Petits secrets des très grandes fortunes
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Petits secrets des très grandes fortunes
* UNE riches OK UNE DEF 27/07/06 17:29 Page 1 é t é ’ d t n e Supplém Supplément au no 822-823-824, du 3 août 2006. Ne peut être vendu séparément. Petits secrets des très grandes fortunes s i m a s o N s riches le 21:12 Page 2 Sommaire ÉDITORIAL 100 millions d’euros, un minimum n ne le dira jamais assez : il y a trop de pauvres sur la planète, et pa s a s s e z d e r i c h e s. N o t r e époque, heureusement, remédie à cet état de fait. Du moins pour ce qui est des riches. Des très riches. En effet, nous voilà revenus au temps des bâtisseurs d’empire et des spéculateurs effrénés, comme avant les années 1920.Tout au long du demi-siècle suivant, disons jusqu’en 1980, la richesse s’était faite discrète, la consommation de masse était à l’œuvre et la croissance profitait surtout à des classes moyennes de plus en plus larges, notamment grâce à l’Etatprovidence. Depuis vingt-cinq ans, changement de décor, changement de règles. Toutes les conditions sont à nouveau réunies pour voir les riches devenir très riches : les marchés sont dérégulés, la Bourse invente des produits financiers sophistiqués, les salaires des (grands) patrons s’envolent, et de nouvelles technologies créent des empires (au top 10, les rois de l’informatique et du web côtoient les nababs de l’acier)… Et, pour couronner le tout, la plupart des pays développés, Etats-Unis en tête, diminuent les impôts sur les tranches les plus élevées. Bref, tout va bien pour eux. D’autant que l’argent est désormais de mieux en mieux considéré, pour peu qu’il s’accompagne d’un peu de mécénat ou de générosité… Résultat, les très riches – compter au minimum 100 millions d’euros de patrimoine – sont fêtés, courtisés et, pour la plupart, médiatisés. Le temps d’un été, entrez avec nous dans leur intimité.Vous verrez, eux aussi ont des soucis. Même si ce ne sont pas les mêmes que ceux des 300 millions d’Africains qui vivent avec moins de 1 dollar par jour ! Plus riches que riches p. 3 Grandes fortunes, grands soucis p. 4 Milliardaires, millionnaires et démunis p. 4 O Courrier international Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Rédaction en chef technique Nathalie Pingaud Direction artistique Sophie-Anne Delhomme Coordination maquette Edwige Benoit Iconographie Pascal Philippe Et toute l’équipe de Courrier international ainsi que : Aurélie Boissière (cartographie), Valeria Dias de Abreu (maquette), Marianne Bonneau (révision) Photo de couverture : James Wojcik/ Art Department Supplément au n° 822-823-824 du 3 au 23 août 2006 de Courrier international. Ne peut être vendu séparément. Les dents longues Les grands cœurs Mauricio Donelli/EPA/Sipa Les m’as-tu’vu Mittal : ma fille est une princesse p. 6 Lâchez vos millions p. 9 Mon pied-à-terre sur la Tamise p. 10 Le banquier qui aime Chávez p. 12 Elle veut Athènes à ses pieds p. 12 Lâchez vos millions p.13 Las Vegas ne lui fait pas peur p. 14 La fille de… p. 16 Travaille, sois riche et tais-toi p.17 Leurs roses n’ont pas d’épine p. 18 Lâchez vos millions p. 19 Mon yacht, c’est le plus grand p. 20 Réservé aux abonnés p. 22 Nomade fiscal p. 22 Nourrices de leurs enfants p. 23 Noirs et millionnaires p. 23 Un pizzaiolo très catholique p. 24 Privatiser la forêt amazonienne p. 27 Le club des héritières p. 27 Gates : l’amour des autres et… des dollars p. 28 Des chiffres et plein de lettres p. 28 Le comptable philanthrope p. 29 Rupin, mais pas flambeur p. 30 Le self-made-prince p. 30 Organ F. Ellingvag/Corbis 27/07/06 ImagineChina LES RICHESp02 LES SOURCES DE CE SUPPLÉMENT ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions du matin) et 4 400 000 ex. (éditions du soir), Japon, quotidien. Fondé en 1879, chantre du pacifisme nippon depuis la Seconde Guerre mondiale, le “Journal du Soleil-Levant” est une véritable institution.Trois mille journalistes, répartis dans trois cents bureaux nationaux et trente à l’étranger, veillent à la récolte de l’information. DAGENS NYHETER 360 000 ex., Suède, quotidien. Fondé en 1864, c’est le grand quotidien libéral du matin. Sa page 6 est célèbre pour les grands débats d’actualité. “Les Nouvelles du jour” appartient au groupe Bonnier, le plus grand éditeur et propriétaire de journaux en Suède. Le titre est passé en format tabloïd en 2004. THE ECONOMIST 1 009 760 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Véritable institution de la presse britannique, le titre, fondé en 1843 par un chapelier écossais, est la bible de tous ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale. Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrême centre”. Imprimé dans six pays, il réalise 83 % de ses ventes à l’extérieur du Royaume-Uni. EXPRESSO 140 000 ex., Portugal, hebdomadaire. Lancé en 1973 par un député salazariste “libé- ral”, le premier journal moderne pour Portugais cultivés a séduit par sa qualité et son indépendance. Sa principale originalité vient de son format, proche de celui d’un quotidien. L’“Express” est l’hebdomadaire le plus lu du pays. FINANCIAL TIMES 439 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. FOLHA DE SÃO PAULO 420 000 ex., Brésil, quotidien. Née en 1921, la “Feuille de São Paulo” a fait, au début des années 80, une cure de jouvence ayant pour maîtres mots : objectivité, modernité, ouverture. Le quotidien est devenu ensuite le plus influent journal du pays, attirant l’intérêt, entre autres, d’une jeune élite qui se bat pour la consolidation de la démocratie. THE GUARDIAN 380 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien national britannique imprimé au format berlinois (celui du Monde) et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et la gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 2 abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est fait une belle place dans le paysage médiatique. Racheté en 1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste farouchement indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libertaires sur des problèmes de société et son illustration. INDIA TODAY 445 000 ex., Inde, hebdomadaire. Fondé en 1982, ce magazine est aujourd’hui l’hebdomadaire de langue anglaise le plus lu en Inde, avec un lectorat qui dépasse les 3,5 millions de personnes. India Today, qui se caractérise par une position plutôt conservatrice, est apprécié pour son sérieux. IZVESTIA 430 000 ex., Russie, quotidien. L’un des quotidiens russes de référence, qui traite tous les domaines de l’actualité, les articles étant souvent accompagnés de bons dessins humoristiques ; un supplément “business” sur pages saumon le mardi et le jeudi. LOS ANGELES TIMES 900 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, DU 3 AU 23 AOÛT 2006 une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. grand, très grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, agressivement indépendant et à l’origine de plusieurs scandales politiques. NRC HANDELSBLAD 254 000 ex., Pays-Bas, quotidien. Né en 1970, le titre est sans conteste le quotidien de référence de l’intelligentsia néerlandaise. Libéral de tradition, rigoureux par choix, informé sans frontières. SUNDAY TIMES 504 000 ex., Afrique du Sud, hebdomadaire. Fondé en 1906, Sunday Times est le journal dominical le plus populaire d’Afrique du Sud. Jadis conservateur, il est devenu, ces dernières années, de plus en plus libéral. Son succès repose sur ses enquêtes rigoureuses, ses nombreuses analyses et ses pages sportives. EL NUEVO HERALD 90 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Fondé en 1987, en tant que supplément du Miami Herald, “Le Nouveau Herald” est devenu un titre à part entière en 1988. Véritable référence pour la communauté latinoaméricaine de Miami, il appartient comme son grand frère au groupe Knight Ridder. PANORAMA 600 000 ex., Italie, quotidien. Sous des dehors plutôt sulfureux (on ne compte plus les filles nues en une), le titre cache de bonnes enquêtes. Il a été créé en 1962 sur le modèle de Time magazine par l’éditeur milanais Mondadori, lui-même contrôlé depuis 1990 par le magnat et actuel président du Conseil, Silvio Berlusconi. DER SPIEGEL 1 076 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Un DIE WELTWOCHE 90 000 ex., Suisse, hebdomadaire.Titre au passé antifasciste, il était d’une excellente qualité avant sa reprise en main, en 2002, par des investisseurs proches de l’Union démocratique du centre (UDC, populiste) de Christoph Blocher. ZHEJIANG ZAIXIAN <http://www.zjol.com.cn/>, Chine. Le “Zhejiang en ligne” est le site d’information des médias contrôlé par le comité du Parti de la riche province du Zhejiang. Il a également sa propre production journalistique.Vitrine de l’une des presses provinciales les plus diffusées en Chine, il se targue de recevoir plus de 5 millions de visites par jour. LES RICHESp03 SA 27/07/06 20:23 Page 3 Plus riches que riches De 1950 à 1980, les revenus de la croissance étaient largement partagés. Aujourd’hui, ils profitent à une infime minorité. Une tendance mondiale. THE ECONOMIST (extraits) Londres Peter Marlow/Magnum L es Américains ne sont pas du genre envieux. L’écart entre les riches et les pauvres est plus important aux Etats-Unis que dans tout autre pays développé, mais la plupart des gens ne s’en soucient guère. Alors que les Européens se préoccupent beaucoup de la manière dont les parts du gâteau sont distribuées, les Américains cherchent à rejoindre le peloton des riches et non pas à les faire casquer. Huit habitants sur dix sont convaincus qu’en partant de rien vous pouvez faire fortune en travaillant dur. C’est l’une des idées maîtresses du rêve américain. Suivant la célèbre formule de John F. Kennedy, “Une marée montante soulève tous les bateaux”, les dirigeants politiques privilégient davantage la croissance économique que la redistribution des revenus. Ces dernières années, la marée a été effectivement montante. Après 1995, le bond de la productivité a permis à l’économie américaine de distancer celle des autres pays développés durant une décennie. Vers la fin des années 1990, l’ensemble de la population en a profité. Même si l’augmentation des revenus était plus forte au sommet de la pyramide, elle dépassait de loin l’inflation à tous les échelons. Mais, depuis l’an 2000, tout a changé. Désormais, la croissance de la productivité soulève moins de bateaux. Elle profite surtout aux plus gros salaires et aux entreprises, dont les bénéfices représentent une proportion record du PIB. “Si cela continue, observe un expert, nous allons finir comme le Brésil” – un pays connu pour la concentration de ses richesses. Actuellement, les Américains les plus fortunés se partagent quasiment la même part du PIB qu’il y a un siècle. Mais, alors qu’à l’époque les élites vivaient de leurs rentes, elles gagnent aujourd’hui leur vie en travaillant : en 2004, les plus riches tiraient 60 % de leurs revenus de leur travail, contre 20 % seulement en 1916. Cette évolution renforce l’image que les Américains ont de leur pays : une terre où chacun a sa chance. Mais, dans une certaine mesure, cette image est un leurre. Plusieurs études récentes montrent qu’aux Etats-Unis, plus qu’au Canada ou en Europe, le revenu des parents permet de prévoir si un enfant sera riche ou pauvre. Aux Etats-Unis, environ la moitié des inégalités de revenus présentes sur une génération se retrouve dans la suivante. Alors qu’au Canada et dans les pays nordiques, cette proportion n’avoisine que le cinquième. Malgré cela, l’Américain lambda semble estimer que sa patrie reste celle de tous les possibles. La part des personnes qui considèrent que l’on peut commencer pauvre et finir riche a aug Un petit cadeau vous attend dans le jet que vous avez loué. menté de 20 points depuis 1980. Et plus de 70 % des Américains sont favorables à la suppression des droits de succession, même si seulement un ménage sur cent est assujetti à cet impôt. Ils ont tendance à penser que ce ne sont pas les Américains riches qui sont à l’origine de leurs malheurs, mais les étrangers pauvres. Plus de six Américains sur dix sont sceptiques vis-à-vis du libre-échange. Et neuf sur dix craignent que leur emploi ne soit délocalisé. Les évolutions de ces dernières années n’ont fait que confirmer les inégalités apparues au temps de Reagan. Dans les années 1950 et 1960, période faste pour les classes moyennes, la productivité a fortement augmenté et les profits ont été largement partagés. L’écart entre les salaires les plus bas et les plus élevés a diminué. A la suite du choc pétrolier de 1973, la croissance de la productivité s’est soudainement ralentie, et, au début des années 1980, le fossé entre les riches et les pauvres a commencé à se creuser. On estime généralement que le progrès technologique en est le principal responsable : il a accru la demande de main-d’œuvre qualifiée, et l’offre n’a pas suivi. La libéralisation des échanges a renforcé ce phénomène. Et l’affaiblissement des syndicats a rendu les choses encore plus difficiles pour les Américains au bas de l’échelle. Depuis vingt-cinq ans, la concentration des richesses au sommet de la pyramide se poursuit. Selon Emmanuel Saez, de l’université de Californie à Berkeley, et Thomas Piketty, de l’Ecole normale supérieure de Paris, qui ont décortiqué des données fiscales, la part du revenu total détenue par les 1% les plus riches de la population américaine, est passée de 8 % en 1980 à 16 % en 2004. Et, pour les 10 % les plus riches de ces 1%, elle est passée de 2 % à 7 %. Si l’on affine encore, en se concentrant sur le centième le plus riche (toujours parmi les 1 % les plus riches) – soit les 14 000 contribuables situés tout en haut de l’échelle des revenus – leur part du revenu total est passée de 0,65 % en 1980 à 2,87 % en 2004. Les évolutions technologiques peuvent-elles expliquer ce phénomène ? Oui, jusqu’à un certain point. Les ordinateurs et Internet ont réduit la demande en personnel moyennement qualifié pour les tâches routinières, comme celles assurées par les employés de banque, tandis qu’ils ont augmenté la productivité des plus qualifiés. Selon certains économistes, les technologies de l’information ont aussi contribué à l’augmentation des salaires des patrons. Grâce à elles, il ne leur faut plus des années pour maîtriser les arcanes d’un secteur économique. Devenus plus mobiles, ils ont plus d’opportunités sur le marché de l’emploi et leur salaire a grimpé.Mais l’extrême concentration des revenus, qui atteint un niveau inconnu dans les autres pays, incite à chercher d’autres explications. Le patron américain type gagne aujourd’hui 300 fois le salaire moyen, soit dix fois plus que dans les années 1970. On est loin d’en être là en Europe. Ce fossé alimente la théorie des “gros richards” : les hommes d’affaires cupides s’octroient des salaires colossaux aux dépens des actionnaires. Quelle que soit l’explication avancée, l’aggravation des inégalités va sans doute durer. Désormais, l’évolution structurelle du marché du travail américain est accentuée par les mutations de l’économie mondialisée. L’intégration de millions de travailleurs chinois peu qualifiés et l’accélération des délocalisations de services en Inde ou ailleurs ont augmenté l’offre mondiale de travailleurs. Cela a diminué le coût relatif de la main-d’œuvre et augmenté les revenus du capital, ce qui n’a pu que renforcer la concentration des revenus au profit d’une petite minorité, puisque la plupart des actions étaient entre les mains des plus riches. Si l’économie ralentit, les Américains seront encore plus sceptiques sur les bienfaits de la mondialisation. Et leur célèbre capacité à tolérer les inégalités risque fort d’atteindre ses limites. ■ COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 3 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Page 4 Milliardaires, 2 9 1 n pour rait penser que les familles les plus riches du monde vivent à l’abri des soucis d’argent. Mais, à en croire une récente conférence sur les problèmes juridiques auxquels sont confrontés les riches hommes d’affaires, il apparaît que ceux-ci ont de bonnes raisons de perdre le sommeil. Le Private Client Legal Forum, qui s’est tenu dans un cadre chic au bord du lac de Côme, en Italie, a mis en lumière les principaux casse-tête que doivent résoudre les conseillers juridiques engagés par cette communauté “qui vaut de l’or”. Sur la liste des menaces qui pèsent de plus en plus sur les fortunes personnelles figurent la complexité croissante des systèmes fiscaux, les lois sur le divorce et sur la succession, et même le risque d’enlèvement. Les délégués présents à la conférence, invités par le magazine Legal Week, ont souligné que la multiplication des conflits avec l’administration fiscale constituait le principal problème de leurs clients. Leur sentiment est que le fisc, mécontent de “se faire avoir” par des conseillers fiscaux professionnels, leur a déclaré la guerre, ainsi qu’à leurs clients. “L’IRS [Internal Revenue Service, le fisc américain] tend de plus en plus à considérer que, pour les riches, la déclaration de revenus n’est que la première étape des négociations”, estime Paul Hocking, du cabinet comptable Frank Hirth. De fait, les règles sont devenues plus strictes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. L’Australie, quant à elle, a même introduit une loi contre l’évasion fiscale légale. Simon Mabey, du cabinet comptable britannique Smith & Williamson, a déclaré à ce sujet : “En ce qui concerne l’évasion fiscale légale, il faut s’attendre à ce que le fisc prenne beaucoup plus d’initiatives à l’avenir, car il a tiré des enseignements de ses expériences à l’étranger et de ses contacts de plus en plus étroits avec les administrations fiscales des autres pays.” La majorité des délégués sont convenus que les systèmes fiscaux devenaient trop compliqués et qu’ils devraient être simplifiés. Mais ils ont aussi estimé qu’une telle complexité les aidait à trouver des solutions à l’évasion fiscale légale. Seuls 19 % d’entre eux estiment que des règles plus strictes – imposant aux cabinets juridiques de révéler plus de détails aux administrations fiscale et juri- O dique, par exemple – les empêcheraient de conseiller leurs clients efficacement. Comme on pouvait s’y attendre, les délégués ont estimé que les résultats des investissements constituaient la principale menace pour les riches, suivis de près par l’augmentation des impôts. Mais ils ont créé la surprise en plaçant juste après le divorce et les résultats de l’entreprise familiale. Peter Böckli, de la société Böckli Bodmer & Partners, a souligné que les entreprises familiales devaient se préparer à des changements éventuels de direction pour éviter des désaccords ultérieurs entre les descendants impliqués dans la gestion de l’entreprise et ceux qui, par choix ou par obligation, restent à l’écar t. “Loin des écrans de télévision et des grands titres sur papier saumon [comme celui du Financial Times], la plupar t de ces entreprises se déchirent pour des questions de pouvoir, a-t-il ajouté. Qui détient – ou qui devrait détenir – le pouvoir de décision ? Qui occupe – ou qui devrait occuper – le poste de directeur ?” Les divorces coûteux font aussi figure de menaces pour les fortunes personnelles. Mis à par t un des délégués, qui a suggéré ironiquement que les gens riches ne se marient plus, l’assemblée a souligné l’importance des contrats de mariage. D’après certains experts, l’augmentation constante des mariages mixtes a entraîné une foire au divorce. C’est ainsi qu’on voit souvent des conjoints entamer une procédure de divorce dans deux pays différents pour s’assurer un jugement plus favorable. Dans notre monde de l’après11 septembre 2001, la conférence ne pouvait éviter d’évoquer la menace terroriste et les enlèvements. Christopher Grose, du Control Risks Group, a obser vé qu’une famille vivant dans une résidence protégée et voyageant en jet privé ne risquait aucun kidnapping pour peu qu’elle prenne ses précautions, qu’elle se montre discrète et que ses journées ne soient pas trop marquées par la routine. Pour la période 1988-2003, le groupe a dénombré 9 000 cas d’enlèvements suivis d’une demande de rançon : 75 % en Amérique latine et 15 % dans la zone Asie-Pacifique. “C’est assez facile de noircir le tableau, a précisé Christopher Grose. Mais nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui prétendent qu’on assiste à une vague de kidnappings.” Bill Gates (page 28) Patrimoine : 50 milliards de dollars* Le fondateur de Microsoft, bientôt 51 ans, oriente aujourd’hui son activité vers les décodeurs, les jeux et les téléphones portables. En juillet 2008, a-t-il annoncé, il laissera sa place de président pour mieux gérer sa fondation caritative. Warren Buffett (page 29) 42 milliards de dollars Cet homme de 75 ans a transformé la Berkshire Hathaway en une société d’investissement, qui pèse 133 milliards de dollars. Kenneth Thomson et sa famille 19,6 milliards de dollars Ce Canadien, qui a su créer un empire médiatique et s’est illustré dans l’édition professionnelle, vient de mourir dans sa 83e année. * 50 milliards de dollars, soit 30 000 siècles de SMIC. CANADA 232 000 6 ÉTATS-UNIS 2 669 000 AMÉRIQUE DU NORD 2,9 millions Sipa N’allez pas croire que les richards n’ont pas de problèmes d’argent. AFP GRANDES FORTUNES GRANDS SOUCIS Reuters/Max PPP 20:16 Corbis 27/07/06 Paul Allen 22 milliards de dollars A 53 ans, l’heureux cofondateur de Microsoft gère sa fortune en investissant notamment dans le pétrole et en consacrant une part de ses revenus à des fondations pour l’éducation. AMÉRIQUE DU SUD 300 000 3 P a c i f i q u e Carlos Slim Helú (page 26) 30 milliards de dollars* L’empire de ce Mexicain de 66 ans se compose de participations dans la grande distribution, la banque et l’assurance. * 30 milliards de dollars, soit l’équivalent du patrimoine de 100 000 Français moyens (le patrimoine net du ménage français moyen est d’environ 270 000 euros). 4 BRÉSIL 109 000 AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBES 23,4 % Bob Sherwood, Financial Times, Londres COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 O c é a n Rea LES RICHESp04-05 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp04-05 27/07/06 20:09 Page 5 Bernard Arnault Ingvar Kamprad 21,5 milliards de dollars A 57 ans, ce Français est le roi des produits de luxe. Il est le fondateur et le PDG du groupe LVMH. 28 milliards de dollars Ce Suédois est le fondateur d’Ikea, la chaîne de magasins de meubles en kit. Agé de 79 ans, il vit en Suisse. AFP AFP Scanpix/Sipa millionnaires et démunis 7 4 10 Li Ka Shing 18,8 milliards de dollars Cet homme de 77 ans, patron de Cheung Kong Holdings, dont les activités concernent aussi bien l’immobilier que les médias ou la biotechnologie, est la plus grande fortune de Hong Kong. EUROPE 2,4 millions FÉDÉRATION DE RUSSIE 103 000 ROYAUME-UNI 448 000 ALLEMAGNE 767 000 EUROPE DE L’EST ET ASIE CENTRALE 16,1 % ASIE ORIENTALE ET PACIFIQUE 40,7 % CHINE 41,6 % CHINE 320 000 MOYEN-ORIENT ET MAGHREB 19,8 % LES RICHES O c é a n MOYEN-ORIENT 300 000 ASIE-PACIFIQUE 2,4 millions INDE 83 000 Nombre de millionnaires Pa c i f i q u e Par continent ou sous-continent Par pays O c é a n AFRIQUE 100 000 8 O c é a n AFRIQUE SUBSAHARIENNE 74,9 % Faible 5 Moyenne (de 6 à 10 %) Forte AUSTRALIE 146 000 (de 11 à 20 %) Lieu de résidence des dix personnes les plus riches du monde Corbis E Augmentation du nombre de millionnaires entre 2004 et 2005 (moins de 5 %) L E S PA U V R E S Le prince Al-Walid ben Talal Abdulaziz Al-Saoud (page 31) 20 milliards de dollars Ce prince saoudien de 50 ans détient, entre autres biens, une participation de 10 milliards de dollars dans le groupe financier Citigroup. EPA/SIipa A t l a n t i q u e ASIE DU SUD 77,8 % I n d i e n 74,9 % Lakshmi Mittal (page 6) 23,5 milliards de dollars, Cet Indien de 54 ans vit aujourd’hui à Londres. Il dirige le plus grand groupe métallurgiste du monde et vient de s’emparer de son concurrent européen Arcelor. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 5 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Pourcentage de la population de chaque zone vivant avec moins de 2 dollars par jour Sources : World Wealth Report 2006. Banque mondiale 2006. LES RICHESp06à08 27/07/06 18:39 Page 6 u v u t s a ’ m s le - En 2004, Lakshmi Mittal, le roi de l’acier indien, mariait sa fille Vanisha à Paris et aux châteaux de Versailles et de Vaux-le-Vicomte. La reporter d’India Today en est encore émerveillée. INDIA TODAY New Delhi L ’entrée du jardin des Tuileries, un parc exotique* de Paris, est gratuite en temps normal. D’une superficie de plus de 25 hectares le long de la Seine, le jardin accueille généralement les apprentis jardiniers et les étudiants des BeauxArts, qui viennent y puiser l’inspiration pour leurs travaux pratiques en peinture et en sculpture. C’est là que le magnat de l’acier Lakshmi Mittal a décidé de donner un cours magistral, dont l’intitulé pourrait être : “Ostentation, hospitalité et extravagance”. C’était en juin 2004, à l’occasion du mariage de sa fille unique,Vanisha, 23 ans, avec le banquier Amit Bhatia, et, pour une fois, le jardin n’était pas ouvert au public. Seuls les heureux détenteurs d’une invitation pouvaient assister à ce qui fut sans doute le mariage de l’année. Mittal, le plus riche Indien du Royaume-Uni, ne semble pas gêné par son incroyable fortune. Avec une facture de 44 millions d’euros, la cérémonie fut peutêtre le mariage indien le plus coûteux de tous les temps. Le magnat de l’acier avait promis à sa fille que son mariage serait spectaculaire, et personne ne doutait qu’il tiendrait parole.Tous les proches de la famille – les plus grands noms de l’industrie indienne – venus de partout dans le monde, de Bombay à Manhattan, prirent leurs quartiers à l’InterContinental [en face du palais Garnier]. Un festin royal, une visite guidée du palais de Versailles et enfin une soirée boogiewoogie organisée dans leur hôtel leur permirent de se faire une idée du programme à venir : soirées tardives et grasses matinées. Mittal, en papa poule hyperriche et hyperambitieux, se mit vraiment en quatre ; rien n’était trop beau pour sa petite merveille. On dit même qu’il a commencé à négocier avec les autorités françaises plus d’un an à l’avance. Il a non seulement payé les frais de séjour des invités, mais il a même veillé à ce qu’on fournisse un téléphone à chacun. Le premier étage du palace fut transformé en établissement thermal prodiguant toute une palette de soins de beauté. Comme le confia ensuite le célèbre poète et parolier Javed Akhtar : “Pour ce qui est de l’hospitalité, il mérite un 10 sur 10.” Les décorateurs sont venus d’Inde, les fleuristes des Pays-Bas. Et, bien sûr, tout le gratin de Bollywood a répondu présent à l’appel. Ils étaient tous là, les riches et puissants de ce monde, l’élite indienne, la crème des studios de cinéma, les designers, les personnalités du show-biz, les virtuoses du mehndi [motifs traditionnels tracés au henné à l’occasion des noces], les grands chefs cuisiniers. Les stylistes Tarun Tahiliani et Suneet Varma, aidés par le duo Abu JaniSandeep Khosla, ont créé les costumes des mariés. La chorégraphe Farah Khan, qui a contribué au succès de nombreux films, enseigna l’art subtil du déhanchement aux invités, tandis que la diva pop Kylie Minogue empochait 300 000 euros pour une prestation d’une demi-heure. On estime à 8,7 millions d’euros la valeur totale des diamants portés par les invi- Un mariage de 44 millions d’euros COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 6 tés, et à environ 1,5 million d’euros le coût du séjour des hôtes à l’InterContinental. Aucun cinéaste, si génial soit-il, n’aurait eu les moyens de fixer sur pellicule l’opulence, le glamour, l’extravagance et la splendeur des sites où, durant six jours, se déroula cette somptueuse fête parisienne. Les festivités débutèrent avec le sangeet [soirée musicale] dans le jardin des Tuileries entièrement éclairé pour l’occasion. Javed Akhtar avait composé une scène chantée qui fut interprétée par le père, la mère, le frère et la belle-sœur de Vanisha. “Mittal est quand même meilleur pour faire des affaires que pour pousser la chansonnette”, répondait toutefois Akhtar avec malice à ceux qui l’interrogeaient sur les talents du businessman. Après cet interlude fut servi un dîner gargantuesque. Les fiançailles furent célébrées le lendemain dans le magnifique palais de Versailles. Avec le recul, heureusement que le monarque Louis XIV, surnommé le Roi-Soleil, était mort depuis longtemps, car il aurait sans doute eu du mal à supporter ce qu’on infligeait à sa propriété. Le château de Versailles avait été interdit aux touristes pour l’occasion. La sécurité ne plaisantait pas, et les invités devaient présenter leur carton. La fête commença avec un air d’opéra et des numéros de cancan dignes du Moulin-Rouge. Les numéros se suivirent jusqu’à ce que Bhatia mette un genou à terre et passe une bague au doigt de sa belle. Ensuite ce fut la fête du mehndi dans le luxueux hôtel Bristol transformé en un jardin exquis agrémenté de nombreuses balancelles.Vanisha, vêtue d’une splendide tenue rose, sortit d’une Rolls-Royce Phantom et vint rejoindre les invités, tandis que d’énormes hautparleurs diffusaient des chants traditionnels. De grandes artistes du mehndi venues spécialement d’Inde se mirent tout de suite au travail. Les immenses stars de Bollywood Juhi Chawla, Rani Mukherjee, Saif Ali Khan et, bien entendu, le grand Shah Rukh Khan – lequel reçut un cachet d’environ 440 000 euros – se livrèrent à une imitation parodique de la famille Mittal, qui déclencha éclats de rire et grimaces. Le thème ? L’histoire d’amour entre Vanisha et Bhatia, évidemment ! Enfin arriva le clou de la soirée : une promenade à la belle étoile dans les 620 hectares du parc de Saint-Cloud, “privatisé” pour l’occasion. La météo était un peu capricieuse mais il ne plut pas, et Kylie Minogue put faire son tour de chant. Le mariage lui-même fut ensuite célébré dans le somptueux château de Vaux-le-Vicomte. On avait fait venir de Bombay une quarantaine d’artisans chargés d’ériger un mandap [structure dotée d’un chapiteau sous lequel s’asseyent les mariés, les parents et le prêtre] sur l’un des plans d’eau du vaste parc. La décoration comprenait également des éléphants en fibre de verre, des minarets et un immense hall de réception entièrement rose. Un lotus artificiel avait été déployé sur le bassin, et des pétales multicolores éparpillés. L’ancienne Miss Monde Aishwarya Rai, désormais actrice de Bollywood et mannequin pour L’Oréal, donna un petit spectacle, tandis que le DU 3 AU 23 AOÛT 2006 J. Edelstein/Camera Press/Gamma Ma fille est une princesse LES RICHESp06à08 27/07/06 18:48 Page 7 J. Edelstein/Camera Press/Gamma Ils n’ont plus peur de se montrer ni d’étaler leur fortune. Ce sont les héros d’une époque vouée à l’argent. Etre milliardaire est vraiment, vraiment chic. Etre pauvre, beaucoup moins. Lakshmi Narayan Mittal Le roi de l’acier indien est né en 1950 dans une famille rajpoute de la communauté marwarie, des commerçants connus pour leur don des affaires. Tout semblait donc prédestiner le jeune Lakshmi à la réussite. Son père possédait une petite aciérie, que Lakshmi a rejointe après avoir obtenu une licence de commerce option gestion. Il est aujourd’hui à la tête d’un empire international implanté dans quatorze pays (22,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires) et vient de réussir son OPA sur Arcelor, avec l’aide de son fils Aditya. Ses deux frères continuent de gérer l’entreprise familiale en Inde. Il vit avec sa famille dans une luxueuse demeure londonienne. Aziz Premji Mukesh Ambani Actionnaire principal de l’entreprise de logiciels informatiques Wipro, Premji figure en 2006 en 25e position au classement des plus grosses fortunes de la revue Forbes. Ce petit entrepreneur a saisi sa chance en 1977, quand IBM a quitté le marché indien. Il a produit ordinateurs et logiciels. Sa fortune est estimée à 13,3 milliards de dollars. Depuis la mort de son père, un self-made-man du Gujarat, en 2002, Mukesh Ambani est le pilier du conglomérat Reliance, la plus grosse entreprise privée indienne. En 2005, à la suite d’un conflit avec son frère Anil, le groupe s’est scindé. Mukesh contrôle cependant la part la plus importante. Sa fortune personnelle s’élèverait à 8,5 milliards de dollars. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 7 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp06à08 27/07/06 18:50 Page 8 Photos AP-Sipa l e s m ’ a s -t u -v u “Beaucoup trop vulgaire”, selon les journalistes français chef indien Munna Maharaj, venu spécialement par avion de Calcutta, proposa aux invités un succulent buffet végétarien. Toute cette mise en scène n’a pourtant pas manqué de susciter les critiques. Certains journalistes français évoquèrent le “mariage vulgaire de Versailles”. Les Français, qui à l’époque ne connaissaient pas Mittal et ignoraient l’étendue de sa richesse et de son succès, se sont empressés de lui coller une étiquette de “parvenu”. Un reporter curieux, qui avait essayé en vain de se joindre aux festivités alors qu’il n’avait pas de carton d’invitation, s’interrogeait tout haut sur la caste de Mittal. Quel imbécile ! La fortune ne s’encombre pas de ce genre de petits détails. Mais suffirat-elle pour autant au bonheur de Vanisha ? * En français dans le texte. Ishara Bhasi El Fassi/Sipa En médaillon, Amit et Vanisha la veille du grand jour. Un escalier bordé de cygnes attend les mariés à Vaux-le-Vicomte. La salle des Batailles de Versailles : un décor idéal pour un dîner entre amis avant le mariage. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 8 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHES p09 OK 27/07/06 20:05 Page 9 Lâchez vos millions ontre m e n ntre u e r ques… i i s p i o o r h t ez à c e des l v î a e s n u Si vo ts et u n a m a di à 900 bâti ippon a N e u g o V us) me que (ci-dess è s h t t n a e c m ermet 96 dia est sur e vous p d e rée de 8 sir ? C’ o i m c o l é m d o u s e d r ll t s te de l’ato s ine, cet le temp Ainsi, une mon z , u a a o r g a a e F r m t u ntre le e luxe. le mot La mon 000 yen ontres d , comme le mo sie française, t que 60 060 -vous ? z m e x r u é f a é é is u autant. cré mps pr r o s ) , m a î l o t d e l a P o l y n i a m a n t s , n e v a ut vous coûter t consa u n e ’ e d Quel te m n lé p ,2 millio e 321 d ur 500 amis pe re d’un ent sup son réc 00 000 yens (1 e u x p r o p r i é t a i o n t r e , o r n é e d po château eur 64 em e h 7 d ’ u l 1 n o t iq r i c u if n e a n v as de ve mag uros). L ans un ent de égalem 1,1 million d’e n peu sélect d a( ée u Rangiro uros). Une soir 0e (408 00 y e n o m s i e Tim COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 9 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp10-11 27/07/06 19:31 Page 10 l e s m ’ a s -t u -v u Mon pied-à-terre sur la Tamise Dans la capitale britannique, où nombre de milliardaires de la planète possèdent une résidence, la richesse est une valeur en forte croissance. Ostentatoire, si possible. THE GUARDIAN (extraits) Londres L a scène se passe en 1978 au 12, Kensington Palace Gardens, à Londres. Les aristocratiques maîtres des lieux – la famille Cholmondeley, qui donne son grand chambellan au RoyaumeUni depuis des générations – venaient de vendre leur maison et s’apprêtaient à déménager après avoir occupé la place pendant soixante ans. L’avenir semblait appartenir aux syndicats [le gouvernement de l’époque était travailliste], aux Soviétiques – qui avaient commencé à acquérir des locaux diplomatiques dans la rue au cours des années 1930 –, aux Arabes et aux Iraniens, cousus d’or depuis l’augmentation du prix du pétrole de 1973, et à une horde de boutonneux arrogants fraîchement diplômés qui caressaient l’idée très ordinaire de souscrire un crédit pour acheter dans les quartiers alors sordides de Notting Hill, Camden et Islington. Une génération plus tard, on sait que les aristocrates n’avaient pas de quoi s’inquiéter. Mais ce n’est pas le plus surprenant. Ce qui est remarquable, c’est que l’anxiété de la classe supérieure a en fait permis non seulement d’assurer la pérennité de la richesse privée, mais a fait passer celle-ci à des niveaux inouïs dans les premières années du XXIe siècle. Pour certains, les syndicats avaient ouvert la voie au gouvernement de Margaret Thatcher, qui allait favoriser les riches à partir de 1979. L’argent qui s’était mis à couler vers l’Iran et le Golfe en 1973 pour acheter le pétrole revint presque immédiatement à son point de départ : c’est la famille royale saoudienne qui a acquis la demeure du grand chambellan au 12, Kensington Palace Gardens. Et qui en est d’ailleurs toujours propriétaire. Les inquiétants Soviétiques se sont transformés en Russes prodigues qui, comme les Arabes avant eux, ramènent à l’Occident les milliards qui leur ont été donnés en échange de leurs matières premières. Les jeunes diplômés sont devenus des stars du barreau, des arts et des médias – maisons valant des millions de livres et écoles privées pour les enfants. Quant au marquis de Cholmondeley, il est toujours là, en 666e position sur la liste des fortunes mondiales établie l’an dernier par The Sunday Times. En d’autres termes, il est à la limite des superriches. Si les très grosses fortunes du monde entier viennent vivre et faire fructifier leur argent à Londres depuis le XIXe siècle, la tendance s’accélère aujourd’hui et d’énormes vagues d’argent privé déferlent sur Threadneedle Street et Kensington. “Il est objectivement très difficile, à cause de la confidentialité, d’estimer la croissance du marché londonien de la gestion de fortune. Mais une chose est sûre : il est plus important qu’avant”, confie David Harvey, de la Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), une association internationale de fiscalistes et de conseillers financiers basée à Londres, dont les membres, éparpillés dans les centres d’affaires et les paradis fiscaux de la planète, aident sans complexe les familles riches à protéger leur patrimoine contre le percepteur. “New York est bien entendu plus stable, mais la plupart des autres grands centres sont moins avantageux que Londres, explique Harvey. Tokyo a connu une période de dépression. Singapour est relativement nouveau. Shanghai n’est pas sûr et l’Allemagne était considérée encore récemment comme ayant une fiscalité très lourde. Si on veut échapper légalement aux impôts, autant aller à Londres.” Le gouvernement ne publie pas de chiffres sur les mouvements de capitaux privés entrant et sortant du Royaume-Uni. Selon les statistiques les plus récentes (2003), celui-ci détient pour 3 500 milliards de livres à l’étranger et l’étranger possède pour 3 500 milliards de livres au Royaume-Uni. Les rues résidentielles les plus chères de Londres, comme Kensington Palace Gardens, offrent un meilleur indicateur de la nature changeante de l’argent privé qui afflue dans la capitale. Il y a dix ans, les gigantesques demeures du début de l’ère victorienne qui la bordent étaient considérées par les agents immobiliers comme trop chères à l’achat. Aujourd’hui, trois et peut-être quatre superriches, dont Lakshmi Mittal, la troisième fortune du monde, y possèdent une résidence. “Il fut un temps où il était inconcevable d’avoir son domicile dans une de ces maisons gigantesques – elles étaient trop grandes”, explique Dick Ford, qui dirige les ventes de résidences de prestige londoniennes Luxe, fiscalité, mondanités : Londres a supplanté New York chez Knight Frank, une agence immobilière réservée à l’élite. “Seules les ambassades et autres institutions les prenaient. Maintenant, tout le monde en veut pour en faire son domicile.” Si le gouvernement ne suit pas l’évolution de la fortune des plus riches résidents du Royaume-Uni, certains s’en chargent pour lui. Les listes établies par les journaux lèvent en partie le voile. Mais elles incluent souvent dans leurs estimations les parts sociales – qu’on ne peut vendre sans détruire la confiance vis-à-vis du groupe. On est également parfois tenté d’affirmer qu’une personne vit au RoyaumeUni uniquement parce qu’elle y a une maison. Roman Abramovitch, le propriétaire du Chelsea FC, possède plusieurs maisons dans le pays et est souvent considéré comme la deuxième fortune britannique, derrière Mittal, mais il a également des résidences en Russie et en France, et sa position officielle, exprimée COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 10 par ses assistants à Moscou, c’est qu’il vit en Russie et ne se rend au Royaume-Uni que pour les matchs. Tulip Financial Research, une société qui étudie les dépenses des personnes très riches qui résident au Royaume-Uni, utilise une méthode différente. Avec un modèle informatique, elle étudie non la richesse globale, mais les valeurs disponibles – les espèces et tout ce qu’on peut rapidement convertir en espèces. Selon sa dernière enquête, les valeurs disponibles des Britanniques ont augmenté de plus de 50 % entre 2000 et 2005, soit bien plus que l’inflation, et sont passées de 1 000 à 1 600 milliards de livres. Tulip reprend la division habituelle des riches en quatre familles : en bas, les mass affluent [le commun des nantis] – 4 % de la population –, qui possèdent aujourd’hui en moyenne 144 000 livres de valeurs disponibles chacun ; puis viennent les high net worth (HNW) – 0,7 % de la population –, 665 000 livres de valeurs disponibles chacun ; puis les ultra-HNW – 135 000 individus, représentant 0,3 % de la population –, 6,4 millions de livres de valeurs disponibles chacun. Cette catégorie détient près de la moitié des valeurs disponibles du Royaume-Uni et ses membres sont en moyenne 66 % plus riches qu’il y a cinq ans. Le dernier groupe, les superriches, les 1 000 personnes les plus aisées du Royaume-Uni, ont vu leurs valeurs disponibles augmenter de 79 % en cinq ans et possèdent en moyenne 70 millions de livres chacune. “Bien entendu, explique John Clemens, de Tulip, il ne faut pas oublier que 30 % de la population ne possède pas du tout de valeurs disponibles.” S’il y a plus d’argent que jamais au Royaume-Uni et en particulier à Londres, d’où vient-il ? L’une des explications, c’est qu’au cours des dernières années la ville est devenue, plus encore que dans les années 1990, la place financière favorite des riches particuliers. Sa fiscalité généreuse envers les mégariches, en particulier ceux nés à l’étranger, en fait presque un paradis fiscal. Les vieux snobismes de classe ont partiellement cédé la place aux nouveaux snobismes de l’argent et de la beauté. Qu’on songe aux autres attraits de Londres – stabilité politique, fonctionnaires relativement honnêtes, foule de spécialistes habiles à éviter les impôts, boutiques de luxe, restaurants et clubs aux prix suffisamment élevés pour assurer aux riches qu’ils sont des gens bien particuliers, célébrités en résidence, énergie culturelle, existence dans la cité d’une City entièrement dévouée à l’argent –, et l’on comprendra que seul New York peut rivaliser. “Les superriches veulent avoir deux domiciles, un à NewYork et un à Londres”, confie un Britannique qui gère des fonds spéculatifs. “La plupart d’entre eux veulent vivre dans ces deux villes, mais, s’ils résident à New York, ils paient beaucoup plus d’impôts qu’ici.” Il y a peu encore, la plus grande partie de la planète (les Etats-Unis étant la principale exception) fonctionnait selon trois principes. Le premier, c’est que de vastes pans de l’économie étaient détenus par l’Etat et gérés par des fonctionnaires au salaire modeste ; le deuxième, c’est que les personnes particulièrement riches devaient payer bien plus d’impôts que les autres ; le troisième, c’est que le gouvernement empêchait les gens de transférer librement leur argent d’un pays à un autre. Ces principes ont été mis au rancart dans une grande partie de la planète, par exemple au RoyaumeUni, en Chine, dans l’ancien bloc soviétique, l’Inde, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique et l’Amérique latine. Les entreprises publiques ont été privatisées et les fonctionnaires qui les dirigeaient sont pour beaucoup devenus millionnaires. Pour l’orthodoxie économique, DU 3 AU 23 AOÛT 2006 27/07/06 19:32 Page 11 Tim Graham/Getty LES RICHESp10-11 Jordi Labanda/La Vanguardia la surimposition des riches est un mal – en Russie et dans d’autres pays de l’ancien bloc soviétique, riches et pauvres paient exactement le même impôt sur le revenu. Les patrons n’ont plus honte de toucher des millions, voire des milliards, en salaires, dividendes, primes et stock-options, et l’argent traverse les frontières aussi allégrement qu’un oiseau. Mais il y a une autre explication : ce n’est pas qu’il y a plus d’argent privé à Londres qu’il y a dix ou vingt ans, c’est simplement que ceux qui en ont sont plus enclins à l’étaler. “Nous sommes à une époque où on dépense et on gagne des sommes faramineuses”, m’a confié Geordie Greig, le rédacteur en chef du magazine Falter. “Certains paieront 250 000 livres à une vente de charité aux enchères pour que leur fils escorte David Beckham sur le terrain pour un match de football.” Les milliardaires ne restent pas chez eux à contempler leurs paquets de billets. L’essentiel de leur argent est toujours en mouvement, leur fortune respire, se dilate et se contracte. Le fait que nombre des plus riches résidents “britanniques” vivent en fait partout et nulle part, entre Londres, Moscou, Monaco et d’innombrables villes et îles à travers le monde, fait oublier une vérité plus profonde : la chose qui préoccupe les riches, c’est plus le temps que la géographie. Leur vrai domicile, c’est leur famille, et la question qui les tourmente, qui les obsède, c’est comment transmettre leur patrimoine aux générations suivantes sans qu’il soit dévoré par le fisc ou disparaisse dans les casinos ou les divorces. Le vrai symbole de richesse en 2006, ce n’est pas la Bentley, la maison à Kensington Park Gardens, ni le diamant gros comme le Ritz. C’est le family office – une équipe de juristes et de comptables qui se consacrent exclusivement et à plein temps à protéger le patrimoine et à le faire perdurer pour des générations –, une planification à très long terme que la plupart des gouvernements, et moins encore les gens ordinaires, ne peuvent même envisager. Car une grande fortune peut disparaître rapidement si les héritiers se révèlent incapables d’en supporter le poids. Le négociant en fer Ernest Benzon recevait des invités aussi célèbres que Felix Mendelssohn, George Eliot et Robert Browning dans son luxueux salon. En 1889, son petit-fils, lui aussi appelé Ernest, raconta ce qui était arrivé à la fortune fami- Les traditions chics et chères sont immuables : chaque année, au mois de juin, aristocrates et milliardaires se retrouvent aux courses d’Ascot. liale dans un livre intitulé How I Lost £250,000 in Two Years [Comment j’ai perdu 250 000 livres en deux ans]. Les titres des chapitres décrivent l’évaporation d’une fortune équivalant aujourd’hui à une somme se situant entre 20 et 110 millions : “Courses, Jeu, Boxe, Prêteurs d’argent, Monte Carlo et le tir aux pigeons, Marchands de Londres”. Avant de perdre son dernier shilling à la roulette, Benzon dilapida un jour 10 000 livres au casino en dix minutes. D’après Seb Dovey, de Scorpio Partnership, un cabinet de gestion de fortune londonien, il existe environ 2 500 family offices actifs en Europe, trois fois plus aux Etats-Unis, environ 11 000 dans le monde, chacun ayant plus de 100 millions de dollars à investir. “Chose significative, le nombre de nouveaux family offices augmente, confie-t-il. Nous estimons qu’il s’en crée actuellement vingt par mois en Europe. Deux à trois par mois au Royaume-Uni.” De l’autre côté de l’Atlantique, l’ampleur de l’augmentation de la fortune des très riches et la stagnation, voire la baisse, du patrimoine des classes moyennes commencent à mettre mal à l’aise certains commentateurs conservateurs. Cependant, Londres est peut-être coincée : peut-être ne peut-elle plus se passer de l’argent du monde. James Meek Grande banlieue Spéculons à fond Apprentissage en or Bureau et maison à Londres, appartement à Monaco. Plus de 650 patrons feraient ainsi la navette – en jet privé, bien sûr – pour ne pas payer leurs impôts en GrandeBretagne. Ils profitent d’une disposition fiscale pour les voyageurs datant de la navigation à vapeur. (The Guardian, Londres) 30 000 milliards de dollars seraient investis dans des hedge funds. Ces fonds spéculatifs sont en plein essor au Moyen-Orient, en Asie et en Grande-Bretagne : les nouveaux riches qui ont fait fortune à la City ou dans les matières premières veulent les mêmes opportunités que les milliardaires. (The Daily Telegraph, Londres) Il n’y a pas qu’Oxford ou la City. Du chef Jamie Oliver – 25 millions de livres à la banque – au diamantaire Laurence Graff – à la tête de 1,5 milliard –, en passant par Eric Clapton, de plus en plus de fortunes d’outre-Manche se sont construites grâce au travail manuel et à l’apprentissage. (The Independent, Londres) COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 11 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp12 27/07/06 19:27 Page 12 l e s m ’ a s -t u -v u Le banquier qui aime Chávez Le Vénézuélien Víctor Vargas joue au polo, pilote des jets, marie sa fille au duc d’Anjou, mais travaille volontiers pour le régime chaviste ! Mauricio Donelli/EPA/Sipa EL NUEVO HERALD (extraits) Miami V íctor Vargas Irausquin arrive à bord de son yacht et accoste dans le luxueux ensemble nautique de Sotogrande, dans la région de Cadix. Le banquier vénézuélien multimillionnaire vient participer à un tournoi de polo avec son gendre, prétendant au trône de France. Sur le quai, des paparazzi prennent des clichés en rafale. Ce qui impressionne le plus les chroniqueurs mondains, c’est que Vargas fait venir ses propres chevaux depuis les EtatsUnis par avions spéciaux. L’année dernière, il en a fait transporter 80 pour jouer avec le mari de sa fille Margarita, Luís Alfonso de Borbón, duc d’Anjou. Vargas, l’un des banquiers les plus prospères du Venezuela d’Hugo Chávez, a l’air gêné aux entournures par sa célébrité fraîchement acquise. Cela fait pourtant dix ans qu’il vit dans le même luxe, explique-t-il, et personne ne s’était encore intéressé à lui. “Maintenant, ils m’ont découvert et ne me lâchent plus”, assure-t-il en souriant. Si Vargas s’est retrouvé sous les feux de la rampe, ce n’est pas seulement à cause de ses jouets coûteux et des mariages spectaculaires de ses deux filles. Sa notoriété, il la doit aussi et surtout à son flair de financier, dans un pays où les relations avec l’Etat demandent énormément de doigté. Et dans ce domaine Vargas, 54 ans, a l’habileté d’un horloger suisse. Il est vrai qu’il appartient à une génération de banquiers qui, après s’être vu confier les fortunes de la IVe République – la République du mal et de la corruption, dixit Chávez –, se sont accommodés de la Ve, celle du chavisme, où leurs capitaux n’ont cessé de fructifier. Avocat sorti de l’université catholique Andrés-Bello, coureur automobile et aviateur aux douze mille heures de vol,Vargas est président et propriétaire du Banco Occidental de Descuento (BOD), cinquième banque du pays. Il assure par ailleurs la présidence de l’Association bancaire du Venezuela et représente son pays auprès de la Fédération latino-américaine des banques. Il est marié avec Carmen Leonor Santaella, dont il a eu trois enfants, deux filles et un garçon, mort à 18 ans. Il a investi dans le secteur pétrolier, vient de racheter une banque au Panamá et une autre en République dominicaine, où il possède une grande propriété, et il dirige une affaire de résidences de luxe. Ses chevaux paissent à West Palm Beach, où il est propriétaire d’une autre demeure. Il a également investi dans l’immobilier à Miami et possède des appartements à New York et à Madrid. Il pilote son propre jet Gulfstream 5, ce qui lui permet d’assister à un conseil d’administration au Venezuela le matin et de jouer au polo en République dominicaine l’après-midi. “Je ne crois pas être quelqu’un d’exceptionnel, fait pourtant valoir Vargas. L’image officielle du bonheur entre Margarita, l’héritière de Víctor Vargas, et son mari, Luís Alfonso de Borbón, duc d’Anjou. Je dirais que je suis normal. Je ne pense pas avoir une intelligence au-dessus de la moyenne. Mon succès, je le dois à mon travail, à mes efforts, à mon optimisme.Tous les jours, je me dis qu’il faut se lever, travailler et bien faire les choses.” L’un des secrets de sa prospérité, ajoute-t-il, est de s’être entouré d’une équipe de conseillers qui travaillent pour lui depuis vingt ans, certains étant d’anciens camarades d’université. Il doit aussi une part de son succès à l’actuel gouvernement. De tout le secteur privé, la banque est l’activité la plus encouragée par Chávez. Et le BOD est l’un des établissements bancaires qui ont tiré profit de la revente des obligations argentines souscrites par le gouvernement vénézuélien.Vargas ne se considère pas pour autant comme un banquier chaviste, malgré ce que laissent entendre ses ennemis. Il s’enorgueillit d’avoir dans son conseil d’administration des membres de l’opposition, même s’il ne cache pas qu’il compte parmi ses amis de longue date l’actuel ministre des Finances, Nelson Merentes. Son conseiller juridique Pedro Rendón Oropesa rappelle que le banquier, tout chaviste qu’il est, a dû subir un interrogatoire du ministère public vénézuélien dans le cadre d’une enquête sur une conspiration qui aurait été ourdie pendant le mariage de sa fille en République dominicaine. Le juge a estimé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête. Ces noces somptueuses entre Margarita et le duc d’Anjou ont rempli les rubriques faits divers et surtout des dizaines de pages de chroniques mondaines en Espagne et en Amérique latine. Quelques zones d’ombre viennent pourtant entacher le parcours de Vargas, obligé de s’expliquer sur un épisode financier douteux aux Etats-Unis. En 1993, la Réserve fédérale de New York lui a infligé une amende de 525 000 dollars [415 300 euros], assortie de 625 000 dollars de dommages et intérêts : il était accusé d’avoir menti aux autorités bancaires lors d’une tentative d’achat d’une banque par une autre, soupçonnée de fraude et de blanchiment d’argent. L’affaire n’a guère fait de bruit au Venezuela, mais Vargas n’a pas cherché non plus à la dissimuler. Dans un communiqué de presse destiné aux autorités bancaires de son pays, il a notifié les termes de l’accord auquel il est parvenu avec la plus haute autorité bancaire des Etats-Unis.Tout le monde a ainsi été mis au courant. La rançon du succès sans doute. Gerardo Reyes ■ Depuis qu’elle a épousé l’un des plus riches armateurs de Grèce, Gianna Angelopoulou a de grandes ambitions politiques. Gianna Angelopoulou n’est pas une personnalité comme les autres. Après le succès des Jeux olympiques d’Athènes, qu’elle a en par tie organisés, elle revient sur le devant de la scène et investit dans la presse une petite partie de la grande fortune qu’elle tient de son mari. Une nouvelle baronne s’impose. Sa vie est un vrai conte de fées. Au début des années 1990, la députée conservatrice Gianna Daskalaki se rend à Istanbul pour assister à l’inauguration du nouveau sanctuaire du patriarcat œcuménique orthodoxe, dont la rénovation a été financée par le riche industriel Théodore Angelopoulou. Et là, pendant la messe d’inauguration, la belle Gianna s’évanouit dans les bras de l’in- fluent milliardaire, qui a fait sa fortune dans la marine, le BTP et le commerce. Ils se marient en 1995 et obtiennent l’organisation des JO en offrant leur argent comme garantie en cas de retard des travaux. Après de nombreuses péripéties, le comité olympique grec nomme Gianna à la tête du comité d’organisation des Jeux, une mission qu’elle remplit à coups de milliards d’euros pour rattraper les retards : quand on aime, on ne compte pas. Depuis lors, Gianna n’a jamais caché son appétit de pouvoir. Participante assidue des soirées mondaines, elle organise elle-même des fêtes marquantes, comme celle où le feu d’artifice a mis le feu à la colline qui entoure sa maison. Son rêve absolu est de prendre la place du président de la République, Carolos Papoulias, mais elle a vite été écar tée par ses amis politiques. Car sa fortune et son appétit de pouvoir font peur au Premier ministre, Kostas Karamanlis, qui ne l’a même pas remerciée pour sa contribution au succès des JO. Le couple Angelopoulou en a gardé de l’amertume et compte bien se venger un jour. Gianna tente maintenant de faire son entrée dans le cercle des “grands leaders”, en se portant candidate à la mairie d’Athènes. Les élections municipales COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 12 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 auront lieu en octobre prochain, il lui reste à trouver un parti politique et une circonscription… Début 2006, elle a tenté de racheter le groupe de presse Bobolas, propriétaire du quotidien de gauche To Ethnos, mais la conjoncture ne lui a pas été profitable. Et puis Gianna et Théodore ont été soupçonnés de vouloir mettre la main sur les équipes de football de l’Olympiakos et du PAOK Thessalonique, et sur la chaîne de télévision privée Alpha. Mais cela n’a rien donné. Finalement, Gianna, qui ne veut pas d’un rôle de figurante, a trouvé quelqu’un prêt à lui vendre quelque chose. Depuis juin dernier, elle est l’heureuse propriétaire du quotidien conservateur Eleftheros Typos. L’idéal pour la princesse, qui va enfin pouvoir faire pression sur le gouvernement. (D’après O Kosmos tou Ependytis, Athènes) Lionel Cironneau/AP-Sipa GRÈCE ELLE VEUT ATHÈNES À SES PIEDS LES RICHES p13 OK-2 27/07/06 20:07 Page 13 Lâchez vos millions douillet ? id n n u z e h rc e h c Vous Etats-Unis. x u a , is o tr i ic o v En ood w r a t S h c n a r Le e dollars* sd 135 million ents 000 appartem 1 e d t en al iv nne. C’est l’équ région parisie de 3 pièces en * Polaris/Deadl ine r ben Sultan, ana d n a B e c n ri p u d Le pied-à-terre x Etats-Unis, au e it d u ao S ie b ra ’A cien ambassadeur d du Colorado. e é p p u h i k s e d n à Aspen, la statio professionnelle, n o ti ta u m e d se u a A vendre pour c onseil de C u d f e h c é m m o té n le prince ayant é ranch dispose e L . ys a p n o s e d sécurité nationale vingt-six salles à e iz e s e d t e s re de quinze chamb sait plus trop… e n r ie il b o m im t n e de bains, l’ag p m u r T e n i a m o Le d e dollars sd 125 million ètres carrés, dix-huit ace de 4 000 m sh News Chris Bott/Spal Surf bains, 145 mètres e d s lle sa x eu d tg n chambres, vi la modique r u o p té e h c a t u to de front de mer, le rs en 2004, lors a ll o d e d s n o li il m somme de 40 n liquidation. Com e s re è h c n e x u a te d’une ven priétaire de ro p x u re u e h l’ e d e mentaire modest loride, le magnat F n e , h c a e B lm a P cette villa de ld Trump : a n o D is a rk o -y w e de l’immobilier n fantastique.” “C’est simplement acs L s i o r T s e d e La ferm dollars de Id e de quatorz ré u to en , rk Yo w e N dans l’Etat de des trois lacs qui et – e is ça an fr la à – dont un potager n domaine de u r e li b u o s n a s , om lui donnent son n rme est sans profe e tt ce s, té vi in s le 1,6 hectare pour aire à saisir. ff A s. an x eu d is u priétaire dep Associates Allan Schneider 75 millions milieu d’un golf de 24 hectares e jardins éalement située au COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 13 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp14>18 bis 27/07/06 19:24 Page 14 s e u g n o l s t n les de A 84 ans, Stanley Ho, le roi des casinos de Macao, consolide sa fortune. Et ce n’est pas l’arrivée des boss américains du jeu qui le fait trembler. Portrait d’un très habile négociateur. EXPRESSO Lisbonne S tanley Ho vient de mettre en vente la résidence qu’il possède à Cascais [le Deauville portugais, près de Lisbonne]. Le magnat souhaite ainsi se défaire une fois pour toutes de ses dernières superstitions. La fin de la construction de cette superbe demeure date en effet de 1999, année de la rétrocession de Macao à la Chine. Et l’histoire de cette propriété est liée à celle de la fulgurante carrière de Stanley Ho dans l’univers des casinos. Quand il a acheté le terrain en 1963, il venait d’obtenir l’unique licence de jeux jamais accordée à Macao et en Chine. La concession lui avait été attribuée grâce, notamment, à l’intervention du père de sa première femme, la Portugaise Clementina Morais Leitão, qui avait fait jouer ses relations dans ce territoire portugais d’outremer. C’est pour cette raison que la résidence allait ensuite symboliser l’attachement de Stanley Ho au Portugal. Durant cette période, il devait malgré tout connaître deux grands drames. En 1973, son épouse est victime d’un accident de voiture sur la route du Guincho, à Cascais. Elle ne se remettra jamais de ses blessures. Quelques années plus tard, sur cette même route, c’est au tour de son fils aîné, Robert Ho – qui devait hériter des casinos –, de trouver la mort, avec sa femme Mélanie. “Stanley a fait tout ce qu’il pouvait pour Clementina. Je crois qu’il avait l’impression que tant que sa femme vivrait ses affaires se porteraient bien”, raconte Almeida Santos, ancien président de l’Assemblée de la République portugaise, qui est devenu son associé l’an dernier en acquérant 5 % de Geocapital, une société créée dans le but d’encourager les investissements chinois au Mozambique, en Angola et au Cap-Vert. La mort de Clementina, en février 2004, trois mois avant que des concurrents américains n’inaugurent en grande pompe le Sands Macau, premier casino non chinois du territoire, semblait achever quatre décennies d’une ascension météorique. Les analystes misaient sur un déclin de l’empire Ho et de ses méthodes colo- nialistes d’arrière-garde. Pour eux, Ho ne pourrait pas résister longtemps aux requins de Las Vegas qui venaient d’arriver sur le territoire, avec leur mégalomanie tapageuse : Steve Wynn, le patron du mythique Mirage, et Sheldon Adelson, qui voulait exporter vers l’Asie une réplique de 830 millions d’euros du casino Venetian, avec canaux artificiels et gondoles. Pourtant, cette mort annoncée n’a pas eu lieu. L’homme que les Chinois amateurs des tables de baccara appellent Wong Tai Sin, “le dieu qui transforme nos rêves en réalité”, a été stimulé par cette concurrence et l’octogénaire a retrouvé un nouveau souffle. Entre 2004 et 2005, il a multiplié son patrimoine par deux, en le faisant passer de 3 à 6 milliards d’euros, devenant ainsi, à 84 ans, le 84e homme le plus riche de la planète (selon la revue américaine Forbes). C’est d’abord à son habile talent de négociateur que le roi de Macao doit sa réussite. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il a su traiter avec les occupants japonais : il leur vendait des armes en échange de l’approvisionnement de Macao en sucre et en haricots. Il a ensuite appris à négocier avec la dictature portugaise de Salazar, tout en amenant les maoïstes fortunés de Chine dans les salons du casino Lisboa. Après la “révolution des œillets” de 1974, il s’est adapté aux différents gouvernements du Portugal démocratique. Il a continué à ouvrir des casinos tout en maintenant – d’après les rumeurs – de bonnes relations avec les triades [organisation mafieuse active en Chine et dans la diaspora chinoise]. Bref, il a toujours su s’adapter au climat très particulier de Macao : un pays, deux systèmes. Les Chinois l’appellent Wong Tai Sin, “le dieu qui transforme nos rêves en réalité” En 2005, les recettes brutes générées par l’industrie du jeu à Macao ont atteint 4,5 milliards d’euros, le double de 2002, ce qui représente une croissance de plus de 30 % par an. Et s’il est vrai que les investisseurs américains ont gagné beaucoup d’argent, 74 % du gâteau est revenu à Stanley Ho. A Macao, il y a de la place pour tout le monde. Avec la libéralisation des licences de jeu et la fin du monopole en 2002, la Chine a ouvert ses portes et a autorisé ses ressortissants à aller tenter leur chance à la roulette. Ces nouveaux joueurs COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 14 constituent aujourd’hui la moitié de la clientèle de Macao. Et le marché promet encore une croissance exponentielle. Macao devrait être en mesure de dépasser Las Vegas dès 2006, devenant ainsi la nouvelle capitale planétaire du jeu. Les analystes prévoient en effet une croissance de 20 % pour l’année en cours, alors qu’à Las Vegas elle ne devrait pas dépasser les 5 %. Mais le plus étonnant, c’est que les deux tiers des bénéfices engrangés par la société de Stanley Ho, la Société des jeux de Macao (SJM), sont toujours le fait du seul casino Lisboa, le casino historique de Ho. L’homme d’affaires a su entretenir des relations privilégiées avec un précieux portefeuille de 4 000 clients milliardaires, presque tous des Chinois. Il s’est assuré leur présence assidue dans les 36 salons du casino le plus élitiste et le plus traditionnel de l’industrie mondiale du jeu. En moyenne, chaque fois que l’un de ces clients se met à jouer, Stanley Ho gagne 800 000 euros. Autant dire que le patriarche hongkongais est en forme. On dirait qu’il a su négocier même avec la mort. Sa recette miracle ? Il ne fume pas, ne boit pas, nage une demi-heure par jour et, le plus important, il a su conserver des relations pacifiques avec les trois épouses qui lui restent ainsi qu’avec ses seize enfants (sans compter Robert, qui est décédé). Depuis vingt ans déjà, la presse spécule sur le jour où le magnat se retirera de la scène et elle tente d’envisager les scénarios de sa succession. “Le sujet est tabou. Les Chinois n’aiment pas parler de ces choses-là “, explique Carlos Monjardino, ami de la famille et ancien secrétaire adjoint de l’Economie et du Tourisme de Macao. Lorsqu’il se rend à Hong Kong, il ne manque jamais de rendre visite au roi de Macao dans la superbe résidence où il vit seul, sans aucune de ses trois femmes. Les deux collectionneurs de Rolls-Royce parlent voitures, affaires et se souviennent du bon vieux temps à Macao. La seule chose dont ils ne parlent jamais, c’est de leur succession. Pourtant, sans révéler ouvertement le nom de celui qui pourra un jour s’asseoir sur son trône, le magnat semble tout de même préparer l’avenir. Il a choisi pour cela une stratégie astucieuse. Au lieu de faire participer ses deux enfants les plus talentueux aux affaires de la SJM, il les a encouragés à suivre leur propre chemin, ce dont il devrait tirer doublement parti : tout en les préparant aux responsabilités de leurs futures fonctions, il réduit les dommages qui pourraient éventuellement venir de la concurrence. Sa fille Pansy, 42 ans, s’est associée au géant américain de la MGM (dirigée par le deuxième plus important patron mondial du jeu, Kirk Kerkorian) et a acheté à son père une sous-concession, qui lui permettra d’ouvrir en 2007 un complexe de 600 chambres et 300 tables de jeu. Quant à son fils Lawrence, 29 ans, il vient d’être placé par Stanley à la tête de Melco International (société d’investissements contrôlée par la Stanley Ho lors de l’inauguration d’un complexe commercial à Shanghai, en décembre 2002. DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Reuters/Max PPP Las Vegas ne lui fait pas peur LES RICHESp14>18 bis 27/07/06 19:11 s Page 15 Reuters/Max PPP N’allez pas croire qu’ils soient tous des héritiers. Au contraire. Les nababs du XXI e siècle nous viennent des économies émergentes, des technologies et des nouveaux produits de la Bourse. Singapour : riche malgré lui Dans son bureau du 61e étage du Republic Plaza, au cœur de Singapour, Kwek Leng Beng expose un kalachnikov plaqué or, cadeau de son partenaire saoudien, le prince Al-Walid, pour fêter leur rachat du Plaza, en 1995. Le magnat singapourien dirige le groupe Hong Leong et possède 88 hôtels dans le monde. Selon le magazine Argent, pouvoir et famille Forbes, sa fortune s’élèverait à 4 milliards de dollars. Lorsque son père, le fondateur de l’empire, l’a appelé pour lui succéder, il a d’abord fui en Malaisie. Finalement, l’héritier est revenu à Singapour pour gravir peu à peu les échelons du groupe avant d’en prendre les rênes, en 1990. “Nasser Al-Khorafi est l’homme le plus riche du Koweït et le deuxième Arabe le plus riche après le prince Al-Walid [voir p. 31]”, indique le quotidien panarabe Al-Hayat. “La valeur boursière de son groupe augmente constamment. Il faut dire qu’il a remporté une bonne part des offres publiques relatives aux infrastructures que le gouvernement COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 15 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 koweïtien a lancées récemment avec l’argent du boom pétrolier.” Ses relations familiales ne seraient pas étrangères à sa bonne fortune : son frère Jassem vient d’être réélu au poste de président du Parlement, qu’il occupe pour le compte de l’émir. Pour l’opposition, il incarne tous les travers d’une classe politique corrompue. LES RICHESp14>18 bis 27/07/06 19:25 Page 16 s e u g n o l s t n e d s le OUZBÉKISTAN LA FILLE DE... famille Ho), qui a fait alliance avec les plus importants investisseurs du secteur en Australie (le groupe PSB) pour acheter à Steve Wynn une sousconcession, au prix impressionnant de 750 millions d’euros. Ce qui leur permettra de construire le premier casino subaquatique de la planète, avec 450 tables et 3 000 slot machines [machines à sous], en plein cœur du territoire de Macao, sur la bande de terre artificielle appelée Cotai, qui relie les îles de Taïpa et de Coloane. Une tactique qui fonctionne : des six concessions et sous-concessions attribuées par le gouvernement de Macao, trois sont restées dans la famille. Selon un économiste portugais, qui a travaillé avec Pansy Ho à Macao, “la continuité du clan Ho dépendra essentiellement de Pansy qui, comme son père,‘possède un don’ pour les affaires et a pris une place de plus en plus importante au sein du groupe, dont elle est devenue la figure clé”. La rivalité entre les épouses du magnat est, elle aussi, sous contrôle, et Stanley Ho a su une fois encore tourner la situation à son avantage. Deux d’entre elles occupent un siège à la table de réunion de la SJM. Angela, la plus jeune et la plus médiatique, avec laquelle Stanley fait parfois des apparitions publiques, est même responsable de la gestion des casinos du groupe. Est-ce à dire qu’elle pourrait prétendre à la succession ? La règle essentielle pour ceux qui veulent rester en lice est de ne pas se laisser dominer par l’ambition. En juin 2004, Winnie Ho, jusqu’alors chargée de la gestion quotidienne des maisons de jeu de son frère, dénonçait dans les colonnes de la Far Eastern Economic Review un système généralisé de blanchiment d’argent, qui permet aux citoyens chinois de faire sortir du pays n’importe quelle somme d’argent, quand Pékin jure que personne ne peut passer la frontière avec l’équivalent de plus de 4 800 euros en poche. Sous la pression des investisseurs américains, habitués à la législation ferme et restrictive de Las Vegas, les autorités chinoises ont profité de l’occasion pour imposer certaines règles en matière de contrôle des flux financiers sur le territoire, instaurant une limite de 52 000 euros à partir de laquelle Le prestigieux casino Lisboa de Macao, propriété historique de la dynastie Ho, inauguré dans les années 1960. tous les clients sont dans l’obligation de s’identifier auprès des casinos. Une loi qui devrait entrer en vigueur à la fin de l’année. Malgré un emploi du temps très chargé sur l’axe Hong Kong-Macao, Stanley Ho conserve des liens étroits avec le Portugal, le pays qui est à l’origine de sa fortune. Le quartier général du casino Estoril [sur la côte lisboète] n’est pas très éloigné de la résidence qu’il possède à Cascais et des deux autres maisons qu’il a offertes à deux de ses femmes, reproduisant ainsi le modèle mis en place à Hong Kong : habiter assez près, mais pas tous ensemble. Cependant, au-delà des maisons de jeu qu’il y exploite, le Portugal représente pour Stanley Ho une nouvelle opportunité, un levier pour la mondialisation de ses affaires. Car l’actuel gouverneur de Macao, Edmund Ho [sans liens de parenté avec Stanley], est en train de faire de ce petit territoire de 27 km2 la plaque tournante de l’exportation des investissements chinois vers les pays lusophones d’Afrique, l’Angola et le Mozambique en tête. Stanley Ho a précisément créé Geocapital pour permettre à des groupes privés chinois de s’installer dans les pays de langue portugaise. En avançant ses pions en Afrique, Ho mise sur deux tableaux : il se lance sur un marché vierge et obtient l’estime personnelle du président chinois, Hu Jintao. Ce sont ces mouvements sur l’échiquier – un pas vers l’intérieur de la Chine et un autre vers l’extérieur – qui pourraient lui servir de solution de repli dans le cas où, contre toute attente, les choses viendraient à tourner mal pour lui à Macao. Pour l’instant, en tout cas, l’échec semble impossible. Soixante et onze ans après avoir vu son père perdre toute sa fortune à la Bourse de Hong Kong, menant ainsi sa famille à la ruine et conduisant deux de ses oncles au suicide, le roi de Macao se prépare à venger le sort du défunt patriarche Ho Kowng. Les analystes estiment que, lorsque sa société entrera en Bourse, avant la fin de cette année, Stanley pourrait encaisser 1,5 milliard d’euros. C’est largement suffisant pour lui permettre de s’adonner, s’il le souhaite, à l’une des pratiques de superstition chinoise les plus enracinées : brûler de l’argent pour attirer la chance lors du passage vers l’autre monde. Stanley Ho, lui, peut en brûler beaucoup. ■ Elle est belle, jeune, intelligente et talentueuse. Diplômée de Harvard et de l’Institut des technologies de l’information de Tachkent, Goulnara (qui signifie “rose” en ouzbek) travaille au début des années 1990 à l’ONU, à New York, où elle rencontre son futur époux, Mansour Maqsoudi, un Américain d’origine ouzbèke. Puis elle enseigne à la prestigieuse Université d’économie mondiale et de diplomatie à partir de 1997, tout en conseillant le ministre des Affaires étrangères ouzbek. En septembre 2003, Goulnara Karimova est accréditée par le ministère des Affaires étrangères russe comme conseiller-ministre plénipotentiaire de l’ambassade d’Ouzbékistan en Russie. A l’occasion de son divorce, les avocats de son ex-mari ont dévoilé quelques aspects de la for tune de Goulnara Karimova. The Independent rapporte que ce patrimoine aurait été acquis à l’occasion de privatisations d’entreprises d’Etat. Ses divers comptes à Genève et à Dubaï abritent 11 millions de dollars, ses bijoux sont estimés à 4,5 millions de dollars, son réseau de magasins de distribution à 10 millions de dollars, ses night-clubs à 4 millions et sa villa dans une station de montagne ouzbèke à 13 millions. Tous ces chiffres sont démentis par l’intéressée. Malgré la mauvaise santé de l‘économie ouzbèke, Goulnara Karimova s’est bâti en quelques années un empire en acquérant des entreprises de son pays, pour certaines via des holdings dont le siège est aux Emirats arabes unis. Elle possède aussi des intérêts dans des entreprises du secteur du coton, de la téléphonie mobile – comme Uzdunrobita, qui compte 150 000 abonnés –, de la publicité, de la restauration et des médias avec le titre Terra Bella, publié depuis 2002 par Terra Group, qui lui appartient. Plus récemment, la fille du président a jeté son dévolu sur le secteur du pétrole ; elle contrôlerait la société Zeromaks, concurrente de la société nationale Uzbekneftegaz. Ce qui a donné l’occasion à un organe de presse russophone de titrer sur la “goulnarisation” de l‘industrie ouzbèke. Mme Karimova, qui possède également des biens immobiliers à Moscou, est une par faite incarnation du contrôle exercé par l’élite au pouvoir sur le milieu des affaires en Ouzbékistan. Selon la Nezavissimaïa Gazeta, la “lady ouzbèke” aurait même créé un système de pouvoir parallèle. Certains voient en elle une candidate parfaite pour la prochaine présidentielle. Micael Pereira, Virgílio Azevedo et Gilberto Lopes (correspondant à Macao) COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 16 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Litsa Sipa Goulnara Karimova, la fille aînée du dictateur de l’Ouzbékistan, s’est bâti une fortune colossale avec célérité. Et sans excès de scrupules. LES RICHESp14>18 bis 27/07/06 19:12 Page 17 Travaille, sois riche et tais-toi Huang Guangyu, roi de l’électroménager, est sans doute la plus grande fortune de Chine. Mais il vit de manière spartiate, dans un modeste appartement de Pékin. LOS ANGELES TIMES (extraits) L ’homme le plus riche de Chine a amassé une fortune de près de 2 milliards de dollars, mais il vit comme un comptable frugal. Quand il quitte sa tour de bureaux de 32 étages, le soir, Huang Guangyu rentre dans le modeste appartement qu’il partage avec sa femme et ses deux filles dans le sud-ouest de Pékin. La folie du golf qui balaie la Chine actuellement le laisse froid, il préfère regarder un peu la télévision. Il déclare ne pas avoir de hobbies. “Je ne sais pas quoi faire d’autre”, confie-t-il. L’ascension de Huang, 36 ans, serait saluée aux Etats-Unis comme une histoire à la Horatio Alger [1832-1899, auteur à succès de romans dépeignant la lutte pour la réussite de jeunes hommes humbles et vertueux]. Mais, en Chine, où la corruption est endémique, beaucoup pensent que les 300 000 millionnaires doivent leur réussite à la bonne vieille méthode traditionnelle : voler les masses. Il est vrai que la République populaire n’a jamais connu d’écart de fortune aussi grand depuis 1949. Pékin doit faire face à une série croissante d’émeutes provoquées par des paysans et des ouvriers pauvres furieux de voir leurs terres et leurs usines tomber aux mains d’entrepreneurs prédateurs. Pour certains intellectuels, le capitalisme est devenu fou et il faut y mettre un terme. “Nous avons beaucoup de riches dont la fortune provient on ne sait d’où. Les autres admirent leur argent mais se demandent s’il est très moral”, confie Victor Yuan, analyste à l’institut de consultants Horizon Survey. “Il faut être riche en silence.” Huang, qui est l’actionnaire majoritaire de la chaîne de magasins d’électroménager Gome Electrical Appliances, connaît l’autre aspect de la fracture sociale. Deuxième d’une famille de quatre enfants, il est né dans un village en majorité catholique près de Shantou, ville côtière de la province méridionale du Guangdong. Dans son enfance, il a eu faim, dit-il. Mais Zeng Changmin, sa mère, le gavait d’histoires – des épisodes de la Bible, mais aussi les aventures de leurs ancêtres qui allaient vendre du sucre et des haricots en Thaïlande. Une parabole semble lui avoir fait forte impression, celle des talents : un maître récompense deux serviteurs qui ont investi l’argent qu’il leur a confié, mais punit le troisième qui a enterré sa pièce. Huang, à la messe, ne priait pas pour devenir riche, mais pour échapper à la pauvreté de son village – 300 familles qui cultivaient du riz et du blé sur de petites parcelles. “Il y avait trois voies possibles pour moi.Aller à l’école, être soldat ou trouver par moi-même un moyen de survivre.” Les études, c’était cher, et l’armée ne voulait pas d’un pouilleux comme lui. A l’âge de 16 ans, il ImagineChina Los Angeles Il craint que ses employés le quittent et occupent “leurs propres collines” part donc avec son frère pour la Mongolie-Intérieure, des jours de train pour aller tenter sa chance à 2 000 kilomètres au nord. Ils y vendent des radios et de petits appareils électriques. L’entreprise ne dure que quelques mois : avec un peu plus de 100 dollars en poche, ils mettent le cap sur les lumières de Pékin. Quand Huang et son frère arrivent dans la capitale chinoise, en 1986, Mao Tsé-toung est mort depuis dix ans et la Chine commence à adopter le capitalisme. Les gens ont le droit de monter des affaires, le revenu augmente et les consommateurs exigent des réfrigérateurs et des machines à laver. “Venir à Pékin a changé ma vie”, confie Huang avec chaleur. Les frères louent une échoppe près de la place Tian’anmen. Comme ils n’ont pas d’argent pour acheter des appareils, Huang entasse des cartons de téléviseurs vides à l’intérieur pour donner l’impression que la boutique est pleine, raconte Liu Honyan, auteur d’une biographie du milliardaire. Quand un client commandait un article, Huang courait l’acheter chez un autre marchand, le rapportait en tricycle et le revendait avec un bénéfice. C’est cette même ruse, disent certains analystes financiers, qui lui a permis, dix-sept ans plus tard, de catapulter son groupe Gome au sommet de la vente au détail chinoise – un secteur de 60 milliards de dollars. Après avoir fondé une chaîne de 120 magasins, il a regroupé les 90 plus rentables Le soir, M. Huang regarde la télévision. “Je ne sais pas quoi faire d’autre”, confie-t-il. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 17 dans une société pour la faire coter en Bourse à Hong Kong. Comme il taisait l’existence des magasins à la traîne, les non-initiés n’ont vu que le côté rose de Gome, explique Wang Jizhou, d’Alliance Investment Consulting, un cabinet de conseil financier de Pékin. Avec les 400 millions de dollars que lui a rapporté cette entrée en Bourse et les 150 millions de dollars de Warburg Pincus, un investisseur privé américain, Huang a plus que doublé le nombre de ses magasins au cours des deux dernières années. Le groupe possède désormais 460 points de vente dans 161 villes et emploie 100 000 personnes. Comme Sam Walton, le fondateur de la chaîne américaine de magasins Wal-Mart, Huang agit sur les prix pour doper ses ventes. Il supprime les intermédiaires et négocie directement avec les producteurs émergents, par exemple Haier, le géant chinois de l’électroménager ; il achète en grande quantité et propose un prix de vente tellement bas que les concurrents ont du mal à suivre. Huang ne s’excuse pas d’avoir réussi. Pour nombre d’observateurs, il n’a pas bénéficié d’un soutien particulier au sein du gouvernement [ce qui n’est pas courant]. Mais ses concurrents l’accusent d’utiliser sa puissance sur les fabricants pour écraser la concurrence. Certains l’appellent “le boucher des prix”. Les fabricants lui reprochent d’être parfois dominateur, tout en reconnaissant qu’il paie ses factures. Les initiés ajoutent qu’il mène la vie dure à ses directeurs, ce qui crée une atmosphère de crainte. Les intéressés n’ont pas souhaité faire de commentaires. Les cartes de visite de Wang Liqun, la directrice du plus grand point de vente pékinois du groupe, comme celles des autres employés de Gome portent au dos trois règles cardinales : n’acceptez pas de cadeaux des clients ; ne prenez pas de pots-de-vin ; ne vous servez pas de votre fonction à des fins d’enrichissement personnel.Tout en bas, il y a un numéro de téléphone qu’on peut appeler pour dénoncer les employés qui se comporteraient mal. Pour Lu Renbo, un analyste, Huang craint que ses employés “ne forment leurs propres cercles de relations,qu’ils n’occupent leurs propres collines, comme disent les Chinois”. Lu attribue en partie le succès de Huang à un bon timing. Il y a quelques années, l’entrepreneur s’est aperçu qu’il pouvait retarder ses règlements aux fabricants, ce qui lui a permis d’investir dans l’immobilier les énormes liquidités dégagées par ses magasins. L’homme aurait ainsi amassé de juteux bénéfices sur un marché en pleine expansion. D’ici aux Jeux olympiques de 2008, Huang espère faire passer le nombre de ses points de vente d’électroménager à 1 000 et atteindre 15 milliards de dollars de ventes annuelles au lieu de 6 milliards en 2005. Il doit cependant faire face à des contraintes juridiques et à une certaine incertitude politique. Même si le gouvernement est ravi de voir des sociétés privées comme Gome créer des emplois et payer des impôts, il subit une pression croissante pour réduire la fracture sociale. Beaucoup voudraient que Pékin prenne aux riches pour donner aux pauvres. Les riches sont souvent décrits comme des adeptes de la fraude fiscale et des escrocs qui travaillent main dans la main avec les cadres du Parti pour rafler les terres et dépouiller les entreprises publiques. Huang se dit lui aussi préoccupé par la fracture sociale chinoise et déclare contribuer à la réduire et non à l’élargir. Il projette de recruter 20 000 personnes de plus cette année. Après vingt ans passés à avancer seul, Huang ne souhaite pas obtenir de faveur spéciale du gouvernement. “J’espère simplement que nous serons traités comme les autres.” Don Lee, avec Cao Jun DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp14>18 bis 27/07/06 19:12 Page 18 s e u g n o l s t n e d s le Leurs roses n’ont pas d’épine Enzo Enea est un artiste des espaces verts. Aux quatre coins du monde, des clients fortunés s’arrachent ses créations. DIE WELTWOCHE (extraits) Zurich Véronique Hoegger P ascal Buholzer a 32 ans, il est banquier et est venu à Schmerikon [sur les rives du lac de Zurich] au volant d’une Jaguar neuve. Au poignet, il porte une montre à 100 000 francs suisses. Il a une question en tête : “Les plantes risquent-elles de dépérir si on verse son cocktail dessus ou si on joue de la musique à tue-tête ?” “Non, dans les deux cas, vous n’avez rien à craindre”, assure Enzo Enea, le paysagiste qui lui aménage une terrasse de 240 mètres carrés à Küsnacht, près de Zurich. Le client repart satisfait. Mais ce n’est là qu’une terrasse. Aux murs du bureau d’Enzo Enea, des plans montrent des parcs privés de plusieurs milliers de mètres carrés dont l’aménagement a coûté une fortune. Il fallait y intégrer aires d’atterrissage pour hélicoptère, villas gigantesques, orangeries modernes, jeux d’eau futuristes… Enzo Enea attire notre attention sur la photo d’une petite maison au charme romantique, perchée dans un arbre. “C’est l’une de mes plus belles réalisations”, confie-t-il, lui qui aime tant l’authenticité. Le paysagiste pionnier le plus riche de Suisse emploie 450 personnes, soit 448 de plus que lorsque son père a repris l’affaire, il y a quinze ans. Enea junior, 41 ans, mène actuellement soixante-dix projets de front en Suisse et à l’étranger. Et quand ce perfectionniste déclare qu’il “suit de près” ses dossiers, cela signifie aussi qu’il “suit de près” son exigeante clientèle. Enzo Enea a planté quatre mûriers devant la maison d’une cliente qui collectionne les somptueuses étoffes de soie. Les branches de ces arbres forment une tonnelle, où les vers à soie se nichent au début de l’été. “Théoriquement, la maîtresse des lieux pourrait dérouler les cocons, installée sous sa tonnelle, et produire ses étoffes maison”, explique Enea. Il défend ses idées de création avec l’aplomb du convaincu. Il a un jour persuadé un client de retirer son Picasso au profit d’une plante exotique qu’il s’était procurée à Kyoto. Un placement autant qu’une œuvre d’art. Enzo Enea a réussi à faire déplacer des piscines parce qu’elles perturbaient la géométrie d’un jardin et son sens de l’esthétique. Cette star du jardinage sait éviter tous les désagréments : les arbres qui perdent leurs feuilles, les rosiers qui ont des épines, les eaux stagnantes qui attirent les moustiques. Pour lui, les paradis de verdure dans lesquels des jardiniers zélés désherbent, taillent, binent, arrosent et regardent croître leur empire vert pendant des décennies, c’est de l’histoire ancienne. Ses jardins sont le fruit de la logique et d’une planification minutieuse : haies assorties à l’architecture de la maison, symétrie des espaces, chemins et platesbandes, arbres disséminés et domestiqués, espaliers taillés à la perfection, fleurs rares savamment choisies pour éclore les unes après les autres. Cette verdure facile à entretenir est exactement ce que recherche sa clientèle amatrice de design. Ses clients favoris sont les chirurgiens. Chez eux, pas de blabla qui tienne, ils aiment la précision et la méthode. Le carnet d’adresses d’Enzo Enea est rempli de noms célèbres issus du showbiz, de l’aristocratie fortunée et de la bourgeoisie d’affaires. On trouve ses jardins par centaines (environ 700) sur la riviera du lac de Zurich et partout où se dressent de somptueuses villas et où se créent de luxueux quartiers résidentiels : en Russie, en Inde, en Chine, en Arabie Saoudite. Mais si l’entreprise est en pleine expansion, c’est aussi parce que les propriétés de famille passent aux mains des héritiers. “Les anciens plantaient des tomates et adoraient le granit brut : c’était la sensibilité typique du [canton du] Tessin”, explique Enzo Enea. Les jeunes géné- Le must d’Enzo Enea : concevoir des jardins design et sans entretien où les arbres ne perdent pas leurs feuilles. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 18 rations sont hédonistes ; elles sont moins économes et considèrent qu’un espace vert est un lieu de vie et non un camp de travail. Il suffit d’accompagner Enzo Enea sur la rive droite du lac de Zurich dans sa Range Rover pour s’en convaincre. Tous les 200 mètres, il bifurque soit vers le lac, soit vers la colline. Ici vers un jardin japonais, là-bas vers le jardin classique d’une demeure patricienne. Et ce pionnier continue d’avancer. Les jardins tendance d’après-demain voient le jour dans son laboratoire de Schmerikon : les paysages de tourbières, les jardins riches en herbes aromatiques aux vertus curatives, les biotopes qui attirent les papillons, les pins et les ifs taillés en sculptures extravagantes. On y trouve aussi ses accessoires préférés : un mur antique provenant d’une ancienne orangerie française acheté aux enchères chez Sotheby’s pour le prix d’une Porsche, un chalet qui servait jadis d’abri aux cerfs, les parterres de roses qu’il a créés lors de la venue du prince Charles. Mais rien de cela n’est à vendre. DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Franziska K. Müller LES RICHES p19 OK-2 27/07/06 20:17 Page 19 Lâchez vos millions de luxe u e p n u , e ond idées s e u Dans ce m q l e u q s. Voici a p t i u n e n tendance… ros 43 900 eu nat et diamants Versace AFP carats, gre réé Or blanc 18 e pendentif c ell c : s c n la b t noirs e eo Fenn r londonien Th par le joaillie avec t disponible n e m le a g é st e ts or et diaman sa chaîne en s. à 8 800 euro 7 860 000 ons 23,8 milli d’euros euros* 0 vélos on 50 00 ir v n e it o S me. de touris de venu si commun ! st vé Le jet pri e shion même fa r e st faire Pour re vous pouvez dans les airs,tella Versace, qui appel à Donas le design personnalisé se lance dan d’avion. des intérieurs it terne, portra i, est Jeanne Hébu lian ne de Modig de la compag ison des la dernière sa e d rd o c re lash, le nnes. The Sp ie n o d n lo s te mains ven a changé de y, e n k c o H d vi de Da ons ent 4,3 milli pour seulem juin, plus ois jours de d’euros. En tr ’euros ont ns d de 400 millio urs. par les amate s sé n e p é d été * 730 euros s 5 250 euro nne pour um par perso b im in m x ri p Le Ara hôtel Burj Al- let pour l’ à it u n e n u va pt étoiles, un de Dubaï. Se u linge de toilette ,d chaque suite vue imprenable e n u t e AraboHermès e leues du golf b x u a sur les e Persique. Sipa lait deux affite 1996 va Ce château-l y a un an à Londres. fois moins il pour les grands crus Mais le goût russes et chinois fait des magnats rix. Vous pouvez vous monter les p une caisse de châteaurabattre sur eur à 8 700 euros. ausone prim AFP 124 euros COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 Selfridges onald… ation de McD C’est une cré le chef cuisinier ald, Scott McDon n londonien asi g du grand ma is, foie bœuf japona Slefridges : e rd, mayonnais x, gras de cana eau ire, brie de M uge o n e ff u tr la à ro fit de poivron roquette, con ates olivettes, , tom et moutarde vain. un pain au le le tout dans 19 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp20-21 ter 27/07/06 19:35 Page 20 s e u g n o l s t n e d les Le mien, c’est le plus grand PANORAMA Milan U n mégayacht est un hôtel cinq étoiles flottant où le seul qui paie est l’ar mateur.” Paroles de Massimo Gatti, entrepreneur, financier et amoureux de la mer qui, jusqu’à il y a peu, sillonnait la Méditerranée avec le Toi et Moi, un yacht de 42 mètres pouvant accueillir 10 invités et 8 membres d’équipage. Aujourd’hui, il l’a vendu et il attend que les chantiers Navalia de Viareggio lui livrent un langoustier de 75 pieds (22,5 mètres). Gatti est sorti, du moins pour quelque temps, du jeu de “celui qui a la plus grosse” (embarcation, bien sûr) et a lancé la mode des langoustiers, imité rapidement par Marina Berlusconi, présidente de Fininvest, et par l’ancien ministre Lucio Stanca. Mais il avoue que, lorsqu’il prendra sa retraite, il cherchera “un bateau de 50 mètres pour se promener sur les mers du globe six mois par an”. Comme celui que Carlo de Benedetti avait acheté, en 2000, à un ministre des Finances américain, un brise-glace de 55 mètres transformé en 1985 en yacht de luxe. Avec l’Itasca, l’“Ingegnere” a fait le tour du monde et a offert de grandes croisières à ses amis. Diego della Valle, patron de la marque Tod’s, n’a pas résisté non plus : sa flotte, formée du Marlin, l’élégant canot à moteur de John Kennedy, et du Candida, un voilier des années 1930, s’est agrandie avec l’Altair 2, une coquille de noix de 64 mètres qui, lorsqu’elle est en rade à Capri, fait de l’ombre aux ferries. Flavio Briatore, directeur général de Renault F1, est un autre adepte du club. Amoureux de ses bateaux, il les appelle toujours Lady in Blue. Le premier, il l’a vendu ; le second, il ne l’a gardé qu’un an et l’a laissé à un Français trop pressé pour attendre les trente-six mois de délai de livraison demandés par le chantier, en empochant au passage un bénéfice substantiel. Briatore a réinvesti la somme pour transformer un remorqueur de haute mer de 65 mètres. Ça a dû lui coûter sacrément cher, mais sûrement moins que les 135 millions de dollars que Roman Abramovitch a dépensés pour faire restaurer ses yachts. L’homme d’affaires russe, célèbre depuis qu’il a acheté l’équipe de foot britannique de Chelsea, est très critiqué par la presse de son pays, qui a calculé qu’avec la même somme, il aurait pu donner à manger pendant six mois aux 60 000 habitants de la Chukotka, la région de la Sibérie dont il est le gouverneur. Mais Abramovitch, sourd à la douleur humaine, a équipé le Pelorus (115 mètres) d’un mini-sous-marin pour fuir en cas d’attentat. Des mensurations bien loin de celles qu’apprécient les super-riches italiens qui, du moins pour le moment, se contentent de rester dans les limites des 40 à 60 mètres. En partie parce que “au-delà de 100 mètres, on ne peut entrer que dans des ports comme celui de Gênes ou de Naples, et nos armateurs n’aimeraient guère être au mouillage au milieu des pétroliers”, explique Norberto Ferretti, président du groupe synonyme qui rassemble quelques-uns des constructeurs navals italiens les plus prestigieux. “Si on veut profiter de son bateau avec sa famille, 30 mètres sont plus que suffisants, explique-t-il. Mais si on veut recevoir et donner des fêtes, il faut alors voir plus grand.” Le styliste Roberto Cavalli, lui, s’est contenté d’un Baglietto de 41 mètres, Rc Freedom, dont la peinture bleue change de couleur selon la lumière, et qui a été meublé en style léopard, comme son Zodiac de 18 mètres. Les menaces de crise et de récession n’y font rien : les mégayachts font fureur. “Il y a, dans les chantiers italiens, 249 mégayachts. Ils représentent 38 % du marché mondial”, précise Roberto Vitelli, président de l’Ucina (l’association des constructeurs navals). Le secteur est en pleine expansion. La flotte mondiale des bateaux de plus de 30 mètres – 200 unités en Déco intérieure en léopard, coque irisée et Zodiac assorti… 1980, 900 en 1992 – compte aujourd’hui plus de 2 500 unités, et les commandes affluent. Une manne pour le marché, comme le confirme Alberto Amico, président du chantier Amico & Co de Gênes, spécialisé dans la remise à neuf de yachts de 20 à 100 mètres. En ce moment, le chantier travaille aux finitions du MirabellaV, le sloop le plus grand du monde, une coque de 75 mètres et un mât de 90, propriété de Joe Vittoria, l’ancien patron d’Avis. On y restaure aussi le Dauphine, le yacht à vapeur de 80 mètres construit en 1921 sur lequel furent signés les accords de Yalta en 1945. “75 % de la flotte des maxis, explique Amico, navigue l’hiver dans les Caraïbes et l’été en Méditerranée.” Mais attention : ce ne sont pas toujours les propriétaires qui sont à bord, car le coût de l’entretien de ces yachts est astronomique. Selon Amico, il représente en moyenne 10 % de la valeur du bateau. La location est donc bienvenue pour amortir les frais. La star la plus récente de la finance italienne, le promoteur immobilier Stefano Ricucci, a passé commande d’un bateau à moteur ultrarapide, le Mangusta, mais pour les vacances il a loué un yacht confortable de 50 mètres, tandis que ses deux associés ont été vus sur un Pershing gris bleu de 26 mètres et sur un Benetti de 14 mètres. Mais ils pourront sans doute difficilement résister à l’envie de grimper aussi à l’échelle du “yacht-o-mètre”. C’est le jeu, comme le rappelle Norberto Ferretti, où “on peut être convaincu d’être en possession du plus gros bateau du monde, mais tôt ou tard on arrive dans un port où mouille un plus gros que le sien”. Damned ! Damiano Lovino L’Octopus, le yacht de Paul Allen, un des fondateurs de Microsoft : 126 mètres de long, équipé d’un hélicoptère et même d’un sous-marin. RUSSIE ET EN PLUS, IL FLOTTE ! Antonov/AFP Un yacht de moins de 40 mètres ? Mesquin. A voiles ou à moteur, qu’importe, pourvu qu’il surpasse celui du voisin de ponton. Le marché des mégayachts va bien, merci. ■ Roman Abramovitch possède – entre autres choses – trois yachts de grand luxe, dont deux se classent parmi les dix plus grands du monde : le Pelorus (ci-dessus) , 115 mètres, et Le Grand Bleu, 108 mètres. L’entretien de l’ensemble de sa flottille lui coûterait une soixantaine de millions d’euros par an. Le Pelorus dispose de cabines pour 22 invités, COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 de vitres à l’épreuve des balles, d’une piscine couver te, d’un système de détection de missiles et de deux emplacements pour hélicoptère. Il a été lancé en 2003, pour le compte d’un cheikh saoudien, et acheté peu après par Roman Abramovitch. L’équipage ne compte pas moins de 46 personnes, capables d’assurer un niveau de service qu’on 20 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 ne trouve dans aucun des palaces de la planète. Depuis le milieu des années 1990, le nombre d’heureux détenteurs de ce genre de merveilles flottantes a plus que doublé. On compte aujourd’hui de par le monde près de 7 000 yachts de luxe, appar tenant surtout à des Américains. Igor Iavlinski, Izvestia, Moscou 27/07/06 19:35 Page 21 Rex-Sipa LES RICHESp20-21 ter Un peu de plaisir et bien du tracas Pour les milliardaires russes, posséder plusieurs embarcations de taille est une obligation. Coûteuse, certes. IZVESTIA (extraits) Moscou armi les dix plus grands yachts de luxe du monde, on trouve d’abord le Project Platinium (160 mètres) du cheikh Al-Maktoum [l’émir de Dubaï, décédé en janvier], suivi du Rising Sun (138 mètres) de Larry Ellison [le patron d’Oracle], et de l’Octopus (126 mètres) de Paul Allen [cofondateur de Miscrosoft]. Cette liste comporte aussi deux navires appartenant à Roman Abramovitch [milliardaire russe du pétrole qui vit à Londres, où il possède le club de foot de Chelsea]. En juin, le Pelorus (115 mètres) était à l’ancre au large de l’Allemagne, à proximité de Lübeck, pour la Coupe du monde. L’oligarque avait envoyé à Moscou Le Grand Bleu, un 108 mètres, pour l’offrir à Evguéni Chvidler [président de Sibneft, associé et ami d’Abramovitch], un cadeau évalué à 114 millions de dollars. Offrir un yacht est un cadeau empoisonné, car il coûte un dixième de son prix par an en entretien. Chvidler devra ainsi débourser de 10 à 20 millions de dollars. L’équipage doit se monter au minimum à P 25 personnes, soit autant de salaires à l’année. Le problème principal, ce sont les réparations. Comme le disent les propriétaires expérimentés, quand on a un yacht, on fait plus d’entretien que de croisières. Les milliers de pièces qui le composent nécessitent un nettoyage permanent. La seule dépense que Chvidler pourra éviter est celle d’un emplacement dans un port : l’éléphantesque Grand Bleu est trop grand pour Saint-Tropez ou pour le Port Hercule de Monaco [une place dans ces ports coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros par jour]. S’il se décidait à le louer, il pourrait en retirer jusqu’à 1 million de dollars par semaine. Même les milliardaires ne rechignent pas à ce genre de pratique, à l’instar de Mouna Ayoub, propriétaire du Phocéa, ou de Mohamed Al-Fayed. Mais cela ne va pas sans risque. Des compatriotes fortunés qui ont souhaité rester anonymes m’ont ainsi confié leur mésaventure : “Une fois riches, nous avons acheté un yacht, comme tout le monde. Un automne,nous étions à Londres,et notre bateau mouillait dans un port français. Nous versions ponctuellement les salaires du capitaine et de l’équipage. Et un beau jour, notre mère ouvre un magazine chez le coiffeur, et que voit-elle ? Incroyable ! Planté sur la poupe qu’elle connaissait si bien, Johnny Hallyday ! Nous avons scruté les photos à notre tour, pas d’erreur, c’était notre bateau, il n’y en a pas deux comme celui-là ! Le fin mot de l’histoire, c’est que le capitaine avait eu l’idée de se faire un peu d’argent de poche, et il avait loué notre bateau en douce,pour son compte...” C’est sans doute cela qui fait dire aux Américains que le COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 21 meilleur système, pour tout ce qui vole, navigue ou fait l’amour, c’est la location. Mais il faut être bien mesquin pour se soucier de rentabilité. Les Russes n’aiment pas mégoter. “Abramovitch a beaucoup de bateaux”, m’a expliqué un loup de mer, qui est aussi un loup du business russe. “Que voulez-vous qu’il en fasse ? Des conserves ? Les vendre ne serait pas bon pour son image. Pour s’en débarrasser, il est obligé de les offrir. Le plaisir suprême n’est pas de naviguer, c’est de commander un nouveau yacht, toujours plus classe.” Quand on a une villa sur la Côte d’Azur, une résidence dans la Roubliovka [le quartier chic et cher de Moscou], une Ferrari, un yacht à Port Hercule et que la corne d’abondance ne tarit pas, il faut, pour éponger les liquidités, avoir aussi un yacht à Moscou. Mais il est impossible d’y naviguer, la belle saison est courte, la profondeur insuffisante, alors les gros navires restent à quai et enrichissent les patrons de yacht-clubs. Pour que les plaisanciers frustrés puissent faire prendre l’air à leurs joujoux un festival nautique a été créé sur la Moskova, sous l’impulsion de Roman Trotsenko, l’“oligarque de la plaisance”. Cette année, tous les hôtes devaient être vêtus de blanc, mais, parmi les 2 000 privilégiés qui assistaient à cet événement mondain accompagné d’un concert du groupe Scorpions, les véritables propriétaires de yachts, comme les acquéreurs potentiels, étaient rares – on a en tout cas pu apercevoir Vladimir Jirinovski, le banquier Alexandre Pliouchtchenko, le mécène Alimjan Tokhtakhounov, ou le cinéaste Fiodor Bondartchouk. Bojena Rynska DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp22-23 27/07/06 19:40 Page 22 s e u g n o l s t n e d s le Réservé aux abonnés William Cash – cela ne s’invente pas – édite un magazine pour les millionnaires. Au sommaire : “La déco de votre jet” ou “Choisir les diamants”. DER SPIEGEL Hambourg A ttablé dans un café de Notting Hill, à Londres, un homme nerveux, bien habillé, raconte qu’il a mis plus d’un an pour établir une liste et que cela lui a coûté 60 000 livres. Il la cache mais, parfois, il en montre des extraits à ses clients, qui promettent de garder le silence. Cette liste contient 40 000 noms, adresses et numéros de portable : une sorte de registre des puissants de ce monde, de l’ordre secret des riches et des superriches. C’est en tout cas ce que prétend William Cash (ce n’est pas un pseudonyme), 39 ans, éditeur. Ce mec est peut-être un génie, ou bien il est timbré. Grand, bien en chair, il s’essuie le front et se lance. Sa grande affaire, ce sont les 184 milliardaires d’Europe, des dizaines de milliers de multimillionnaires, les héritages, l’argent frais des Etats-Unis et de la Chine, trois continents et une nouvelle génération richissime venue de tous pays… Un monde merveilleux, non ? Mais qui a ses problèmes : n’est-il pas fatigant de réunir une collection de bijoux digne de ce nom ? de chercher des Picasso, des Monet, des Baselitz ? de s’offrir jets, Ferrari et vignobles français ? On risque sans arrêt de se faire kidnapper. Par exemple, le yacht jette l’ancre à Beyrouth, on sort pour se dégourdir les jambes et on se fait immédiatement enlever par deux fous djihadistes – tout ça parce qu’on a voulu économiser sur la “sécurité personnelle”. Ou bien : le divorce n’est pas prononcé que votre épouse devient subitement cupide, exige la moitié de vos milliards, aïe ! On en ressort plus malin, mais trop tard.William Cash fait une pause et respire profondément. Manifestement, l’idée de perdre la moitié d’une fortune colossale le consterne. Et vous, monsieur Cash, vous pouvez aider les milliardaires ? “Vous voyez, les riches ont des moyens extraordinaires, mais ils doivent également porter des fardeaux extraordinaires. C’est pourquoi il leur faut une offre particulière : c’est une niche de marché, comme les homosexuels ou les écolos convaincus, ou que sais-je encore.” Et vous, monsieur Cash, êtes-vous très riche ? “Moi ? Eh bien, euh… j’ai quelques biens…” Par exemple, êtes-vous multimillionnaire ? “Eh bien, ma femme est une Bulgari.Vous savez, les montres, les bijoux… Mais je ne suis pas richissime, non. Je ne joue pas dans la même division que ces gens-là, malheureusement.” Il remue son latte macchiato, l’air contrarié. Pour un peu, on voudrait le consoler – on peut s’en sortir même sans milliards, personne n’est parfait. “Vous savez, j’ai une collaboratrice,Wendy Coumantaros, une femme exceptionnelle. C’est la fille d’un armateur grec et JAPON NOMADE FISCAL d’une directrice d’entreprise industrielle française. Paris, Londres, NewYork,Athènes : elle connaît ces villes. Ce que je veux dire par là, c’est qu’elle a les meilleures fréquentations.” Oui. Et alors… ? “C’est moi qui l’ai eue.” Il y a un an environ, William Cash a estimé qu’il devait avancer. Enfin, ce ne sont pas vraiment les mots qu’il a employés. Mais William Cash a bénéficié d’une formation de première qualité – écoles privées, études à Cambridge, diplôme en littérature anglaise. Fils d’un avocat et député conservateur, il peut distinguer un vrai saphir d’un faux et passe pour un connaisseur des opéras de Purcell. Pourtant, il y a quelque chose qui a coincé et il est devenu journaliste. Au début des années 1990, il s’est installé à Los Angeles, travaillant pour le quotidien londonien The Times. Il a écrit des articles sur O.J. Simpson et sur les émeutes, publié des livres et est revenu dix ans plus tard en Grande-Bretagne, tout bronzé. Il a commencé à l’Evening Standard et s’est spécialisé dans la noblesse d’argent. Accessoirement, il s’occupait de la partie rédaction d’Annabel’s, un magazine destiné aux membres de clubs londoniens (pour lesquels le qualificatif de “snob” serait encore trop faible).William Cash rédigeait des articles sur des futilités étudiées, des textes fleurant bon le “rien”. Les choses allaient plutôt bien, mais, entouré d’autant d’argent et de pouvoir, il se demanda s’il ne se trouvait pas dans une impasse. Il lui fallait une idée. Tout l’or du monde était entre les mains des riches et le problème, c’est qu’ils croyaient qu’ils avaient déjà tout. Qu’est-ce qu’ils n’avaient pas ? Que pouvait-on leur proposer ? “Des informations, lance William Cash, des informations qu’ils ne trouvent nulle part ailleurs et qui correspondent exactement à leurs besoins.” C’est ainsi qu’a vu le jour Wealth Management Survey, l’organe central du pouvoir de l’ombre. Il regorge de publicités pour l’immobilier, les gardes du corps, les bijoux, les banques privées et les jets privés, ainsi que d’articles sur l’immobilier, les gardes du corps, les bijoux, les banques privées – et sur ce qu’il faut savoir avant d’acheter une livre de diamants. William Cash a installé sa nouvelle rédaction dans 80 mètres carrés à Notting Hill, à côté d’un magasin d’objets d’occasion, en haut de sept marches raides : il y a entassé des bureaux et douze ordinateurs dans les petites pièces, a engagé des maquettistes, des stagiaires, des rédacteurs et des dessinateurs. Puis il s’est mis à rechercher des annonceurs en proposant des prix imbattables. L’entreprise fonctionne au mieux, “car nous avons la liste”. Pour recevoir le magazine, il faut figurer sur cette liste et donc disposer d’une fortune de 5 millions d’euros (10 millions, c’est mieux), déduction faite des biens immobiliers. Le titre n’est pas disponible en kiosque, “car les milliardaires se rendent rarement chez le marchand de journaux”. William Cash est peut-être cinglé, peut-être génial. Un jour, il se retrouvera peut-être sur sa liste. Et le reste du monde ? Est-ce que les gens normaux peuvent acheter et lire Wealth Management Survey ? “Les gens normaux ?” s’étonne-t-il en ouvrant de grands yeux. “Non. Pour quoi faire ?” Ralf Hoppe Le bien le plus précieux de la rédaction : la liste de tous les riches de la planète COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 22 Au Japon – comme en Europe –, les grandes fortunes émigrent pour payer moins d’impôts. ans un gratte-ciel de Manhattan qui donne sur les pelouses de Central Park, le président d’un groupe immobilier de la région de Tokyo coule des jours heureux. Pour payer moins d’impôts, cet homme de 63 ans a choisi d’être un “voyageur permanent” en se rendant d’un pays à l’autre : c’est ainsi qu’il passe son sixième été à New York. “Le Japon, toujours en quête d’égalité, est un pays qui néglige les riches. C’est la raison pour laquelle nous, les riches, par tons à l’étranger”, raconte-t-il. Chaque matin, peu avant 7 heures, lorsqu’il fait son jogging à Central Park, il aime bien échanger des saluts avec les gens qu’il croise. A midi, il se rend à son cours d’anglais ou rejoint des amis. “Ici, les disparités créées par la compétition génèrent de la vitalité, poursuit-il. Les riches sont respectés et profitent librement de leur richesse.” Tous les ans, cet homme séjourne à New York de juin à août. Il rentre ensuite au Japon, puis, pendant l’hiver (de décembre à mars), il réside à Hawaii, où il possède un appartement. Il paie l’impôt sur le revenu au Japon, mais déclare ses séjours aux Etats-Unis pour ne pas avoir à payer la taxe d’habitation, qui n’est redevable que lorsqu’on a occupé le lieu le 1er janvier. Il prend soin également de séjourner au Japon moins de cent quatre-vingt-deux jours par an pour bénéficier du statut de non-résident, ce qui réduit le montant imposable. Par ailleurs, les contribuables japonais qui ont leur for tune à l’étranger peuvent échapper aux droits de succession et à la taxe sur les donations si eux-mêmes et les bénéficiaires sont non-résidents depuis plus de cinq ans. Aujourd’hui, cet homme “voyage” seul, mais, à terme, il envisage de s’installer avec sa femme dans un pays où il n’y a pas d’impôt sur la succession et les donations, afin d’y léguer sa for tune à sa famille. Dans un quar tier résidentiel situé à quinze minutes de voiture du centre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, un Japonais de 54 ans a lui aussi choisi de devenir un “voyageur permanent”. Depuis, il prend son café sur des terrasses donnant sur la mer et, les jours de beau temps, joue au golf ou se promène dans une voiture de luxe italienne. A la mi-juillet, il s’est envolé pour la Thaïlande. “J’y passerai plusieurs mois avec un visa de tourisme. Après quoi je ferai un tour au Japon et à Hawaii, et je retournerai en Nouvelle-Zélande sans doute l’an prochain”, raconte-t-il. En son absence, il confie la garde de sa maison d’Auckland à son fils, qui a émigré avec lui et ouver t une quincaillerie. Cet homme a bâti sa for tune sur l’île de Shikoku en travaillant lui aussi dans l’immobilier. Il fut un temps où il pensait que les impôts qu’il payait étaient utiles à sa région, qui investissait dans l’éducation et le réseau routier. Mais, avec la détérioration de la situation financière de l’Etat, la par t des recettes allouées aux collectivités locales a diminué, et les disparités avec Tokyo n’ont cessé de se creuser. Jugeant que les villes de province n’avaient plus d’avenir, l’homme s’est installé il y a quatre ans en Nouvelle-Zélande, où les taux d’intérêt sont élevés. “Ici, il est normal de réduire ses charges fiscales au minimum et de profiter de sa for tune, af firme-t-il. Je ne fais plus confiance à aucun Etat et je me débrouille par mes propres moyens.” Les riches déser tent aujourd’hui le Japon. Mais, s’ils ont ce choix, n’est-ce pas parce qu’ils ont fait for tune ? Asahi Shimbun, Tokyo D DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp22-23 27/07/06 19:45 Page 23 Nourrices de leurs enfants Dans un éditorial surprenant, un site chinois explique pourquoi le retour des nourrices allaitantes est un indicateur de la fracture sociale. ZHEJIANG ZAIXIAN (extraits) Pékin lors que, depuis plus d’un demi-siècle, elle était pratiquement tombée en désuétude, l’expression “nourrice allaitante” réapparaît dans certaines régions de Chine. Les emplois de “nourrices allaitantes professionnelles” d’aujourd’hui, qui touchent pour leur travail peu pénible des salaires équivalents à ceux des cols blancs, suscitent un grand intérêt, mais leur cas a déclenché un véritable débat moral en certains endroits, notamment dans la province [côtière] du Zhejiang. Si l’on compare le travail accompli par une nourrice et celui effectué dans un “atelier de la sueur et du sang” [sweatshop], on peut dire que le premier est beaucoup plus agréable. En échange du lait donné au bébé et de quelques tâches ménagères simples, les nourrices peuvent “jouir” chaque jour de bons petits plats mijotés, riches en valeur nutritive. Quant à leurs appointements mensuels – plusieurs milliers de yuans –, ils sont l’équivalent des revenus d’un manœuvre d’origine rurale en un semestre ou d’un agriculteur en une année. Certes, ces mères ne peuvent pas rester aux côtés de leur propre enfant pour l’allaiter, mais ce dernier “peut très bien être nourri à la bouillie ou au lait en poudre” ; quant à l’argent qu’elles gagnent, “c’est pour lui assurer une vie meilleure plus tard”. Certains estiment qu’en vendant leur lait ces nourrices perdent le droit à disposer d’une partie de leur corps, même si, sur le plan de la dignité, elles se situent sur un pied d’égalité avec leur employeur. Je pense qu’il ne s’agit pas exactement cela. Ainsi, dans la littérature, la nourrice de Jia Lian du Rêve dans le pavillon rouge peut manger à la même table que son “fils de lait”. “L’économie de la nourrice” peut China Photos/AFP A également être considérée comme un bon moyen de rapprocher riches et pauvres. D’un côté, la classe des “enrichis en premier” dispose des ressources lui permettant de se payer une nourrice et ressent le besoin de le faire ; d’un autre côté, les salaires élevés proposés poussent une multitude de femmes vers ce nouveau métier, à tel point que le marché des nourrices professionnelles est plein d’avenir. Comme le pensait l’économiste britannique [et prêtre anglican] James Townsend, l’existence des pauvres répond à une loi naturelle. C’est parce qu’il Gare de Chengdu (Sichuan). Des membres du Groupement des employées de maison du Sichuan en partance pour Pékin. y a des pauvres que l’on trouve des gens “pour remplir les fonctions les plus serviles, les plus sales et les plus vulgaires de la communauté. […] Les personnes plus délicates sont ainsi libérées de ce dur travail et peuvent vaquer à des tâches plus élevées sans être dérangées.” Quelles que soient les incitations, il n’y aurait sans doute pas, si les disparités sociales n’étaient pas aussi importantes, autant de jeunes femmes désireuses d’aller nourrir de leur lait un petit être complètement inconnu en abandonnant leur propre bébé pleurant de faim. En fait, cette situation présente surtout l’avantage de permettre de juger directement de l’étendue du fossé entre pauvres et riches à travers l’essor ou le déclin de l’activité économique de nourrice allaitante. Fan Yanbing AFRIQUE DU SUD NOIRS ET MILLIONNAIRES D’une étude à l’autre, on voit grossir le nombre des Noirs fortunés, constate le Sunday Times de Johannesburg. ’est essentiellement grâce au Black Economic Empowerment (BEE), programme d’émancipation économique destiné aux Sud-Africains noirs, que le pays compte depuis l’année dernière 5 880 nouveaux millionnaires en dollars. “En 2005, la croissance des millionnaires en dollars en Afrique du Sud a été phénoménale : 15,9 %, bien au-dessus du taux mondial de 6,5 %”, souligne Patrick McLaughlin, le porte-parole aux Etats-Unis de Capgemini, à l’origine avec Merrill Lynch du World Wealth Report [Rapport mondial sur la richesse]. Les nouveaux millionnaires ont rejoint les C rangs des superriches sud-africains, parmi lesquels les hommes d’affaires milliardaires Jonathan Oppenheimer, Johann Ruper t, Patrice Motsepe et Tokyo Sexwale. Ces nouveaux entrants viennent de faire passer le nombre de Sud-Africains millionnaires en dollars à 42 883, selon les chiffres du rapport, contre 25 000 en 2002. Parmi les nouveaux élus, on compte des promoteurs immobiliers, des courtiers en Bourse, des investisseurs immobiliers ou encore des experts en technologies de l’information, mais aussi d’anciens fonctionnaires et des hommes politiques proches de l’ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir. Toujours selon le rapport 2006 de Capgemini et Merrill Lynch, le continent africain compte 83 000 millionnaires en dollars, qui totalisent une fortune de 800 milliards de dollars [630 milliards d’euros], et la moitié d’entre eux vivent donc en Afrique du Sud. Le pays se classe quatrième sur la liste des pays enregistrant la croissance la plus rapide des millionnaires, derrière la Corée du Sud, l’Inde et la Russie. Le magnat de l’exploitation minière Mzi Khumalo, l’un des premiers bénéficiaires du phénomène, aurait engrangé 1 milliard de rands [112 millions d’euros] dès 2002 au cours d’une seule opération. Patrice Motsepe, jadis lui aussi dans l’extraction, a amassé en dix ans autant d’argent que Raymond Ackerman, le PDG de la chaîne de magasins Pick’n Pay, en quarante années de labeur. Pour l’économiste de Johannesburg Mike Schussler, c’est la solidité du rand qui a permis à de nombreux Sud-Africains de devenir millionnaires : en COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 23 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 2002, explique-t-il, il fallait 9,5 millions de rands pour avoir 1 million de dollars, contre 6,4 millions en 2005. “Sans compter le dynamisme du marché des actions et la hausse de l’immobilier, grâce auxquels beaucoup d’avoirs financiers et de portefeuilles d’investissement se sont envolés”, ajoute l’économiste. Les Sud-Africains qui ont accumulé une fortune ne sont pas tous dans les affaires. L’ancienne star du foot, Lucas Radebe, engrange ainsi près de 1 million de livres [1,5 million d’euros] par an depuis qu’il est capitaine du club anglais de Leeds United. Et le champion sud-africain de cricket Makhaya Ntini, qui a débuté sa carrière il y a plus de dix ans, devrait gagner cette année quelque 1,5 million de rands [170 000 euros]. Simpiwe Piliso, Sunday Times, Johannesburg LES RICHESp24>27 27/07/06 19:48 Page 24 s r u œ c s d n a r g les En Floride, le fondateur de Domino’s Pizza a décidé de consacrer sa fortune à l’édification d’une ville entièrement catholique. Elle répondra au doux nom d’Ave Maria et le préservatif n’y aura pas droit de cité. Maria. Selon la rumeur, seuls les catholiques auront droit de cité dans la ville et tout média vantant les plaisirs de la chair y sera censuré.Tom Monaghan compte en effet contrôler tout ce qui sera vendu dans la ville, empêcher les chaînes de télévision d’y diffuser des émissions interdites aux moins de 18 ans, les marchands de journaux de proposer des magazines pornographiques et les pharmacies de vendre des contraceptifs. Celui que l’on surnomme “le pape de la pizza” ne peut s’en prendre qu’à lui-même si de telles rumeurs circulent autour de son projet. Certes, il reste mesuré dans ses déclarations publiques, mais il n’a pas THE INDEPENDENT Londres Photos Ave Maria/Sipa U n beau jour, alors que le soleil de Floride aura dardé ses premiers rayons, votre incrédulité se muera en stupéfaction. Devant vous, comme plantée dans le sol fertile par Dieu le Père lui-même, se dressera la ville la plus propre et la plus belle que vous ayez jamais vue. En son cœur s’élèvera un crucifix de 20 mètres de haut, le plus imposant des Etats-Unis. Bienvenue à Ave Maria, une ville encore invisible, mais dont la construction a déjà commencé. Les travaux des premières routes et infrastructures ont démarré au mois de février et, si tout se passe comme prévu, ses 11 000 villas flambant neuves seront habitables fin 2007. Il y aura également une université conçue pour accueillir quelque 5 000 étudiants au visage lisse et frais et, de préférence, catholiques. Située à la lisière du parc national des Everglades, Ave Maria est l’œuvre d’un certain Tom Monaghan, un fervent catholique qui a fait fortune en créant la chaîne de restauration rapide Domino’s Pizza et qui, depuis qu’il a lu un livre de C.S. Lewis, en 1989, s’est donné pour mission de propager sa foi. Tom Monaghan a commencé à investir dans des œuvres catholiques il y a près de vingt ans. Après avoir vendu ses parts de Domino’s Pizza en 1999 pour 1 milliard de dollars, il a encore intensifié ses activités philanthropiques. Il a financé de nombreuses associations catholiques, en particulier celles qui s’opposent au contrôle des naissances et militent contre l’avortement. Sa générosité a été telle qu’au début des années 1990 les organisations féministes ont appelé au boycott de Domino’s Pizza. Mais elles n’ont pas été suivies. Parmi tous les projets soutenus par Tom Monaghan, aucun n’a suscité autant d’émoi que celui d’Ave Un projet applaudi par Jeb Bush en personne COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 fait grand-chose pour contredire ses détracteurs.Voilà par exemple ce qu’il a déclaré récemment à l’hebdomadaire Newsweek à propos de son grand projet : “Je crois que toute l’histoire de l’humanité consiste en une grande bataille entre le bien et le mal. Et je veux y participer.” Il a également expliqué qu’en finançant sa nouvelle ville avec 250 millions de dollars tirés de sa fortune personnelle, il ne faisait qu’accomplir “la volonté de Dieu”. Et pour couronner le tout, il y a le discours de Nicholas Healey, l’homme choisi par Tom Monaghan pour être président de l’université d’Ave Maria, la première université catholique qui sera construite aux EtatsUnis depuis quarante ans. Lors de l’inauguration du chantier de l’université, Nicholas Healey s’est en effet étendu sur le thème de la dégénérescence morale de l’Occident. “A en juger par la chute libre de son taux de natalité, l’Europe ne croit même plus en l’avenir… Or les enfants sont une marque d’espoir et le fruit de notre obéissance à l’ordre divin de croître et de nous multiplier.” Tom Monaghan a d’abord voulu construire la ville et son université à Domino’s Farms, dans le Michigan, à l’endroit où il a édifié le siège de sa chaîne de restauration rapide. Mais les autorités locales lui ont refusé le permis de construire. Il s’est alors rabattu sur le sud des Etats-Unis, la Floride. Lorsque le milliardaire a acheté les 2 500 hectares qui deviendront bientôt Ave Maria, il a été applaudi par le gouverneur de Floride, Jeb Bush, en personne. Celui-ci a même assisté à l’inauguration du chantier en février, et vanté Ave Maria comme un lieu “où s’uniront la foi et la liberté”. Né en 1947 à Ann Harbor, dans le Michigan,Tom Monaghan a été élevé par sa mère, célibataire, et par les religieuses de son école, qui ont semé chez lui les premières graines de la foi. Alors qu’il était encore étudiant, il a acheté avec son frère une minuscule pizzeria baptisée DomiNick’s Pizza dans la petite ville d’Ypsilanti. Son frère lui a plus tard cédé sa part de l’affaire, laissant Tom transformer seul l’entreprise en un véritable empire qui compte aujourd’hui plus de 6 000 établissements dans le monde entier. Tom Monaghan s’est ensuite marié, est devenu le père de quatre enfants et a commencé à collectionner tous les symboles de la réussite. Il y a d’abord eu le yacht, puis la Bugatti Royale de collection – l’un des six exemplaires qui existent dans le monde – et ce qui est peut-être son plus beau trophée : l’équipe de base-ball des Detroit Tigers, qu’il s’est offerte en 1983. Tout en accumulant les signes extérieurs de richesse, il n’a cessé de montrer des preuves de sa foi. Il s’est rendu à Rome en 1987 pour recevoir la bénédiction de Jean-Paul II, puis il a fondé Legatus, un club regroupant les chefs d’entreprise américains dési- Plan d’ensemble de la future université Ave Maria. Un des bâtiments. Aux Etats-Unis,Tom Monaghan, qui a bâti sa fortune avec Domino’s Pizza, est surnommé le “pape de la pizza”. 24 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 Andrew Sacks/TimeLife-Getty Images Un pizzaiolo très catholique LES RICHESp24>27 27/07/06 19:49 Page 25 Trop d’argent ? Choisissez une noble cause, si possible assez loin de votre business, pour qu’il n’y ait aucun conflit gênant. Et donnez vos millions sans barguigner. Andrew Sacks/TimeLife-Getty Images Singapour : riche malgré lui Dans son bureau du 61e étage du Republic Plaza, au cœur de Singapour, Kwek Leng Beng expose un kalachnikov plaqué or, cadeau de son partenaire saoudien, le prince Al-Walid, pour fêter leur rachat du Plaza, en 1995. Le magnat singapourien dirige le groupe Hong Leong et possède 88 hôtels dans le monde. Selon le magazine Argent, pouvoir et famille Forbes, sa fortune s’élèverait à 4 milliards de dollars. Lorsque son père, le fondateur de l’empire, l’a appelé pour lui succéder, il a d’abord fui en Malaisie. Finalement, l’héritier est revenu à Singapour pour gravir peu à peu les échelons du groupe avant d’en prendre les rênes, en 1990. “Nasser Al-Khorafi est l’homme le plus riche du Koweït et le deuxième Arabe le plus riche après le prince Al-Walid [voir p. 31]”, indique le quotidien panarabe Al-Hayat. “La valeur boursière de son groupe augmente constamment. Il faut dire qu’il a remporté une bonne part des offres publiques relatives aux infrastructures que le gouvernement COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 25 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 koweïtien a lancées récemment avec l’argent edu boom pétrolier.” Ses relations familiales ne seraient pas étrangères à sa bonne fortune : son frère Jassem vient d’être réélu au poste de président du Parlement, qu’il occupe pour le compte de l’émir. Pour l’opposition, il incarne tous les travers d’une classe politique corrompue. LES RICHESp24>27 27/07/06 19:49 Page 26 Dan Wagner/AP-Sipa les grands cœurs reux de promouvoir les enseignements catholiques. Mais c’est en 1989, après avoir lu l’ouvrage Voilà pourquoi je suis chrétien de C.S. Lewis, que Monaghan a décidé de mettre ses principes à exécution. Dans ce livre, l’écrivain irlandais explique que le plus grand péché de l’homme est le péché d’orgueil.Tom Monaghan a alors décidé de se retirer des affaires pour mieux se consacrer à la religion. Il a tout de même repris ses fonctions deux ans plus tard, car sa fortune commençait à diminuer, mais sans renier son objectif principal : défendre les valeurs catholiques. “S’il veut construire une ville et encourager des personnes ayant les mêmes idées que lui à s’y installer, il n’y a rien à redire à cela”, estime Howard Simon, président de l’American Civil Liberties Union, la grande association américaine de défense des libertés, basée en Floride. “Là où le bât blesse, c’est qu’il compte exercer une autorité sur la vie des gens.” La tempête de protestations soulevée par le projet a été telle que le conseiller juridique de l’Etat de Une procession sur le site du chantier, lors de la pose de la première pierre de la future université. “Beaucoup d’idées fausses circulent sur ce projet” Floride, Charlie Crist, a été contraint de voler à la rescousse de Monaghan. “Une communauté a le droit de vouloir offrir un environnement sain à ses membres, a-t-il déclaré. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette idée ont le droit de se plaindre devant les tribunaux et d’exposer leurs griefs à un juge.” Depuis, Tom Monaghan et ses associés font la tournée des plateaux de télévision, clamant qu’ils ont été incompris. Le fondateur de Domino’s Pizza L’homme qui valait 30 milliards Carlos Slim Helú est riche, très riche, le plus riche d’Amérique latine. A 65 ans, ce Mexicain d’origine libanaise est à la tête d’une fortune estimée à 30 milliards de dollars. Parti de rien, il a bâti son empire grâce aux télécommunications. Sa soif de réussite lui a valu le surnom a confirmé qu’il comptait exercer une autorité sur le campus universitaire pour empêcher la pornographie d’y entrer et les préservatifs d’y être vendus. Mais il a expliqué que sa ville serait exactement comme toutes les autres villes américaines : libre et ouverte. “Il y a beaucoup d’idées fausses sur ce projet. Je n’ai pas vraiment une vision pour la ville. En revanche, j’ai une vision pour l’université”, a déclaré le milliardaire dans l’émission Good Morning America, sur la chaîne ABC. “Notre but n’est pas de créer une ville coupée du monde”, a-t-il expliqué, avant d’ajouter : “Nous nous attendons même à ce qu’il y ait des synagogues et des églises baptistes. Il n’y aura aucune discrimination envers qui que ce soit.” Ave Maria n’accueillera pas ses premiers habitants avant au moins un an, et ce n’est qu’à ce moment que nous saurons si les assurances tardives de son fondateur seront respectées. Mais une chose est sûre, un beau jour, un jeune étudiant de l’université d’Ave Maria annoncera qu’il est gay, et une boîte de préservatifs fera son apparition dans l’une des stationsservice de la ville. Ce jour-là,Tom Monaghan risque bien d’avaler sa pizza de travers. David Usborne Les boulangers ont des écus de “roi Midas”, en raison du sixième sens qu’il semble posséder pour savoir où il y a de l’argent à gagner. Mais Carlos Slim n’oublie pas d’où il vient et a lancé un projet baptisé Impulser le développement économique de l’Amérique latine, qui vise à aider la construction d’infrastructures. Faut-il être frères pour réussir en Pologne ? En tout cas, depuis l’ouverture de leur première pâtisserie, en 1979, Jozef et Marian Koral sont devenus les premiers fabricants de glaces du pays (30 % du marché). Ils occupent la 42e place au classement des Polonais les plus riches (140 millions d’euros). Ces rudes montagnards ne parlent COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 26 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 jamais à la presse et se contentent d’articles sur leurs généreuses donations à l’Eglise. Ils ont pourtant une faiblesse : ils viennent de découvrir les Maybach, des bijoux manufacturés avec soin à Stuttgart. Ils rejoignent ainsi le club fermé des amateurs – souvent moyen-orientaux – de ces voitures. (Przekroj, Varsovie) LES RICHESp24>27 27/07/06 19:51 Page 27 Privatiser la forêt amazonienne ? Facile FOLHA DE SÃO PAULO São Paulo E n dehors de quelques membres de la jet-set et d’une poignée de lecteurs assidus de magazines people, les Brésiliens n’avaient jamais entendu parler de Johan Eliasch. Ce richissime AngloSuédois a acheté un immense espace en Amazonie. Si l’affaire a été conclue en octobre 2005, elle n’a été révélée qu’en mai 2006 par le quotidien londonien The Times, ce qui a attiré l’attention du pays tout entier. La parcelle se compose de deux propriétés, la plus grande se trouve à Maricoré, la seconde, à Itacoatiara, deux communes de l’Etat d’Amazonas [dont la capitale est Manaus]. L’ensemble représente 160 000 hectares, soit l’équivalent de la superficie du Grand Londres. Officiellement, Eliasch entend ainsi préserver la forêt tropicale. Mais, comme il l’a luimême expliqué, son projet est en fait beaucoup plus ambitieux et il suscite bien des polémiques. Car ce dont rêve le milliardaire, c’est de modifier le protocole de Kyoto, l’accord international de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Eliasch voudrait que les propriétaires de forêts puissent eux aussi recevoir des permis d’émission – ces “droits de polluer”, dont bénéficient les industries émettrices de gaz à effet de serre et qui s’échangent dans des Bourses spécialisées. Aujourd’hui, seuls ceux qui procèdent au reboisement ont droit à ces permis. Johan Eliasch, propriétaire du groupe Head, spécialisé dans les articles de sport, est à la tête d’une fortune personnelle estimée à 520 millions d’euros et compte bien tirer profit de son action pour la sauvegarde de l’environnement. Son engagement au Brésil n’est donc pas uniquement celui d’un amoureux de la nature. Agé de 44 ans, né à Stockholm et habitant Londres, Johan Eliasch vit depuis 2002 avec Ana Paula Junqueira, une Brésilienne originaire de São Paulo, qui a tenté de faire carrière dans la chanson avant de se tourner vers la politique. Candidate à la députation en 1994 et 2002, elle a été battue les deux fois et est aujourd’hui secrétaire générale de l’Association brésilienne pour les Nations unies. “Elle se montre très soucieuse de l’environnement, évoque sans cesse la beauté de la forêt et les horreurs que celle-ci subit. Son influence a été décisive”, explique Eliasch. Grâce à sa compagne, l’entrepreneur a beaucoup d’amis bien placés au Brésil. “Elle connaît tout le monde”, s’amuse Eliasch. Leurs relations sont également politiques. Eliasch – vice-trésorier du Parti conservateur britannique, auquel il a prêté des fonds – raconte que, pour mener à bien son investissement en Amazonie, il a, entre autres, reçu l’“aide précieuse” du gouverneur de l’Etat d’Amazonas, Eduardo Braga. “Tous les politiques se sont montrés extrêmement obligeants et ont parfaitement compris mon projet.” La forêt privée du Suédois a été acquise auprès du groupe américain GMO Renewable Resources, qui contrôlait la scierie Gethal. Sitôt l’affaire conclue, Eliasch a licencié 1 000 salariés de l’entreprise pour n’en conserver que 120, dont des agents de sécurité et du “personnel de terrain”, afin d’éviter le déboisement. Il n’a pas révélé le montant de la transaction, mais les médias britanniques parlent de 11 millions d’euros. Eliasch estime pour sa par t que les 400 millions d’hectares de la forêt amazonienne peuvent être acquis pour 12 milliards de dollars. Et il mène campagne pour que d’autres étrangers, hommes politiques et célébrités internationales, suivent son exemple. “J’ai reçu des centaines de demandes de personnes qui disent vouloir acheter des terres en Amazonie et qui ne savent pas comment s’y prendre. Ce qui compte, c’est que ce mouvement ne soit pas considéré comme un déferlement d’étrangers venus acheter un morceau du Brésil. Il s’agit bien de contribuer à la préservation de la forêt. Nous ne sommes pas des colons”, affirme Eliasch. Pragmatique, il envisage d’exploiter sa forêt pour en tirer de nouvelles sources de revenus. “Médicaments alternatifs, huiles essentielles, produits de la biodiversité, etc.” A cet effet, il a contacté le docteur Drauzio Varella, qui dirige le projet de recherche de l’université de São Paulo sur les plantes médicinales amazoniennes. Et il semble l’avoir convaincu. “Il m’a paru sérieux et bien intentionné, raconte Varella. Je lui ai décrit nos méthodes de travail, les technologies utilisées. Il m’a affirmé qu’il voulait œuvrer pour le développement durable, faire des recherches sur les huiles minérales, afin de rendre cette région viable économiquement tout en préservant la forêt.” Eamonn McCabe/The Guardian Johan Eliasch vient d’acquérir deux immenses parcelles en plein cœur de l’Amazonie. Ce millionnaire, qui dit vouloir sauver le poumon de la planète, milite pour que d’autres lui emboîtent le pas. PAYS-BAS LE CLUB DES HÉRITIÈRES Protéger la forêt vierge, ça peut rapporter gros COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 Aux Pays-Bas, des femmes soudainement riches ont formé un club. Pour discuter investissements mais aussi bonnes œuvres. uand on devient riche, on mène une tout autre vie, remarque Margriet Jansen. On a des contacts que l’on n’aurait pas sinon. Il faut parler à la banque, au gérant de patrimoine, aux services des impôts, au comptable, au notaire.” Mme Jansen a gagné 1,6 million de florins lorsqu’elle a vendu ses parts de l’entreprise familiale. “Il y a vingt ans, c’était une somme colossale.” Elle a alors acheté une maison, investi une partie de sa fortune et donné à des œuvres de bienfaisance. Des démarches auxquelles elle avait déjà réfléchi. Car, pour se préparer à sa richesse, elle avait rejoint Les Héritières, un club d’une quinzaine de femmes fortunées où l’on parle de tout ce qui a rapport à l’argent, mais aussi de questions sociales. “J’ai moi-même grandi dans l’opulence, explique Margriet Jansen. Mes parents vivaient dans une modeste maison mitoyenne, puis ils sont devenus riches. Le reste de la famille ne s’est pas enrichi, j’ai donc appris à évoluer dans les deux mondes. Mais, quand on fait un gros héritage du jour au lendemain, c’est plus embêtant. Certaines personnes se sentent encombrées par cet argent. Je connais des femmes qui sont très riches sans que leur entourage soit au courant.” Le club des Héritières fête ses 20 ans cette année. Ses membres n’ont plus grand-chose à apprendre sur le plan financier, mais elles se réunissent encore cinq fois par an. “Quand on déjeune tranquillement avec quelqu’un, on ne dit pas : il faut que je décide où je vais investir 1 million d’euros. Avec une personne riche, on peut. C’est agréable. Car se demander où l’on va investir 1 million d’euros est peut-être un problème de luxe, mais cela reste un problème.” Les Héritières se soutiennent aussi lorsque l’une est en conflit avec sa banque, par exemple. “J’ai appris que l’on peut négocier avec les banques”, s’amuse Mme Jansen. Plus les membres du club des Héritières avancent en âge, plus est importante la fortune qu’elles auront à transmettre. Mais la plupart d’entre elles souhaitent aussi s’engager pour soutenir des bonnes œuvres. C’était là l’idée de Marjan Sax, la fondatrice des Héritières. Dans les années 1970, alors qu’elle avait une vingtaine d’années, elle a hérité de l’équivalent de plus de 1 million d’euros. Militante au sein des mouvements étudiants et féministes, elle ne savait que faire de cet argent. “L’argent, c’était synonyme de capitalisme, raconte-t-elle. J’ai donc gardé le secret. L’argent était placé et j’essayais de ne pas y penser.” Jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle pouvait l’utiliser pour mettre en œuvre des changements sociaux. Elle a fondé Mama Cash, un organisme de financement en faveur des droits des femmes. Aujourd’hui, Mama Cash s’intéresse surtout à des projets à l’étranger. Mais, pendant des années, l’association est intervenue aux PaysBas en tant que caution pour des femmes entrepreneurs qui ne pouvaient obtenir de crédit auprès des banques. Marjan Sax accordait des prêts sans intérêt à Mama Cash. Presque personne ne savait d’où venait l’argent. “Je mentais, l’air impassible, en prétendant qu’une femme riche anonyme nous soutenait.” En 1986, elle a révélé qu’elle était cette femme mystérieuse et qu’elle voulait rencontrer des héritières sur la même longueur d’onde qu’elle. C’est ainsi qu’a vu le jour le premier club des Héritières, dont faisait aussi partie Margriet Jansen. Depuis, des groupes semblables ne cessent de voir le jour. NRC Handelsblad, Rotterdam Q Fabio Victor 27 DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp28-29 bis 27/07/06 19:53 Page 28 les grands cœurs Et son patrimoine est deux fois plus important que la totalité de l’aide au développement dégagée par les Etats-Unis en 2005, poursuit le site. Ce qui n’a pas empêché le jur y du Prince des Asturies de justifier sa décision en arguant du fait que “les actions de Bill et Melinda Gates constituent une aide précieuse pour la coopération internationale et une référence éthique qui doit inspirer tous ceux qui ont des responsabilités et les moyens de combattre les inégalités dont souffrent des millions de personnes”. Rien que ça ! Mais, pour Rebelión, la vérité est ailleurs. “Selon la loi en vigueur aux Etats-Unis, chaque dollar donné est non imposable. Ce qu’a fait la famille Gates, c’est échapper à l’impôt.” Et de conclure laconiquement en rappelant que le premier prix Coopération attribué en 1992 le fut à Nelson Mandela. “Nos sociétés changent. Le prince Philippe de Bourbon explique qu’il souhaite que ces prix soient la reconnaissance par le peuple espagnol d’une grande œuvre mondiale. Comprenez : 50 000 euros pour Bill Gates…” (D’après <www.rebelion.org>, Madrid) Où est Bill ? Les onze fondateurs de Microsoft à Albuquerque (Nouveau-Mexique) en 1978. De gauche à droite. En haut: Steve Wood, Bob Wallace, Jim Lane. Au milieu: Bob O’Rear, Bob Greenberg, March McDonald, Gordon Letwin. En bas : Bill Gates, Andrea Lewis, Marla Wood, Paul Allen. ■ “L’homme le plus riche du monde reçoit un prix de 50 000 euros qui récompense le fait qu’il est… l’homme le plus riche du monde.” Le journal en ligne espagnol Rebelión, qui ne cache pas ses sentiments procastristes, s’exaspère de la remise du prix Prince des Asturies, catégorie Coopération, au président de Microsoft en mai dernier. “Le seul mérite de Bill Gates et de son épouse Melinda est d’avoir fait des dons qui dépassent les 10 millions de dollars ces cinq dernières années”, estime Pascual Serrano, directeur éditorial de Telesur, la chaîne info mise en place par Hugo Chávez. Pour Rebelión, la fondation Prince des Asturies, qui remet des prix considérés comme les plus impor tants du monde hispanique, fait fausse route. “Elle conver tit le couple Gates en plus grands philanthropes du monde. Si, par philanthropie, on entend, avec l’Académie royale de la langue, l’amour du genre humain, nous découvrons donc que la fondation mesure cet amour en dollars.” La fortune de Bill Gates équivaut au PIB du Honduras, du Nicaragua et du Panamá réunis. AP-Sipa ÉTATS-UNIS GATES, L’AMOUR DES AUTRES ET… DES DOLLARS Des chiffres et beaucoup de lettres DAGENS NYHETER Stockholm C ’est vraiment formidable !” En refermant le manuscrit, Sigrid Rausing ne cache pas son enthousiasme. “Il s’agit d’un livre sur Ingmar Bergman, la description fascinante d’un grand névrosé et d’un visionnaire prodigieux. Il sortira probablement l’année prochaine, je crois que ce sera un succès.” Derrière elle, dans son bureau avec vue sur les toits du quartier londonien de Notting Hill, sont alignés des dossiers auxquels elle a consacré les dix dernières années de sa vie : “Chinese Working Women’s Network”,“Kurdish Human Rights Project”,“Amnesty International”,“Human Rights Watch”… Au fil des années, Sigrid Rausing a donné près de 110 millions d’euros à des mouvements démocratiques, à des organisations de défense des droits des femmes et autres œuvres caritatives. Après avoir été l’un des philanthropes les plus généreux du RoyaumeUni, c’est aujourd’hui l’un des éditeurs les plus influents du pays. Son rôle est tel que The Guardian se demande si ce n’est pas cette Suédoise inconnue du public qui “sauvera la littérature britannique”. En mars de l’année dernière, Sigrid Rausing et son époux, le producteur Eric Abraham – qui a reçu un oscar pour le film de Jan Sverák Kolya –, lançaient la maison d’édition Portobello Books avec l’éditeur de renom Philip Gwyn Jones. En octobre, elle achetait la prestigieuse revue Granta et la maison d’édition Granta Books. “Je m’intéresse à Granta depuis le début des années 1980, explique-t-elle. J’ai découvert la revue en même temps que je découvrais le féminisme.” Sigrid Rausing parle suédois avec une pointe d’accent britannique, souvenir de ses années passées en Angleterre. Elle est discrète, vêtue d’une façon simple mais élégante. La nouvelle propriétaire de Granta n’entend pas rester passive. Elle n’est pas, comme un journal britannique l’a suggéré, une de ces héritières pleines aux as qui veulent “faire dans la culture”. Comment devient-on mécène de la littérature lorsqu’on doit sa fortune aux briques de lait ? Voilà cinquante-quatre ans, le grand-père de Sigrid, Ruben Rausing, écrivait les premières pages de la saga Tetra Pak. Son père, Hans Rausing, dirigeait l’entreprise. Sigrid a grandit à Lund [dans le sud de la Suède]. “On nous considérait d’une manière spéciale. Le capitalisme provoquait une réelle hostilité dans les années 1970 ; il était vu comme une façon de se prostituer. Les gens avaient l’image Daniel Finch/Financial Times-REA Héritière du géant suédois Tetra Pak, Sigrid Rausing a racheté la revue Granta. D’aucuns la voient comme le sauveur de l’édition britannique. Sigrid Rausing, philanthrope et discrète. COURRIER INTERNATIONAL N° 820 28 d’un gros bonhomme avec un chapeau haut de forme et un cigare. Mon père était quelqu’un d’excentrique, mais aussi de cultivé. Il n’avait rien de la caricature du capitaliste.” Sigrid Rausing aurait pu faire carrière au sein de l’entreprise, mais elle a choisi, comme son père et ses frères et sœurs, de vendre ses parts à son oncle. Elle s’éveille à la politique, vers l’âge de 12-13 ans. A 17 ans, elle adhère à Amnesty International et part étudier à Londres. Après avoir obtenu un diplôme d’histoire, elle s’oriente vers l’anthropologie ; en 1993, pour préparer sa thèse, elle s’installe dans un ancien kolkhoze estonien. “Quand le Mur est tombé, je me suis intéressée à la façon dont les différents groupes ethniques de l’Union soviétique tentaient de se réapproprier leur culture. Comment ils vivaient leur différence dans la nouvelle réalité et comment leur démarche était profondément enracinée dans les concepts soviétiques d’ethnicité et d’appartenance.” Lorsque le propriétaire de Granta, Rea Hederman – qui possède également la revue littéraire et politique The New York Review of Books –, décide de vendre sa maison d’édition, au printemps 2005, il se fait connaître auprès de Sigrid Rausing et de son mari. “On y a réfléchi tout l’été. Finalement, je me suis dit qu’il fallait que je le fasse. C’est une maison d’édition fantastique, dont le catalogue est impressionnant.” Sa vie d’éditrice ne lui laisse aucun répit. Elle veut transférer Granta dans le quartier de Notting Hill, créer un nouveau concept de librairie et lancer une maison d’édition dédiée à la jeunesse. En 2007, elle sélectionnera parmi un panel de 80 auteurs les jeunes écrivains américains les plus prometteurs à intégrer au célèbre catalogue de Granta. Mais, auparavant, elle va éditer la biographie d’Ingmar Bergman qui vient de l’enchanter, The Director, écrite par le Suédois Alexander Ahndoril. La multimilliardaire suédoise est en train de réaliser le rêve de sa vie. “Ce rêve se rapproche de l’idée de la pêche, même si je ne pêche pas. On lance un hameçon dans l’eau, on attend et on voit si ça mord. Je pense aux livres qui émergeront peut-être. Des livres exceptionnels, extraordinaires.” Caspar Opitz DU 20 AU 26 JUILLET 2006 LES RICHESp28-29 bis 27/07/06 19:54 Page 29 Le comptable philanthrope Warren Buffett lègue des milliards de dollars aux bonnes causes. Il pourrra quand même s’acheter des hamburgers, son plat préféré. THE GUARDIAN Londres Organ F. Ellingvag/Corbis S i quelque chose empêche le deuxième homme le plus riche du monde de dormir, dans sa résidence d’Omaha (Nebraska), c’est la certitude qu’un holocauste nucléaire va détruire la planète. Warren Buffett est convaincu que le monde court à la catastrophe, la seule variante de l’équation étant la date du big bang. Ce milliardaire de 75 ans adore expliquer que, plus la population s’accroît, plus le nombre de “méchants” augmente. Et que, selon les lois de la probabilité, l’un d’eux finira un jour par mettre la main sur une bombe atomique. “C’est extrêmement déprimant. Ça va se produire, c’est inévitable. Je ne vois pas comment on pourrait y échapper”, a-t-il déclaré lors d’une interview. “On ne peut pas se débarrasser des connaissances. On peut tenter de contrôler les informations, mais on n’éliminera jamais l’intention. C’est le grand problème de l’humanité.” Ce personnage aimable et bavard, qui a un penchant pour le Coca-Cola cherry et les hamburgers, est célèbre aux Etats-Unis pour ses discours informels. Surnommée le Woodstock du capitalisme, l’assemblée annuelle de son groupe, l’empire Berkshire Hathaway, attire régulièrement 20 000 personnes. Buffett refuse d’utiliser les ordinateurs sauf pour jouer au bridge et il communique ses idées par le biais d’un courrier annuel adressé à ses actionnaires. Dans celui de l’année dernière, il citait Mark Twain, Benjamin Franklin et le légendaire joueur de base-ball Hank Greenberg. Buffett aime à dire qu’il est très facile de faire fortune : “Règle numéro un : ne jamais perdre d’argent. Règle numéro deux : ne jamais oublier la première règle.” Derrière un style populiste, Buffett est indubitablement un homme de chiffres : sa fortune, bâtie sur les compagnies d’assurances, s’élève à 44 milliards de dollars, et ses décisions sont fondées sur des analyses objectives, rationnelles et quantitatives. Au mois de juin, il a surpris une grande partie de son entourage en annonçant un don de plus de 30 milliards de dollars à la fondation caritative de son ami Bill Gates, la Bill & Melinda Gates Foundation. Jamais auparavant il n’avait manifesté d’intérêt pour les maladies touchant les pays en développement ni pour le financement de l’éducation d’enfants défavorisés. Pourtant, Roger Lowenstein, son biographe, souligne que ce don cadre parfaitement avec l’attitude méthodique et détachée dont Buffett a fait preuve tout au long de sa carrière.“Sa manière d’aborder la philanthropie est très proche de sa façon de gérer ses actions : il concentre ses dons là où ils auront le plus d’effet. Il n’est pas du style à distribuer son argent ‘par-ci par-là’.” C’est également l’avis d’Andy Kilpatrick, qui a lui aussi écrit des livres sur le milliardaire : “Buffett est la personne la plus Il donne des milliards comme il gère ses actions : rationnellement rationnelle qui soit. Il s’est simplement dit que la fondation de Bill Gates était le lieu le plus logique pour placer son argent.” Gates a offert à Buffett un livre de 892 pages sur les conséquences du sida, de la tuberculose et du paludisme. Le “sage” d’Omaha a refusé de le lire : l’important pour lui était simplement que son argent soit dépensé à bon escient. Buffett est né en 1930 dans le Nebraska. Son père était courtier et il a été élu député sur une plate-forme républicaine décrite comme étant “à la droite de Dieu”. Le jeune Warren a effectué sa première opération en Bourse à l’âge de 11 ans. Adolescent, il a aussi distribué des journaux et complété ses économies en ramassant des balles de golf égarées. Ces revenus lui ont servi à acheter un terrain agricole qu’il a mis en location. A l’université Columbia, il est tombé sous l’influence de Benjamin Graham, un gourou de l’investissement qui lui a appris à rechercher des affaires A l’assemblée générale de Berkshire Hathaway, les actionnaires sont accueillis par une vidéo de Warren Buffet jouant du ukulélé. En sous-titre :“L’année prochaine, on se les fera !” COURRIER INTERNATIONAL N° 820 29 qui ne font pas parler d’elles mais qui marchent bien. C’est ainsi qu’en 1962 il a racheté Berkshire Hathaway, une entreprise textile du Massachusetts, dont il a réinvesti les bénéfices dans d’autres domaines, en particulier dans les assurances. L’empire Berkshire Hathaway s’étend aujourd’hui à l’ameublement, à la confiserie et aux sous-vêtements. Il possède des actions dans Coca-Cola, Gillette et The Washington Post, ainsi qu’une participation majoritaire dans la compagnie CE Electric, qui alimente 3,7 millions de foyers britanniques. Il a évité les secteurs comme Internet, les biotechnologies et les télécommunications. Ses choix lui ont valu un succès phénoménal : depuis 1965, la croissance annuelle du groupe est de 21,5 %. Une seule action Berkshire Hathaway vaut aujourd’hui 92 000 dollars. Buffett a des positions de gauche. Il a soutenu John Kerry durant la dernière élection présidentielle, financé Planned Parenthood, un groupe favorable à l’IVG, et a critiqué George Bush pour avoir tenté de supprimer les droits de succession. Dans sa vie privée, Buffett est anticonformiste. En 1952, il a épousé Susan, qui a dirigé son association caritative jusqu’à sa mort, en 2004. Tout en restant proches, les deux époux avaient passé un accord qui a tenu vingt-cinq ans, en vertu duquel lui-même vivait à Omaha avec une ancienne serveuse d’origine lettone, tandis que sa femme habitait San Francisco. Les trois enfants de Buffett, Susie, Howard et Peter, n’hériteront que d’une modeste partie de sa fortune. Il tient à ce qu’ils aient assez “pour faire ce qu’ils veulent mais pas [assez] pour ne rien faire”. Ses propos sur les tendances du marché boursier engendrent davantage d’analyses que ceux du président de la Réserve fédérale ou du ministre des Finances américain. Quand l’ancien président chinois Jiang Zemin s’est plaint de ne rien comprendre au marché boursier américain, Bill Clinton lui a adressé la dernière lettre de Buffett à ses actionnaires. DU 20 AU 26 JUILLET 2006 Andrew Clark LES RICHESp30-31 27/07/06 19:54 Page 30 les grands cœurs Rupin, mais pas flambeur On peut être plein aux as et vivre discrètement. John Caudwell s’habille chez Marks & Spencer et se coupe les cheveux tout seul. Son avion et son hélico ? Il les pilote lui-même. FINANCIAL TIMES MAGAZINE Londres S i vous rencontrez quelqu’un qui pèse 3,3 milliards d’euros, continue à travailler douze heures par jour et achète du jus d’orange en promotion, une seule question devrait vous venir à l’esprit : pourquoi ? “J’ai toujours pensé que le travail apportait un réel équilibre”, explique John Caudwell, qui a bâti sa fortune sur les téléphones portables, en particulier sur la chaîne de boutiques Phones 4u. “Je suis convaincu qu’il faut connaître des difficultés pour apprécier les bonnes choses.” Son jus d’orange ? Du Happy Shopper, qu’il achète dans le magasin du coin, près de chez lui. “Je suis comme tout le monde. Si je peux avoir de la qualité pour un bon prix, pourquoi payer plus cher ?” ajoute-t-il. Caudwell se coupe les cheveux à l’aide d’une tondeuse électrique de chez Boots [chaîne de pharmacies]. La première position de la tondeuse lui laisse “juste la bonne longueur” sur le cuir chevelu. “Ça n’a rien à voir avec l’argent, mais pourquoi perdre son temps et payer quelqu’un 10 livres [environ 15 euros] quand on peut le faire soi-même ?” C’est la différence entre ce self-made-man et moi : personnellement, j’adore perdre mon temps chez le coiffeur. Je le lui dis, et cela le fait sourire. Pour lui, le temps est une denrée rare, quelque chose d’exaspérant, d’insaisissable, qui vous glisse entre les doigts quoi que vous fassiez. Caudwell, 52 ans, a la minceur d’un lévrier et un air plutôt intimidant. A en juger par ses dents toutes de travers, il ne doit guère fréquenter les dentistes. Son bureau est noir, simple et bien rangé, mais les grandes photos accrochées aux murs trahissent sa passion pour la puissance et la vitesse : un yacht qui fend les flots, une moto qui prend un virage à la corde. La plupart du temps, pour se rendre à son travail, il pédale furieusement sur un vélo de course au confort spartiate et parcourt une vingtaine de kilomètres en trois quarts d’heure. Il a même participé à une course de charité, d’environ 3 680 kilomètres, à travers l’Europe. Je lui dis qu’il est un fonceur. “Ah oui, complètement, cela fait partie de mon caractère. Ça peut paraître ridicule, mais j’aime m’améliorer dans tout ce que je fais, que ce soit en cuisine ou à vélo. Si d’autres y participent, cela ne fait qu’ajouter un élément de compétition à l’activité. Mais je suis également satisfait de me concurrencer moi-même.” La compétition est une chose, mais n’oublions pas que Caudwell vaut une considérable somme d’argent. Quand on a tout, que reste-t-il ? “Vous avez raison, et c’est pour cela que je me prive de certaines choses. Je connais des gens bien moins riches que moi qui ont une vingtaine de voitures à leur nom. Personnellement, je n’en ai qu’une.” Quand je lui en demande la marque, il me répond : “Une Bentley Continental GT.” Sa femme conduit un break Diesel, leur voiture “de tous les jours”. Caudwell est père de quatre enfants, le petit dernier a 5 mois, l’aîné 25 ans. Broughton Hall, sa magnifique résidence jacobéenne [de l’époque de Jacques Ier], compte 65 pièces, mais il n’y emploie aucun domestique hormis une gouvernante et un jardinier, “juste le strict nécessaire pour gérer un domaine de 12 hectares”. “Dur mais juste”, l’épitaphe rêvée du milliardaire britannique. Dessin de Ray Smith paru dans le Financial Times, Londres. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 30 Même pour acheter du champagne, il ne choisit pas la facilité. Il trouve une bonne maison de champagne, se rend en France avec des amis, négocie un prix d’achat pour 1 000 bouteilles et rentre chez lui. En imaginant la vitesse à laquelle 1 milliard de livres me monterait à la tête et me mènerait directement vers une chaise longue en bord de mer, de belles voitures, des femmes superbes et des champagnes millésimés livrés à ma porte, je lui demande s’il n’a pas parfois l’impression de ne pas pleinement savourer son succès. Après un assez long silence, il me répond : “Non, vraiment, je ne crois pas. — Mais vous avez quand même un jet. — Non, il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans la presse”, me répond-il en faisant la grimace. Et l’hélicoptère ? “Ce n’est qu’un petit Robinson, même pas DU 3 AU 23 AOÛT 2006 LES RICHESp30-31 27/07/06 19:55 Page 31 un Chinook.” Nous revenons à la question du jet. “Il a 25 ans et ce n’est pas vraiment un jet, simplement un bimoteur.” Bien entendu, il les pilote tous les deux. En revanche, il avoue que son magnifique yacht Sunseeker, dont on voit la photo au mur de son bureau, et sa sublime demeure, qu’il a mis dix ans à rénover, sont “de vrais plaisirs”. Il n’a pas d’autres passetemps, si ce n’est des activités sportives très physiques, comme le ski, ou en rapport avec la vitesse. Il n’a pas le temps de lire les journaux, ni même de s’en soucier, et admet qu’il n’a “aucune idée de ce qui se passe dans le monde”. “Evidemment, j’ai largement assez d’argent pour le restant de mes jours, je peux m’offrir ce que je veux. Mais l’important, c’est d’être fier de ce qu’on fait, de ce qu’on a réussi, et d’avoir encore des défis à relever. Pour moi, la fortune, ce n’est pas nécessairement l’hédonisme ou les divertissements, la voile, les voyages autour du monde. Je ne dis pas que je ne voudrais pas faire ce genre de choses, mais je ne peux pas me permettre de m’absenter trop longtemps. Je crois que j’ai besoin de mon travail, c’est une question d’équilibre.” De nombreux milliardaires sont avantagés dès la naissance grâce à leur famille ou à leur éducation. Ce ne fut pas le cas de John Caudwell. La maison où il a grandi avec son frère, Brian, se trouve non loin de la sienne. “Mon père a eu une attaque cérébrale quand j’avais 14 ans, il est décédé quand j’en avais 18, et ma mère s’est retrouvée seule à élever ses deux enfants.” Elle travaillait au tri postal. Cela n’a pas dû être facile. J’imagine que son enfance, marquée par les problèmes d’argent, lui a donné l’ambition, affirmée semble-t-il dès l’âge de 7 ans, de devenir très riche. Mais il assure que son ambition lui est venue plutôt en entendant sa grand-mère lui décrire une époque où les Caudwell étaient “des gens qui avaient réussi”, des agriculteurs, des membres de professions libérales. Il a brièvement tenu une épicerie vers l’âge de 20 ans, une expérience désastreuse. Mais, de son propre aveu, il y a appris ce qu’étaient les marges bénéficiaires. Il a rebondi en se lançant dans la vente de vêtements de moto par correspondance. Il a dû “Je suis milliardaire, et alors ? En soi, c’est dérisoire” arrêter quand les magasins vendant les mêmes vêtements se sont plaints aux fournisseurs. Encore un échec cuisant. “Bien sûr, j’étais trop compétitif.Aujourd’hui, les fournisseurs auraient été traînés en justice pour pratiques anticoncurrentielles.” Le grand tournant dans sa vie remonte à 1987. Il vendait des voitures et pensait qu’il pourrait être utile de posséder un nouvel appareil, le “téléphone portable”. A l’époque, un portable coûtait 1 500 livres [plus de 2 000 euros].Très pointu sur la question des marges bénéficiaires, Caudwell s’est dit que deux portables coûteraient sûrement moins cher et a donc décidé de contacter directement Motorola, le fabricant. Il avait raison. Le prix a été ramené à 1 350 livres pièce. Au bout de quelques semaines, Caudwell devenait distributeur. “J’ai acheté 26 portables et les ai revendus en huit mois.” L’affaire lui a rapporté gros. Les 15 sociétés du Caudwell Group, dont 350 magasins Phones 4u, vendent aujourd’hui plus de 26 portables à la minute. Caudwell joue les modestes, l’air de dire que tout cela allait de soi. Mais, à l’époque, pour beaucoup d’entre nous, l’idée de se balader avec un énorme portable n’était pas forcément attrayante. Pour lui, “c’était clair comme de l’eau de roche. Je savais que le jour viendrait où tout le monde aurait un portable, je ne pouvais pas imaginer que les gens n’en veuillent pas.” Selon lui, “nous avons tous envie de communiquer. Je ne me suis pas posé trente-six mille questions, j’étais simplement persuadé que ça décollerait.Tout le monde veut une maison, une voiture et un téléphone, ce sont des produits de base. J’étais davantage convaincu après en avoir utilisé un. Comment pourrait-on ne pas en vouloir un ?” Il a tout de même été surpris par son succès. “Je n’imaginais pas une telle explosion, mais j’étais convaincu que ce serait un produit de grande consommation.” Caudwell ne doit son succès qu’à lui-même. Quand je lui demande ce que la richesse lui a apporté de meilleur, les biens matériels ne figurent pas sur sa liste. Il parle plutôt de sécurité. Voir son père diminué par la maladie a certainement eu un impact. “Alors, on pense à sa propre vie et à celle de ses enfants. On se rend compte à quel point la sécurité financière est essentielle pour pouvoir s’occuper d’eux en cas de coup dur.” Caudwell, spontanément, glisse une opinion surprenante concernant l’argent : “Je ne pense pas que l’argent soit vraiment une bonne chose.” Parle-t-il de la richesse héritée ? “De l’argent en général. Je pense qu’il gâche autant de vies qu’il en embellit. C’est bien la source de tout mal, n’est-ce pas ? Ça peut paraître bizarre venant d’un chef d’entreprise, mais je vois tellement de vies qui ne sont pas améliorées par la richesse.” En dehors du travail, Caudwell est très impliqué dans une organisation caritative qu’il a créée pour des enfants handicapés ou en phase terminale de maladie. Il a pu venir en aide à une petite fille de 4 ans, sans tonus musculaire, en lui permettant de marcher grâce à un appareil valant 14 000 livres [20 260 euros], offert par son organisation. Cela reste pour lui quelque chose d’inoubliable. “Si on est privilégié comme je le suis, sachant quel bien peut être accompli et quelle satisfaction en découle, on manque quelque chose de formidable si l’on n’en fait pas profiter les autres. Si mon épitaphe disait :‘Il était assez dur mais très juste. Il a été très généreux envers des gens dans le besoin et il a fait fortune’, je serais content. Mais, si elle disait simplement que j’étais milliardaire, ça ne me plairait pas du tout. Je suis milliardaire, et alors ? C’est vrai que c’est une grande réussite, mais en soi c’est dérisoire. Il faut que ce soit plus qu’une simple fortune.” Toby Moore ARABIE SAOUDITE LE SELF-MADE-PRINCE Jerôme Sessini/Sipa ■ Al-Walid ben Talal ben Abdulaziz al-Saoud, 50 ans, est par son père le petit-fils du premier roi d’Arabie Saoudite, Abdulaziz ibn Saoud, et par sa mère celui de l’ancien Premier ministre du Liban, Riad El-Solh. Malgré ce pedigree, il affirme avoir gagné sa fortune à la sueur de son front d’homme d’affaires. Avec près de 23 milliards d’euros, il serait le cinquième homme le plus riche de la planète. Golden boy, il sert souvent de prête-nom pour d’autres membres de la famille royale qui souhaitent placer des capitaux dans diverses multinationales. Il possède par exemple 5,4 % de la chaîne de télévision pro-Bush Fox News et 13 % de Disneyland. Heureux propriétaire de demeures luxueuses dans les beaux quartiers de plusieurs capitales occidentales, d’hôtels de luxe comme le George-V à Paris et le Four Seasons à Londres, ou encore d’un jet privé (voir photo) et du plus grand yacht du monde, il sait être grand prince à ses heures. En 2004, il a promis de financer 10 000 logements dans les régions pauvres d’Arabie Saoudite et se fait aimer en organisant des banquets pour distribuer de grosses sommes d’argent à ses compatriotes. Il a aussi offert un chèque de 10 millions de dollars à la ville de New York après les attentats du 11 septembre 2001, don refusé à l’époque par le maire, pour qui l’argent saoudien sentait trop le soufre. COURRIER INTERNATIONAL N° 822-823-824 31 DU 3 AU 23 AOÛT 2006