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XXIX
J’ai décidé de t’offrir cette étrange journée de printemps, de l’ordinaire
porté à
Incandescence, comme si de mes yeux sortait l’angle de visée juste, pour sertir la plus
sale des routines dans la brillance de son commencement…Car le désir bénit celui qui
se trompe d’étoile ; son errance vaut pour celles qui l’ont une seule fois ébloui…La
vaisselle baigne dans une eau anormalement blanchâtre…Le païc citron a-t-il viré vers
ces phosphorescences ? Non…C’est une savonnette qui s’est collée au fond, flasque
comme une méduse. Ses contours amollis ont doucement fondu et propagé des stries
lactées qui masquent tout…Avec Ariel, la lessive sera enfin terrestre : quelques
chaussettes actiliftées ont entraîné une chemise sous leur crasse bleutée…Je les sépare,
je les essore, je les étends, tambour battant…Mon cerveau est un disque mou qui ne
sauvegarde plus rien…Une aiguille faufile une vague couture dans l’entrecuisse de mon
jean…Est-ce bien moi qui ai insinué le bout du fil dans le chas ou un homme de ménage
qui rêve de folâtrer avec Alice ?
La suite de tes nonanniversaires a dû marquer un temps d’arrêt, ces jours-ci !... Mon ignorance
s’accommode des 364 occasions qu’il me reste à fêter avec toi, quoique, de tout cet
hiver, le silence m’ait transi, ma main gelée ne pouvant griffonner les mots de feu que
méritait ton âme…Mais bon, voilà que la débâcle me draine encore vivant…Le
mercredi 28 décembre 2010 la grande faucheuse m’a raté, j’ai sauté à pieds joints audessus de sa lame ...J’aurais pu me fracasser le crâne : Hélas, ayant quasiment skié sur
l’arête des six marches ,je me suis retrouvé au bas du perron, comme au sortir d’un salto
chaotique, le cul par terre, ma main droite crispée sur un sac-poubelle au fond duquel
j’aurais aimé finir !
Par les mânes de Marat, à qui Charlotte ne
laissa aucune chance, n’ai-je pas eu raison d’esquiver la camarde après avoir été sauvé
par les trois singes ? Même si au pire , tu seras toujours un peu dépositaire de ma force.
Car je me connais Judith, « les seuls romans qui se terminent bien sont ceux où je ne
suis pas « … Je préfère vivre ce qui ne peut s’écrire…Si je dois comparaître devant le
Conseil des Mères, j’espère que tu viendras témoigner en mon nom !...Tu leur
diras : « Il est coupable, parce qu’il obéit à la pureté du désir ».
XXX
Chère Sofia Iegorovna,
Le silence et la solitude me rendent tellement soluble que les autres viennent
allègrement enfouir ma précarité sous la leur. De la transparence du film, ils ne
retiennent que la douceur où ils célèbrent leur fin de mois. Que sous le poids de ces
hussards, la pellicule se déchire, que la palette bascule dans le vide, peu m’importe si
surgissant comme du Harar ou d’une croisière de Gorillas, le 4x4 de Léo pointe ses
phares dans l’embrasure…Je l’ai appelé la veille, dans un hoquet télépathique, en
arborant un médaillon où nous avions noué nos âmes, sans qu’au grand dam de l’intox
populi, nos corps eussent franchi les portes de Sodome…C’était il y a vingt ans, et daredare, il se téléporte au plus fou de mes signes…il devient fort de mon évanescence…
Quel bonheur, après la grande peur…
Et vous, me direz-vous, chère Sofia Iégorovna, qu’ai-je à voir avec cet
ectoplasme, ce peu-follet, ce trois quarts de fantôme ? … Oui, je sais, c’est mon défaut
je cristallise des chimères obsolètes, je féérise des coïncidences, alors qu’il suffirait
d’un s-m-s ou de l’instantanéité d’un e-mail pour que rendez-vous soit pris, sans aucune
magie ! Au moins, vous le reconnaïtrez, en voilà un qui n’est pas empêtré dans la toile,
dont on n’a pas pixélisé les traits sur le fichier du net, un qui dans sa rage d’être vaincu
par le temps, préfèrera toujours l’ inattendue traîtrise du désir… Pardonnez-moi, si lors
de notre dernière rencontre, j’ai paru quelquefois saccager le présent ! Vous le savez
aussi bien que moi, l’humour russe se doit d’abominer ce qu’il aime le plus : on en
ressort toujours absous, la vodka tenant lieu
d’éternelle ablution… Vous au moins vous m’avez demandé d’écrire, au lieu de me
renvoyer à ma triste besogne de maître d’école ou à la condition encore plus dégradante
d’éthylocéphale !...J’ai essayé, tout en comptant sur votre sens inné du secret…
Mickaïl Vassilievitch.
XXXI
Elle : Le cri passa par ses muscles avec une étreinte à me briser presque les reins…et
c’est dans ce « presque » que toute sa violence signa sa volonté de partager l’extase…
Pas de halètement ni de charge bestiale… juste l’acmé du don et pour envahir l’âme de
l’autre, une hampe de chair dressée, au comble du désir…Les yeux fermés, j’étais
plantée sur ce geyser de jouissance. Sa peau se confondait avec la mienne, nos lèvres
étaient tellement tressées que je crus boire l’or qu’un ciel sans fin veinait entre mes
cuisses…
Lui : L’alcool a un effet suspensif, qui imite avec la plus salutaire des dérisions, la
maîtrise du yogi…La puissance retardée par la crasse physiologique est parfois plus
irradiante que le contrôle par l’esprit, d’un certain seuil de fusion !.. Je préfère
m’abîmer dans la lave, la chair submergeant ce qui prétendait la régir… L’au-delà du
don, c’est donc l’abandon ultime, ce chair à chair où chacun s’exténue à surpasser le
don de l’autre…Cette aporie a les dehors d’un film X, mais elle a aussi la magie d’une
offrande perpétuée dans le plus grand secret…
Lors de notre dernière « rencontre », nous avons peut-être tiré la quintessence
d’un trop long brouillon…La vraie maîtrise ne vient pas après coup, elle est
l’ajustement, seconde après seconde, d’un trait qui génère de lui-même sa propre
persistance. Même si le regard est encore emmouscaillé,si la pensée est encore
engoncée dans des limbes aussi doux que l’horizon de chair où nos lèvres se perdent,
soudain l’instant se dresse comme un verre de cristal, il boit tout ce qui a été mal vécu,
il n’exige rien d’autre que sa répétition…il absorbe les débris du Sphaïros, que le
Spectacle s’évertue à jeter sur les cœurs en fusion…Sa réponse est dangereuse parce
qu’elle ne se montre pas : elle défie le contrôle qui dénature le monde...
Nous sommes « là », intensément « là », chacun jouant pour l’autre la partition
barbare du présent…
Elle : … Redis-moi ce cantique sauvage…N’arrête pas … Enfonces-y ta Langue… Fais
le
naître cent fois et donne lui un nom qui n’épuisera jamais son être…
Lui : Appelons-le …
Elle : …Non ! Ne le dis pas… Ecris –le moi encore…Imprime-le de ton corps à mon
corps, et,
S’il le faut, passe-moi par ton âme…
V…V…
XXXII.
Chère Alexandrovna,
Nous avons respiré ensemble, conspiré, été complices dans le
mensonge…Beaucoup se découvrent une aisance à trahir, ils drapent leur duplicité
comme le sexe le leur intime, la froideur de leur dissimulation compensant presque
physiologiquement les tempêtes lascives de l’adultère. Leur jouissance est parfois
double s’ils trahissent plus cynique qu’eux-mêmes… En mentant à plus menteur, ils
s’absolvent de toute faute présente et à venir. D’autres n’ont rien promis, ils ont couru
aveuglément après l’étoile , jusqu’à ce que sa présence illusoire les écrase, ils souffrent
la vérité intenable du désir…leur vie est cousue d’or et de drames. Toi, tu buvais sur un
amour carambolé… Etais-je encore perdu dans un défi charnel : tromper inlassablement
la morte à qui j’avais voué une fidélité monstrueuse et quasi criminelle ? Non… J’étais
à peu près guéri de l’absolu, mais pas dépris d’un grand mal être, quand il me fallait
forfaire à la « pureté » qui avait empoisonné mon existence. Truquer le quotidien,
comme j’en avais autrefois haï la pesanteur, m’était un crève-cœur… Entourés par des
ludions, gobés par eux, nous finissions par nous boire l’un et l’autre… L’alcool
évaporait nos souvenirs et nos hantises : il nous livrait tout luneux au présent, pour une
extase que rien n’aurait suivie…
Qu’un jour récent, tu m’aies traité de tricheur, ne pouvait être qu’un déni de ce
pour quoi nous avions résisté le plus à nos douleurs entremêlées. Qu’était la hanche
d’une autre, effleurée au passage, au regard de tes cent tours de brousse… Lorsque trois
jours plus tard, la lionne revenait, purifiée par le temps, t’ai-je jamais demandé jusqu’où
tes déliriums avaient pu t’emmener… Quoi que tu fisses, tu ne pouvais pas me
trahir !...Qui boit est capable de toutes les indignités… Plus on s’enivre, plus le non-dit
impose la nudité de sa présence…C’est la force la plus subversive qui soit…On aime
tout le monde et on tuerait n’importe qui… Ta liberté était entière, ,la mienne un peu
concédée, le dandy de la force s’accommodant du dindon de la farce, le tragique
déversant son pus noir, sous les piques de l’autodérision… Nous allions bien ainsi !...Je
voulais tes secrets, tes frasques de rebelle, mais pas ce renversement de rôles où la
moins obligée devient la plus jalouse…
Tzin
XXXIII.
Chère Sofia Iegorovna,
J’ai croisé Tzin cette nuit… Il m’a paru au bord du précipice…Il traquait
rageusement les ardoisiers mais sa truffe avait trempé dans trop de Sauvignon…Elle ne
sentait même plus ceux qui se feignant sans argent, lissaient du bout des doigts leurs
liasses au fond des poches… Il tanguait mou entre les inodores et les hyènes
furtives…le mauvais pas, la danse à faux… Deux junks étaient vissés à sa basque
foireuse, ils bavaient sur son zig, ils en mimaient le zag… la chute au fond des cages…
le trébuchet noyé sous des congères de poudre…Qu’il tombât et ce serait trip couronne,
des shoots en boucle, la coupe bue…toujours pleine et rebue sans jamais de la
lie…l’extase, le coït yogesque…une queue d’ange tendue entre des tours jumelles et un
pierrot dactyle qui la coupe du bec… Heureusement je l’ai happé dans l’entrechat, je
l’ai tiré de l’ombre et au bout de trois téquilas, il avait le corps droit et la diction aussi
tranchante qu’un boomerang qui revient sur le monde…On aurait dit un mimétisme
d’âmes, un une-deux à l’aveugle…Il occupait à nouveau le terrain, il me trouvait, là où
j’avais voulu…
_ « On m’ostracise, on me boycotte, m’a-t-il dit…je vais finir anachorète au milieu des
zombies…on me complote un lit de goudron, sans les plumes, pour l’hiver…Certains
me font payer leur frustration, ils vitupèrent ma solitude, ils me voudraient inamovible
dans leur théâtre, accroché aux frasques d’Alexandrovna. « Il a plaqué sa sclérotique »
morsurent-ils, comme si je n’avais pas hissé ma mal portante, bien au-delà de leur ligne
de guérison…mais il fallait qu’elle voguât par elle-même, que je ne devinsse pas sa
maladie et tout ce qui s’ensuit, quand la sirène tire trop sur le fil, que le pêcheur voit
s’enfoncer sa croix au fond de l’eau… Et puis, il y a la horde des jeunes vieux qui
m’ont taillé un beau costume…ils ont cousu la proie sur l’ombre…la hase bine
l’obsolescence…qu’une femme survienne, ils font une queue à vingt, un obélisque, un
phallus d’astral…leur tournante est mentale, leur sperme un spray désespéré… ils
violent ensemble et en catimini… ils vaporisent leur déesse et à l’instant ultime, elle
bruine dans leurs verres, elle foire en cristaux liquides… Au XIXe, y seraient tous
morts, à quinze ans, au charbon, derrière la queue d’un cheval…Pour arroser cette
embellie, pleins de rouge, ils brisent boules, autour du coche au net, pire encore, autour
du nocher sépulcral, le vieux Charon, avec sa barque toute prête…Ah ! la lie de leurs
cartes s’écrasant sur les tables comme les bois d’un cerf acculé à l’écorce, au sacre, au
pilori…Le chef de meute, piquaille , tel Cortez, dans les marais de Mexico… Ses
sentiments viennent se greffer juste au-dessus du cœur : il a la fibre révolving, qui
affole les chèques et les puces bancaires… Quand il n’entendra plus que le son creux de
la mitraille, ce gigolo du genre humain, il volera au secours d’autres riches en errance…
S’il faut rompre presto, il
s’en fait pas d’acrimonie, son visage en diptyque tourne vite au mépris… Du vibrato de
l’être, du rap qui cogne aux tempes, qui te lancine ton naufrage…il s’en balance… »
Et, ce disant, Tzin serra le poing comme s’il voulait fracasser un totem d’ordures,
son ennemi intime, pixélisé, dans les raclures sonores qui tombaient de la scène… Sa
haine faisait chou blanc, sa haine léchée de toutes parts, par les niaiseries sournoises de
la fête, sa haine qui finirait bien par fondre sous la langue d’un dieu ou d’une …
XXXIV.
Ils m’ont jeté en pâture dans la gueule du Lu et celle encore plus empuantie du
Non-lu…Un nouveau corps surgit du clair obscur, brillant de toutes ses
syllabes…J’aurai rêvé le Sphaïros par saccades. Dès que je refermais l’œil, je retrouvais
le ciel, là où je l’avais perdu… l’aube sépia ruisselait sur le monde avec la ténacité du
bonheur, rien n’échappait à la pénombre prometteuse…ça sentait l’assomption
imminente… Un liseré de feu déchirant l’horizon comme, jadis, Ra vint bénir
l’ignorance des hommes…
XXXV.
C’est sur un timbre que j’ai vu « les joueurs de cartes » pour la première fois… je
philatélisais, sans trop savoir pourquoi… Un copain de cinquième m’avait traîné au
bord du frontispice…timbres en tous genres, même sans dents, croquez au
bénéfice…La toile cirée est de mise, le litron se fait un bouchon du diable… les cartes
débordent des mains gourdes… on ne sent pas la prise fine des seigneurs. C’est à qui
niera le plus la présence du monde… Carte blanche au néant ! Et surtout que la pipe
puise la même pâleur qui amidonne les deux cols de chemise !... Presque gainés dans
leur cube, les expiateurs du rien, picadors affligés de bouts de banderilles… Le
minotaure revient au grand goulot, comme un esprit culé au fond d’une bouteille… le
lâcher prise est permanent… ils dévissent du flanc des heures, la montagne saint défaite
débite ses morts-vivants comme des cartes de calcaire, sans que le vent puisse jamais
sculpter leur chute… Bientôt viendraient la galette des corps, le mortier de la peur, des
pans de chair humaine, s’affaissant dans l’herbe de Treblinka… Puis il faudrait
recommencer la vie en contrebas, malgré les ossuaires et les charniers, il faudrait
renchérir de quelques cœurs de plus contre une armée de piques…
XXXVI.
Je n’avais jamais vraiment parlé à Alexandrovna de ma grande peur, craignant
qu’elle n’en jouât, par un de ces chantages qui ponctuent misérablement certaines
histoires d’amour… Cette nuit de novembre …,après avoir hurlé dans le vide son
répondeur, j’avais foncé jusqu’à sa porte, derrière laquelle, devait-elle raconter plus
tard, en ma présence, avec une désinvolture mystificatrice, son âme injectée d’un tropplein de L… avait entamé une lévitation des plus délicieuses, tandis que je tambourinais
ma détresse, à nouveau transpercé par une icône sanguinaire : le visage blafard de Jenny
Honnivers… Etais-je donc voué à répliquer la mort, et cette horreur d’aimer que je
n’avais de cesse de m’offrir en partage ?... Le bris d’une vitre, au fin fond du temps, où
je m’engluais, corps et âme, fit voler en éclat l’ombre du mauvais ange. Les pompiers
avaient roulé plus vite que la lumière…ils arrivèrent vingt ans plus tôt…la belle au bois
ronflait du sommeil des justes ! Le prince tut sa terreur et se berça d’un semblant de
résurrection au pavillon d’urgence…Si ! Si !... J’avais un peu sauvé la vie
d’Alexandrovna, seulement sa vie ! Car désormais, tant que, lassée par ma laideur et ma
vieillesse grandissantes, elle n’aurait pas cherché à se noyer dans la beauté d’un autre,
mon angoisse ne cesserait pas…Sa vie valait bien qu’elle me haït un peu, encore mieux
qu’elle me méprisât. La mienne serait essentiellement consacrée à faire transer d’autres
visages, à y lire la joie, le « fou-hissement » du Sphaïros, fût-ce en rêve, en effigie, ou
dans la fausseté glacée des magazines…
Oui, qu’après la gerbe des bras d’honneur et des insultes, je sois encore sourcier
d’un ultime sourire, que j’en sois submergé, pour qu’entre deux êtres , fulgure
l’évidence de l’âme, qu’elle soit là, dans la flagrance de l’offrande, qu’elle soit l’onde
montante du plaisir, le partage, fluant en secret, par les yeux, ce corps glorieux où
chacun s’abolit dans la chair de l’autre…
Tzin.
XXXVII
A Alexandrovna
Il y eut aussi, à la fin, cette étrange inversion, où je passai par la nausée millénaire
des femmes… Soudain, au milieu de la nuit, l’autre déboule avec la violence d’un
faune… il lui faut du plaisir tout de suite… il dégaine son vit comme il veut, il fore un
corps-objet… plus il s’enfonce, plus il lacère une âme, et quand il finit par lâcher sa
semence, le poupon se dégonfle et sa hure inflige un dernier rôt aux joues bleuies d’une
madone… heureusement, exaltée par ta fête, toi, tu voulais l’amour mais moi j’étais
abruti dans des limbes vulgaires…Faut se lever matin, sans la magie de l’aube, de grâce
laissez dormir le vieux calvaire…j’avais prévu une nuit grise et solitaire, tu me tombas
dessus et me mangea les lèvres ! Elles étaient froides comme limaces…Le fourreau fit
entrevoir son creux, son orchidée vorace…elle palpita d’être fendue, mais la dague
n’est jamais venue…
XXXVIII.
A Alexandrovna.
Peut-être ne nous reconnaîtras-tu pas ! C’est un peu faute aussi d’avoir laissé
couler ce lent aveuglement au bout duquel on vit à la « petite semaine », sans savoir où
chacun dérive, où chacun voudrait rehausser sa lassitude d’être. Je n’ai jamais autant
regardé s’agrandir les jours , avec la conscience scintillante que je pourrais mourir dès
demain ! Il en va de nos errements, comme de ce qui les annule, de nos faiblesses,
comme de la force qui en renaît miraculeusement… C’est une manière de désigner des
traces, là où nous n’avons pas encore marché, d’écrire le lieu où nous ignorons aller et
où nous boirons encore, s’il nous menace d’une trop grande plénitude… Quelle chance
nous aurons eu alors, d’échapper au triste « retour des choses »…
Tzin.
XXXIX.
Sois patiente ! Il te traite de tous les noms, mais c’est toujours de toi qu’il
s’agit… Il a beau se défiler derrière la peau d’un personnage, rien ne t’échappera… Tu
sais que, tôt ou tard, il se rendra à ton étrangeté. Tu as tout pouvoir sur lui ! Non
seulement tu tournes les pages où il se dissimule mais surtout tu es la page derrière
laquelle il court, qu’il se maudit de ne pouvoir écrire… Si tu fermes le livre, il devient
ton signet, un messager qu’effleure celle qui retourne au monde…
XL.
A Judith.
Qu’espère-t-on de la fraîcheur si ce n’est l’assomption glacée de l’être…Ce n’est
pas un vulgaire changement de température, car le Temps opère à dur, la dormance des
choses et livre ce qu’elles voilaient derrière la hâte de leur nom…La racine de l’arbre
est alors indissociable de la terre où elle s’enfonce, comme des doigts noués au
bruissement sauvage d’une autre peau… La pluie fouette un enchevêtrement de corps
où chacun sue de la chaleur de l’autre…Le chrême sort de nous, et abolit ce qui
souffrait de la séparation… une âme d’un seul tenant fait scintiller mille yeux des pieds
jusqu’à la tête… Une 75O traverse si vite la nature qu’elle laisse à peine un brin d’herbe
roussi et une volute grise aussitôt dévorée par l’azur…elle éclaircit le trou mielleux
fracassé par l’orage…je retarde du mieux que je peux, la boule de feu, pour qu’elle ne
cesse d’advenir…
XLI.
La fine fleur arrive, l’élite des pucelles…Elles pavanent leurs hanches biseautées
au fado…fesses narguant les boucs qui chaloupent à l’entrée du lycée…langues
dardées, prêtes à sucer les caniches tourneurs, tutti de transes…… le dieu au pieds
fourchus pique de queues en clitoris…un rap fait bouillonner tout son venin, avec des
jugements irrémissibles… gueules d’amour, facies torves … dès l’origine la haine bat
son plein… jusqu’à ce que , dans le miracle noir du crépuscule, un gland décapuchonné
par la violence du désir, se dresse rose vif et qu’il entrouvre la gaine huileuse et rouge
d’une vulve pour y cracher l’incandescence d’une première étoile…
XLII.
A Judith.
Sometimes , I miss your irradiating soul, sometimes, I feel like a sisterless child,
like a loverless ghost… The target is flying through the years on the black side, it’s a
rolling flesh… I miss your strange lightening eyes, When you were dreaming strongly,
up to the stars…I can’t remember… Was it a shadow? Was it the birth of a new
creature? Was it a dirty blue… a birdy dew into the ocean? The end of the world? The
beginning of my Sphaïros?...
Gravitation makes the arrows like real pearls of sorrow…we put to the word,
every sword and gun…and for no deal, we bowl over the clouds… You laugh… and
cry… and laugh… inside me. Many “chicks ago”, there was a golden egg, a no man’s
landing sun… We were stars and stripes dust… From this burning naught, I kiss you…
Ca fait du bien que les langues glissent… l’amère loque… The enjoying slang…
que les langues me tressent un manteau d’arlequin, même si mon corps a l’informe d’un
livre, troué par la planète ! Nos flèches inventent leur propre cible : elles se plantent là
où le désir mourrait d’être nommé… La tienne est arrivée dans un creux de ma vie ; elle
a rouvert les lèvres qui retenaient le chant que tu pourras entendre, comme un répons à
ta lumière…
La force de l’arcane XI, c’est cela : quand une coulée de joie flue en nous, qu’elle
charrie la substance infime d’un être, tantôt éberlué, à dix mille lieues de là, par la
grandeur du monde, tantôt revisité par les stéréotypes de la misère, de l’alcoolisme, et la
loufoquerie de ces mafieux englués dans leur rôle…Leur limousine est trop longue,
pour qu’on y « crèche » d’un enfant réaccordé aux veines de sa cage, par des mains
invisibles, entièrement vouées au maintien de la vie… Naître à deux doigts de la mort,
par la lenteur experte d’un démiurge et de ses assistants, vaut bien qu’un bœuf, un âne,
un chien empuantissent leur luxe tapageur… qu’il y ait, à la place de leurs contrats de
haine, de leurs ignominies filmées à l’infini, une vraie scène de vie… qu’on recouse un
archange, là où ils bafouent l’humanité…
Men of a murder, slosh together, slobbering all other Death’s shadow. They never
ear the vibrato of any soul… A poor lonesome baby is crying wide eared open , onto the
worldshine… et parfois, beaucoup plus tard, selon l’improbable magie des êtres, le
monde se lève encore… Je t’embrasse.
V…V
XLIII.
A Sofia Iegorovna.
Très chère , qui passâtes sur le trottoir d’en face( Tous en abusent , depuis la
“gloire” jusqu’à la meute des scatophages), qu’avez -vous vu?... L’ombre grêlée d’un
samouraï, les yeux fléchés de mots, les neurones rampant entre deux grilles de sudoku,
ou bien un mec encore plus mec que les autres, et qui n’automne plus personne, ou bien
un lutin désoeuvré gouttant aux gazons fendus d’Aphrodite, ou bien un révolté des
autres, digne dans la tristesse et innocent dans l’allégresse, sans un zeste d’infamie
(« L’intox populi n’aura pas raison de moi, dit-il, puisque un fou à toujours le dernier
mot ! ») ?
S’il n’y avait eu la vacuité d’un match de football, pour me tirer de mon
« pensoir », et le ragot ostentatoire d’un preneur de tête, j’aurais bien refait la révolution
à l’envers, l’insurrection hongroise, et cette année obscure où Hitler fomenta sans doute
sa sinistre mission, mais le cas rosse fit ses six trouilles, bien plus tard que prévu…
Après minuit, de téléphone point ! de peur que Carabosse ne sabordât les rêves de
Cendrillon ! La cuite qui s’ensuivit, fit grand bruit , dans le bourbier de mes viscères !
En se châtiant elle-même ma colère fut guérie, assez tard dans la nuit…Il y a vraiment
des fêtes qui se perdent …. Je vous embrasse.
Mikhaïl Vassilievitch.
XLIIII.
A Sofia Iegorovna.
J’ai entendu notre clown national livrer les fonctionnaires à la vindicte populaire,
et surtout placer les profs en première ligne. Votre savoir n’est donc pas assez pulvérisé
par la triple autorité (administration-parents-élèves) pour qu’on vous manipule en
boucliers humains, à la moindre kermesse électorale. Que reste-t-il de la dignité de
transmettre, hors de tout contrôle économico-politique, si ce n’est le scandale d’une
autre liberté : mieux que se perdre en enseignant, enseigner à se perdre suivant les vrais
usages, et donner en un baiser sa science à un corps avide et palpitant…Rêvez un peu,
et qu’à chaque tête dure qu’il vous sera impossible d’ensemencer, qu’à chaque regard
vide, dans la fadeur des s-m-s, il vous revienne la transe interminable de la veille, nos
bouches en feu, nos syllabes de chair ourlées en mille mots, et la caresse qui
transfigure…Rêvez un peu, nourrissez-vous de l’intraçabilité des hommes, rendez leur
présent volatile…
Mikhaïl Vassilievitch.
XLV
A Sofia Iegorovna.
Laissons de côté la méchanceté avec laquelle j’accusai Georges Lambrichs de
donner mes manuscrits à ronger par les rats…Ma pauvreté n’est plus la même. Elle me
colle comme à la peau d’un vieil anachorète et aussi d’une espèce de voyou sensuel,
auquel une femme mal aimée jadis, daigne enfin offrir l’immensité ardente de son corps
…une pauvreté qu’on voudrait lumineuse, mâtinée d’innocence. Tant qu’il me sera
possible d’enfoncer la pointe la plus brûlante de mon être, tantôt dans So tantôt dans
FIA, tant qu’il y aura le répons ensorcelant des lèvres sur le totem au goût
d’orgeat…Tant que je pourrais créer, par ma peau, ma bouche, mes mains, ce cri-chênedo, ce vibrato d’arbre, cette fusion d’écorce, où s’ellebore à cru ,l’or de l’un dans
l’entaille de l’autre, cette zébrure entière de l’âme, éclaboussant le ci-devant derrière,
tant qu’il y aura l’archet raclant, la tablature affolée du plaisir, tant qu’il y aura la
suspension du début dans la fin, tant qu’il y aura la douce-amère, la retenue de soi en
soi, et puis l’èjaculat brûlant au plus profond de toi, je veux bien être pauvre de ce que
la joie m’aura permis de perdre, je veux bien être pauvre de t’avoir tout donné…
Mikhaïl Vassilievitch.
XLVI.
Mikhail Vassilievitch ( tournant en rond, et lisant une lettre qu’il vient d’écrire) :
« Chère Sofia Iegorovna, je vais mesurer le temps qui nous sépare, que la lenteur de
l’avenir ait au moins un vague goût d’éternité… Au terme d’une nuit martelé par le
heurtoir de l’insomnie, je remémore le final de notre dernière rencontre : ça n’était pas
un bouquet ! Comment est-il possible que nous ayons eu l’impression fausse, tous les
deux, vous, que je désirais partir, et moi, que vous me jetiez littéralement au-bas de
votre lit ? Manquons-nous d’une justesse de sentiments, ou surtout de la capacité
d’énoncer, sur le champ, la transparence de ce que nous sommes en train de vivre ?
D’où vient ce dépit sinon de l’entrelacs de nos silences ! Nous avons soliloqué, qui
plus est l’un contre l’autre, pour une ambigüité risible…
-Vous vouliez que je m’en aille ?
-Ah ! non !. Je croyais que c’est vous qui vouliez partir !
Et nous aurions replongé dans ce duo qui n’appartient qu’à nous…Il est vrai aussi que,
hors de leur contexte mental, les mots peuvent siffler comme des balles !...Nous avions
peut-être besoin de ce vague à l’âme, de ce laisser aller de l’être, où chacun laisse
mourir sa vérité , dans la hantise de ne pas saisir celle de l’autre. Alors, on bégaye de
son propre désir, et on rumine sur des mensonges qui n’existent pas.
(Pause. IL boit de la vodka, au goulot)
… Matinée de blaireau, asservi à des banalités, dans un automne étincelant…Il y a des
paramètres dont je suis le seul à détenir les curseurs… Ne tombez pas dans le piège, ne
vous joignez pas à la meute des scatophages, qui , ne comprenant rien à ma vie,
voudraient m’en imposer, comme si de mon mur de silence, ils ne pouvaient qu’induire
à une multitude de crasses…Je n’ai pas fui ma culpabilité , quand ils en ignoraient le
moindre fondement, ils en abusent, ils en font une marotte obscène !...Et vous, que
diriez-vous, Sofia Iegorovna, si je vous incitais à retourner vers Voïnitsev ? Ne serait-ce
pas la pire des offenses, après que nous aurions baisé ? En directeur cynique de votre
conscience, je vous renverrais à la vacuité d’un homme, à la déliquescence de votre
amour, alors qu’il n’appartint qu’à vous , de vous délier de lui : c’était votre douleur,
votre salut, votre envie de renaître…comme vous rechoisirez de succomber à sa figure
originelle, vous, essentiellement vous, sans qu’un parangon de luxure ou un voyou
asexué ne vienne épancher sa haine ou son dégoût…
(Nouvelle pause. Il se sert « cérémonieusement » un verre de vin rouge)
…Je bois l’année la plus sinistre de mon existence, St Emilion 1986. Un survivant de
l’ombre me l’a offerte, il se marche dessus, depuis qu’il est né…La douceur du vin
alanguit ma chair, elle dilue ma lie, la balle, et le palais qu’elle perfora… Je bois le sang
qui fut dispersé et celui que je n’ai jamais donné. En face Mademoiselle C… est trop
glycine, elle éclot dans le noir, derrière ses rideaux…L’électricité lui fait défaut, et celle
encore plus rare qu’on sent jaillir, sous l’écorce d’un homme… »
(Apercevant Sofia Iegorovna)
…Vous étiez là, si tôt, vous écoutiez derrière la porte ? Parfois le temps bat plus vite
que le cœur !
Sofia Iegorovna :
…Mon cher Mikhaïl Vassilievitch, votre prénom sonne vraiment comme une parodie…
C’est vous qui pensez, avec les emballements du cœur ! Après, vous arrangez, comme il
se doit , votre bonheur, vous le jetez de ci , de là, à la face des femmes ! Vous n’y
comprenez rien, à votre tour, parce que vous êtes comme ces vieux soldats de la guerre
de Crimée qui sont revenus plus enfants que leurs fils. A singer l’innocence, vous êtes
parfaitement ignoble ! J’ai bien fait de ne pas vous tuer, à bout portant, il y a plus d’un
siècle, comme le voulait ce jeune fou de Tchekhov… Vous promettiez l’amour, à tout
venant , plus ravageur que la horde aveuglée des bacchantes ! Rien, mieux que la
vieillesse, ne pouvait vous punir ! Soufflez, ahanez, trébuchez sur votre ombre, sur cette
jeunesse pour laquelle nous nous perdions, les unes par les autres… Vous êtes enfin
aussi vieux que votre âme ! Bientôt, vous ne pourrez plus lever… « le petit doigt »…
Le » désir mourra en vous, comme une flèche fendu sur un arc qui casse…
Mikhaïl Vassilievitch :
… Chère Sofia Iegorovna, nous avons détesté ensemble, les suppliciations sadiennes,
et les fantasmes de cruauté par lesquelles il cherchait à nier la prison… Mes mains, ma
peau, mon sexe n’ont fait que vivifier la vérité de votre corps… Il fallait le subvertir, le
pousser dans sa dernière plénitude… qu’il vibrât, en dedans, du plus pur des gestes…
Oui, souvenez-vous ! Le plaisir avive la paix qui l’a fait naître, quand il faut étaler la
phrase, à l’infini…un mouvement de côté, au comble de cette sarabande… vous voilà
sur le ventre et hop…votre colère post-coïtum va disparaître… Vous crierez au
miracle …du mou, du flasque, se dresseront à nouveau « l’habit en feu » et son gland de
lumière !...
Sofia Iegorovna :
Vous éludez la liaison, vous savez que mon désir la prononce déjà !... qu’il la savoure
du bout des lèvres… Vous êtes incorrigible, Mikhaïl Vassilievitch ! On dirait que la
jeunesse vous revient, qu’elle gicle, comme un vin dangereux, dans vos yeux… Vous
êtes vraiment ignoble ! Je recommence à vous… N’approchez pas …sinon, je vous
étrangle…
Mikhaïl Vassilievitch (buvant un dernier verre et l’imitant) :
« …sinon, je vous étreins, jusqu’à ce que mort s’ensuive… »
Une voix( Dans le noir absolu sur un crescendo de percussions et d’orgasmes
entremêlés ) :
De mauvais juges nous épient, ils officient partout où ils ne devraient pas être, ils ont
des lois qu’ils n’appliquent qu’aux autres. Quand ils ignorent le fondement d’une
affaire,d’un déchirement, ils se jettent sur le silence, comme des vibrions avides de
mauvais sang…Un tel qui s’est tu , durant des années, sur une angoisse toute
personnelle, est sommé d’en payer le contre-coup… « Eh oui, mes bien cher frères, s’il
n’en n’a jamais parlé, c’est qu’elle n’existait pas ! S’il ne s’est plaint pour réclamer des
soins, comment voulez-vous que l’on ait confiance en ce malade ! « . Et le taiseux se
retrouve coupable de trop de discrétion. Ainsi la sycophantie s’étant glissée partout, et
les sanctions tombant de tant d’espions cyniques, il y a beaucoup plus d’âmes que de
corps en prison. Mais lui il a surgi le plus maladroitement du monde, avec l’étrangeté
inadmissible de l’amant, comme un coup de foudre pétrifiant la nausée des scènes de
ménage, charlatan à la verge nouvelle, mécréant scandaleux, et le voilà sacré « voleur
de poules »… Non… En fait il n’a jamais surgi… mais, à chaque fois, fouettée par on
ne sait quel frémissement stellaire, une bacchante s’échappait du conseil des Mères, et
venait se damner contre lui…
XLVII.
AUTOPORTRAIT EN FAT.
Tremblez, chancres de l’intox populi§ Ce matin, les portes de l’église sont
fermées et le vieil érotomane qui pensait griffonner quelques lignes de vie sur un livre
sacré, après avoir zigzagué entre une pelleteuse, un tramway prioritaire et des quidams
bloqués dans leurs manœuvres, peu soucieux d’admirer l’aléa qui les centrifugerait au
point où nul ne eput plus avancer, le vieil érotomane qui voyait en l’église, le lieu de
repli idéal, est obligé de frotter son impatience à celle des autres… du temps dévasté en
chœur, du temps qui sourd des yeux comme des pots d’échappement, bon vieux présent
qui pue, tant les secondes inondent les secondes, tant les vies se chevauchent dans le
creux du hasard, si bien qu’on ne sait plus qui est le mort dans le cercueil ni qui survivra
à ce trop-plein d’ennuis et de carrières insipides… « Ta paix… si loin…
mystérieuse… » aurait écrit le vieil érotomane, s’il avait pu entrer dans le silence de la
nef…
Tremblez chancres de l’intox populi ! Barricadez vos coffres forts, vos propres
corps et ceux de vos dames pas trop messes, vos nénettes rieuses au cœur du
management, rêvant, entre deux sites bien gérés, de mécréants frondeurs, et pour la
spermission, de flambeurs désirables… Attention§ à quinze heures le défunt sera là où
personne ne l’attend, tout à la gloire de son absence… aura rien qui puisse toucher à sa
sérénité, rien qui puisse toucher, rien qui puisse, rien de vous, rien de nous… aura l’or,
aura l’aura avec le temps où le dehors est bu par son dedans… aura le dans au bord du
hors, avec l’impossible auréole… l’anneau pérenne… terre, eau de feu faisant or de
lui…ça finira alors par regermer pour poindre au centre du Sphaïros…
Mais revenons au vieil érotomane qui a raté son oraison jaculatoire ! Quel est
donc ce visage qui miroite dans le bourbier de ses fantasmes ? C’est celui du jeune
homme, dépouillé de son souffle, auquel un prêtre récite la croyance précieuse où il
cachait sa délivrance. Partout où le vieillard avance, quelques soient les écueils où sa
pensée se perde, il y a, comme un amer transperçant la bourrasque, le regard paisible du
jeune homme, tourné vers le néant… Nous ne dirons pas, à la suite de quel malentendu,
le vieil érotomane est tombé sous l’opprobre, puisqu’il s’est tu lui-même, pour paraître
coupable. Il a la dent très dure et ne veut pas courir derrière son ombre ni devenir sa
propre caricature. Quant à son innocence elle n’importe qu’à lui : plus il attise la
méprise en éludant la grande peur qu’il a vaincue, plus il se voue intérieurement à son
désir de transparence. Son corps, ses mains sont à l’abri de la rumeur et des manœuvres
tabloïd, au milieu de son château en ruines, trois pans de murs à ciel ouvert qui font
rêver de loin, des berges de la Loire qui sinuent jusqu’à Chamalières. Autrement, il a
trouvé une oubliette, en plein cœur de la ville, où Google n’a pu contreplonger, une
mansarde irisée par le flux des nuages, leur lumière jouant, au gré des coups de vent…
Ce soir, l’innocence parfera la douceur de sa peau… Qu’elle se faufile hors champ, sous
le fouillis indifférent des nébuleuses, la femme au corps avide ! Et elle aura plus que sa
part de caresses, le vieillard de mes deux sera sur elle comme une torche vivante. En
attendant il dupe l’intox populi par des signes extérieurs, il offre les dehors du couac et
de la dispersion, il s’égosille aux courses, il sert des verres à des fantômes, il coinche à
pic, à cœur et à cri, il garde pour lui l’étreinte ravageuse qu’il s’est promis, il en bande
d’avance, il l’écrit, la réécrit, en remettant à plat sa queue gonflée sous la friction de la
braguette, au cas où un lascar viendrait troubler son brame et arracher le texte qu’il tient
entre ses doigts :
« La nuit fait pleuvoir des friponnes et des gonzesses au teint laiteux : à minuit, après le
fast drinking, elles n’auront plus de lèvres, ni de réponses au bout des doigts, elles
seront plus mortes que le jeune homme qui s’est sauvé droit dans les cieux… Doxa rôde
par là, avec le sourire ambigu d’une hyène… Naguère elle s’est ouvert une ardoise
magique. Au départ, c’était ingénument, le cumul des jours a fait office de larcin. Pour
un peu, elle serait la vengeuse masquée ! Mais tout à coup, elle détale sur le trottoir d’en
face comme si elle allait prendre le train ! Elle se défile sans ticket, sans la grâce… c’est
du ahan poussé d’en bas, du plaqué à bout de souffle, ce rictus, hors d’elle, qui tire sur
ses joues comme un retrait de l’âme… Qu’elle aille rejoindre le ventre mou, l’anonymat
du purgatoire ! Allez ouste ! Qu’elle s’envole, avec les autres, comme ces mouettes qui
changent de décharge et qu’elles aillent becqueter ensemble les hures du grand
monde… La tête d’un tyran saignant sur euronews et celles des bouffons rangeant leur
cornemuse… qu’elles… »
Et ce lisant, le vieil érotomane a tourné en bourrique, derrière son comptoir : c’est
lui l’effeuillé nul du Ipad, l’image roulée hors cadre, mise à l’index, abolie sur le
pouce… Dehors, l’enseigne repercutée par l’arête saillante de quelques semi-remorques
clandestins a chu comme une pomme, pourrie à même l’arbre : son cercle jaune, noirci
de dentelures, semble un soleil blessé, au fond de la pénombre. Quand l’armature
s’effacera au plus fort de la nuit, la métaphore deviendra impossible et le vieil
érotomane poussera le vice jusqu’à disparaître. D’ailleurs il s’y attelle déjà. Attendez !
Suspendez votre doigt, quelques secondes : il vous offre sa déréliction, un bon désert,
déversant , sur la rue, sa féérie de souvenirs, une vitrine sans pute…Effleurez-le du
pouce ! Il prend ses cliques et ses claques et se » dilue derrière l’écran…
Tremblez, chancres de l’Intox populi ! Ce soir, la porte du soleil est grande
ouverte et le vieil érotomane fait un pas de côté, il s’esquive, il pare la curée, il la
dispute aux demi chefs cocus qui ont lâché vos meutes, il se stimule, dans l’arrière salle,
pour se fourvoyer jusqu’au bout. Sur le divan, la position du gisant lui est très familière,
il apprend à mourir sereinement, à devenir soluble, comme naître fut autrefois une
incroyable peccadille. Nul ne s’en aperçut, au-delà d’un rayon de dix mètres. Ce sera
bien, s’il meurt au point zéro… s’il part en couilles, comme les textes qu’il a écrits…
« Qu’elle se faufile, hors champ, sous le fouillis des nébuleuses, la femme au corps
avide ! Elle aura plus que sa part de caresses, le vieil art de mes vœux sera sur elle
comme une torche vivante ».
XLVIII
A E… N…
Monsieur, vous avez rencontré, il y a quelques années, l’imprésario du
pauvre, Bruno Testa : il cherchait, avec obstination, à me faire sortir d’une certaine
clandestinité. D’un texte suintant à travers le moût trop serré du deuil, il parvint à faire
éditer un livre chez Quidam éditeur. L’affaire fit grand silence !
A peine lut-on l’article que vous aviez écrit dans « Le matricule des anges », et pour
lequel je n’avais pas encore eu l’occasion de vous remercier. Vous avez, depuis,
furieusement grandi dans le paysage médiatique et j’aurai peut-être du mal à vous
atteindre. Il n’empêche ! Pour une fois que par la magie d’internet, les taupes ellesmêmes peuvent montrer la progression de leurs galeries, en temps réel, je suis heureux
de vous inviter, en un lieu que la grosse machine éditoriale ne pourrait que tenir au
secret, dans mon Sphaïros éparpillé au gré des rapts et des lectures sans lendemain…
De ce présent-là, nul ne peut retarder l’échéance ni décider d’une quelconque
irrecevabilité…
XLVIIII
A B… W…
Des bruits de fond me parviennent…et des images… vos yeux plombés par
des ténèbres, quelques mois, paraît-il ! Mais recouvrer la vue, comme cela doit exalter,
peut-être jusqu’au miracle… Eloigné de tout « pharisianisme », je vous espère debout,
fort, prêt au meilleur. Rassurez-vous ! Je n’ai rien à demander ni à solliciter, c’est mon
plus grand plaisir ! Pauvre et libre, j’ai même encore de quoi donner aux autres (
n’évaluera-t-on pas bientôt l’homme à sa capacité de dépouillement) et je puis enfin être
lu, grâce à internet, dans le sillage instantané du geste d’écrire, n’en déplaise à votre
droiture d’éditeur ! Que du plaisir, vous dis-je, jusqu’à me pourlécher du gros lapin que
vous m’aviez posé ! Je vous accueille sur un site, où il ne manque que quelques lignes
enflammées de Mohammedia. Votre enthousiasme fit long feu, mais pas la réalité de la
sensation que j’éprouvai, avant que l’écriture ne m’engloutît. Ma régression n’en est
que plus exemplaire. A force de rebrousser les siècles, retrouverai-je la voix
d’Empédocle ?
A votre « revoir », donc.
L.
A R… M…
Un passage en enfer opère une telle transvaluation que mon éloignement de
la sphère littéraire m’apparaît aujourd’hui plus comme un bienfait que comme une
malédiction. Nous avions entamé, il y a trente ans, un dialogue improbable où devaient
sourdre par instants, les folles prémisses d’une mise à mort… Ce qu’une femme arracha
au plus profond de moi, d’autres me l’ont rendu, sans avoir l’air d’y toucher… Elles
m’ont fait remonter en un lieu où écrire s’apparente désormais à une offrande
jubilatoire. Me voilà donc encore plus « primitif », soucieux d’une innocence que les
haines du temps ne sauraient ébranler… A vivre intensément, ou descendre en deçà, il
n’est pas rare que le stylo me tombe des mains… personne ne s’en inquiète, personne
ne s’en offusque… C’est le cycle idéal pour qu’un texte reflue, la pureté du silence
s’abouchant au risque des insultes. Et quelle aubaine, quand, sans « maison » ni
bandeau prestigieux, on peut donner à lire l’instant, quand il s’écrit, même si d’aucuns
dénoncent la menace du site, et veulent sauvegarder leur technique ancestrale. A défaut
qu’on me vende, je me donne à cliquer ! Quelques secondes après, mon dit n’est plus
posthume ! Nous reviendrons au livre par pure délicatesse ou par extrême pauvreté…
Quand loin de toutes les eschatologies, on estime que le monde va simplement et
sereinement à sa perte, que la terre sera un jour déglutie par le soleil, si l’on a été dupé,
durant son enfance, par force catéchèses, jusqu’à vouer son âme à la permanence d’un
dialogue cruel, au sommet duquel se tenait celui qui châtie plus qu’il n’aime, au moins
nous reste-t-il, quand il s’évanouit comme un dieu de fumée, la vertu cathartique des
anciennes prières. On prie autrement, avec les forces qui ne naissent que de nous. A
l’idiotie des vieux cantiques, on répond par des extases bien terrestres : on se récite,
dans une joie toute mémorielle, des poèmes appris « par corps », on brûle alors d’avoir
été et d’être là, juste pour la persistance des autres, pour le meilleur de leur être, après la
haine qu’ils ont d’abord vaincue en eux . Croire à la fin du monde, c’est en fêter tous les
commencements
LI.
A E… N…
Absorbé par des tâches d’un prosaïsme insoutenable, j’ai mis du temps à
répondre à votre petit mot qui m’a surpris par sa promptitude. Cette fin d’année m’est
aussi légère que celle où je goûtai à une première reconnaissance, que je crus trop vite
suffisante et efficace. J’inclurai bientôt sur mon site, des lettres (« chronique d’un
échec »), où j’étais d’une impudente intransigeance vis-à-vis de Georges
Lambrichs, « jurant » avec, dès qu’il aurait fallu me colleter aux censeurs d’alors, une
terreur toute « modianesque ». Je ne peux donc pas déplorer une clandestinité que le
malheur finit par remiser au rang des vanités… Et si c’était, pour excuser la sauvagerie
de mes dérobades, l’équivalent d’une prière ou un raccourci saisissant, entre
l’ahurissement de l’homme primitif et l’hyperacuité d’un hacker qui resterait dans
l’interstice, sans jamais oublier la violence de l’être ? Qu’importe alors que ces deux
solitudes aient affleuré à la surface du monde, pour qu’il n’en vole qu’une pincée de
cendres ! Il y a tellement d’humanité à l’un comme à l’autre bout de la chaîne, que le
néant leur est une juste récompense…
Bien sûr, j’espère que nous nous rencontrerons, à l’air libre, au pied d’un crassier
miteux ou dans un bar qui sent trop sa province, et je vous remercie d’avance , si vous
faites savoir à quelques uns que mon travail existe, à l’écart du Livre, comme cette
sandale plus ou moins légendaire, derrière des moraines en bordure desquelles la lave
faisait rage, ou comme la chaussure à crampons d’un rom émerveillé par d’aussi
indécents privilèges : taper, retaper dans un ballon, c’est assez pour faire pleuvoir de
l’or sur les ombres de sa tribu ! Parfois, il suffit d’une pichenette, d’une caresse infime,
d’un effet bien dosé pour qu’Atlas soit soulagé de son fardeau ! La preuve en est dix
fois filmée sous tous les angles…Les arabesques d’un pied, au ralenti, un ballon qui
tourne comme une toupie, à l’infini, sur fond de tsétsé vision, au point qu’on en oublie
le prisme indéchiffrable du plaisir ! Mais le rom qui est sorti de rien, savoure tout
autrement, la frénésie du but : c’est en plus ou à défaut de dieux, shooter un peu de soi
dans les étoiles. Ainsi de ceux qui écrivent pour se sauver eux-mêmes et qui accèdent
au vibrato secret. Quelle chance, au milieu de ces logomachies, de ces tohus-bohus, où
je vous vois rôder comme un drôle de requin, qui recrache aussitôt les chairs de
mauvais goût ! Les vieilles pies veulent qu’on les morde, comme au lit, mais pas dans le
vif du sujet… Elles espèrent… vous les saignez à blanc… elles vous dénient toute
légitimité… D’une sphère à l’autre, celle des alcooliques absents, je vous souhaite des
liesses, des dribbles et des morsures encore plus salutaires.
LII.
A E…N…
Après une semaine éprouvante, un dimanche en apothéose, la réconciliation des
« huitres »… comme si l’on glissait un scalpel, à la jointure de la conscience, pour qu’enfin
le non-dit s’écoule sur le dit, et que la vérité sorte nappée de toutes ses chiures… Un grand
schlurp presque unanime dans les premiers frimas, si l’on excepte les trop transis, les trop
saouls de la veille qui cuvent leurs mensonges, enroulés dans leurs couettes… J’ai peur de
n’être moderne que dans ces beuveries avec des non lecteurs, néanmoins mes amis et qui
incarnent la critique la plus radicale qui soit… Le site a un peu inversé leur indifférence
quoiqu’ils se heurtent sans trop insister à l’étrangeté de ma langue… Et puis, il y a cette part
sombre du soleil, vers laquelle ils ne veulent pas, pour leur survie, tourner les yeux…
Je ne suis pas dupe, les marchands se sont glissés partout, même dans les fibres
d’internet… Mais le pire n’est-il pas de ne pas être lu par des contemporains qui en auraient
éprouvé un certain plaisir… Je me fous de la postérité comme de mon premier slip, et dans
un monde, où des « livres » se vendent avant d’avoir été écrits, il me plairait d’être lu par qui
de droit, et qu’à la jonction de deux consciences, s’opère un échange de gratitudes… Oui,
c’est aussi mon vœu : juste faire entendre ma voix, même si elle contourne un peu les grands
thèmes du temps.
LIII
A Judith.
Qu’espère-t-on de la fraîcheur si ce n’est l’assomption secrète du monde… Ce n’est
pas un vulgaire changement de température, car le temps opère, à dur, la dormance des
choses et livre ce qu’elles voilaient derrière la hâte de leur nom … La racine de l’arbre est
alors indissociable de la terre où elle s’enfonce, comme ces doigts noués au bruissement
sauvage d’une autre peau… La pluie fouette un enchevêtrement de corps où chacun sue de la
chaleur de l’autre… Un chrême sort de nous, en nous et abolit la douleur d’une séparation
peut-être originelle… Une âme d’un seul tenant fait scintiller mille yeux des pieds jusqu’à la
tête… Une 750 traverse si vite la nature qu’elle laisse à peine un brin d’herbe roussi et une
volute grise, aussitôt dévorée par l’azur… Elle éclaircit le trou mielleux, fracassé par
l’orage… Je retarde du mieux que je peux, la boule de feu, pour qu’elle ne cesse d’advenir…
Place au chant délicieux du Sphaïros !
V… V…
LIV.
LE SYNDROME DU NEGRE.
Le nègre : Trouverai-je les mots ? ils ont toujours été grumelés avec ceux de ma langue, en
une espèce de sabir personnel… C’est peut-être quand je ne les ai pas trouvés, que le reste
n’a pas suivi ! A l’instant crucial, on se comprend de l’intérieur, on croit que les choses sont
claires et on bégaye des projets qui font sourire… J’y reviendrai, là où le bât a blessé cent
fois, mais je n’oublierai pas non plus cette méchanceté diffuse, qui semblait sourdre des
autres, comme la sueur sous le soleil de mon pays natal… Non, non, déjà, je déraille, je ne
suis pas né en Tunisie… Je suis né ici, au pied d’un gros tas de merde, de scories et de
réalgars, attaqué depuis trente ans par des hordes d’acacias… un tumulus entassé par la seule
force des hommes, une pyramide dérisoire, faite des déchets que le bon vieux Kapital ne
pouvait pas traiter !...nous, on dit crassier… moi, je suis né au pied de ce chantier d’ordures
fumantes… c’était bien mieux, quand la crasse était extraite des entrailles de la terre, à l’air
libre, qu’elle n’était pas ce suint de haine, qui perle dans le regard des autres. La nuit,
derrière la gare du clapier, j’ai toujours vu le puits Couriot, figé dans un déni de solitude…
Le chevalet dressait sa carcasse immobile, on aurait dit un mirador d’où l’ennemi ne
descendait jamais… L’âme de nos pères y rôdait, le vent s’y infiltrait parfois comme un
grincement lancinant de bennes… C’était magique, autrement, surtout quand surgissant
d’une cour insalubre, plus noire que le crassier, Melissa emboitait mes pas d’aventurier,
peureuse, à quelques mètres… Je voyais dans la nuit, j’avais des yeux de chat, mon amour
chatoyait de défis… Pour elle, j’aurais grimpé dans la salle des pendus, j’en aurais décroché
les cintres, j’aurais glissé le long d’une liane d’acier jusqu’au fin fond du puits… Ma petite
jungle était peuplée d’ombres narquoises, mais le montreur était piégé, il en devenait une à
son tour, à cause d’un rayon de lumière dans son dos… Melissa, ma luciole, mon éclaireuse,
mon Eurydice… Al ! Comme je savais ralentir pour sentir sur ma nuque, l’effluve doux et
parfumé qui sortait de sa bouche… Finis les vieux réflexes de chiffonnier… Ces jours-là, y
avait rien à chiorrer, pas le quart d’une chose… c’était de l’être pur, déposé sur ma peau !...
J’avais raison de marcher droit devant, de me risquer d’enfer au paradis… oui, c’était bien le
prix à venir du bonheur, ce « temps fou », ce temps avant que l’on se touche, avant qu’on se
retourne, avant qu’on se mange des yeux, et du corps et de l’âme… Oui, à chaque fois, pour
Melissa et pour les autres, j’avais eu raison, je mettais un « temps fou », un temps
d’étrangeté, d’inassouvissement, de découverte, un temps aussi immesurable que l’extase qui
allait l’abolir… Oui, oui, oui… come ce « oui » qui coule de partout, ce « oui » de pure
offrande, ce « oui » tenu en lisière du « non », ce « oui » qui éblouit et se surseoit
infiniment…
Un soir, la lune rendit plus clairs les recoins du carreau, je m’arrimai au dos de Melissa…
j’effeuillai, à grand peine, la fine fleur du sable… mais ce fut un plaisir nouveau, de ramper
l’un dans l’autre, d’imprégner son entour du même clair-obscur, d’émoustiller son cul du
meilleur des champagnes…de la voir s’ouvrir avec pétulance, comme le vice vaincu par un
rayon de lune…
Le commanditaire : …Oh ! Mon nègre, calme-toi ! Ce n’est pas de toi qu’il s’agit, je te paye
pour écrire MA biographie… Retiens ta propre langue, ne me fais pas resplendir par tes
mots, il faut que tu régresses… Il faut que tu reviennes au temps où j’étais un barbare,
presque un analphabète…que tu te glisses dans ma peau… Bien sûr, j’aimais Melissa, mais
nous étions plus chiens que ça… nous allions bien plus vite au fait, elle n’avait pas de
« lampe » sur le front… Nous trempions dans le noir … on devait entendre des bruits
d’acier, de bauge, des feulements, des chuintements d’évier, des clapotis de ventres en
sueur… jusqu’à ce que je la cloue au mur, avec la braise de mes couilles… C’était bon, mon
nègre… c’était bon… mais ça finissait toujours…
LV.
I6 janvier 2012.
La douleur persiste, le calendrier la fait réapparaître : les phrases sont des caillots de
sang, virant au pus… la croûte viendra-t-elle jamais ! Je ne suis plus l’adolescent, tellement
effrayé par le frôlement des autres, que son impuissance à prononcer les douces futilités qui
enguirlandent le bien être social, paraissait de la morgue, du mépris, un désir arrogant de
distinction… Mais n’était-ce pas l’impossibilité de m’adjoindre au train- train naturel des
choses, ce silence incarné