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Cet article présente les éléments théoriques d’une recherche présentement en cours,
dont le principal objectif est d’examiner le rôle que jouent les Églises chrétiennes africaines
francophones dans le processus d’intégration sociale et citoyenne des nouveaux arrivants
d’origine africaine dans la région d’Edmonton, en Alberta. On s’attarde ici au contexte, à la
problématique, aux objectifs et aux orientations méthodologiques du projet en question.
Les Églises chrétiennes africaines
francophones de la région
d’Edmonton et l’intégration
sociale et citoyenne des
nouveaux arrivants*
PAULIN MULATRIS
University of Alberta, Campus Saint-Jean
L’immigration francophone africaine en Alberta
est un phénomène relativement récent. Cependant, entre 1996 et 2001, près de 24 % des
francophones arrivés en Alberta étaient d’origine
africaine1. Bien qu’on n’ait pas encore accès à
l’ensemble des données du Recensement de 2006,
tout semble indiquer que la proportion d’immigrants francophones africains installés en Alberta
a augmenté. À l’échelle nationale, 10,6 % des
nouveaux arrivants au Canada étaient d’origine
africaine, soit près de 2 % de plus qu’en 2001
(8,3 %). Les villes de Calgary, d’Edmonton et, dans
une moindre mesure, de Fort McMurray et de
Brooks, sont les principaux lieux d’établissement
de ces immigrants.
Dans chacune de ces villes, afin de faire face
à un processus d’adaptation souvent difficile et
à l’insuffisance des structures d’accueil, ces
nouveaux arrivants, pour la plupart chrétiens,
*
1
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Cette recherche bénéficie du financement du Centre Metropolis
des Prairies (2008-2009).
Voir <http://franco.ca/atlas/francophonie/francais/impre.
cfm?Id=1>.
Nos diverses cités
organisent des associations communautaires,
parmi lesquelles figurent des Églises chrétiennes.
En quelques années, sous des confessions
diverses, une quarantaine d’Églises chrétiennes
africaines ont vu le jour en Alberta et sont
devenues les principaux lieux de rassemblement
hebdomadaire et de foisonnement des cultures
africaines. Ainsi, chaque fin de semaine, les
membres de la congrégation ont l’occasion de
se replonger dans leur milieu d’origine (chants,
langues, valeurs, etc.) avant de retrouver, le lundi
matin, les préoccupations liées à l’immigration
(travail, études, etc.). Quelles sont les conséquences de ce va-et-vient entre deux mondes ?
Orientations théoriques
Deux approches émergent des études portant sur
ce phénomène des Églises chrétiennes africaines.
La première approche met l’accent sur les
caractéristiques culturelles des sociétés africaines
(Stamm, 1995) pour expliquer la place de la religion dans ce contexte. Eboussi-Boulaga (1977),
par exemple, note que les sociétés africaines
présentent une organisation sacrale fondée sur
TABLEAU 1
Églises chrétiennes africaines établies en Alberta
Christian City Multicultural Church of Calgary
Cité de réveil spirituel
Deeper Life Bible Church
Église source de vie
Fellowship Christian Reformed Church
Église francophone de Brooks
Jerusalem City Church
Le Corps du Christ
Life of Faith Christian Church of Calgary
Penuel Christian Assembly
Restoration and Victory International Ministries
Shiloh Baptist Church
The Kingdom Citizen Ministry International
Victoria Church
Zion Temple Celebration Centre
Ville
Nombre de membresa
Calgary
Calgary
Edmonton
Edmonton
Edmonton
Brooks
Edmonton
Edmonton
Calgary
Edmonton
Edmonton
Edmonton
Red Deer
Edmonton
Edmonton
50-60
90-100
65-70
15-25
87
130-135
40-50
200-250
20-25
45-50
110-120
30-40
25-30
65
a
Estimations non vérifiées, fournies par les responsables de ces institutions.
Source : Données d’une enquête exploratoire.
l’origine. Dans ce type d’organisation, la religion
joue un rôle déterminant. La deuxième approche
relève des études développées dans le contexte des
sociétés d’immigration. Ces études considèrent
l’établissement des Églises chrétiennes nationalistes comme une réponse au besoin d’adaptation
des immigrants à leur nouveau milieu de vie
(Thompson, 1988). Selon Bowlby (2003), ces
rassemblements religieux sont les premiers lieux
de ressourcement pendant la période d’adaptation
à la société canadienne. Il semble que le rôle
crucial des groupements chrétiens est de contribuer au bien-être psychologique, spirituel et social
des immigrants, comme ce fut le cas pour les
premiers pionniers venus d’Europe (Bramadat
et Seljak, 2008). Ils fournissent un ancrage
aux personnes qui entreprennent un processus
d’établissement dans un pays étranger.
Plusieurs nouveaux arrivants considèrent
l’Église comme l’institution la plus accueillante et
offrant le plus grand soutien. Dans ce contexte,
des solidarités actives et quotidiennes se développent (Menjivar, 2003). L’homogénéité culturelle
retrouvée dans ces Églises se construit autour
de la langue, des valeurs, des traditions et des
croyances partagées. Les membres considèrent
que la religion est une composante primordiale de
leur identité. Parce que la langue utilisée dans
ces Églises ethniques reste celle du pays d’origine,
on constate un taux élevé de rétention de la
langue maternelle, élément central de l’identité
ethnique et de la cohésion culturelle (Leblanc,
2002; Meintel, 2003). S’ensuit alors une quête
d’équilibre entre, d’un côté, les liens avec la
communauté d’origine et, de l’autre, l’effort
d’intégration (Van Kaam, 1967). Le besoin
d’ouverture aux membres ne parlant pas ces
langues ancestrales – principalement ceux de la
seconde ou de la troisième génération – justifierait
un changement quant aux langues utilisées.
D’après Bramadat et Seljak (2008), l’accent mis
sur la culture d’origine disparaîtrait au fil des ans.
Les valeurs, traditions ou croyances véhiculées par
ces Églises évolueraient au gré des changements
générationnels, et s’aligneraient graduellement
sur celles de la société canadienne dominante.
Cet espoir de voir les paroissiens adopter les
valeurs dominantes de la société canadienne
contraste avec les remarques de Mol (1961) et
Barnouw (1937), qui perçoivent l’attachement à
ces Églises chrétiennes nationales comme une
entrave à la démarche d’intégration sociale et
citoyenne. Selon Mol (1979), moins un groupe
d’immigrants est intégré, plus ces nouvelles
communautés religieuses auraient tendance à
s’isoler de la société. À la lumière du récent
débat sur les accommodements raisonnables au
Québec, ce constat confirme le besoin de s’interroger sur le rôle des Églises nationales dans le
processus d’intégration sociale et citoyenne de
leurs membres.
Cette préoccupation apparemment théorique
rejoint un souci de plusieurs organismes francophones d’Edmonton qui œuvrent dans le milieu
de l’intégration sociale des nouveaux arrivants
francophones (Association multiculturelle franco-
Nos diverses cités
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phone de l’Alberta, Alliance jeunesse famille de
l’Alberta Society, Centre d’accueil et d’établissement, Fédération des parents francophones de
l’Alberta). En effet, dans une enquête récente
réalisée à la demande de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), 68,1 %
des répondants estimaient que les Églises
des communautés francophones immigrantes
pouvaient jouer un rôle dans l’intégration
sociale des immigrants en Alberta (ACFA, 2008).
Schéma de recherche
Même si ces organismes réclament une participation accrue des Églises dans les activités
relatives à l’accueil et à l’établissement des
nouveaux arrivants, deux préoccupations doivent
être prises en compte. La première est liée à la
société canadienne où, selon Bramadat et Seljak
(2008), les valeurs chrétiennes, bien que non
négligeables, ne déterminent cependant pas les
rapports sociaux publics. La deuxième porte sur le
rôle et les impacts précis de ces Églises chrétiennes
nationales qui n’ont, à ce jour, reçu aucune
attention particulière dans les études consacrées
aux phénomènes religieux. Cette double préoccupation de la recherche permet de se concentrer
sur quatre objectifs précis :
• Répertorier et documenter les Églises chrétiennes africaines francophones en Alberta;
• Faire ressortir le rôle que jouent ces Églises et
leurs répercussions sur la société;
• Établir les perspectives des adeptes de ces
Églises chrétiennes par rapport à la société
d’accueil canadienne et albertaine et connaître
leur influence sur le projet d’intégration
citoyenne;
• Mesurer, à l’aide d’indicateurs d’intégration
sociale, le degré d’ouverture de ces Églises et
de leurs adeptes face aux valeurs de la société
d’accueil canadienne.
Le caractère exploratoire de cette recherche et la
particularité de la population cible imposent de
faire des choix méthodologiques adaptés. Afin
de réduire le champ d’investigation permettant
de bien circonscrire la recherche, seules deux
des plus anciennes Églises chrétiennes africaines
d’Edmonton seront étudiées : Jerusalem City
Church et Shiloh Baptist Church. Une perspective
propre aux immigrants africains francophones
membres de ces Églises sera privilégiée.
Ainsi, pour éviter toute analyse disjointe de
100
Nos diverses cités
l’expérience immigrante, les théories antiracistes
(Dei, 1993; James, 1996) fourniront une base
pour effectuer un examen critique de la manière
dont les différences sociales (langue, religion,
race, etc. interfèrent dans le développement de
ces Églises. Suivant la théorie féministe noire
(Davis, 1981), ces éléments (religion, race,
langue, valeurs, etc.) seront analysés dans
leur intersectionnalité. Ces justifications de la
démarche entraînent le recours à des stratégies
complémentaires :
• Des entrevues avec des paroissiens et des
dirigeants de deux Églises chrétiennes
africaines d’Edmonton;
• Quelques observations participantes (lors des
réunions de ces Églises);
• Un groupe de discussion;
• Une analyse des documents publiés par
ces Églises.
Conclusion
Il est difficile, pour une recherche en développement, de proposer des remarques finales.
L’accueil et l’inclusion des nouveaux arrivants
sont des démarches complexes qui touchent
plusieurs aspects de la vie. Le caractère public
des institutions canadiennes d’accueil a tendance
à reléguer au second plan les préoccupations
spirituelles du nouvel arrivant africain. Pourtant,
le quotidien de ce dernier et le sentiment
d’appartenance à sa culture d’origine laissent
entendre que ces aspects spirituels peuvent
jouer un rôle déterminant dans son processus
d’arrimage à la société canadienne. Ainsi, aux
pourvoyeurs de services matériels se juxtaposent
des pourvoyeurs de services spirituels, dont le rôle
et les effets sont méconnus. Dans le contexte
d’une immigration francophone africaine en
croissance et en mal d’intégration, ces rôles
apparemment marginaux peuvent devenir
des clés pour comprendre les obstacles auxquels
fait face le nouvel arrivant et la façon de les
surmonter. Ce sont ces clés de lecture que cette
étude pilote tentera de mettre à jour.
À propos de l’auteur
PAULIN MULATRIS est professeur adjoint de sociologie et
de philosophie au campus Saint-Jean de la University of
Alberta. Ses recherches portent sur l’immigration dans
les communautés francophones en situation minoritaire,
particulièrement en Alberta. Il a été membre du Conseil
d’administration de l’Association canadienne-française de
l’Alberta (ACFA) et du Comité stratégique pour l’immigration.
Références
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Thompson, E. P. 1988, La formation de la classe ouvrière
anglaise, Paris, Éditions du Seuil.
Van Kaam, A. 1967. Religion et personnalité, Mulhouse,
Éditions Salvator.
L’Immigration et
les intersections de la diversité
Numéro thématique de Thèmes canadiens / Canadian Issues
C
e numéro de Thèmes canadiens / Canadian Issues porte sur
l’immigration et les intersections de la diversité. Publié sous la
direction de Myer Siemiatycki, responsable du programme de
maîtrise en immigration à la Ryerson University, il propose 25 articles
rédigés par des chercheurs, des responsables des politiques et des
organisations non gouvernementales, et portant sur l’hétérogénité
de l’expérience de l’immigration au Canada. Le numéro comprend
également trois articles sur le sans-abrisme et l’immigration.
Printemps 2005
Directeur invité : Myer Siemiatycki (Ryerson University)
Pour obtenir un exemplaire en français ou en anglais : <[email protected]>
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