MARSEILLE: VUE SUR LES DOCS, L`IMAGE D`UNE VILLE
Transcription
MARSEILLE: VUE SUR LES DOCS, L`IMAGE D`UNE VILLE
N° 1224 - Mars-avril 2000 - 90 INITIATIVES INITIATIVES MARSEILLE : VUE SUR LES DOCS, L’IMAGE D’UNE VILLE un entretien avec Laurent Ghnassia, directeur administratif du festival du film documentaire En juin 2000 se déroulera à Marseille la onzième édition du festival du film documentaire Vue sur les docs. La sélection, ouverte aux genres (enquêtes historiques, reportages, portraits plus intimes…) et aux formes (vidéo, film 16 mm ou 35 mm) les plus divers, s’efforce d’offrir aux professionnels comme aux amateurs le meilleur de la production internationale. Quelques mois avant cet événement qui se présente comme un état des lieux du documentaire, nous avons interrogé Laurent Ghnassia, directeur administratif du festival, sur les liens qui existent entre ce genre cinématographique un peu à part et une ville éprise d’images. H&M : Vue sur les docs est aujourd’hui la première manifestation consacrée au documentaire en France ; pouvez-vous nous rappeler en quelques mots la genèse du festival ? Laurent Ghnassia : À sa création à Lyon en 1989, Vue sur les docs a été conçu comme une manifestation biennale, avec l’ambition de montrer le meilleur de la production documentaire internationale à la fois au grand public et aux professionnels. Cette formule, qui mêlait festival et marché, a connu un grand succès et nous a permis de nous affirmer comme l’une des premières manifestations de ce genre en France. Mais aujourd’hui, elle ne nous donne plus totalement satisfaction. Nous devons sortir du carcan économique dans lequel nous nous sommes laissé enfermer pour les besoins du marché. Le festival arrive à un tournant de son histoire : en nous séparant du marché du film, nous espérons récupérer une identité que nous avons en partie perdue et regagner en même temps une place à notre mesure dans la cité, auprès du public. Pour cela, il nous faut continuer de proposer au public une manifestation culturelle de très haut niveau, développer la partie consacrée aux débats autour des projections, produire du discours en somme. Nous avons d’ailleurs confié à Laurent Roth, journaliste aux Cahiers du cinéma et rédacteur en chef de la nouvelle revue L’image, le monde, la direction artistique du festival pour nous aider à mettre en place cette nouvelle orientation. H&M : Comment cette plus grande implication avec le public va-t-elle se traduire dans votre programmation ? L. G. : Nous avons dégagé quatre axes directeurs dans la programmation qui comprendra, outre les projections proprement dites, une série de rencontres et de débats. Nous accorderons comme chaque année une place importante à la Méditerranée et aux questions dont elle est porteuse. Cette année sera consacrée plus précisé- H&M : Ce besoin de vous ouvrir à la création télévisuelle répond-il à une tendance particulière de la production documentaire ? L. G. : Tout à fait. Depuis quelques années, le marché du documentaire a explosé, avec la multiplication des cases documentaires sur les chaînes hertziennes et l’apparition des chaînes thématiques, très demandeuses de ce genre de produits. Les auteurs ont ainsi trouvé des espaces de diffusion qui leur étaient fermés auparavant H&M : L’évolution artistique du festival cette année répond à une volonté de vous recentrer sur le public et sur des questions qui touchent l’ensemble de la société. Pensez-vous avoir un rôle particulier à jouer à Marseille ? L. G. : L’hebdomadaire culturel marseillais Taktik vient de publier un sondage concernant les événements culturels qui ont le plus marqué les Marseillais ces dix dernières années, et Vue sur les docs arrive en deuxième position. Nous avons donc une relation particulière avec cette ville et ses habitants, une proximité que nous avons suscitée par la qualité et par l’ouverture de notre programmation. Sans doute notre succès tient-il également au fait que nous sommes l’une des rares manifestations internationales consacrées à l’image et que l’image, à Marseille, a toujours occupé une place importante. De nombreuses sociétés de production y sont implantées, Marcel Pagnol y a tourné tous ses films, les frères Lumière ont choisi la gare de La Ciotat pour réaliser le premier film de l’histoire du cinéma, un documentaire… Toute l’histoire de la ville a été marquée par le cinéma. Mais aujourd’hui, cette relation historique ne suffit plus à répondre aux attentes de la société N° 1224 - Mars-avril 2000 - 91 mais en contrepartie la création, qui doit répondre à une demande subitement très importante, se fait dans un temps de plus en plus court, souvent au détriment de la qualité. Il existe donc un réel danger de normalisation pour la création documentaire à partir du moment où elle donne naissance à des œuvres de flux et non de stock. Notre travail consiste aussi à servir d’aiguillon critique à l’égard du milieu documentaire et à démontrer aux producteurs et aux diffuseurs qu’il existe un public nombreux pour des œuvres de qualité qui ne sont pas de simples produits servant à remplir des grilles de programmation. INITIATIVES ment aux personnes déplacées (en nous appuyant sur l’histoire récente des Balkans), lors d’une journée animée conjointement par un historien des migrations, Émile Temime, et par un cinéaste, Jean-Louis Comolli. Nous nous occuperons ensuite de la place de l’acteur dans le cinéma documentaire, actuellement l’un des enjeux artistiques majeurs de cette discipline. Certains réalisateurs s’appliquent aujourd’hui à confondre de manière délibérée fiction et documentaire, jusqu'à créer un nouveau genre à part entière dans le documentaire. La sortie du film de Laurent Cantet, Ressources humaines, avec des acteurs non professionnels, illustre assez bien cette tendance, tout comme le travail de Peter Watkins, du côté documentaire cette fois. Ce dernier, dont les œuvres feront l’objet d’une rétrospective cette année, a fait appel à deux cents acteurs non professionnels pour réaliser un documentaire historique sur la Commune de Paris. Dernier axe enfin, l’ouverture sur le meilleur de la production télévisuelle. La télévision, qui représente aujourd’hui le lieu de diffusion privilégié du documentaire, peut aussi être à l’origine de programmes de qualité sur lesquels nous pensons qu’il est important de revenir. Après “Palette” puis “Strip-Tease”, nous nous pencherons sur “Voyage, Voyage”, une série créée par Arte qui dresse le portrait de différentes villes méditerranéennes. N° 1224 - Mars-avril 2000 - 92 INITIATIVES marseillaise et aux transstock ! À terme, il s’agit formations de la ville. donc d’ouvrir une médiaÀ terme, il s’agit d’ouvrir C’est pourquoi nous cherthèque consacrée au une médiathèque chons, entre autres, à documentaire sur le site consacrée au documentaire pérenniser le festival tout de la Friche, avec la posau long de l’année en étasibilité pour tous de avec la possibilité blissant, en partenariat consulter une grande de consulter une base avec le cinéma des Variébase de données, sur de données, sur place tés qui vient de s’installer place et à distance, grâce sur la Canebière, une proà la création d’un site et à distance, grâce grammation mensuelle web. Ce sera chose faite, à la création d’un site web. ou bimensuelle de docunous l’espérons, l’an mentaires avec des proprochain. jections suivies de débats. L’ouverture prochaine Enfin, nous avons également de très nomde la faculté d’économie et de droit sur la Canebreux contacts avec le théâtre national de la bière devrait contribuer à renouveler complèteCriée, avec lequel nous avons engagé des actions ment la zone du centre-ville. communes tant sur le plan artistique que sur celui de la communication. H&M : Envisagez-vous, dans le cadre de votre intégration à la vie marseillaise, de sysH&M : On voit que votre recentrage sur la tématiser cette collaboration avec les autres ville de Marseille trouve un écho dans la mulacteurs culturels de la ville ? tiplication des espaces consacrés au débat public, à la parole citoyenne et dans la coopéL. G. : L’autre volet de notre projet d’enraciration avec vos partenaires culturels. Alleznement dans le tissu culturel et associatif local vous également profiter de la thématique concerne bien évidemment les actions de parméditerranéenne, qui constitue un volet importenariat avec les acteurs culturels marseillais. Il tant du festival, pour mener des échanges y a trop de forces vives dans cette ville pour les avec vos partenaires méditerranéens ? laisser se disperser au lieu de les réunir, comme c’est encore, à notre sens, trop souvent le cas. L. G. : Après des actions de coopération avec Notre collaboration avec la Friche de la Belledes festivals de documentaires des deux rives de-Mai par exemple est encore en gestation ; voilà (Barcelone en 1998, Athènes en 1999, Tel Aviv quelque temps que nous songeons à y installer et Jérusalem en d’autres occasions), nous envinos bureaux, nous le ferons sans aucun doute le sageons très prochainement de délocaliser une moment venu. En attendant, nous avons, en liaipartie du festival dans des villes qui sont demanson avec l’association Vidéo Chronique, basée à deuses de notre savoir-faire. Nous irons donc, la Friche, l’intention de monter une vidéothèque si tout se passe comme prévu, à Beyrouth et audiovisuelle et documentaire sur la base du à Alger à la fin de l’année pour présenter la jourfonds documentaire dont nous disposons : depuis née consacrée à la Méditerranée durant le dix ans en effet, nous recevons environ mille films festival. ✪ par an pour les besoins de la sélection, ce qui représente un ensemble de dix-mille films en Propos recueillis par Julien Bouchard