Maison du Bonheur - Œuvre du Marin Breton

Transcription

Maison du Bonheur - Œuvre du Marin Breton
Almanach 1907 : P. 104
LA MAISON DU BONHEUR
Pour toute la population maritime bretonne, nous écrivons ces lignes mais nous
nous adressons plus spécialement à tous les jeunes qui rêvent de construire bientôt
une maisonnette... A tous ceux aussi qui, sur le point de changer de logement, ont
à chercher et à choisir un nouveau gîte...Nous les prions de bien se pénétrer de l’importance de ce qui suit.
Mieux que nous encore vous
savez qu’il existe une quantité
de petits logements misérables,
sans air, sans soleil, humides
et glacés tout l’hiver... Ces
logements-là sont de véritables
nids à microbes.
La maison où l’on vit heureux, c’est, vous le devinez sans effort, la maison où les
maladies n’entrent pas, la maison des gens robustes et bien portants, des gens qui
guérissent promptement lorsque quelque mal inévitable les a par hasard touchés. La
maladie ! Quel terrible fantôme pour le marin-pêcheur ! La maladie c’est la tristesse,
la souffrance, le désespoir, la ruine, la désolation !
Vous devinez déjà le but de ces pages. Nous allons, au nom de la Science, vous
résumer les principales conditions que doit remplir une maison de marin pour être
très saine, pour conserver en bonne santé et joyeuse humeur tout son monde.
Vous allez comprendre, chers amis, pourquoi nous insistons tant sur ce sujet.
Mieux que nous encore vous savez qu’il existe une quantité de petits logements misérables, sans air, sans soleil, humides et glacés tout l’hiver... Ces logements-là sont de
véritables nids à microbes ; les malheureuses familles qui s’y logent sont vouées aux
maladies interminables et aux infirmités... Si la sournoise et dévorante tuberculose
fait tant de progrès sur nos côtes, c’est qu’elle rencontre des organismes affaiblis, les
uns par l’alcool, les autres par l’habitation dans des logements malsains ; souvent,
hélas, par ces deux causes réunies.
Nous citons plus spécialement la tuberculose1 parce que les seuls remèdes efficaces
pour combattre et guérir des maladies de poitrine, c’est de l’air et du soleil en masse!
Cette maladie, qui peut guérir assez facilement si on la traite par le grand air et le
soleil, est presque toujours mortelle pour ceux qui sont forcés d’habiter un petit
logement sombre, humide, et où l’air ne se renouvelle pas.
Dans le seul Finistère, c’est par centaines, hélas, que se rencontrent encore ces
logements malfaisants ! Et c’est là un grand sujet de chagrin pour tous les gens de
cœur qui se préoccupent véritablement de l’amélioration de votre sort, chers amis.
1 Nom scientifique de la « maladie de poitrine ».
Comment changer cela ?
Il semble qu’il y a trois moyens de réformer cet état de choses :
1° L’action du gouvernement
- l’État pourrait favoriser sérieusement
les constructions salubres ; et il pourrait faire supprimer peu à peu les logements
malsains. 1l est à craindre que la loi sur les habitations à bon marché, déjà existante,
ne permette pas d’atteindre le but désiré...
2° Il y aurait aussi l’action des propriétaires de terrains
avoisinant les ports de pêche
- Par humanité, ils pourraient faciliter
la multiplication des maisonnettes de pêcheurs en consentant à vendre du terrain
à des prix raisonnables et en prenant l’initiative de constructions salubres à larges
ouvertures. Malheureusement, sur une action efficace venant d’en haut, il semble
qu’on ne doive guère compter...
3° Initiative des habitants. - Nous avons beaucoup plus confiance dans
le moyen suivant. Oui, c’est à juste titre que nous avons grande confiance dans l’intelligence et dans le clair bon sens des populations maritimes pour réaliser ces réformes peu à peu, car, déjà, un certain nombre de ménages se sont construits des
maisonnettes salubres, témoignant d’un véritable esprit de progrès de la part du
propriétaire. Ainsi, dans plus d’un port que nous pourrions citer, on voit quelques
maisonnettes intelligemment installées : plusieurs sont orientées au sud, un bon
nombre sont isolées les unes des autres, et nous connaissons des marins qui n’ont
pas reculé devant un sacrifice de 300 ou 400 francs de plus pour acheter quelques
ares de terrain qu’ils cultivent en légumes...
Aussi, sommes-nous pleins d’admiration pour ces vaillants et intelligents travailleurs qui, peu à peu, ont péniblement mis de côté et si bien employé leurs économies. Nous leur offrons ici nos plus sincères félicitations.
Seulement, nous allons nous permettre quelques critiques dans l’intérêt des
autres, dans l’intérêt de tous ceux qui caressent le rêve de bientôt bâtir «leur» maison.
Et nous allons essayer de décrire ce que conseille la Science pour réaliser la maison
du bonheur.
a) Soleil. - Le côté sud de la maison devra toujours être la façade. Que la fenêtre
soit très large : donnez-lui par exemple 1m,80 de large, même si votre façade n’a que
8 mètres de long. Ne craignez pas les critiqueurs à ce sujet et exigez hardiment de
votre maçon la fenêtre carrée, car il est grand temps de renoncer à cette détestable
habitude des petites fenêtres actuelles. Nous pensons vous intéresser en vous donnant ici la photographie de quatre maisons de pêcheurs construites près du port de
Sainte-Marine à Kerhéol, en août dernier, par l’Œuvre : Le Bien-du-Pêcheur (Œuvre
sœur de celle des Abris-du-Marin). Ces maisons réalisent un type de maison très
salubre, très claire, aérée, commode, gaie, et encore très bon marché 2. Sur la gauche
de la gravure parait une maison de l’ancien type : on peut juger de la différence, et
du progrès réalisé.
Pour que cette fenêtre ne soit pas une cause de chaleur excessive l’été, et, afin que,
par les temps de pluie d’hiver, vous puissiez vous tenir quelque peu dehors, exigez
aussi que le toit, côté façade, déborde de 50 ou 60 centimètres ; c’est un petit supplément de dépense qui est compensé par de vrais avantages.
b) Aération continuelle. - Des trous de 6 à 8 centimètres de diamètre doivent
être laissés dans les murs tous les deux mètres, près des poutres, et à une hauteur de
environ 2m,50 au-dessus du sol. Ces trous doivent être inclinés de façon que le vent
ne puisse, par là, refouler la pluie à l’intérieur. Ce procédé bien simple assure une
excellente aération d’air pur à l’intérieur de la maison. Le renouvellement d’air est
moins complet que si la fenêtre restait toujours ouverte jours et nuits ainsi que le
veulent les médecins, mais enfin c’est déjà un grand progrès sur la maison actuelle.
On est toujours à temps de les boucher pendant les grands froids.
c) Rien qu’une famille par maison. - Gardez-vous bien de bâtir votre maison un
peu plus grande dans le but d’y faire un appartement à sous-louer pour tirer petit
profit de ce côté là. Jamais la maison qui contient deux ménages ne sera la «Maison
du Bonheur» : maladies et animosités en écarteront la paix et le bien-être. Il faut
absolument réagir contre l’entassement qu’on ne rencontre que trop souvent dans
les maisons de nos ports bretons ! Une maison de 8 à 10 mètres de long, sur 5m,80
à 6m,50 de large, avec 3m,66 de hauteur de maçonnerie, parait tout à fait convenable
et très suffisante pour un ménage ; le prix (13 à 1,500 francs sur nos côtes) permet à
nombre de jeunes d’y rêver pour un avenir prochain.
2 - M. Pierre Larzul entrepreneur à Pont L’Abbé construit ce genre de maisons (8m, 0 sur 5m,80) à
raison de 1,500 francs l’une.
D’autre part, si nous nous permettions d’entrer dans les détails, que de remarques
utiles nous aurions à vous signaler ! Combien plus salubre sera le sol de votre intérieur si, lorsque des raisons de prix vous empêchent de daller ou de cimenter, vous
rendez plus imperméable et plus dur votre sol en terre battue, en l’arrosant avec du
goudron de route (Pulvéranto ou autre). Quels avantages pour vous de doter d’une
gouttière votre maisonnette pour y recueillir l’eau des pluies, dans une petite citerne
construite par vous (c’est si facile) à vos moments perdus ! Quel progrès quand, à
l’autre bout de votre jardinet, vous établirez une petite fosse cimentée où vous mettrez votre fumier : le goémon et les déchets du ménage !... Mais l’énumération nous
entraînerait trop loin : nous n’avons pas la place.
Néanmoins les pages qui précèdent suffisent pour attirer votre attention sur les
conditions que doit nécessairement réaliser la maison du marin-pêcheur pour lui
donner le plus possible de chances de bonne santé, de bien-être, de bonheur.
Pour du progrès, tenez, c’est du fameux progrès, celui-là ! Soyez-en bien persuadés!
L’ŒUVRE DES «ABRIS-DU-MARIN»
APERÇU GÉNÉRAL DU PROGRAMME DE L’ŒUVRE EN FONDATION LE «BIEN DU PÊCHEUR»
L’Œuvre « le Bien du Pêcheur » s’inspire d’institutions
déjà existantes :
« Jardins ouvriers », « Habitations salubres à bon marché », « Bien de Famille », «
Cités-jardins », etc., ainsi que de certaines initiatives individuelles locales. Elle a pour
but :
1° BUT MATÉRIEL :
- A. De faciliter, à des conditions avantageuses, tant l’achat que la location de logements salubres, gais, commodes, aux jeunes ménages de marins-pêcheurs.
- B. De supprimer le cabaret à alcools du village, en le proscrivant légalement de
ces groupements nouveaux ; l’alcool du débit est, on le sait, la cause presque unique
des misères physiques et morales du marin breton.
- C. De faire connaitre, et adopter peu à peu, certaines particularités de construction et d’installation rendant la maison et le jardin du pêcheur plus hygiéniques et
plus profitables.
- D. De rendre impossible les «entassements humains» si fréquents, hélas, en BasseBretagne.
2° BUT MORAL :
- A. De combattre efficacement l’alcoolisme et l’oisiveté en procurant dans des
conditions exceptionnelles au marin-pêcheur, dont les loisirs à terre sont fréquents,
une maison agréable qui l’attache au logis et un jardinet de rapport qu’il trouve
plaisir et profit à cultiver.
- B. De faire prendre peu à peu des habitudes d’épargne au marin-pêcheur, grâce
à la perspective séduisante d’acquérir en peu d’années un chez lui, commode, indépendant et sain, où il vivra heureux.
- C. De ramener peu à peu aux habitudes de culture de la terre les marins-pêcheurs
qu’un trop grand nombre ont eu le tort d’abandonner.
Quelques détails. - L’œuvre offre ces petites propriétés, soit en location soit
en vente, aux marins-pêcheurs (principalement aux tout jeunes ménages) qui présentent des garanties sérieuses de bonne conduite, de sobriété et d’esprit de travail
et d’ordre. La location est d’un prix légèrement inférieur au taux des locations du
pays. Le prix de vente est payable par annuités, régulières ou irrégulières, suivant certaines conditions particulièrement avantageuses3 pour le ménage, avec cette restriction, qui est une clause formelle du contrat, que
la maison ne pourra jamais servir de débit à alcool. Afin d’écarter toute pensée de spéculation mal entendue
chez les marins acquéreurs, des mesures spéciales doivent empêcher que ces propriétés ne puissent, en dehors
de certaines circonstances, être revendues... Aucune parcelle cultivable ne pourra non plus être détournée de
sa destination pour recevoir des bâtiments de location, afin de combattre efficacement ces funestes tendances
des familles bretonnes à l’entassement.
3 - L’Œuvre croit indispensable d’envisager le sacrifice pour elle des intérêts du capital engagé, afin de pouvoir faire au ménage
économe et pourtant obéré souvent par les enfants, par la maladie ou par les pertes d’engins de pêche, des avantages sérieux.