Texte de la présentation de M. RODRIGUEZ

Transcription

Texte de la présentation de M. RODRIGUEZ
VILLES DURABLES - HUMANISER LA DENSITE
Simon RODRIGUEZ-PAGES
Pékin, le 24 juin 2011
Cette intervention se situe dans le
prolongement de réflexions engagées dans
un séminaire consacré à la « métropole
contemporaine » que j’anime avec d’autres
enseignants à l’Ecole d’Architecture de Paris
Val de Seine, cette pensée est en outre à
l’œuvre dans la production des édifices ou
projets urbains d’Ateliers 2/3/4 (1).
Introduction :
Nous assistons aujourd’hui au paradoxe
suivant :
Les villes occidentales se doivent de densifier
leurs périphéries afin d’endiguer l’étalement
urbain consécutif au développement de la
voiture. Les villes orientales quant à elles se
doivent de pondérer la densité tant la pression
est devenue parfois asphyxiante.
Dans l’un ou l’autre cas, il s’agit pour
l’urbaniste ou l’architecte d’identifier les
mécanismes susceptibles de générer une
densité que j’appellerai « positive ».
Nous sommes persuadé que cette thématique
est une des clefs de la « ville verte » dont tout le monde rêve aujourd’hui. Pour bâtir la
dimension théorique de cette thématique nous nous sommes d’abord tournés d’une part vers
l’héritage de la ville dite « moderne » issue des utopies du début du XX eme siècle, et
d’autre part vers les théories contemporaines sur l’ordre ouvert .
La première génération à s’être posé la question d’une densité qui ne voit pas a été celle du
« mouvement moderne », mais elle a failli, en partie par idéologie mais aussi par naïveté.
Son modèle a le plus souvent produit ce que nous appelons les « grands ensembles ». Les
problèmes sociologiques survenus dans ces nouveaux quartiers a conduit à une
stigmatisation des deux grandes typologies qui leur étaient associés, la tour et le bâtiment
linéaire (affublé du nom de barre).
Depuis quelques années nous sommes un certain nombre de chercheurs et praticiens à
vouloir reconsidérer les expériences du mouvement moderne et notamment en exhumant
des ensembles qui bien que constitués eux aussi de tours et de barre ont été in fine
totalement appropriés par leur habitants, et de ce fait ont parfaitement entretenu traverse le
temps. Citons ici le nom de Fernand POUILLON, le « plus grand architecte français » selon
Rem KOOLHAAS, qui aussi bien en France qu’à l’étranger (Algérie) a été le protagoniste de
ces réussites.
Cette nouvelle lecture de projets du mouvement moderne a été instigatrice de nouvelles
propositions pour bâtir des villes ou densité et ouverture pouvait se conjuguer, parmi cellesci évoquons « l’îlot ouvert » de Christian de PORTZAMPARC qui est une réelle réponse à
ce que nous théorisons comme étant le « paradoxe de l’objet urbain » à savoir comment une
juxtaposition d’édifices objets c’est-à-dire conçus pour être autonomes peuvent-ils fabriquer
un morceau de ville qui ne soit pas disparate et où il fasse bon vivre.
LA VILLE VERTE
Pour être attirante, facile à vivre, la ville d’aujourd’hui doit se doter de deux qualités à priori
contradictoires :
-
Offrir un espace ouvert pour organiser le mouvement, pour accueillir les
infrastructures de transports répondant aux exigences de déplacements rapides, pour
trouver de grands espaces paysagers.
-
Apporter de la densité pour contribuer à la nécessaire intensification des échanges
humains qu’ils soient culturels, ou commerciaux.
D’un côté l’espace ouvert ne doit pas être trop lâche, de l’autre la densité doit pouvoir être
soupesée, selon qu’il est nécessaire d’affirmer une présence ou au contraire, de la pondérer.
Revenons à notre sujet : Comment concevoir l’espace à la mesure de la densité d’activités
que l’on veut y concentrer ? Comment capter l’énergie que procure la densité sans subir sa
pression ?
Le mot densité revêt trois sens qui bien entendu ne peuvent être dissociés et qui donnent à
ce mot toute sa substance :
1 la densité en tant qu’épaisseur, nous sommes ici au plus près de son sens étymologique
de densitas et lorsque nous évoquons l’épaisseur, nous pensons à la dimension spatiale, à
la notion d’intervalle qui lui est associée.
2 la densité en tant que pression, c’est la densité de la masse volumique, celle qui comprime
au point de devenir parfois suffocante. C’est souvent l’image négative de la densité, celle
qui peut être ressentie comme cause de mal être.
3 La densité en tant que fusion, concentration, c’est la densité en tant qu’intensité. C’est
l’image positive: celle qui exprime un degré d’activité, de force, de puissance, elle a la vertu
d’accroître les potentialités d’échanges en rapprochant.
La lecture de ces définitions nous fait penser que c’est tout d’abord par une méditation sur la
perméabilité qu’un lien entre « espace » et « densité » peut être entrepris. Perméabilité qui
ramenée à notre discipline résultera des combinatoires des deux grands archétypes de la
composition architecturale, « la cour et le pavillon ». (La « cour » par son introversion relie,
elle est l’expression d’une communauté à la recherche de son harmonie, le « pavillon » par
le détachement qu’il procure manifeste l’indépendance)
C’est ensuite par une réflexion transversale sur les liens qui unissent typologie, topographie
et tectonique que de nouvelles thématiques peuvent être mis à jour, les réalisations et
projets que nous vous présentons ci-après l’occasion illustrent ce propos :
La première serait la mise en rythme, ou densité par la répétition. C’est ce rythme qui
emmène la variété et rompt la monotonie de la simple densité épaisseur. (Travail spatial
particulièrement important pour dédramatiser l’impression de densité).
La densité par la répétition/la mise en rythme: projet de Chaumont
Le projet de Chaumont s’inscrit dans la continuité d’une recherche intitulée « le collectif à
plat ». Il s’agissait de réfléchir à une proposition d’habitat groupé très dense (80 logements à
l’hectare) qui allie les qualités de l’individuel et du collectif. Cette recherche devait beaucoup
à un projet de résidence étudiant de Le Corbusier qui a dû également marquer KOOLHAAS
pour son projet de FUKOKA.
La densité produite par la répétition associe ici trois ensembles identiques de 23 logements
chacun. Chaque ensemble est constitué par la répétition de deux logements génériques,
lesquels sont déclinés pour assurer une variété de type qui puisse apporter une des qualités
du collectif : la mixité de population, du célibataire à la famille nombreuse. La relation de
chacun des ensembles avec le suivant crée l’espace collectif. Jardins et rues collectifs
ponctuent et animent le système des logements en répétition.
En second lieu, vient le thème du sol artificiel : introduire de nouveaux niveaux de référence,
de nouveaux sols afin de réduire l’effet de compression dans le bâtiment et ainsi apporter
plus d’opportunités d’échanges.
La densité par la polyvalence/ Le sol artificiel: Limoges
Dans le projet pour la faculté de droit et de sciences économiques nous avons dès le
concours eu conscience qu’en ramenant la faculté de droit en centre ville, il y avait là la
possibilité d’enrichir cet équipement. Le rendre polyvalent, permettait à l’occasion de le
transformer en centre de conférence. Il nous semblait que cette qualité était d’autant plus
intéressante que bien des villes moyennes n’ont pas la possibilité de s’offrir de tels
équipements.
Nous avons voulu que cette polyvalence des activités ne soit jamais perçue comme une
contrainte, c’est pourquoi l’édifice propose dans son organisation interne une variété de
parcours qui le donne à habiter comme un campus.
Ce travail a été rendu possible par le dédoublement artificiel du terrain d’assiette, qui d’une
superficie de 5 000 m² s’est agrandi à un hectare. La topographie particulière du site a été
mise à contribution, notamment en articulant l’étage avec la grande plate-forme mitoyenne
qui domine le site et qui accueillait jadis le forum romain.
C’est par la continuité visuelle entre l’étage et la plate-forme que ce niveau a acquis son
statut de nouveau sol, l’installation d’un jardin suspendu est venue parachever cette
tentative. Le travail sur la structure a également été déterminant notamment pour installer les
changements d’échelles nécessaires et installer un espace ouvert dans la strate basse. Dès
lors les entités du programme ont pris place comme autant de pavillons dans un enclos
transformé en parc, la couleur et l’utilisation des matériaux finissant d’installer le « paysage
architectural »(2). Les espaces de circulations en jouant de l’ambiguïté entre l’intérieur et
l’extérieur évitent toute sensation d’enfermement lors des cohabitations des activités
universitaires et de congrès.
Suit l’imbrication ou la mixité, provenant d’un très grand édifice ou de la cohabitation de
plusieurs programmes sur un même site : des bâtiments se faisant la « courte échelle » pour
s’enrichir mutuellement. Ce télescopage d’objets produit l’unité de l’ensemble urbain.
La densité par la mixité/L’imbrication: Masséna
Si les deux projets précédents doivent beaucoup à notre intervention sur l’élément de
programme, l’exemple choisit ici s’inscrit dans un programme mixte parfaitement défini de la
superposition d’une école et d’un ensemble de logements, dans le cadre d’un projet
d’urbanisme de Christian de PORTZAMPARC. La caractéristique de ce projet tient à l’idée
que l’on peut fédérer un ensemble urbain sur d’autres valeurs que celles de l’alignement ou
de l’homogénéité des matériaux; la proposition de PORTZAMPARC s’appuie au niveau
plastique sur la richesse du collage, L’épure proposée par PORTZAMPARC a été très
justement étudiée : l’école prend place sur trois niveaux et par deux bras enlace la cour
orientée vers le futur parc mitoyen des universités, les logements émergent comme une
petite tour greffée sur l’équipement.
Nous avons donc rapidement posé ce sujet comme étant celui de l’articulation des parties
qui composent cet édifice a priori hybride. Nous avons pensé qu’il était intéressant qu’une
fonction puisse contaminer l’autre et vice et versa. L’imbrication nous a semblé être le
moteur de cette composition. Les croquis ci-joints montrent comment un versant de la tour
de logements est accaparé pour sortir l’école de son horizontalité programmatique et lui
donner sa place dans l’ensemble composite du quartier. Comment par ailleurs l’immeuble de
logement profitait du socle de l’école pour se mettre à l’échelle des immeubles environnants.
Pour autant chaque programme profite au maximum de la typologie spatiale qui lui est
attribuée. La distribution de l’école est mono-orientée, toutes les circulations sont baignées
de lumière naturelle. Les logements par leur position haute trouvent un ensoleillement
maximum et profitent des angles de la tour pour trouver une double orientation. On installe
au niveau des balcons des doubles hauteurs qui parachèvent le changement d’échelle.
L’enfouissement est aussi l’un des moyens de modérer la prégnance de la zone dense mais
il doit nécessairement maintenir une relation avec son environnement par la lumière
naturelle.
La densité par l’enfouissement/ La lumière: Boulogne
Grâce à la variété de programmes qui le compose, de simple équipement, cette école se
transforme en centre de vie du quartier.
En côtoyant le square - parvis, la cour peut s’agrandir visuellement en profitant du fond
végétal, à midi c’est la restauration détaché sous forme de pavillon qui flotte entre square et
cour, offrant ainsi un nouvel angle de vision, une nouvelle expérience du lieu. A contrario
une fois l’école fermée, c’est le square qui le week-end profite de la profondeur de la cour qui
agrandit son espace de ciel.
L’imbrication existe aussi entre l’école et le gymnase qui de la même façon trouvent une
complémentarité, le toit du gymnase sert de cour, le soir lorsque le gymnase est ouvert aux
habitants du quartier, les cours anglaises qui fond descendre la lumière pendant la journée
se transforment en boîtes à lumières qui témoignent de l’activité du sous-sol.
Enfin se pose la question de la croissance et de l’extension, qui incite à envisager des
bâtiments à géométrie variable : comment étendre un édifice sans saturer un nouveau sol ?
Il s’agit d’une stratégie de projet passant par une pensée globale des enjeux d’un bâtiment et
de son site, l’économie de la réserve foncière devant compenser le surcoût structurel.
La densité en réserve / La géométrie variable: Cochin
Le cas du site de l’hôpital COCHIN est dans une situation particulière, il est en sous densité
du fait de l’obligation pour l’hôpital de conserver un certain nombre de pavillons qui sans être
classés sont dans leur typologie caractéristiques de l’architecture hospitalière du XIX ème.
Il nous a été demandé de proposer un édifice qui puisse être en surdensité pour compenser
le déficit existant. (surdensité par rapport au terrain d’assiette propre à l’opération). Il fallait
non seulement répondre au programme relativement complexe d’une pharmacie avec
notamment une plate-forme de logistique et une stérilisation, mais également réserver la
possibilité d’une extension par surélévation susceptible d’accueillir un programme hospitalier
de chambres, laboratoires, ou bureaux.
Il fallait dès lors penser un projet qui puisse à la fois trouver sa présence avec et sans son
extension. Même si le travail technique est très important (définition d’une structure adaptée
à la surélévation, prise en compte des points d’accès, mise en œuvre sans interruption de
l’activité) le travail majeur à consisté dans l’élaboration d’une plate-forme basse sorte de
table qui regroupe toutes les entités spécifiques du programme industriel et offre sa surface
comme nouveau sol de référence à un édifice au mouvement spiralé à géométrie variable.
Ce dispositif permet de ne pas percevoir la relation de l’édifice à sa surélévation comme
issus d’une combinatoire additionnelle mais comme issus d’une combinatoire de croissance,
le premier impulsant le second.
Mais ce travail n’aurait pas été complet s’il ne s’était pas accompagné de la volonté ici aussi
de dédensifier l’objet, notamment en faisant en sorte que le volume du bâtiment ne soit pas
replié sur lui-même. Pour cela une cour a été introduite dans le volume construit. Ce cube
générique a été ouvert en pratiquant de grandes percées qui mettent l’espace intérieur de la
cour en relation avec l’environnement proche ou lointain de l’hôpital.
L’intérêt de capter l’énergie de la densité sans en avoir à subir sa pression révèle donc une
équation unissant « l’espace » à « la densité » :
- moins l’espace public urbain est dense, plus les édifices doivent s’ouvrir pour
rayonner sur celui-ci, en apportant une part de leur espace intérieur.
- plus l’espace public est dense, plus l’édifice doit trouver en lui-même les ressources
d’un espace intérieur riche pour se mettre à distance des nuisances.
Les deux derniers projets que nous vous présentons illustrent cette équation :
Le Tribunal de Bobigny
Le Tribunal de commerce de Bobigny s’inscrit dans un site typique des périphéries
européennes, dont la densité n’est pas tant celle des habitants mais d’une non maîtrise des
voies de circulation qui mène peu à peu à des délaissés, ou à des confrontations violentes
entre les espace de la voiture et ceux des piétons.
C’est pour quoi pour ce projet nous avons eu recours à l’idée enoncée ci-dessus de fabriquer
un espace intérieur riche, pour autant nous ne voulions pas d’un bâtiment qui se referme sur
lui-même, même si le programme d’un palais de justice incite à ce repli.
Nous avons donc souhaité que les dimensions de cour et de pavillon s’associent en un seul
ensemble expressif, que la cour devienne le signe.
Le tribunal se présente alors comme un grand prisme de verre translucide abritant un socle.
Le fronton marque traditionnelle du poids de la justice se transforme en cube de lumière,
celle qui doit apporter la sérénité aux débats, la cour est le lieu qui à la fois reçoit la lumière
et la diffuse.
Le socle n’est plus l’autel, mais la limite de l’enceinte nécessaire pour mettre à distance les
contingences de la vie quotidienne.Sa valeur sombre établit un contraste avec l’enveloppe
de verre qui le protège, également tend à effacer ses limites.
Le quartier AUSTERLITZ
Ce projet de requalification urbaine autour d’une gare, concours que nous n’avons
malheureusement pas gagné, a été l’occasion de montrer comment on pouvait dédensifier
un lieu alors que l’on ajoutait de nombreux mètres carrés.
Dans un univers urbain fortement densifié depuis sa construction, encaissé entre le sol
originel de la berge de Seine, la dalle de Paris Rive Gauche, et le coteau de la ville
sédimentaire, la halle de la gare d’Austerlitz, patrimoine prestigieux de la virtuosité de
l’ingéniérie du XIX eme siècle verrouille aujourd’hui les flux.
Grâce au rehaussement de 8,50 mètres de la toiture de la halle, la gare et l’avenue de
France auraient pu retrouver un sens : les sols se reliant à nouveau et la silhouette de la
halle s’affirmant sur le fleuve.
L’architecture industrielle est investie pour servir un grand équipement multifonctionnel et
faire profiter à un public élargi de ses qualités architecturales.
La dimension de la couverture de la halle aurait autorisé le plus grand support parisien
d’électricité solaire.
L’intermodalité aurait été organisée sous la lumière naturelle et « sert » une adresse
remarquable.
Augmenter la surface tertiaire sans confisquer davantage le sol de la ville est devenu l’enjeu
de l’Est parisien. La « dilatation » spatiale de la halle dessinait une alternative à cette fatalité
et permettait de décider en toute conscience de la densité. Six unités transversales de
bureaux (potentiels de 34 000m2) flottaient dans la halle, révélant la mesure du vide, en
qualifiant l’intensité.
La densité urbaine alentour peut alors être mesurée à sa juste valeur. La ville familière,
celle du logement, qui vit aussi samedi, dimanche et fêtes, pouvait reprendre ses droits,
également une mise en scène à l’entrée majestueuse de l’hôpital de la Salpêtrière
monument historique du XVII eme siècle pouvait mise en oeuvre.
Je vous remercie de votre attention
Simon RODRIGUEZ PAGES
Paris, le 16 juin 2011
(1) Fondés en 2000 les Ateliers 2/3/4 réunissent les expériences de trois ateliers français
qui dès le début des années 80 ont portés une attention particulière aux nouveaux
modes de vies qui réclament un retour à la simplicité et aux choses essentielles. Leur
travail se caractérise par la recherche d’une fluidité de l’espace intérieur.