Transporteurs, transporteurs successifs, transporteurs sous

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Transporteurs, transporteurs successifs, transporteurs sous
Transporteurs, transporteurs successifs,
transporteurs sous-traitants au sens de la CMR
Guillemette de Fos *
Les situations dans lesquelles interviennent des “intervenants multiples” à une
opération de transport – qu’il s’agisse d’une substitution d’opérateurs “à la verticale”
(sous-traitance) ou “à l’horizontale” (succession de transporteurs) sont envisagées par
la CMR à ses articles 3 (transporteur sous-traitants) et 34 à 40 (transporteurs successifs).
Soit huit articles pour une Convention internationale exceptionnellement brève qui
n’en compte que 50, c’est dire l’importance attachée au sujet, dès 1956.
–
L’article 3 de la CMR dispose que le transporteur répond des personnes dont
il requiert les services pour l’exécution du transport.
Le transporteur substitué est donc celui auquel le transporteur dit
“contractuel” a délégué (sous-traité) tout ou partie du déplacement et dont il
répond en tant que transporteur “en nom”.
–
Les articles 34 à 40 de la CMR envisagent le cas des transporteurs qui se juxtaposent dans le temps pour accomplir un unique contrat de déplacement
international, sous une même lettre de voiture.
Ces “successifs” interviennent chacun leur tour dans l’acheminement de la
marchandise, assurant une partie du trajet.
D’où trois conditions requises pour que s’appliquent les articles 34 à 40 de la CMR : 1 :
plusieurs acteurs exécutants réels ; 2 : un unique contrat de transport ; 3 : régi par une
seule et même lettre de voiture sur laquelle chacun de ces transporteurs “relayeurs”
portent ses coordonnées et ses (éventuelles) réserves.
Auquel cas, la CMR règle précisément leur sort :
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quant à la responsabilité collective (solidaire) de chacun d’entre eux : une
dette pour tous !
–
quant au droit d’action de l’ayant droit : le contractant ne peut agir qu’à l’encontre des intervenants ci-après : 1) le premier transporteur, 2) le dernier transporteur, 3) le “présumé fautif” (celui qui assurait sa part d’acheminement au
moment de la survenance du sinistre), 4) l’ensemble de ceux qui précèdent.
–
quant à la répartition de la contribution des intervenants à la charge de
*
Journaliste (France).
Communication écrite préparée pour les Actes du Symposium sur “Les 50 ans de la Convention CMR –
Avenir et perspectives du transport international par route”, tenu à Deauville (France), les 18-19 mai 2006.
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réparation (notamment en cas d’absence de fautif ou d’insolvabilité),
–
quant au point de départ du délai de recours dont dispose celui qui a été
condamné à payer ou qui a tout réglé (date de la décision de justice définitive
fixant l’indemnité ou date du règlement effectif de celle-ci).
La France a adhéré en 1961 à la CMR qui, dès lors, prime sur notre droit national
et à vocation à s’appliquer à tous transports effectués au départ ou à destination de
notre pays. Or en matière de sous-traitance comme en matière de transporteurs
successifs, la France est “le mauvais élève de la CMR”.
–
–
Elle ne reconnaît pas l’article 3 sur le transport dit “contractuel”.
Elle n’applique pas ou peu les articles 34 à 40 sur les “successifs”.
Pourquoi ? Parce que notre pays applique quasi systématiquement la notion de
commissionnaire de transports, inscrite dans son Code de Commerce (article L 132-4 à
6) : qui n’achemine pas soi-même est commissionnaire de transport (fut-ce dans le
cadre d’une seule prestation de transport internationale), l’affréteur étant assimilé à un
commissionnaire par la jurisprudence française.
Peut-on envisager à terme que cette situation change ? Difficile, car les acteurs y
trouvent intérêt :
–
–
Pour les voituriers, la notion de “transporteurs successifs” s’adapte mal à la
réalité des faits : la série (suite) d’intervenants transport est rarement envisagée
dès la conclusion d’un contrat et, dans l’urgence, quel “successif” prend la
peine de se mentionner comme tel sur la lettre de voiture (case 17) ? Or, une
lettre de voiture mal ou insuffisamment complétée, et voilà posée la question
du statut de l’opérateur …
A cette situation, les clients chargeurs et destinataires trouvent avantage : le
commissionnaire de transport, en tant que garant des transporteurs auxquels
il recourt, est un débiteur à la fois solvable et commode à actionner … au
nom du principe – économique cette fois – du “deep pocket”.
Il résulte de ce qui précède que face à un litige (vol par exemple) impliquant
plusieurs transporteurs, l’affaire se solde, en France, généralement comme suit : l’ayant
droit assigne le commissionnaire de transport (garant de ses substitués), avec possibilité
de recours accordée, le cas échéant, contre le transporteur “fautif” ; voilà tout.
D’où le peu de jurisprudence relative, en France, aux articles 34 et suivants de la
CMR. Une lecture attentive du Bulletin des Transports et de la Logistique permet de
relever trois arrêts seulement de cour d’appel au cours des dernières années (dont
deux rendus en tant que cour de renvoi).
Résumons-les par ordre chronologique.
•
Cour d’appel de Lyon – 28 octobre 2004
Il s’agissait d’un chargeur britannique expédiant en Russie des marchandises sous couvert
d’une lettre de voiture CMR. Celle-ci mentionnait “S” comme affréteur, qui s’était substitué
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WB qui apparaissait comme transporteur sur le document, lequel avait délégué l’opération à
un voiturier polonais X, lequel avait recouru à un compatriote Z, seul transporteur de fait.
La marchandise ayant totalement disparu en cours d’acheminement, l’expéditeur (et son
assureur) avaient assigné en réparation l’affréteur S ainsi que WB (qui figurait, rappelonsle, comme transporteur sur la lettre CMR).
La Cour a bien déclaré WB responsable du dommage, mais a rejeté son recours contre X
(son substitué polonais), en application de l’article 36 de la CMR : X n’est en effet ni le
premier transporteur mentionné sur la lettre de voiture (puisque c’est WB), ni le dernier
(qui est Z), ni même celui qui effectuait le déplacement lors de la disparition de la
marchandise (Z également).
•
Cour d’appel de Versailles (statuant comme cour de renvoi) – 14 septembre 2004
Une succession de voituriers dans le temps se chargent d’importer des marchandises du
Portugal en France.
Celles-ci sont dérobées lors de la dernière partie du trajet, en territoire français, cet ultime
déplacement ayant été effectué sous titre autonome, distinct du bordereau CMR initial.
La Cour décide d’appliquer la qualification de successifs aux transporteurs intervenant à
l’opération au motif que le document “interne” utilisé ne pouvait être considéré comme
un titre autonome du bordereau CMR initial, en raison de son caractère incomplet.
•
Cour d’appel de Paris (statuant comme cour de renvoi) – 22 novembre 2005
Un conteneur est expédié du Royaume Uni en banlieue parisienne. Un premier transporteur
l’achemine jusqu’à Zeebrugge, d’où il est pris en charge par un transporteur sous-traitant. Il
est volé lors d’un stationnement de nuit du poids lourd à bord duquel il a été chargé.
La cour applique la notion de “transporteurs successifs”. Relevant l’incurie du sous-traitant, à
l’origine du vol qu’elle qualifie de faute lourde, elle en déduit l’allongement du délai de
prescription de l’action de l’ayant droit à 3 ans, la condamnation in solidum des
transporteurs à réparer le dommage (article 34 de la CMR) et l’imputation de la réparation de
celui-ci à l’auteur identifié du dommage (article 37 de la CMR).
Trois arrêts seulement. Face au peu d’empressement de notre pays à appliquer les
articles de la CMR sur les transports successifs en cas d’intervenants multiples, certains
ont pu se poser la question de l’intérêt du maintien de ces dispositions.
Certes, le “mécanisme” des transporteurs successifs peut sembler lourd : pourquoi
fixer des règles de répartition des contributions au dédommagement, si c’est pour mieux
autoriser les transporteurs à y déroger conventionnellement (les règles en question ne
sont pas d’ordre public) ? Il n’empêche, les articles 34 à 40 de la CMR ont leur utilité.
Ils permettent de régler le sort des transporteurs qui se succèdent en vertu d’un
même contrat :
–
imputation d’une responsabilité solidaire (une dette pour tous),
–
détermination du droit d’agir à leur encontre octroyé au contractant,
–
institution entre eux d’un mécanisme de recours.
Reste qu’en “faisant de la résistance” à la CMR et en appliquant systématiquement la loi du for aux litiges qu’il a à connaître, notre pays retarde la marche vers la
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convergence des droits en matière de transport routier international de marchandises.
Une telle convergence est pourtant un objectif nécessaire si l’on considère que la
règle de droit fait partie intégrante des conditions de concurrence entre opérateurs
dont l’harmonisation est souhaitable.
Dans une Europe “libérée” (depuis sa libéralisation totale le 1er juillet 1998, le
volume du cabotage routier a quasiment doublé à périmètre constant, passant de 7,4 à
13,8 milliards de tonnes-kilomètres !) et élargie (l’Union européenne compte
aujourd’hui 25 membres et demain 28 …), le télescopage des droits – internes et
international – sur un même territoire paraît difficilement gérable par les opérateurs.
A la complexité, s’ajoute l’insécurité juridique du sort qui leur est réservé en fonction des “casquettes juridiques” empruntée … parfois à leur insu ou de leur plein gré !
Pour en revenir à l’application dans notre pays des règles sur la sous-traitance et
les transporteurs successifs, il n’est, semble-t-il, que deux solutions envisageables pour
faire converger ces deux droits “parallèles” que sont le Code de commerce français et
la CMR :
–
–
soit instiller dans le Code napoléonien la notion de “transporteur contractuel” (au sens de l’article 3) : voiturier qui délègue tout ou partie de
l’acheminement à des substitués dont il répond ;
soit intégrer dans la CMR le métier de commissionnaire en tant qu’organisateur de transport, avec la responsabilité qui s’ensuit … ; une responsabilité
qui ne sera pas simple à définir, eu égard aux nuances de la “palette” des
intermédiations existante en Europe (forwarder, spediteur, intermédiaire
suisse, transporteur nordique, etc.).
Et sachant que vouloir réviser une Convention internationale qui a fait ses preuves
et à laquelle adhèrent à ce jour 47 Etats membres s’annonce aussi long qu’hasardeux … .
En définitive, hâterait la marche vers l’uniformisation des droits le contractant
qui, s’estimant lésé par l’application d’une norme nationale, oserait – au nom de la
sécurité juridique (ardente obligation pour une Convention internationale !, rappelle
Michèle de Salvia, jurisconsulte à la Cour européenne des droits de l’Homme) –
intenter une action devant une instance internationale pour faire reconnaître, à son
bénéfice, la primauté du droit international sur le domestique … .
Et pourquoi pas invoquer la Convention européenne des droits de l’Homme dont
l’article 6 est si … “accueillant” ?
Mais encore faudrait-il qu’il y ait intérêt à agir. Et c’est alors qu’on retombe dans
la facilité du maintien du statu quo actuel, décrite plus haut : complexité du système
des “successifs” ressentie par les transporteurs ; intérêt des chargeurs à “ne voir
qu’une tête” et n’avoir à actionner qu’un seul responsable, censé qui plus est posséder
une plus large surface financière.
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