Quand l™homme devient une machine : de victime à bourreau Œ

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Quand l™homme devient une machine : de victime à bourreau Œ
Quand l’homme devient une machine : de victime à
bourreau
ESSAI D'ÉMILIE MALENFANT, UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE
novembre 9, 2012
Résumé
Les quelques spécialistes de la violence de guerre soulignent la réticence si
répandue face au choix de la violence de guerre comme objet d’étude. Pourtant,
cette étude ainsi que celle de la mort en contexte de guerre permettent d’atteindre
des spécificités inaccessibles autrement. Au front, l’homme est à la fois ennemi et
partenaire, tueur et tué; victime et bourreau. L’analyse de cette double identité a été
mise de côté par l’historiographie laissant place, au nom de la conscience
mémorielle, au souvenir du soldat victime plutôt qu’agent de souffrance. La
coexistence, à l’intérieur du soldat, d’une dualité de victime et de bourreau, n’est
pas homogène chez tous les combattants et l’étude de cette dernière permet d’en
établir les spécificités, les récurrences et les dissemblances.
Introduction
Dans 14-18, retrouver la Guerre(2000), Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette
Becker, spécialistes de la culture de guerre, soulignent la réticence si répandue
face au choix de la violence de guerre comme objet d’étude. Une réticence qui,
affirment-ils, constitue une erreur, « car la violence spécifique de la guerre est un
prisme qui réfracte bien des choses invisibles autrement, […] dans le paroxysme de
violence, en effet, tout est à nu […] »1. La mort, question indissociable à celle de la
violence, trouve aussi écho dans l’étude de la violence de guerre qui, lors des
quatre années et demie de la Grande Guerre, tue plus que jamais auparavant. Les «
représentations » des soldats au front, c’est-à-dire leurs conceptions personnelles,
se reflètent « à travers le sens qu’ils attribuent à la violence de guerre, à travers le
résultat qu’ils en escomptent, à travers les motivations qui leur permettent de tuer
leurs semblables et d’endurer la terreur de l’affrontement »2.
Au front, l’homme est à la fois ennemi et partenaire, chasseur et cible, traqueur et
traqué, tueur et tué; victime et bourreau. Cette double identité, la plupart du temps
indissociable, celle d’une coexistence individuelle inévitable de la vie et de la mort,
a toutefois été mise de côté par l’historiographie laissant place, au nom de la
conscience mémorielle, au souvenir du soldat victime plutôt qu’agent de souffrance.
Seuls certains spécialistes, dont Audoin-Rouzeau et Becker, précédés par le
Britannique John Keegan qui propose, enfin, une anthropologie du combat, se
penchent sur la question. Sans compter que « dans la masse de documents écrits
par un même soldat. La plupart du temps, on ne trouve pas une ligne qui mentionne
le fait de tuer »3. Le manque de ressources rend ardue cette recherche historique,
mais n’en réduit toutefois pas son importance. C’est ainsi que dans la tendance
historique qui se dessine, celle de l’histoire culturelle, certains ouvrages ont été
publiés sur le sujet au cours des dernières années. Outre 14-18, retrouver la Guerre
(2000) :Combattre et mourir pendant la Grande Guerre 1914-1925( 2001) de
Thierry Hardier et Jean-François Jagielski, il y eut égalementLes fables du deuil : la
grande guerre : mort et écriture(2001) de Carine Trevisan, La violence de guerre
1914-1918(2002) d’Audoin-Rouzeau et Becker (dir.), entre autres, en plus de la
publication de nombreux carnets, lettres et journaux de guerre.
Les interrogations que soulève cette coexistence interne et externe de l’homme
avec la mort sont nombreuses. Le soldat au front est à la fois témoin oculaire,
acteur et victime de la violence de guerre qui résulte, plus que jamais, en un atroce
bilan du nombre de morts. Face à cette dualité de l’homme victime et de l’homme
bourreau, il est pertinent de les dissocier un instant pour mieux saisir l’essence
particulière de chacune des situations, en gardant toutefois en tête cette cruelle
coexistence. Quelques hypothèses ont été avancées par certains auteurs pour
expliquer ce phénomène et ainsi tendre à répondre à ces interrogations. Il convient
donc d’analyser à la fois ces hypothèses et les sources primaires, tels que les
journaux de tranchées, les carnets de guerre et les lettres de combattants afin de
découvrir, dans un premier temps, la situation de l’homme victime, et dans un
second temps, celui de l’homme bourreau à travers leurs « représentations ». Il s’agit
là d’une entreprise originale puisque quasi absente de l’historiographie.
L’homme victime
Bilan
La Première Guerre mondiale tue énormément et rapidement. Déjà, en 1914, il
apparait que le conflit présente une violence jamais atteinte auparavant. Les
pratiques militaires sont brutales dès le début des hostilités et la perte d’hommes
est vivement ressentie. Il apparaît alors que ce conflit, bien différent des
précédents, allait avoir des conséquences à la mesure de son déroulement. Le
nombre d’hommes tués durant la Première Guerre mondiale oscille entre 8,5 et 10
millions, en plus des 20 millions de blessés4. Au niveau des pertes de soldats,
l’Allemagne, la Russie et la France sont les plus touchées avec respectivement 2
040 000, 1 800 000 et 1 390 000 militaires tués. Ces chiffres, appuyés par une
autre statistique, témoignent de leur gravité : en moyenne, près de 900 Français et
1300 Allemands sont morts chaque jour entre 1914 et 19185.
Le front, lieu de mort
L’enthousiasme avec lequel les troupes s’engagent dans le conflit révèle une
certaine inconscience des soldats face à ce qui les attend au front : « Nous sommes
arrivés ici hier à 9h30 et, après le dîner, nous avons gagné la ligne des forts. Le
moral est bon, extraordinairement bon […] »6. Si bien que, dans le discours de
certains, la ligne de feu, qui leur est souvent inconnue, représente une réalité où les
hommes peuvent se réaliser. « Ah! Combien la vie nous semblait incomparablement
plus belle, maintenant qu’à nouveau la mort nous menaçait de plus près […] »7, cite
Évelyne Desbois dans son article Vivement la guerre qu’on se tue!(1992). Face à
cette insouciance, qui tend à disparaître au fil des combats, le premier conflit
mondial représente une mutation majeure des façons de mourir à la guerre. Ainsi,
non seulement le nombre de morts augmente-t-il considérablement, mais les
causes et les circonstances de la mort suivent la même tendance. En plus des
armes classiques telles que les couteaux, les baïonnettes et les armes déjà
connues dont l’efficacité meurtrière croît sans cesse, telles que les fusils, les
mitrailleuses et les grenades, s’ajoutent des armes nouvelles : avions de chasse et
avions de bombardement, lance-flammes, gaz, chars d’assaut et mines revues et
corrigées8. Si les instruments de guerre augmentent en nombre et en efficacité, les
circonstances de mort aussi. Le soldat meurt dorénavant dans les tranchées
boueuses, dans leno man’s land ou à l’arrière. La mort peut être immédiate ou alors
lente et atroce après une longue agonie suite à une blessure mortelle. Dorénavant,
la mort peut survenir dans les airs, sur terre, sous terre, sur mer ou sous la mer.
Elle peut aussi surprendre lors d’un mouvement héroïque ou d’une manière moins
glorieuse et accidentelle. « Échapper au feu devient une simple question de chance,
compte tenu de l’intensité nouvelle de celui-ci et de la largeur du terrain balayé par
les balles, les obus, les gaz. Les hommes, même enfouis dans le sol, avaient moins
d’issue que jamais »9. Malgré l’intensité de la mort qui revêt des formes différentes
entre 1914 et 1918 et sa présence massive dans les tranchées, elle ne redevient
pas une « mort apprivoisée »
10 comme lors de l’Antiquité.
La perception de la mort qui évolue au fil du conflit semble s’articuler autour de trois
axes11 : la nature du « percevant » (la fonction du combattant à la guerre et sa
proximité de la ligne de feu), la géographie de la mort (près ou éloignée des zones
de combats; au front ou à l’arrière) et la chronologie. Ce dernier élément, celui de la
chronologie, pèse très lourd dans l’évolution de la perception de la mort chez les
militaires. Le passage de la guerre de mouvement à celle de position semble effriter
significativement la logique du combat. La guerre de mouvement semble posséder
une certaine logique puisqu’elle permet, malgré les affrontements et les morts,
d’avancer ou de reculer; elle entretient l’espoir du gain. Avec l’entrée en guerre de
position, la mort prend toute sa dimension tragique. Les militaires prennent
conscience que les pertes humaines s’accumulent alors que la position du front
demeure stable. « Désormais, les vivants apprendront à vivre au quotidien avec leurs
morts ou ceux de l’ennemi »12. En 1914, Romain Rolland écrit : « Cette vie de
tranchée est effroyable : on vit sur les cadavres. […] les deux lignes ennemies sont
infranchissables »13, alors qu’en juin 1915, Paul Truffau écrit : « Par endroits, il faut
ramper, sous la toiture éboulée, contre les cadavres couverts de mouches vertes, et
entassés au milieu des équipements et des armes. Un décapité est assis au milieu
du passage […] »14.
Prise de conscience et peur
Les difficiles conditions d’hygiène dans les tranchées provoquent une prise de
conscience chez les soldats. Cette situation ardue et exigeante sur les plans moral
et physique les confronte à leur nouvelle vie quasi quotidienne.
Quelle vie! La boue, la terre, la pluie. On en est saturé, teint, pétri. On trouve de la terre
partout, dans ses poches, dans son mouchoir, dans ses habits, dans ce qu’on mange.
C’est comme une hantise, un cauchemar de terre et de boue, […] mon fusil a l’air d’être
vaguement sculpté dans la terre glaise.15
Le bruit lourd des obus, les odeurs de putréfaction et d’excréments et la fatigue
insoutenable ajoutent à la misère de cette existence. Le 31 mars 1916, un Poilu
écrit : « Mes bons chers parents, ma bonne petite sœur, il me devient de plus en plus
difficile de vous écrire. Il ne reste pas un moment de libre. Nuit et jour il faut être au
travail ou au créneau. De repos jamais.»16 Mais, véritablement, c’est l’expérience
de la mort quotidienne, celle des camarades ou la sienne, qui hante les pensées et
avive la fatigue psychologique. « La cohabitation avec les cadavres n’est pas faite
pour affaiblir la perception du danger »17, confirme Évelyne Desbois. Rapidement,
les hommes doivent composer avec la dualité de la vie et de la mort qui se
matérialise sous leurs yeux, provoquant chez eux, l’éveil d’un sentiment saisissant :
la peur.
Notamment à cause de la censure étatique, mais aussi de l’auto-censure, les écrits
personnels des combattants ne relatent que très rarement ce sentiment, laissant
place à l’espoir et à la foi, comme si la peur ne pouvait être acceptée en terrain de
guerre. Ainsi, Roland Dorgelès écrit le 5 novembre 1914 : « […] Sincèrement, je n’ai
jamais eu peur, mais je n’ai jamais eu de crainte. Je ne me sentais [à la ligne de
feu] aucunement menacé »18. La foi en Dieu et envers la patrie permet aux
hommes de tenir le coup. Il semble que le glissement du sentiment de terreur vers
celui de l’espoir soit assez rapide, peut-être afin de se protéger psychologiquement.
« Ici, la foi qui n’était que tiède chez beaucoup s’est avivée : officiers et soldats
jettent leurs regards vers le ciel »19, écrit C. Vallat, un Poilu. Tué le 16 avril 1917, le
lieutenant Déchâtre, alors à la tête de la 1re Compagnie de mitrailleuses du 31e
régiment d’infanterie, écrit une lettre à sa mère, quatre jours avant son décès :
Chère mère, À la veille de partir à l’attaque, je désire te faire mes adieux. Je pars plein
de confiance dans mon idée que cette attaque doit réussir; il se peut que j’y laisse mes
os; ce sera, en somme, la mort du vieux soldat que je suis. Je souhaite que ma mort soit
utile à mon Pays. Je ne désire qu’une chose : savoir que tous les sacrifices des Poilus ne
seront pas vains; que nos parlementaires, en signant la paix, auront présents à la
mémoire nos sacrifices et nos souffrances et ne saliront pas nos mémoires en acceptant
une paix honteuse pour la France. Adieu, petite mère, excuse et pardonne si quelques
fois j’ai pu te faire de la peine. Que la volonté de Dieu s’accomplisse. Je t’embrasse bien
fort.
— Octave
Malgré tout, le sentiment naturel de la peur est parfois évoqué : « Nos visages sont
livides sous la couche de poussières qui les recouvre; nous sommes pourtant
familiarisés avec la mort, […] nous avons une peine inouïe à dominer la sensation
hideuse qui vient de nous étreindre brutalement et qui ressemble fort à ce qu’on
appelle la Peur »20. Tourmentés par cette crainte de mourir, les hommes doivent
vivre en compagnie des cadavres de leurs camarades et de leurs ennemis, ce qui
les anéantit encore davantage et les dégoûte inévitablement :
Des hommes aux visages blêmes grouillent sur les parois visqueuses, avec des gestes
sans contours, des rampements de lémures ou de larves. […] Sous sa main quelque
chose vient de glisser, […] je regarde de près l’aspect réel de la viande d’homme, on ne
pourrait la reconnaître à rien, si l’on ne savait que « ça en est ».21
La mort devenant si fréquente et intime, l’acceptation de celle-ci semble prendre le
dessus dans la majorité des esprits. Les soldats s’en remettent au hasard de Dieu
et acceptent avec fatalisme leur nouvelle réalité. Ainsi s’entrecroisent les moments
de peur et les moments de plénitudes où les combattants réalisent la valeur de leur
vie. À chaque menace, ils doivent fournir les efforts nécessaires à leur survie et par
conséquent, assurer leur victoire. Ainsi, le contexte de guerre des tranchées,
surtout dans les secteurs de grande proximité des lignes ennemies, entraîne une
attitude de combat rappelant explicitement la loi du Talion. Face à l’ennemi, il ne
peut y avoir qu’un survivant, s’impose alors le choix : tuer ou être tué? Or, le
paradoxe de la mort opposant le meurtre et le risque de mort, présente une fatalité :
« pour tuer, il faut risquer d’être tué »
22. En contexte de guerre, le risque de mort se
présente davantage comme une mort subie aveuglément du fait, principalement, de
l’exaltation animale du combat. Au front, les instincts de protection individuelle
échouent souvent face aux forces du désir d’autodéterminer l’issue de la lutte. Sous
la pression de la peur, le déserteur refuse le combat, alors que le combattant qui ne
veut pas être un lâche risque sa vie pour éliminer celle d’un autre. S’impose alors
les questions de la capacité de tuer et des motifs de cette action indélébile.
L’homme bourreau
Le portrait de l’Autre à travers les passions nationalistes
Dans toute l’Europe du XIXe siècle, des vieux États-nations aux jeunes nationalités
à peine « réveillées », les programmes se multiplient qui tendent à inculquer un
sentiment d’appartenance à une langue, à une histoire, à une « nation » commune
23.
Dans la plupart des États, la population conquiert l’alphabétisation en même temps
que la nation, et en ce sens l’effort scolaire et la nationalisation sont imbriqués.
C’est par l’enseignement de la langue nationale, encore très souvent méconnue par
la masse populaire dans la seconde moitié du XIXe siècle, que se dessine et se
propage la culture « nationale », que ce soit la littérature, l’iconographie ou le
symbolisme. Dans plusieurs cas, le sentiment d’appartenance s’acquiert par la
lecture et l’imaginaire qui s’y rattache, permettant à la population d’être en contact
e
avec les gloires et les valeurs « nationales » véhiculées par la littérature. « Le XIX
siècle est celui des grandes histoires nationales, en plusieurs volumes […] »24, qui
permettent non seulement la construction en masse d’une identité nationale, mais
aussi la différenciation avec l’Autre. L’Autre apparaît alors comme nocif, menaçant
et hostile; les nations sont sur leurs gardes. Pour les futurs alliés, l’Allemagne en
pleine expansion industrielle et démographique, avide de territoires et de marchés,
représente une menace. En Allemagne, dans Notre politique extérieure25
publiée en 1912, Albrecht Wirth, privat-docent à l’Université de Munich, propage
l’idée d’une Allemagne encerclée d’États hostiles, à l’exception de l’AutricheHongrie. En 1914, Ernst zu Reventlow, rassemblant ses articles dans un colligé
qu’il intitule La politique extérieure de l’Allemagne26, dénonce l’hostilité de
l’Angleterre qui interdit toute initiative au Reich. Déjà, en 1906, Klaus Wagner, un
juriste de profession, proclamait dans son essaiGuerre: « La guerre est le seul
jugement équitable; elle est sélection naturelle dans laquelle les peuples
germaniques parfaits triomphent des peuples de médiocre valeur […] »27. La guerre
apparaît de plus en plus inévitable depuis le début du XXesiècle et lorsqu’elle
s’entame, c’est avec une grande méfiance et parfois même une haine envers
l’ennemi que les troupes partent au front dans l’espoir ou la certitude d’écraser cet
ennemi nuisible à la grandeur de leur nation.
Rapidement, une image et un vocabulaire se constituent pour définir l’Autre,
notamment entre les Français et les Allemands, ennemis avoués depuis la guerre
de 1870. Dans un journal de tranchées français, Le Gafouilleur, il est écrit :
Voilà bientôt deux ans qu’il habite en face de chez nous et pourtant nous ne savons à peu
près rien sur son compte. Quand cet étranger vint s’installer dans le pays, sa mauvaise
réputation l’avait précédé. Depuis, ce que nous avons pu connaître de ses mœurs et de
ses habitudes ne nous donne pas bien haute opinion de sa personne. Quelques-uns
l’appellent casse-noisettes, ou encore marron glacé, mais il répond plus généralement
au nom de Fritz. […] C’est un gourmand […] C’est un sauvage. Il ne se montre jamais
pendant le jour. […] Quelques-uns se vantent d’avoir aperçu sa grosse tête ronde aux
cheveux roux […] Le plus souvent, il demeure caché. […] il a l’habitude de se promener
toutes les nuits. C’est un noctambule, toujours en vadrouille. Nous en avons conclu que
ses mœurs étaient légères. Il manque d’éducation […].28
Plus souvent, l’Allemand est surnommé Boche, surnom existant dans le langage
populaire d’avant-guerre. Selon Maurice Donnay de l’Académie française29, il
s’agirait de l’abréviation de la contraction de Allemandetcaboche, donnant Alboche.
Le motif de cette contraction étant de désigner les Allemands comme des gens à la
tête carrée et dure. DansLe Pays de France, un journal de tranchées datant du 15
novembre 1917, il est écrit : « C’est l’adversaire auquel on ne peut serrer la main
après le match. […] s’il est un rude ennemi, il n’est pas magnanime. Il ne
comprendra jamais l’esprit chevaleresque du Franzman, son voisin de tranchée »30.
C’est donc en nommant l’adversaire, en le réduisant à une définition et à un
vocabulaire, qu’on lui inflige la première violence.
Dans la mentalité allemande, la haine de l’Autre repose sur un double sentiment
d’injustice, celui de voir son épanouissement retenu par les autres grandes
puissances et son orgueil exalté. Croyant porter l’avenir du monde en elle, la nation
allemande croit devoir développer son dynamisme au-delà se ses frontières. L’idée
d’appartenir à une race supérieure discrédite alors tout mérite de l’Autre
apparaissant comme une race inférieure et passive. Woltmann, inspiré par Vacher
de Lapouge, théoricien de la race d’origine française, explique la dégénérescence
de la nation française par « l’extinction des éléments germaniques 31
» en elle.
Posant souvent une vision stéréotypée des Français, les Allemands les perçoivent
aussi, souvent, comme efféminés.
La déshumanisation de l’Autre : animalisation
Quand l’adversaire est un gibier
S’il est possible de restreindre l’Autre à des termes précis, il est aussi possible de le
réduire à une représentation animale. En effet, c’est par l’utilisation répétée et
régulière d’une animalisation sémantique que se cristallise l’idée d’un ennemi réduit
à l’état animal. S’appuyant d’abord sur la violation de la neutralité belge par les
Allemands, « l’équation « Allemand » égal « sauvage » est mise en place dans les pays
de l’Entente […] dès l’été 1914 »32. S’en suit alors une radicalisation des sentiments
xénophobes à l’égard de ceux dont l’on dénonce la barbarie. Dans son article
L’œil du chasseur(2003), André Loez avance l’idée d’une animalisation de l’Autre,
dans le cadre d’une continuité des pratiques de la chasse du temps de paix, au
contexte de guerre. Par cette animalisation, l’ennemi devient une proie, une cible.
Loez écrit : « Dans les gestes précis du chasseur qui repère et abat son gibier dans
la tranchée adverse, on peut lire à la fois la nouveauté radicale que constituent
l’animalisation de l’adversaire et la levée de l’interdit sur le meurtre, ainsi que la
grande continuité des actes avec des habitudes d’avant-guerre »33. La
transformation de l’Autre en sauvage est explicite dans les termes employés au
front; les Allemands sont fréquemment nommés singes ou cochons34. Loez cite
Genevoix, un poilu : « J’avance de quelque pas, debout, sans précaution. Je parie
que ces cochons-là se coulent dans leurs fourrés, et qu’ils vont nous tomber dessus
à vingt mètres. […] Je te vois, toi, rat vert, derrière ce gros arbre, et toi aussi à
gauche; ton uniforme est plus terne que les feuilles »35.
L’emploi du terme “gibier” et l’évidente utilisation des gestes de la chasse aux
tranchées, tels que l’affût, l’attente, la précision, le silence et le tir confirment la
banalisation du geste meurtrier. Chez les soldats, « les gestes de la chasse sont une
manière de retrouver une fierté de guerrier, à travers leur habileté de viser »36,
souligne Loez. Les soldats, derrière la neutralité de ces pratiques, en viennent à
banaliser l’acte de tuer. Devenant une simple action routinière, les tirs sur l’ennemi
donnent parfois lieu à une compétition entre tireurs. Le tableau de chasse devenant
garant de fierté, la violence des actions s’estompe dans l’organisation de l’activité
de chasse et l’entrain qu’elle provoque. Dans ses Souvenirs de Guerre(1952), Alain
écrit : « Je veux que l’on sache qu’il n’y a aucune méchanceté dans ces jeux-là.
L’ardeur de la chasse y fait tout »37. Pourtant, il apparaît évident, selon certains
écrits, que plusieurs hommes désirent la violence et ressentent un plaisir à l’acte
meurtrier.
L’homme à l’affût : le plaisir de tuer
Face à la mort, le cheminement moral des combattants présente une évolution
particulière : de la peur à l’acceptation, puis à la banalisation et pour certains, au
plaisir de tuer. Le phénomène du plaisir qu’éprouvent certains soldats à tuer
l’ennemi, s’explique par plusieurs facteurs. Ceux-ci seront ici divisés en deux
catégories : les facteurs internes au combattant et les facteurs qui lui sont externes.
Facteurs internes
La réalité des tranchées, au-delà des horreurs qu’elle présente, constitue une vision
particulière : le paysage d’un champ de bataille où la visibilité est telle que les
soldats vivent dans leurs tranchées souvent sans apercevoir un mouvement
pendant une très longue période de temps. De là « l’intense plaisir visuel à voir enfin
un ennemi, une cible [...] »38, souligne Loez. Cette vision stimulante amène les
soldats à comprendre de manière plus concrète leur rôle et la réalité de la guerre,
car ils matérialisent l’ennemi. Il appartient ensuite au soldat de faire de cette
situation un enfer ou un lieu de bravoure. Ainsi, la nature même de l’homme en tant
qu’individu joue un rôle dans la décision qu’il prend face à cette situation, mais c’est
pour diverses raisons que les valeurs morales du temps de paix semblent s’effacer
au profit des valeurs guerrières. Évelyne Desbois, dans son article Vivement la
guerre qu’on se tue!(1992) écrit que pour les soldats : « […] cette ligne [la ligne de
feu] […] a tous les attributs d’une Terre promise où l’homme enfin se réalise »39.
L’attente dans les tranchées est parfois longue et les soldats sont impatients de se
battre. Robert Hertz, le 28 août 1914 écrit à sa femme : « Je t’écris du fond de ma
tranchée, dans les bois. Nous attendons, nous attendons, comme depuis bientôt
quatre semaines. Vont-ils venir par ici? Verrons-nous les uhlans? Aurons-nous
l’occasion de nous servir de nos fusils et d’éprouver notre courage? […] »40 . La
bravoure, en effet, est l’un des motifs des soldats à commettre l’acte meurtrier sans
remords. C’est en prouvant son habileté et son talent de tireur que le soldat trouve
sa place dans le contexte de guerre. Il prouve alors à lui-même et aux autres qu’il
est un élément essentiel à la patrie et que c’est grâce à son courage qu’elle
remportera victoire. Aussi, l’instinct de compétition, tel que décrit par Loez, banalise
l’acte pour en faire un élément de fierté; celle de bien viser et d’atteindre sa cible.
C’est ainsi que le soldat prend plaisir à contrôler la situation grâce à son pouvoir de
tuer. Évelyne Desbois cite Jean Daguillon, sous-lieutenant dans l’artillerie alors âgé
de dix-huit ans en 1915 : « Quel plaisir d’être artilleur et de pouvoir faire une bouillie
de ces animaux-là! »41 Le plaisir ressenti est parfois assez explicite: « À ce momentlà, j’ai eu le fol espoir que nous étions attaqués, qu’il allait s’en suivre quelque
chose, et qu’enfin nous allions nous battre. J’ai serré contre moi mon fusil avec
amour »42. Enfin, le sentiment de toute-puissance ressentie en tirant sur l’ennemi
procure un sentiment de sécurité au soldat dont la réflexion réside en une simple
équation : il faut tuer pour survivre.
Facteurs externes
Le contexte de guerre est particulier : n’est-il pas un lieu de mort? Si Évelyne
Desbois écrit « Être soldat à la guerre, c’est d’abord être là pour tuer […] 43
» , il
apparaît que la levée de l’interdit sur le meurtre libère certains bas instincts.
Sigmund Freud dans Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort(1966)
confirme en effet que dans des circonstances exceptionnelles où les lois morales
du temps de paix sont abolies, l’homme peut laisser libre cours à ses pulsions
agressives les plus primitives44. L’ensauvagement de l’homme à la guerre causé
par la pratique de gestes cruels devenant habituels et parfois plaisants, qui auraient
été condamnés dans tout autre contexte, fait tomber toutes les barrières. Le soldat
laisse derrière lui ses valeurs, ses conceptions, ses idéaux et ses interdits. L’acte
de tuer n’est pas seulement considéré comme normal, il est encouragé. La
déclaration de guerre ouvre la chasse à l’homme et donc « les jeunes gens, non
seulement peuvent, mais doivent tuer »45. Ils doivent tuer notamment parce qu’on le
leur ordonne, mais, dans certains cas, la guerre devient une affaire personnelle et
les actes meurtriers devancent les ordres des supérieurs. Desbois cite Émile
Goubert qui tue pour son propre plaisir : « […] je n’ai qu’un plaisir, c’est quand
j’aperçois un Boche, je le vise bien et je ne le rate pas souvent »46. Non seulement
ces pratiques sont encouragées par les officiers, mais elles sont récompensées par
les institutions avec des médailles de bravoures. Entre aussi en ligne de compte le
devoir patriotique. L’homme devient une machine à tuer notamment parce qu’il est
conditionné par ce devoir que lui impose sa patrie. Les chants militaires patriotiques
démontrent bien cet engagement.Verdun, est un chant poilu, composé vers 19151916 :
Un aigle noir a plané sur la ville,
Il a juré d’être victorieux,
De tous côtés, les corbeaux se faufilent
Dans les sillons et dans les chemins creux.
Mais tout à coup, le coq gaulois claironne :
Cocorico, debout petits soldats !
Le soleil luit, partout le canon tonne,
Jeunes héros, voici le grand combat.
[…]
Halte là ! On ne passe pas… Plus de morgue, plus d’arrogance, Fuyez barbares et
laquais, C’est ici la porte de France, Et vous ne passerez jamais.
[…]
Les vils corbeaux devant l’âme française Tombent sanglants, c’est le dernier
combat Pendant que nous chantons la Marseillaise, Les assassins fuient devant les
soldats.47
Comme le soulève ce chant, le patriotisme de la Première Guerre mondiale est un
patriotisme défensif. « […] dans tous les camps, on se défend : on défend le sol de
sa patrie, on défend sa « civilisation», on défend sa famille 48
» , écrivent Stéphane
Audoin-Rouzeau et Annette Becker. Les soldats, persuadés d’être encerclés par
des nations hostiles menaçant l’existence de leur nation, se battent corps et âme.
Cette motivation hors du commun en vient parfois à conditionner les soldats au
point qu’ils prennent plaisir à effectuer leur besogne. Ce plaisir soulève la question
des valeurs et du consentement des soldats. Le sacrifice de soi et de ses valeurs
au nom de la patrie engage une certaine réflexion.
L’homme victime et l’homme bourreau : la coexistence d’une dualité
Valeurs et consentement : les réflexions du combattant
De tout temps, la guerre s’est payée chèrement en morts ainsi qu’en blessures
physiques et morales. Le 28 mars 1919, à son retour à Paris, Paul Truffau écrit : « La
vie reprend, les choses sont les mêmes, nous seuls avons changé… »49. En effet,
les conditions de vie et les tâches à effectuer au front en secouent plus d’un.
Romain Rolland écrit en 1914 : « Les tueries, incessantes, n’aboutissent à rien. Les
officiers les plus braves sont déprimés par l’horreur de leur besogne; ils plaignent
les Allemands, comme nous, et n’en disent aucun mal. Adieu, je suis anéanti. Je ne
sais pas ce que je trouverai en moi, quand je me reconnaîtrai »50. Le 18 avril 1915,
Marcel, un Poilu, écrit : « On se demande comment les hommes peuvent s’entre-tuer
par des journées aussi merveilleuses, où tous ne pensent qu’à vivre, […] on
regrette l’incurie de nos gouvernants qui sans empêcher cette guerre auraient pu
l’écourter, en nous préparant, et sauver ainsi combien de vies »51. Le soldat est
donc tiraillé entre ses valeurs personnelles du temps de paix et les nouvelles
valeurs guerrières qui s’imposent à lui. Il apparaît que le soldat, quoique
conditionné par la cause nationale, réfléchit sur son sort et sur les conséquences de
ses actes. Si certains ne font que se résoudre à l’exécution des ordres, puisqu’ils se
sentent investies d’une mission, d’autres sont confrontés à une prise de conscience
quant à leur consentement personnel de prendre part à cette guerre. Le 9 mai
1916, Fernand, un Poilu, écrit :
Il est inutile que vous cherchiez à me réconforter avec des histoires de patriotisme,
d’héroïsme ou choses semblables. Pauvres parents! Vous cherchez à me remettre en tête
mes illusions d’autrefois. Mais j’ai pressenti, j’ai vu et j’ai compris. Ici-bas tout n’est
que mensonge […] À présent je me fiche de tout, je récrimine, je tempête, mais dans le
fond cela m’est complètement égal.52
Le médecin Lucien Laby, quant à lui, voit dans la guerre une source de plaisir et
d’accomplissement : « Je serais tellement vexé d’arriver à la fin de la guerre sans
avoir tué un Prussien au moins […] Je ne démordrai pas et je mettrai
irrévocablement mon projet à exécution »53. Il est à se demander si ce désir lui
appartient et s’il se manifeste en contexte de guerre, ou si ce désir de violence est
inhérent au conflit. François Lagrange, dans son article « Les combattants de la «
mort certaine ». Les sens du sacrifice à l’horizon de la Grande Guerre » (2006),
soulève l’importance du sacrifice de soi dans la détermination du vainqueur de la
guerre. Serait-ce dire que les comportements violents sans remords et le mépris du
danger se justifient par l’inhibition de soi au profit de la cause nationale.
Sacrifice de soi
« […] que le moteur soit la religion ou le patriotisme (ils ne sont pas exclusifs l’un de
l’autre), la caractéristique d’une bonne troupe est son aptitude à aller au sacrifice
[…] La victoire va à l’armée préparée à l’effort le plus extrême, à celle qui compte le
plus de combattants prêts à sacrifier leur vie »54, écrit Lagrange. Ce sacrifice, c’est
celui d’être à la fois une victime et un bourreau, c’est d’être prêt à mourir et à tuer.
Sacrifier sa vie, c’est mettre de côté ses valeurs et ses ambitions, c’est de devenir
acteur d’un évènement hors de son contrôle et c’est de laisser son corps et son
âme être dirigés par une force externe. Mais, ce sacrifice est essentiel et dans une
mesure plus large, il détermine le vainqueur du combat. Au front, le soldat
s’abandonne au nom de la victoire de la patrie et en vient à développer une
seconde nature. Cette seconde nature, propre au contexte de guerre, lui permet
certainement de se distancier des actes subits et commis et ainsi lui permettre
d’entrevoir dans tout ce chaos un objectif, un but, une motivation. « La supériorité
morale donne la victoire, l’obtention de la première et de la seconde implique une
acceptation enthousiaste du sacrifice de soi »55, souligne Lagrange. Cet
enthousiasme est non seulement encouragé par le sens du devoir patriotique
inculqué par la nation, il est aussi nécessaire afin de passer à travers les épreuves
morales et psychologiques de la guerre. Le doute et la réticence témoignent d’une
faiblesse menaçant la victoire. La mobilisation des esprits dans la vision d’une
guerre civilisatrice, pour un monde meilleur, entraîne un sacrifice de soi quasi
naturel au nom de cette mission. Robert Hertz, au front, le 25 septembre 1914, écrit
:
Il me semble que la France ne peut plus être vaincue à cause de la victoire qu’elle a
remportée sur elle-même et de la foi qu’elle a retrouvée en soi. […] je vis dans l’espoir
d’une France renouvelée dans une Europe nouvelle. […] ce ne sera plus jamais la même
chose qu’avant la guerre, notre guerre.56
Toutefois, il semble que le soldat n’est pas une victime passive, ni un combattant
endoctriné, il est un homme désillusionné, mais habitué à exécuter ses tâches :
Au début, l’enthousiasme passait à travers les âmes. Maintenant [mars 1916]
tout s’est refroidi, et le devoir s’accomplit sans le vernis brillant que lui
donnait la jeunesse de la guerre. Les désillusions, la lassitude, la difficulté de
savoir comment cela finira pèsent sur tout. Il s’agit de tenir un quart d’heure
de plus…57
La coexistence, à l’intérieur du soldat, d’une dualité de victime et de bourreau, n’est
pas homogène chez tous les combattants. Chacun vit cette coexistence à sa
manière et selon sa propre représentation de la guerre. Chez l’un, la réalité de
victime est plus apparente et, chez l’autre, celle de bourreau l’est davantage.
Toutefois, dans tous les cas, chaque combattant évolue selon cette réalité :
l’homme au front est à la fois victime et bourreau, témoin et acteur de la Grande
Guerre. Par le sacrifice de soi, volontaire ou obligé, le combattant se libère en
quelque sorte de cette lourde dualité, car il abandonne son sort à la nation, au front,
à la guerre.
Conclusion
« Si la guerre est une expérience aussi marquante, dans la vie d’un homme, c’est
qu’elle est une mise à l’épreuve de soi-même; chacun se trouve tenu de faire ses
preuves, de juger de sa véritable valeur »58, écrit Antoine Prost dans Les anciens
combattants et la société française 1914-1939(1977). En effet, les combattants
découvrent en eux-mêmes une nouvelle nature : celle de l’homme au front. Cette
nouvelle nature, double dans sa composition (victime et bourreau), lui impose une
vision changée, non seulement de la vie et de la mort, mais aussi du courage et de
la fierté. Les valeurs du temps de paix revêtent de nouvelles formes dans la réalité
de la guerre. Le courage ne signifie plus d’affronter la peur, de la dominer et de la
vaincre, il s’agit plutôt de la capacité de vivre avec la peur et de ne pas se laisser
paralyser par elle. La fierté, quant à elle, si elle prend forme chez certains soldats
suite à des accomplissements guerriers, elle est davantage reliée au sentiment
personnel de ne pas être un lâche et d’avoir survécu. Le combattant évolue au fil du
conflit, il comprend rapidement que la guerre n’épargne personne et qu’il est,
comme tout le monde, une victime. Par conséquent, il comprend qu’il doit tuer pour
survivre et parce qu’il s’agit de la tâche qui lui est assignée au sein de l’entreprise
nationale qu’est celle de vaincre l’Autre.
Face à sa propre mort, le combattant est désarçonné. Il prend conscience de la
gravité de la situation et des éventuelles conséquences mortelles qu’elle implique.
Après avoir affronté la peur de mourir et avoir accepté cette éventualité, il s’en
remet au hasard de Dieu et exécute ce pour quoi il est là. Face à la mort de l’Autre,
le combattant réfléchit et craint souvent de devoir accomplir sa lourde tâche
meurtrière. Toutefois, l’homme devient une machine et tue. Il devient ainsi non
seulement car il est conditionné par son devoir patriotique, mais aussi pour protéger
sa propre existence et parce qu’il devient un automate habitué à exercer sa
besogne, quelle qu’elle soit. La vision du meurtre est « normalisée » ou banalisée
entraînant une « brutalisation » des sociétés européennes. George L. Mosse, dans
son ouvrage phare De la Grande Guerre au totalitarisme(2003)59, décrit cette vision
de la mort transformée suite à la Première Guerre mondiale. Dans le cadre d’une
recherche ultérieure, l’analyse de l’évolution de la vision de la mort par les
combattants, du contexte des tranchées aux phénomènes des commémorations
d’après-guerre, serait un prolongement pertinent. Puis, l’application de cette étude
dans le cadre spatio-temporel de la Seconde Guerre mondiale serait pertinente
pour en déceler les continuités et les ruptures. Dans le cadre de cette recherche,
l’ouvrageL’Armée d’Hitler. La Wehrmacht, les nazis et la guerre(1990) d’Omer
Bartov serait essentiel.
Cette recherche n’est pas exhaustive puisqu’elle ne repose pas sur un corpus luimême exhaustif. Afin de faire de cette recherche une étude plus complète, il serait
nécessaire d’avoir accès à un nombre plus important de sources primaires. Aussi,
ces sources ne sont pas garantes de vérités, elles sont notamment caractérisées
par l’auto-censure des auteurs et celle des nations. Ce sont donc des sources
subjectives, parfois romancées et souvent manipulées. Toutefois, la nature
humaine de ces sources permet une étude approfondie de l’état moral des
combattants, élément essentiel de l’analyse de leur perception de la mort. L’étude
de ces sources est indispensable dans le cadre de la pratique historique,
notamment l’histoire culturelle, puisqu’elles regorgent d’indices et de traces
essentielles au développement d’une analyse.
Références
1. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre, Paris,
Galimard, 2000, coll. « Folio Histoire », p. 32.
2. Id.
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», Terrain revue d’ethnologie de l’Europe, 19 (1992) : 65-80, [En Ligne],
terrain.revues.org/index3046.html, [consulté le 15 septembre 2009].
4. H. P. Willmott, Première Guerre Mondiale, Paris, Sélection du Rearder’s Digest,
2004, p. 307.
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6. H. P. Willmott, Première Guerre Mondiale, p. 31.
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Grande Guerre : 1914-1925, Paris, Imago, 2001, p.41.
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10. Philippe Ariès, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen-âge à nos
jours, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 21.
11. Selon: T. Hardier et J-F Jagielski, Combattre et mourir…, p. 123-124.
12. Ibid., p.128.
13. Romain Rolland, Journal des années de guerre, 1914-1919 : notes et
documents pour servir à l'histoire morale de l'Europe de ce temps, Paris, A. Michel,
1958, p.37.
14. Paul Truffau., 1914-1918, quatre années sur le front : carnets d'un combattant,
Paris : Imago, 1998, p. 89.
15. Henri Barbusse, Lettres à sa femme, 1914-1917 : précédé de son Carnet de
notes du front ; suivi d'un choix de poèmes extraits de son recueil Pleureuses,
Paris, Buchet/Chastel, 2006, coll. « Domaine public », p. 51.
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17. É. Desbois, « Vivement la guerre… », terrain.revues.org/index3046.html
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19. J.-P. Guéno, dir., Paroles de Poilus… p. 123.
20. É. Desbois, « Vivement la guerre… », terrain.revues.org/index3046.html.
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22. Edgar Morin, L’homme et la mort, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p. 67.
23. Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, dir., Encyclopédie de la
Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 35.
24. Ibid., p. 40-41.
25. Michel Winock, « Au nom de la patrie… », dans 14-18 : Mourir pour la patrie,
Paris, Éditions du Seuil, coll « Point/Histoire » 1992, p. 13.
26. Id.
27. Ibid., p. 15.
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58. Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, vol.
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59. George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme, la brutalisation des
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