Revue des Interactions Humaines Médiatisée

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Revue des Interactions Humaines Médiatisée
Revue des Interactions Humaines Médiatisée
Journal of Human Mediated Interactions
Rédacteurs en chef
Sylvie Leleu-Merviel
Khaldoun Zreik
Vol 9 - N° 2 / 2008
R.I.H.M., Volume 9 N°2, 2008
Revue des Interactions Humaines Médiatisée
Journal of Human Mediated Interactions
Rédacteurs en chef / Editors in chief
Sylvie Leleu-Merviel, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis,
Laboratoire des sciences de la communication (LSC)
Khaldoun Zreik, Université Paris 8, Laboratoire Paragraphe
Comité éditorial / Advisory Board
Karine Berthelot-Guiet (CELSA- Paris-Sorbonne GRIPIC )
Jean-Jacques Boutaud (Université de Dijon, CIMEOS )
Yves Chevalier (Université de Bretagne Sud, CERSIC -ERELLIF)
Didier Courbet (Université de la Méditerranée Aix-Marseille II, Mediasic)
Viviane Couzinet (Université de Toulouse3, LERASS)
Pierre Fasterz (Université de Louvain-La-Neuve)
Yves Jeanneret (Université d' Avignon, Culture & Communication )
Patrizia Laudati (Université de Valenciennes, LSC )
Catherine Loneux (Université de Rennes, CERSIC -ERELLIF)
Serge Proulx ( UQAM, LabCMO)
Imad Saleh (Université Paris 8, Paragraphe)
Revue des Interactions Humaines Médiatisée
Journal of Human Mediated Interactions
Vol 9- N° 2 / 2008
Sommaire
Editorial
S. LELEU-MERVIEL, K. ZREIK
1
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
Soap opera influence on TV Prime time narrative
C.. COMPTE
3
Evaluer un dispositif de formation à distance Principes et retour
d’expérience
Evaluating a distance learning system: principles and feedback
S. CARO DAMBERVILLE
25
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de
restitution
Passing on the memory of the concentration camps: restitution via a scenic
mediation
S. LELEU-MERVIEL
53
RCI WEB : un système collaboratif de recherche d’information centré
utilisateur
RCI WEB : a “user-centred” system for collaborative research of information
R. VIVIAN, J. DINET
85
R.I.H.M., Volume 9 N°2, 2008
Editorial
Après la parution du premier numéro « nouvelle formule », la revue R.I.H.M.
installe plus durablement son horizon scientifique dans la perspective des
Interactions Humaines Médiatisées. Elle affirme son ouverture aux contributions
inter-disciplinaires, tout en restant particulièrement attentive à la science de
l’information-communication, et notamment à la diversité de ses apports.
A ce titre, R.I.H.M. « nouvelle formule » semble répondre à un besoin. Ce second
numéro prouve à nouveau que les deux cultures peuvent non seulement cohabiter,
mais qui plus est se compléter et s’enrichir l’une l’autre. Il étend encore la palette
des objets étudiés en s’ouvrant à la télévision et au théâtre, tout en conservant le
rythme de deux articles à dominante sciences humaines et sociales et deux articles
plus techniques.
Ainsi, le premier article se penche sur le feuilleton télévisuel à épisodes, dit soap
opera, pour dégager un modèle de rhétorique télévisuelle héritée de la tradition
littéraire picaresque. En analysant des séries du « prime time » apparemment aussi
différentes que Hill Street Blues, NYPB, P.J., Ally Mc Beal, Avocate & Associates, ou
Urgences, il révèle les stratégies narratives qui en assurent le succès à long terme et
sur une très large audience.
Le second article met en œuvre plusieurs catégories d’outils d’évaluation sur des
dispositifs d’apprentissage. Centré sur la dimension d’évaluation de l’interface
personne-système, il montre de façon très concrète, et en comparant les diverses
méthodes, ce qu’il est possible d’obtenir en évaluant l’interface d’un dispositif de
formation à distance d’un point de vue ergonomique.
Le troisième article envisage la problématique de la transmission de la mémoire. Il
analyse, sous trois angles complémentaires, un vecteur de médiation assez
inaccoutumé : la représentation scénique au théâtre. Il examine notamment la
pertinence d’une proposition théâtrale qui se veut documentaire et fidèle aux faits,
au plus près de la réalité historique.
Enfin, le dernier article s’intéresse à la recherche collaborative d’information du
point de vue des comportements et processus mentaux sous-jacents. Il poursuit
trois objectifs complémentaires. Il explicite les enjeux liés à cette activité. Il fait un
point sur les connaissances du domaine. Il présente enfin les caractéristiques et les
fonctionnalités d’un outil technique innovant.
R.I.H.M. maintient ainsi le format de 4 articles longs en varia et boucle, avec ce
second numéro, sa programmation de parution 2008. En remerciant les
contributeurs qui n’ont pas craint l’aventure d’une revue en mutation, nous vous
souhaitons à toutes et à tous une très bonne lecture et nous espérons que la
découverte de la revue vous a convaincus de lui être fidèle.
Sylvie LELEU-MERVIEL et Khaldoun ZREIK
Rédacteurs en chef
1
L’influence des soap opera sur les stratégies
narratives des séries télévisées
Soap opera influence on TV Prime time narrative
Carmen COMPTE
Université de Picardie Jules Verne
[email protected]
Résumé. Ancré profondément dans une tradition littéraire picaresque, le feuilleton
à épisodes a réussi à traverser les différents types de supports (journal, radio,
cinéma, télévision) en trouvant, à chaque étape, les spécificités d’écriture qui
caractérisent le média utilisé. Son adéquation avec des contraintes techniques du
petit écran a fait de ce format un modèle de rhétorique télévisuelle dont le succès (à
long terme et sur une très large audience) permet de comprendre son influence sur
des séries du « prime time » apparemment aussi différentes que Hill Street Blues,
NYPB, P.J., Ally Mc Beal, Avocate & Associates, ou Urgences. En jouant sur les
stratégies narratives, on assiste à un basculement du récit vers une focalisation sur
des relations interpersonnelles dans une sorte de huis clos qui tient par un
minutieux travail technique que nous contribuons à mettre en évidence.
Mots-clés. Soap opera, narration, rhétorique télévisuelle, feuilletons, séries
américaines, structures narratives, forme culturelle de communication, fiction
télévisuelle, formes fictionnelles.
Abstract. Deeply rooted in the picaresc tradition, the soap opera (daytime serial)
gendered a narrative form finding its own specificity, progressively in the protocols
of more closed narrative forms such as press, radio, cinema and television. Its
adaptability to the technical capacities of programs meant for the small screen has
developed a real rhetoric model proving to be one of the most effective broadcast
vehicle (if we considered its long term run and large audience). This also explains its
influence on prime time series as varied as Hill Street Blues, NYPB, P.J., Ally Mc Beal,
Avocate & Associates, or E.R. While developing a distinct narrative form, the serial
puts the emphasis of the fiction on interrelationships among characters creating a
real “huis clos”. This is done with a meticulous technical work which we contribute
to underline.
Keywords. Soap Opera, narrative, TV rhetorics, daytime serials, american serials,
narrative structure, cultural form of communication, television fiction, story telling
forms.
3
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
1
Vol 9 N°2, 2008
Introduction
Le soap opera s’inscrit dans la tradition littéraire picaresque qui remonte au
XVIème siècle. En effet, que ce soit avec la Celestina ou Lazarillo, c’est l’aventure
d’une société qui est racontée, ce sont les péripéties d’un personnage 1 représentant
du peuple, antinomique des héros de pastorales et des romans de chevalerie. Issus
de la littérature orale, ces feuilletons sans fin 2 ont suivi l’évolution des médias, dans
les journaux, puis à la radio, au cinéma et enfin à la télévision. Se sont-ils adaptés
aux contraintes des différents supports médiatiques ou ont-ils fait évoluer l’écriture
de ces derniers ? C’est l’une des questions qui se pose lorsque l’on observe la place
prépondérante qu’ils occupent et la parfaite union établie entre leur forme narrative
et le système symbolique télévisuel. Elle sera abordée en première partie.
Afin de vérifier si ce style de narration influence de façon visible les autres
formes de fiction, elles sont appréhendées, en deuxième partie, à partir de quelques
caractéristiques.
Enfin, nous examinons si ce système d’écriture, minutieusement construit en
réponse à des besoins sociaux et individuels, peut compromettre la diversité des
formats télévisuels et entraîner une uniformisation, ou s’il constitue une sorte de
rhétorique particulièrement adaptée au support hertzien. C’est en effet un système
paradoxal car, pour traiter des difficultés de la vie ordinaire, voire de l’action-zéro
(absence d’action dont le Loft serait le point extrême), afin de se rapprocher d’une
réalité quotidienne, il a dû développer des moyens techniques extrêmement
sophistiqués qui réussissent à maintenir l’intérêt et l’attention du spectateur et donc
à le fidéliser.
2
Analyser l’écriture télévisuelle d’un soap
2.1
Un constat
Dans une économie télévisuelle de renouvellement que caractérise la recherche
du bénéfice, la permanence des soap opera représente un phénomène exceptionnel.
A l’antenne dès 1937, The Guiding Light était un feuilleton radiophonique à succès
qui s’est poursuivi sous la forme d’un soap à la télévision jusqu’à aujourd’hui. S’il
constitue ainsi le record de longévité d’une émission, ce passage réussi d’un support
technique à un autre soulève au moins deux questionnements :
• Si le succès de ce style de narration exprime l’existence d’un besoin
de la part du public, quel est-il et de quelle façon la télévision le
satisfait-il ?
• Si, comme l’affirme Mc Luhan, « le média c’est le message », dans
quel sens s’est effectuée l’adaptation ? Le genre littéraire du feuilleton
a-t-il été transformé par sa mise en scène hertzienne, ou a-t-il
1 La Célestina (1499) de Fernando de Rojas et les Aventures de Lazarillo de Tormes (1553), œuvre
anonyme. On rappellera que l’œuvre de Dickens a d’abord été lue par épisodes dans des
magazines, avant d’être regroupée dans un ensemble d’ouvrages.
2 D’où le nom d’opera en référence à la longueur, aux retournements narratifs et de soap,
allusion aux détergents, subventions publicitaires de la première heure de la télévision pour
des feuilletons de l’après-midi. Ils ont pris le nom de tele-novelas dans les pays hispanophones
(avec le surnom de culebrones, couleuvres exagérément longues), rappel de leur origine des
fotos-novelas. Les westerns furent appelés des “horse-opera” dans les années 1930. On peut
également y voir, comme l’ont fait les nombreuses critiques, le détergent qui nettoie tout ce
qui est mauvais dans l’individu et qui alimente l’art mélodramatique de l’opéra…
4
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
contribué à développer un nouveau style télévisuel, une écriture en
concordance avec les contraintes du média ?
L’œuf ou la poule 3 ?
Trois éléments montrent à la fois une adéquation du genre au média et un
développement de l’outil télévisuel pour répondre aux caractéristiques du style
narratif :
• L’infrastructure commerciale de l’outil dont le fonctionnement est
conditionné par l’audience. Le soap est organisé en intime interaction avec
le grand public. Courrier, magazines maintiennent un lien étroit qui assure
à la production une bonne assise sociale 4 . Ces aspects collatéraux
permettent déjà d’entrevoir la transition médiatique que peut apporter la
Web TV.
• La structure de production de ces feuilletons qui garantit au produit une
régularité et un coût de type industriels. Le rythme de tournage d’un
épisode quotidien, base d’une fidélisation du public, suppose une
organisation précise et une équipe homogène : les réalisateurs, les
scénaristes et acteurs sont sélectionnés puis formés en interne pour assurer
des continuités de style.
• Une remise en question quotidienne de la réalisation, par une approche
pragmatique de la réception 5 , afin d’en améliorer l’impact. Face à une
concurrence sérieuse, il faut à la fois fidéliser en rassurant et stimuler en
innovant, d’où un besoin de connaître et d’exploiter le système symbolique
utilisé et son potentiel.
Un succès d’audience pour un monde rassurant
Pour étayer l’affirmation selon laquelle les êtres humains sont insatiables dans
leur curiosité envers leurs semblables, M. Esslin (1982) raconte une anecdote. Dans
un petit village africain aux maisons de huttes, sans commerce et sans électricité, il
s’interrogeait sur ce que faisaient les habitants, pendant les longues soirées qui
succèdent à une nuit qui tombe tôt et soudainement sous les tropiques. Son ami lui
répondit sans hésitation que les gens parlaient d’eux, de leurs voisins, des joies, des
peines. Ainsi, considère M. Esslin, cet intérêt qui vient après les préoccupations de
nourriture, d’un abri, de la procréation, constitue l’un des besoins fondamentaux des
humains 6 et l’auteur de conclure que toute fiction n’est finalement qu’une forme de
potin (gossip). La télévision, avec son interminable flux de personnages présentés de
3 Le succès de certains formats s’est répercuté sur l’évolution technologique. Ainsi les “comic
strips” ont accéléré les progrès de l’impression couleur à grande vitesse.
4 D. Hobson (1982) rapporte l’importante controverse soulevée dans la presse et les
nombreuses manifestations occasionnées par la décision de ne pas renouveler, après 17
années de services, le contrat de l’actrice qui jouait le rôle central de Meg Mortimer dans le
feuilleton britannique “Crossroads”. L’auteur a traité ce phénomène dans une analyse
systémique qui montre combien les divers éléments socioculturels co-latéraux ont autant
d’importance que le texte pour construire une relation d’interaction entre les téléspectateurs
et le feuilleton.
5 Qui conduit à des résultats surprenants constatés lors l’étude (Compte, 1985), notamment la
corrélation entre des analyses sémiotiques du traitement technique et des études cognitives,
au grand étonnement de l’instance de réalisation (“do I do that?” répondait le réalisateur
interrogé lors d’un entretien).
6 Pour étayer ce point, certains chiffres sont éloquents : en 1940, les 64 feuilletons diffusés
par les radios américaines constituaient 92% du financement sponsorisé des émissions de la
journée.
5
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
manière dramatique (que ce soit de la fiction ou de la réalité), est le plus parfait
convoyeur mécanisé de ces formes de commérages (p.30). Dans un autre contexte,
américain cette fois, D. Hobson (1982) souligne le plaisir qu’éprouvent les
téléspectateurs à commenter ce qui s’est passé ou va se passer dans les épisodes des
fictions télévisées. Puisqu’il s’agit de la vie quotidienne, chacun peut se sentir
spécialiste et avoir son mot à dire, ce qui expliquerait, en France, le succès de la
télévision réalité et d’émissions de type Loft story. C’est donc un domaine remarqué
par les chercheurs, particulièrement en psycho-sociologie. Les analyses de D.
Pasquier (1998) sur Hélène et les garçons et autres séries pour adolescents, tout comme
le travail de S. Chalvon-Demersay (1994), confirment cet engouement et le rôle joué
par ces émissions.
Aux Etats-Unis, les soap sont doublement ancrés dans une réalité quotidienne.
Tout d’abord par les thèmes qui reprennent des faits-divers, mais également par les
indications de coordonnées et de références données incidemment au cours des
échanges. Le feuilleton mêle habilement des personnages de fiction et des acteurs
sociaux qui acceptent de faire une apparition, jouant leur propre rôle. Les
spectateurs intègrent ce monde virtuel en évoquant les personnages comme des
êtres familiers qu’ils suivent depuis des années et auxquels ils adressent un abondant
courrier. Le rapport intime qu’ils éprouvent avec ce style d’émissions, son
appropriation sont illustrés par le nom que la mère de R. Allen (1995) attribue aux
soap : “my stories” et que l’auteur rapporte avec amusement.
Les soap constituent un « lien commun » rassurant dans une société où la
famille est atomisée, dispersée, où les environnements mêmes sont en continuelle
transformation. Ils développent un monde qui se substitue naturellement au vide
laissé par une individualisation sociale. Nourris des problèmes rencontrés par les
individus, ils en assurent de nombreuses fonctions 7 en donnant, non pas des leçons,
mais des éclairages multiples d’une même situation. Or, observer comment
quelqu’un s’est tiré d’affaire face à un problème, constitue également une partie
importante d’un processus d’apprentissage permanent tout au long de la vie. D’où
l’intérêt didactique 8 suscité par ce format télévisuel.
Un succès financier pour un modèle efficace
Par l’apport des publicitaires, les soap opera assuraient 75% des revenus des
Networks dans les années 1980, ce qui explique la luxueuse organisation 9 qui permet
Pourvoyeurs de modèles comportementaux d’une éducation sociale, ils deviennent
également objets de communication et même moyens utilisés par des acteurs médicaux pour
évoquer les problèmes d’un patient.
8 L’échec de la campagne anti-alcoolique menée par le Ministry of Health dans les années 80 et
le succès remporté par le thème traité dans plusieurs soap opera en témoignent, tout comme
l’importante utilisation en Amérique latine de ce type de feuilletons dans un objectif
d’éducation à grande échelle.
9 Pour All my Children, un immeuble entier est consacré à la production du soap, véritable
usine comportant tous les corps de métier travaillant la nuit pour la mise en place des décors,
dès 7h du matin pour la réception des acteurs, la répétition des textes, les séances d’essayage
et de maquillage, la mise en place des éclairages avec celle des caméras, pour une répétition
avec le réalisateur en fin de matinée et un tournage en début d’après-midi. Pendant que le
document est au montage-son, des réunions sont prévues avec toute l’équipe pour discuter
du scénario du lendemain, prendre connaissance du courrier des spectateurs (les sacs postaux
reçus quotidiennement et les courriers électroniques sont analysés et synthétisés par des
responsables) afin d’en tenir compte, de corriger éventuellement le scénario avant de le
distribuer aux acteurs qui doivent l’apprendre pour le lendemain. L’arrivée de la numérisation
dans les moyens de production a très peu modifié cette organisation.
7
6
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
une production régulière et précise. Tout est, en effet, minuté, chacun connaît sa
fonction exacte afin d’être efficace et d’éviter les surcoûts. L’équipe de scénaristes et
de réalisateurs est formée spécifiquement par la chaîne de façon à assurer une
continuité de style et une création commune. A la différence de la production
française, le produit réalisé appartient à la chaîne, les auteurs, scénaristes et
réalisateurs sont « fonctionnarisés » à son service. L’industrialisation du processus
de création permet de mettre en place un produit réplicable jusqu’à ce qu’une légère
inflexion de l’audimat apporte un signal immédiatement géré dans un sens
d’ouverture à la créativité.
2.2
Du paradoxe à un type de narration spécifique
Ses caractéristiques apparentes
Caractéristiques
Intimité du huis clos
Morcellement extrême
Implication
Développement dialogique
Téléspectateurs
Médiation
Compréhension/motivation
Interaction
Réappropriation
Figure 1. Schématisation des modes de médiation/interaction propres au soap
Pour tout profane 10 , le soap est caractérisé par des personnages qui,
essentiellement par des échanges verbaux, nous entraînent dans des dédales
compliqués d’intrigues multiples qui intéressent plus particulièrement un public de
ménagères. Conclusion des analyses d’audience des années 1940 pour la radio, cette
image persistera pour la télévision. Il faut attendre la décennie 1980 pour que de
nouvelles études démontrent que le public est beaucoup plus large et différencié
(Cassata & Skill, 1983), que le type de narration est vraiment spécifique et que
certaines de ses règles sont peu à peu adoptées dans les prime time (Skill, 1982).
J’ai moi-même expérimenté comment, lors de mes premiers séjours à New
York, alors que l’anglais constituait encore un sérieux barrage et que mon manque
d’intérêt a priori pour le genre du feuilleton me faisait zapper devant le téléviseur,
deux particularités ont retenu mon attention. Tout d’abord, le fait que de manière
presque immédiate au moment du visionnement, la relation entre les personnages et
le sens de leur action apparaissait transparente au spectateur que j’étais. Elément
paradoxal si l’on considère qu’il s’agit de plusieurs intrigues entrelacées, souvent très
compliquées, en principe essentiellement présentées par des dialogues et
entrecoupées, sans transition, par de longues pauses publicitaires, au moins sept fois
en moyenne, quelle que soit la durée de l’épisode. Ainsi, étonnée par l’efficacité de
cette forme de médiation, il m’a semblé intéressant d’observer comment le système
d’expression spécifique développé par ce genre narratif permettait à quiconque
(même à un non-anglophone) de comprendre et même de retenir des formules
d’échanges sociaux. Cela apparaissait comme un système fonctionnel mis en place
pour répondre au « melting pot » américain : une sorte de « Fast-food » intellectuel et
social, facile à assimiler.
Et pour le Dictionnaire de la Communication qui définit le soap comme « une réalisation de
médiocre qualité (…) qui s’adresse aux ménagères ».
10
7
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
La deuxième particularité s’est révélée au cours de l’analyse conduite pour
comprendre ce paradoxe 11 . Les résultats ont confirmé l’objectif général commun,
celui d’une recherche d’audience maximale. Il est apparu que le soap qui a obtenu le
plus grand succès, contrairement à celui qui en avait obtenu le moins, portait plus
d’attention aux deux points suivants :
- Faciliter la compréhension du plus grand nombre de téléspectateurs ;
- Stimuler continuellement leur motivation.
Pour ce faire, sur la base d’une approche pragmatique, chaque chaîne a mis en
place, tout au long de ces années à l’antenne, un système précis qui apporte à un
public hétérogène une réponse à la fois sociale, narrative et technico-cognitive. « Ces
outils permettent de composer un réseau polyphonique multicode et stratifié qui favorise une lecture
à plusieurs niveaux de compréhension. Le message y est structuré en plusieurs strates sémantiques,
la plus fondamentale prend en compte les éléments de compréhension, une autre fortement imprégnée
d’éléments socioculturels autorise un niveau de lecture différent, et une troisième reste plus
particulièrement ouverte pour un espace de création originale ; les trois étant intrinsèquement liées et
interconnectées » (Compte, 1985).
Une méthode de mise à plat des structures narratives
Une méthode d’analyse a été mise au point à l’occasion de cette recherche sur
les Soap Operas (1985), puis elle a été adaptée à l’auto-formation des enseignants de
langue 12 en leur donnant un outil simple à utiliser pour sélectionner et exploiter les
documents extraits d’émissions de télévision ou de films.
La méthode allie des données sémiotiques de mise en image utilisées par
l’instance de production à des données perceptuelles apportées par les recherches
en sciences cognitives et repérées lors du visionnage. D’où le nom donné à cette
méthodologie « sémio-cognitive ».
L’image s’apprend. Comme tout média, l’écriture télévisuelle obéit à des codes,
les niveaux de lecture dépendent donc de leur maîtrise. C’est la raison pour laquelle
l’analyse proposée commence par une mise à plat du document, car celle-ci sert de
cadre de référence. Il s’agit de mettre sous forme de tableau les éléments tels qu’ils
ont été perçus. Elle donne à voir la chronologie des événements, de saisir
rapidement le découpage des unités constitutives. Leur minutage donne en outre
une information importante sur les éléments mis en avant par le réalisateur. Il ne
s’agit cependant pas d’un script précis et rigoureux ou d’un scénarimage (story
board).
Pour l’analyse des structures narratives, le document est découpé en unités
d’action ou événementielles 13 , considérées comme des séquences. La chronologie
des événements permet de faire apparaître les distorsions du traitement temporel
(temps réel versus temps fictionnel). Une analyse sémiotique plus poussée exige de
L’analyse (Compte, 1985) s’est d’abord centrée sur les treize feuilletons présents à
l’antenne, afin de vérifier leur appartenance commune à une forme précise et appliquée.
L’étude diachronique plus détaillée du contenu s’est effectuée sur deux extrêmes : les soap
opera ayant le meilleur et le plus mauvais indice d’audience dans un corpus portant sur cinq
années.
12 Collection EDAV (Exploitation de Documents Authentiques en Vidéo, 1986-1995)
Publication et diffusion CIEP/CNDP. Composée de 6 ouvrages chacun accompagné d’un
film, la collection proposait un outil d’auto-formation aux enseignants afin qu’ils sachent
utiliser l’image animée dans leurs cours. Cf. également l’ouvrage publié chez Hachette : la
Vidéo en classe de langue (1993).
13 Le tableau propose 4 colonnes : le n° de la séquence, sa durée, un bref descriptif de l’action
et les indications scripto-iconiques.
11
8
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
détailler les séquences en plans selon leur grosseur 14 et leur durée et de repérer où
se situent les effets spéciaux apportés par un mouvement particulier de la caméra
(panoramique, travelling) ou de l’objectif (zoom). Ces tableaux permettent une
analyse de la diègèse : comment se construit la chronologie des actions et des
personnages. Pour ces derniers, nombreux dans les feuilletons, une analyse de leurs
interrelations sous forme de mapping permet de comprendre l’impact, la complexité
que certains d’entre eux possèdent par rapport à d’autres qui deviennent des fairevaloir.
Dans l’expérimentation évoquée (1985), la mise à plat des épisodes de soap
opera s’est faite en trois étapes : une mise à plat du visuel plan par plan, puis de
l’audio (sans l’image) et enfin du traitement technique, toujours en fonction de la
perception au moment du décodage. Puis, pour la partie technique, une
comparaison a été menée avec les scripts de réalisation que la chaîne de télévision a
mis à notre disposition. Elle révèle ainsi un travail minutieux comparable à celui
d’une composition musicale dans laquelle la place et la tonalité de chaque
instrument sont précisément calculées. Dans le cas du feuilleton, les instruments
sont constitués par des codes empruntés à d’autres médias, tels les styles narratifs
(littérature), le jeu de personnages, les décors et costumes (théâtre et cinéma), le
travail sur les différents types de musique (radio), le montage (cinéma). C’est la
combinatoire de ces systèmes symboliques qui appartient en propre au média
télévisuel. Le produit est élaboré en fonction de la réception qui en est prévue. La
priorité est de faciliter la compréhension, puisque tout spectateur qui ne comprend
pas zappe en jugeant négativement le spectacle. Parallèlement, il est indispensable
d’offrir une stimulation à des motivations et à des niveaux d’attention très
hétérogènes.
Un travail précis de médiation
Dans un cadre d’analyse sémio-cognitive, la mise à plat de structures narratives
des fictions policières télévisuelles fait apparaître, entre autres, deux processus de
logique visant la compréhension.
Le premier est représenté par des séries telles Murder she wrote (Arabesque), qui
par un effet de flashback explique, au moyen d’une reprise visuelle, les différents
points clés de la résolution de l’intrigue policière. Columbo se situe dans cette logique,
mais avec une structure différente : l’explication est donnée, visuellement, aux
spectateurs avant l’arrivée du héros. Ce n’est pas le processus le plus couramment
employé par les soap opera.
Dans le second, l’influence du format porte davantage sur la participation
continuelle du spectateur grâce à des éléments facilitant le repérage, non pas comme
spectateur d’une situation, mais comme témoin, confident d’un réseau de
témoignages qui finissent par converger vers une seule ou une multiplicité
d’explications. C’est une structure en puzzle. Ce point apparaît nettement dans Hill
Street Blues, New York Police Blues (NYPB) et dans Urgences lorsque les séries font
intervenir des opinions différentes apportées par les divers personnages. Le
spectateur n’assiste pas vraiment à l’action, mais aux réactions médiatisées des
personnages. Le système de juxtaposition permet d’accélérer des inférences pour
comprendre plus vite une situation.
14 L’analyse proposée se distingue d’une analyse cinématographique dans la mesure où ce
décodage par plans peut se faire en utilisant simplement trois types de plans : les deux
extrêmes de l’échelle des plans (gros plan et plan d’ensemble) et un plan intermédiaire. Les
raisons en sont développées dans (Compte, 1992).
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Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Repérage des personnages
Au premier rang des éléments facilitant le repérage se place l’utilisation de
stéréotypes et d’archétypes qui, du point de vue narratif, stimulent la participation
active des spectateurs. On retrouve également la distinction précise des personnages
par leur physique, les costumes, le métalangage corporel et tout indice permettant
de les caractériser et donc de les discriminer les uns par rapport au autres.
L’importance de ces éléments est apparue lors du décodage évoqué (1985) des deux
feuilletons. Le décodage, nous avons insisté sur ce point, se faisait en fonction de ce
que percevaient les codeurs 15 . Dans l’un des feuilletons, celui qui avait le moins de
succès, le décodage visuel (sans audio) a présenté aux décodeurs des difficultés dans
la reconnaissance et l’identification de certains personnages, à cause d’un casting trop
uniforme. Les personnages se « ressemblaient tous » d’après les codeurs 16 et leur
repérage, leur nombre, le rythme du défilement (interdiction de revenir sur un plan
analysé) exigeaient un effort d’attention plus poussé et, en général, mal accepté.
Celui qui avait le plus de succès présentait au contraire de nombreux détails
favorisant une perception rapide et une prise en compte des conditions de
visionnage dans le flux.
Projection des intentions de réalisation dans le décor
L’analyse technique a mis en valeur le rôle des décors, élaborés pour créer une
émotion, une atmosphère en liaison directe avec l’intentionnalité que souhaitait
transmettre le réalisateur. Les gammes de couleurs et de matières jouent dans le
même sens.
Parmi de nombreux exemples, le traitement des deux couples de héros du
même feuilleton semble illustratif de ce point, car ils étaient systématiquement
filmés, les uns sous un éclairage franc, les autres tamisés ; les uns avec des couleurs
pastel, les autres des couleurs sombres. La systématisation de ces éléments tenait
parfaitement son rôle de facilitateur dans la perception d’une ambiance et
l’anticipation de l’action : le premier couple, jeune et amoureux, vivait en parfaite
harmonie, alors que le couple âgé était à la veille d’un divorce. La redondance de ces
éléments, qui semble vraiment exagérée lorsqu’elle apparaît dans la mise à plat, n’est
pas consciemment perçue lors du visionnage dans le flux et, d’après les réactions
des décodeurs, elle semble avoir un réel impact sur la perception et, par contrecoup,
sur la motivation, car elle facilite une compréhension rapide.
Stimulation par la réalisation
L’autre souci de l’instance de réalisation est de continuellement stimuler la
motivation du spectateur. Elle le réalise par le choix des thèmes tout autant que par
la mise en scène servie par un cadrage et un montage particuliers. Pour équilibrer le
manque d’action, les échanges entre les personnages sont filmés en plans serrés 17 et
courts. Le couloir de P.J. permet non seulement aux personnages de se croiser
(source d’intrigues secondaires), mais également de faciliter des mouvements de
caméra. Le rôle de la prise de vue est primordial. Les emplacements de caméras
15 Pour l’expérimentation, ils avaient été choisis avec des âges et types de motivations
différents. Pourtant, les décodages qu’ils effectuaient séparément (ils ne se connaissaient pas)
apportaient les mêmes informations et des remarques comparables.
16 Le contexte du feuilleton était le milieu de la danse, les personnages ne se distinguaient pas
assez car ils étaient vêtus selon un même style et appartenaient à une même classe d’âge.
Contrairement à des feuilletons plus récents situés dans un contexte identique (tel « Un dos
Tres », par exemple), le visuel était très pauvre et peu informatif.
17 C’est-à-dire qui donnent au spectateur l’impression d’être dans un rapport d’intimité avec le
personnage (gros plans).
10
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
permettant de nombreux angles de prise de vue et la construction d’un regard
subjectif, spécialement adressé au spectateur, compensent les effets négatifs d’un
genre qui limite l’action à un huis-clos et à une temporalité du quotidien. On a pu
dire que les acteurs de soap ne bougeaient pas, car effectivement c’est la caméra qui
les anime, regard inquisiteur et curieux qui se déplace constamment mais avec
logique 18 . Urgences illustre bien ce procédé.
Stimulation par le rythme
Autre aspect de stimulation : le rythme de l’émission. Il constituait l’un des
points remarqués dans (Compte, 1985). Le manque d’action dû aux choix des
thèmes et au style de traitement des soap a fait prendre conscience, très tôt, de la
nécessité d’assurer un rythme rapide, susceptible de retenir l’attention du spectateur.
Cette accélération se remarque également dans l’évolution de séries telles que
Columbo, Maigret, Navarro et J. Lescaut 19 . Le plan extrêmement long (plan séquence de
10’) que l’on trouve dans Columbo (1970) est un héritage direct des tournages
cinéma. L’accélération est encore plus nette dans des séries plus récentes telles que
NYPB, Urgences, Ally Mc Beal dont la structure rappelle singulièrement celle des soap
opera. Les deux séries américaines 20 sont généralement plus courtes que les séries
françaises (40 à 43’ versus 48 à 50’) pour un nombre de séquences plus important, ce
qui signifie un plus grand nombre d’alternance entre les différents thèmes
développés. L’observation de la durée moyenne des plans varie autour de 3" pour
Ally Mc Beal et elle fluctue pour Urgences entre 2"24 et 4"42 alors que pour les séries
françaises elle semble stabilisée autour de 3" pour Avocats et Associés et de presque le
double pour La Crim’.
Les durées des plans les plus courts, souvent 2" pour Urgences et Ally Mc Beal
sont doublées dans les séries françaises telles que Avocats et Associés et La Crim’. Le
tableau détaillé réalisé lors de la mise à plat révèle comment les séquences longues
sont composées de plusieurs plans, de façon à ne pas ralentir le rythme de la
narration. Ainsi la séquence la plus longue de l’épisode, 4’31" (Ally Mc Beal)
concerne des plaidoiries et est construite à l’aide de 56 plans, soit une durée
moyenne de 4 secondes par plan. La séquence de 5’26" (La Crim’) dans laquelle
l’associé, acculé, avoue le crime, comporte 41 plans (moyenne par plan de 7
secondes). La moyenne générale de durée des plans est ainsi révélatrice d’une
accélération. Mais comme la perception du spectateur a des limitations, Urgences a dû
ralentir le rythme des premiers épisodes.
Ally Mc Beal
La Crim’
Durée
Seq. la plus longue
4’31
5’26
Nbre de plans
Durée moy./plan
56
41
4 secondes
7 secondes
Tableau 1. Comparaison Etats-Unis/France des durées moyennes pour les séquences longues
On constate globalement un rythme deux fois plus rapide des productions
américaines par rapport aux productions françaises.
18 Contrairement à ce qui a été tenté dans la série La Crim’ où les mouvements de caméra
provoquent le tournis.
19 La durée moyenne des plans d’un Columbo est passée de 1’57 (1970) à 1’42 (1980), pour Julie
Lescaut de 1’47 (1996) à 1’25 (1997), pour ne citer que deux exemples.
20 Il est fait, ici, référence aux épisodes analysés : Ally Mc Beal (1997 et 1999), Urgences (1999 et
1999), Avocats et Associés (1999 et 2000), La Crim’ (2000 et 2001).
11
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
3
Vol 9 N°2, 2008
Les caractéristiques de l’« union » forme narrative/système
symbolique et son influence dans les séries du « prime time »
L’étude détaillée des soap opera conduite par R. Stedman (1977), par M. Cassata
et T. Skill (1983), R. Allen (1985), C. Compte (1985) semble confirmée par celle plus
récente de R. Allen (1995). Si les thèmes sont variés et évoluent avec la société
comme par effet de miroir, un certain nombre d’éléments permanents permettent
d’évoquer une structure générale et des caractéristiques propres au genre. Nous les
avons regroupées selon deux points de vue.
- Du point de vue narratif
Multiplicité d’intrigues entrelacées.
Développement alterné de chacune d’elles.
Découpage en séquences courtes rythmées par de nombreux plans.
Absence de héros.
Absence de morale manichéenne.
Elaboration d’une rhétorique télévisuelle.
- Du point de vue social
Ancrage dans une réalité quotidienne.
Maintien d’une cohésion sociale.
Pérennité rassurante (élément d’équilibre pour une société atomisée).
Relation privilégiée avec le téléspectateur.
T. Skill remarquait déjà en 1982 l’ouverture du prime time à certaines des
caractéristiques tangibles du format. Aujourd’hui, des productions autres que des
soap telles que les sit’com, les séries et les feuilletons, diffusées aux heures de grande
écoute, semblent effectivement avoir adopté certains des éléments narratifs des soap
notamment dans le traitement du personnage principal, de l’action et du
développement de la fiction.
3.1
De l’extraordinaire à la quotidienneté
Pour comprendre la filiation picaresque annoncée au début, il convient
d’interpréter le terme de picaro, non pas dans un sens moral de « vaurien » donné par
le dictionnaire, mais dans un sens social de la « valetaille » du XVIème siècle, c’est-àdire du petit peuple. Les récits picaresques touchent le grand public car il s’y
reconnaît et s’identifie à ces héros ordinaires du quotidien. A. Bandura (1965, 1971)
avait déjà démontré l’impact télévisuel dans ce processus d’identification (modeling
process) provoqué également par la télévision, surtout lorsqu’elle présente des
personnages et des situations proches de la vie du téléspectateur.
Du héros à l’individu
Le genre du soap opera refuse la notion classique de héros pour lui préférer des
« brillances » ponctuelles de certains personnages, selon les épisodes. Le héros fait
place à des individus mis en lumière, parce qu’ils sont confrontés à une circonstance
particulière et/ou parce qu’ils ont un type de comportement précis. C’est ainsi que,
dans leur analyse de l’audience, S. Pingree (1981) et M. Cantor et S. Pingree (1983)
expliquent le pouvoir d’identification qu’exerce ce genre télévisuel et l’implication
profonde des spectateurs pour ce type d’émission.
Le genre du soap s’oppose au principe manichéen développé dans les westerns,
par exemple. Ses personnages ne sont ni bons ni méchants, ils sont « faibles » car,
selon les conjonctures, ils peuvent agir de façon à nuire à un autre personnage. Les
interactions multiples apportent des nuances qui conduisent à comprendre les
12
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
situations, plutôt qu’à les juger. Le téléspectateur acquiert ainsi une perception plus
complexe et plus profonde des personnages. Il est difficile alors de les considérer
comme abjects, ils peuvent même devenir attachants dans leur faiblesse. On
retrouve ce souci dans des productions actuelles du prime time. C’est le registre choisi
dans le feuilleton Le juge est une femme avec un duo constitué par les héros. Le
commissaire ivre mort disparaît, ce qui constitue une faute professionnelle grave.
Pourtant, tout comme la jeune juge, le téléspectateur peut pardonner et
comprendre, puisque le réalisateur a pris soin de montrer les raisons de la
désespérance autodestructrice du personnage. Le travail des scénaristes est alors visé
par des spécialistes, médecin, ancien policier tel Hugues Pagan pour Police District,
afin de bien traduire le ressenti des personnages, « cassés de l’intérieur, ballottés par
la vie » ou de vérifier l’authenticité des actions et des termes professionnels utilisés.
Du héros solitaire au modèle multipolaire
Le relevé des interactions entre les personnages (Fig.2) établi lors de la mise à
plat des séries actuelles, permet de remarquer, par le nombre d’apparitions des
personnages à l’écran, la focalisation dont ils sont l’objet.
Columbo
Secr
Columbo
Suspect
Maîtresse
Ami
Victime
04
19
35
13
07
04
Fo
suspect
02
Maigret
Insp.
Maigret
Suspect
Mari
Infirm.
Victime
Kiné
Star
09
34
09
04
06
04
08
18
Concierg
e
16
Navarro
Waltz
B.M.
Navarro
Borrel
Auqulin
Blomet
Truand
Martin
Ginou
04
13+
63
16+
15+
13+
06
05
06
Yoland
e
24
NYPB
Inspect.
1
Inspect.2
Patron
Inspect.3
Inspect.4
Avocat
25
15
16
15
03
Inspect.2
Patron
Inspect.3
Inspect.4
Inspect.5
Inspect.6
Assistant
15
18
11
22
16
09
08
21
P.J.
Inspect.
1
18
Figure 2. Synthèse des interactions inter-personnages et apparitions à l’écran
La différence de traitement entre Columbo, Maigret d’une part, et NYPB et P.J.
d’autre part, montre combien les intrigues sont concentrées sur le héros et le
suspect dans le premier cas et réparties dans le deuxième cas. Maigret est ainsi mis
en valeur, tout comme Columbo 21 , contrairement aux patrons des séries policières
telles NYPB ou P.J..
Le modèle du héros solitaire, issu de la tradition littéraire, puis
cinématographique, tels Maigret, Columbo, Derrick, dans laquelle la narration
21 L’importance du suspect s’explique par la structure logique de la série qui suit le
personnage au moment de l’action, au début de l’épisode, avant l’arrivée de Columbo.
13
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
structurante s’articule au fil des avancées de l’enquête, place le public dans une
fonction de spectateur. Au contraire, le modèle multipolaire proposé par NYPB,
P.J., Police District, Ally Mc Beal, Urgences, composé d’une pluralité de personnages,
permet une focalisation sur des aspects psychologiques et sociaux par le biais du
comportement de cette diversité d’individus. Ces séries ont adopté la technique des
soap, qui n’explique pas, mais, à travers des échanges, des interactions, montre et fait
apparaître les aspects saillants d’une personnalité et d’une situation. La série Urgences
illustre bien ce processus narratif. Julie Lescaut, Les Cordiers en sont, en France,
également des exemples, dans la mesure où l’intrigue est redistribuée à d’autres
personnages (les inspecteurs, la famille, par exemple). Le temps de présence du
héros à l’écran passe ainsi presque du double (62,5%) 22 au simple (34%) entre
Columbo (1970) et Navarro (1995) ou Ally Mc Beal (2001) (37%).
Présence à l’écran
Pourcentage
Columbo
1970
60’
62,5%
Columbo
1980
51’
56%
Maigret
1987
42
46%
Navarro
1995
29
34%
Ally Mc Beal
2001
15’36
37%
Figure 3. Temps de présence du héros à l’écran
Cependant, la télévision dont l’objectif demeure la conquête de l’audience
maintient une pluralité de formes, raison pour laquelle il serait vain de parler de
paléo ou de néo-télévision. Le principe de diffusion des séries semble s’apparenter
davantage à l’hétérogénéité favorisant l’hybridation des formats. Ainsi, côtoyant des
modèles de héros solitaire ou multipolaire, des formules intermédiaires se
développent, mettant en scène un duo ou un personnage fort autour duquel
gravitent les autres protagonistes. La série Navarro tient lieu de transition avec un
personnage présent, mais une interaction importante avec ses « mulets » (les
inspecteurs).
D’un événement à l’« action-zéro » du quotidien
Les travaux de V. Propp (1925, 1965) sur la structure des contes ont contribué
à mettre en évidence le fait que, traditionnellement, une narration est centrée sur un
événement qui, dans la vie tranquille d’un personnage ou d’une communauté, crée
un déséquilibre. Le héros entre alors en action pour rétablir l’harmonie initiale qui
est en réalité une nouvelle harmonie, d’une autre nature que celle d’avant le chaos.
Or, dans les soap tout comme dans la vie, cette harmonie n’est pas qu’un “happy end”.
Elle est un passage, une transition vers de nouveaux bouleversements. Cette
intrication d’aventures ordinaires jamais achevées rend ardue la tâche de résumer
des récits précisément nourris des multiples relations entre les personnages ;
lorsqu’on s’y aventure, on retrouve des archétypes. Si la source de toute fiction et de
toute narration est, selon M. Esslin, fondée sur l’intérêt porté par les humains sur les
autres, cette logique peut conduire vers un extrême d’action-zéro de type « Loft » ou
d’actions-prétextes. On rend compte des « histoires » de la banalité quotidienne
parfois simplement créées par le heurt de personnalités 23 . Le récit à base de
dialogues s’y prête bien car il génère ses propres problèmes d’interprétation. Ainsi,
c’est bien plus que le récit, l’évocation d’une temporalité du quotidien qui semble
constituer l’objet principal de ce type de narration. Cette tendance apparaît dans les
22
23
De la durée totale des épisodes analysés : Columbo (1970), Navarro (1995).
D’où le choix très précis du type de personnages dans les jeux tels Loft Story, Koh Lanta, etc.
14
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
séries telles que NYPB, P.J. ou Police District qui font « rejaillir l’ordinaire » 24 . Les
enquêtes sont reléguées à la fonction de décor, elles sont des prétextes, d’ailleurs
elles peuvent très bien ne pas aboutir comme c’est le cas dans la vie. L’événement
n’est qu’un déclencheur pour mieux connaître les réactions des personnages.
L’approche systémique inter-textuelle permet de tourner autour des personnages
pour en comprendre les réactions.
L’accroche dramatique principale peut être, comme le fait remarquer McAdow
(1974), associée à un intérêt d’ordre sexuel ou encore au voyeurisme sadomasochisme que nous avons en nous et qui, d’après P. De-Muth et E. Barton
(1982), étaient pris en charge par les jeux du cirque, au temps des romains. Mais il
nous semble, d’après les étudiants interviewés 25 sur leur intérêt pour les soap,
rejoindre l’opinion développée, en France, par D. Pasquier sur le rôle éducatif de ce
genre d’émission, et ce pour au moins deux raisons. Le besoin éprouvé par les
adolescents mais aussi par les adultes de connaître et de comprendre, d’une part, les
différents comportements engendrés par une situation donnée ; d’autre part, les
stratégies et/ou les solutions présentées par les séries pour gérer de véritables
problèmes sociaux. Car les soap dépassent la simple présentation de la « mise en
scène » interpersonnelle. Ils possèdent la particularité de traiter également des
événements qui affectent la société. Dans les années 1980, ils représentaient même
les seules émissions osant aborder, à côté des classiques adultères, les problèmes
d’alcoolisme, de racisme et d’homosexualité. La série Urgences s’inscrit, de ce point
de vue, totalement dans cette filiation. Tout d’abord, parce qu’il est difficile, dans un
épisode, d’identifier le héros : les personnages bénéficient d’un traitement identique
comme le montre le tableau de la figure 4. Ensuite, parce que chacun des
personnages permet de traiter des problèmes de société, tels les enfants séropositifs
et leur adoption (Jeanie), le droit des malades versus le devoir du médecin face à la
mort (deux cas sont présentés dans cet épisode, une jeune fille et une vieille femme),
l’homosexualité (Weaver) ou encore le droit des pères divorcés (Dr Benton).
Illustration même d’une structure en puzzle, il est difficile de citer les
problèmes et de les associer à un seul personnage, dans la mesure où la
multiplication des facettes d’exposition entrecroise personnages et problématiques.
Personnages
Jeanie
Dr.Weaver
Bébé
Lucy
Dr.Romano
Dr.
Elizabeth
Carter
séropositif
Cousine
Redgy
Damien
Dr.Benton
Lukas
Dr.Greene
Carla
Carol
Décès de la
Psy
Damien
mère
Nbre
d’apparitions
6
5
4
8
5
4
8
6
Figure 4. Nombre d’apparitions des personnages (Urgences, « Derniers Sacrements », 1999)
3.2
Les éléments structuraux et l’organisation du discours
Le fait de construire la narration télévisuelle sur une base unanimement
perceptible conduisant vers une signification fondamentale permet ensuite de
« jouer » sur les différentes strates ou niveaux signifiants. Le terme « jouer » est
Expression de C. Chelli producteur de la série Police District sur M6 (Synopsis n°18, avril
2002, p.29).
25 Un professeur d’une des plus fameuses universités américaines avait dû changer l’horaire
de ses cours parce qu’il correspondait à celui de la diffusion d’un soap et causait de
l’absentéisme de ses étudiants.
24
15
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
volontairement employé, car il permet de considérer les prises de risque qu’apporte
l’innovation en matière de réalisation. On veut modifier les représentations des
téléspectateurs en accrochant leur attention ou leur curiosité par des combinatoires
nouvelles et on attend de ce nouveau rapport perceptif qu’il entraîne une
structuration rationnelle ou un espace de liberté et d’identification du téléspectateur.
Structure narrative
Ainsi sont remises en cause certaines structures narratives de base que la
littérature a contribué à développer. La linéarité de développement en est un
exemple. Les feuilletons tels que l’Instit ou Madame le Proviseur ne fonctionnent,
auprès d’un public exigeant, que s’ils sont enrichis par ailleurs 26 . Le sens commun
peut accepter un héros unique qui résout le problème à la façon caricaturale de
Zorro et un contexte manichéen qui rappelle celui des westerns, mais, si l’on choisit
de développer une action miroir d’une réalité quotidienne, le média du flux a ses
exigences. Notre monde de vitesse ne permet pas, comme le faisaient les frères
Lumière après avoir planté leur caméra, d’attendre qu’il se passe quelque chose 27 .
Comment alors combiner la temporalité quotidienne avec ce besoin d’accrocher en
permanence l’attention et la motivation ? La solution apportée par la structure du
soap a été de développer plusieurs intrigues et de construire leur alternance de façon
à ce qu’elles se situent, dans un épisode donné, à des points différents de leur
développement dramaturgique (Fig. 5). Cette organisation permet de combiner
l’intérêt narratif de façon à assurer une accroche constante pour un public peu
captif 28 .
Ainsi, si l’on accepte comme principe le développement dramatique canonique
en trois temps (début, pic, dénouement), chaque épisode présente un récit qui
débute, une histoire qui se termine et le pic dramatique d’un développement. Du
point de vue de l’intérêt du sujet, les nouveaux téléspectateurs sont conquis par
l’histoire qui s’amorce et par le pic dramatique, tout en étant intéressés au
développement des autres histoires dont le pic viendra dans les épisodes qui suivent.
Souvent, le dénouement d’un thème peut se poursuivre par le démarrage d’un sujet
secondaire en latence dans le traitement du sujet principal.
Thème 1
commencement
développement
dénouement
pic dramatique
Thème 2
Thème 3
Thème 4
dénouement
pic dramatique
commencement
fin du thème
dénouement
démarrage
fin
dénouement
pic dramatique
démarrage
fin
Episode 3+
Épisode 4+
pic dramatique
Épisode 1+
(ou plusieurs
épisodes)
Épisode 2+
Figure 5. Représentation de l’alternance comme système de développement dramaturgique des
différents thèmes d’un même soap opéra
Par exemple par une analyse plus fouillée d’une problématique sociale d’actualité, par des
développements sur les plans sociologique et pédagogique susceptibles d’accrocher un grand
public.
27 Bien que le succès constaté du Loft à sa sortie repose la question…
28 C’est-à-dire qui ne suit pas régulièrement les épisodes.
26
16
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
On retrouve dans Ally Mc Beal un exemple de cette alternance dramaturgique.
Pour des raisons d’espace, nous reportons ici le tableau d’un seul épisode (Fig. 6).
Les intrigues sont centrées autour de trois personnages de la série. John (points
rouges et thème 2 sur le graphique) est amené à défendre une victime dont il tombe
peu à peu amoureux au cours de l’épisode. C’est le commencement d’un thème qui
sera repris par d’autres épisodes jusqu’à un dénouement. Le thème 3 est porté par
Ling (points verts) jusqu’à sa conclusion à la fin de l’épisode. Le pic dramatique
appartient au thème 1 sous la responsabilité d’Ally (points bleus), amoureuse de
Lary, jalouse et inquiétée, plusieurs épisodes après on saura que c’est à juste titre,
avec la visite de l’ex-épouse de ce dernier. La fonction des autres personnages est
justement d’interagir avec l’un des trois, ou les trois, de façon à faire apparaître des
facettes et des interprétations différentes d’une même situation.
La figure ci-dessous présente sur un même tableau l’alternance des intrigues
avec des éléments narratifs (nombre de plans faisant apparaître le personnage
principal) et des éléments techniques qui expliquent le rythme (alternance des
histoires avec alternance de décors fermés (cabinet d’avocat, bureaux, toilettes) et
ouverts (extérieur 5, école 1, Tribunal 2 et bar 3).
Dans ce tableau, la première ligne donne la chronologie des 36 séquences qui
composent l’épisode. Les chiffres sous les points de couleur représentent le nombre
de plans développant la séquence. Chaque point de couleur représente l’un des 3
héros mis en avant dans l’épisode. Points bleus 1 = apparitions à l’écran de Ally Mc
Beal, 2 celles de John et 3 celles de Ling.
Figure 6. Alternance dramaturgique dans la série Ally Mc Beal (épisode 10, série 4, année
2001) (T = Tribunal, B = Bar, E = extérieur)
La même analyse a été faite sur trois épisodes d’Ally Mc Beal. Elle révèle une
identité dans le nombre et la construction des intrigues qui composent chaque
épisode : les problématiques inhérentes aux personnages se poursuivent d’un
épisode à l’autre, accentuant l’effet feuilleton et permettant une densité, un volume,
à des caractères que l’on voit se développer. Les intrigues professionnelles ou
privées sont traitées avec un nombre de plans correspondant surtout à la tension
dramatique que l’on souhaite établir. Dans le cas de cet épisode, le pic est dans le
thème 1 qui comporte le plus grand nombre de séquences et de plans (47,63%). Le
thème 2 reçoit un traitement presque équivalent avec 32, 57% des plans. Le thème 3
présente moins d’accroche pour les épisodes à venir, il est donc traité avec une
présence des personnages à l’écran moins importante (19,78%).
D’un lieu unique pour évoquer une diversité de contextes
Un paradoxe intéressant à remarquer dans les soap trouve son prolongement
dans les séries : lorsque le spectateur est invité dans une sorte de huis clos dans
lequel se développe l’intrigue, ce dernier se situe souvent dans des lieux de passage,
17
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
lieux où se côtoient des catégories sociales différentes. L’hôpital, le commissariat, le
cabinet d’avocat en sont des exemples typiques. Paradoxalement, il s’agit de lieux
dans lesquels la fragilité de l’individu apparaît, son intimité également. Le choix des
lieux est, de ce fait, loin d’être neutre. Dans l’étude réalisée en 1985, les codeurs
impliqués par le protocole méthodologique l’avaient même noté comme l’un des
éléments susceptibles d’expliquer l’insuccès de l’un des deux soaps analysés. Il
s’agissait d’un studio de danse dans lequel venaient répéter des personnages divers,
alors que la série à succès se déroulait dans un hôpital et plusieurs restaurants.
Contrairement à ces lieux, connus de tous, le studio de danse ne favorisait pas le
type d’interactions multiples et variées qu’offrent l’hôpital et des lieux de brassage
de population. La série Ally Mc Beal illustre ce point dans la mesure où la grande
majorité des scènes se situe dans le cabinet d’avocats. Le Bar, les toilettes mixtes, le
hall (avec le personnage de la secrétaire effrontée et curieuse) amplifient le brassage
des stéréotypes et leur confrontation conduit bien souvent à des revirements
dramaturgiques.
Dans la série Urgences, outre la diversité des difficultés inhérente au
développement des personnages, eux-mêmes culturellement et socialement très
diversifiés, le centre hospitalier permet de porter un éclairage incisif sur certains
problèmes sociaux dans des contextes variés. Selon les épisodes, l’envers du décor
d’événements dont les médias se sont fait écho est découvert et exploré. Ainsi, le
traitement aux Urgences de victimes d’une émission de la télé-réalité, fait apparaître
incidemment, à travers le drame vécu par des candidats, les véritables « règles » du
fonctionnement de ce genre d’émissions. Le monde des concerts de hard rock, autre
exemple, est examiné à l’occasion du secours apporté aux victimes. Dans un
épisode, un même fait-divers permet de développer différentes problématiques : le
danger des effets pyrotechniques d’un spectacle branché (un musicien au pied éclaté
par un effet spécial), les effets d’un mélange de drogue et d’alcool (un autre
musicien saisi d’une crise cardiaque), les aléas des gardes d’enfant (un jeune garçon
piétiné et perdu dans la foule, il a été emmené à ce concert à l’insu des parents par la
Baby Sitter et son petit ami), etc.
Tout comme les coupures de publicités dans la diffusion des soap opera, les
moments de distanciation, de souffle ou de pause sont créés par une ouverture du
huis clos. Dans l’épisode de Ally Mc Beal (Fig. 6) ces coupures, sont apportées par
des lieux tels que le tribunal, la rue (l’école, dans cet épisode) et le bar. L’analyse du
tableau des lieux (Fig. 7) fait apparaître une influence que l’on peut attribuer au style
narratif propre aux soap opera. D’un côté se situent les intrigues qui se développent
dans les lieux du crime et de l’environnement des suspects et témoins (Columbo,
Maigret), de l’autre, les intrigues pratiquement en huis clos de type Urgences, Ally Mc
Beal, dont Navarro et Julie Lescaut constituent des hybrides.
Il s’agit bien de deux logiques narratives. Dans la première, le personnage, telle
une force qui va de l’avant, n’existe qu’en fonction du lieu où se déroule l’action ;
dans la deuxième, il se crée une sorte d’équilibre entre les lieux de vie du personnage
principal, qu’ils soient professionnels (commissariat) ou personnels (appartement
pour Navarro, maison pour Julie Lescaut 29 ).
Le générique de début de NYPB est, de ce point de vue, intéressant à analyser
car il stigmatise très concrètement le traitement spécifique des lieux. L’extérieur est
montré avec l’agressivité d’une accélération, de chocs visuels alors que les
29 Ou hôtel dans le cas exceptionnel de l’épisode qui se partage entre la France et la Suisse
(1996) ; importance également exceptionnelle des extérieurs dans le cas de l’épisode (1997)
dans lequel Sarah, la fille aînée de J. Lescaut aide la fille de la victime.
18
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
personnages sont présentés avec un léger ralenti qui préfigure le développement
privilégié des relations entre les personnages par rapport aux actions policières
menées dans la ville (Compte & Arensma, 2002).
Columbo
Columbo
Maigret
Navarro
Navarro
J. Lescaut
date
1970
1980
1987
1995
2000
1996
1997
Lieux
App.(victime) 8
Villa (victime)
Hôtel 17
Commissariat
Commissariat
Commissari
Commissariat
(décors)
Cabinet du
- Int. 15
Sa chambre7
Divers (ext.)
21
ats
19
suspect 10
- Chambre 5
Hammam 6
Appartement
Aérogare/avion 3
- Ext. 16
Ext. Hôtel 13
Lieux du crime
appartement
Commissariat 3
Ruelle/cuisine
Ext. Ville 5
Quartier 5
Hôpital 4
5
Autres 4
Restaurant
maison J.L.
Maison JL 3
Studio cinéma 4
Lieu du crime 4
14+1(Ginou)
5
App.Victime 3
App.Maîtresse 2
(chambre)
Lieux -crime 5
6
Ext. 6
(France
J. Lescaut
+
Suisse) 13
Extérieur(3)
20
Institut 8
Bar 3
Hôtel 5
Lieu
Maison JL 3
du
Bureau 2
crime 7
Autres lieux
9
Figure 7. Tableau des lieux-décors 30
D’une histoire à un réseau de situations et d’échanges
L’analyse de séries telles Columbo ou Maigret révèle une structure construite sur
le modèle de la quête, parce que le développement de l’histoire recompose la
temporalité en fonction du récit. L’avancée de l’enquête donne le tempo. A partir du
moment où l’on souhaite représenter les actions dans un contexte temporel miroir
d’une réalité quotidienne, le réalisateur doit élaborer un système d’équilibre
susceptible de compenser l’impression d’étirement, de temps mort. L’influence des
soap opera se retrouve dans l’apport du développement simultané de plusieurs
intrigues développées à travers des échanges 31 . Dans NYPB, il est difficile de
dissocier certains personnages de l’équipe qu’ils constituent (Sipovitz / Simone ;
Martinez / Greg). La mise à plat permet d’expliquer ce point : dans la mesure où ils
représentent des personnalités différentes, la mise en valeur, par des effets de
caméra précis, de leurs réactions, gestuelles et mimiques offre au public des
éléments d’analyse ou de connivence. On démultiplie ainsi les points de vue
narratifs.
Comme le signale R. Allen (1995 : 7), le déterminant syntagmatique (la
direction générale du sujet ou l’intrigue) a cédé la place à une complexité
paradigmatique (de l’intrigue à un monde fictionnel). Le spectateur fidèle est ainsi
récompensé par une construction qui lui permet des décodages à plusieurs niveaux,
une lecture plus nuancée des personnages et de la situation, car leurs composantes
ont été élaborées tout au long de nombreux épisodes, alors qu’un épisode analysé
Les nombres accolés indiquent le nombre de séquences se déroulant dans le décor cité.
L’espace imparti à ce texte ne permet pas de reproduire les schémas d’inter-relations
développés à partir des mises à plat des séries qui font nettement apparaître les différents
traitements narratifs.
30
31
19
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
hors contexte par un critique naïf apparaît comme du dialogue sans intérêt échangé
par des personnages communs.
4
Le paradoxe télévisuel : un art précis de la combinatoire qui
permet l’indigénisation
Il faut attendre les années 1980 pour que le format très spécifique au soap opera
soit pris au sérieux (entrée dans les « Cultural Studies » en Grande-Bretagne avec
Coronation Street (1981) et l’ouvrage de D. Hobson (1982)). (Compte, 1985) a montré
comment la rigueur de la manipulation technique qui accompagne ou plutôt qui
s’est mise au service d’une stratégie narrative spécifique des soap opera a fait de ce
format un modèle de rhétorique télévisuelle.
Rhétorique télévisuelle, une combinatoire minutieuse et précise, en quête de
la profondeur
Le terme de rhétorique est employé à dessein pour le différencier de
« grammaire », de « formule » ou de « moule » car il rend davantage compte d’une
dynamique particulière. Comme dans le langage oral ou écrit, il atteste d’une
construction intentionnelle et singulière, utilisant un certain nombre de procédés
repérables, finement organisés et structurés dans un but précis. A la différence
d’une « grammaire », le sens émerge non seulement de la syntaxe, mais également de
sa mise en contexte et de tout un jeu de combinatoires qui laissent place à la
créativité et à l’innovation - une des conditions de survie dans un monde
concurrentiel. A la différence d’une « formule », les éléments repérés ne
fonctionnent pas toujours de la même manière quelle que soit l’intrigue et
contrairement à un « moule », l’analyse en terme de rhétorique laisse la place à une
combinatoire infinie, car toujours singulière des procédés repérés dans le système
symbolique télévisuel.
Le traitement technique des feuilletons utilise des figures de rhétorique que
l’on trouve dans d’autres émissions, mais avec un agencement minutieux de
plusieurs composantes. La différence tient surtout au souci d’une adéquation avec le
système perceptif des téléspectateurs et à l’importance du traitement visuel (comme
dans la communication interpersonnelle de la vie quotidienne, analysée par E.
Goffman), d’où l’importance d’une redondance inter-éléments. Ce qui explique
certainement l’attitude différente des téléspectateurs que les études de S. Pingree
(1981), de M. Cantor et S. Pingree (1983) et C. Compte (1992) décrivent comme
plus participatifs.
La redondance inter-éléments
Lorsque l’on assiste au tournage d’un épisode de soap opera, on est étonné de ce
qui apparaît tout d’abord comme une absence de jeu, un « non jeu » des acteurs. Le
travail qui leur est demandé se situe entre le théâtre et le cinéma, car ils doivent
s’exprimer sans pratiquement bouger. De fait, ils participent à un ensemble en
procurant la base sur laquelle s’organise le travail technique. Ce sont l’alternance des
plans et les mouvements de caméra qui leur donnent vie et les situent par rapport au
regard des autres personnages, les éclairages, les couleurs et la musique qui
apportent la profondeur. La même remarque pourrait s’appliquer aux dialogues.
Alors qu’ils sont la base de la narration, ils sont extrêmement concis sans chercher,
comme dans le « polar » du cinéma français, le bon mot, la formule d’auteur qui
marque (mais qui est intraduisible et qui nuit à l’exportation). Cette concision dans
le texte évite l’impression de bavardage que pourrait créer une production à base de
“gossips”.
20
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
L’installation d’un art de la combinatoire 32 exige une qualité du cadre qui ne
tolère pas de plan neutre 33 . L’instance de réalisation joue sur la valeur perceptuelle
de l’échelle des plans 34 . Le gros plan est utilisé pour attirer l’attention sur des
accessoires facilitant la compréhension ou participant à la profondeur des
personnages. La mise en valeur du personnage principal d’un épisode peut se faire
par une différenciation, il apparaît en plus gros plans tout seul par exemple ou par le
nombre d’interactions avec les autres personnages. Mais ce traitement n’est pas
systématique (ce qui serait le propre d’une grammaire télévisuelle), c’est le rapport
dans la différenciation qui l’est (ce que revêt, pour nous, tout l’intérêt d’une analyse
en terme de rhétorique télévisuelle).
Télévision internationale et indigénisation
Evoquer une rhétorique télévisuelle internationalement respectée convoque
aussitôt le problème de la mondialisation, et notamment d’une hégémonie des
modèles anglo-saxons. C’est, en effet, le succès de Hill Street Blues qui a permis,
selon l’auteur de P.J., F. Krivine, de convaincre les décideurs de prendre le risque
d’une série policière axée sur autre chose qu’une enquête. Cela signifie-t-il que la
télévision française soit sous la coupe des productions américaines ? La réponse est
affirmative en ce qui concerne la diffusion. Le coût des packages américains défie
toute concurrence et les chaînes y trouvent leur compte. En va-t-il de même pour la
production ? Peut-on parler d’une théorie d’homogénéisation de la culture mondiale
ou au contraire d’une indigénisation ? La théorie d’A. Appadurai que M. Buonanno
(1999) applique à la dramatique télévisuelle montre qu’il y a « indigénisation »
lorsque l’on peut remarquer un phénomène d’appropriation et d’élaboration à partir
d’une culture imprégnée des caractéristiques locales, et l’auteur de citer l’exemple
des western spaghetti.
Si, en ce qui concerne les séries et feuilletons, la tradition européenne est plus
ancienne et si l’on peut retrouver dans la littérature, puis à la radio et au cinéma, des
productions à base de structure modulaire (la filiation picaresque est importante)
portant sur des faits-divers ordinaires, tissu de la vie sociale mêlant intrigue et vie
personnelle, la transition sur le média télévisuel ne s’est pas vraiment faite en
Europe. L’apport des soap opera américains est donc intéressant particulièrement sur
les deux points suivants :
• En premier lieu, il produit la preuve du succès d’une forme hybride mais
précise, et donc une incitation commerciale à la décliner sur des émissions
du prime time.
• En second lieu, il a développé une utilisation du système symbolique
télévisuel très fonctionnelle et efficace.
La question qui se pose, dans ce cas, consiste à rechercher si le passage de
l’artisanat créatif à une échelle industrielle ne tue pas l’esprit novateur et ne risque
pas de « formater » les styles (on peut songer à Hollywood et à la suprématie des
Studios Universal pour le cinéma). Sur ce point, la notion d’indigénisation est
intéressante à considérer, car elle s’oppose à celle de simple « copie » ou
« inspiration ». Il s’agit de s’approprier des éléments dans une organisation
cohérente avec le système social national.
Titre d’un paragraphe de (Compte, 1992).
C’est-à-dire qui ne donne pas d’information sur le thème, les personnages ou le contexte.
34 La grosseur, à l’écran, du sujet filmé. C’est la différence de ce traitement par rapport aux
autres personnages qui désigne, aux yeux des spectateurs mais sans qu’ils en prennent
conscience, le protagoniste mis en valeur pendant l’épisode.
32
33
21
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Si la série La Crim’ fournit un exemple de simple déclinaison de l’original, celui
de P.J. nous semble avoir intégré les éléments inspirés par NYPB dans un contexte
culturel plus national. Nous avons montré (Compte & Arensma, 2002) combien, sur
le plan de la série policière, la télévision française a réussi à faire reconnaître un
hybride caractéristique de sa culture avec des réalisations comme Navarro et Julie
Lescaut, des séries de type familial dans lesquelles la figure du héros n’est pas
totalement gommée, mais correspond au besoin sécurisant d’une image forte.
Il nous semble que l’influence des soap opera porte sur deux aspects plus
importants qu’une limitation à une inspiration. Tout d’abord, la découverte du
potentiel d’un système symbolique que la télévision américaine, stimulée par la
concurrence, a dû explorer bien avant que la télévision française n’en éprouve la
nécessité. La problématique n’est alors pas de s’affranchir d’un modèle, mais, à
travers l’analyse de celui-ci, d’apprendre, de découvrir et d’utiliser une rhétorique qui
permet de trouver un style personnel à l’auteur, aux scénaristes français, souvent
isolés et autodidactes 35 .
Le deuxième apport concerne la prise en compte de deux logiques de
communication. Dans le cas de Navarro ou Julie Lescaut, la série propose un
divertissement au spectateur, dans les autres types de séries telles que Hill Street
Blues, NYPB ou P.J. beaucoup plus dans la lignée des soap, le spectateur se sent
impliqué, voire acteur. Ce sentiment tient à la façon dont l’intrigue est conduite, la
véracité des éléments d’information ou plutôt la cohérence, et le style d’écriture qui
implique ou distancie. L’impact de la scène fait que le spectateur se l’approprie et
qu’il continuera à la développer dans son esprit après le visionnement,
contrairement au divertissement qui se termine avec le visionnage du document.
5
Conclusion
On a pu remarquer le développement de thèmes de plus en plus intimes traités
dans les trois formats sit’com, séries, feuilletons. Faut-il imputer ce fait aux soaps ou à
l’évolution sociale et à une plus grande précision de l’usage qui est fait de la
télévision dans la vie quotidienne des individus ?
Notre analyse ne permet pas de répondre sur ce point que nous laissons aux
sociologues, nous avons juste repéré des caractéristiques apparentes spécifiques aux
soap opera et considéré dans quelle mesure elles ont été reprises dans les productions
du prime-time.
En télévision, la rentabilité est mesurée et prise en compte. S’agissant d’un
mass media onéreux, il convient d’élaborer les programmes avec le souci d’une
audience toujours plus importante et d’une diffusion internationale. Dans un tel
contexte, l’intérêt des soap opera réside dans le fait que ce format a su développer
une maîtrise du système symbolique d’un outil perfectionné (le média télévisuel)
jusqu’à en établir une rhétorique permettant une action sur le fonctionnement
cognitif du téléspectateur. La mise en place d’invariants, de règles d’agencement et
de fonctionnement techniques a été faite, non seulement dans un souci esthétisant
ou innovant à la manière des modes passagères, mais dans le but d’assurer une
véritable fonction de médiation cognitive et affective auprès des téléspectateurs.
Prendre en compte des phénomènes de perception, d’attention, favoriser la
compréhension et stimuler la motivation apparaissent comme les préoccupations
phares de l’instance de réalisation. D’où la pérennité des solutions et la nouveauté
35 Les Ecoles et Centres de formation se déclarent avant tout de Cinéma et non de
Télévision.
22
L’influence des soap opera sur les stratégies narratives des séries télévisées
des propositions qui les font adopter comme éléments de base d’une écriture
télévisuelle.
Barde des temps modernes, c’est sur le petit écran et à partir d’un monde
fictionnel créé que se fait la cohésion sociale, que se développe un sentiment
d’appartenance et de partage d’intérêts de connaissances et d’événements rapportés
par la télévision. Il nous semble intéressant à ce titre de relever l’arrivée, à la place
des nombreuses séries familiales, de feuilletons portant sur les problèmes d’éthique
et des cas de conscience, que ce soit dans un environnement de commissariat ou
dans le huis clos d’un cabinet d’avocat (Boston Public, The Practice, Ally Mc Beal). Il
s’agit là d’une évolution conforme au rôle du barde télévisuel : plutôt qu’à l’image
idéalisée d’un noyau familial, on préfère impliquer le spectateur dans une
présentation nuancée de problèmes dont il est peut-être important qu’il prenne
conscience en tant que citoyen dans un système démocratique.
Ainsi, le format méprisé du soap nous montre que le média de masse ne doit
pas nécessairement s’uniformiser à partir du plus petit dénominateur culturel
commun. Son impact, ainsi que la facilité d’acquisition de son système signifiant,
devraient en faire un outil essentiel pour contribuer à apporter des réponses sociales
et éducatives.
Bibliographie
Allen, R. (1985). Speaking of Soap Operas. Chapel Hill, NC : University of North
Carolina Press.
Allen, R. (ed.) (1995). To Be Continued… Soap Operas Around the World, Routledge,
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Bandura, A. (1965). “Influence of Model’s Reinforcement Contingencies on the
Acquisition of Imitative Responses”. Journal of Personality and Social Psychology, I, 589595.
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Buonanno, M. (1999). El drama televisivo. Identidad y contenidos sociales, Gedisa editorial,
Barcelona, 1999.
Cantor, M. & Pingree, S. (1983). The Soap Opera, Sage Publications, Beverly Hills.
Cantor, M. (1980). Prime-Time Television, Content and Control, The Sage CommText
Series, Sage Publications, Beverly Hills.
Cassata, M. & Skill, T. (1983) (eds.). Life on Daytime Television: Tuning-in American
Serial Drama, Norwood, N.J. Ablex.
Chalvon-Demersey, S. (1994). Mille scénarios. Une enquête sur l’imagination en temps de
crise, Metailié, Paris.
Compte, C. & Arensma, D. (2002). Les séries policières françaises et américaines. Les leçons
d’une analyse comparative, Actes du Colloque sur les séries policières, Bordeaux (à
paraître).
Compte, C. (1985). Using Soap Opera Structure for Aural French Comprehension, PhD,
New York University, New York.
23
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
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manipulation technique », dans Lectures de l’Image, Cahier n°1, Université de
Lausanne, 87-108.
De-Muth, P. & Barton, E. (1982). « Soap gets in your mind ». Psychology Today 16,
july : 74-78
Esslin, M. (1982). The Age of Television, Freeman, San Francisco.
Hobson, D. (1982). "Crossroads": The Drama of a Soap Opera, London, Methuen.
McAdow (1974, 1995). “Experiences of Soap Opera”. Journal of Popular Culture 7 :
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Pasquier, D. (1998). Lectures des personnages de série, dans Bourdon, J. et F. Jost
(ed.) : Penser la télévision, Actes du Colloque de Cerisy, Nathan, INA, coll. Médias
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Pingree, S. (1981). « Audience activity with daytime and prime time television ».
Unpublished.
Propp V. (1928, 1965). Morphologie du conte, Seuil, Paris.
Skill, T. (1982). « Television’s families : Real by Day, ideal by Night” in M. Cassata
& T. Skill (eds), Life on Daytime Television : Tuning-In American Serial Drama. Norwood,
NJ. : Ablex pp.139-146.
Stedman, R. (1977). The Serials: Suspense and Drama by Installments. Norman :
University of Oklahoma Press.
24
Evaluer un dispositif de formation à distance
Principes et retour d’expérience
Evaluating a distance learning system: principles and feedback
Stéphane CARO DAMBREVILLE
Laboratoire LIMSIC, EA4177 CIMEOS, Université de Bourgogne
[email protected]
Résumé. La multiplication des dispositifs de formation à distance et la complexité
de certaines plateformes utilisées au sein du système universitaire soulèvent des
questions. En tout premier lieu, celle de la stabilisation des pratiques d’écriture des
documents numériques. En second lieu celle de l’évaluation de ces dispositifs. C’est
ce dernier point que nous souhaitons traiter dans le cadre de cet article. Qu’est-il
possible d’évaluer en la matière ? Les dimensions d’évaluation sont multiples selon
l’angle choisi. Nous nous limiterons à une approche centrée sur l’évaluation de
l’interface personne-système. Le terrain d’expérimentation choisi est un site Internet
d’apprentissage du droit du travail réalisé par le service universitaire de formation
continue de l’Université de Bourgogne.
Mots-clés. Enseignement à distance, technologies d’information communication
pour l’enseignement, ergonomie, évaluation ergonomique, utilité, utilisabilité,
méthodes d’inspection, test utilisateur, questionnaires et entretiens.
Abstract. The multiplication of distance learning platforms and the complexity of
some of those used within the university system raise questions. First of all, the
stabilization of writing practices of digital documents. Secondly, the evaluation of
these devices. We want to address this last point in this article. What is it possible to
assess in this field? There are many dimensions of evaluation, depending on the
angle chosen. We limit ourselves to an approach focused on evaluating the humancomputer interface. The chosen testing ground is a website for law studies,
developed by the University of Burgundy’s further education section.
Keywords. Distance education, information communication technologies for
education, ergonomics, usability testing, utility, usability, inspection methods, user
testing, questionnaires and interviews.
1
Préliminaires
Tout d’abord, lors d’une démarche d’évaluation, il est nécessaire de définir ce
que l’on souhaite évaluer. Pour cela il convient de considérer que l’apprenant se
situe dans un contexte d’apprentissage « par l’intermédiaire d’un dispositif
technique ». L’apprenant se trouve donc exposé à une double contrainte, celle de
25
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
devoir intégrer des connaissances nouvelles sur un domaine donné (le droit du
travail dans notre cas) et en même temps, utiliser un dispositif technique pour ce
faire (un site internet développé à cet effet). On comprend que cette double
contrainte et cette structure de buts va rendre ce type de tâche particulièrement
complexe dans le cas où le dispositif technique serait défaillant (c’est-à-dire, difficile
à utiliser). Dans ce cas particulier, l’allocation de ressources cognitives
« supplémentaires » à l’utilisation du dispositif technique plutôt qu’à la tâche
d’apprentissage va provoquer de piètres performances en termes d’apprentissage.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’évaluation d’un de ces dispositifs
technique à l’aide de méthodes « classiques » de l’ergonomie des interfaces
personnes-système. Il s’agira donc de l’évaluation du dispositif technique plutôt que
de l’évaluation du « gain » en termes d’apprentissage chez l’apprenant. Les trois
méthodes choisies seront : l’évaluation par inspection (ou audit), les tests
utilisateurs, les entretiens et questionnaires. Pour chacune de ces méthodes, nous
donnerons des exemples de livrables. Il est peut-être utile de préciser avant tout
qu’une bonne interface pour l’apprentissage est une interface qui ne consomme que
très peu de ressources cognitives pour son utilisation. Une interface « transparente »,
discrète, va permettre à l’apprenant de concentrer ses ressources cognitives sur
l’apprentissage des connaissances et non sur l’apprentissage ou la maîtrise du
dispositif technique. L’objectif est donc clairement de minimiser la charge cognitive
spécifiquement dédiée à l’exploitation du système (pour une présentation du
concept de charge cognitive, cf. (Chanquoy et al., 2007)).
1.1
Les dimensions de l’évaluation
On peut considérer que l’évaluation consiste généralement à comparer l’objet
évalué à un modèle de référence afin d’en déduire des conclusions (Huart et al.,
2008). Bien entendu le « modèle de référence » peut être virtuel et envisagé comme
une combinaison de recommandations adaptée au domaine de l’objet à évaluer.
Qu’est-il possible d’évaluer dans un contexte de formation à distance ? L’évaluation
doit reposer sur des critères formels et explicites. Quelles sont les dimensions
d’évaluation à privilégier ? De nombreux critères d’évaluation sont mobilisables
pour l’évaluation des documents numériques et dans le contexte de l’apprentissage,
on peut encore en ajouter qui sont plus spécifiques. On distingue habituellement
trois dimensions d’évaluation principales des systèmes interactifs (Senach, 1993) :
¾ l’utilité,
¾ l’utilisabilité,
¾ l’esthétique.
Tricot (Tricot et al., 2003) ajoute à ces trois dimensions l’acceptabilité
(sentiment positif ou négatif à l’égard du produit, « intention » d’utilisation en
fonction de nombreux paramètres : motivation, affects, culture, valeurs). La figure 1
ci-dessous présente les critères d’évaluation des trois premières dimensions.
Les notions d’utilité et d’utilisabilité sont souvent discutées dans la littérature
ainsi que le périmètre qu’elles embrassent (Huart et al., 2008). Dans le cas
d’évaluation ergonomiques d’interfaces personnes-système, on s’intéresse à
l’utilisabilité et éventuellement à certaines dimensions de l’utilité. Il n’est pas très
difficile d’appréhender ce que recouvrent la plupart des critères d’utilité comme la
vitesse de chargement d’une page, la présence de liens morts, la qualité du contenu
(texte, image), la présence des fonctionnalités pertinentes pour l’utilisateur.
L’utilisabilité ou la dimension ergonomique est la plus délicate à évaluer car les
critères à respecter sont peu connus et font rarement l’objet de formation. Sur la
figure 1, trois attributs principaux sont mentionnés pour l’utilisabilité : facilité
26
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
d’apprentissage, d’utilisation, qualité de la documentation. On peut aussi
mentionner, selon les auteurs, l’efficacité d’utilisation, la facilité de mémorisation,
l’utilisation sans erreurs, et la satisfaction de la part de l’utilisateur (Huart et al.,
2008). La dimension esthétique relève de compétences spécifiques mais laisse aussi
place à une grande part de subjectivité. Elle est parfois considérée comme une
composante de la satisfaction de la part de l’utilisateur au même titre que les
préférences de l’utilisateur (Bastien et Scapin, 2001).
Évaluation d’un système interactif
Utilité
- capacité fonctionnelle
- performances du
système
- fiabilité
- contenu
- qualité de l’assistance
- scénario, métaphores
Utilisabilité
- facilité d’apprentissage
- facilité d’utilisation
- qualité de la doc.
Esthétique
- typographie
- graphisme
- choix des couleurs
- etc.
Qualité ergonomique
- adéquation à la tâche
- adéquation à l’utilisateur
- adéquation au contexte
hé
i t
Figure 1. Dimensions d’évaluation, adapté d’après Senach (1993)
De ces trois dimensions, la plus importante semble être l’utilité. Une interface
esthétique et facile à prendre en main, si elle n’offre pas les fonctions dont
l’utilisateur a besoin (ou envie de se servir), si elle est instable techniquement, si elle
présente des informations qui ne sont plus à jour, risque fort d’être délaissée. Au
contraire, une interface qui offre un service dont l’utilisateur a besoin et d’une
manière efficace sera utilisée même si elle est peu esthétique et quelque peu difficile
à appréhender. L’interface du minitel, qui a eu son heure de gloire, en est un
exemple. Ni modèle d’ergonomie ni de graphisme, les écrans du minitel ont été
utilisés par l’intermédiaire d’un clavier, peu agréable de surcroît, parce que le minitel
offrait des services réels (et même payants) aux usagers. Dans un contexte nonconcurrentiel, une interface peut être essentiellement axée sur l’utilité. Dans un
contexte concurrentiel, dans un contexte où les impératifs de sécurité ou de
simplicité d’utilisation sont déterminants, la donne est tout autre et l’interface devra
soigner son utilisabilité et/ou son esthétique. On emploie pour les domaines de
l’utilisabilité et de l’utilité de nombreuses méthodes d’évaluation d’interfaces
homme-machine. Un ouvrage francophone récent en recense pas moins d’une
quinzaine assorties de fiches pratiques (Baccino et al., 2005). Nous nous limiterons à
des méthodes couramment utilisées pour évaluer l’utilité et l’utilisabilité du site de
27
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
formation au droit du travail. Ces méthodes sont liées à l’évaluation d’un système
réel : l’inspection, les tests utilisateurs, les questionnaires et entretiens (cf. tableau 1).
1.2
Les diverses méthodes d’évaluation : classification rapide
Il existe de nombreuses possibilités de classement des méthodes d’évaluation
selon que l’on s’intéresse au type d’approche (expérimentale vs prédictive) à
l’implication d’utilisateurs, d’experts, aux aspects théoriques, situationnistes (en
laboratoire, en situation réelle), au produit fini ou à des prototypes, etc. Nous
présentons dans le tableau 1 une classification rapide de ces méthodes, proposée par
Huart et al., (2008).
Système réel
Système représenté
Utilisateur réel
Méthodes d’observation
(approches empiriques)
Rapports d’utilisateurs
(approches empiriques)
Utilisateur représenté
Rapports de spécialistes
(approches expertes)
Méthodes analytiques
Tableau 1. Classification des méthodes d’évaluation d’interfaces personnes-systèmes d’après
Huart et al., (2008)
1.3
Présentation du dispositif évalué
Le cheminement que nous allons décrire s’inspirera d’évaluations pratiquées
sur le site « Droit du travail : formation en ligne de l’institut d’AES » de l’université
de Bourgogne sur une période de trois ans. Le produit testé comportait un module
sur le syndicalisme. Certaines fonctions n’étaient pas implémentées ou terminées au
moment de l’évaluation. Toutefois il s’agit bien du système réel et non représenté
(maquette, prototype papier...) au sens de Huart et al., (2008). A noter au passage
qu’il n’est pas utile d’attendre qu’un produit de formation soit complètement finalisé
pour l’évaluer. L’évaluation peut se concentrer sur les parties du dispositif qui sont
déjà fonctionnelles. Une fois que ces parties sont évaluées et modifiées, le cas
échéant, on étendra à tous les développements futurs les résultats de l’évaluation
.
Figure 2. Ecran de choix des activités
28
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
Le site « Droit du travail : formation en ligne de l’institut d’AES » propose
différents types d’activités (voir figure 2, écran de choix des activités) :
- lecture d’un cours (mémento)
- exercices (études de cas concrets)
- tests (positionnement rapide par questions fermées pour se situer par
rapport à des connaissance sur un thème)
- échanges avec d’autres apprenants, un groupe, un tuteur
- consultation de documentation liée au domaine.
A chaque type de tâche correspond une logique d’utilisation de l’interface et
des outils appropriés qui peuvent donner l’impression d’une certaine complexité.
Utilisateurs
Les utilisateurs de ce dispositif sont des étudiants de licence d’AES. Toutefois une
utilisation du dispositif pour la formation professionnelle est envisageable. On
utilisera le terme d’utilisateur dans la suite de cet article plutôt qu’apprenant. En
effet, l’évaluation décrite ci-après porte sur le dispositif en termes d’interaction et
non directement sur l’acquisition des connaissances.
Contexte
Les utilisateurs travaillent avec le dispositif individuellement, à domicile ou en salle
informatique en libre service. Le dispositif est pensé comme un complément à un
cours classique dispensé à l’Université. Le site présente donc des liens avec le cours
intitulés « annonces ».
Le site dans sa version évaluée comporte de nombreux écrans et présente des
possibilités de navigation multiples d’une partie à l’autre. Les organisateurs de
structure et de mise en forme (para-linguistiques : couleur, enrichissement
typographique, multifenêtrage, icônes etc.) ont été utilisés abondamment afin de
faciliter l’utilisation de ce dispositif de formation.
1.4
Panorama des méthodes
Les méthodes d’évaluation de l’utilisabilité sont classées généralement selon
plusieurs facteurs. On peut différencier les méthodes qui nécessitent le recours à des
utilisateurs et les autres. On utilisera alors le qualificatif d’observations participantes
ou tests utilisateurs. Le second facteur consiste à classer les méthodes selon les
outils qui les assistent. Ainsi des outils logiciels d’évaluation automatique permettent
d’évaluer certaines dimensions d’utilisabilité comme la densité informationnelle par
simple comptage des mots, des liens… D’autres outils informatiques assistent
partiellement l’évaluateur ou permettent par exemple de suivre le parcours dans les
écrans et de le reconstituer à l’aide de mouchards informatiques. Chaque méthode
présente des forces et des limites et on consultera valablement l’ouvrage cité
précédemment pour en avoir le détail (Baccino et al., 2005). À présent, nous allons
nous recentrer sur les principales méthodes qui seront mobilisées dans le cadre de
cette évaluation.
2
Les méthodes d’inspection
2.1
Les méthodes d’inspection : présentation
Dans un premier temps et avant de recourir à des méthodes coûteuses comme
celles qui nécessitent d’observer ou d’interviewer des utilisateurs, il convient de
vérifier que l’interface respecte les normes et standards existants. Pour ce faire, on
demande à un évaluateur (dont l’expertise peut varier) d’évaluer le dispositif sur la
base de standards existants. Les standards utilisés peuvent être multiples comme
29
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
une norme de qualité ISO 9241-10, mais aussi des listes de critères de qualité
ergonomiques comme ceux de Nielsen (1994) ou de Bastien et Scapin (1993) repris
dans la norme AFNOR Z67-133-1. L’évaluateur analyse l’interface à l’aune des
standards ou des critères choisis et il se familiarise avec l’interface afin de
comprendre son utilisation et de prévenir les problèmes qui pourraient surgir dans
ce contexte.
Concrètement l’évaluateur procède en quatre étapes distinctes qui peuvent se
recouvrir temporellement.
¾ La familiarisation avec le dispositif,
¾ La maîtrise de recommandations, (guidelines, grille de critères)
¾ L’application des recommandations retenues au dispositif
¾ La rédaction du rapport d’évaluation.
La familiarisation avec le dispositif nécessite une bonne connaissance de la cible
(public visé par le système), du contexte d’utilisation et des tâches à effectuer avec le
système (résolution de problèmes, acquisition de connaissance, recherche
d’information, etc.). Une exploration du système pendant une heure environ avec
des commentaires de l’équipe de conception peut permettre une première prise en
main dans de bonnes conditions. La formalisation de la structure de navigation
(arborescence) sur un grand document est aussi utile à cette étape. L’équipe de
conception n’a pas forcément de document de ce type qui soit suffisamment
complet. L’évaluateur aura intérêt à s’en fabriquer un en collant des post-it sur un
tableau par exemple. La numérotation des écrans sur ce documents sera utile aux
étapes suivantes.
La maîtrise de recommandations, guidelines, grille de critères de qualité ergonomique
sera plus ou moins importante selon l’expertise de l’évaluateur. Une bonne base de
départ avec peu de critère peut consister à utiliser les critères de Nielsen qui sont
peu nombreux (10) ou ceux de Bastien et Scapin (1994) qui sont également peu
nombreux (18) et fournis avec des définitions précises et de nombreux exemples
appliqués aux interfaces personnes-système ou aux documents numériques (Bastien
et al., 1998).
L’application des recommandations au dispositif est la phase d’analyse proprement
dite au cœur de cette activité d’inspection. Pour un évaluateur novice, on pourra
procéder à une inspection critère par critère lors du parcours dans le dispositif.
L’évaluateur expert qui maîtrise et mémorise les critères d’évaluation parcourra les
parties représentatives de l’application et identifiera les critères non respectés en
fonction des situations d’interaction. Les problèmes détectés seront relevés aussi
précisément que possible (titre, numéro de l’écran, description du problème, critère
concerné et copie d’écran si nécessaire selon la complexité du problème). Pour les
écrans comportant de nombreux problèmes, une copie d’écran commentée avec la
liste des problèmes relevés peut être envisagée.
On pourra également, pour faciliter l’application des recommandations au
dispositif (3ème étape) se construire sous forme d’écran (page Web) ou sur papier des
fiches par critère (définition du critère et exemples de défauts). Ces fiches sont
destinées à passer en revue tous les défauts de l’interface et à les répertorier
directement « sur le critère concerné ». La figure 3 présente un dispositif logiciel de
ce type conçu par les étudiants de la Licence Pro Activités et Techniques de
Communication du département Services et Réseaux de Communication de l’IUT
de Dijon (Julien Saurin et Rémi Chouvenc, promotion 2008). Ce dispositif peut être
ouvert dans une fenêtre sur l’écran de l’évaluateur et le système à évaluer dans une
autre fenêtre à proximité sur le même écran.
30
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
Figure 3. Présentation du critère densité informationnelle (Bastien et Scapin 1998), le champ de
texte permet de relever les problèmes liés à la densité informationnelle ainsi que leur localisation
dans l’application. L’échelle bi-polaire permet d’attribuer une note à chaque critère
Chaque bouton du bandeau gauche (qui représente un des 18 critères de
qualité ergonomique de Bastien et Scapin) est cliquable pour permettre à l’utilisateur
de revenir à n’importe quel critère lors de l’évaluation. Les boutons en bleu
signifient que pour ces critères, des observations ont déjà été mentionnées et les
boutons en gris sont des critères pour lesquels aucun problème n’a été signalé.
Lorsque la souris passe sur l’un des boutons, un escamot apparaît après 0,5
secondes pour préciser à quel critère correspond chaque numéro ; au bout de 3
secondes, le texte devient défilant afin de compléter la description. Si l’utilisateur
clique, il est automatiquement conduit vers le critère sélectionné (cf. figure 4). Une
bordure noire entoure le carré du critère courant (8 sur la copie d’écran, figure 4).
A l’issue de l’évaluation, le dernier écran présente la notation de chaque critère
(échelle bi-polaire) et la liste des problèmes relevés par l’évaluateur classée par
critère (Figure 5). Il convient de signaler que quand les problèmes relevés sont
nombreux, une classification des problèmes par écran est plus adaptée pour l’équipe
de conception.
31
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 4. Survol d’un critère avec la souris, critère prise en compte de l’expérience de l’utilisateur
(Bastien et Scapin, 1998)
Figure 5. Synthèse de l’évaluation, le champ de texte liste les critères non respectés, leur
description ainsi que leur localisation dans l’application
32
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
La rédaction du rapport comprend la présentation d’une courte introduction sur
le dispositif évalué et du contexte de l’évaluation, la liste des critères d’évaluation
choisis (les concepteurs ne connaissent pas toujours les critères mobilisés pour
l’évaluation). La présentation des problèmes constatés pourra suivre l’ordre des
critères mobilisés (si les défauts sont peu nombreux) ou être organisée par écran s’il
y en a beaucoup sur chaque écran. Dans ce dernier cas, une copie d’écran de la
partie problématique et une maquette d’écran qui solutionne les problèmes sera
proposée idéalement. Le groupement de certains défauts et leur présentation globale
peut être envisagée quand ces défauts reviennent sur de nombreux écrans (certains
concepteurs ont des habitudes qui provoquent des problèmes répétitifs). Enfin une
rubrique de remarques générales et/ou diverses peut être envisagée pour faire
remonter à l’équipe de conception des informations sur des bugs éventuels,
impressions diverses, coquilles orthographiques, problèmes esthétique... même si
ces remarques ne sont pas directement liées à l’utilisabilité ou à l’utilité du produit.
Une conclusion sur la perception du produit évalué et la pondération des défauts
constatés (défauts majeurs, mineurs...) pourra être d’une grande utilité pour l’équipe
de conception. La conclusion peut orienter l’équipe de conception vers une autre
technique d’évaluation (tests utilisateurs, entretiens, questionnaires etc.) selon les
résultats obtenus lors de l’inspection. La technique suivante (test utilisateur par
exemple) pourra se placer après les éventuelles modifications du produit
préconisées dans le rapport d’inspection.
2.2
Inspection du dispositif de formation
Dans le cadre de l’évaluation du dispositif de formation, nous avons choisi
d’utiliser les critères de qualité ergonomiques de Bastien et Scapin (1993). À partir
du recueil d’une synthèse de nombreuses études expérimentales sur les interfaces
personne-système, Bastien et Scapin ont élaboré une grille d’analyse fondée sur une
liste de critères qui permettent d’évaluer l’ergonomie des interfaces homme-machine
et, par inclusion, des documents numériques. La liste de critères (voir ci-dessous)
permet de classer les défauts, de façon à prévenir les problèmes d’utilisation et à
faciliter la conception.
L’énumération ci-dessous présente la liste des critères d’utilisabilité ou de
qualité ergonomique de Bastien et Scapin. Les 18 critères élémentaires (qui ne
peuvent se subdiviser) apparaissent en caractères gras.
1. Guidage
1.1 Prompting ou incitation
1.2 Groupement/Distinction entre items
1.2.1 Groupement/Distinction par la localisation
1.2.2 Groupement/Distinction par le format
1.3 Feed-back immédiat
1.4 Lisibilité
2. Charge de travail
2.1 Brièveté
2.1.1 Concision
2.1.2 Actions minimales
2.2 Densité informationnelle
3. Contrôle explicite
3.1 Actions explicites
3.2 Contrôle utilisateur
4. Adaptabilité
4.1 Flexibilité
33
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
4.2 Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur
5. Gestion des erreurs
5.1 Protection contre les erreurs
5.2 Qualité des messages
5.3 Correction des erreurs
6. Homogénéité / Cohérence
7. Signifiance des codes et dénominations
8. Compatibilité
On trouvera une définition de chacun de ces critères et des exemples
d’application donnés par les auteurs dans le contexte d’interfaces homme-machine
dans Bastien et Scapin (1993), et des adaptations au contexte des documents
numériques dans Bastien et al. (1998). Les listes de critères, qu’elles soient plus ou
moins étendues, présentent souvent des éléments similaires comme le contrôle
utilisateur. Une force de la liste de Bastien et Scapin est qu’elle a été validée
expérimentalement auprès d’évaluateurs ergonomes et non-ergonomes lors
d’expériences d’évaluation d’interfaces fictives comportant des défauts introduits
volontairement.
Le dispositif a été évalué par une personne expérimentée dans l’évaluation
d’interfaces personnes-système. Le dispositif de formation en ligne a été présenté à
l’évaluateur par son concepteur de manière informelle (pendant environ 1 heure)
puis un accès personnalisé (Identifiant et mot de passe) a été fourni à l’évaluateur
afin de se familiariser seul avec le dispositif. A la suite de la phase de familiarisation,
l’évaluation a pu commencer directement, car l’évaluateur avait l’habitude d’utiliser
la grille de critères choisie. Les temps approximatifs consacrés à cette étude peuvent
se répartir selon les phases en :
¾ Familiarisation avec le dispositif (2 heures),
¾ Maîtrise de recommandations, (guidelines, grille de critères) (néant,
évaluateur expert)
¾ Application des recommandations retenues au dispositif (20 heures)
¾ Rédaction du rapport d’évaluation de 22 pages avec copies d’écran (10
heures).
Le temps consacré à la phase 1 est relativement stable (environ 1 à 3h selon les
projets et la complexité de la structure de navigation). Le temps consacré à la phase
2 dépend des compétences de l’évaluateur et/ou de sa connaissance de la grille de
critères/Norme qu’on lui demande d’utiliser. Le temps consacré à la phase 3
dépend de l’aspect systématique de l’analyse (tous les écrans, une partie
représentative dans les projets ambitieux) et du niveau de conseil (relevé simple de
défauts et éventuellement : propositions de solutions, maquettes d’écrans « de
remplacement », re-structuration de l’architecture du produit). Plus le niveau de
conseil sera élevé et plus l’évaluation demandera du temps. Enfin la rédaction du
rapport dépendra aussi de la complexité du projet et du niveau de conseil (solutions
prototypes, maquettes etc.)
2.3
Résultat de l’inspection
Le tableau 2 présente quelques problèmes de conception relevés lors de
l’inspection du site de formation au droit du travail. Les défauts sont classés selon la
liste des critères de Bastien et Scapin. Ce tableau témoigne de la première partie de
la phase 3 « l’application des recommandations retenues au dispositif ». Il ne s’agit
dans un premier temps que de l’inventaire des problèmes qui seront repris dans le
rapport avec des propositions de solutions.
34
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
Problème
Un moteur de recherche est disponible. Toutefois
l’utilisateur ignore la portée de la recherche. Est-ce
qu’il s’agit de la partie courante « module
syndicalisme », de toute la partie sur le droit du
travail, d’une recherche dans la bibliothèque ?
Critère non respecté
Guidage : Prompting ou incitation
Groupement / Distinction entre
items
L’utilisateur ignore la portée des boutons tourne page
<< >>. L’utilisateur ne sait pas s’ils tournent les
pages à l’intérieur de la partie tests (passage du
premier test au second) ou s’ils permettent de passer
d’une question à l’autre au sein d’un même test. Ceci
est dû à la proximité de ces boutons avec le label
« tests ».
Les zones « cliquables » ne sont pas toujours
distinguées des zones « non-cliquables ». Par
exemple, si les zones qui présentent un dispositif
rollover (activation par survol de la souris) sont
parfois cliquables, parfois elles ne le sont pas. Les
titres des aplats colorés de l’écran « accueil module »,
« choix des activités » par exemple ont un dispositif
rollover et ne sont pas des liens.
Homogénéité, cohérence
Quand l’utilisateur clique sur certains livres de la
bibliothèque et qu’il ne se passe rien, il n’a pas
toujours d’indication de chargement (ou de la
présence ou d’absence de contenu.)
Feed-back immédiat
Homogénéité, cohérence
Des éléments graphiques ayant des aspects similaires
sont parfois cliquables, parfois non-cliquables. Les
chiffres qui représentent des pages sont cliquables,
tandis que les boutons proches de « mémento » et de
« tests » ne le sont pas.
Chaque fenêtre doit avoir un titre spécifique. Le titre
« Droit du travail » ne peut donc pas convenir pour
toutes les fenêtres. C’est ce qui est spécifique à une
fenêtre qui doit être le titre le plus visible sur celle-ci.
Par exemple « Exercice » « Test » « Activités »
Guidage : Prompting ou incitation
35
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
« Présentation du site » « Démonstration ».
Dans les « exercices », comment l’utilisateur peut
retrouver les notes du calepin d’une fois sur l’autre ?
Est-il possible de les enregistrer ? Sont-elles perdues
d’une connexion à l’autre ? Ceci n’apparaît pas
clairement dans l’interface.
Guidage : Prompting ou incitation
Dans les tests, quand l’utilisateur revient en arrière
pour refaire une question, par exemple de la question
4 à la question 1, les questions 3 et 2 défilent avant
que la question 1 apparaisse. Mieux vaudrait un accès
direct (non séquentiel).
Brièveté : actions minimales
Tableau 2. Exemples de défauts relevés lors de l’évaluation par inspection. Les défauts sont
décrits colonne de gauche et les critères de qualité ergonomiques non respectés sont mentionnés dans
la colonne de droite
Bien entendu, pour chaque problème constaté, il convient à l’évaluateur, si cela
fait partie de la commande, de proposer une solution qui résolve le problème décrit
préalablement. Pour les écrans qui comportent de nombreux défauts d’utilisabilité, il
est possible de présenter l’écran évalué accompagné de la liste de problèmes et de
proposer ensuite une maquette d’écran qui résolve les problèmes répertoriés (ce cas
ne s’est pas présenté lors de cette évaluation par inspection).
A ce type de défauts d’utilisabilité vont s’ajouter des défauts d’utilité qui
pourront également être signalés (fonctionnalités manquantes par exemple, bugs,
problèmes d’affichages, liens morts, etc.) Le tableau 3 présente un exemple de
défaut relevant de l’utilité du dispositif.
Problème
Critère non respecté
Capacité fonctionnelle
Dans le module Syndicat > Docs > Représentativité,
l’utilisateur ne peut faire défiler le texte faute de barre
de défilement
Tableau 3. Exemples de défauts relevés lors de l’évaluation par inspection. Le défaut est décrit
colonne de gauche et le critères d’utilité non respecté est mentionné dans la colonne de droite
36
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
2.4
Inspection : conclusion
Quand l’inspection ne relève pas de critères explicitement énoncés, on parle
alors d’inspection heuristique. Selon les compétences de l’évaluateur, on pourra
qualifier l’évaluation d’experte (Nogier, 2005). Les limites de l’inspection sont celles
d’une situation d’évaluation quelque peu « artificielle » car l’évaluateur ne présente
pas nécessairement un profil analogue aux utilisateurs réels du dispositif. D’autre
part, l’inspection consiste à évaluer tout ou partie des écrans du dispositif sans
nécessairement s’immerger dans un scénario à exécuter conformément à l’objet du
dispositif de formation. Pour renforcer la validité écologique de l’évaluation par
inspection, on peut demander à l’évaluateur de suivre un scénario déterminé qui va
l’amener à adopter un parcours relativement similaire aux parcours des futurs
utilisateurs du dispositif de formation (technique du parcours cognitif). La
principale faiblesse de la méthode est qu’il est difficile pour l’évaluateur de prévoir
les failles du système quand il s’agira d’utilisateurs réels qui interagiront avec le
dispositif dans leur contexte d’utilisation habituel. Toutefois cette méthode permet
d’éviter les défauts fréquents des interfaces moyennant un investissement modéré.
Cette méthode est également tributaire de la qualité / de l’expérience des
évaluateurs. A noter que ces derniers doivent s’imprégner du domaine de l’interface
évaluée et / ou être assistés par un spécialiste de ce domaine (le droit du travail dans
notre cas) (Baccino et al., 2005). La liste des critères utilisée pour l’évaluation par
inspection peut être complétée ou modifiée selon le contexte afin de l’adapter à
l’objectif de l’interface testée (contexte d’apprentissage à distance).
3
Les tests utilisateur
3.1
Les tests utilisateurs : présentation
Il s’agit cette fois de tester le produit en phase finale, ou en phase de
prototypage auprès d’un petit nombre d’utilisateurs représentatifs du public auquel
le dispositif est destiné. On peut conduire un test avec différents groupes
d’utilisateurs qui vont exécuter des tâches sur des versions du dispositif qui peuvent
être différentes (plan de test inter-sujets). Par exemple, un groupe de cinq
utilisateurs exécute les tâches avec la maquette d’un site de formation A et un
groupe de cinq utilisateurs exécute les tâches avec la maquette d’un site de
formation B. Bien entendu, les deux documents ne varient que sur le facteur que
l’on veut étudier (deux systèmes de navigation différents par exemple). Avec un
plan de test intra-sujets, le même groupe de participants teste les deux versions du
document avec les mêmes tâches ou des tâches différentes pour chaque document
mais qui sont analogues et comparables en difficulté. Dans ce cas, l’ordre de
passation des sujets pour le test est contrebalancé, la moitié des participants
commencent par tester le document A et l’autre moitié le document B
. Généralement les tests ont lieu individuellement. La participation de cinq à
dix utilisateurs représentant la population ciblée par le produit permet d’identifier la
grande majorité des problèmes. Généralement les tests ont lieu en individuel. La
participation de 5 utilisateurs représentant la population ciblée par le produit
permettrait d’identifier 85 % des problèmes (Nielsen, 2000). Toutefois des travaux
plus récents ont démontré qu’à moins de 10 voire 20 utilisateurs, le risque était
grand de négliger de graves problèmes d’utilisabilité (Baccino et al., 2005). Il semble
que 10 à 20 utilisateurs permettent de détecter respectivement 80 % et 95 % des
problèmes d’utilisabilité (Faulkner, 2003). Par ailleurs, 15 à 20 utilisateurs sont
37
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
nettement préférables du point de vue de la fiabilité statistique (Baccino et al., 2005).
Si le produit est particulièrement défaillant, on pourra poursuivre les tests en
ajoutant un utilisateur supplémentaire dans chaque groupe d’utilisateurs testés
jusqu’à avoir circonscrit les problèmes posés par le produit (quand un nouvel
utilisateur ne détecte pas de nouveaux problèmes). Nielsen a montré qu’il valait
mieux faire 3 tests avec 5 utilisateurs à différentes étapes de la conception plutôt
qu’un seul test avec 15 utilisateurs (Nielsen, 2000).
Interface/Tâche
Interface/Tâche
Participant 1
Interface 1 Tâche 1,2,3,4
Interface 2 Tâche 5,6,7,8
Participant 2
Interface 2 Tâche 5,6,7,8
Interface 1 Tâche 1,2,3,4
Participant 3
Interface 1 Tâche 4,3,2,1
Interface 2 Tâche 8,7,6,5
Participant 4
Interface 2 Tâche 8,7,6,5
Interface 1 Tâche 4,3,2,1
Etc.
Tableau 4. Exemples de protocole avec documents/interfaces et tâches contrebalancées
Généralement, la procédure la plus simple consiste à demander aux utilisateurs
de faire ce pourquoi le dispositif est fabriqué, acquérir des connaissances sur un
domaine, une organisation ou exécuter une procédure. Après un temps
d’exploration libre du dispositif par l’utilisateur pendant quelques minutes, on lui
demandera soit de rechercher des informations qui peuvent nécessiter de consulter
plusieurs écrans, soit d’exécuter une procédure pour laquelle le document
numérique est conçu (ou d’autres tâches représentatives de son usage).
L’expérimentateur peut être présent à proximité du participant pour administrer la
consigne générale : « Vous allez tester le site… Ce site est encore en phase de
prototypage… Ce n’est pas vous qui êtes testés mais le produit… », puis les
consignes (ou scénarios) spécifiques pour que le participant exécute les opérations
demandées. Il est conseillé d’écrire les différentes consignes (consigne générale et
consignes des tâches à exécuter) pour que les participants puissent participer au test
dans les mêmes conditions.
3.2
Test utilisateur du dispositif de formation
L’évaluation du site de formation au droit du travail a été menée auprès de dix
participants (Taux d’identification de défauts d’environ 80% selon certains travaux,
cf. paragraphe ci-dessus). Cette expérience a fait suite à l’évaluation par inspection.
Cette inspection a entraîné un certain nombre de modifications dans le prototype
d’alors. C’est donc ce site, déjà en partie aménagé, qui a fait l’objet du test décrit cidessous. Nous donnerons une brève description de la méthode utilisée ainsi que
quelques résultats.
Objectifs du test
Il s’agit d’évaluer le produit de formation dans un contexte qui soit le plus
proche possible de la réalité. Il est difficile de prédire l’interaction des nombreuses
variables qui entrent en jeu lors d’une tâche aussi complexe que l’analyse d’un
problème juridique par le biais d’une interface homme-machine. L’objectif est
d’identifier les éventuels défauts de l’interface et les manques qui auraient pu
échapper à l’analyse de la première évaluation par inspection. Il s’agit aussi de
sélectionner des alternatives de conception (voir l’exemple concernant la navigation
38
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
par des liens en bandeau ou par des boutons « tourne page »). Des changements
d’organisation peuvent aussi être envisagés le cas échéant.
Protocole expérimental
L’évaluation consiste à observer des participants en situation d’utilisation du
dispositif de formation. Les quatre tâches représentatives à effectuer sont proposées
par l’expérimentateur à l’aide de consignes écrites (voir ci-après). Les participants
doivent verbaliser (dire « tout haut » ce qu’ils font, ou pensent). Les participants
sont filmés pour la mesure des temps, l’analyse des parcours, et l’enregistrement de
leurs commentaires. Les participants passent l’expérience individuellement, en
présence de l’expérimentateur.
Le fait que les utilisateurs soient observés par un tiers peut provoquer un biais,
l’effet Hawthorne (les résultats positifs ou négatifs peuvent ne pas être dus qu’aux
facteurs expérimentaux). Différentes techniques expérimentales existent pour s’en
prémunir (salles d’expérimentation avec vitre sans tain, procédures d’observation
indirectes : magicien d’Oz, évaluation coopérative... (Baccino et al., 2005)). Lors
d’une utilisation des tests utilisateur en milieu industriel, un éventuel biais dû à
l’observation est tout à fait acceptable. Si l’observation de participants a pour
objectif l’obtention de résultats dans un contexte de recherche fondamentale, on
aura avantage à se prémunir de ces phénomènes.
Dispositif d’observation
La figure 6a présente la configuration du système d’observation en situation.
L’expérimentateur est à proximité de la personne observée 1 . Dans le dispositif de
recueil présenté ci-dessous, un convertisseur transforme l’image de l’écran en signal
vidéo. Cette image est intégrée à un plan d’ensemble de l’espace de travail du
participant enregistré par une caméra. Cette vue permet de distinguer les temps de
« lecture des consignes » (données sur papier) des temps de consultation des écrans.
Elle permet également d’enregistrer les réactions des participants et les
commentaires sonores qui sont formulés pendant l’expérience (verbalisations
simultanées). Lors du mixage des deux images, une incrustation de l’image du plan
d’ensemble est faite en haut à droite de l’image de l’interface. Cette zone de l’écran
présente en effet peu d’interaction généralement (cf. figure 6b). L’expérimentateur
donne les consignes aux participants, recueille les observations de ces derniers et
note les problèmes que les participants rencontrent. Le dispositif d’enregistrement
vidéo du parcours de l’utilisateur peut permettre une analyse fine et a posteriori des
parcours des participants au sein du dispositif de formation. La durée de
l’enregistrement vidéo a oscillé entre 45 minutes et 1 heure 30 environ pour chaque
sujet selon leur rapidité. Les vidéos ont été dépouillées manuellement lors d’un
visionnement systématique. Les variables sélectionnées avec l’équipe de conception
(cf. ci-après le Tableau 5) sont enregistrées lors du visionnement dans le logiciel de
statistique associé au laboratoire d’observation (Logiciel The Observer de la société
Noldus). L’enregistrement des variables d’intérêt se fait par appui de touches
dédiées au clavier d’un ordinateur (par exemple la touche « a » du clavier est
enfoncée chaque fois que le sujet est sur la page d’accueil, la touche « c » lorsque le
sujet lit la consigne écrite, la touche « r » quand il répond à une question, etc.). Cet
enregistrement permet d’obtenir des statistiques qui sont présentées au paragraphe
1 L’expérimentateur et les éventuels observateurs peuvent également suivre le déroulement
de l’expérience depuis un autre local sur écran ou à travers une glace sans tain. Cela permet
de faire varier le nombre d’observateurs sans que le participant en ait conscience. L’équipe de
conception peut ainsi venir observer quelques utilisateurs.
39
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
3.3. Le coût du visionnement est important eu égard au retour sur investissement
qu’il procure (éléments formels d’appréciation de durées et de nombre d’occurrence
d’événements). Il ne se justifie que pour des projets ambitieux où la mesure du
temps ou l’utilisation de fonctionnalités par exemple doivent être quantifiés
formellement (comparaison entre deux systèmes de navigation par comptage du
nombre de clics sur ces dispositifs de navigation par exemple). Il est rare de
s’apercevoir, lors du visionnement, d’éléments que l’expérimentateur n’aurait pas pu
déceler pendant les observations. Par contre, les enregistrements vidéo sont
déterminants pour la présentation des résultats à l’équipe de conception qui a
parfois du mal a admettre qu’il se produise des phénomènes problématiques en
dehors d’éléments chiffrés et de séquences vidéo. Au-delà de l’aspect statistique,
l’enregistrement vidéo a donc parfois valeur de preuve.
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Figure 6a. Plan du dispositif
Figure 6b. Image enregistrée
Méthodologie
Participants
Deux variables indépendantes peuvent faire l’objet d’analyses : le genre
(masculin, féminin) et la compétence en droit du travail (expert, novice). Nous ne
retiendrons que la compétence dans le cadre de cette étude.
Les participants se répartissent en deux groupes de cinq. Sur les dix
participants, cinq sont considérés comme « experts » dans le domaine juridique et
cinq sont considérés comme « novices » mais disposent de compétences qui leur
40
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
permettent d’utiliser le dispositif (étudiants familiers des interfaces Web et des TIC).
La répartition expert novice s’est faite sur la base du nombre d’heures de formation
en droit du travail et de la pratique professionnelle. Aucun sujet n’a été écarté dans
le cadre de cette expérience. Les sujets ont été recrutés sur la base du volontariat.
Les participants considérés comme « experts » ont bénéficié récemment d’une solide
formation en droit du travail ou occupent un poste dans le domaine des ressources
humaines. Les participants « novices » sont des étudiants adultes en formation
continue, sans formation juridique pour trois d’entre eux (niveau bac+2 minimum)
et deux étudiants de formation initiale en DUT Information-Communication ayant
suivi peu de cours de droit du travail pendant leur cursus.
Matériel
Un certain nombre de pré-requis ont été vérifiés concernant l’utilisation du
site. Les messages d’aide sont disponibles, même si leur contenu est provisoire.
L’application fonctionne normalement en général, même si toutes les commandes
réelles ne sont pas implémentées (fonction « rechercher » par exemple). Dans le cas
où les commandes ne fonctionneraient pas complètement, l’expérimentateur
indique au participant le comportement futur de l’application. La consigne écrite de
départ est la suivante.
Consignes
Les consignes données à lire sur un support papier ont été les suivantes :
L’objectif de la séance est de valider un nouvel outil de formation en ligne de l’Université de
Bourgogne. Ce site internet est destiné à l’apprentissage de différents modules de droit du travail.
Je vais vous demander d’effectuer certaines tâches. Au fur et à mesure que vous utiliserez le
logiciel pour exécuter les tâches indiquées, je pourrais vous poser des questions sur ce que vous voyez
ou sur ce que vous attendez des fonctions que vous utilisez. Sentez-vous libre de donner des
observations pendant la session. Nous vous demandons de « penser tout haut » en indiquant les
actions que vous voulez faire et les informations que vous recherchez. Il n’y a pas de question
stupide ou de mauvaise réponse. Ce produit est un prototype, ne soyez pas étonné qu’il puisse réagir
d’une façon inattendue. C’est le produit de formation que nous testons et non vos capacités à
répondre aux différentes questions.
L’étude comporte trois questions ponctuelles et un cas pratique. A l’issue de cette étude, nous
répondrons à vos différentes questions et prendrons note de vos remarques éventuelles.
Vous allez essayer le site : Droit du travail en ligne.
À la suite de la lecture de la consigne quatre tâches sont à réaliser. En voici
deux exemples :
Tâche 1
Répondre à la question suivante en la justifiant : Un salarié ayant un an d’ancienneté
conteste le fondement de son licenciement. Il s’est vu notifier son licenciement le jour même de
l’entretien préalable. Cette précipitation de l’employeur peut-elle faire l’objet d’une sanction par les
juges ? Illustrer avec une décision jurisprudentielle. Saisissez votre réponse dans la fenêtre Word
ouverte à l’écran.
Tâche 4
Répondre par écrit au maximum possible des 5 questions figurant dans le cas pratique du
module « licenciement ». Saisissez votre réponse dans la fenêtre Word ouverte à l’écran.
Trois tâches sont assez modestes en temps de travail nécessaire (quinze
minutes environ) et en nombre d’écrans à parcourir (tâches 1, 2, 3). La dernière
tâche (4) est la résolution du cas pratique du module « Licenciement » et nécessite
une interaction prolongée avec le dispositif ainsi que le parcours de nombreux
41
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
écrans au sein de l’application (environ une heure). L’ordre d’exécution des tâches 1,
2, et 3 est contrebalancé pour éviter les effets d’ordre.
La tâche quatre est donnée à tous les participants après l’exécution des 3
premières tâches.
Variables quantitatives recueillies
Les temps consacrés à seize types d’événements sont mesurés. Le choix des
événements mesurés se fait en concertation avec l’équipe de conception. Un
événement correspond à la consultation d’un type d’écran, le choix d’une fonction
ou l’exécution de tâches annexes liées à l’activité (lecture de la consigne, rédaction
de la réponse). Le temps est mesuré en secondes. Le détail des événements pris en
compte est présenté dans le tableau 5 (le nom des variables dans la deuxième
colonne correspond au nom affecté à chaque variable dans le logiciel de
dépouillement).
Elément
1
2
Nom
Variable
Accueil
Carte
3
Choix
4
5
Plan
NavDiv
6
Réponse
7
8
Recherch[e]
Texte
9
Surligna[ge]
10
Consigne
11
12
Aide
Calepin
13
Document
14
Etape1
15
PlanHier
16
Tournpag
Définition
Type de variable
Temps passé sur la page d’accueil
Temps passé sur un écran « carte
conceptuelle »
Temps passé sur l’écran « choix
d’activités »
Temps passé sur l’écran « plan du site »
Temps passé sur d’autres écrans
intermédiaires de navigation
Temps passé à la saisie de la réponse
dans un document Word
Temps passé à rechercher un mot
Temps passé à la lecture d’un texte à
l’écran
Clic sur le bouton de la fonction
« surlignage » d’un paragraphe
Temps passé à la lecture de la consigne
de l’exercice (sur papier)
Temps passé à lire l’aide en ligne
Temps passé sur le « calepin » pour y
consigner des annotations
Accès à un document par la
bibliothèque « documentation
juridique » (seulement pour la tâche 1)
Clic sur le bouton Etape 1 (seulement
pour la tâche 4)
Clic sur le plan hiérarchique (seulement
pour la tâche 1)
Clic sur un bouton « tournepage »
(seulement pour la tâche 1)
État
État
État
État
État
État
État
État
Événement ponctuel
(sans durée)
État
État
État
État
Événement ponctuel
(sans durée)
Événement ponctuel
(sans durée)
Événement ponctuel
(sans durée)
Tableau 5. Événements enregistrés
Il est possible de mesurer les temps nécessités pour l’exécution des différentes
tâches, mais aussi le nombre d’écrans parcourus. Les événements correspondent à
des états (affichage d’un écran, lecture de la consigne, lecture d’un texte à l’écran
42
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
etc.), ou à des actions ponctuelles (surlignage d’un paragraphe, clic sur un bouton ou
une zone de l’écran). Le tableau 5 ci-dessus indique la liste des variables choisies
pour analyser les enregistrements vidéo.
Un certain nombre de remarques sont notées par l’expérimentateur pendant le
test. Les questions et remarques soulevées pendant le test seront retranscrites lors
de l’analyse des tâches.
Résultats du test utilisateur
Les participants sont placés en situation d’utilisation du site sans formation
spécifique à l’utilisation du dispositif et sans documentation papier (seules les aides
en ligne sont disponibles). On peut postuler que dans des conditions moins
difficiles (après une courte présentation du logiciel), lors de la deuxième ou
troisième utilisation, ou après une formation, les résultats seraient différents.
Il est possible de restituer pour chaque participant les traces des événements
enregistrés pour chaque tâche demandée. C’est ce que présente la figure 7 cidessous obtenue à l’aide du logiciel The Observer. Chaque barre de l’histogramme
présente le parcours d’un participant différent (dix participants dans notre
expérience). La figure 7 donne les temps consacrés aux événements observés et leur
moment d’observation. La légende indique les événements observés pour chaque
participant. Les zones blanches accompagnées de traits pointillés sont des moments
d’interruption de l’observation et du chronométrage pour différentes raisons (accès
réseau interrompu, plantage du système, discussion avec l’expérimentateur). Les
cinq premières barres de la figure en partant du bas représentent les temps des
participants « experts ». Chaque couleur représente un événement. Les événements
ponctuels (sans durée) sont représentés par des traits plus fins et plus hauts,
variables « PlanHier », « Tournpag », « Surligna ».
3.3
Figure 7. Analyse des parcours pour la tâche 1
Le tableau 6 présente les principaux indicateurs statistiques concernant cette
tâche. Le nombre d’occurrences de chaque événement, la durée des états enregistrés
peuvent donner lieu à des analyses statistiques. Il est intéressant par exemple pour
une équipe de conception de savoir quels sont les outils de navigation utilisés,
quelles sont les fonctions inutilisées ou appréciées, etc. Il arrive qu’une fonction soit
appréciée des utilisateurs mais qu’ils aient du mal à la retrouver quand ils en ont
43
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
besoin. La fonction « surlignage » par exemple n’a été utilisée qu’une seule fois par
l’un des dix participants.
Élément
Freq
Durée
Totale
en sec.
Durée
Totale en
%
Moyenne
StdDev
StdErr
Durée
Mini
Durée
Maxi
Accueil
15
174.80
1.970
11.653
10.885
2.810
0.64
37.36
Carte
21
656.28
7.396
31.251
19.400
4.233
3.72
61.20
Choix
29
711.20
8.014
24.524
15.648
2.906
1.04
58.64
NavDiv
3
55.28
0.623
18.427
10.075
5.817
7.72
27.72
Reponse
38
1842.24
20.760
48.480
53.663
8.705
4.28
257.00
Texte
91
5024.80
56.624
55.218
68.168
7.146
0.28
318.08
Surligna
1
-
-
-
-
-
-
-
Consigne
20
399.68
4.504
19.984
18.686
4.178
1.88
80.64
Document
3
9.68
0.109
3.227
1.217
0.703
1.84
4.12
PlanHier
40
-
-
-
-
-
-
-
Tournpag
18
-
-
-
-
-
-
-
Total
279
8873.96
100.00
40.336
52.582
3.545
0.28
318.08
Tableau 6. Principaux indicateurs statistiques pour les dix participants, tâche 1
Le tableau 6 a été obtenu automatiquement depuis le logiciel The Observer a
l’issue du dépouillement des vidéos. Les participants mettent en moyenne 15
minutes à accomplir la tâche 1. Deux participants mettent nettement plus de temps
que les autres (traces 5 et 7 sur la figure 7). On peut expliquer cela par le fait que ces
deux participants ont commencé l’expérience par la tâche 1. Ces deux participants
découvrent donc le fonctionnement du site lors de la tâche 1. 56,62% du temps
total est consacré à l’étude des textes juridiques proprement dite et un peu plus de
7% du temps aux cartes conceptuelles. 20,76% du temps est alloué à la rédaction de
la réponse. Près de 11% du temps est dévolu à la navigation, ce qui peut
probablement être diminué en aménageant l’interface. Il ne semble pas y avoir de
différence significative entre participants experts et novices dans les temps
consacrés à la tâche.
Le concepteur du dispositif voulait connaître la fréquence d’utilisation de la
zone de navigation située en bandeau à gauche dans les écrans. Chaque clic sur un
lien dans cette zone a été enregistré (variable « PlanHier » du tableau 6). Une
comparaison avec les possibilités de navigation séquentielle, analogues à la
navigation dans un ouvrage papier a été proposée (boutons « tourne page », variable
« Tournpag » du tableau 6). La figure 8 présente pour chaque participant le nombre
d’occurrence de clic dans le bandeau de navigation.
44
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
Figure 8. Clics dans le plan hiérarchique, tâche 1
La navigation via le plan hiérarchique semble privilégiée par rapport aux
boutons tourne page (40 occurrences contre 18). La figure 9 présente les
occurrences de clics sur les boutons « tourne page ». Le type de navigation (« tourne
page » versus plan « hiérarchique ») ne semble pas dépendre de l’expertise puisque
l’on retrouve les deux modes de navigation chez les participants experts et chez les
novices. Seul un participant (trace 5) utilise les deux modes de navigation.
Figure 9. Clics sur les boutons tourne page, tâche 1
Remarques et observations recueillies pendant la tâche 1
Différents aspects ont été observés lors de la tâche 1 (collectés lors de
l’expérience ou pendant la visualisation des vidéos). En voici quelques-uns, qui
relèvent tantôt de l’utilité (possibilité d’imprimer les textes juridiques pour les
étudier sur papier) tantôt de l’utilisabilité (longueur des écrans à faire défiler).
Ces phrases sont des commentaires de l’analyste (elles ont été ré-organisées et
versées au rapport d’évaluation).
La longueur des écrans de la partie analyse de jurisprudence désoriente parfois les utilisateurs.
Une segmentation en plusieurs écrans serait peut-être préférable.
45
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
L’icône de globe dans les cartes de concept de la partie mémento fait penser à un accès réseau
(type d’icône que l’on peut trouver dans certains navigateurs pour le web par exemple) et ne convient
pas au concept représenté.
L’icône « I<< » (retour à l’écran choix d’activité) est souvent utilisée pour revenir en arrière
et les utilisateurs sont surpris de voir leur position dans l’arborescence remonter d’un niveau. Ils
pensent retourner au premier écran du niveau courant. De plus il arrive parfois qu’étant dans le
module licenciement, en cliquant sur cette icône, l’utilisateur arrive sur l’écran choix d’activité du
module CDD Intérim.
L’icône jurisprudence semble ambiguë (remplacer ou doubler d’une infobulle plus proche de
l’icône).
Les participants cliquent sur les icônes qui servent de légende dans les cartes conceptuelles
(globe et texte) celles-ci ayant également l’aspect de boutons.
Dans les cartes conceptuelles, les « pop-up » (fenêtres ponctuelles ou escamots) ne se
désactivent pas toujours après consultation du lien, de ce fait ils masquent une partie de la carte et
les utilisateurs n’arrivent pas toujours à les faire disparaître. En fait il faut ouvrir un autre pop-up
pour faire disparaître le précédent.
Sur un grand écran, un des participant (P7) déplore de n’utiliser qu’une petite partie de
l’espace disponible.
Un participant aimerait pouvoir imprimer les écrans du mémento.
Lors d’une première utilisation, sur l’écran choix d’activité, les participants cliquent dans les
aplats colorés en vain pour faire apparaître les menus avant de se rendre compte qu’il faut cliquer
(survoler du moins) seulement les titres de « colonnes ». Peut-être que les différents choix des sousparties pourraient être affichés en permanence.
Le participant 6 éprouve des difficultés pour revenir à l’écran d’accueil et de ce fait utilise la
fonction « précédent » du navigateur pour revenir en arrière. Il conviendrait de distinguer davantage
ce bouton des autres boutons de navigation. De plus la zone d’information sur la signification des
boutons ne se rafraîchit pas toujours correctement (conserve parfois le label du dernier bouton
survolé). Il arrive ainsi que le commentaire soit « Accès au mémento » au lieu de « Retour à
l’accueil » ou « Retour à l’écran de choix des modules ».
Conclusion tâche 1
Le temps alloué à la navigation pourrait vraisemblablement être diminué en
améliorant la navigation ou certaines icônes afin de consacrer la plus grande part du
temps à la résolution du problème juridique (lecture des textes et des cartes
conceptuelles par exemple). Il semble pertinent de maintenir les deux modes de
navigation (« plan hiérarchique » et « tourne page »), ceux-ci étant utilisés par les
participants, de plus l’accès à des modalités de navigation différentes respecte le
critère de qualité ergonomique « flexibilité ». Le temps consacré à la lecture de textes
juridiques à l’écran est trop important (56,62 % du temps total) et cette activité est
jugée désagréable. Il conviendrait de pouvoir imprimer ces textes pour les analyser
sur support papier.
3.4
Tests utilisateur : conclusion
Le biais potentiel de l’« observation » par un tiers est en fait peu préjudiciable
en général dans le cadre de ce type d’expérience. La précision des mesures
effectuées et le type de données collectées en priorité (détection de problèmes pour
l’essentiel) supporte un éventuel biais de ce type. La méthode des tests utilisateurs,
quoique coûteuse (environ 60 heures pour cette étude), permet de relever les
problèmes posés dans le cadre de l’interaction du système et de l’activité du
participant dans une situation proche de la réalité. Les prédictions de ces problèmes
sont difficiles même par le biais d’une évaluation experte ou d’un parcours cognitif
(cognitive walkthrough, expert qui tente de reproduire le cheminement qu’effectuera
46
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
l’utilisateur). On gagnera à y recourir au maximum, même si pour cela on doit se
passer de moyens d’enregistrement vidéo si la mesure du temps, du nombre
d’occurrence d’événements et la valeur de preuve des enregistrements ne sont pas
indispensables. L’analyste, avec un peu d’habitude, enregistrera la plupart des
problèmes rencontrés par les utilisateurs au fur et à mesure, à l’aide d’une simple
prise de note. Les résultats qualitatifs (observations en direct, commentaires et
impressions de participants recueillies pendant l’observation) sont tout aussi
significatifs en termes d’efficacité opératoire et de décisions de modification du
dispositif que les mesures quantitatives (nombres d’écrans parcourus, de clics dans
une zone etc.) En effet, c’est souvent sur la base de ces résultats « qualitatifs » que
les propositions de modifications du dispositif sont fondées et précises
(changements d’icônes inappropriées, modalités d’accès plus directes aux
documents, possibilités d’imprimer certaines parties du site, etc.) C’est très
certainement une des méthodes d’évaluation des plus efficace avec une grande
validité écologique et une vocation opératoire des plus directe. Parmi les autres
méthodes présentées ici (inspection et questionnaires / entretiens), les tests
utilisateurs permettent souvent à l’observateur d’avoir des « intuitions » fondées sur
l’observation concernant les solutions qui permettront de fixer les défauts de
l’interface.
Il est judicieux d’administrer à la fin d’une expérience de test utilisateur un
questionnaire d’évaluation ou de satisfaction. A cette occasion, on pourra aussi
s’entretenir de manière informelle avec le participant à propos des éventuels
problèmes rencontrés lors de son parcours dans le dispositif (débriefing).
4
Les questionnaires et entretiens
4.1
Les questionnaires et entretiens : présentation
Les questionnaires et les entretiens complètent valablement les tests avec des
utilisateurs. Il conviendra d’adapter les questions à chaque cas d’étude et en
particulier à l’état d’avancement du produit. On peut trouver en ligne des
questionnaires d’évaluation (questionnaire WAMMI par exemple). Toutefois,
certains de ces questionnaires mêlent les dimensions d’évaluation (utilité,
utilisabilité, esthétique) et sont rarement adaptés aux enjeux de l’évaluation d’une
interface spécifique (comme la formation à distance).
Les questionnaires à eux seuls ne permettent souvent pas d’obtenir des
recommandations précises en termes de changements à apporter à l’interface. Par
contre ils donnent la mesure la plus compréhensive de la satisfaction générale de
l’utilisateur (Huart et al., 2008). De plus, ils peuvent permettre de dégager des
tendances sur des notions subjectives, mais importantes d’agrément d’usage. Ainsi
des expériences ont montré que lire des textes avec une longueur de ligne de 100 cpl
(caractères par ligne) sur écran était plus rapide qu’avec des lignes de 50 cpl. Ceci est
dû au moindre recours aux ascenseurs qui font défiler le texte à l’écran. Si l’on s’en
tient là, on pourrait généraliser cette observation et la transformer en
recommandation. Des questionnaires administrés en fin d’expérience ont démontré
que les participants préféraient les lignes de 50 cpl pour lesquelles ils trouvaient la
lecture plus fluide, bien que, dans l’absolu, les lignes de 100 cpl entraînent des temps
de lecture plus courts.
4.2
Questionnaire sur le dispositif de formation
Après l’utilisation du dispositif de formation, (dans le cadre du test utilisateur,
à la fin du test), un questionnaire papier est administré et rempli par les participants.
47
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Nous présentons quelques réponses à deux questions ouvertes posées aux
participants à propos du dispositif qu’ils ont utilisé pendant une à deux heures
environ :
Comment trouvez vous ce site ?
Avez-vous des suggestions d’amélioration du site ?
Les remarques des participants sont données quelle que soit leur pertinence
par rapport à l’interface et sont rapportées pratiquement dans leur formulation
initiale.
Réponses à la question « Comment trouvez vous ce site ? »
P1 (Participant 1) : Ce site est un bon outil pour approcher la matière qu’est le droit du
travail. Il est complet et surtout, il est ordonné, clair et compréhensible. Cependant, l’outil internet
ne remplacera pas tout de suite la matière papier. En clair, pour moi, travailler sur un
support papier reste encore essentiel. De fait, il m’est difficile de me
concentrer pendant une longue période sur l’ordinateur (comme par exemple
la résolution d’un cas pratique). Sur la recherche d’un document ou d’une partie de cours,
le site me semble être un excellent outil d’analyse et de compréhension. On arrive bien à trouver
rapidement des documents.
P2: Je trouve le site très intéressant et surtout très utile.
P3 : Site intéressant et pratique notamment pour les révisons, car il englobe les thèmes étudiés
en cours. Les cas pratiques permettent de s’entraîner pour résoudre des problèmes (pour
examens).
P4 : Ce site est très fonctionnel et permet une approche plus simple et pratique du cours
notamment en période d’examen.
P5 : Réservé à des étudiants en droit. Difficile d’appréhension pour un novice. Le graphisme
est agréable.
P6 : Intéressant pour en savoir plus sur droits et devoirs salariés/employeurs. Précis dans le
vocabulaire juridique utilisé (pas assez décomposé ou simplifié pour des non initiés). Lecture de
certains textes rendue difficile par le défilement répété.
P7 : Au début de la consultation je n’ai pas immédiatement réussi à me
repérer dans le site. Le vocabulaire employé semble accessible.
P8 : Convivial, étoffé. Si la navigation dans le site peut paraître un peu
difficile dans un premier temps, elle devient ensuite beaucoup plus aisée. Les possibilités
d’obtenir une réponse semblent tellement nombreuses que cela peut laisser croire que l’on a
jamais vraiment exploré l’ensemble d’un domaine, peut-être cibler les domaines
d’une manière plus précise.
P9 : La première utilisation n’est pas évidente, il faut quelques minutes
pour se familiariser et se repérer. Par contre une fois que l’on s’est imprégné de
l’architecture la navigation est assez facile. Les modules sont bien guidés.
P10 : Le site est présenté d’une façon tout à fait attrayante pour un domaine aussi rébarbatif
que le droit du travail dans ses pires moments. La navigation est assez aisée. Le seul problème est
que l’on a du mal à repérer tous les éléments et les liens qui peuvent nous
aider à progresser dans la navigation. Certains composants comme les
questions du cas pratique gagneraient à êtres plus visibles.
Les réponses à ces questions font apparaître des éléments constatés lors de
l’observation, mais également des considérations nouvelles. Parmi les éléments déjà
constatés lors du test utilisateur, la lisibilité des textes juridiques (longs et peu
structurés pour le support numérique) à l’écran est jugée désagréable (P1 et P6). La
possibilité d’imprimer tous les textes nécessaires à la résolution d’un cas pratique
semble indispensable dans ce contexte. La prise en main du produit n’est pas aisée
48
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
(première utilisation) P7, P8 et P9. Par ailleurs, des problèmes de repérage, de
visibilité de certains éléments sont également évoqués (P9 et P10) qui conduisent au
sentiment de ne jamais être très assuré d’avoir exploré l’ensemble d’un domaine
(P10). L’élément nouveau est que certains participants considèrent que cet outil est
un dispositif intéressant de préparation aux examen (P3 et P4). De fait, cela
confirme le positionnement du produit comme complément à un cours
« classique ».
Réponses à la question « Avez vous des suggestions d’amélioration du
site ? »
P1 : Pourrait-on peut-être avoir la possibilité d’imprimer les documents qui sont sur
le site (surtout pour les cas pratique).
P5 : Manque de visibilité dans le cas pratique. Liens non actifs dans le bandeau. Icônes
peu signifiantes.
P6 : Icônes plus claires (distinctes, par exemple « maison » pour retour page d’accueil
pas très lisible), plus précises, situation dans l’espace page. Attention à la juxtaposition d’une
image animée avec une phrase ou une question, c’est peu lisible du coup (par exemple, dans
l’exercice cas pratique licenciement). Prévoir ascenseurs pour lectures des décisions des différentes
cours de justice.
P7 : Dans le cas pratique, les consignes des différentes étapes ne sont pas attractives. Le
contraste entre la couleur du fond de cartouche et la couleur des caractères
n’est pas approprié. Possibilité d’avoir un lexique pour expliquer les termes techniques.
P9 : Certains fonds bleus étaient trop foncés par rapport au texte.
P10 : Pour les questions du cas pratique il est peut être nécessaire de changer la taille
des caractères et la casse, ainsi que leur couleur.
La plupart des éléments signalés dans les réponses ont été constatés pendant le
test utilisateur. Sans revenir sur ce qui a été signalé lors de la question précédente
(possibilité d’imprimer P1), on peut signaler que les propositions d’amélioration
concernent la signification des codes utilisés et en particulier des icônes qui sont
parfois ambiguës (P5, P6). Par ailleurs, des problèmes de lisibilité liés à un contraste
insuffisant entre couleur de fond et couleur de texte apparaissent très nettement
(P7, P9, P10).
4.3
Questionnaires et entretiens : conclusion
Les questionnaires et entretiens sont des méthodes « économiques » qui
permettent de prendre la température concernant la perception d’utilisateurs sur un
dispositif donné. Il n’est pas souhaitable qu’il y ait un grand nombre de questions
dans le questionnaire, surtout si celui-ci est administré après un test utilisateur qui a
déjà duré près d’une heure par exemple. Des questions fermées peuvent être
envisagées pour mesurer des dimensions précises relatives au dispositif. Des
questions ouvertes sur l’agrément général, des suggestions d’amélioration et/ou les
principaux problèmes rencontrés peuvent permettre d’ouvrir un espace d’expression
pour l’utilisateur. Le point de vue de l’utilisateur est à pondérer à l’aune des résultats
scientifiques car les préférences de certains utilisateurs ne sont pas toujours en
adéquation avec les bonnes pratiques qui ont fait l’objet de validations
expérimentales. Les questionnaires et entretiens utilisés seuls n’apportent que des
éléments d’appréciation sur les problèmes les plus saillants. De plus, ces éléments
sont abordés de manière générale, ce qui ne permet pas, bien souvent, d’interpréter
ces remarques de manière à modifier précisément l’interface. Par exemple, une
remarque comme « on a du mal à repérer tous les éléments et les liens qui peuvent
nous aider à progresser dans la navigation » est difficilement interprétable d’un
49
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
point de vue opératoire pour l’équipe de conception faute de précision suffisante.
Aussi des entretiens complémentaires peuvent consister à demander aux
participants de préciser tous ces points : « Icônes peu signifiantes », pouvez-vous
m’indiquer lesquelles ? Pouvez-vous en dessiner une qui soit plus signifiante pour
vous ? L’objectif pour les concepteurs est de convertir les remarques en
propositions de modifications si les remarques sont pertinentes et récurrentes. Le
rapport coût efficacité en termes opérationnels est faible par rapport aux autres
techniques, mais les entretiens sont une méthodes intéressante pour recueillir les
impressions d’utilisateurs sur un dispositif et décider de poursuivre l’évaluation si
nécessaire avec une technique plus lourde. Pour certains aspects précis et déjà
identifiés (problèmes de compréhension d’icônes par exemple), les questionnaires
permettent d’avoir un retour rapide des utilisateurs.
5
Conclusion générale sur l’évaluation du dispositif de formation
Après avoir évalué le dispositif de formation avec les trois méthodes
présentées ci-dessus, la conclusion de l’évaluation pour ce dispositif était de cet
ordre :
Le dispositif évalué répond à son objectif de complément à un cours « classique ». Ce type de
produit de formation convient bien pour des tâches courtes avec peu de lecture à l’écran. Lorsque le
problème à traiter est complexe et demande de naviguer plus fréquemment ainsi que de lire de
nombreux textes sur écran, plusieurs problèmes se posent. Le maintien en mémoire des consignes et
des questions est difficile lorsque l’on doit se concentrer sur la navigation et la recherche
d’information. La lecture de longs textes sur écran est jugée fatigante. Les utilisateurs demandent
donc de minimiser les déplacements dans les écrans en rendant la consultation des documents plus
directe (au plus près de la question posée) et pour les longs textes, ils souhaitent pouvoir
« imprimer ». L’usage de certaines fonctions est à développer ou améliorer (recherche, surlignage,
cartes conceptuelles) et d’autres fonctions n’ont pas été utilisées (calepin) ou été peu utiles en l’état
actuel (plan du site et aide en ligne). La partie cas pratique, jugée intéressante nécessite le plus
d’aménagement à cause de la multiplicité des difficultés rencontrées. Difficultés à identifier la
question générale, à activer les sous-questions, à faire le lien entre sous-questions et documents
suggérés à la lecture, à accéder à certains documents suggérés. Toutefois les modifications qui
permettraient une prise en main plus rapide du site ne remettent pas en cause son organisation
actuelle. Ces modifications visent essentiellement à améliorer
- la navigation (longueur des pages, boutons de navigations),
- le repérage (en évitant à l’utilisateur de quitter un espace courant pour consulter des
informations en rapport à cet espace),
- la signifiance des codes utilisés (icônes et termes choisis pour désigner certains concepts),
- la lisibilité (combinaisons de couleur texte/fond).
6
Conclusion sur l’évaluation
Cet article est essentiellement destiné à donner un aperçu rapide de ce qu’il est
possible d’obtenir en évaluant l’interface d’un dispositif de formation à distance
d’un point de vue ergonomique. Au cours de la phase de développement, le
concepteur peut utiliser la grille de Bastien et Scapin (1993) afin d’auto-évaluer sa
production, mais un vrai travail d’évaluation relève souvent d’un spécialiste.
Lorsque l’enjeu est important notamment, le mieux est d’avoir recours à un
ergonome et ceci, dès le début de la conception (une correction coûte entre dix et
cent fois plus cher lorsqu’elle intervient en phase de développement plutôt qu’en
phase de conception (Baccino et al., 2005)). On peut signaler aussi que des tests de
50
Evaluer un dispositif de formation à distance. Principes et retour d’expérience
perception peuvent être mis en œuvre dès le début du projet sur les maquettes,
prototypes papier.
De nombreuses autres méthodes d’évaluation existent dont certaines
nécessitent des outils logiciels (évaluation assistée, analyse des log-files, etc.) Certaines
méthodes d’évaluation peuvent être très sophistiquées (comme le suivi des
mouvements oculaires). Un des objectifs de cet article aura été de montrer que
l’association de plusieurs méthodes d’évaluation est souvent nécessaire et s’inscrit
dans la perspective de pratiques intégrées comme la méthodologie SUE Systematic
Usability Evaluation (Garzotto et al., 1997) qui associe méthode d’inspection et tests
empiriques (Huart et al., 2008).
A l’évaluation de l’interface, il convient aussi d’ajouter la question de la
performance du dispositif en termes d’apprentissage. Des méthodes spécifiques
destinées à évaluer cet aspect pourront être couplées aux méthodes d’évaluation des
interactions avec le dispositif que nous venons de décrire. Cette fois, ce ne sera pas
la médiation technique qui sera évaluée, mais davantage la qualité des contenus, leur
bonne adaptation au niveau de compréhension des utilisateurs visés et leur
progression pédagogique. On pourra pour ce faire s’appuyer sur des principes
énoncés pour l’évaluation de dispositifs hypermédia de formation comme les sept
qualités de l’apprentissage de Jonassen, 1995 (constructif, actif, coopératif,
conscient, contextuel, (qui permet le) transfert, réflexif). Toutefois ces dimensions
rendent compte de processus de haut niveau qui nécessitent pour certains d’entre
eux (comme le transfert) un arsenal méthodologique conséquent eu égard au cadre
de l’évaluation de dispositifs de formation à distance.
Bibliographie
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Bastien, J.M.C. & Scapin, D.L. (1993). Ergonomic criteria for the evaluation of humancomputer interfaces. Rapport technique, n° 156, INRIA, Rocquencourt.
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Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
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391-402.
52
Transmission de la mémoire de la Shoah : une
médiation scénique de restitution
Passing on the memory of the concentration camps: restitution
via a scenic mediation
Sylvie LELEU-MERVIEL
Univ Lille Nord de France, F-59000 Lille, France
UVHC, LSC, F-59313 Valenciennes, France
[email protected]
Résumé. Transmettre la mémoire de la seconde guerre mondiale aux générations
qui ne l’ont pas connue devient impératif. Cela ne va pas sans une nécessaire
réflexion quant aux vecteurs de médiation adéquats. Cet article porte sur Du cristal à
la fumée, pièce de Jacques Attali créée dans une mise en scène de Daniel Mesguich le
16 septembre 2008. Cette proposition inhabituelle via la représentation scénique au
théâtre fait l’objet d’une triple analyse : exploration du texte fondée sur la méthode
de Patrice Pavis, analyse de la mise en scène grâce aux outils de la scénistique,
première approche du processus médiationnel à l’œuvre dans la forme théâtrale. Au
terme de ce parcours, il apparaît que l’objet scénique n’est sûrement pas le plus apte
à supporter un régime de restitution des faits historiques.
Mots-clés. Médiation scénique, théâtre, métaphore, scénistique, faits historiques,
sémiotique cognitive, signifiance, intégration conceptuelle.
Abstract. Passing on the memory of World War II to new generations has become
an imperative. To do this, careful thought is needed about the appropriate vectors
of mediation. A point in case is the play of Jacques Attali, Du cristal à la fumée (From
crystal to smoke) directed for the stage by Daniel Mesguich on 16 September 2008.
The article examines this unusual play and its theatrical scenic representation in a
threefold way: an exploration of the text based on the method of Patrice Pavis, an
analysis of the stage direction using the tools of the scénistic method, and an attempt
in understanding the meditational process at work in the theatrical form. In doing
this, it appears that the scenic object is not the most appropriate in enhancing the
restitution of historical facts.
Keywords. Mediation, scenic, theatre, metaphor, scénistic, historical facts, cognitive
semiotics, significance, conceptual integration
1 Introduction
La question de la mémoire de la Shoah s’impose actuellement comme une
problématique majeure, au moment historique précis de ce basculement où les
derniers témoins physiques sont en passe de tous disparaître. Elle s’accompagne
53
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
d’une réflexion approfondie sur la médiation nécessaire. Tous les musées de la
déportation, les sites concentrationnaires, les nombreux mémoriaux de divers pays
mènent notamment un travail très abouti sur les modes de médiation opportuns
pour la transmission de la mémoire à des générations qui n’ont pas connu cette
période de l’Histoire.
Une proposition plus inaccoutumée – une médiation via la représentation
scénique au théâtre – fait l’objet de cet article.
1.1
Présentation de « l’objet » scénique et des questions qu’il pose
Un texte…
En août 2008 paraît chez Fayard, sous la signature de Jacques Attali, un opus
de 187 pages dont la première de couverture mentionne : « Du cristal à la fumée.
Théâtre » (Attali, 2008).
Une création…
La création a lieu le 16 septembre 2008 au Théâtre du Rond-Point, dans une
mise en scène de Daniel Mesguich. Elle bénéficie d’un relais médiatique important.
Le spectacle est à l’affiche dans ce même théâtre jusqu’au 28 septembre.
Des commentaires…
Dès le lendemain, les journalistes commentent l’aspect « événementiel » de la
création. Ainsi la critique de Fabienne Pascaud du 17 septembre 2008 à 18 heures
30, intitulée « Coup de gueule-théâtre », à ce jour encore audible en ligne à l’adresse
http://www.telerama.fr/scenes/theatre-du-cristal-a-la-fumee,33733.php (consulté
le 4/8/2009, texte intégralement retranscrit en annexe), commence-t-elle par ces
mots : « La soirée était très chic hier au théâtre du Rond-Point. Les ministres se pressaient,
Rachida Dati en tête. Les hommes de gauche se pressaient aussi, Laurent Fabius en l’occurrence.
Que venaient-ils voir ? Hé bien ils venaient voir la dernière œuvre du conseiller du Président
Sarkozy, homme de gauche au demeurant, Jacques Attali, qui s’intitule ‘Du cristal à la fumée’.
Ils n’ont pas été déçus… ».
Des critiques…
Le ton passe néanmoins très vite de la chronique mondaine à la critique la plus
acerbe : « C’est vrai qu’ils ont très peu applaudi. On les comprend. Le spectacle est tout
simplement lamentable. On aurait pourtant aimé adorer ce spectacle, ou du moins pas en rire, pas
le trouver ridicule comme on a pu le juger hier soir ».
Nul besoin d’un esprit très acéré pour comprendre que Fabienne Pascaud n’a
pas du tout aimé ce qu’elle a vu – ce qui n’est nullement répréhensible : c’est son
droit le plus strict. Malgré la dimension par conséquent très subjective, et de fait
orientée, des propos qu’elle tient, ce qui retient particulièrement l’attention est cette
mise en cause du procès théâtral lui-même que comporte sa diatribe : « Daniel
Mesguich et Jacques Attali ont trouvé que les propos des nazis étaient trop dégoûtants pour que
des acteurs les interprètent. On les comprend volontiers : ces mots touchent l’indicible, l’innommable.
Mais pourquoi, alors, vouloir faire du théâtre ? ».
On observe en outre que cette même question est relayée par d’autres critiques
beaucoup moins véhémentes, plus modérées et/ou consensuelles. On peut citer par
exemple Elise Noiraud, dans les Trois Coups du 27 septembre 2008, sous la plume
de laquelle on trouve : « Malgré la valeur du texte, malgré la nécessité de l’entendre […] je
demeure taraudée par une seule question : est-ce bien là du théâtre ? ».
54
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Une problématique…
Ces deux premières citations suffisent à faire émerger une problématique liée
de fait à la fonction de transmission mémorielle : le mode de médiation était-il
adapté à l’objet ?
1.2
Méthode d’analyse
Analyse du texte, de la proposition scénique et du processus médiationnel
Pour tenter de répondre à cette question, une analyse objective et rigoureuse
de la production proposée en septembre 2008 est tout d’abord effectuée. Elle
débute par une exploration du texte, fondée sur la méthode d’analyse des textes
contemporains de théâtre proposée par Patrice Pavis (2002). Cette analyse de l’objet
abstrait qu’est le texte est complétée par une analyse de son incarnation concrète :
en corps, en mouvements, en espace, en sons et en lumières. Les outils de la
scénistique sont mobilisés pour ce faire. Enfin, l’examen du processus médiationnel
conclut l’article.
Corpus
Les documents qui constituent le corpus de l’analyse sont :
• En tout premier lieu l’édition du texte de la pièce chez Fayard.
Cet élément essentiel est complété par un ensemble de textes critiques et/ou
de commentaires, mis à disposition sur le Web et en l’occurrence moissonnés par le
moteur de recherche Google© sous la formulation de recherche « Du cristal à la
fumée ». Figurent dans ce corpus :
• La critique de Fabienne Pascaud pour Télérama du 17 septembre 2008
• La critique de Joévin Canet pour Le Magazine Info du 21 septembre
2008
• La critique d’Elise Noiraud pour Les Trois Coups. Le seul journal
quotidien du spectacle vivant du 27 septembre 2008
• La critique de Judith Sibony pour Rue 89 du 27 septembre 2008
• La critique de Corinne Denailles pour Pariscope (non datée)
• Le commentaire en ligne de Jules Dupont du 5 octobre 2008 sur le
site d’Amazon.fr qui commercialise l’édition papier du texte
• Le commentaire signé Latour07 du 29 septembre 2008 sur ce même
site
• L’article d’André Larané intitulé « Shoah : l’Histoire en pièces » du 28
septembre 2008 sur le site Herodote.net
Les adresses des sites Internet donnant accès à l’intégralité de ces divers
documents figurent en annexe. En outre, la critique de Fabienne Pascaud étant
radiophonique, une transcription intégrale sous forme textuelle est également
disponible en annexe, comme indiqué plus haut.
2 Analyse du texte de Jacques Attali
Pavis (2002 : 1-31) propose quelques « thèses pour l’analyse » qui visent à
interroger le texte dramatique contemporain de façon pertinente. Ce modèle
s’inspire de celui qu’Umberto Eco a consacré au texte narratif, testé et exposé dans
Lector in fabula (Eco, 1985), mais Patrice Pavis l’a entièrement adapté de façon à
« prendre en compte cette ‘parole en action’ que constitue le théâtre ». L’outil a été conçu pour
fonctionner du côté de la réception et du lecteur, à l’inverse d’une méthode
génétique tournée vers la conception et l’écriture de l’œuvre, ses sources ou la
méthode de travail de l’auteur ; il est donc particulièrement adapté à notre situation.
55
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
6 niveaux s’enchâssent successivement les uns dans les autres, conformément
au schéma de la figure 1.
A B I II III IV
Figure 1. Schématisation des niveaux successifs d’analyse du texte dramatique
Après une présentation rapide du type de caractéristique observée à chacun de
ces niveaux d’après (Pavis, 2002), les variables correspondantes sont instanciées
pour « Du cristal à la fumée », ce qui en assure une analyse la plus méthodique
possible.
Il est à noter que Patrice Pavis recommande d’utiliser son modèle comme une
boîte à outils dans laquelle on vient puiser en fonction de ses besoins. Cela signifie
concrètement que tous les items ne sont pas pertinents pour tous les textes, certains
d’entre eux étant du reste délibérément piétinés par l’écriture dramatique
contemporaine. On n’instanciera donc que les items signifiants pour l’objet qui nous
préoccupe, sans que cela constitue un manquement à l’exploitation de la méthode.
2.1
Niveau A : textualité, stylistique
Questions propres au niveau A
- Comment ça parle ?
Procédés lexicaux, grammaticaux, rhétoriques.
Stylisation de la langue.
Oralisation de la langue.
Adaptation aux lois phonétiques de la diction et à la mise en bouche.
Plasticité du texte, faculté de se modeler sur la voix et le corps des
comédiens.
- Musique et matière des mots
Musique textuelle.
Tissage des phrases.
Répliques, sonorités.
Sons, rythmes, jeux du signifiant.
- Types de paroles
Formes verbales utilisées, langue naturelle ou langage formalisé.
Prose ou vers, marques d’oralité.
Mot du personnage ou mot d’auteur.
Répartition des paroles entre les locuteurs, masses textuelles, ordre
des tours de paroles.
56
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
- Lexique
Source, direction et but de la parole ; vectorisation (Pavis, 1996b).
Paroles et silences.
Vocabulaire utilisé.
Occurrences verbales exprimant une même idée.
Champ lexical.
- Isotopie et cohérence
Fil conducteur.
Lignes directrices permettant d’organiser les informations et les
indices.
Rapprochement des termes et/ou des thèmes.
- Indications scéniques
Découpage visible du texte (séquences, scènes, actes, tableaux).
Didascalies.
- Marques de stylisation et de littéralité
Fonction poétique (Jakobson, 1963).
Art de la composition et du montage des discours.
Dramaticité et théâtralité de l’énonciation verbale.
Le DOKUMENT 18-16PS
Jacques Attali revendique explicitement une approche documentaire. Ainsi, la
préface de l’édition (Attali, 2008) indique :
Cette pièce raconte, au plus près de la réalité historique, la réunion secrète qui s’est
tenue au matin du 12 novembre 1938, deux jours après la Nuit de cristal, à
Berlin, entre les principaux dirigeants nazis […].
Plusieurs sténographes, dont le docteur Fritz Dörr, prennent en notes le contenu des
échanges. A la fin de la guerre, Fritz Dörr remet ses notes, compte rendu partiel de
la réunion, aux Américains. Elles sont utilisées lors des procès de Nuremberg. Les
notes des autres sténographes, portant sur la moitié de la réunion, n’ont jamais été
retrouvées.
Ce document est ensuite envoyé aux archives allemandes sous la référence « PS1816 ». En 1998, des familles juives héritières de polices d’assurances non honorées
par l’Etat nazi saisissent l’Etat de Californie afin de retrouver des preuves de la
collaboration des assurances allemandes avec le gouvernement nazi. La société Risk
International, engagée pour mener cette enquête par l’Etat de Californie (avec le
concours d’Avoteynu, dans le cadre du projet Living Heirs), contacte la société
d’assurance allemande Allianz et remonte la piste du document.
Cette pièce est inspirée par ce verbatim partiel, par les témoignages laissés par divers
participants à cette réunion, dont Bernhard Lösener, du bureau juif du ministère de
l’Intérieur, et Ernst Wörmann, par le biais du livre du professeur Gerald D.
Feldman (Allianz and the German Insurance Business, 1933-1945, Cambridge
University Press, 2001), ainsi que par les travaux des historiens du groupe
Allianz, dirigés par Barbara Eggenkämper, que je remercie pour leur aide.
Derrière l’indication « référence PS-1816 » de cette préface, une note de bas de
page renvoie à l’annexe, « Premières pages du document 1816-PS consigné dans les archives
des procès de Nuremberg », qui comporte trois scans de feuillets reproduits ci-dessous
dans les figures 2 à 4.
57
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 2. Page de garde du document, in (Attali, 2008 : 184)
Figure 3. Page d’intertitre « de 1742-PS à 1849-PS », in (Attali, 2008 : 185)
58
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Figure 4. Première page du « DOKUMENT 1816-PS », in (Attali, 2008 : 186)
Textualité de la pièce
Sans entrer dans une analyse approfondie, on peut tout de suite observer
quelques incohérences notoires.
Tout d’abord, alors que l’intention est revendiquée « au plus près de la réalité
historique », alors que les scans de documents « authentiques » viennent fonder cette
démarche en instaurant une rhétorique de la « vérité » de par leur statut de « preuve
irréfutable », on note une légèreté peu explicable dans l’appel à référencement,
puisque le texte d’Attali indique PS-1816, tandis que l’édition elle-même atteste
quelques dizaines de pages plus loin que le titre exact est « DOKUMENT 1816PS ». Le fait de revendiquer l’exactitude tout en tenant pour négligeable une erreur
dans le référencement documentaire introduit le doute, même s’il ne s’agit là que
d’un détail.
Par ailleurs, aucune indication n’est fournie concernant l’intervention d’un (ou
plusieurs ?) traducteur(s). Ce point de vue est pourtant absolument déterminant. En
effet, d’autres travaux (Gentès, 2009) ont montré combien la traduction, à travers sa
mise en mots de concepts parfois très peu transposables d’une culture à l’autre,
procède d’une réécriture totale. Chaque terme doit y être soupesé longuement afin
59
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
de garantir une fidélité maximale – on pourra trouver une première approche du
concept de fidélité entre original primaire et document secondaire dans (Bouchez,
2007 : 131-133). Ainsi, la première phrase de Goering dans le DOKUMENT est :
Meine Herren, die heutige Sitzung ist von entscheidender Bedeutung.
La traduction dite « mot à mot », au ras du signifiant allemand, est :
Messieurs, la séance/session d’aujourd’hui est d’une importance décisive.
Ils deviennent dans le texte de la pièce (Attali, 2008 : 17) :
Asseyez-vous, messieurs. Heil Hitler, Heil Hitler. La réunion d’aujourd’hui est de
la plus haute importance.
Ces quelques mots suffisent à bien percevoir l’impact de la transposition
interprétative apportée par rapport au DOKUMENT 1816-PS. L’invite à s’asseoir a
été ajoutée, séparée en cela du vocable Sitzung qui signifie mot à mot le « sitting », la
séance assise. Les « Heil Hitler » sont résolument absents du DOKUMENT. Enfin,
« importance décisive » a été transposé en « de la plus haute importance ».
Les 11 lignes qui suivent dans cette première réplique de Goering n’ont aucun
fondement textuel dans la trace fournie par le DOKUMENT, comme on peut le
voir à partir du scan de la figure 4. Ni l’ordre de prendre en note – ou de suspendre
la prise de note à sa demande –, ni les objurgations aux autres membres de la
réunion – « Silence… Dépêchez-vous… Prenez place… Tout le monde est là ? » –, ni les
considérations sur la salle, son esthétique ou sa fonctionnalité n’y figurent. Les 13
lignes suivantes, qui commentent les événements de la Nuit de cristal, sont
également dépourvues de référent dans le DOKUMENT. En effet celui-ci enchaîne
directement avec « J’ai reçu tout à l’heure une note du secrétaire de notre Führer… – Ich habe
einen Brief bekommen… » (cf. figure 4).
De même lorsque, très peu de temps après (p. 22 du texte), Goering dit :
« Monsieur Wörmann, votre ministère, les Affaires étrangères, ne semble pas réussir à trouver un
dépotoir pour nos Juifs ? », le mot « dépotoir » est lourd d’implications sémantiques. On
aimerait un retour sur le terme figurant dans le DOKUMENT 1816-PS pour
s’assurer de la fidélité aux implications sémantiques authentiques.
Le même effet est décuplé à la page 25 dans la réplique, toujours de Goering :
« Nous devons trouver une solution conclusive, finale ». On mesure tout le poids de la
question posée ici à propos de la traduction concernant l’importance de chaque
mot, de chaque formule dans une optique de fidélité textuelle, en imaginant un
choix du type « Nous devons résoudre définitivement ce problème » et en comparant les
effets respectifs de « résoudre définitivement » et « trouver une solution finale » concernant la
question juive.
La langue comporte en outre de nombreuses marques d’oralité qui ne sont
certainement pas présentes dans la trace écrite du DOKUMENT 1816-PS. Il est
cependant difficile de l’affirmer sans recourir à l’intégralité du document source, la
première page dont on peut consulter le scan n’étant pas suffisante pour en
témoigner de façon certaine. Néanmoins, l’hypothèse d’une prise de distance de la
textualité par rapport à une stricte fidélité à la trace historique semble fondée.
Enfin, les sciences de l’information sont particulièrement sensibles aux
problématiques de la transcription – action intermédiaire indispensable par exemple
en audiovisuel lorsqu’il s’agit de dérusher une interview afin de sélectionner les
fragments que l’on retiendra dans le montage final. Cet exemple illustre
parfaitement un cas où il y a fidélité maximale vis-à-vis des propos d’origine puisque
l’on procède à partir d’une trace filmique enregistrée, sans manipulation
intermédiaire des données d’origine. Ce n’est pas le cas du DOKUMENT 1816-PS :
il ne s’agit pas d’une retranscription a posteriori d’une trace enregistrée par exemple
au magnétophone, mais d’une prise de note à la volée, dans le fil d’une réunion qui
60
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
ne s’est pas interrompue ou dont le rythme n’a pas été suspendu pour que les
sténographes aient le temps de noter. Les mots et les formules employés peuvent
donc être les leurs, et non ceux des dignitaires nazis. Les approximations, étant
donné les contraintes opératoires, sont forcément légion. En outre, la moitié au
moins des prises de note ont définitivement disparu.
Finalement, pour les éléments lacunaires dont nous disposons, ce sont trois
niveaux successifs de transposition au moins (en supposant que le DOKUMENT
contienne l’intégralité des notes prises, sans erreur de transmission et sans censure)
qui interviennent comme l’indique la figure 5 ci-dessous.
Figure 5. Les niveaux successifs de transpositions intermédiaires des propos nazis d’origine
Bien entendu, chaque niveau apporte son tribut d’inexactitudes et/ou de
déformations inévitables, comme le montre le jeu bien connu de la chaîne de
répétitions orales successives.
Pour toutes ces raisons, il apparaît clairement que la textualité de la pièce ne
peut guère être fidèle aux propos d’origine, et que d’ailleurs, elle semble s’en soucier
finalement fort peu. Ainsi, l’affirmation de Joévin Canet : « Les paroles que l’on entend
sur scène sont celles de crapules criminelles, de fous sanguinaires, vils et misérables, arrivés à une
position de pouvoir par une maladie de l’Histoire. Or, dans leur majeure partie, ces paroles ont
bien été prononcées. Et là réside toute la puissance de ce spectacle » semble largement abusive.
Là aurait pu effectivement résider toute la puissance de ce spectacle si ce travail de
restauration historique avait pu fournir toutes les preuves d’une très grande rigueur,
ce qui est loin d’être le cas.
2.2
Niveau B : situation d’énonciation
Questions propres au niveau B
- Comment on le fait parler ?
Situation des locuteurs ; circonstances de leurs paroles, de leurs faits
et gestes.
Identification des énonciateurs verbaux et non verbaux.
Qui parle à qui et à quelles fins.
Situation dramatique.
- Conditions de la communication
Enjeu de chaque scène, superobjectif.
Enonciation théâtrale comme « progression dynamique d’actes de langage en
interaction » (Schaeffer & Ducrot, 1995 : 746).
- Maximes conversationnelles
Principes – constamment bafoués au théâtre – : de coopération
(accepter et faciliter le dialogue) ; de pertinence (parler seulement à
propos) ; de vérité (affirmer des choses avérées) ; de quantité (ne
mentionner que le strict nécessaire) ; de manière (éviter les ambiguïtés)
(Grice, 1979).
- Conscience métatextuelle
Réflexion du texte sur lui-même et sur la théâtralité.
Fonction méta-linguistique (Jakobson, 1963).
61
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
- Rythmisation, ponctuation, partition
Répétitions, constantes, isocolies.
Partition des silences.
Ralentissements, accélérations.
Découpage narratologique, rhétorique, dramaturgique, respiratoire.
- Intertexte
Didascalies, indications scéniques.
Paratexte (Genette, 1982), (Thomasseau, 1984) : titre, liste des
personnages, préface ou avertissement, notes ou conseils pour la mise
en scène.
- Marques de théâtralité
Traces et indices d’oralité : hésitations, silences, pauses, présence
insistante d’un non-dit ; ruptures syntaxiques ou rythmiques,
construction défectueuse ou hésitante (Molinié, 1992) ; marques
phatiques du discours ; style argotique ou familier.
Situation d’énonciation dramatique
Encore une fois, la préface de l’édition (Attali, 2008) précise cette question dès
sa toute première phrase :
Cette pièce raconte, au plus près de la réalité historique, la réunion secrète qui s’est
tenue au matin du 12 novembre 1938, deux jours après la Nuit de cristal, à
Berlin, entre les principaux dirigeants nazis.
La situation proposée par la pièce « reconstitue » au plus près la réunion,
pilotée par Goering autour duquel sont rassemblés 12 hauts dignitaires nazis.
L’enjeu est donné dès la première intervention de Goering : « J’ai reçu tout à l’heure
une note du secrétaire de notre Führer, Martin Bormann, me transmettant l’ordre de régler la
question juive par n’importe quel moyen. Le Führer me l’a aussi ordonné lui-même en détail par
téléphone ce matin, comme il me l’avait déjà expliqué avant-hier, à Munich ». L’enjeu est
précisé deux répliques plus loin : « Nous sommes ici pour régler le problème juif, et il est
principalement économique ».
Du point de vue des modalités de la prise de parole, les interlocuteurs
s’interrompent et se coupent la parole fréquemment les uns les autres : là encore,
impossible de savoir si le DOKUMENT 1816-PS porte la trace de tels agissements
conversationnels. Une fois de plus, l’hypothèse d’une prise de distance de
l’énonciation par rapport à une stricte fidélité à la trace historique semble fondée.
2.3
Niveau I : Intrigue
Questions propres au niveau I
- De quoi ça parle ?
Structure et armature formelle.
Evénements racontés.
- Thématique
Thèmes abordés, motifs, leitmotive et topoï.
Thèse proposée.
Hypothèses de récit.
- Structure discursive
Moments de la pièce, dispositio.
Exposition, nœud, péripétie, dénouement (dramaturgie classique).
Enchaînements des événements de la pièce.
- Découpage visible du texte
Séquences, scènes, actes, tableaux, fragments.
62
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Episodes.
Intrigue
La thèse défendue par la pièce est affirmée dans la préface de l’édition (Attali,
2008), dans la partie laissée entre crochets, absente des citations précédentes :
Cette pièce raconte […] la réunion secrète […] entre les principaux dirigeants
nazis. C’est d’elle qu’est sortie la décision de la Solution finale, bien avant la
conférence de Wannsee du 20 janvier 1942.
Nous reviendrons plus loin sur l’analyse de cette thèse. On se contente ici de
la reproduire comme elle est formulée par l’auteur lui-même.
Les seuls événements de cette réunion qui occupe toute la pièce sont les
entrées et sorties des personnages, qui articulent les structures du texte et en
forment l’armature. Chaque entrée-sortie clôt un acte et ouvre le suivant : il y en a
six en tout.
Viennent s’ajouter à ces six actes qui correspondent à la réunion elle-même un
prologue qui présente les événements de la Nuit de cristal. La didascalie qui ouvre
ce prologue indique :
Un écran de cinéma (le reste de la scène est dans l’obscurité). Voix off sur les
images d’actualité.
Le prologue se clôt également par une didascalie que voici :
L’écran disparaît. Le rideau se lève et dévoile une grande salle de réunion ; quatorze
sièges, trois portes. Une table en U. Une autre table avec du café et des tasses. Des
cartes. Au mur, un immense portrait de Hitler. Un téléphone sur une table à
l’écart.
Les officiels nazis entrent l’un après l’autre. Ils se saluent militairement ou
civilement, chuchotent entre eux, se placent, s’observent. A leurs gestes et à leurs tics,
on doit comprendre leur rang, leur clan, leurs haines, leurs folies. La voix off
reprend, et annonce les noms de ceux qui entrent [liste des noms].
Kehrl porte avec lui des dossiers et une quinzaine de copies d’un texte qu’il remet à
Goering avant de s’asseoir à côté de lui.
Goering est au centre, à sa droite, Heydrich, Daluege et Himmler. A sa gauche,
entre Goebbels et lui, une chaise reste vide.
Le texte comporte en outre un épilogue, qui prévoit que les saluts individuels
des comédiens soient accompagnés du rappel de la destinée de chacun des
personnages historiques incarnés respectivement. Cet épilogue débute donc ainsi :
Pendant que les acteurs viennent saluer l’un après l’autre, on entend en voix off :
GÜRTNER
Meurt en 1941 à Berlin après avoir justifié juridiquement
l’extermination des Juifs
HEYDRICH
Nommé protecteur du Reich en Bohême-Moravie. Assassiné à Prague
en mars 1942.
[…]
2.4
Niveau II : structures narratives, dramaturgie
Questions propres au niveau II
- Comment ça agit ? Qu’est-ce que ça représente ?
Conventions de jeu.
Conventions scéniques.
63
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
- Qu’est-ce que ça raconte ?
La fable.
Contenu narratif, action résumée en une seule phrase.
- C’est où ? C’est quand ?
Chronotope.
Fusion des indices spatiaux et temporels (Bakhtine, 1978 : 137).
- Nature du conflit
Enjeu de l’action, ses conditions, sa finalité.
Nœud/dénouement ; énigme/révélation ; imbroglio/reconnaissance ;
énigme/éclaircissement (dans une dramaturgie classique).
Figures textuelles du conflit : attaque, défense, riposte, esquive ; cas de
conscience, dilemme, choix stratégique… (Vinaver, 1993 : 901).
- Genre
Classification dans un genre/sous-genre.
Tragédie/comédie (dans une dramaturgie classique).
Fable, chronotope et enjeu
Les éditions contemporaines ont instauré l’usage de faire figurer la fable en
quatrième de couverture du livre (lui octroyant ainsi une fonction attractive, à visée
plus communicationnelle et/ou commerciale). Cet ouvrage-ci ne déroge pas à cette
règle d’usage. On trouve donc au dos de (Attali, 2008) :
Le samedi 12 novembre au matin, à Berlin, deux jours après la sanglante Nuit de
cristal, les principaux dirigeants nazis se réunissent secrètement, sous la direction de
Goering. Himmler, Heydrich, Goering, Funk, Daluege sont là, entre autres.
Hitler, resté à Munich, suit la réunion minute par minute. C’est de ce conseil des
ministres surréaliste, grotesque, monstrueux, où se mêlent les détails les plus sordides
et les envolées les plus barbares, où se révèlent les haines opposant les nazis les uns
aux autres, qu’est sortie la décision d’en finir physiquement avec les Juifs. Bien
avant la réunion dans une villa du lac de Wannsee, le 20 janvier 1942. Sans que
rien ne soit jamais dit explicitement.
On peut constater que ce court texte définit à la fois la fable, le chronotope, le
superobjectif et les enjeux, ainsi que le tissu conflictuel (haine opposant les nazis les
uns aux autres).
2.5
Niveau III : action
Questions propres au niveau III
- Que fait l’action ?
Actions, motivations humaines qui éclairent les événements.
Quels événements ?
Quelle situation ?
- Qui agit ?
Actants : actants abstraits, individus concrets.
Caractères psychologiques, comportementaux, moraux, culturels des
personnages.
Lignes de forces et contradictions des actants.
Mécanismes actantiels.
- Quel type de personnage ?
Gestus des personnages.
Attitudes.
Rapports de force, hiérarchie.
- Quelle rhétorique des actants ?
64
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Figures qui contribuent à la dynamique du drame.
Tâche principale de chaque personnage au sein de l’action.
Actants et action
14 personnages participent à l’action de la pièce : 13 dignitaires nazis et un
représentant des compagnies d’assurance, décrits comme suit dans la liste des
personnages – par ordre alphabétique – (Attali, 2008 : 9) :
Bürckel, Joseph (43 ans) : gauleiter d’Autriche
Daluege, Kurt (41 ans) : adjoint de Himmler, lieutenant général de la
police SS, commande la police d’ordre
Frick, Wilhelm (61 ans) : ministre de l’Intérieur depuis 1933
Funk, Walther (48 ans) : ministre de l’Economie après avoir été
secrétaire d’Etat de Goebbels au ministère de la Propagande
Goebbels, Joseph (41 ans) : ministre de la Propagande
Goering, Hermann (45 ans) : numéro deux du régime, feld-maréchal,
chargé du plan quadriennal et de la préparation à la guerre
Gürtner, Frantz (57 ans) : ministre de la Justice depuis 1933
Heydrich, Reinhard (34 ans) : adjoint de Himmler, patron de la SS
Hilgard, Eduard (54 ans) : directeur général d’Allianz et président de la
Fédération des compagnies d’assurance allemandes
Himmler, Heinrich (38 ans) : SS-Reichsführer, contrôle la police, la
Gestapo, la SS et le SD
Kehrl, Hans (38 ans) : bras droit de Goering, chef du bureau de
planification au ministère de l’Economie
Krosigk, comte Lutz Schwerin von (43 ans) : ministre des Finances
depuis 1932
Stuckart, Wilhelm (33 ans) : secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur
Wörmann, Ernst (54 ans) : secrétaire d’Etat aux Affaires politiques au
ministère des Affaires étrangères
Concernant l’action, il s’agit de récupérer la « bourde » de la Nuit de cristal –
Goering parle de « stupidité » page 65 du texte, il s’exclame « Quelle bêtise ! » page
67 et évoque « l’erreur commise avec les manifestations d’hier » page 77. Ladite
« erreur » conduit à l’obligation de rembourser les Juifs assurés et s’avère un
naufrage économique et financier. On peut constater que, parmi tous les actants,
Eduard Hilgard est le seul à défendre réellement le remboursement intégral des
sommes dues, ce qui implique une tension dramatique assez faible. Néanmoins,
65
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
l’essentiel du conflit n’est pas là, étant entendu implicitement qu’on l’obligera à
passer par-dessus ses engagements sans autre forme de procès. Le conflit principal
réside entre les dignitaires nazis eux-mêmes, qui débattent, chacun défendant son
territoire. « Ce sont des loups qui se détestent » commente la critique Fabienne Pascaud.
2.6
Niveau IV : sens
Questions propres au niveau IV
- Qu’est-ce que ça dit ? Quelle est la thèse ?
Qu’est-ce que ça sous-entend idéologiquement ?
Que cache l’inconscient du texte ?
Sous-entendus, implicites, présupposés ?
Contenu latent, texte et sous-texte ?
Sens induit
Le commentaire signé Jules Dupont résume l’essentiel de la réponse à cette
question difficile :
Attali, quant à lui, instille dans l’esprit du grand public que les chefs nazis, Hitler mais
aussi Goering ou encore Heydrich, étaient des monstres, étrangers à notre monde, des
monstres qui plus est rationnels puisque c’est sur la base d’un raisonnement froid (éviter de
se mettre à dos les réassureurs américains) qu’ils envisagent l’extermination des Juifs.
3 Analyse de la mise en scène de Daniel Mesguich
Après avoir décrypté le texte de Jacques Attali conformément à la méthode
d’analyse promue par Patrice Pavis, il convient d’examiner la mise en scène
proposée par Daniel Mesguich dans cette série de représentations de septembre
2008.
Les outils de la scénistique proposés dans (Leleu-Merviel, 1996) et (LeleuMerviel, 2005) sont mobilisés pour ce faire.
3.1
Les outils de la scénistique : rappel
La scénistique est une méthodologie globale d’aide à la conception de
documents. Elle s’appuie sur la décomposition du processus créatif en cinq étapes
distinctes (Leleu-Merviel, 2005) :
• élaboration du potentiel scénaristique décrit dans la diégèse,
• construction de la trame narrative régissant la structure
événementielle profonde,
• conception du schéma scénationnel qui supporte toutes les scénations
possibles,
• choix de la scénique qui prépare la transposition du document en
une réalité perceptible,
• détermination de la mise en situation spécifiant les modalités
concrètes de l’interaction.
Bien que cette méthode soit spécifique à la conception de documents
interactifs en médias multiples (c’est-à-dire comportant de l’interactivité et faisant
appel à des environnements virtuels), elle demeure efficace pour des narrations plus
conventionnelles, et peut soutenir une démarche analytique.
Les trois premiers stades (diégèse, trame narrative, schéma scénationnel)
correspondent, dans une forme sans interaction comme l’écriture dramatique, à
l’achèvement du texte. La méthode d’analyse des textes contemporains de théâtre de
Patrice Pavis a permis d’effectuer très méthodiquement l’analyse du texte au
paragraphe précédent. Restent donc la scénique et la mise en situation.
66
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
La scénique désigne le processus permettant de transposer le texte en une
réalité concrète. (Leleu-Merviel, 2005 : 176-177) indiquait déjà : « La scénique relève
totalement de la réalisation, au sens audiovisuel du terme. C’est à ce niveau seulement que les
personnages prennent corps, que les décors se concrétisent. En se référant à l’interprétation musicale
ou théâtrale, on conçoit bien qu’un même texte peut supporter une infinité de scéniques différentes,
selon le choix du ‘maître d’œuvre’ auquel on en confie la réalisation […]. Le même texte est donc
radicalement différent dans une mise en scène de Peter Brook ou de Daniel Mesguich ».
Concrètement, la scénique détermine, sur la base du texte, les données physiques de
la représentation finale (images, sons, espaces, lumières, décors…).
La situation est définie comme l’ensemble des relations concrètes qui, à un
moment donné, unissent un sujet ou un groupe au milieu et aux circonstances dans
lesquels ils doivent vivre et agir. En ce qui concerne la « mise en situation », (LeleuMerviel, 2005 : 178) indique : « Le paragraphe précédent a évoqué les représentations
musicales ou théâtrales pour fonder les concepts introduits. La mise en situation y correspond aux
éléments définissant la relation du spectateur avec le spectacle (choix d’une église ou d’une salle sèche
pour un concert, disposition des spectateurs à l’italienne ou autour des comédiens comme dans le
théâtre élisabéthain, sonorisation ou non de la représentation, déplacement partiel de l’espace de jeu
parmi les spectateurs suivant un principe de mise en situation qui était cher à Jean-Louis Barrault,
ou au contraire concept contemporain de déplacement des spectateurs dans l’espace de jeu des artistes
au théâtre ou à l’opéra, etc…) ».
Il s’agit à présent de décrire la scénique et la mise en situation, principalement au
travers du corpus de commentaires et critiques référencés précédemment.
3.2
Choix scéniques
Prologue
Le prologue a pris la forme d’un montage audiovisuel d’images d’archives,
projeté sur un écran comme indiqué dans les didascalies. La voix interprétant le
texte du commentaire était celle de Daniel Mesguich lui-même. Curieusement,
aucun des articles du corpus ne revient sur ce prologue. Pourtant, le rôle des images
d’archives et du récit des faits en ouverture était déterminant pour renvoyer le
spectateur, avant le lever de rideau, à la réalité, qui plus est dans un régime de
documentaire audiovisuel familier aux spectateurs d’aujourd’hui qui ont pleinement
intégré cette forme et ce genre dans leur horizon d’attente (Jauss, 1978).
Dispositif scénographique
La critique d’Elise Noiraud comprend une description du dispositif
scénographique : « Dans ce qui ressemble à une salle de conférence, des tables ornées de l’insigne
nazi se dressent devant nous, autour desquelles les comédiens vont s’asseoir. Les échanges
commencent, réels, vivants, ‘naturels’ ».
Une photo de Brigitte Enguerand, jointe à l’article de Joévin Canet, l’illustre
assez fidèlement. Elle est reproduite ci-dessous.
L’ensemble est très respectueux des indications scéniques que comporte le
texte de Jacques Attali, mis à part l’« immense portrait de Hitler » dont le metteur en
scène s’est dispensé.
67
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 6. Une photographie du spectacle
Un parti-pris radical, le texte
Cependant, les comédiens – certains comédiens, pas tous – n’incarnent pas
le personnage, mais lisent le texte. Ce choix radical est abondamment commenté
dans notre corpus.
Ainsi Elise Noiraud : « Grand réalisme donc, en tous cas au début de ce spectacle […].
Les acteurs incarnent parfaitement ces nazis raides et agressifs. Mais très vite, c’est comme si
quelque chose se grippait dans cette machine réaliste. On commence par réaliser que c’est bel et bien
leur texte que les comédiens ont en main. Texte qu’ils lisent par moments, sur lequel ils butent
parfois, et qui ne les quitte pas ».
Fabienne Pascaud quant à elle : « Daniel Mesguich a déguisé, grimé ses acteurs
lourdement, il les a placés autour d’une table, donc pas le moindre geste théâtral, pas la moindre
mise en scène, il se contente de les asseoir et pire, ils ne disent même pas leur texte, ils le lisent, sans
doute parce que Daniel Mesguich et Jacques Attali ont trouvé que les propos des nazis étaient trop
dégoûtants pour que des acteurs les interprètent… ».
Là encore, les indications du texte sont exploitées au plus près. En effet,
nous avons vu que la didascalie terminant le prologue comporte cette indication :
« Kehrl porte avec lui des dossiers et une quinzaine de copies d’un texte qu’il remet à Goering
avant de s’asseoir à côté de lui ». Dans le texte, ce sont les copies du projet de décret
préparé par Goering pour « résoudre le problème » qui sont distribuées aux
participants (page 20 du texte de la pièce – qui commence réellement page 17. Par
ailleurs, page 77, la réplique de Goering comporte cette injonction : « Lisez le projet de
décret que je vous ai distribué en arrivant »). Si la pièce ne prévoit pas explicitement que
les acteurs lisent leur texte, elle prévoit en revanche qu’ils lisent un document ; le
document est présent dès le début et distribué à fin d’être lu. On ne peut donc pas
accuser Daniel Mesguich de trahison sur ce point-là non plus. Reste que la radicalité
de ce type de choix scénique le confronte forcément à une réception contrastée.
La photographie ci-dessous, en plan plus serré, montre le texte posé sur la
table devant les comédiens.
68
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Figure 7. Une photographie du spectacle
Second parti-pris, disparition de l’épilogue
Comme l’indique Judith Sibony dans son article : « Les acteurs, pourtant en
costume très réaliste, gardent à la main le texte du rôle qu’ils interprètent ; et à la fin, ils ne
viennent pas saluer. Au moins l’homme de théâtre laisse-t-il ainsi entendre, à sa manière, que le
spectacle ne saurait appeler des applaudissements ». Par contre, infidélité cette fois au projet
de Jacques Attali, puisque nous avons vu qu’un cérémonial très particulier était
prévu pour les saluts dans l’épilogue. Cérémonial qui n’a pas vu le jour, donc, au
profit d’une fin d’une sobriété exemplaire et qui, effectivement, laisse entendre qu’il
n’y a pas eu spectacle.
Ajouts mesguichéens
Deux éléments de scénique, absents du texte, ont été ajoutés. Il est
intéressant d’y reconnaître les deux figures les plus en accord avec le vocabulaire
mesguichéen usuel.
Tout d’abord, comme on a pu l’apprécier souvent dans beaucoup de
spectacles de Daniel Mesguich, l’action est accompagnée de très fréquentes
ponctuations audibles, plus sonores que musicales dans la mesure où la distorsion
des sons les renvoie davantage vers le bruitage que vers la mélodie. Procédé
fréquent chez Daniel Mesguich, on l’a dit. (Bouchez, 2001 : 105) note par exemple :
« C’est là une constante des bandes-son des spectacles de Daniel Mesguich depuis 25 ans : de courts
extraits musicaux, parfois de quelques secondes seulement, ‘redoublés’ de nombreuses fois sans que
l’on puisse discerner les débuts et fins de chaque redoublement, et créant ainsi une ‘boucle sonore’
répétitive, hypnotique et obsédante » et un peu plus loin à propos de Titus Andronicus
69
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
(Bouchez, 2001 : 109) : « Durant les dernières répétitions, Daniel Mesguich demanda au
régisseur son de monter le niveau, sur certaines descentes de rideau, des ‘brisures sonores’ déjà
tonitruantes. A celui-ci qui craignait pour l’ouïe des spectateurs, le metteur en scène répondit qu’il
voulait justement qu’à ce moment précis comme à d’autres : “ça leur fasse mal” ».
Par ailleurs, un personnage indéterminé, une « ombre » parcourt parfois le
plateau et rôde autour de ce qui se joue là sous ses yeux. Difficile de ne pas y voir
une incarnation de ces Juifs dont le sort se décide à ce moment, selon la théorie
défendue par Attali.
La critique rend bien sûr compte de ces choix de façon divergente. Par
exemple concernant le passant, Joévin Canet conteste : « Il est vrai que la mise en scène
de Mesguich ne fait pas l’unanimité. Certaines fioritures auraient pu être évitées, comme ce son
strident qui ponctue la montée vers l’inacceptable, à mesure que la conversation bascule dans
l’horreur ; ou encore ce passant anonyme qui traverse la réunion, semblant porter en lui toutes les
souffrances à venir du peuple juif ». Tandis qu’Elise Noiraud approuve au contraire :
« […] Ce sont des moments où la salle est assourdie par une musique dissonante, écho strident à
l’horreur des mots échangés […]. Seule la présence du passant, qui parcourt la scène sans que
jamais les nazis ne le remarquent, vient donner un peu de texture, de chair, de vie à l’ensemble ».
3.3
Choix de mise en situation
La mise en situation est assez rarement discutée, car pas encore
conscientisée comme un élément à part entière de la construction théâtrale.
Pourtant, les expériences de « sortie des salles conventionnelles » se multiplient.
Que l’on pense aux expériences d’immersion du spectateur comme dans 1793. La
Cité révolutionnaire est de ce monde d’Ariane Mnouchkine et sa troupe du Théâtre du
Soleil, dont Jean-Pierre Ryngaert (1993 : 92) dit : « La prise de la Bastille racontée par les
acteurs dans la proximité et l’intimité de petits groupes de spectateurs y trouvait un écho
immédiat ». Dans un tout autre style et plus récemment, la pièce Italienne avec orchestre
de Jean-François Sivadier place les spectateurs sur les chaises des musiciens dans la
fosse d’orchestre pour leur faire découvrir la préparation d’un opéra « de
l’intérieur ». Que l’on pense aux expériences de théâtre en chambre, où les pièces sont
représentées à domicile. Ou que l’on pense enfin à certains spectacles du Festival
d’Avignon qui poussent l’expérience « de mise en situation » aux limites, comme ce
spectacle itinérant dans un bus circulant dans la ville.
« Du cristal à la fumée » a été créé dans un théâtre conventionnel à l’italienne, qui
plus est dans une grande salle, où la distance du spectateur au spectacle est donc
forcément importante.
3.4
Un objet théâtral distancié
Cette distanciation constatée a bien entendu été voulue. Elise Noiraud
évoque « la volonté affirmée par Mesguich d’en faire un spectacle ‘à part’ ». Judith Sibony
rend compte du fait que, dans un entretien qu’il lui a accordé, Daniel Mesguich
aurait déclaré : « Théâtralement, un tel objet ne peut pas être abordé comme les autres ». C’est,
pense-t-il, « parce qu’il s’agit d’une ‘situation réelle’ ». Le metteur en scène, « qui nous
émerveille d’habitude par son grand sens des mots et des images » selon les termes de Judith
Sibony, avoue donc la difficulté d’une confrontation avec le réel, à laquelle la
fréquentation des grands textes du répertoire ne l’a pas accoutumé il est vrai, alors
que c’est par exemple le quotidien du documentariste audiovisuel. On pourrait dire
en quelque sorte que la gravité du sujet abordé l’a poussé à « abandonner la panoplie
du magicien » qui fonde habituellement son théâtre.
La distance constitue ce particularisme que tous ressentent. Ainsi Elise
Noiraud : « Le désir de Daniel Mesguich apparaît ici : celui de ne pas rendre vraiment le réel de
70
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
cet épisode. Comme pris dans cette impuissance à dire l’horreur, son théâtre se tient à distance de ce
qui pourrait se jouer réellement, et choisit plutôt de ‘faire un signe vers la réalité’ ».
En tout cas, c’est bien de cette confrontation à la réalité des faits et à ses traces
que naît très certainement le malaise qui traverse le spectacle. C’est ce point que
nous allons nous attacher à approfondir désormais.
4 Médiation du réel par la représentation
Cette question du rapport signifiant entre une forme quelconque de
représentation et le réel n’est pas nouvelle. Elle a notamment constitué le
questionnement principal de la sémiotique depuis les années soixante. Mais elle est
revisitée ces dernières années à l’aune d’une révision totale de ses fondements.
Quelques retours sur ces remises en cause permettent de compléter l’étude de
notre médiation scénique via un regard critique renouvelé. En fil rouge, ce nouveau
parcours d’analyse est guidé par les propositions théoriques de Paolo Fabbri.
4.1
Le « tournant sémiotique »
A travers ce qu’il nomme le « tournant sémiotique », Paolo Fabbri engage ainsi
à « repenser l’ensemble des problèmes liés au sens, au texte et au code et surtout au signe. […] Le
problème que la sémiotique doit étudier est celui des systèmes et des processus de signification »
(Fabbri, 2008 : 56).
Pour cela, il invite à dépasser le cadre linguistique de la première sémiotique,
fortement emprunte de référentialité du mot à la chose, pour se pencher sur toutes
sortes de textes non verbaux : paroles, gestes, mouvements, systèmes de lumière,
états de matière, etc., toutes composantes qui entrent en jeu simultanément dans la
communication.
Il s’agit alors de révéler des procès de signification où le verbal n’intervient
pas. Ainsi, Fabbri (2008 : 66-67) illustre : « Je donne un exemple très simple. Prenez un
tableau, et essayez de dire ce qu’il y a en lui. Chacun d’entre vous est certainement en mesure de
nommer toutes les choses qui se trouvent dans le tableau. Qu’êtes-vous en train d’analyser en
réalité ? Vous êtes en train d’analyser les mots avec lesquels vous avez décrit les éléments du
tableau, qui sont simplement ceux que les mots sont parvenus à décrire. Mais existe-t-il un sens du
tableau qui soit en quelque sorte perceptible de manière différente ? Existe-t-il une organisation du
sens du tableau qui recourt à des unités expressives qui ne soient pas coïncidentes avec celles que les
mots peuvent découvrir dans le tableau ? La réponse est oui ; une manifestation analogue est de la
même façon perceptible dans un film, dans un ballet, dans les gestes des animaux ou dans la
structure d’un paysage. La première chose à faire est cependant – comme le dit Penrose 1 – de se
libérer d’une sémiotique qui croit que tout dépend des mots, c’est-à-dire des signifiés qui peuvent en
quelque sorte être énoncés linguistiquement ».
Ainsi formulée, la proposition s’impose pour un objet scénique qui, au-delà du
texte, s’exprime en corps, en mouvements, en espace, en sons et en lumières. Les
formes théâtrales s’ajoutent donc naturellement au film et au ballet dans la liste des
objets concernés explicitement cités par Paolo Fabbri.
4.2
Sémiotique des images
Néanmoins, avant de nous concentrer sur le cas du théâtre, il n’est pas inutile
d’approfondir la pensée de Paolo Fabbri. Concernant l’image, il poursuit ainsi : « Je
voudrais maintenant aborder un autre point qui me semble central dans les recherches sémiotiques
actuelles : la question de l’image. L’image, en effet, après quelques recherches initiales, fut plutôt
délaissée par les études sémiotiques. Les différentes tentatives de constituer une sémiotique du
1
Penrose, R. (1989). L’esprit nouveau de l’empereur.
71
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
cinéma, de la télévision, de la peinture et ainsi de suite se sont rapidement diluées à cause des
difficultés rencontrées en projetant indûment un modèle linguistique sur l’image, laquelle
évidemment a des caractéristiques très différentes du langage verbal. […] Si elle n’a pas de
caractéristiques d’emblée traduisibles linguistiquement, l’image a une substance expressive
spécifique, une forme particulière d’expression qui transmet un certain type d’organisation des
contenus ; on peut dire que l’image a des caractéristiques sémiotiques, et qu’elle est donc plus ou
moins dotée de sens. L’image peut bien sûr également être insignifiante dans des contextes donnés :
cela dit, il est indubitable qu’elle exprime des sens propres, irréductibles aux sens identifiables
linguistiquement. Cette idée d’un langage spécifique de l’image est un problème qui a été posé
plusieurs fois ; pour être résolu, il doit faire abstraction des comparaisons hasardeuses avec le
modèle linguistique. Et il faut des actions et des opérations théoriques qui rendent la question de
l’image pensable à l’intérieur d’un paradigme théorique cohérent qui permette sa compréhension »
(Fabbri, 2008 : 105-106).
Au terme de cette lecture, force est de constater que les analyses du texte et de
la mise en scène effectuées aux paragraphes 2 et 3 sont tombées dans le travers
dénoncé par Paolo Fabbri : elles se sont contentées de décrire linguistiquement, à
l’aide du verbal, sans la moindre hypothèse quant à la façon dont les divers éléments
recensés ont produit un sens spécifique au cours du processus signifiant.
Cependant, en dépit de son intérêt, la proposition de Paolo Fabbri comporte
en réalité un programme entier de recherches futures à la fois théoriques et
appliquées. Malgré sa pertinence extrême, elle est encore bien loin de l’outil
opérationnel, méthodologiquement arrimé, qu’il suffirait de mettre en œuvre pour
produire des résultats.
Par conséquent, l’analyse que nous allons entamer maintenant ne peut guère
prétendre être davantage qu’une amorce, une ébauche de travaux à venir qui
devront sûrement s’étendre sur plusieurs décennies.
4.3
Corps et voix, vecteurs privilégiés de la médiation
Le corps de l’acteur au cœur du processus
Admettons par hypothèse qu’au théâtre, par-delà le texte, le vecteur de
médiation prépondérant est le comédien. Son corps, sa présence, sa voix, ses
postures, ses gestes, ses intonations, son souffle, le moindre de ses états d’être
participe de la signifiance, bien plus que le texte même. Une fois encore, Paolo
Fabbri vient en partie au secours de ce postulat. « Un des plus grands chercheurs
contemporains en linguistique de l’intonation, Dwight Bolinger, affirme que pour savoir ce que
signifie une phrase on a besoin de l’intonation ; qu’on n’a aucun critère de segmentation du langage
si ce n’est à travers des critères intonatifs, et qu’en dernière analyse le critère intonatif décide de
l’émotion et de la communication. C’est très embarrassant pour la linguistique structurale
traditionnelle » (Fabbri, 2008 : 101).
Dès lors, il est clair qu’on ne peut appréhender le processus théâtral sans s’y
arrêter. D’ailleurs, les mises en scène contemporaines, après les diverses révolutions
du XXème siècle, et en réaction aux autres médias (cinéma, télévision… qui ne
peuvent proposer au mieux qu’une image et un son) se nourrissent majoritairement
de cette chair-là, comme l’indique (Evrard, 1995 : 84) : « Les auteurs subissent donc ce
que certains ont appelé la tyrannie de la mise en scène. Du moins l’auteur perd son statut privilégié
dans le processus de création scénique. Valorisant le regard, l’haleine, la sueur, toutes les
manifestations du corps, la représentation tend à privilégier le corps insurgé de l’acteur au détriment
du corps écrit, parfois réduit à un prétexte ».
72
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Mise en corps et en voix
La mise en corps et en voix des nazis par l’intermédiaire des comédiens
constitue sans aucun doute l’un des points cruciaux de l’analyse médiationnelle.
Outre qu’elle a dû poser un sérieux problème éthique aux comédiens eux-mêmes et
à leur metteur en scène, on le comprend bien, les moments où ils investissaient le
texte dans une visée interprétative n’étaient pas les plus forts, tant il est difficile de
concevoir quel ton et quelle contenance pouvaient avoir ces hommes-là à ce
moment-là. Fabienne Pascaud indique : « Les criaillements des interprètes sont si ridicules
qu’on a presque envie de rire de ces propos qui devraient glacer les sangs », relayée par Joévin
Canet qui est plus modéré : « spectacle servi par d’excellents comédiens, quoique parfois
inutilement vociférants ».
Et pourtant, cette question est la première qui nous tenaille aujourd’hui : ces
gens-là parlaient-ils normalement, raisonnaient-ils normalement, menaient-ils
tranquillement une réunion comme nous en avons, nous, dans nos entreprises ou
nos institutions respectives, pour « résoudre collectivement un problème » ? Ce que
le spectateur espérait était une proposition de réponse à cette question-là. Sans
doute la frustration, et parfois la colère, viennent-elles de ce qu’il n’a pas eu le
sentiment d’en recevoir une.
Epaisseur du non-verbal
L’une des sources du malaise généré par le spectacle Du cristal à la fumée
provient probablement de là. S’il est en mesure de proposer une restitution des
propos des nazis – quoique très infidèle pour toutes les raisons listées au paragraphe
3.1 –, il est impropre à rendre « historiquement » le ton, les postures physiques, les
gestes, les non-dits entre les participants, les regards, les déplacements, toute
l’épaisseur du non-verbal qui constitue la part prépondérante de la communication
physique, in praesentia, entre individus. Bien entendu, le DOKUMENT 1816-PS,
pour le coup, n’a gardé aucune trace des échanges non verbaux.
Incarnation/interprétation
La difficulté réside donc dans l’interprétation/incarnation des
personnages/personnes par les comédiens. Une distanciation toute « brechtienne »
était matérialisée par la présence du texte, on l’a vu. Faire lire parfois ce texte aux
comédiens pour mieux signifier qu’ils n’incarnent pas le nazi qu’ils représentent est
contesté par Joévin Canet, qui pense que la médiation était efficace sans cet artifice :
« Il n’était pas utile non plus de faire lire périodiquement le texte aux comédiens, comme pour
mieux les déposséder des mots horribles qu’ils doivent prononcer. Cette mise en scène est redondante
car l’objectif était atteint, et le théâtre s’impose d’emblée comme le meilleur médium pour rendre
palpable la folie des hommes. Dépouillé de la virtualité de la télévision ou du cinéma, il reste le lieu
de représentation le plus efficace pour regarder l’humanité face-à-face, et se dire, à l’évidence : de tout
cela rien ne doit être oublié. L’infamie sommeille dans la nature humaine ; tout ce qui a eu lieu
peut se produire à nouveau ».
A l’opposé, à partir d’une analyse identique de la médiation proposée, Corinne
Denailles aboutit à un résultat inverse : « Utiliser l’espace théâtral sans la théâtralisation
comme vecteur de transmission, c’est faire œuvre de pédagogie. Mais, alors qu’il est conscient de la
difficulté, Daniel Mesguich n’échappe pas au piège qu’il veut éviter. Les acteurs ont beau avoir le
texte en main pour signifier la distance, on est bel et bien dans l’incarnation et la théâtralisation
mais non abouties puisque ce n’est pas l’objectif visé. Le sujet, très instructif, ne trouve pas la forme
théâtrale qui lui aurait convenu ».
73
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Reconstitution/restitution
A partir des réflexions précédentes, le désir de non-incarnation et de nonthéâtralisation peut incliner à se demander s’il ne s’agissait pas davantage d’une
reconstitution, comme les procédures judiciaires en effectuent parfois pour les
crimes. Ainsi Joévin Canet ouvre-t-il son article ainsi : « Ce n’est pas à proprement parler
sur une représentation théâtrale que s’ouvre cette année la saison du Rond-Point. Il serait plus juste
de parler de reconstitution historique ».
Néanmoins, la reconstitution judiciaire a toujours lieu en présence du suspect,
et son but est justement de réveiller sa « mémoire du corps » pour le faire craquer et
faire émerger une vérité physique qui surpasse celle des paroles. Du reste, cette
tension verbe/corps est l’un des ressorts fondamentaux du théâtre. Ce fut d’ailleurs
l’une des orientations majeures du XXème siècle de restaurer la place du corps dans
le jeu théâtral, parfois jusqu’à l’abolition totale du verbal (Jacquart, 1998 ; LeleuMerviel, 2001).
Toute l’analyse montre que Du cristal à la fumée oscille de l’approche
documentaire, revendiquée par le texte dans une rhétorique de la fidélité au réel,
jusqu’à l’imaginaire qui régit tous les autres registres expressifs. Le spectacle est
donc traversé par une « distorsion historique », comme le souligne Judith Sibony, aux
termes de laquelle le verbal s’affirme « au plus près de la réalité historique » – même si,
encore une fois, il ne l’est pas tant que ça –, tandis que le non-verbal est de fait
condamné à la fiction pure.
5 Le théâtre sous le joug de l’Histoire
La question du rapport de la représentation au réel se fait plus prégnante
encore lorsqu’elle touche à l’Histoire. Abondamment étudiée pour les images,
qu’elles soient picturales, photographiques, ou filmiques (Morizot, 2005), elle s’est
orientée parfois vers une problématique fonctionnelle, par exemple dans les travaux
d’Ernst Gombrich qui analyse les diverses fonctions du tableau à travers l’histoire
de la peinture (Gombrich, 2002). Elle constitue la préoccupation centrale d’un
grand nombre de travaux portant sur la médiation et ses diverses modalités. Elle est
fréquemment évoquée aussi pour le théâtre : « La question du rapport entre le théâtre et la
vie, entre le théâtral et le réel, ne cesse d’être examinée sous tous les angles. S’il arrive que les
dramaturges succombent aux attraits d’une image puisée ‘dans la vie’, beaucoup se posent la
question de la bonne distance à trouver entre ce qui sonne juste dans le monde et qui ne l’est plus
sur le théâtre, du nécessaire degré d’abstraction de l’art du théâtre, de l’écart indispensable entre
l’écriture et le monde, entre la scène et l’écriture » (Ryngaert, 1993 : 153).
C’est donc la perspective du degré de mise en abstraction et de l’écart entre le
spectacle « Du cristal à la fumée » et la réalité historique qui sous-tend ce paragraphe.
5.1
Fidélité historique douteuse
« Au plus près de la réalité historique… Voire »
L’hypothèse nouvelle avancée par Jacques Attali sur la base du DOKUMENT
1816-PS est, rappelons-le : « C’est de ce conseil des ministres … qu’est sortie la décision d’en
finir physiquement avec les Juifs. Bien avant la réunion dans une villa du lac de Wannsee, le 20
janvier 1942 ». Alors que Jacques Attali se targue d’être respectueux de la réalité
historique, c’est peu de dire que sa thèse ne fait pas l’unanimité : elle déchaîne les
passions contre elle !
Judith Sibony, dans son article de Rue 89, titre : « Au plus près de la réalité
historique ? Voire… ». Elle semble avoir approfondi la question, puisqu’elle affirme :
« Pourtant, quiconque se rend au Centre de documentation du judaïsme contemporain pour
74
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
consulter l’archive peut constater qu’il y est question de spoliation, de ghettoïsation, d’expulsions,
mais pas encore d’extermination. De fait, toute la communauté scientifique s’accorde à situer la
décision du génocide à la fin de l’année 1941 […] Sous couvert de vérité historique, la fiction
d’Attali s’avère plus que tendancieuse ».
La philosophe Elisabeth de Fontenay, présidente de la commission
Enseignement au Mémorial de la Shoah, renchérit : « Pour traiter un tel sujet, il faut être
soit un grand écrivain soit un historien. Attali n’est ni l’un ni l’autre ».
Contestation de l’hypothèse principale
C’est que le sujet est sensible, et qu’en voulant l’aborder, il faut savoir marcher
sur des œufs. Comme l’ajoute Elisabeth de Fontenay : « Le mélange qu’il propose ici est
catastrophique : il ouvre la porte à toutes les dérives, et témoigne d’un grand manque de respect
pour les morts ». Latour07 met en avant la nécessité d’une approche scientifique :
« Quand le sujet est à ce point sensible qu’il touche l’histoire de l’humanité, la tragédie immense du
génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, alors il appartient à l’écrivain, à l’essayiste,
à l’historien d’être très prudent et d’avancer sur le terrain scientifique de la confrontation des
données et témoignages. Jacques Attali offense la vérité historique ».
Comme nous l’avons vu dans le niveau IV de l’analyse textuelle, même si
l’auteur ne l’assume pas et s’abrite derrière « la réalité », un sens sous-jacent est
forcément induit en sous-texte. Celui qui émerge ici est jugé « dangereux ». En effet,
laisser entendre que la décision d’exterminer les Juifs découle d’une question
d’assurance implique un « dangereux glissement », comme le souligne le meilleur
spécialiste français de la période, Florent Brayard, chercheur au CNRS et auteur de
La solution finale de la question juive (Brayard, 2004). Il argumente : « C’est faire comme si
le projet d’exterminer les Juifs pouvait être le fruit d’une rationalité : un calcul rigoureux, en vue
d’un bénéfice matériel tangible. Or la ‘solution finale’ est au contraire purement idéologique : Hitler
avait décrété que la mort du ‘juif’ était la condition de sa victoire ».
L’historienne de la Shoah Annette Wieviorka s’indigne : « C’est une contrevérité
historique de plus qui circulera en toute impunité ».
Des désinvoltures envers l’Histoire
André Larané, qui renvoie à la critique de Fabienne Pascaud pour juger de
l’intérêt théâtral du texte et s’en tient à sa pertinence historique, s’indigne plus
véhémentement encore à propos de la préface : « Autant de mensonges et de culot en si
peu de lignes dans un ouvrage édité par une maison sérieuse ! ». Il parle de mystification
historique. Il souligne également des inexactitudes majeures qui ôtent toute
crédibilité historique à la proposition d’Attali pour quiconque demeure attaché à un
minimum de rigueur : « La réunion du 12 novembre 1938 était si peu secrète que son compterendu (celui dont s’est inspiré l’auteur) figurait déjà au procès de Nuremberg. A cette réunion […]
le Reichsführer Himmler, chef des SS, n’était pas présent, contrairement à ce qu’indique Attali,
mais représenté par son adjoint et alter ego Heydrich. Mais il ne s’agit là que de détails… ».
Une opération médiatique ?
De toute évidence, la prétendue révélation historique sur l’origine de la Shoah
ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut !
Et la concordance des dates incite à penser que les différentes parties
prenantes qui ont pris la décision de ce spectacle ont mis la priorité sur un « coup
médiatique » – plutôt réussi d’ailleurs de ce strict point de vue : Elise Noiraud parle
de « l’un des événements phares de la rentrée théâtrale » –, comme on en fait aujourd’hui
pour nombre d’opérations culturelles et/ou artistiques : puisque la réunion s’est
tenue le 12 novembre 1938, n’était-ce pas la commémoration des 70 ans de cet
75
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
événement qu’escomptait célébrer cette série de septembre 2008, comme l’indique
André Larané ?
En tout cas, les précisions apportées par les documents du corpus témoignent
sans conteste qu’on n’est pas aussi près de la réalité historique qu’Attali veut bien
nous le dire, puisque des personnages absents de la réunion ont même été ajoutés.
Dans toute procédure quelque peu soucieuse de la précision des faits, comme un
procès, de tels ajouts seraient taxés de falsification. Ce n’est pas grave en soi, car la
spectacularisation de faits historiques implique une part de fictionalisation quasi
inévitable. Ce qui est plus ennuyeux (et plus rare), c’est de tenter de nous faire croire
que tout est exact.
5.2
Un genre théâtral aux limites
Quoi qu’il en soit, Daniel Mesguich « amorce une réflexion passionnante sur les
limites du théâtre face à ce genre de texte » ainsi que l’affirme Elise Noiraud. L’innovation
formelle est bien présente, d’un nouveau genre théâtral aux limites de la restitution
historique, même si le résultat n’a pas convaincu.
Car Elise Noiraud poursuit : « Mais si la réflexion ouverte est certes intéressante, tout
cela reste néanmoins académique, théorique. Et du point de vue de ce qui se passe sur le plateau, on
est malheureusement déçu. La mise en scène figée tend vers la photo historique […] Le temps
s’allonge, se dilue dans une logorrhée nazie qui finit par couler tel un fleuve […] Malheureusement,
le mot ici devient indigeste, hermétique, tout comme les personnages, et, au final, le propos.
Mesguich a souhaité ne pas rendre réaliste cette scène historique, sans la théâtraliser pour autant, se
contentant de la perspective du souvenir, et de la mémoire collective. Mais cela semble
malheureusement insuffisant pour donner vraiment corps, densité et sens à son spectacle, qui erre
péniblement dans un non-genre ».
Elise Noiraud avance ici l’idée qu’au théâtre, la restitution sans théâtralisation
est insuffisante pour donner « corps, densité et sens ». On retrouve le même genre
d’appréciation dans la critique de Fabienne Pascaud. Elle reproche : « pas le moindre
geste théâtral, pas la moindre mise en scène », ce qui est bien entendu faux puisqu’une mise
en scène, il y en avait une de fait.
Ces diverses remarques aboutissent toutes au constat d’un déficit de sens. Pour
clore cet article, nous allons formuler quelques hypothèses à ce propos.
5.3
La mise en saillance par la médiation scénique
Bien avant Du cristal à la fumée, le théâtre a investi sans relâche la thématique
des grands drames historiques ; il a sans discontinuer exhibé les cadavres de
l’Histoire sur scène, comme le rappelle (Evrard, 1995 : 68) : « Face à une histoire
carnassière en proie aux forces violentes de la destruction, du chaos et de la mort, l’écriture théâtrale
n’a pas craint de traiter la réalité contemporaine dans sa matérialité la plus crue, de se mettre à
l’écoute d’une actualité désespérante, d’ouvrir les yeux sur la cruauté […] ».
Pourquoi et comment le fait-il ? (Evrard, 1995 : 68) poursuit : « Si les tragédies de
l’histoire ne sont pas des sujets théâtraux en soi, le théâtre demeure le lieu où la société exerce sa
lucidité. Déterrer les cadavres de l’Histoire, les donner à voir à la conscience et à la mémoire
collective, exhiber sur la scène les traces des abominations passées et présentes, telle est l’une des
grandes vocations du théâtre contemporain ». Franck Evrard instille l’idée que donner à
voir sur scène à la conscience et à la mémoire collective les traces des abominations
passées (ce qui est exactement le cas de la production étudiée) doit servir un
objectif : exercer sa lucidité. Ce que signifie très concrètement ne pas seulement voir
et entendre les signes théâtraux exposés via la médiation scénique mais mieux
comprendre les choses grâce à eux, accomplir un effet de révélation aux termes
duquel le théâtre dit plus que ce qu’il fait entendre, montre davantage que ce que
l’on voit. Alors, la matière théâtrale génère du sens.
76
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
Ce travail de révélation s’appuie sur la mise en saillance qu’effectue le théâtre.
En effet, la scène théâtrale est une page blanche, ou plutôt un vide, comme l’indique
(Sarrazac, 2000 : 52-54) évoquant « l’irrémédiable vacuité de la scène » : « La scène,
même (et surtout) la plus encombrée, reste vide ; et c’est justement ce vide – le vide de toute
représentation – qu’elle semble vouée à exhiber devant les spectateurs […] Le plateau n’est plus le
lieu d’un débordement anarchique du réel mais un espace vierge, un espace vide, une page blanche
sur laquelle vont s’inscrire les hiéroglyphes en mouvement de la représentation théâtrale ». Sur ce
vide, la représentation vient poser une écriture. C’est ainsi que la primauté de la
mise en scène a fait de tout composant théâtral un signe : non pas flot continu d’un
fragment de vie identique ici ou ailleurs, ou à tout le moins analogue, mais élément
choisi, intentionnellement disposé dans cette forme-là pour être perçu et décodé, vu
et lu au sein d’une composition d’ensemble.
En ce sens, le théâtre met en saillance et ainsi révèle. Mais il le fait avec recul,
par des détours. La simple exhibition sans lucidité ne suffit pas. Evoquant
l’interdiction de spectacles trop proches d’une actualité douloureuse, (Ryngaert,
1993 : 89) dit ainsi : « Au-delà de ces anecdotes, d’ailleurs troublantes quant à la sensibilité et à
la nervosité des relations entre le théâtre et la société, on comprend mieux la prudence avec laquelle
les dramaturges choisissent de parler des événements historiques récents, comme si le groupe social
s’imposait une sorte de travail de deuil et qu’un théâtre trop tourné vers un passé récent et non
protégé par les détours de la métaphore risquait de raviver d’anciennes douleurs. La guerre
d’Algérie, par exemple, n’a suscité qu’un nombre limité de pièces de théâtre, écrites pour la plupart
avec des années de recul ».
Jean-Pierre Sarrazac, de son côté, s’est consacré à une nouvelle approche de
cet art du détour ainsi qu’à des travaux portant sur la parabole, on le sait. De plusieurs
côtés donc, les analyses critiques portant sur le théâtre questionnent le détour, la
transposition, la métaphore, la parabole… Pour poursuivre la réflexion à laquelle
invite Paolo Fabbri, c’est du point de vue de la sémiotique cognitive que le
paragraphe suivant tente de donner quelques éclairages à leur propos.
5.4
Mise en abyme métaphorique
Le fonctionnement métaphorique est complexe. Néanmoins, les travaux de la
sémiotique cognitive, et notamment ceux de Mark Turner et Gilles Fauconnier, ont
permis d’en promouvoir un modèle : l’intégration conceptuelle. Quoique réductrice
et simplificatrice à l’excès face au phénomène d’autopoïèse théâtrale et à sa
complexité, l’intégration conceptuelle est l’une des rares propositions de modèle
pour le processus de signifiance dégagé de tout référent linguistique ou verbal.
Traité de façon plus approfondie dans (Leleu-Merviel, 2003), on en reprend ici de
façon synthétique les éléments principaux. On peut en outre se reporter à (Turner,
2000) pour un exposé très détaillé et de nombreux exemples d’illustration.
L’intégration conceptuelle de Fauconnier et Turner
Ce modèle comporte deux espaces initiaux, ou d’entrée, également appelés
inputs. Typiquement, dans notre cas, ce sont d’un côté l’espace-temps de la
représentation théâtrale, de l’autre l’immense complexité du monde dans toute sa
réalité. Malgré le très grand nombre de différences entre les deux inputs, il s’établit
une correspondance par analogie entre les deux espaces. Une projection partielle
relie les éléments analogues ou homologues dans les espaces initiaux : elle connecte
ce qui peut l’être entre les deux inputs. Il se crée alors un espace générique qui
contient ce que les espaces initiaux ont en commun. L’espace générique est un
espace idéel qui exerce la fonction de cadre conceptuel. La projection des deux
inputs sur l’espace générique est sélective, car elle ne retient pas les éléments qui ne
correspondent pas.
77
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 8. Schématisation du processus d’intégration conceptuelle
Tout le processus repose sur la création d’un quatrième espace : l’espace
intégrant ou blend selon la terminologie de Turner et Fauconnier. Il s’y produit
quelque chose d’à la fois extrêmement imaginatif et extrêmement courant pour
l’être humain : les deux éléments analogues sont intégrés l’un à l’autre, unifiés en un
seul. Le blend, qui est un espace fictionnel, imaginal, produit des significations
nouvelles car il contient une structure propre qui prend un nouveau sens, que l’on
peut qualifier d’émergent, et qui n’existe pas dans aucun des deux espaces d’entrée.
Il y a une complémentation, un achèvement très important dans l’espace intégrant.
Cette complémentation, automatique, est l’opération qui fournit la signification
émergente essentielle. Cependant, le blend reste relié par analogie aux espaces
initiaux. Les propriétés structurales émergentes du blend sont donc projetées en
78
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
retour sur les espaces initiaux. Par cette opération, les inférences en retour
produisent les significations émergentes.
L’intégration conceptuelle et le théâtre
Comme le montre Mark Turner, la phrase « ce chirurgien est un boucher » est un
blend, la métaphore est un blend, mais la scène de l’aveu du Phèdre de Racine est
aussi un blend, de même que le corps des complexes en mathématiques ou la
géométrie hyperbolique, ainsi que nombre de productions artistiques (Turner,
2000d).
Parfois l’œuvre littéraire dans sa complétude se prête à une intégration
conceptuelle. Par exemple, on peut voir, dans En attendant Godot de Beckett, deux
clochards attendant quelqu’un qui n’arrive jamais. C’est une histoire parmi d’autres,
pas très passionnante car elle manque terriblement d’action et de rebondissements.
Puis, tout à coup, le réseau d’analogies se construit. Nous percevons que cet input
proposé à notre entendement constitue une métaphore de la destinée humaine toute
entière : l’être humain, errant, souffreteux, passe sa vie à espérer (est-ce Dieu, ce
Godot qui ne se manifeste jamais ?). La complémentation ou l’achèvement dans le
blend produit la signification émergente essentielle : cette espérance est absurde,
signification qui est rétroprojetée d’un côté sur la destinée de ces deux clochards et
de l’autre sur l’input correspondant à l’existence humaine.
L’hypothèse avancée ici est que le mécanisme de l’intégration conceptuelle
régit le procès théâtral lui-même. Cette mécanique d’émergence subite est désignée
par Michel Vinaver comme une fulgurance : rencontre fortuite faisant soudainement
sens – (Vinaver, 1993 : 904) cité dans (Pavis 2002 : 56) –. Lorsqu’elle se produit,
c’est elle qui donne à l’œuvre l’ampleur d’une « signifiance » extrêmement puissante.
C’est elle qui est révélatrice et accroît notre lucidité.
Du cristal à la fumée : l’intégration conceptuelle en défaut
Admettre cette hypothèse fournit une explication possible aux manques et/ou
déficits que fait apparaître Du cristal à la fumée au terme de l’analyse. Le fondement
du mécanisme de l’intégration conceptuelle repose sur les différences entre les deux
inputs : les écarts irréductibles entre l’input 1 et l’input 2 justifient la création de
l’espace générique, qui est imaginal, pour y projeter les éléments similaires. C’est
grâce à lui que surgit l’espace intégrant où la métaphore prend sens par
complémentation et achèvement, à partir d’un mécanisme de fulgurance qui ne peut
pas advenir dans les inputs. S’il n’y a plus de différences significatives entre les
inputs, s’ils sont en tout point analogues ou similaires, le mécanisme de l’intégration
conceptuelle ne fonctionne plus. Le losange de la figure 8 se replie alors sur luimême et se réduit à un seul et unique espace : pas d’espace générique, pas d’espace
intégrant, pas de blend, plus de métaphore, ou plus exactement plus d’émergence
signifiante à la transposition, plus de fulgurance, mais seulement une copie à
l’identique de l’espace initial, ici « historique », copie dépourvue de révélation et/ou
d’apport de sens.
Daniel Mesguich et la métaphore
Daniel Mesguich est le chantre de la métaphore, son virtuose, au point d’en
avoir fait le symbole de son art et d’avoir donné son nom, (La Métaphore), au
théâtre qu’il a dirigé à Lille de 1991 à 1998. Ne parlez pas à Daniel Mesguich
d’authenticité, de sincérité, de vérité au théâtre. Voici du reste ce qu’il en dit dans
L’éternel éphémère : « Qu’est-ce que cette ‘sincérité’ de l’acteur dont on nous rebat les oreilles ? Je
crois que toute pensée de l’authenticité est contraire au ludisme, au plaisir du simulacre bienveillant,
au jeu intellectuel-forain, qu’elle est incompatible avec l’acte théâtral. Et pourtant la sincérité existe
79
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
[…] comme nudité devant les autres et soi-même. Non pas art de faire semblant, mais art de le
faire exprès, comme dit Pierre Debauche […]. Le théâtre n’est pas simulacre de la Vérité, mais
simulacre comme vérité ». Comme vérité créatrice d’un sens dont le réel est absolument
et définitivement dépourvu ; comme épiphanie du sens.
Daniel Mesguich – et d’autres metteurs en scène avec lui – affirment parfois :
« Si je mets un cheval vivant sur scène, ce n’est plus un vrai cheval, c’est une métaphore de cheval ».
L’intégration conceptuelle de Turner et Fauconnier permet de leur opposer ceci : si
le spectateur ne perçoit aucune différence entre le cheval sur scène et le cheval dans
la vie, alors pour lui il n’y a plus de détour signifiant, plus de transposition, plus
d’émergence ; c’est un vrai cheval de la vie dont il se demande pourquoi diable il est
exhibé en scène et non une métaphore, et l’acte théâtral perd tout son sens.
Le déficit de sens observé par les commentaires et la critique à propos de la
production Du cristal à la fumée de 2008 peut peut-être s’expliquer ainsi. C’est du
moins l’hypothèse principale formulée ici. A vouloir proposer une restitution en
tout point fidèle à la réalité historique – salle de réunion réaliste, costumes
d’époque, chronotope de la vraie réunion, etc… –, le processus métaphorique ne
peut plus advenir et le théâtre que l’on aime – celui dont on sort différent, plus
lucide donc grandi – s’y perd. En quête malgré tout de sens, le spectateur finit alors
par ne plus relever que les infidélités à l’Histoire, c’est-à-dire précisément à focaliser
sur les écarts entre la réalité (input 1) et l’objet médiationnel (input 2), attitude
récurrente que nous avons pu observer dans la majeure partie du corpus
documentaire étudié.
6 Conclusion
La question de la mémoire de la Shoah est bien sûr essentielle. La nécessité de
sa transmission n’est contestée par personne. Ainsi Latour07 conclut son article
intitulé Mensonges et manipulations de sens de la manière suivante : « A l’heure où les
témoins de la Shoah disparaissent, il est nécessaire de reprendre le flambeau de leur témoignage
pour comprendre le génocide, éviter les monstruosités de l’antisémitisme, et parfaire notre Humanité.
Il est donc équivalent de dénoncer les manipulations en tous genres et autres mensonges historiques
falsificateurs de sens ».
Sur ce point, les diverses analyses convergent. Ainsi Elise Noiraud, après avoir
évoqué « un enjeu de taille : porter à la scène les paroles que les dignitaires nazis auraient
échangées », confirme : « Bien entendu, le devoir de mémoire impose de ne pas se laisser caresser
par la banalité de l’horreur, et de demeurer vigilant quand les atrocités sont masquées par la
minutie des mots ».
Cependant, cette question ne peut oblitérer une réflexion sur la médiation
nécessaire à cette mémoire et à sa transmission. Concernant un objet spectaculaire,
l’actualité avait déjà posé cette même question au moment de la sortie du film La vie
est belle de Roberto Begnigni qui ose l’humour sur un thème aussi tragique. On est
ici, bien entendu, dans le genre de la fiction pure ; ce qui a été dit à propos de ce
film n’est donc pas transposable à notre cas.
Malgré les critiques qui se font jour, saluons la réflexion entamée par Daniel
Mesguich à travers ce spectacle : où se situent les limites du théâtre dans l’exercice
d’une médiation scénique qui se veut documentaire ?
Une autre voie était possible : celle du sensible, de l’émotion pure dégagée de
toute volonté de signifier. Elle impliquait une mise en situation très différente : plus
« impliquante », plus « engageante ». On pouvait imaginer par exemple de disposer
les spectateurs autour de la table, avec des pseudo-nazis entre eux, comme s’ils
participaient eux-mêmes à la réunion. Sans cris, sans même une once
80
Transmission de la mémoire de la Shoah : une médiation scénique de restitution
d’interprétation, avec la voix la plus blanche qui soit, de par la situation même le
texte aurait forcément été reçu bien plus violemment. L’économie du spectacle
aurait aussi été toute différente : 30 spectateurs, pas plus, au risque de voir l’effet
d’immersion se diluer. En l’occurrence, ce type d’expérience est a priori très loin de
l’univers mesguichéen. Faute d’avoir été tentée, il est impossible de dire si cette
médiation-là était plus adaptée. C’est en tout cas une piste possible pour poursuivre
la réflexion ouverte par Daniel Mesguich.
Dans un tout autre registre, à l’heure où ces lignes sont écrites, France 2
diffuse la remarquable série documentaire « Apocalypse. La seconde guerre mondiale »
d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle. Il s’agit d’un travail inouï d’écriture
audiovisuelle exclusivement à base d’images d’archives, auxquelles une couleur a été
numériquement restituée (ce qui fait polémique quant au respect de l’intégrité de
l’archive). Les sources ont été moissonnées à travers le monde entier. De très
nombreuses images inconnues, professionnelles ou amateur, parsèment les quelque
800 plans que comporte chaque épisode de 52 minutes (soit, pour la série de 6, près
de 5000 plans extraits de 700 heures de rushes en guise de matière première). C’est
bien sûr la réalité historique elle-même qui est ici visible, dans un régime de la trace
authentique. Peut-on vraiment imaginer que le théâtre puisse tenter de rivaliser sur
le même terrain ? Et n’est-il pas décidément plus fécond pour lui de porter au
sommet cette transposition métaphorique qui lui sied si bien ?
Bibliographie
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Annexe
Document 2 du corpus, critique de Fabienne Pascaud. Accessible à :
http://www.telerama.fr/scenes/theatre-du-cristal-a-la-fumee,33733.php
Transcription
La soirée était très chic, hier, au théâtre du Rond-Point. Les ministres se pressaient,
Rachida Dati en tête. Les hommes de gauche se pressaient aussi, Laurent Fabius en
l’occurrence. Que venaient-ils voir ? Hé bien ils venaient voir la dernière œuvre du
conseiller du Président Sarkozy, homme de gauche au demeurant, Jacques Attali, qui
s’intitule Du cristal à la fumée. Ils n’ont pas été déçus. C’est vrai qu’ils ont très peu
applaudi. On les comprend. Le spectacle est tout simplement lamentable. On aurait
pourtant aimé adorer ce spectacle, ou du moins pas en rire, pas le trouver ridicule
comme on a pu le juger hier soir. Le sujet, en effet, est grave. Jacques Attali a
retrouvé des archives selon lesquelles il est désormais prouvé que l’extermination, la
Shoah aurait été décidée en 1938, deux jours après la Nuit de cristal et non pas
comme on l’a toujours dit en 1942. Que s’est-il passé ce soir de 1938 où après la
Nuit de cristal où les biens des Juifs ont été incendiés, brûlés dans tout Berlin, les
dignitaires nazis se réunissent et décident tout simplement qu’il est hors de question
que les Juifs soient assurés de leurs biens, que les assurances les indemnisent pour
tout ce qu’ils ont perdu durant cette nuit. Et comme ils trouvent cela
particulièrement injuste qu’ils touchent des millions après les méfaits qu’on leur a
causés, ils décideront, ni plus ni moins, de les exterminer. Le sujet, comme je le
disais, est évidemment atroce et fait prendre conscience de la Shoah qui arrive et de
toute la haine que ces dignitaires nazis portent contre les Juifs et se portent aussi
entre eux. Ce sont des loups qui se détestent. Mais voir cette danse de mort aurait
pu glacer les sangs et aurait pu faire réfléchir si elle avait été montée intelligemment,
ce qui n’est évidemment pas le cas. Daniel Mesguich a déguisé, grimé ses acteurs
lourdement, il les a placés autour d’une table, donc pas le moindre geste théâtral, pas
la moindre mise en scène, il se contente de les asseoir et pire, ils ne disent même pas
leur texte, ils le lisent, sans doute parce que Daniel Mesguich et Jacques Attali ont
trouvé que les propos des nazis étaient trop dégoûtants pour que des acteurs les
interprètent, on les comprend volontiers, ces mots touchent l’indicible,
l’innommable, mais pourquoi alors vouloir faire du théâtre ? Le spectateur est donc
frustré et les criaillements des interprètes sont si ridicules qu’on a presque envie de
rire de ces propos qui devraient glacer les sangs. Donc c’est un spectacle totalement
raté, qui se retourne contre lui-même. Vraiment, sous tous les prétextes, évitez Du
cristal à la fumée.
Document 3 du corpus, critique de Joévin Canet. Accessible à :
http://www.lemagazine.info/?Du-cristal-a-la-fumee
Document 4 du corpus, critique d’Elise Noiraud. Accessible à :
http://www.lestroiscoups.over-blog.com/article-23188144.html
83
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Document 5 du corpus, critique de Judith Sibony. Accessible à :
http://www.rue89.com/2008/09/27/theatre-attali-prend-des-libertes-aveclhistoire-du-nazisme
Document 6 du corpus, critique de Corinne Denailles. Accessible à :
http://spectacles.premiere.fr/pariscope/Theatre/Salle-de-Spectacle/Spectacle/DuCristal-A-La-Fumee/(affichage)/press
Documents 7 et 8 du corpus, commentaires signés Jules Dupont et Latour07.
Accessibles à :
http://www.amazon.fr/Du-cristal-fumée-Jacques-Attali/dp/2213628556
Document 9 du corpus, article d’André Larané. Accessible à :
http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=486
84
RCI WEB : un système collaboratif de
recherche d’information centré utilisateur
RCI WEB : a “user-centred” system for collaborative research
of information
Robin VIVIAN, Jérôme DINET
Laboratoire 2LP équipe ETIC, université Paul Verlaine de Metz
[email protected]
[email protected]
Résumé. Cet article s’intéresse à la recherche collaborative d’information du point
de vue des comportements et processus mentaux sous-jacents. Il poursuit trois
objectifs complémentaires. Il explicite les enjeux liés à cette activité (de nos jours et
dans un avenir proche) en faisant un point sur les connaissances (et les non–
connaissances) concernant les comportements et processus mentaux impliqués. Il
présente ensuite les caractéristiques et les fonctionnalités d’un outil technique
innovant, simple d’utilisation, pouvant aider les utilisateurs « tout-venant » à réaliser
des recherches collaboratives d’information. Cet outil baptisé RCI Web (pour
Recherche d’Information Collaborative sur le Web) permet à la fois de partager des
informations sur des recherches multi-utilisateurs mais aussi de pondérer la
pertinence des résultats trouvés en fonction des niveaux de compétence de chaque
utilisateur. L’idée n’est pas de proposer simplement un outil permettant de partager
des informations sur un réseau social mais de proposer une application permettant
de suivre et d’évaluer quantitativement et qualitativement un groupe de travail.
Mots-clés. Outil recherche collaborative, comportement, ergonomie.
Abstract. Collaborative information behavior is an essential aspect of information
search tasks work; however, we have very limited understanding of this behavior.
On the one hand, most models of information behavior focus on the individual
seeker of information. On the other hand, no commercial systems exist which fully
support collaborative information behavior. Nevertheless collaborative information
behavior differs from individual information behavior with respect to how
individuals interact with each other, the complexity of the information need, and
the role of information technology. So researchers are also exploring collaborative
information behavior from a technical perspective. This paper presents a software
eveloped using the Web-based collaborative visualization. RCI Web is a
collaborative Web searching environment intended for sharing Web search results
among people with similar interests, such as college students taking the same
course. It facilitates students’ Web searches by visualizing various Web searching
processes. It also collects the visualized Web search results and applies an
association rule data mining algorithm to find meaningful patterns in the Web
85
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
search queries and the resulting useful Web resources. The mined patterns are then
used as recommendations in guiding other students as they search the Web on the
same or similar topics. This paper describes the design and implementation of the
RCI Web environment.
Keywords. Collaborative information behavior, ergonomics, cognitive processes.
Introduction
La recherche d’information n’est pas une activité récente. Mais, il s’agit d’une
activité nouvellement redécouverte car sa maîtrise semble être de plus en plus
requise. En effet, savoir rechercher rapidement et/ou efficacement des informations
dans son environnement est vital, ou du moins extrêmement important, dans le cas
d’activités très variées telles que la conduite de centrales nucléaires, le pilotage
d’engins, la prise de décision médicale, le vote électronique, la gestion et la
prévention des risques industriels, ou encore la recherche d’un emploi. Les
dimensions « informatisée » d’une part, et « collaborative » d’autre part, se sont
progressivement et récemment accolées à la recherche d’information. Cette
évolution s’est réalisée en quatre phases :
- initialement, l’activité de recherche d’information était manuelle, réalisée dans
des fichiers papier, et était presque exclusivement du seul domaine des
« experts ». Il n’y avait pas à proprement parler de collaboration ; tout au plus
quelques interactions verbales. Durant cette période, l’approche de la
recherche d’information était techno-centrée (Rabardel, 1995) ;
- avec la mécanisation puis l’informatisation de la recherche d’information, des
non-experts (utilisateurs « tout-venant ») ont été amenés à plus fréquemment
réaliser l’activité seuls, de manière indépendante. Durant cette période,
l’approche devient progressivement anthropo-centrée (Rabardel, 1995) ;
- avec la numérisation des bibliothèques et l’apparition fulgurante du Web dans
tous nos espaces de vie (travail, domicile, école), les usagers tout-venant non
experts deviennent les principaux « chercheurs d’information ». Hansen et
Jarvelin (2005) constatent que l’informatisation et la numérisation ont comme
principale conséquence d’individualiser l’activité de recherche d’information ;
- la mondialisation concerne également les informations, les individus, leurs
connaissances et leurs compétences.
Il y a quelques années encore, les principaux soucis des utilisateurs
concernaient les équipements et les infrastructures liées aux réseaux. Les verrous
auxquels la communauté des chercheurs en sciences et techniques s’attaquait étaient
donc principalement des verrous technologiques (stockage des données, vitesse de
transfert de données, etc.). Aujourd’hui, ce sont les usagers et les usages qui sont au
cœur des préoccupations des utilisateurs et des chercheurs, puisque sont devenues
centrales les notions d’utilité, d’utilisabilité, de satisfaction, de gain et de coûts
cognitifs. Et pourtant, les études scientifiques qui s’intéressent aux technologies de
l’information et de la communication du point de vue des usages et des usagers sont
encore minoritaires, notamment en ce qui concerne l’activité de recherche
collaborative d’information.
86
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
1
Définition et typologie des recherches collaboratives
d’information
En accord avec la définition d’Hansen et Jarvelin (2005), nous pouvons définir
la recherche collaborative d’information de la manière suivante :
« est considérée comme recherche collaborative d’information toute
tâche de type résolution de problèmes, impliquant plusieurs individus
interagissant, de manière synchrone ou asynchrone, lors d’une tâche
commune de recherche de sites ou de pages Web dans des contextes
plus ou moins définis et des environnements plus ou moins ouverts ».
Mais, cette définition est trop généraliste. Aussi, peut-on plus finement
distinguer les activités de recherche collaborative d’information selon trois
dimensions :
¾ le statut des partenaires (collaborateurs) concernés : « novice », tout-venant
ou expert ;
¾ le type de média partagé par les collaborateurs pour réaliser l’activité (avec
ou sans média technique ou numérique) ;
les phases de l’activité durant lesquelles la collaboration existe (pré-active,
active, post-active).
2
Recherche collaborative versus recherche individuelle
2.1
Avantages et inconvénients
Les études s’intéressant à la recherche collaborative d’information se sont
surtout focalisées sur la recherche sur le Web puisque cet environnement a relancé
l’intérêt pour cette activité. Plus précisément, bon nombre de ces études se sont
attachées à démontrer la supériorité de la dimension collaborative sur la dimension
individuelle. Cette supériorité supposée transparaît notamment dans le titre de
l’article publié par Lazonder (2005) : « deux têtes cherchent mieux qu’une ». Ainsi,
de très nombreux travaux ont effectivement montré que la recherche collaborative
de pages Web améliore les performances des utilisateurs (Bharat, 2000) (Cockburn
& McKenzie, 2001) (Diamadis & Polyzos, 2004) (Dinet, 2007) (Dumais et al, 2001),
notamment en ce qui concerne le nombre d’informations pertinentes trouvées et le
temps mis pour réaliser la recherche. Très concrètement, effectuer une recherche
collaborative de pages Web présente les avantages suivants :
- le temps total nécessaire à la recherche d’informations sur le Web diminue ;
- le volume des informations traitées et lues par ces individus augmente
significativement ;
- l’organisation des informations trouvées sur le Web semble meilleure ;
- le nombre de pages re-visitées diminue significativement lorsque la recherche
d’information est collaborative.
Mais les résultats des études antérieures sont difficiles à comparer et les
extrapolations sont également difficiles à réaliser car les situations décrites sont très
hétérogènes. Par exemple, les utilisateurs sont tantôt des « experts » en informatique
(doctorants en informatique) et tantôt des novices (étudiants de première année de
psychologie) ; les outils utilisés sont multiples (navigateurs « traditionnels » versus
interfaces spécialement développées pour l’étude) ; les thèmes et scénarii des
recherches d’informations sont également variés (recherche sur un thème libre versus
thème imposé ; présence versus absence de contraintes temporelles). De plus,
d’autres études ont montré que la recherche collaborative d’information sur Internet
présente trois inconvénients majeurs (Lipponen, 1999) (Nurmela et al, 1999) :
87
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
- le travail de recherche d’information est souvent très inégalement réparti
entre les membres d’un même groupe ;
- les membres d’un même groupe ont parfois des représentations de l’espaceproblème très différentes ;
- un ensemble d’études actuellement conduites avec des participants âgés de 7
à 18 ans dans l’académie de Nancy – Metz tend à montrer que certains facteurs
affectifs (amitié, affinité) sont des facteurs déterminants dans l’efficacité de la
recherche collaborative (Dinet, 2007).
2.2
Quelles différences cognitives ?
Il existe un nombre croissant de modèles tantôt prescriptifs tantôt descriptifs
de l’activité de recherche d’information – pour une synthèse : (Strijbos & Fischer,
2007). Parmi ces modèles, rares sont ceux qui s’intéressent aux comportements et
processus cognitifs impliqués lorsque cette activité est réalisée de manière
collaborative. Pourtant, sur la base des modèles actuels, nous émettons l’hypothèse
que la recherche collaborative d’information demande un plus grand nombre de
connaissances (et de compétences) que la recherche individuelle d’information,
notamment en matière de gestion métacognitive de l’activité. En effet, en plus des
connaissances déclaratives, procédurales et métacognitives activées lors de toute
recherche d’information (Dinet & Tricot, 2007), des compétences non sollicitées
lorsque l’activité est réalisée de manière individuelle se trouvent l’être lorsque cette
même activité est réalisée de manière collaborative.
2.3
Les aspects méthodologiques
Si les recherches s’intéressant aux situations de recherche collaborative
médiatisées par des outils informatiques ne cessent de se développer depuis une
dizaine d’années, les résultats et constatations faites sont rarement généralisables et
transférables à cause notamment de problèmes méthodologiques (Strijbos &
Fischer, 2007). Un ensemble d’auteurs pense que plusieurs challenges doivent être
résolus dans un futur proche si l’on veut pouvoir progresser dans l’état de nos
connaissances relatives à cette activité (Weinberger et al., 2007)( Arvaja et al.,
2007)(Beers et al., 2007). On identifie par exemple :
- la question de la divergence/convergence. La plupart des approches
théoriques de la recherche collaborative d’information repose sur l’idée que
les différents individus composant le groupe s’influencent mutuellement. Or,
comment évaluer ces concepts de divergence et/ou convergence ? Comment
déterminer si les contributions des individus concourent ou non à la
réalisation d’un objectif commun ? Comment mesurer la proximité des
représentations mentales ?
- la création de nouvelles techniques de recueil de données.
- la prise en compte du contexte et du décours temporel.
- le choix du niveau d’analyse.
En ce sens, Fidel et al. (2004) proposent d’aborder la situation de recherche
collaborative d’information selon une approche concentrique (Figure 1). Selon la
« sphère » concernée par l’étude, le champ théorique correspondant est proposé.
Les sciences de l’information ont été les premières à s’intéresser à l’activité de
recherche d’information, en proposant des modèles des comportements des
utilisateurs. Cette approche est intéressante dans le cadre de notre étude : Kuhlthau
(1991) intègre par exemple des aspects cognitifs, affectifs et physiques liés à
l’activité de recherche d’information.
88
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
Figure 1. Les différents niveaux d’analyse de la recherche collaborative d’information
Ainsi, le modèle ISP est pertinent pour l’étude, car ces trois dimensions sont
présentes dans toute recherche d’information, et ceci est davantage vrai lorsque la
recherche s’effectue de façon collective. En effet, dans une situation collaborative,
les affects entrent en jeu dans la réalisation de l’activité, puisqu’il y a communication
directe ou indirecte avec les autres membres. Pour Kuhlthau (1991), les aspects
cognitifs correspondent aux pensées et à l’intellect de manière générale. De plus, les
facteurs affectifs sont liés aux affects, impressions et émotions et les facteurs
physiques aux actions ou comportements. Ainsi, ce ne sont pas des aspects définis
avec précision. Cette étude envisage d’intégrer ces facteurs liés aux comportements
humains et notamment les facteurs physiques (actions, comportements), puisque
cette recherche est effectuée dans un contexte où les membres collaborent entre
eux.
Facteurs cognitifs
Pensées, intellect
Facteurs affectifs
Affects, impressions, émotions
Facteurs physiques
Actions, comportements
Tableau 1. Les différents facteurs du modèle ISP et leurs correspondances selon Kuhlthau
Le modèle ISP est apprécié des documentalistes et des bibliothécaires parce
qu’il intègre les facteurs affectifs et émotionnels dans la recherche d’information.
Selon Kuhlthau (1991), la recherche d’information se compose de sept étapes
successives, chacune faisant intervenir des composants issus des trois domaines
(affects, intellect, actions) : l’initiation, la sélection, l’exploration, la formulation, la
collection, la présentation et l’évaluation.
89
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Etapes :
Affectifs
Cognitifs
Physiques
Initiation
Incertitude
Analyse de la demande
Echange avec autrui
Sélection
Anxiété, confusion
Choix de mots-clés
Consultation répertoires,
discussions
Doute, incertitude,
Identification des sources
Lecture et prise de note
confusion
Production
d’idées,
Formulation Optimisme
Lecture de notes
formulation de critères
Exploration
Collection
Intérêt accru
Présentation Optimisme
Evaluation
Satisfaction finale
Prélèvement d’informations
Prises de notes précises
Catégorisation
des
informations
Identification d’informations
complémentaires
Organisation des notes
prises
Relecture finale et retour
aux sources
Tableau 2. Le modèle de Kuhlthau sur le processus de recherche d’information (1991)
Selon Kuhlthau (1991), il existe des affects, pensées, actions et stratégies qui
peuvent être associées à chacune des sept étapes présentes lors de toute recherche
d’information.
• Pour l’initiation, les affects sont l’incertitude. Au niveau intellectuel, il
s’opère une analyse de la demande, nous faisons appel aux
connaissances antérieures que nous avons sur le thème de recherche. En
ce qui concerne les actions, il y a échange avec autrui, et nous cherchons
des informations dans la bibliothèque ou dans des bases de données. Pour
finir, stratégiquement, les membres discutent entre eux et peuvent réaliser
un brainstorming.
• Lors de la sélection, au niveau affectif, on peut retrouver de l’anxiété et de
la confusion. Nous choisissons des mots-clés, puis nous consultons les
répertoires. Enfin, nous avons pour stratégies de discuter et d’explorer les
thèmes liés.
• Lors de l’exploration, il règne le doute, la confusion et l’incertitude. Nous
identifions des sources, il faut préciser la demande. La prise de note et la
localisation des sources sont primordiales et nous arborons comme
stratégie la lecture ou le listage par mots-clés.
• La formulation crée un optimisme qui nous pousse à terminer la
recherche, il nous faut produire des idées et formuler des critères précis.
Nous lisons des notes relatives aux sous-buts et nous les articulons entre
eux.
• Lors de la phase de collecte, l’intérêt est accru, nous prélevons les
informations, et nous effectuons des prises de notes précises.
Stratégiquement, la demande d’aide auprès du documentaliste est parfois
présente.
• La présentation a pour effet un optimisme au niveau des affects. La
catégorisation des informations se met en place, nous organisons nos
notes. Il existe également un appel aux expériences antérieures.
• Enfin, dernière étape, l’évaluation permet une satisfaction finale de la
recherche d’information selon le modèle ISP. L’identification
90
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
d’informations complémentaires s’est effectuée. Enfin, il existe une
relecture finale et un retour aux sources.
L’un des principaux apports du modèle ISP, par rapport à d’autres modèles
(par exemple, celui de Marchionini en 1995, qui lui propose un modèle itératif où le
comportement et les stratégies d’un individu évoluent au fil de l’activité), est donc
d’intégrer les facteurs affectifs et émotionnels dans les comportements des usagers.
Par ailleurs, ce modèle est intéressant pour les professionnels de l’information ou de
la documentation qui peuvent ainsi avoir des référentiels de compétences à acquérir,
tels que savoir gérer les conflits au sein d’un groupe par exemple. Le principal
inconvénient de ce modèle est qu’il donne peu d’indications sur les comportements
réels et les processus cognitifs sous jacents des individus recherchant des
informations dans les environnements documentaires complexes.
3
RCI Web : un outil d’aide à la recherche collaborative
d’information
3.1
Contexte
Sur la base des éléments précédemment cités, il apparaît donc pertinent de
proposer la création d’un outil d’aide à la recherche collaborative d’information qui
soit simple d’utilisation pour les usagers tout-venant. Cet outil repose sur le principe
général de représentations graphiques simples et non ambiguës affichées à l’écran
aux côtés du moteur de recherche, annuaire ou méta moteur utilisé.
De nombreux systèmes ont développé des interfaces permettant à plusieurs
utilisateurs de connaître les personnes connectées en même temps sur un même
site. Social Web, développé par Donath et Robertson (1994), permet par exemple
de communiquer de manière synchrone avec l’ensemble des utilisateurs visitant la
même source d’information. D’autres outils comme Webtager se contentent de
partager des signets ou des listes de favoris (Wittenburg et al., 1995). Cabri (1999) a
développé un système multi-navigateur consistant en une subdivision en deux
frames de l’espace de travail, affichant pour l’une la liste des pages consultées par
l’ensemble du groupe et pour l’autre l’historique de navigation de l’ensemble des
membres ainsi que leurs échanges.
D’autres travaux comme ceux de Maekawa (2006) et d’autres systèmes comme
WebSplitter (Han et al., 2000) adoptent une approche différente en parallélisant une
recherche collective via un ensemble de sous-fenêtres associées à chacun des
membres du groupe.
Des systèmes plus aboutis, comme SearchTogether (Morris & Horvitz, 2007a)
permettent d’enrichir la liste des favoris d’une tierce personne d’un même groupe de
travail en référençant et notant sommairement les sites Web visités. Contrairement
aux systèmes qui partagent des signets, SearchTogether (figure 2) se concentre sur le
soutien à la collaboration lors du processus de recherche, y compris dans la
formulation de requêtes, dans l’affichage des résultats de recherche à explorer et
dans l’évaluation de l’information trouvée. Cependant, utiliser cet outil nécessite
obligatoirement un compte MSN©, d’utiliser Internet Explorer© et les possibilités
de notation sont relativement limitées dans la mesure où les choix sont uniquement
binaires (bien, pas bien).
91
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 2. Environnement de SearchTogether
Adoptant la même philosophie, Yoono (ou plutôt Yoono companion présenté
figure 3) est un applicatif qui ajoute dans la barre latérale de Mozilla Firefox© une
suite de menus dédiés. Cet outil n’est pas entièrement destiné à la recherche
collaborative puisqu’il permet, sur le modèle des messageries instantanées, de
partager de la musique, des vidéos, des photos et d’avoir un carnet d’amis. Nous
sommes plus près de l’outil de gestion de réseaux sociaux qu’en présence d’un réel
outil de travail collaboratif. L’aspect référencement et partage de sites Web est limité
dans ses possibilités de notation. Ils n’autorisent que trois alternatives : j’adore, je
déteste ou je pense que c’est drôle. Cependant, certaines options de visualisation, de
classification et de conservation de données sont efficaces, faute parfois d’être
efficientes.
Figure 3. Environnement de Yoono companion
92
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
Toutefois, la plupart de ces systèmes sont avant tout conçus pour effectuer des
recherches générales plutôt thématiques, et ne permettent pas toujours une
granularité très fine dans la gestion des informations. Par exemple, TeamSearch
(Morris et al., 2006) permet à un groupe de quatre personnes « assises » autour d’une
table d’affichage d’effectuer une recherche dans une base de données d’images en
utilisant un langage d’interrogation visuelle. C-TORI (Hoppe & Zhao, 1994) est un
système multi-utilisateurs pouvant interroger une base de données relationnelle. Un
membre du groupe est désigné comme coordonnateur et ce coordonnateur a le
pouvoir de créer des communautés dans lesquelles les requêtes exprimées par un
utilisateur seront visibles par tous les membres de la communauté. MUSE
(Krishnappa, 2005) est un système qui prend en charge, de manière synchrone, la
collaboration à distance entre deux personnes pour des recherches dans une base de
données médicales. Les utilisateurs de MUSE effectuent des recherches standard
mono-utilisateur, mais elles intègrent, par une simple action sur un bouton, la
capacité de partager des métadonnées. CIRE (Romano et al., 1999) est un système
ciblé multi-utilisateurs. Chaque utilisateur effectue seul ses recherches mais il peut
ajouter des commentaires sur les pages visitées. Ces commentaires sont ensuite
visibles par les autres membres du groupe qui accèderont à ces mêmes sites Web.
Enfin S3 (Morris & Horvitz, 2007b) permet aux utilisateurs de restituer de manière
asynchrone les sites trouvés au cours d’une recherche sur le Web en présentant les
résultats dans un format de fichier persistant qui peut être envoyé et complété par
plusieurs personnes.
La plupart des approches théoriques de la recherche collaborative
d’information reposent sur l’idée que les différents individus composant le groupe
s’influencent mutuellement. Comment déterminer si les contributions des individus
concourent ou non à la réalisation d’un objectif commun ? Comment mesurer la
proximité des représentations mentales ? Généralement, les études s’intéressant aux
recherches collaboratives d’information, se focalisent sur des indicateurs quantitatifs
hors-ligne ou en-ligne (e.g., temps mis pour retrouver une information, nombre de
pages consultées). Mais ces indicateurs ne permettent pas d’obtenir des
informations quant aux stratégies utilisées par les individus, à leurs besoins, à leurs
attentes.
Nous avons développé un outil d’aide à la recherche d’information
collaborative (et indirectement individuelle) qui ne se restreint pas à évaluer des
critères quantitatifs. L’application restitue un ensemble de données sur le
comportement de l’usager. Nous avions initialement comme contrainte forte de ne
pas remettre fondamentalement en cause les outils et les méthodes que chacun
utilise habituellement afin de ne pas ajouter de contraintes technologiques. L’outil
RCI Web (pour Recherche Collaborative d’Information, figure 4) est une
application dont l’objectif est double (Vivian & Dinet, 2008a) (Vivian & Dinet,
2008b). Elle permet d’une part de fédérer autour d’une même thématique de
recherche un ensemble de collaborateurs, et d’autre part d’optimiser le travail
individuel.
RCI Web se compose de deux applications distinctes. La première est basée
sur un agent intégré au navigateur et au moteur de recherche (Google© sous le
navigateur Mozilla©). Elle a comme fonctionnalités principales la notation des
pages visitées, la visualisation des notes déjà attribuées par l’ensemble des
collaborateurs, l’affichage de la liste des pages répertoriées dans une thématique de
recherche donnée et la restitution des notes directement dans les pages du moteur
de recherche.
93
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 4. Page d’accueil du système RCI Web
La seconde est un outil de gestion et de suivi d’activité permettant le
paramétrage d’un projet de recherche et un suivi de l’évolution, du comportement
et des contributions de l’ensemble des participants.
3.2
Principe de notation des pages
Après installation, l’activation de l’agent associe au navigateur une barre de
tâche qui vient se superposer à la page affichée. On retrouve sur cette barre
(escamotable si nécessaire) un bouton de présentation de l’historique de la
recherche, d’une zone de notation et d’un menu de gestion des options.
Lorsqu’un collaborateur visite une page Web, il a la possibilité de « noter » le
contenu simplement en cliquant sur l’un de six niveaux proposés (figure 5). Cette
action a pour conséquence de mettre à jour l’historique des recherches et de
modifier instantanément les paramètres de présentation de la page au sein du
moteur de recherche. Cette information sera ensuite disponible pour toutes les
personnes associées au même thème de recherche.
Figure 5. Principe de notation d’une page Web
Affichage de l’historique des pages visitées et notées
Après identification par login et mot de passe, un utilisateur a la possibilité de
consulter l’ensemble des informations associées à la thématique de recherche en
cours ou de toutes les recherches auxquelles il participe par une simple sélection du
94
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
thème. Cet historique reprend les données principales associées au site visité par un
ou plusieurs utilisateurs à savoir (figure 6) :
• le titre de la page,
•
le dernier collaborateur qui a annoté la page,
•
la dernière note attribuée (ou la moyenne),
•
le nombre de visites effectuées.
Figure 6. Historique des pages visitées et notées
Un usager peut à tout instant consulter les résultats de recherches antérieures
(personnelles ou collectives) en affichant les données soit par rapport à des critères
chronologiques (dates de consultation) soit par rapport à des critères de pertinence
(notes attribuées) ou encore en fonction des collaborateurs du projet. Ce filtre
simplifie la représentation des résultats et minimise les interactions entre l’utilisateur
et l’application.
Report des notations dans le moteur de recherche
Posséder un historique de recherche est certes intéressant mais pas suffisant. Il
paraît difficilement concevable que, pendant une recherche d’information, un
utilisateur ait besoin de vérifier en permanence si le site qu’il désire visiter est déjà
référencé dans la base. Afin de limiter simplement le nombre de visites et revisites
inutiles (site déjà analysé par un autre membre du groupe, revisite d’une même page
à un autre moment, …), est intégrée à l’application une fonctionnalité qui permet de
reporter, en enrichissant les résultats de recherche du moteur Google© (figure 7),
une moyenne des notes déjà attribuées et conservées dans l’historique de recherche.
Cette fonction informe simplement un collaborateur, au moyen d’indicateurs
graphiques, de la nécessité de consulter ou non cette page Web. L’utilisateur est en
mesure de savoir si le site a déjà été contrôlé (présence d’une note) et
éventuellement si les données présentent un intérêt quelconque pour la recherche
en cours (hauteur de la note). Cette donnée est intégrée directement devant les
95
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
hyperliens résultants d’une recherche par mots clés sur le moteur de recherche
Google©.
Figure 7. Enrichissement des résultats sous Google
Une absence de note informe que le lien renvoie vers un site Web qui n’a fait
l’objet d’aucune analyse préalable par l’un des collaborateurs. Le X indique que le
site a déjà été consulté et qu’il ne présente que très peu d’intérêt. A ensuite été
définie, certes arbitrairement, une graduation allant de 1 à 5 de la pertinence du
contenu. Cette gradation pourrait être modulée en fonction des besoins propres à
une étude spécifique.
3.3
Le gestionnaire d’application
Le site de gestion de l’application assiste un responsable de projet (enseignant,
chef de projet, …) dans la mise en œuvre d’une application de travail. Il permet de
construire simplement (comme la majorité des systèmes existants), autour d’un
thème clé, une équipe de collaborateurs. Mais, contrairement à l’ensemble des autres
applications testées, RCI Web possède un module de suivi et d’évaluation du travail
de chacun des utilisateurs. Rappelons que l’objectif premier de l’application n’est
pas la création d’un quelconque réseau social mais bien le développement d’un
produit permettant de suivre l’évolution des actions des différents partenaires d’un
projet.
Pour juger du travail d’un collaborateur (ou d’un élève dans le cadre d’une
application scolaire pour des recherches sur Internet), nous devons être en mesure
de définir des critères d’appréciation de sa contribution. Apparaissent donc sur une
représentation graphique trois critères classiquement mis en avant dans l’évaluation
d’un travail de recherche, à savoir :
• la pertinence des résultats trouvés,
• l’implication du collaborateur,
• le degré de confiance que l’on peut apporter à son travail.
96
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
Nous avons souhaité restituer graphiquement l’évolution du travail de chacun.
Chaque collaborateur au projet apparaît donc sous la forme d’un avatar simplifié
(figure 8) qui évolue dans un repère à deux dimensions supportant les trois critères
définis ci-dessus. Détaillons un peu plus ces trois critères.
L’évaluation de la pertinence
Évaluer la pertinence d’une stratégie de recherche en fonction de critères
donnés (thématiques, objectifs, format, …) est généralement une tâche complexe
dans la mesure où la notion de pertinence est délicate à définir (Mizzaro, 1998).
Nous proposons d’adopter une définition générique qui pourrait être précisée en
fonction du contexte d’utilisation du système collaboratif. Ici, la pertinence peut se
définir comme la valeur perçue par une personne de la qualité d’une information.
Nous proposons de représenter, au travers d’un espace bidimensionnel visuel,
une autoévaluation de pertinence sur l’échelle des ordonnées sans connotation
négative. C’est l’utilisateur qui note la valeur de ses propres recherches selon des
critères (parfois subjectifs) qui lui sont propres. Plus l’utilisateur a archivé de
références jugées pertinentes, plus son avatar se situe haut sur l’échelle des
ordonnées (cf. figure 8).
L’évaluation du degré de confiance accordé au travail des collaborateurs
La pertinence étant une valeur subjective et donc soumise à controverse, il
semble intéressant de posséder un paramètre permettant de pondérer l’autoévaluation des références trouvées par les utilisateurs. Pour cela, nous définissons
une variable nommée « taux de confiance » graphiquement associée à l’axe de
abscisses. Ce taux de confiance peut être une valeur définie par défaut (0 à l’origine
du graphique) ou forcée en début d’une analyse en fonction du degré d’expertise du
collaborateur (figure 8) ou du retour sur des travaux antérieurs. Cet indice de
confiance se justifie par l’écart souvent important qu’il peut y avoir entre les
connaissances que nous pensons avoir d’un domaine et la perception de notre
niveau d’expertise par nos pairs.
L’évolution du taux de confiance d’un collaborateur dépend de l’évaluation
que fera un responsable de projet, voire de l’ensemble des participants du groupe de
recherche. Ainsi, le travail de deux personnes situées sur un même niveau de
pertinence n’aura pas intrinsèquement la même valeur (figure 8).
L’évaluation de la participation de chaque collaborateur
Évaluer le travail de recherche d’information d’un individu peut se faire de
manière qualitative par la pertinence des résultats trouvés mais aussi de manière
quantitative en mesurant par exemple le nombre de sites visités, le temps passé sur
chaque site ou encore le nombre de documents téléchargés. Pour apprécier la
contribution quantitative d’un collaborateur au projet, nous proposons de le
distinguer visuellement en modifiant la taille de son avatar (cf. figure 8).
Cette variation de taille est un indicateur de l’évolution de la charge de travail
d’un collaborateur. Aux différentes étapes du projet, la taille de son avatar peut aussi
bien croître que décroître en fonction de son rythme de travail. L’idéal est bien
évidemment que le collaborateur soit perçu comme une personne de confiance et
qu’il ait trouvé un grand nombre de références jugées pertinentes. Ce cas idéal se
traduirait graphiquement par un avatar surdimensionné situé dans le cadran hautdroit du repère.
97
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
Figure 8. Représentation de la pertinence, de la confiance et de la quantité de travail
Visualisation de l’historique
La page « historique » du module de gestion permet de visualiser un ensemble
de critères pour toutes les pages notées par un des collaborateurs du projet (figures
9 et 10). Elle enrichit de manière significative les informations affichées dans
l’historique du navigateur Web. Elle correspond à une véritable mémoire de travail
et permet d’afficher l’ensemble des paramètres relatifs aux différentes actions des
différents partenaires.
Trois filtres ont pour le moment été mis en place pour faciliter la visualisation
des pages référencées :
• on peut filtrer les données par thème de recherche,
• on peut visualiser l’ensemble des informations relatives au travail d’un
collaborateur,
• on peut filtrer par note moyenne minimale.
Pour chaque page référencée dans la base, on peut afficher par exemple :
• le thème de recherche associé à la page,
• la note moyenne attribuée,
• le titre de la page,
• l’URL de la page,
• la date de première notation,
• le nombre de votes et le détail des notes attribuées par les différents
collaborateurs,
• le nombre de visites.
98
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
Figure 9. Visualisation de l’historique des pages notées
Il est aussi possible de visualiser le détail des notes attribuées à un site par les
différents collaborateurs.
Figure 10. Visualisation de l’historique des pages notées (affichage détaillé)
Les données que l’on peut extraire du comportement des utilisateurs ne sont
nullement limitées à celles que nous avons arbitrairement choisies d’afficher et qui
correspondent à une personnalisation de l’application pour un travail d’analyse de
l’activité d’élèves du secondaire dans le cadre d’une recherche collaborative dans des
bibliothèques numériques.
A ce stade de développement, il s’est avéré pertinent de tester l’application de
notation des sites, permettant ainsi de valider ou invalider certaines hypothèses sur
l’efficacité et l’efficience de RCI Web.
4
Protocoles des tests
4.1
Objectifs, questionnements et hypothèses
Si la recherche collaborative d’information sur le Web semble présenter bien
des avantages (elle augmente le nombre d’informations trouvées par exemple), et
aussi des défauts (le travail de recherche d’information est très inégalement réparti
entre les membres), de nombreux logiciels sont apparus dans le but de faciliter cette
tâche.
Parmi tous les logiciels, nous avons testé expérimentalement cet outil que nous
proposons comme innovant : RCI Web. Concrètement, nous avons testé si le
logiciel RCI Web facilite la recherche d’informations collaborative sur le Web. Le
99
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
logiciel RCI Web est-il un outil utile et efficace ? Quelle est son utilisabilité ? Est-il
facilement réutilisable par les membres ? Le logiciel permet-il de réaliser une
recherche d’information collaborative de façon plus rapide que sans aucun logiciel
d’aide ? Permet-il de trouver davantage de pages pertinentes ?
Nos hypothèses sont les suivantes. Par rapport à une recherche sans logiciel
d’aide, lors d’une recherche collaborative d’informations sur le Web, le logiciel RCI
Web permet :
- une diminution du nombre de pages Web revisitées,
- une augmentation du volume d’information traité,
- une diminution du temps total mis pour réaliser la tâche.
Nous formulons également l’hypothèse que le logiciel RCI Web sera jugé par
les membres comme un logiciel (1) facile à utiliser et (2) facilement mémorisable.
4.2
Résumé des protocoles de tests
Nous avons décidé de travailler avec 2 groupes de 8 testeurs, ainsi que 4 autres
testeurs indépendants, soit 20 personnes au total :
• Le premier groupe effectue deux sessions de recherche synchrone
(même moment, même pièce) sur le même sujet sans notre outil. Les
deux séances sont espacées d’une semaine. Ce groupe sert de contrôle pour
mesurer l’effet mémoire.
• Le deuxième groupe effectue une session de recherche synchrone
sans notre outil et une session de recherche synchrone avec notre
outil, sur le même sujet que le premier groupe. Les deux séances sont
espacées d’une semaine. Ce groupe devra donc permettre d’évaluer l’apport de
notre outil (en soustrayant l’effet mémoire mesuré sur le premier groupe).
• En parallèle, au minimum 4 testeurs utiliseront l’outil à domicile
pendant 10 jours, comme bon leur semblera et répondront ensuite à
un questionnaire pour connaître leurs impressions. Ce test se fera de
manière individuelle, il n’y aura pas de travail collaboratif demandé.
Ce groupe permet d’évaluer l’impact de l’utilisation de notre outil à plus long
terme et d’avoir un meilleur retour quant à son ergonomie et son utilisabilité.
Nous utilisons le même thème de recherche pour les quatre sessions de test,
afin d’être sûrs de ne pas biaiser les résultats à cause d’une meilleure adéquation de
la façon de rechercher pour ce thème et du mode de fonctionnement de l’outil (qui
sait ?) ou, surtout, d’une plus grande expertise d’un groupe pour telle ou telle
recherche.
4.3
100
Description des parties évaluées
Le logiciel est composé de trois parties distinctes :
• Un agent s’affichant en haut à gauche de chaque page visitée et
permettant de noter les pages visitées. Il permet également de voir la
note attribuée aux pages déjà visitées pour éviter la revisite inutile de
pages. Il propose plusieurs autres outils et est associé à une
incrustation des notes déjà attribuées devant chaque lien du moteur
de recherche Google©.
• Un panneau latéral, affichable sur le côté du navigateur Internet qui
permet l’affichage de l’historique des recherches. Semblable à ceux
proposés par les navigateurs et permettant de filtrer l’affichage par
thème de recherche ou par collaborateur.
• Un site de gestion accessible par tous. Ce site permet de consulter
l’historique des pages visitées et notées, d’administrer les
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
collaborateurs et les thèmes de recherche, et divers autres outils
(notation des collaborateurs, sauvegarde de la base de données, etc.).
Lors des tests de recherche synchrone en groupe, seule la première partie
(l’agent et l’incrustation des notes dans les pages de recherche de Google©) est
évaluée.
Le but des tests étant de montrer l’efficacité et l’efficience de l’outil et de son
concept, ce n’est pas en testant la partie « administration » que l’on obtiendrait des
résultats pertinents. C’est la raison pour laquelle on se focalise sur la partie notation
des pages et visualisation de l’historique.
4.4
Participants
Groupes de participants
Les participants sont au nombre de 16.
Il y a 2 groupes de 8 testeurs qui effectuent deux recherches successives sur le
même thème de recherche : « L’évolution des jeux vidéo de basket-ball ».
Ce thème a été choisi car il intéresse les personnes testées, sans être un thème
trop familier pour eux (pas de vrai fan de basket parmi les testeurs, ceci a pu être
vérifié lors d’un entretien préalable avec l’ensemble des participants), et parce que
les résultats de la recherche n’étaient pas trop faciles à trouver sur Internet. Nous
avons personnellement éprouvé beaucoup de difficultés pour réaliser cette
recherche en amont de l’expérience. Nous n’avons pu isoler que quelques sites
proposant des vidéos sur l’évolution des jeux sur console, mais ces présentations
n’étaient pas obligatoirement spécifiques aux jeux de basket-ball.
• Le premier groupe de 8 personnes sert de groupe « témoin » : il
effectue deux recherches sur ce thème à une semaine d’intervalle. Il
permet de jauger l’effet mémoire de la recherche.
• Le second groupe de 8 personnes effectue une recherche sans l’outil,
puis une semaine plus tard, la même recherche avec l’outil.
Dans les deux cas, les tests s’effectuent de manière synchrone : les testeurs
sont réunis en même temps, dans la même pièce, et peuvent dialoguer entre eux,
échanger des informations, pour effectuer une vraie recherche collaborative.
Les sessions de recherche durent 15 minutes chacune, suivies de 5 minutes de
mise en commun des résultats.
Grâce à ces deux groupes et à ces tests croisés sur le même thème de
recherche, on est potentiellement en mesure de mesurer l’efficacité de l’outil.
Les caractéristiques des participants
Les participants aux tests appartiennent tous au master 2 IHM de l’UFR
Mathématiques Informatique et Mécanique de l’Université Paul Verlaine de Metz.
Ils ont tous une très grande expérience d’Internet (utilisation journalière) et en
particulier une bonne connaissance des recherches et des moteurs de recherche sur
le Web.
Les participants sont des experts de la recherche d’information et de
l’utilisation de l’outil informatique.
Informations données aux utilisateurs lors des tests
Pour les sessions sans l’outil, nous donnons aux utilisateurs uniquement la
thématique et leur demandons d’effectuer cette recherche durant 15 minutes. Les
consignes étaient données oralement et pouvaient être répétées si les sujets le
demandaient. Nous avons limité volontairement les durées des séances pour ne pas
introduire un facteur de lassitude. Les échanges verbaux entre les membres du
groupe sont autorisés. Puis, à la fin de la recherche, on accorde au groupe 5 minutes
101
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
pour rédiger une synthèse des résultats en classant les sites intéressants avec un
barème à trois étoiles. Pour guider le classement, un cadre simple a été défini :
• 1 étoile : la page présente 1 jeu vidéo de manière satisfaisante.
• 2 étoiles : la page présente 2 jeux vidéo de manière satisfaisante, ou 1
de manière très satisfaisante avec au moins plusieurs copies d’écran.
• 3 étoiles : la page présente 3 jeux vidéo ou plus de manière
satisfaisante, ou 2 de manière très satisfaisante avec au moins
plusieurs copies d’écran.
• Les pages listant un grand nombre de jeux vidéo, sans les détailler,
mais en présentant des liens (type Wikipedia) pourront recevoir 3
étoiles.
En revanche pour la session de tests avec l’outil, nous expliquons au groupe
test les différentes fonctionnalités ainsi que le principe de notation. Une
introduction de 10 mn a été suffisante pour présenter les principales fonctionnalités
de marquage. Bien que les participants aient une forte expérience de l’utilisation des
outils de recherche et de l’informatique en général, nous n’avons pas souhaité être
exhaustifs pour ne pas ajouter un biais « technologique ».
Concernant la communication entre les participants, il n’y a aucune restriction,
ils peuvent dialoguer et échanger comme ils le souhaitent avec les autres participants
de leur groupe pendant la durée de la session.
Tâche
Toutes les consignes des tâches à réaliser ont été données de manière verbale
en début de séance. Les sujets pouvaient à tout moment demander à
l’expérimentateur de redonner les consignes ou préciser certains points. Comme
cela est précisé plus haut, 2 groupes de sujets effectuent une recherche sur la même
thématique dont nous avions constaté au préalable le petit nombre de références
pertinentes sur le Web à savoir : « L’évolution des jeux vidéo de basket-ball » :
• Le premier groupe effectue 2 sessions de recherche sans l’outil,
• Le second groupe, une session sans et une session avec.
Les variables que nous souhaitons contrôler sont la revisite de pages au cours
d’une même session, ou au cours des deux sessions, le nombre total de pages
visitées.
Critères étudiés
Les critères étudiés sont le nombre de pages totales visitées et le nombre de
pages revisitées par les membres d’un même groupe au cours d’une même session.
Nous recueillons deux catégories de données :
• Par les tests :
o Nombre de pages revisitées au sein de chaque groupe
o Nombre de pages pertinentes trouvées
• Par le questionnaire :
o Facilité de noter une page
o Visibilité des notes déjà attribuées
o Facilité de retrouver des pages notées
5
5.1
Principaux résultats
Résultats de l’utilisation de RCI Web comme outil de recherche
collaborative
Pour chacune des situations de recherche collaborative décrites ci-dessus sont
présentés les premiers résultats obtenus.
102
156
91
11
6
6
3
Total
Site visité 3
fois
Effectifs
Fréquences
Site visité 2
fois
Nombres de visites
Sans l’outil
Groupe 1 session 1
Site visité 1
fois
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
173
100
Site visité 5
fois
Effectifs
123
17
5
2
1
148
Fréquences
83
12
3
1
1
100
Total
Site visité 4
fois
Site visité 3
fois
Site visité 2
fois
Nombres de
visites
Sans l’outil
Groupe 1
session 2
Site visité 1
fois
Tableau 3. Fréquence des visites pour le groupe test lors de la session 1
Tableau 4. Fréquence des visites pour le groupe test lors de la session 2
103
Vol 9 N°2, 2008
1
1
145
Fréquences
73
15
5
3
1
1
1
1
100
Total
2
Site visité 8
fois
1
Site visité 7
fois
5
Site visité 6
fois
7
Site visité 5
fois
22
Site visité 3
fois
106
Site visité 3
fois
Effectifs
Site visité 2
fois
Nombres de
visites
Sans l’outil
Groupe 2
session 1
Site visité 1
fois
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
131
14
3
148
89
9
2
100
Total
Site visité 2
fois
Effectifs
Fréquences
Nombres de visites
Sans l’outil
Groupe 2 session 2
Site visité 3
fois
Site visité 1
fois
Tableau 5. Fréquence des visites pour le groupe utilisant RCI Web lors de la session 1
Tableau 6. Fréquence des visites pour le groupe utilisant RCI Web lors de la session 2
104
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
L’étude quantitative des sites Web visités par le groupe test à une semaine
d’intervalle ne montre pas de différence significative en termes de comportement,
de nombre de pages consultées ou en nombre de revisites de site. Un peu plus de
80% des pages on été vues une fois et moins de 5% d’entre elles ont été visitées
plus de quatre fois sans jamais l’être à plus de cinq reprises. On ne constate pas à ce
niveau un effet mémoire significatif quant au nombre et à la qualité des résultats
obtenus.
On remarque, pour le groupe ayant utilisé l’outil RCI Web, une nette variation
du nombre de pages revisitées. Certaine page ont été consultées huit fois lors de la
session 1 du groupe 2 (sans l’outil) alors que le nombre de revisites lors de la
seconde session n’est jamais supérieur à trois.
5.2
Résultats de l’utilisation de RCI Web comme outil de recherche
individuelle
Comme cela était précisé dans le protocole de test, nous avons ensuite fourni
l’outil à 4 personnes pour qu’elles le testent à domicile pendant 10 jours dans le
cadre d’un travail non collaboratif.
A l’issue de cette période, nous leur avons demandé de répondre à un
questionnaire (qui figure en annexe). Les chiffres dans les cellules des tableaux
correspondent au nombre de personnes ayant choisi cette réponse sur le nombre
total de participants à l’enquête (ex : 2/5).
Les personnes ayant participé au test sont des habitués de Firefox (sauf un) et
de la recherche sur Internet.
Sur les 10 jours de test, ils ont utilisé l’outil en moyenne 3 fois, ce qui leur a
donc permis de bien se familiariser avec son utilisation.
De plus, les retours quant à l’utilisabilité et l’utilité de l’outil sont pour la
plupart positifs, ou très positifs. On remarque tout de même que les testeurs
n’estiment pas forcément l’outil très utile pour une recherche personnelle, mais
qu’ils sont unanimes quant à son intérêt pour une recherche collaborative.
Voici quelques-unes des remarques positives et négatives obtenues.
Remarques positives
• « J’ai utilisé l’outil pour une recherche professionnelle (informations
relatives à de la réglementation). Il m’a servi à retrouver, d’un jour sur
l’autre, les pages recherchées et à compléter cette recherche. RCI
Web est d’utilisation intuitive. L’historique est facilement accessible et
permet par classification de retrouver les pages les plus pertinentes »
• « Très pratique, je pourrais l’utiliser à l’avenir dans le cas de recherches
collaboratives »
• « Concept intéressant, cela pourrait servir »
• « Sans doute pratique pour la recherche collaborative mais ma
remarque n’est pas pertinente, je ne l’ai pas testé dans ce contexte »
Remarques négatives
• Pas réellement de remarques négatives mais des suggestions :
o « possibilité de rajouter un commentaire associé à une
notation : ceci ne serait envisageable que dans le cadre d’un
nombre d’utilisateurs restreint »
o « pouvoir renommer une page sans que pour autant en soit
modifié le lien (comme on peut le faire d’un “favoris” :
également envisageable dans le cas d’un nombre restreint
d’utilisateurs »
105
Revue des Interactions Humaines Médiatisées
Vol 9 N°2, 2008
• « Dommage que ce soit lié à un navigateur spécifique » (ce qui est faux)
• « L’affichage devrait être opaque, l’arrière plan devient gênant. Et
lorsque l’on rabat la fenêtre, elle se déploie à nouveau à chaque
rafraîchissement »
• « Pas bien compris les thèmes/Pour une utilisation solo, je préfère
mettre les sites que j’aime en favori et oublier les autres, mais je
changerais peut-être d’avis si je devais faire une recherche
“importante” qui nécessite de consulter des dizaines de sites »
6
Perspectives et implications
L’outil conçu et présenté ici repose sur le principe général suivant : grâce à des
représentations graphiques simples clairement affichées à l’écran aux côtés du
moteur, nous pouvons fournir à chaque membre d’un groupe des référentiels quant
aux comportements de recherche d’information de chacun et des indicateurs quant
à la pertinence des sites parcourus et annotés. En ce sens, cet outil remplit donc
deux principales fonctions :
• Il fournit une aide à la recherche d’information individuelle
proprement dite en donnant un réel effet mémoire limitant ainsi les
visites et le nombre de revisites inutiles. Ainsi, s’instaure une forme
d’auto-régulation de ses propres comportements de recherche ;
• Il fournit une aide à la recherche d’information collaborative en
proposant un suivi et/ou une évaluation du travail de chacun.
Il est probable que les applications pédagogiques soient directes, que ce soit
lors d’enseignements explicites de la recherche d’information collaborative,
d’accompagnements à distance ou encore d’auto-formation. RCI Web permet d’une
part, d’évaluer les comportements de recherche et d’autre part, de suivre l’évolution
de ces comportements tout au long de l’activité.
Pouvoir accéder au contenu des recherches de l’ensemble des collaborateurs
d’un projet présente un double intérêt. Le premier est bien évidement de pouvoir
consulter l’ensemble des références trouvées et archivées par chaque membre. Le
second est d’optimiser un travail d’ensemble en diffusant en temps réel les
contributions de chacun des collaborateurs. De plus, l’application présente une
réelle possibilité d’optimisation des méthodes de recherche individuelles en
intégrant un véritable effet mémoire.
Mais l’application n’a été évaluée qu’auprès de groupes tests restreints
composés essentiellement d’étudiants de Master 2 (18 étudiants de l’université Paul
Verlaine de Metz). Cependant nous pensions obtenir une différence plus
significative entre le nombre de pages visitées une seule fois entre le groupe 1 et 2
(sans et avec l’outil). Nous expliquons cette faible différence par un biais induit par
une mauvaise lecture des consignes. En effet quelques étudiants du groupe 2 (avec
RCI Web) se sont directement connectés sur des sites de jeux familiers pour
rechercher la vidéo demandée dans la consigne. Ce comportement a eu comme
conséquence de faire croître sensiblement le nombre de pages visitées une seule
fois. Pour confirmer (ou infirmer) les impressions que nous avions quant à
l’efficacité de l’approche, nous allons rapidement réaliser une campagne de tests de
plus grande envergure à la fois auprès de populations à besoins spécifiques comme
des groupes scolaires, mais aussi auprès des spécialistes de la recherche
d’information (bibliothécaires) et des utilisateurs tout-venants.
Les évolutions du système s’articuleront autour de l’analyse du comportement
des utilisateurs pendant la durée de vie d’un projet de recherche. Nous souhaitons
106
RCI Web : un système collaboratif de recherche d’information centré utilisateur
pouvoir contrôler des données, comme par exemple l’évolution de la charge de
travail des collaborateurs aux différents moments clés du projet ou encore l’impact
que peut avoir l’historisation de son travail aussi bien d’un point de vue qualitatif
que quantitatif sur les comportements de recherche d’information. Enfin, comment
modifie-t-on son comportement en comparant son travail à celui de l’ensemble des
membres d’un groupe ?
Le travail collaboratif, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, c’est-à-dire utilisant
l’outil informatique, est une organisation du travail qui remonte aux années 1990,
mais qui se développe parallèlement à Internet. Bien que l’ordinateur soit depuis
plus de 10 ans un outil qui accompagne le travail quotidien de nombreuses sociétés,
c’est avec l’avènement des réseaux et plus particulièrement des réseaux sans fil
(téléphonie, WIFI, etc) que le travail collaboratif va prendre toute son importance.
L’idée fondatrice de ce concept était de pouvoir coordonner le travail de plusieurs
utilisateurs qui ne pouvaient géographiquement ou temporellement échanger
simplement de l’information. La dissémination des ressources est une notion qui
était déjà maîtrisée en informatique au travers de l’accès par exemple à des bases de
données réparties. On a longtemps imaginé qu’il suffisait de reprendre le concept et
de l’appliquer à la notion travail pour obtenir les résultats attendus. On s’est très vite
rendu compte que la solution n’était pas uniquement informatique, que le travail
collaboratif était un domaine pluridisciplinaire où cohabitaient des domaines liés :
• aux sciences sociales et économiques comme la gestion du travail et
des organisations,
• aux sciences cognitives comme la gestion des groupes et des
rapports,
• aux sciences informatiques comme la sécurisation et l’archivage des
données,
• aux sciences économiques comme le partage de coût (licences,
personnes, etc),
• aux sciences juridiques comme l’authentification ou la certification de
documents électroniques ou encore le traitement des droits d’auteurs.
On assiste depuis la fin des années 90 à une expansion telle du travail
collaboratif que la frontière organisationnelle de l’entreprise tend à disparaître ou du
moins à se redessiner. Son succès viendra principalement, aidé en cela par une très
grande diversité et convivialité des outils associés, de l’espace de liberté
indirectement induit par cette organisation du travail. Initialement fonctions de
certaines applications de bureautique (monde correction pour les traitements de
texte) ou couches complémentaires d’une messagerie conventionnelle, les outils de
travail collaboratif vont successivement être intégrés à des systèmes de gestion de
contenu, de gestion de projet, de connaissance pour proposer des environnements
complètement dédiés comme les portails Web d’entreprise.
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Annexe 1
Questionnaire soumis aux utilisateurs d’RCI Web
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