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Les Elco, entre reconnaissance et marginalisation Introduits au départ comme “aide linguistique” au retour au pays des enfants de migrants, les enseignements de langue et culture d’origine (Elco) connaissent, depuis, une évolution paradoxale. Participant à la reconnaissance de la diversité linguistique des enfants de migrants, ils tendent également à marginaliser l’enseignement des langues des migrants à l’école, et à les dévaloriser. 70 000 enfants sont concernés. Élaborés à compter de 1973 dans le cadre d’accords bilatéraux entre la France et huit pays d’origine(1), les enseignements de langues et cultures d’origine (Elco) prévoient d’organiser pour les enfants de migrants scolarisés à l’école primaire, en collège et en lycées professionnels – les lycées d’enseignement général ne sont pas concernés – un enseignement de langue et culture d’origine. Les débats autour des Elco sont récurrents et cela depuis de nombreuses années. Peu de temps après que la France a pris conscience de la durabilité du séjour des immigrés, notamment avec le renforcement de la politique de regroupement familial, acteurs sociaux, enseignants et politiques commencèrent à débattre de leur utilité. Car enfin, quelle était la logique de ces modules spécifiques d’apprentissage ? Les familles immigrées allaient un jour retourner dans leur pays, donc les enfants ne devaient pas se sentir dépaysés, coupés de leur culture après avoir intégré les écoles des pays d’origine. Louable intention, qui se trouvait devenir caduque avec le changement du projet migratoire et l’installation de ces familles en France. Leur projection dans l’avenir a dorénavant pour cadre la France, et leurs enfants nés dans l’Hexagone ont pour pays la France. Comment concevoir alors de continuer à parler de l’apprentissage de leur langue “d’origine” à des enfants français ? On a pourtant continué à distribuer, dans les écoles, les mêmes formulaires d’inscription facultative, en utilisant le même vocabulaire. Mais il est difficile de ne pas ressentir un malaise devant l’incongruité de la mise en parallèle de notions telles que “intégration” ou même “citoyenneté” avec “votre pays d’origine”, pour des enfants qui dans leur majorité sont nés et ont été scolarisés en France. Dès 1985, Jacques Berque soulignait, dans un rapport au ministre de l’Éducation nationale, que “trop souvent en effet, les actions spécifiques mises en œuvre, souvent avec les meilleures intentions, révèlent des effets pervers, qui au lieu de rétablir une relative égalité des Langues de France par Gaye Petek, directrice de l’association Elele 1)- Le Portugal en 1973, l’Italie et la Tunisie en 1974, l’Espagne et le Maroc en 1975, la Yougoslavie en 1977, la Turquie en 1978 et l’Algérie en 1981. 45 2)- Jacques Berque, “L’immigration à l’école de la République”, rapport au ministre de l’Éducation nationale, La documentation française, 1985, p. 43. chances, conduisent en fait à renforcer la marginalité des enfants d’immigrés, à stigmatiser encore davantage leurs différences de plus en plus perçues comme handicap”(2). À cela s’ajoute l’ancienneté d’un dispositif qui n’a pas été renouvelé, notamment pour prendre en compte les nouvelles migrations, et qui peut contredire voire contrarier le développement de certaines langues vivantes – comme l’arabe – à l’école. La récente annonce de la suppression du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) d’arabe – 40 % des enseignants de cette discipline seraient en surnombre – interroge de nouveau la légitimité des Elco à entrer en concurrence avec les enseignements dispensés à l’école. Dans nombre de réflexions politiques, de réunions professionnelles, d’instances consultatives, les débats autour des Elco sont revenus à l’ordre du jour. Il apparaît aujourd’hui urgent de clarifier leur mission et de les faire évoluer. 3)- Les parcours d’intégration : rapport du HCI au Premier ministre, La documentation française, mars 2002. 4)- “Laïcité et République”, rapport de la commission Stasi, La documentation française, 2004. 46 © IM’média. Jacques Berque dénonce dès 1985 certains “effets pervers” d’actions mises en œuvre pour les enfants d’immigrés. Voici un peu plus de deux ans, le Haut Conseil à l’Intégration (HCI), dans son rapport intitulé “Les parcours d’intégration”(3), prônait “l’évolution des Elco vers un enseignement de langues vivantes permettant aux jeunes de tirer parti de leur héritage familial et à la nation d’enrichir son patrimoine linguistique”. Plus récemment, la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, dite commission Stasi, dans son rapport(4) remis au président de la République en décembre 2003, après avoir dénoncé “la logique communautariste” de ces enseignements, recommande “la suppression progressive des Elco au fur et à mesure de leur remplacement par un enseignement de langues vivantes de droit commun”. En avril 2004, une soixantaine de députés a déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale pour la création d’une commission d’enquête N° 1252 - Novembre-décembre 2004 sur l’application de conventions prévoyant l’organisation des Elco, et leur évaluation est inscrite dans la mission confiée à Robert Pandraud en mai 2004 auprès du ministre de la Cohésion sociale(5). Le premier écueil à éviter est l’amalgame. La situation des Elco varie selon leur statut social et leur place dans les enseignements ordinaires dispensés à l’école. Si l’enseignement de langues européennes comme l’italien, le portugais ou encore l’espagnol dans le cadre des Elco peut paraître anachronique, ou si un enseignement dispensé dans le cadre ordinaire (comme celui de la langue arabe) ne justifie pas l’ajout d’un dispositif spécifique, d’autres Elco (comme celui de turc) mériteraient une approche différenciée. En effet, parce qu’il répond à une demande sociale et institutionnelle réelle, l’Elco turc apparaît comme un contre-exemple. 5)- Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, compte-rendu n° 44, “Examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’application des conventions prévoyant l’organisation des cours d’enseignement de la langue et de la culture d’origine et les mesures d’améliorer cet enseignement”, Assemblée nationale, mercredi 26 mai 2004. Un dispositif européen La mise en place des Elco a été décidée en accord avec la directive du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1977 relative à la scolarisation des enfants de travailleurs migrants. On assiste au même moment dans plusieurs pays européens à l’adoption de programmes d’enseignement des langues et cultures d’origine. Une étude du Parlement européen(6) a ainsi souligné les difficultés que rencontraient les États à appliquer stricto sensu cette directive, face à l’augmentation et à la diversité des flux migratoires. Ces difficultés, devenues structurelles, ont infléchi la politique de l’Union européenne, qui s’est orientée progressivement vers l’éducation interculturelle. Comme l’énonce l’étude du réseau Eurydice(7) sur l’enseignement des langues étrangères en Europe, “contrairement à la première approche, qui visait uniquement les enfants de communautés de migrants dans le but de les intégrer à leur société d’accueil, l’éducation interculturelle s’adresse à l’ensemble des élèves”. Cependant, cette prise en compte d’une nouvelle réalité sociale et culturelle de l’immigration et la nécessité de l’intégrer dans la culture et l’éducation du pays d’accueil ont préservé la notion de promotion de la langue maternelle, “afin de les aider à conserver leur patrimoine culturel, à rester en contact avec leur culture d’origine et, le cas échéant, à faciliter leur retour dans le pays d’origine”(8). Les deux orientations continuent donc à prévaloir. Les dispositions prises varient d’un État à l’autre. La Belgique, certains Länder allemands, l’Espagne, le Portugal et le Luxembourg ont adopté, comme la France, un système d’accords bilatéraux entre le pays d’origine et celui d’accueil. C’est donc le pays d’origine des migrants qui nomme et recrute les enseignants, tandis que le pays d’accueil met à disposition les locaux et les infrastructures et participe parfois au salaire des enseignants. En France, les enseignants sont uniquement Langues de France 6)- Parlement européen, L’enseignement des immigrés dans l’Union européenne, 1998, p. 43. 7)- L’enseignement des langues étrangères en milieu scolaire, 1999-2000 : www.eurydice.org 8)- Op. cit., p. 37. 47 9)- Op. cit., p. 41. rémunérés par le pays d’origine. Au Danemark, dans certains Länder allemands, en Suède, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas et en Norvège cet enseignement est entièrement assumé par le pays d’accueil. Au Royaume-Uni, il est dispensé par le secteur associatif, qui peut bénéficier du soutien des autorités locales ou de fondations caritatives(9). Cours “intégrés” ou “différés” 10)- Circulaire du 9 avril 1975. 11)- Circulaire du 30 mars 1976. 12)- Circulaire du 12 juillet 1939. 48 En France, à partir de 1975 plusieurs circulaires du ministère de l’Éducation nationale ont réglementé l’enseignement des Elco. À l’école primaire, les cours – d’une durée hebdomadaire de trois heures – peuvent avoir lieu pendant le temps scolaire, en remplacement des activités d’éveil ; il s’agit alors de cours “intégrés”(10). Les cours dits “différés”, eux, sont dispensés en dehors du temps scolaire dans les locaux scolaires(11). Ces enseignements, qui pour l’essentiel se déroulent à l’école élémentaire, sont organisés dans leur grande majorité hors du temps scolaire (soit plus de 70 % des cours dans le premier degré et la totalité des cours en collège). Ce dernier point fournit matière à la principale critique adressée aux Elco, puisqu’il permet de soustraire une partie des élèves aux enseignements communs. Alors que la circulaire de 1939(12), qui réglementait les cours de langues vivantes assurés “par des moniteurs étrangers” pour les enfants de migrants, rappelait qu’ils devaient avoir lieu en dehors du temps scolaire, celle du 9 avril 1975 qui régit les cours intégrés des Elco préconise que ceux-ci se fassent en remplacement des activités d’éveil. Ces dernières ont été remplacées depuis 1985 par l’enseignement de l’histoire et de la géographie en cycle III (de la classe de CE2 à CM2). Approximativement, ce sont 15 000 élèves des cours intégrés qui peuvent être privés d’un enseignement d’histoire et de géographie. Le cas allemand connaît les deux variantes : si l’enseignement relève de la compétence du ministère de l’Éducation du Land, il est dispensé pendant les heures scolaires, sinon hors temps scolaire. Cela s’accompagne depuis 1996 d’une recommandation qui vise à ouvrir les cours aux locuteurs de langue allemande, dans l’objectif de renforcer l’éducation interculturelle. Les contenus d’enseignement varient quand à eux fortement selon les pays. En Suède et au Luxembourg, certaines disciplines comme les sciences peuvent faire l’objet d’un enseignement en langue d’origine, rapprochant celui-ci du modèle des sections européennes en France et d’un enseignement “en” langue et pas uniquement “de” langues. En France, chaque pays “d’origine” définit son propre programme. Des groupes de travail bipartites, mis en place avec le Maroc en 1995 et avec l’Algérie en 1997, ont ainsi donné lieu à la publication de deux guides pédagogiques élaborés en commun. À notre connaissance, aucune évaluation comparée des différents systèmes adoptés par les États membres n’a été menée à un niveau européen. Il est donc difficile d’avoir une idée pré- N° 1252 - Novembre-décembre 2004 cise de leur efficacité respective en matière d’apprentissage ou de fonctionnement. Notons toutefois que les Pays-Bas ont décidé récemment de supprimer l’enseignement de la langue d’origine pour l’arabe et le turc. Un enseignement en crise Depuis vingt ans, les effectifs d’élèves inscrits aux Elco baissent de façon continue. En effet, si l’enseignement du turc se maintient, les autres voient le nombre de leurs élèves et de leurs enseignants diminuer. Les Elco marocains restent les plus nombreux, et comptent 23 000 élèves. En 2003-2004, un peu plus de 70 000 élèves ont suivi un Elco dont plus de 60 000 dans le premier degré. Cet enseignement concernait plus de 100 000 élèves en 1994-1995 et 140 0000 dix ans plus tôt(13). En 1998, une note de la direction de l’Enseignement scoLes Elco semblent pâtir du fait que laire du ministère de l’Éducation les contenus semblent moins importants nationale soulignait que moins que leur qualité. Le problème principal d’un élève sur cinq potentiellement concernés fréquentait les Elco. est bien de savoir ce qui est entendu sous le terme Les maîtres nommés et rétribués “cultures d’origine”. par les pays d’origine étaient plus de 2 000 dans les années quatre-vingt ; ils ne sont plus que 950 durant l’année scolaire 2002-2003(14). La grande 13)- Commission des Affaires du Sénat, majorité d’entre eux est formée d’instituteurs titulaires, sauf pour culturelles “Rapport d’information l’Algérie qui recrute depuis quelques années des étudiants mais aussi sur l’enseignement langues étrangères en des diplômés algériens résidant en France. Les inspections – une des France”, 12 novembre 2003. dizaine par an – sont menées en principe conjointement par un inspecteur français et un inspecteur du pays d’origine, mais cela ne va pas 14)- Op. cit., p. 61. sans poser des problèmes de concertation et de compétence pour les inspecteurs français dans certaines langues comme le turc. Il conviendrait de s’interroger plus précisément sur les causes de cette désaffection. Est-elle la conséquence d’une demande sociale, qui rejoint celle de la majorité des familles, où une langue comme l’anglais se trouve privilégiée ? Force serait alors de constater que les migrants n’épousent pas spontanément le choix de conserver leur langue maternelle ou de l’enseigner à leurs enfants. Ou est-elle encore la conséquence d’une évolution qui a vu les flux migratoires se transformer considérablement depuis les années soixante-dix. Peut-on en effet considérer que l’enseignement des langues italienne, espagnole et portugaise puisse relever aujourd’hui du dispositif des Elco ? Ce désinvestissement touche en effet plus fortement les vagues migratoires les plus anciennes, issues du Portugal, des pays du Maghreb ou d’Italie. D’autre part le dispositif ne s’est pas renouvelé. Qu’en est-il de l’enseignement des langues parlées par les nouveaux migrants ? Du tamoul ou de la langue pakistanaise par exemple ? Langues de France 49 Langue de la famille, ou d’origine ? 15)- Voir l’article de Dominique Caubet, pp. 34-44. 16)- Enseignement des langues d’origine et immigration nord-africaine en Europe : langue maternelle ou langue d’État ?, Inalco, 1997, p. 79. 50 Si la langue maternelle est celle apprise en famille, force est de constater que ni les Elco, ni un enseignement de langue vivante ne correspondent à cette définition. La langue apprise et enseignée dans ces deux cas est la langue écrite et parlée dans un cadre officiel, qui est bien souvent éloignée de la langue familiale et maternelle(15). La principale critique adressée aux Elco depuis le rapport de Jacques Berque a été, comme celui-ci le souligne, de “confondre l’enseignement de la langue nationale du pays d’origine avec celle du milieu familial et social des enfants”. Cette question se pose de manière encore plus évidente pour les enfants dont la langue maternelle n’est pas reconnue ou n’est pas enseignée dans le pays d’origine, comme le berbère ou le kurde. Il convient donc d’interroger le double postulat selon lequel la langue enseignée dans les Elco est la langue maternelle, et celui qui consiste également à présenter cet enseignement comme un moyen d’aider les jeunes issus de l’immigration à se construire une identité positive. Dans ce cas, de quelle langue maternelle et de quelle identité s’agit-il ? Prenant le cas des berbérophones qui constituent une part importante des migrants marocains, Mohand Tilmatine constatait, en 1997, que “l’élève est confronté à une perpétuelle contradiction. On lui demande d’une part d’apprendre à l’école une langue ‘maternelle’ que sa propre mère ne parle pas et d’écrire une langue qu’il ne parlera pas (l’arabe standard) ; et d’autre part de parler à la maison une langue qu’il n’écrira pas… Alors ce qui aurait dû constituer le pilier de l’édifice identitaire de l’enfant se transformera en un héritage pesant, difficile à assumer.”(16) Aussi ces langues, qui sont également des langues internationales, sont difficilement perçues comme telles quand elles continuent uniquement d’être qualifiées comme des langues d’immigration. Le cas de la langue arabe est emblématique. Décrite à la fois comme langue de France – avec l’arabe dialectal –, langue vivante étrangère, ou langue d’origine avec l’enseignement de l’arabe dit de communication à l’école, cette pluralité de statut peut constituer un frein à sa reconnaissance et contribuer à en contrarier l’apprentissage. Malgré les efforts consentis par le système scolaire (autour de 200 enseignants titulaires et plus de 250 établissements en France l’enseignent comme une langue vivante), l’enseignement de la langue arabe peine à être adopté par les familles. Ses effectifs stagnent depuis dix ans, et son enseignement en tant que langue vivante ne concerne aujourd’hui dans le secondaire qu’un peu plus de 6 000 élèves, ce qui représente à peine 0,7 % des effectifs. Si sa perception comme langue de l’immigration est souvent avancée comme une explication, on peut constater néanmoins que durant la même période, l’enseignement de la langue chinoise a vu doubler ses effectifs dans le secondaire – alors qu’il partage a priori son statut culturel et social, avec la présence aujourd’hui d’une forte N° 1252 - Novembre-décembre 2004 © IM’média. immigration chinoise. Le récent rapport de la commission culturelle du Sénat(17) propose, comme solution à cette image stéréotypé “source de nombreux préjugés”, de développer l’enseignement de l’arabe dans les filières élitistes que sont les sections orientales. Reste également à déterminer la part que tiennent d’autres dispositifs et notamment les associations dans l’enseignement et la diffusion de la langue arabe. Certaines d’entre elles ont pris des initiatives pour maintenir la culture ou la langue d’origine auprès des migrants, mais parfois dans une perspective plus cultuelle que culturelle. Quel est leur poids dans la diffusion de cette langue et pour quels objectifs et à quelles fins ? Ce poids du milieu associatif, qui reste à évaluer précisément, peut expliquer en partie la lente mais sûre désaffection des familles pour les Elco, notamment en langue arabe. L’enseignement dispensé dans les associations répondrait mieux à l’attente de certaines familles, notamment en matière d’éducation religieuse. La langue arabe lettrée étant le plus souvent perçue comme répondant d’abord au besoin de “savoir lire et écrire la langue de l’islam”. La qualité et le niveau des contenus d’enseignement des Elco sont également une des causes avancées. Nous sommes ici dans le cœur du débat. Critiqués depuis le rapport Berque parce qu’ils “ignorent les phénomènes migratoires et les transformations culturelles qui en découlent pour les individus et les groupes sociaux”(18), les Elco semblent pâtir du fait que la surveillance des contenus est moins importante que leur qualité. Le problème principal concernant les Elco est bien plutôt de savoir ce qui est entendu sous le terme “cultures d’origine”, l’apprentissage de la langue comportant évidemment moins de risques en termes de contenu Langues de France Soutien scolaire dans une bibliothèque. 17)- Op. cit., p. 62. 18)- Jacques Berque, op. cit., p. 13. 51 et de formation des esprits. La circulaire de 1939, qui rappelait que ces cours concernaient la langue, l’histoire et la géographie du pays d’origine et non la culture d’origine, pouvait apparaître moins ambiguë et moins sujette à interprétation. Elco et diversité linguistique à l’école © Bénédicte Mercier. 19)- L’italien, l’espagnol, l’arabe et le portugais à l’école primaire et dans le secondaire, le turc dans l’enseignement secondaire comme langue vivante 2. L’introduction progressive de l’enseignement des langues étrangères à l’école primaire et la volonté affirmée ces dernières années de les implanter durablement grâce au plan de développement des langues vivantes étrangères se sont accompagnées de l’idée d’intégrer les Elco dans ce dispositif. En effet, bon nombre de langues enseignées(19) comme langues vivantes sont aussi proposées par les Elco. Leur intégration présenterait l’avantage de diversifier les langues enseignées à l’école. L’anglais reste en effet dominant, son enseignement étant adopté dans près de 80 % des classes à l’école primaire et 96 % des élèves l’apprenant au collège et au lycée. Dans le secondaire, toutes les langues (allemand et russe compris) reculent devant la progression de l’anglais comme première langue vivante et devant l’avancée du couple L’enseignement du chinois voit ses effectifs progresser plus vite que ceux de l’arabe dans le secondaire. 52 N° 1252 - Novembre-décembre 2004 anglais-espagnol en langue vivante deux(20). L’intégration des Elco dans le dispositif d’enseignement des langues vivantes pourrait renforcer leur diversification, en ouvrant plus de choix à l’ensemble des élèves. Mais encore faudrait-il que les familles saisissent cette opportunité. Car de plus, cette démarche se heurte aujourd’hui à une double difficulté : la réticence de certains États comme ceux du Maghreb et la Turquie, qui restent attachés à l’enseignement traditionnel des Elco parce qu’ils craignent que les aspects culturels ne soient pas suffisamment pris en compte dans des programmes français ; et les obstacles juridiques qui ne permettent pas actuellement à l’État français d’employer des enseignants Elco, rétribués par leur pays d’origine, pour enseigner une discipline obligatoire dans les écoles publiques. Cet écueil a été en partie contourné par l’Italie, qui a confié pour moitié l’enseignement des Elco à des enseignants dépendant d’une association loi de 1901. Actuellement, seuls l’Italie et le Portugal (dans une moindre mesure) se sont engagés progressivement dans l’intégration de ces enseignements à l’enseignement classique. Reste bien évidemment la difficulté de remettre en question un dispositif comportant des réciprocités diplomatiques et représentant un coût important, qui ne pèse pas sur la France. La commission Stasi associait à sa proposition de suppression échelonnée des Elco une recommandation suggérant qu’en primaire, ces enseignements soient “confiés à des associations agréées par l’État”. 20)- Commission culturelle du Sénat, “L’enseignement des langues étrangères en France”, rapport d’information, 12 novembre 2003. La spécificité des Elco turcs Dans les années soixante-dix, les enseignants des Elco turcs étaient des instituteurs de village, d’origine rurale comme généralement l’étaient les parents d’élèves, et pour ce qui était de leurs méthodes pédagogiques, en décalage avec la modernité et l’esprit critique que l’école française a pour mission de développer chez l’enfant. Ils ne parlaient pas français, et étaient en retrait par rapport aux enseignants qui travaillaient dans le même établissement. Par la suite, les critiques, l’évolution de la Turquie et les précautions qu’elle a mises en place pour éviter un trop grand enfermement de ses immigrés autour du religieux a conduit ce pays à envoyer des enseignants au profil de plus en plus diversifié. Ce fut d’abord des instituteurs masculins venant des zones urbaines, puis davantage de femmes, jeunes, francophones. Ces enseignants viennent de l’enseignement secondaire et diffusent auprès des familles immigrées l’image d’une Turquie plus républicaine que musulmane. Certains iraient même beaucoup plus avant dans leurs propositions d’activités culturelles, si leurs instances de contrôle logées dans les postes diplomatiques ne les cadraient pas autant. Nous citerons l’Elco turc de Vendôme, dans le Loir-et-Cher, qui a fait récemment la “une” du journal La nouvelle république sous le titre “La Turquie a son ambassadrice”(21). L’institutrice y explique qu’elle s’investit “activement pour soutenir les actions contribuant à une bonne intégra- Langues de France 21)- La nouvelle république, 22 octobre 2003. 53 tion, qui passe notamment par l’éveil à la citoyenneté”, le journaliste concluant qu’elle est “un trait d’union de charme entre ces deux cultures qu’elle apprécie tant”. On voit à travers cet exemple, qui n’est pas le seul, que l’on ne peut pas avoir une vision étriquée et globalisante. Penser que derrière tout Elco se cache un imam peut les faire disparaître trop hâtivement, sans aucune relève, et les familles pourraient alors effectivement envoyer leurs enfants chez les imams, afin qu’ils n’oublient pas leur “culture”. Le risque est réel, aussi faut-il être Difficile d’échapper au risque du trop particulièrement vigilant et perspicace. L’enseignement de la langue turque religieux ou du trop national, alors que comme langue vivante dans une quinles enfants ont besoin de se sentir zaine d’établissements du secondaire est pleinement en osmose avec leur culture métissée. une mesure essentielle, quoiqu’il faille pallier les nombreux obstacles qui mettent un frein à la création de ces enseignements – difficultés de recrutement, mais surtout frilosité des établissements à accepter des langues jugées trop exotiques. Il reste que les solutions de remplacement de certains Elco sont à inventer pour l’école primaire. Sans aller jusqu’à imiter les expériences qui existent dans d’autres pays européens, comme en Suède et en Allemagne où l’on expérimente des classes pré-primaires et primaires en langue d’origine, il faut certainement imaginer des relais aux Elco. Une prise en charge par des associations reconnues pour leur compétence est une solution, même s’il faudrait aussi travailler sur les contenus et sur l’édition de manuels adaptés. Cela a déjà été fait en Allemagne voici plusieurs années, lorsqu’une maison d’édition turque a conçu des manuels de langue attentifs à l’environnement biculturel des enfants, plutôt que de les faire travailler sur des programmes établis pour des enfants turcs en Turquie. La culture au cœur de la réflexion Enfin, il faudrait également mener une réflexion sur cette notion de “culture” intégrée dans l’intitulé actuel des Elco. Car c’est bien cet élément qui s’avère sensible, lorsque l’on s’interroge à juste titre sur le rôle des pays étrangers qui viennent s’immiscer dans la formation des enfants issus de familles immigrées. Il est difficile de ce fait d’échapper au risque du trop religieux ou du trop national, alors que ces enfants ont besoin de se sentir pleinement en osmose avec leur culture métissée. Par ailleurs, la langue et la culture des familles immigrées d’origine rurale n’est pas habituellement celle de la culture lettrée du pays d’origine. Aussi faudrait-il permettre, le plus souvent possible, à leurs enfants de s’approprier celle-ci à un niveau d’apprentissage égal à la langue et à la culture françaises apprises à l’école. Si aujourd’hui près des deux tiers des étudiants inscrits en cours de langue turque de l’Institut national des langues orientales sont des Turcs, cela mérite réflexion. Car en somme, ces jeunes d’origine turque 54 N° 1252 - Novembre-décembre 2004 viennent s’approprier différemment leur langue maternelle sur les bancs de l’université française. Autrement dit, ils ressentent l’absence d’une maîtrise correcte de la grammaire et de la syntaxe comme un obstacle dans leur parcours professionnel et personnel ; et cela, sur les plans psychologique et pratique. Quant à la culture, nous prendrons un exemple récent pour illustrer cette nécessaire exigence de qualité. En 2002, nombre de structures culturelles ont proposé des actions de commémoration à l’occasion du centenaire de la naissance du grand poète turc Nazim Hikmet. Ainsi, la Maison de la poésie ou l’Unesco ont organisé des soirées de lecture et d’hommage. L’association Elele, pour sa part, a collaboré avec le soutien du Fasild à l’édition d’un livre trilingue sur l’œuvre et la vie du poète disparu et en a tiré également une exposition itinérante. La même année, on célébrait le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo. Les occasions de rapprochement culturel étant trop rares, l’association a réalisé également une exposition, en images et en textes, intitulée “Victor Hugo-Nazim Hikmet : deux poètes de l’exil et de l’engagement”. Les deux écrivains partageaient un même parcours et étaient d’excellents dessinateurs. Cette initiative illustre les possibilités de faire connaître aux élèves des parcours comparées, ici, ceux de deux poètes, l’un français et l’autre turc, qui avaient en commun l’engagement politique pour les droits de l’homme et une pensée universaliste. On peut regretter cependant que les institutions, les médias, l’Éducation nationale, ne s’approprient pas de manière officielle des opportunités pourtant bien remarquées à travers les publications des maisons d’édition. Car enfin, quoi de plus valorisant pour ces jeunes que la reconnaissance de valeurs partagées autour d’une histoire commune ? Il est question ici de reconnaissance mais aussi de “connaissance” au sens le plus large et le plus honorable du terme. Ce sont en effet de telles actions qui œuvrent au dialogue et au respect mutuel et participent de la lutte contre les discriminations. C’est en les favorisant également dans le cadre des enseignements communs à tous que nous pourrons contourner, voire éviter, la tentation communautaire et le repli identitaire. Claire Schiff, “L’institution scolaire et les migrants : peut mieux faire” Dossier Enfants sans frontières, n° 1251, septembre-octobre 2004 A PUBLIÉ Marie-France Guinot-Delery et Michaela Leuprecht, “L’enseignement des langues et cultures d’origine” Dossier D’Alsace et d’ailleurs, n° 1209, septembre-octobre 1997 Jean-Paul Payet, “Mixités et ségrégations dans l’école urbaine” Dossier La ville désintégrée ?, n° 1217, janvier-février 1999 Dossier À l’école de la République, n° 1201, septembre 1996 Jacques Barou, “Enseignement des cultures d’origine : ambiguïtés et contradictions” Dossier Connaître l’autre pour le reconnaître, n° 1190, septembre 1995 Langues de France 55