Préface - Sida Info Service

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Préface - Sida Info Service
Photographies Alain Aguano
Préface Françoise Héritier
Préface La belle « fantaisie » que voilà, fantasque et généreuse, menée par
des femmes originaires d’Afrique et du Maghreb, dans leurs beaux
atours. Un homme aussi, soyons juste, qui joue le médisant, celui qui
déclenche la peur et qui aurait pu déclencher le malheur.
Grâce à ces femmes retrouvent leur efficacité sous nos yeux la
spontanéité et la verdeur des fabliaux joués sous les porches des églises
dans ce Moyen-Age européen qui utilisait à fond la participation
populaire orale aux grandes peurs, aux grandes épouvantes, mais aussi
aux grandes merveilles et aux grands projets du temps, comme moyen
d’information, courroie de transmission et aussi voie de conquête des
esprits. Une catharsis populaire passait ainsi de place en place, de
parvis à parvis, et alimentait à la fois les croyances et les rejets. Nous
l’avions mise en veilleuse. Voici que revit en banlieue et avec succès ce
théâtre, populaire au sens noble et entier et qui existait toujours de par
le monde : venu du peuple, créé par le peuple, voulu par lui, joué par lui.
Mais c’est un peuple de femmes qu’un commun destin a conduit
à vivre en France, aux Mureaux, qui retrouve et fourbit cette veine
théâtrale, présente sous d’autres latitudes, pour dire des choses simples
(c’est vrai), élémentaires parfois (aussi), nécessaires (encore plus),
véridiques (assurément), mais qu’il fallait oser dire publiquement,
à visage découvert, avec des mots justement simples, élémentaires,
véridiques, nécessaires, au-delà d’une pudeur et d’une retenue
principielles du langage et des comportements dont on sait bien qu’elles
font parfois barrière à la vie.
Le fait que les actrices au sens propre de ce théâtre sont des femmes
acquiert une vertu doublement exemplaire. Tout d’abord parce qu’elles
sont ces personnes dont toutes les cultures en général, et particulièrement
celles auxquelles elles appartiennent, attendent qu’elles se taisent,
qu’elles se résignent, qu’elles subissent les effets que ce que l’on appelle
le « sort », le « destin », la « fatalité », le pouvoir dominant idéologique
en fait, ont voulu pour elles. Voici qu’elles prennent la parole, première
marque de courage. Et pour dire quoi ? Ce qui touche au plus intime, au
plus interdit de mots publics : le corps sexué, la maladie, la renommée
et la suspicion que l’une fait porter sur l’autre. Elles parlent aussi de
l’ignorance, qui est un des terreaux les plus fertiles du malheur.
C’est cette prise de parole qui est exemplaire. Ah ! le plaisir qu’il y
a à voir une femme en boubou tendre à sa fille en jeans un préservatif
sous son enveloppe de cellophane en lui demandant si elle sait ce
que c’est. La fille, qui veut protéger sans doute la candeur supposée
infinie de sa mère et qui ne sait comment « surfer » sur l’espace et
le gigantesque non-dit qui séparent les générations, répond qu’il doit
s’agir d’un chewing-gum. « Eh bien, mange-le » répond la mère, avant
de lui faire un exposé minimal d’éducation sexuelle moderne.
Bref, il s’agit là d’un hymne à la vie, contre l’ignorance, les préjugés
et ce qui en découle toujours : l’intolérance. Une rumeur, le mot sida
trop vite prononcé par un indiscret, vide les salons et fait peser le
soupçon de la maladie sur une famille. Dans une scène réjouissante,
on voit la rumeur enfler de bouche à oreille littéralement, jusqu’à la
dernière oreille dont la bouche correspondante clame : « chez Lalla,
il y a le sida, partout, partout, partout, même la grand-mère. » et les
porteuses de renommée fâcheuse, qui de refuser de boire le thé offert
dans une tasse, qui de sortir un masque chirurgical, qui d’inonder l’air
de désinfectant, symboles de contagion et gestes de protection inutiles.
Cette joyeuse et bouffonne parodie est incroyablement sérieuse
en fait. Elle pointe directement, sans autres effets que la dérision et
l’humour, les ravages du qu’en dira-t-on et de la mésinformation. Non,
le sida n’est pas contagieux. Non, il n’est pas stigmatisant. Oui, on peut
connaître son état, se protéger et protéger les autres. Et attention, ne pas
s’y tromper : être séronégatif n’est pas une mauvaise nouvelle, bien au
contraire. Il faut connaître le sens des mots. Cette comédie prend à bras
le corps mais sans effet de manches des points aussi essentiels que la
nécessité de connaître la réalité et le vocabulaire utilisé, l’importance
qu’il y a à utiliser les moyens mis à la portée de tous par « Mr
Anonyme et Gratuit », le dépistage au bout d’un numéro de téléphone
(0 800 840 800), et surtout l’urgence d’agir avec réflexion. Au début
de la représentation, on pense que « le sida, ça fait peur. C’est chez les
autres et pas chez nous ». A la fin, on a apprivoisé l’idée que du sida on
peut se protéger et que la connaissance est préférable à l’ignorance en ce
domaine comme en bien d’autres car elle permet d’exclure l’exclusion.
Il est admirable qu’une troupe de douze femmes dont une infirmière
spécialiste de la prévention dans les collèges (et un homme !) ait pu se
constituer, que leurs mots aient pu être écrits et mis en scène par Ann
Lind Perrucon, qu’un musicien remarquable de tact, un photographe
talentueux se soient retrouvés autour de ce projet, qu’il ait été soutenu
par la ville des Mureaux et bien des associations et entreprises, et enfin
que Sida Info Service ait accordé son entier soutien à cette entreprise de
vrai théâtre populaire, dont la pédagogie claire et naturelle sourd de la
liberté de femmes qui, à la fois, s’amusent et y croient dur comme fer,
à leur message.
Françoise Héritier
Ancienne présidente du Conseil National du Sida
Professeur honoraire au Collège de France
Françoise Héritier,
née le 15 novembre 1933, est une anthropologue française. Elle a succédé à Claude
Lévi-Strauss au Collège de France, inaugurant la chaire d’« étude comparée des
sociétés africaines ».
Publications (sélection) :
. Françoise Héritier-Augé, Leçon inaugurale, faite le 25 février 1983, Collège de France, chaire d’étude
comparée des sociétés africaines, Paris, Collège de France, 1984.
. Françoise Héritier, De la violence I, séminaire de Françoise Héritier, avec les contributions d’Étienne
Balibar, Daniel Defert, Baber Johansen, et al., Paris, Éditions Odile Jacob, 1996.
. Françoise Héritier, Masculin-Féminin I. La pensée de la différence, Paris, Éditions Odile Jacob, 1996; rééd. 2002.
. Françoise Héritier, De la violence II, séminaire de Françoise Héritier, avec les contributions de Jackie
Assayag, Henri Atlan, Florence Burgat, et al., Paris, Éditions Odile Jacob, 1999.
. Françoise Héritier et Margarita Xanthakou (dir.), Corps et affects, Paris, Éditions Odile Jacob, 2004.
. Françoise Héritier, Masculin-Féminin, 2 vol., Paris, Éditions Odile Jacob, 2007. Réédition
. Françoise Héritier, L’identique et le différent : entretiens avec Caroline Broué, La Tour-d’Aigues,
Éditions de l’Aube, 2008.
. Françoise Héritier, Retour aux sources, Paris, Éditions Galilée, 2010.
. Françoise Héritier, Hommes, femmes : la construction de la différence, Paris, Édition Le Pommier, 2010.
. Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La Plus Belle Histoire des femmes,
Paris, Éditions du Seuil, 2011.
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Photo 01 : Coumba CAMARA
Photo 02 : Rougui DIAO
Photo 03 : Tacko DOUKOURE
Photo 04 : Béatrice LAPEROU
Photo 05 : Virginie MENNESSIER
Photo 06 : Fatima NABIL
Photo 07 : Fatima NAJIHI
Photo 08 : Nouriatou SO
Photo 09 : Maïmouna TALLA
Photo 10 : Sabri LABIDI
Photo 11 : Severin ANDRIAMILANTONIRINASON
Photo 12 : Anne Lind PERRUCON (metteur en scène)
Séance photo réalisée à l’occasion de la représentation de la pièce « Qui a dit Sida ? »,
le samedi 18 septembre 2010 à la salle Black Box – Cal Bon Voyage à Nice
© 2010-2011 Tous droits photographies, textes : Alain Aguano & SIS
Lettre à Alain
Ce soir-là, deux heures avant le début du spectacle, elles sont arrivées dans
leur costume de scène, boubous flamboyants, djellabas brodées, elles étaient
pressées, stressées, elles n’avaient qu’une idée en tête, prendre leurs marques et
s’habituer à la scène, elles devaient parler, témoigner, elles venaient présenter
leur pièce, pas faire des photos, alors elles n’avaient pas le temps de poser
longuement devant ton objectif et pourtant chacune leur tour s’asseyait sur le
canapé et écoutait tes demandes pourvu que ce soit rapide, tu travaillais dans
l’urgence pour saisir cette détermination, cet engagement et cette spontanéité
des amateurs, pas le temps pour plusieurs prises, tu devais capturer ces
moments rares, ces visages lumineux, ces regards francs, ton travail prenait
une tournure autre, pas celle que tu avais prévue mais le résultat est saisissant
de vérité, tes portraits sont une «évidence».
jeanpierre paringaux
Alain Aguano,
né le 21 juin 1969, vit et travaille à Nice. Après avoir travaillé comme
correspondant de presse pour un grand quotidien, il se consacre désormais à
influer sa sensibilité artistique dans les travaux qui lui sont proposés.
Remerciements :
Les interprètes de la pièce, Françoise Héritier, Alain Aguano,
Hélène Freundlich, Frédéric Le Galès, Bruno Bolufer,
Gérard Raschella et toute l’équipe du Cal Django Reinhardt,
Steeve Demana et toute l’équipe de la Black Box, Bernard Pfister,
Alain Dallimonti, Ann Lind Perrucon, Association Femmes Unies,
Association Olibrius, Cyril Giresse, Sophie Becquet,
Stéphane Grondin, Jeanpierre Paringaux.
Réalisation : Frédéric Le Galès
Impression : Azur Graphic
Édition : Juillet 2011
Les éditions S ida I nfo S ervice
Immeuble Pierre Kneip
190, boulevard de Charonne - 75020 Paris
© 2010-2011 tous droits photographies, textes, Alain Aguano & SIS