l’entreprise, ou du métier de chacun. n 1. Godelier Éric, « La culture d’entreprise, source de pérennité ou source d’inertie ? », Revue française de gestion, no 192, 2009, p. 95-111. 2. Le Goff Jean-Pierre, Les illusions du management, éd. La Découverte, 2000. 3. Voir le référentiel du RFFST, inspiré du référentiel BESST (bases essentielles en santé et sécurité au travail). 4. Voir article du RFFST sur ce sujet dans Préventique Sécurité no 115, janvier-février 2011. Le RFFST met gratuitement à votre disposition des outils pédagogiques de formation en santé au travail. Vous pouvez le rejoindre pour participer à ses travaux et échanger du matériel de formation. Contact : [email protected] et www.rffst.org N° 119 - Septembre-octobre 2011 - Préventique Sécurité 83