bouleverse le sport
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857 UNE OK 10/04/07 17:58 Page 1 France Sarko et Ségo vus d’Allemagne PAKISTAN Entre talibans et Al-Qaida CHINE “La Vie des autres” cartonne ÉCONOMIE Washington bafoue l’OMC www.courrierinternational.com N° 858 du 12 au 18 avril 2007 - 3 € Climat COMMENT LE RÉCHAUFFEMENT BOULEVERSE LE SPORT M 03183 - 858 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@i@p@i@k; AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858_p03 10/04/07 20:15 Page 3 s o m m a i re e n ● c o u v e r t u r e L’HIVER 2007 AURA ÉTÉ PARTICULIÈREMENT DOUX. PLUSIEURS COMPÉTITIONS DE SKI ONT ÉTÉ PERTURBÉES PAR LE MANQUE DE NEIGE. EN AUSTRALIE, LA SÉCHERESSE EMPÊCHE LES AMATEURS DE CRICKET OU DE PÊCHE DE PRATIQUER LEUR DISCIPLINE PRÉFÉRÉE. PARTOUT, LES DÉRÈGLEMENTS DU CLIMAT CONTRAIGNENT LE MONDE DU SPORT À S’ADAPTER. pp. I à XII Ian Kenins En Australie. Nulle part où s’entraîner, car le lac Wendouree, où eurent lieu les courses nautiques des Jeux olympiques de 1956, est asséché depuis le printemps 2006. 36 ■ a f r i q u e Z I M B A B W E To r t u r e s , v i o l s e t emprisonnement pour les opposants S I E R R A L E O N E Les forçats du diamant sont éternels AFRIQUE DU SUD Transformer les collégiens en policiers E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 10 ■ dossier Enquête sur le Talibanistan Les Zones tribales pakistanaises grouillent de djihadistes : des talibans pachtounes qui veulent arracher l’autonomie au pouvoir pakistanais et des combattants ouzbeks, tchétchènes et arabes d’Al-Qaida qui se préparent à des actions terroristes. Les frères jumeaux Bill et Tom (17 ans), Gustav (18 ans) et Georg (19 ans) sont actuellement les plus grandes stars du show-biz allemand. Leur groupe de rock,Tokio Hotel, a déjà vendu plus d’un million et demi de disques sur le marché national. 4 ■ les sources de cette semaine 6 ■ l’éditorial Regardons-nous avec les yeux des autres, par Philippe Thureau-Dangin 6 ■ l’invité Daniele Mastrogiacomo, le livre La Mesure du temps, de Helon Habila 42 ■ reportage Comment peut-on être nord-coréen ? Shin Eun-hee est une enseignante canadienne d’origine coréenne. Depuis quatre ans, elle se rend régulièrement à Pyongyang et y donne des cours. Pour elle, les jeunes Nord-Coréens ne sont pas si différents des jeunes Américains ; ils sont seulement moins individualistes. épices et saveurs Asie centrale : 44 ■ enquête Au secours de la forêt La Repubblica, Rome ■ ■ ■ ■ 33 ■ moyen-orient IRAN Qui gouverne vraiment à Téhéran ? R E V U E D E P R E S S E La “bonne nouvelle” d’Ahmadinejad É G Y P T E La démocratie n’intéresse plus personne MINORITÉS La grave erreur du patriarche Chenouda 40 ■ portrait Quatre garçons dans le ventilo RUBRIQUES 9 9 51 51 nationalisme C H I N E La Vie des autres, si loin, si proche PHILIPPINES Pour museler la presse, le couple Arroyo attaque au portefeuille JAPON Revue et corrigée, l’Histoire est bien plus belle ■ Le mot de la semaine jiketu, le suicide à l’affiche ils et elles ont dit le soumalak, ce délice printanier Enquête sur le “Talibanistan” 52 ■ voyage Splendeurs d’un bled roumain 54 ■ insolites L’organe du haïdouk p. 10 malgache La Grande Ile a déjà vu disparaître plus des trois quarts de sa couverture boisée, riche en espèces rares aux propriétés médicinales prometteuses. Autorités, ONG et scientifiques locaux commencent à se mobiliser pour freiner cette destruction. D’UN CONTINENT À L’AUTRE INTELLIGENCES 14 ■ france É LY S É E 2007 Plus fort La Marseillaise ! 46 ■ économie C O M M E R C E Les règles de l’OMC bafouées par Washington MATIÈRES PREMIÈRES Prospection… dans les caves d’un musée ■ La vie en boîte Google roule pour ses salariés Aubade, la dernière leçon I D E N T I T É N AT I O N A L E Un bon conseil de voyage : n’oubliez pas votre drapeau ! C O M M E N TA I R E La République fraudeuse F R A N C O P H O N I E Est-il encore utile de parler français ? IMMIGRATION Sarkozy divise les Algériens R E P O RTA G E 19 ■ europe U K R A I N E Tenez bon, Monsieur le Président, vous êtes sur la bonne voie POLOGNE - RUSSIE Deux fois victimes d’Auschwitz ROYAUME - UNI A quoi servent les troupes britanniques en Irak ? ESPAGNE ETA privée de son “bulletin interne” U N I O N E U R O P É E N N E Le Limbourg, “jardin expérimental de l’Europe” G R È C E Les 300 rebelles sans bonne cause R U S S I E Le business de la manche en plein essor ROUMANIE Plutôt mendiant et libre qu’ouvrier ! 25 ■ amériques BRÉSIL Le pape attendu de pied ferme MEXIQUE Croisade catholique contre l’IVG COSTA RICA Une université où l’on apprend à faire la paix JAMAÏQUE La politique à coups de batte de cricket É TAT S - U N I S Les démocrates remplissent leurs caisses pour 2008 ÉTATS U N I S Que faire des enfants de sans-papiers ? J U S T I C E La Cour suprême refuse de se prononcer sur Guantanamo 29 ■ asie B A N G L A D E S H Le fardeau de l’héritage pakistanais THAÏLANDE Attention à ne pas mêler religion et Sur RFI Retrouvez CI tous les jeudis dans l’émission Les Visiteurs du jour, animée par Hervé Guillemot. Cette semaine, le succès du film allemand La Vie des autres en Chine populaire, avec Agnès Gaudu. Cette émission sera diffusée en direct sur 89 FM le mercredi 11 avril à 11 h 15, puis disponible sur le site <www.rfi.fr>. 48 ■ multimédia PRESSE The Independent, un malade qui se porte bien 49 ■ sciences VIROLOGIE Des pièges pour stopper les infections Des piles au jus d’orange p. 50 50 ■ technologie ÉNERGIE Rechargez votre portable avec du jus d’orange LA SEMAINE PROCHAINE présidentielle La presse étrangère s’interroge à la veille du premier tour industrie Les secrets de Toyota culture Faire du rap à Kaboul COURRIER INTERNATIONAL N° 858 3 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 10/04/07 19:56 Page 4 l e s s o u rc e s ● PA R M I L E S S O U R C E S C E T T E S E M A I N E ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien. Journal monarchiste et conservateur depuis sa création en 1903, ABC a un aspect un peu désuet unique en son genre : une centaine de pages agrafées, avec une grande photo à la une. L’ACTUALITÉ 200 000 ex., Canada, bimensuel. “Le plus grand magazine d’information francophone hors de France”, libéral et international, toujours original, est lu par un Canadien francophone sur cinq. AL-ARABI 30 000 ex., Egypte, hebdomadaire. Crée en 2004, le titre est l’hebdomadaire officiel du parti nassérien, dit le Parti arabe démocratique nassérien. Le ton est quelque peu militant et antiaméricain. Ce média incarne les valeurs d’une gauche nostalgique de l’époque du président Gamal Abdel Nasser. HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éd. du matin) et 4 400 000 ex. (éd. du soir), Japon, quotidien. Fondé en 1879, chantre du pacifisme nippon depuis la Seconde Guerre mondiale, le “Journal du Soleil-Levant” est une institution.Trois mille journalistes, répartis dans trois cents bureaux nationaux et trente à l’étranger, veillent à la récolte de l’information. ASIA SENTINEL <http://www.asiasentinel.com>, Chine. Créé en 2006, ce site publie des analyses et des éclairages rédigés par des spécialistes de l’Asie. On y retrouve des signatures issues de grands titres de la presse hongkongaise anglophone disparus ces dernières années. BANGKOK POST 55 000 ex., Thaïlande, quotidien. Fondé en 1946, ce journal indépendant, en anglais, réalisé par une équipe internationale, s’adresse à l’élite urbaine et aux expatriés. THE CHRISTIAN SCIENCE MONITOR 70 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Publié à Boston mais lu “from coast to coast”, cet élégant tabloïd est réputé pour sa couverture des affaires internationales et le sérieux de ses informations nationales. D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE) 540 400 ex., Italie, hebdomadaire. Le titre paraît en 1996 comme supplément hebdomadaire de La Repubblica. Son graphisme épuré à l’extrême, son papier soyeux mille fois imité depuis et la grande place faite à l’actualité et aux reportages en font le féminin le plus lu par les hommes. DAWN 138 000 ex., Pakistan, quotidien. Dawn a été créé en 1947 lors de l’indépendance du Pakistan par Muhammad Ali Jinnah, père de la nation et premier président. Un des premiers journaux pakistanais de langue anglaise, il jouit d’un lectorat d’environ 800 000 personnes. Il appartient au groupe Pakistan Herald Publications, fondé également par M. A. Jinnah. ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce, quotidien. Créé juste après la chute de la dictature militaire en 1974, avec pour devise “Le journal des journalistes”, “Liberté de la presse” a toujours été marqué au centre gauche. Il appartient au groupe Tegopoulos SA. O ESTADO DE SÃO PAULO 350 000 ex., Brésil, quotidien. Fondé en 1891, le plus traditionnel des quatre grands quotidiens brésiliens appartient à O Estado, l’un des plus importants groupes de presse du pays. Plutôt conservateur et austère, il publie depuis 1997 une sélection hebdomadaire d’articles du Wall Street Journal. FERGANA.RU <http://www.fergana.ru>, Russie. Cette agence d’information en ligne, créée en 1998, est l’une des plus riches sources d’information russophones sur l’Asie centrale post-soviétique. Très populaire dans toute la CEI, elle possède un réseau de correspondants dans grandes villes centrasiatiques. FINANCIAL TIMES 432 500 ex., RoyaumeUni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG 377 000 ex., Allemagne, quotidien. Fondée en 1949 et menée par une équipe de 5 directeurs, la FAZ, grand quotidien conservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires et intellectuels allemands. THE FRIDAY TIMES 60 000 ex., Pakistan, hebdomadaire. Se définissant comme “audacieux, indépendant et sérieux”, le magazine dirigé par Najam Sethi, journaliste de renom, a souvent subi des pressions de la part des autorités pakistanaises. Malgré ces difficultés, il continue à mener son combat pour la liberté d’expression. GRIST <http://www.gristmagazine.com>, Etats-Unis. Fier de refuser toute publicité, ce site suit l’actualité de l’environnement aux Etats-Unis. Il se veut impertinent et humoristique, mais propose aussi des articles de fond sérieux et informatifs. THE GUARDIAN 375 200 ex., RoyaumeUni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien national britannique imprimé au format berlinois (celui du Monde) et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et l’engagement à gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est fait une belle place dans le paysage médiatique. Rache- Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : té en 1998 par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly, il reste indépendant et se démarque par son engagement proeuropéen, ses positions libérales sur des problèmes de société et son illustration. INSIDE SPORT 75 000 ex., Australie, mensuel. Depuis son lancement, en 1991, ce magazine explore les dessous du sport. Selon certains, sa propension à publier des photos de jeunes femmes légèrement vêtues nuit à son image de mensuel d’investigation, mais ses reportages et ses enquêtes sont souvent de qualité. INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE 240 000 ex., France, quotidien. Le quotidien mondial par excellence, créé par des Américains en 1887, édité à Paris, imprimé dans 28 villes du monde, lu dans 180 pays, le Herald Tribune est beaucoup plus que l’édition internationale du New York Times, son unique propriétaire. AL-KHALEEJ Emirats arabes unis, quotidien. Créé en 1973, “Le Golfe” est affilié au Centre d’études du Golfe, qui regroupe des universitaires et des chercheurs spécialisés dans les questions géopolitiques et macroéconomiques. Ce qui explique la place importante accordée aux questions internationales dans ses pages. KYIV POST 20 000 ex., Ukraine, hebdomadaire. Paraît en ukrainien et en anglais, dispose d’un site Internet très actif, qui touche un lectorat composé “d’hommes d’affaires et de touristes d’Ukraine et de l’étranger”. MAIL & GUARDIAN 30 000 ex., Afrique du Sud, hebdomadaire. Fondé en 1985, l’ancien Weekly Mail n’a plus d’attache avec le grand patronat libéral, au contraire de la plupart des autres publications anglophones sud-africaines, depuis que le Guardian de Londres est entré dans son capital. Résolument à gauche, il milite pour une Afrique du Sud plus tolérante. AN-NAHAR 55 000 ex., Liban, quotidien. “Le Jour” a été fondé en 1933. Au fil des ans, il est devenu le quotidien libanais de référence. Modéré et libéral, il est lu par l’intelligentsia libanaise. NATURE 50 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis 1869, cette revue scientifique au prestige mérité accueille – après plusieurs mois de vérifications – les comptes rendus des innovations majeures. Son âge ne l’empêche pas de rester d’un étonnant dynamisme. THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), EtatsUnis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, c’est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). NOVYÉ IZVESTIA 107 200 ex., Russie, quotidien. Né en 1997 d’une scission avec les Izvestia, il se proclame le “premier quotidien russe en couleurs”. Il offre un panorama complet d’informations politiques, sociales, culturelles, le tout illustré de caricatures. Sans avoir la stature de son grand prédécesseur, il est populaire et de bonne qualité. NRC HANDELSBLAD 254 000 ex., PaysBas, quotidien. Né en 1970, le titre est sans conteste le quotidien de référence de l’intelligentsia néerlandaise. Libéral de tradition, rigoureux par choix, informé sans frontières. LE QUOTIDIEN D’ORAN 190 000 ex., Algérie, quotidien. Quotidien régional fondé en 1994 à Oran, devenu national en 1997, c’est désormais le premier quotidien francophone du pays. Sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble les meilleures signatures de journalistes et d’intellectuels d’Algérie dans son édition du jeudi. LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien. Né en 1976, le titre se veut le journal de l’élite intellectuelle et financière du pays. Orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour les Démocrates de gauche (ex-Parti communiste), il est fortement critique vis-à-vis de l’ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi. Courrier international + Jahr. Toujours à la recherche d’un scoop, cette “étoile” a un peu pâli depuis l’affaire du faux journal intime de Hitler. TECHNOLOGY REVIEW 92 000 ex., EtatsUnis, paraît toutes les six semaines. Née en 1899, la revue est installée sur le campus du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). C’est le magazine des ingénieurs, scientifiques et hommes d’affaires soucieux de s’informer des nouvelles tendances technologiques et des décisions politiques en la matière. RÉDACTION 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) TIME 6 000 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Fondé en 1923, l’hebdomadaire américain au plus fort tirage est devenu l’un des monuments de la presse mondiale. Ses reportages, ses images chocs – ou encore le numéro toujours très attendu dans lequel est désigné l’homme de l’année –, ont contribué à construire sa légende. Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Philippe Randrianarimanana (Royaume-Uni, 16 68), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, Caucase, 16 36), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie), Alda Engoian (Caucase), Agnès Jarfas (Hongrie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Gabriela Kukurugyova (Rép.tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine) Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Catherine André (Amérique latine, 16 78), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Alda Engoian (Asie centrale), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (Egypte, 16 35), Nur Dolay (Turquie), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Anne Collet (Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Hoda Saliby (Maroc, Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Eric Glover (chef de service, 16 40) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) SEGA 10 000 ex., Bulgarie, hebdomadaire. “Maintenant”, seul newsmagazine bulgare, paraît depuis janvier 1996. Il milite pour un journalisme de qualité, ouvrant ses pages à des opinions de tous les bords politiques. SCIENCE NEWS 200 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Fondé en 1922 sous le nom de Science NewsLetter, le magazine se présente aujourd’hui comme l’unique newsmagazine consacré à la science aux Etats-Unis. L’information est condensée, complétée par de très nombreuses références à des travaux universitaires. SHINDONGA Corée du Sud, mensuel. Le titre est créé en 1931 par le journal Dong-a Ilbo. Il est suspendu en 1936 pour avoir publié une photo du champion coréen du marathon aux Jeux olympiques de Berlin, Sohn Kee-chung, photo où le drapeau japonais figurant sur la tenue du coureur avait été effacé. Réédité à partir de 1964, il atteint 400 000 exemplaires dans les années 80. De tendance centre droit, il est spécialisé dans les révélations politiques. SPORT BILD 450 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Numéro un de la presse sportive en Allemagne, ce magazine s’appuie sur un traitement spectaculaire de l’information. SPORTS ILLUSTRATED 3 212 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Lancé en 1954, le magazine domine la presse sportive outre-Atlantique. Très porté sur les disciplines populaires, comme le base-ball et le basket, il publie régulièrement de longues enquêtes sur les affaires liées au sport. DER STANDARD 63 000 ex., Autriche, quotidien. Jeune journal libéral, à dominante économique, et qui pratique une politique de suppléments vivants et variés. STERN 1 275 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Premier magazine d’actualité allemand. Appartient au groupe de presse Gruner n° 858 Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 € Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA. Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : avril 2007 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France USA TODAY 1 800 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Seul titre véritablement national, USA Today est le journal le plus vendu aux Etats-Unis. Centriste, grand public, il est souvent en avance par rapport à ses confrères sur les sujets qu’il traite. Il propose également une importante rubrique sportive. Site Internet Marco Schütz (directeur délégué, 16 30), Olivier Bras (16 15), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (webmestre, 16 61), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82) THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise foi la plus flagrante. Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche THE WASHINGTON POST 715 000 ex. (983 000 le dimanche), EtatsUnis, quotidien. Le journal qui a dévoilé le scandale du Watergate et publié les rapports secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam reste fidèle à sa réputation de sérieux et d’indépendance. Un grand quotidien de centre droit. Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet (16 83), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (16 84) Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures YAZHOU ZHOUKAN 95 000 ex., Chine (Hong Kong), hebdomadaire. Newsmagazine du groupe Ming Pao, “Semaine d’Asie” se dit le “journal des Chinois du monde entier”. Il se focalise intensément sur l’Asie-Pacifique, avec un fort penchant pour la Chine. Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directrice adjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Chloé Baker, Marie Bélœil, Alessia Bertoli, Marc-Olivier Bherer, Aurélie Boissière, Valérie Brunissen, Hélène Chatrousse, Lucy Conticello, Laurence Grivet, Delphine Halgand, Caroline Lelong, Charlotte de L’Escale, Marina Niggli, Carlotta Ranieri, Jonnathan Renaud-Badet, Marcus Rothe, Isabelle Taudière, Emmanuel Tronquart, Anh Hoa Truong, Janine de Waard DIE ZEIT 464 400 ex., Allemagne, hebdomadaire. Le magazine de l’intelligentsia allemande.Tolérant et libéral, c’est un grand journal d’information et d’analyse politique. ADMINISTRATION - COMMERCIAL Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 48 88 45 02 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Lionel Guyader (16 73) et Fatima Johnson Ventes au numéro Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud.Chef de produit: Jérôme Pons (01 57 28 3378, fax : 01 57 28 21 40).Promotion : Christiane Montillet Marketing, abonnement : Pascale Latour (directrice, 16 90), Sophie Gerbaud (16 18), Véronique Lallemand (1691), Mathilde Melot (16 87) Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrice de clientèle : Hedwige Thaler (14 07). Chefs de publicité : Kenza Merzoug (13 46), Claire Schmidt (13 47). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS - RÉASSORTS Courrier international Libre réponse 41094 Voici mes coordonnées : Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Modifications de services ventes au numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146 60731 SAINTE-GENEVIÈVE CEDEX Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour joindre le service abonnements, téléphonez au 0 825 000 778 Code postal : . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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Ce numéro comporte un encart Abonnement jeté pour une partie des abonnés et un spécial “Sport” folioté de I à XII. 4 DU 12 AU 18 AV RIL 2007 Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 10/04/07 18:52 Page 6 l’invité ÉDITORIAL Regardons-nous avec les yeux des autres ● Daniele Mastrogiacomo, Benjamin Kanarek A quelque dix jours du scrutin présidentiel, il reste dit-on encore quatre indécis sur dix électeurs, ce qui est beaucoup. Pour les aider, on trouvera dans nos pages quelques articles allemands et autrichien, et, la semaine prochaine, un dossier complet qui dressera un portrait en creux de la France, de ses institutions et de ses élites politiques. Rien de tel en effet que ce regard en miroir, qui fait la saveur de nos pages France, pour se comprendre soi-même et décider de notre avenir. Ici, ne soyons pas modestes : Courrier international a fait œuvre de précurseur. Et nous sommes heureux de voir que nos confrères, presse écrite mais aussi et surtout radios et télés, ont repris cette idée et invitent de nombreux correspondants étrangers à livrer leurs observations et commentaires. Trois livres, coup sur coup, viennent de paraître qui partent du même principe. Citons d’abord le plus drôle, La France vue par les Suisses (1), où une dizaine de dessinateurs helvètes s’en donnent à cœur joie pour croquer Chirac et le Français moyen : Chappatte, Barrigue, Herrmann, Mix & Remix et d’autres, souvent publiés dans nos colonnes, ont le trait vif et parfois cruel, mais c’est tant mieux. Plus classique, Désirs de France (2), où quinze correspondants de la presse internationale auscultent un Hexagone un peu patraque. Là aussi, nos lecteurs reconnaîtront des noms connus, de José Marti, d’El País, à Michaela Wiegel, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, dont nous reproduisons souvent les articles. Enfin, le plus ambitieux, Regards sur la France (3), un épais volume où ont été rassemblés une trentaine d’entretiens avec des spécialistes, pour la plupart étrangers, qui connaissent bien notre pays. Il y a là Tony Judt, Borislav Geremek, Stanley Hofman et quelques autres dont la réflexion porte au-delà de la présidentielle, audelà même de la France, puisqu’il y est question de démocratie, d’Europe, du devenir-monde et du vivreensemble. On lira notamment l’interview qu’Edward Saïd a donnée quelques semaines avant sa mort et dans laquelle il démolit avec élégance l’intelligentsia française, de Camus à Glucksmann. Philippe Thureau-Dangin (1) Ed. Glénat. (2) Ed. Michalon. (3) Ed. du Seuil, sous la direction de Karim Emile Bitar et Robert Fadel. La Repubblica, Rome A djmal… Adjmal, on nous laisse partir. On est et ils ont perdu les clés dans le désert. Ils se mettent à libres.Tu te rends compte ? On rentre à la maideux, puis à trois et à quatre pour tenter de casser les son.” Mon ami et interprète afghan, Adjmal chaînes avec tout ce qui leur tombe sous la main. Ils comNaqshbandi, est abasourdi. Il ne comprend mencent par Adjmal. Dans le fond, ils sont contents de pas ce que je lui dis. Il me voit sautiller avec nous libérer et de ne pas avoir été obligés de nous tuer. la chaîne qui me serre les chevilles. Il Ils l’auraient fait, certes, sans hésitation : ce sont des solm’adresse un sourire timide. Il regarde autour dats et des soldats fanatiques. de lui, il voit Haji Lalai, le bras droit du molIls réussissent à briser les chaînes. Mon interprète écarte lah Dadullah, le grand chef qui gère notre enlèvement enfin les jambes, il saute, marche à grands pas jusqu’au depuis deux semaines. jardin extérieur. C’est maintenant mon tour. “Il faut y Nous sommes le 19 mars, un lundi. Le commandant aller”, exhorte le commandant, le chef de cette bande d’asregarde par la petite fenêtre de notre cellule et annonce : sassins. A l’extérieur de la ferme, au beau milieu du dis“Good news, good news. Préparez-vous, dans deux heures trict de Gramser – au sud de la province d’Helmand, le vous rentrez chez vous.” cœur du territoire taliban –, Je me jette dans les bras de deux véhicules nous attenmon ami, je le serre fort. Les dent. Ils me poussent vers le larmes coulent le long de nos premier. Je me retourne et visages, sales de terre et de je dis au revoir à Adjmal poussière. Adjmal tremble en d’un geste de la main. Il me sanglotant. Il ne retient plus répond, je le vois finalement ses larmes. Mais il fait non sourire. Il est content, il quitte avec la tête. Il ne veut pas y la prison ; il y croit vraiment. croire. Il a peur d’être encore “On se voit à Kaboul, peut■ Daniele Mastrogiacomo, 52 ans, est journaliste au quotidien La Repubblica déçu. C’est déjà arrivé, cela être en Italie”, me crie-t-il en depuis 1980. Spécialiste du Moyenpeut arriver encore une fois. anglais. Du coin de l’œil, je Orient, il a couvert plusieurs conflits, Adjmal Naqshbandi avait vois Adjmal monter dans un dont la guerre de l’été 2006 au Liban. 23 ans, deux sœurs et trois pick-up. Je demande où il sera Le 5 mars, il a été enlevé en Afghanisfrères. Il s’était marié il y a libéré. Le commandant Haji tan avec son interprète, Adjmal Naqsept mois. Je l’avais connu en Lalai reste vague : “On le shbandi et son chauffeur. Il a été relâ2001. Il s’était présenté à la remet à d’autres amis.” ché le 19 mars, alors que ses deux colbase de l’armée italienne, sur Je suis tendu. Le moment de laborateurs afghans ont été décapités. Jalalabad Road, et s’était prola libération est toujours le posé comme interprète. Toujours souriant, un peu grasplus dangereux. Mais je suis heureux, on rentre à la maisouillet, le visage rondouillard, les yeux sombres et doux, son. Tous les deux. Mais Adjmal, je ne le reverrai plus un filet de barbe qui se terminait en un petit bouc très jamais. Il a disparu dans le trou noir des talibans. Libéré soigné. Il avait l’air un peu pédant. Il parlait un anglais et refait prisonnier. Otage à nouveau de la bande du molimpeccable, appris au Pakistan durant les années d’exil lah Dadullah. Peut-être encore battu, interrogé, puni. de la longue guerre civile. Et il avait un rêve : devenir Menacé de mort. Tué. Décapité. journaliste. Adjmal a été décapité à 11 h 30 le dimanche 8 avril, jour On est encore dans la cellule. Adjmal est sceptique, il de Pâques, peu avant la grande prière de l’après-midi. Les ne croit pas à ce que nous dit le commandant Haji Lalai. talibans sont tatillons jusque dans leurs communiqués de Pourtant, c’est vrai, ils nous libèrent. Nos geôliers, des presse. Une sentence lue au nom d’Allah, avec en fond jeunes âgés d’une petite vingtaine d’années, débarquent sonore des chants de guerre des étudiants coraniques. Les dans la pièce en sautant et en criant de joie. Ils nous mains liées derrière le dos, les yeux bandés. Quatre bras embrassent et nous prennent les mains. Ils répètent en le traînent dans le sable, l’étouffent. Un couteau lui tranche chœur : “Free, free, you are free.” Ils se penchent sur les la gorge... puis en avant, en arrière, calmement, dans chaînes qui nous serrent les pieds. Ils n’arrivent pas à les un silence glacial... jusqu’à lui couper la tête. Un geste ouvrir. Elles n’ont pas été ouvertes depuis quinze jours barbare, cruel. Une mort injuste, gratuite, lâche. ■ Adjmal, mon ami DR invité p.6 DESSINS DE PRESSE World Press Cartoon, troisième ■ Les prix de la troisième édition du World Press Cartoon ■ L’Union européenne et l’immigration illégale (WPC), auquel Courrier international est associé depuis sa création, sont remis à Sintra, au Portugal, ce vendredi 13 avril. Neuf dessins ont été distingués, dans trois catégories – dessin éditorial, caricature et dessin d’humour –, par un jury composé de dessinateurs que nos lecteurs connaissent bien : António, dessinateur à l’Expresso (Lisbonne), et créateur, avec Rui Paulo da Cruz, du WPC, l’Américaine Ann Telnaes, le Japonais Nó-rio et le Canadien Bado. Alain Grandremy, un ancien du Canard enchaîné, en était aussi. Le palmarès complet sera visible sur www.courrierinternational.com, rubrique Cartoons à partir du samedi 14 au matin. En voici un avant-goût, avec trois des dessins primés. Dessin de Cristina Sampaio, Portugal. ■ Sale gosse Dessin de Tommy Thomdean, Indonésie. ■ Poutine Dessin de Riber, Suède. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 6 DU 12 AU 18 AV RIL 2007 Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 10/04/07 19:48 Page 9 à l ’ a ff i c h e Etats-Unis ● Dire, médire, resplendir (hélas) e Roxy, une boîte de nuit sur Sunset Strip à Hollywood, adore les soirées mondaines. Aussi, quand, il y a quelques jours, Paris Hilton, Amy Winehouse, John Stamos, Kelly Osbourne et Dita Von Teese sont arrivés pour danser jusqu’au bout de la nuit, c’est tout juste si les portiers ont cillé. L’invité d’honneur était un Cubain-Américain gay aux cheveux bleus et aux joues fardées de blush du nom de Perez Hilton, star des blogueurs dont le site au vitriol est capable de faire et de défaire des carrières. Les commérages de Perezhilton.com sont si virulents, et sa fréquentation si importante (un jour, en février dernier, le site a enregistré 4,75 millions de consultations), que Perez est devenu un acteur incontournable de l’usine à célébrités hollywoodienne. En fait, comme le montrent à la fois la liste des invités à la fête donnée pour son vingt-neuvième anniversaire et le nombre croissant de rumeurs à son propre sujet, il n’est pas loin de devenir une star à part entière. “Oh, je ne sais pas. Franchement, moi, je ne me considère pas comme tel”, déclare Hilton, dont le véritable nom est Mario Lavandeira. Or, s’il n’est pas lui-même une célébrité, comment a-t-il fait pour attirer tout ce beau monde à son anniversaire ? Les stars qu’il avait invitées ne craignaient-elles pas de faire l’objet d’articles peu flatteurs sur son site ? “Elles sont venues parce qu’elles savaient que ça serait super, assure-t-il. Tous les gens qui sont effectivement venus sont ceux qui ont de l’humour et qui ne se prennent pas trop au sérieux. […] Paris Hilton a beaucoup d’humour. Elle se moque de ce que l’on peut dire d’elle.” La partialité de Perez Hilton explique en partie son succès. Et il est ravi quand les M. Mc Grath/Getty/AFP L PEREZ HILTON, 29 ans, blogueur hollywoodien. Ce Cubain-Américain s’est fait un nom et une réputation sulfureuse en deux ans dans le petit monde des people américains. Son site, très consulté, se plaît à dévoiler l’homosexualité des stars. invités sur son site manifestent violemment leur désaccord, et même quand ils l’insultent directement. “Je ne censure rien”, commente-t-il. Il n’en reste pas moins que ce qu’il aime, c’est être l’ami d’un groupe de stars. D’après Mr Holy Moly, éditorialiste londonien à scandales, cela pourrait bien un jour lui coûter cher. “On ne peut pas éviter de médire sur Paris Hilton juste parce qu’on la considère maintenant comme une amie. C’est manifestement une imbécile.Aussi, s’il veut que le site continue, il faut qu’il campe sur sa position anticélébrités.” Hilton commence à pâtir des inconvénients de la gloire. L’article qui lui est consacré dans Wikipedia s’est récemment enrichi d’un chapitre, selon lequel “Lavandeira [sic] a appris qu’il était séropositif en 2004.Il a caché ce fait jusque-là, mais, comme lui-même sort les célébrités du placard, nous pensons qu’il est de notre devoir de révéler sa maladie.” Ce chapitre a été enlevé et Hilton ne confirmera ni n’infirmera sa véracité, se contenant de dire que “les gens mettent tout le temps des choses sur les sites”. Pourtant, l’épisode rappelle que Hilton s’est fait quelques ennemis durant sa carrière de blogueur, depuis deux ans. Sa spécialité – dévoiler l’homosexualité des hommes célèbres – a suscité la polémique à Hollywood. “Je crois à la nécessité de dire la vérité et, si je sais que quelque chose est vrai, je le dis, martèle-t-il. Je ne crois pas à la discrimination. Je vais traiter tout le monde de la même façon – les gays comme les hétéros, avoués ou non.” Une chose est sûre, les agences photo s’intéressent de plus en plus à ses portraits non crédités de célébrités. De fait, l’agence X17 réclame à Hilton 7,5 millions de dollars en dommages et intérêts pour violation de copyright. Ce procès renvoie à un problème plus général concernant les sites web. D’après Mr Holy Moly, c’est “l’avenir des blogs” qui se joue à ce procès. “Si [Hilton] perd, poursuit-il, ce sont pas moins de 95 % des blogs américains sur les célébrités qui vont cesser de fonctionner du jour au lendemain, du fait que ce sont essentiellement des galeries de photos avec des commentaires. S’il gagne, les paparazzi n’ont qu’à aller se faire voir et laisser les gamins prendre des photos avec leurs téléphones.” PERSONNALITÉS DE DEMAIN GATO FEDORENTO Un rire réconfortant (D’après Diário de Notícias, Lisbonne) MUHAMMED DEMIRCI Riche de promesses “Vas-y, enfile la culotte !” a-t-elle déclaré, en guise d’encouragement, à la vice-porte-parole de la MaisonBlanche, Dana Perino, appelée à remplacer l’actuel porte-parole, Tony Snow, atteint d’un cancer du colon. (The Washington Post, Washington) Comment les enfants de Jamil ElBanna, un Jordanien détenu depuis 2002 sur la base américaine à Cuba, supportent-ils son absence ? “Ils pensent que Guantanamo est un bel endroit pour partir en voyage, qu’il est avec des amis et qu’il fait des barbecues”, explique leur mère. Quelques jours avant son arrestation, les services secrets britanniques avaient tenté de recruter ElBanna, qui serait donc détenu par erreur. (The Guardian, Londres) CHARLES, prince de Galles ■ Provocateur “Ça fait des années qu’on me ridiculise”, se plaint-il à propos du traitement que lui réservent les médias. Récemment, il a été pris en photo en robe de chambre. (The Daily Mail, Londres) Dessin de Glez, Burkina Faso TRAIAN BASESCU, président de la Roumanie ■ Alambiqué Malgré la trêve pascale, il n’a pu s’empêcher d’évoquer – devant la cathédrale de Sibiu – le conflit qui l’oppose à son Premier ministre, Calin Popescu-Tariceanu. “Je connais bien les trois piliers [de la religion] : être en paix avec Dieu, avec toimême et avec tes semblables. Mais, parfois, en tant que chef de l’Etat, pour être en paix avec Dieu et avec toi-même, tu ne peux pas l’être avec tes semblables…” (Evenimentul Zilei, Bucarest) SEAN CONNERY, acteur britannique ■ Patriote “J’attends l’indépendance depuis aussi longtemps que je me souvienne. Comme beaucoup d’Ecossais de l’étranger, j’ai hâte de rentrer dans une Ecosse indépendante”, explique le natif d’Edimbourg, qui vit aux Bahamas depuis huit ans. Les indépendantistes sont donnés favoris pour les élections régionales du 3 mai. (The Scotsman, Edimbourg) COURRIER INTERNATIONAL N° 858 9 LECH WALESA, ex-président de la Pologne ■ Blanchi et nourri “J’ai déjà 54 ans et, quand je regarde les Dessin femmes, je ne les consi- de Bubec, dère que du point de Allemagne. vue pratique.” (Gazeta Wyborcza, Varsovie) ROSE HACKER, ex-chroniqueuse britannique âgée de 101 ans ■ Pionnière “On peut vivre sans sexe, mais pas sans amour. Plus on fait l’amour, plus on veut de l’amour. L’amour, c’est essentiel, c’est la seule chose qui compte.” Devenue veuve à 76 ans, elle confie qu’elle a fréquenté des hommes jusqu’à son 90e printemps. (The Observer, Londres) DU 12 AU 18 AVRIL 2007 DR SABAH EL-BANNA, épouse d’un détenu à Guantanamo Bay ■ Maternelle e jeunes fans de foot au Japon, en Europe ou au Brésil se promèneront un jour avec des teeshirts à l’effigie d’un joueur turc”, prophétise l’hebdomadaire turc Aksiyon. “Ce sera le portrait de Muhammed Demirci.” Cet adolescent de 13 ans, qui est désormais conduit à l’entraînement dans une grosse Mercedes, fait aujourd’hui l’objet de la convoitise des grands clubs turcs ainsi que du célèbre FC Barcelone. Issu d’une famille très modeste originaire de la région du mont Ararat, à l’extrême est de la Turquie, Muhammed est né à Istanbul dans un quartier populaire. C’est par le biais d’un club de quartier qu’il a croisé la route de son futur manager ; celui-ci lui a ouvert les portes du grand club stambouliote de Besiktas, qui assume désormais tous ses frais, y compris de scolarité, et a trouvé du travail à son père sans emploi. Elu meilleur joueur lors de deux tournois organisés en Suisse et en Allemagne, il est actuellement courtisé par le Barça, qui a proposé de l’acheter 3 millions d’euros. En préférant rester auprès de sa famille, Muhammed Demirci a déjà fait grimper les enchères. D Ed Caesar, The Independent (extraits), Londres ILS ET ELLES ONT DIT MARGARET SPELLINGS, ministre de l’Education américaine ■ Féministe epuis le 28 mars, un immense panneau publicitaire installé sur la place Marquês Pombal, au cœur de Lisbonne, proclame “Assez d’immigration” et incite les immigrés à rentrer chez eux, photo d’avion à l’appui. Il est l’œuvre du Parti national rénovateur (PNR), extrême droite , un mouvement marginal (0,1 % aux législatives de 2005) dans un pays où l’émigration reste importante. L’ensemble de la classe politique a bien évidemment condamné cette initiative, mais la réaction la plus spectaculaire est venue des Gato Fedorento (les Chats Puants), les humoristes les plus populaires du pays. Ils sont quatre, Ricardo de Araújo Pereira (photo), Tiago Dores, Miguel Góis et José Diogo Quintela, et font depuis près de deux ans les beaux jours de la télévision publique avec une émission à sketches dans le droit fil des Monty Python, leur modèle revendiqué. Ils ont décidé de répondre au message agressif du PNR sur le terrain de l’humour, en installant à leurs frais un panneau publicitaire à côté de celui du mouvement d’extrême droite. En tous points identique, au message près : “[Nous voulons] plus d’immigration ! La meilleure façon d’embêter les étrangers, c’est de les obliger à vivre au Portugal. Soyez les bienvenus !” Retirée trois jours plus tard pour des raisons administratives, l’affiche leur aura valu des menaces de mort. Et de nombreux coups de chapeau. D ERT 858p09 a l'affiche 858p10-11-12-13 10/04/07 19:16 Page 10 dossier ● ENQUÊTE SUR LE TALIBANISTAN ■ Les Zones tribales pakistanaises grouillent de djihadistes. Des talibans pachtounes qui veulent imposer leur pouvoir. Et des combattants ouzbeks, tchétchènes et arabes d’Al-Qaida, encore moins bien tolérés par les villageois. n février dernier, les habitants de Dara Adam Khel, un village d’armuriers situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Peshawar, au Pakistan, ont trouvé à leur réveil les rues pleines de tracts leur ordonnant d’observer la loi islamique. Du jour au lendemain, les femmes ont dû se mettre à porter la burqa et les hommes se laisser pousser la barbe. La musique et la télévision ont été interdites. Puis les djihadistes sont passés aux choses sérieuses. Ces jours-ci, l’aube résonne souvent de pleurs de femmes : on vient découvrir un nouveau corps sans tête au bord de la route, avec un mot épinglé sur la poitrine affirmant qu’il s’agissait d’un espion à la solde des Américains ou du gouvernement pakistanais. Les décapitations sont filmées et vendues en DVD dans les marchés de la région. “C’est le couteau qui me fait le plus peur, dit Hafizullah, armurier de 40 ans. Avant de vous tuer, ils l’aiguisent sous vos yeux. Ils sont pires que des bouchers.” Les histoires comme celle-ci sont monnaie courante dans les Zones tribales du Pakistan, ce rude no man’s land à la limite de l’Afghanistan où se forme et s’organise une nouvelle génération de terroristes. Poussés par le fanatisme et endurcis par la guerre, de jeunes extrémistes religieux ont pris le contrôle de dizaines de villes et villages avec l’intention d’imposer leur vision rigoriste de l’islam à des populations trop faibles pour résister. A l’image des talibans afghans à la fin des années 1990, ces djihadistes sont soupçonnés d’offrir leur protection aux chefs d’Al-Qaida et à leurs hommes. Des responsables américains du renseignement pensent qu’Oussama Ben Laden et son bras droit, l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, ont trouvé refuge dans cette zone. Et, si les Etats-Unis et l’OTAN disposent de 49 000 soldats de l’autre côté de la frontière, en Afghanistan, ils ne sont pas autorisés à mener des opérations au Pakistan. Isolée, tribale et profondément conservatrice, cette région frontalière est un monde à part, un territoire hors la loi qui échappe si complètement au contrôle de l’Occident et de E ses alliés qu’on le surnomme le “Talibanistan”. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis s’appuient sur le gouvernement pakistanais pour lutter contre le terrorisme islamiste. Mais, si les services de renseignements pakistanais ont longtemps été soupçonnés d’avoir partie liée avec les talibans, l’administration Bush n’a cessé de saluer l’action du président du Pakistan, Pervez Musharraf, qui a participé à la traque des membres du réseau de Ben Laden. Mais la talibanisation de la zone frontalière – et le rôle que joue celle-ci dans l’armement et le financement des insurgés afghans – a ravivé les doutes sur l’engagement réel de Musharraf contre les djihadistes. Ces incertitudes refont surface alors que Musharraf fait face à la plus grave crise politique depuis son arrivée au pouvoir, il y a huit ans. Depuis le 12 mars, les rues sont en effet le théâtre d’affrontements entre la police et des milliers d’opposants – dont de nombreux avocats – indignés par le limogeage du président de la Cour Le 26 mars dernier, près de Wana, des combattants tribaux posent devant un bâtiment dont ils viennent de prendre le contrôle. Cette maison servait auparavant de geôle aux djihadistes étrangers. De violents affrontements ont opposé les Waziris aux militants étrangers à la région. LE S Z ONE S TRIBALE S : LE NOUVE AU “TALIBANISTAN ” PROVINCEDE-LA-FRONTIÈREDU-NORD-OUEST Passe de Khyber Kunar Jalalabad Kaboul Tora Bora Peshawar Islamabad Dara Adam Khel A F G H A N I S TA N Nord-Waziristan Wana Sud-Waziristan Kandahar PEN DJA B P A K I S T A N BALOUTCHISTAN Quetta ZONES TRIBALES (quasi autonomes) COURRIER INTERNATIONAL N° 858 0 Courrier international TIME New York 200 km “Pachtounistan” : zone majoritairement peuplée par les pachtounes Pachtounes 10 DU 12 AU 18 AV RIL 2007 suprême, Iftikhar Muhammad Chaudhry, pour “abus d’autorité”. Le chef de l’Etat est accusé par ses détracteurs de vouloir pervertir le système judiciaire afin de se maintenir au pouvoir. Leur colère n’a fait que redoubler après qu’un raid de la police a empêché une chaîne de télévision de couvrir les manifestations. Certains Pakistanais qui, par le passé, s’accommodaient de l’autoritarisme de leur président le décrivent maintenant comme un dictateur.“Je pense qu’il s’est condamné lui-même”, commente le général Hamid Gul, ancien chef de l’ISI, l’agence de renseignements pakistanaise. “Il ne pourra pas contrôler les forces qu’il a libérées.” Musharraf étant chef des armées et les militaires ayant un rôle central dans le fonctionnement du pays, il est peu probable qu’il soit chassé du pouvoir. Mais, privé du soutien de sa base modérée, il est de plus en plus dépendant des partis fondamentalistes, fervents défenseurs des talibans. Si les manifestations continuent, Musharraf sera moins enclin à poursuivre les extrémistes du Talibanistan. Mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis et leurs alliés ; bonne nouvelle pour leurs ennemis dans la région. Selon un haut responsable militaire américain en Afghanistan,“les talibans sont désormais libres de faire ce qu’ils veulent dans les Zones tribales, parce que l’armée [pakistanaise] n’ira jamais les chercher”. En réalité, le cœur du Talibanistan – une zone montagneuse couverte d’épaisses forêts, officiellement appelée le Waziristan – ne s’est jamais entièrement soumis à quelque domination que 858p10-11-12-13 10/04/07 19:17 Page 11 FIGURE Ishtiaq Mahsud/AP-Sipa Le pouvoir de l’émir Nazir ce soit. A l’époque coloniale, les Britanniques n’étaient pas parvenus à conquérir cette région de tribus pachtounes et ils les ont laissées vivre selon leurs coutumes. En échange, les populations tribales protégeaient le sous-continent des invasions venues du nord. Cet arrangement a perduré avec le Pakistan, à sa création, en 1947. Après le 11 septembre 2001, Islamabad ne s’est guère préoccupé de la situation dans cette région. DES RELATIONS DIFFICILES AVEC L’ARMÉE PAKISTANAISE Mais, quand il est devenu évident que les membres d’Al-Qaida et les talibans fuyaient les soldats américains en passant la frontière, des troupes pakistanaises y ont été envoyées. Le nombre des soldats a grossi par la suite, jusqu’à atteindre 80 000 hommes. Des chefs terroristes ont été capturés, et plusieurs camps d’entraînement détruits. Mais plus la pression militaire augmentait, plus les habitants rejetaient la présence des soldats gouvernementaux, surtout quand des civils trouvaient la mort au cours d’opérations bâclées. Dans le cadre des accords de paix signés en septembre 2006 avec les chefs des tribus du Nord-Waziristan, l’armée pakistanaise s’est engagée à retirer ses barrages routiers, à cesser ses patrouilles et à regagner ses casernes. En contrepartie, les combattants locaux ont promis de ne pas attaquer les soldats et de ne plus mener d’opérations en Afghanistan à partir de la frontière. Selon Hamid Gul, ce changement de stratégie est un “aveu d’échec” pour l’armée pakistanaise. Plus de 700 soldats ont en effet trouvé la mort dans cette zone au cours des deux dernières années. Mais les militaires ne sont pas les seuls à payer les pots cassés. Depuis que les forces pakistanaises sont moins présentes à la frontière, les violences en Afghanistan sont en forte recrudescence. En réalité, le retrait des militaires a surtout permis aux extrémistes locaux d’imposer leur loi dans la région. Ils ont mis en place des tribunaux appliquant la charia et exécuté plusieurs “criminels” selon la loi islamique. Certains convois militaires pakistanais sont même parfois escortés par des talibans qui assurent leur protection, ainsi qu’en a récemment été témoin un journaliste de Time au Nord-Waziristan.“L’Etat s’est retiré et a abandonné cette région”, déclare Samina Ahmed, de l’ONG International Crisis Group. “On a tout simplement donné un territoire aux talibans.” Les vieux chefs tribaux indiquent que les extrémistes se servent de mosquées complaisantes pour recruter et héberger de nouveaux combattants. Ils recrutent de jeunes hommes attirés par l’argent et le fanatisme religieux, et arrivent à obtenir le soutien des habitants sous la menace. Malik Haji Awar Khan, 55 ans, chef des 2 000 hommes de la tribu Mutakhel Wazir, au Nord-Waziristan, a été approché il y a un an pour rallier la cause des talibans. Quand il a refusé, les extrémistes ont kidnappé ses jeunes enfants. “Ils croyaient pouvoir m’enrôler, mais je suis fatigué de combattre”, explique COURRIER INTERNATIONAL N° 858 11 ■ Maulvi Nazir a presque surgi de nulle par t. Personne n’en avait vraiment entendu parler avant le dernier trimestre 2006, quand il a endossé le rôle d’émir [grand leader] des tribus waziries protalibans dans le Sud-Waziristan. Il s’était vu ostensiblement confier la mission de les réorganiser afin qu’elles puissent inter venir plus efficacement contre les unités américaines et de l’OTAN durant l’été prochain. Maulvi Muhammad Nazir a une grande expérience de la guérilla. Adolescent, il a combattu pendant les derniers mois du conflit soviéto-afghan – à la fin des années 1980 – et faisait par tie du mouvement afghan Hezb-e-Islami du seigneur de la guerre pachtoune Gulbuddin Hekmatyar. Le Hezb était alors le groupe le mieux organisé et bénéficiait du soutien massif des ser vices de renseignements américains et pakistanais. “Nazir est jeune, modéré, et c’est un bon musulman”, commente au téléphone un ancien des tribus qui l’a rencontré. Aujourd’hui, il est âgé d’une quarantaine d’années. Mais l’émir des talibans est confronté à la menace sérieuse qu’incarne un commandant local, Haji Omar. Ce dernier, chef taliban dans le Sud-Waziristan, appuie les combattants ouzbeks du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU) et d’autres terroristes étrangers. Il défie l’autorité de Nazir, et leur rivalité a déclenché des heurts sanglants près de Wana au début du mois de mars. Nazir était porté sur la liste des personnes les plus recherchées par le gouvernement pakistanais. Il s’est même rendu aux autorités en 2004. Ses interrogateurs l’ont blanchi et il a finalement été relâché à la fin de 2004, au moment où cinq commandants importants signaient un accord de paix avec le gouvernement à Wana. Sa nomination en tant qu’émir a été la conséquence d’une jirga [assemblée] au sommet des talibans afghans, sous la direction du puissant mollah Dadullah. Selon cer taines sources, la jirga aurait été convoquée par le chef suprême des “étudiants en religion”, le mollah Mohammad Omar. Dans la population locale, l’exaspération allait croissant face au “mauvais comportement” des militants ouzbeks. D’après les anciens des tribus, la jirga des talibans a longuement siégé avec des chefs DU 12 AU 18 AVRIL 2007 tribaux. C’est à la suite de ces réunions que le mollah Nazir a été “unanimement” nommé émir des moudjahidin du Sud-Waziristan. Deux commissions, une de huit membres et l’autre de quatre, ont également été constituées afin d’“améliorer l’image publique des talibans” dans les Zones tribales pakistanaises. Dans le cadre de cette organisation, aucune décision prise par la commission de huit membres ne peut être mise en application sans l’assentiment de celle de quatre membres, considérée comme l’organe suprême. Ce dernier comprend le mollah Nazir, Haji Omar, Haji Bakhta Jan, chef de guerre afghan basé dans le Nord-Waziristan, et Usman, présenté comme un Ouzbek. Conformément aux nouvelles règles d’engagement, aucune exécution ne peut avoir lieu sans que le verdict, voté par la commission de huit membres, ait été approuvé par celle de quatre membres. Un bureau central a été ouvert à Wana pour le mollah Nazir. Une commission spéciale a également été constituée pour la collecte des dons. Depuis qu’il a pris les commandes, il a en outre interdit le recrutement de jeunes de moins de 18 ans. “Les enfants en âge d’aller à l’école doivent y aller plutôt que de mener la guerre sainte”, a-t-il déclaré en transmettant ses directives après avoir assumé officiellement ses fonctions. Le problème, pour les autorités d’Islamabad, c’est que Nazir a mis l’accent sur des règles d’engagement qui passent par un recours sélectif à la violence et interdisent aux militants de s’en prendre aux troupes pakistanaises. Comme le dit un haut responsable : “Ce qu’il y a de positif, avec le nouveau chef des talibans, c’est qu’il évite l’affrontement avec l’armée. Il considère qu’attaquer les forces de sécurité pakistanaises, c’est attaquer son propre peuple.” Pourtant, si, grâce à Nazir, la situation est moins difficile pour les soldats et les unités paramilitaires pakistanaises, sous son commandement, les dif férents groupes unifiés ne font pas mystère de leur intention de lancer des opérations de l’autre côté de la frontière, en Afghanistan, et d’établir une chaîne de commandement unique pour augmenter leur efficacité au combat. Iqbal Khattak, The Friday Times, Lahore 858p10-11-12-13 10/04/07 19:27 Page 12 dossier Khan, qui s’est battu aux côtés des moud- ■ jahidin contre l’armée soviétique. “Ce djihad est commandé de l’extérieur, par Al-Qaida. Ce n’est pas une guerre sainte. Il n’y a que le pouvoir et l’argent qui les intéressent.” Les chefs de tribu que nous avons interrogés affirment ne pas soutenir la cause des djihadistes. Mais la campagne de terreur menée par les talibans a épuisé les résistances locales. Malik Sher Muhammad Khan, un vieux chef tribal de Wana, déclare : “Les talibans crient dans les rues que les enfants ne doivent pas aller à l’école parce qu’on leur apprend des matières modernes comme les mathématiques ou les sciences. Nous voulons être modernes. Ce n’est pas seulement les filles qui sont concernées. Dans mon village, personne ne sait écrire son nom.” Muhammad Khan estime que seuls 5 % des habitants du Waziristan soutiennent activement les islamistes. Certains reçoivent de l’argent pour services rendus ou louent des terres pour y installer des camps d’entraînement. Les autres ne sont soumis que par la peur. Il y a quelques mois, des talibans ont attaqué sa maison parce qu’il avait ouvertement critiqué leur présence dans la région. Durant l’assaut, une grenade a tué sa femme.“Si j’avais eu des armes, j’aurais peut-être pu la sauver, dit-il. Mais nous n’avons aucun moyen de les chasser.” L’émergence du Talibanistan est une menace potentielle directe contre les Etats-Unis et l’Occident. Les habitants affirment que la zone est devenue un immense camp, où des garçons parfois âgés de seulement 17 ans sont formés pour commettre des attaques suicides. “Ici, on accueille les jeunes en leur disant : ‘Puisse Allah t’accorder la bénédiction de devenir un martyr’”, explique Obaidullah Wazir, 35 ans, membre d’une tribu de Miranshah. John McConnell, directeur de l’Agence nationale de renseignements américaine, a déclaré le mois dernier à Washington devant la commission sénatoriale des services armés : “Al-Qaida est en train de construire des centres opérationnels forts qui rayonnent à partir des camps du Pakistan dans tout le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe.” Au Waziristan, plusieurs types de combattants se côtoient. Il y a d’abord les militants locaux, qui parlent le pachto et s’opposent à Islamabad, le plus souvent pour revendiquer l’autonomie d’un “grand Pachtounistan”. Il y a ensuite plusieurs milliers de militants d’Al-Qaida, venus d’Afghanistan mais aussi d’Asie centrale, d’Afrique du Nord et du MoyenOrient. Contrairement aux islamistes locaux, ces derniers ont une vision globale de leur cause et s’entraînent sur place avant de partir commettre des attentats en Afghanistan, en Irak et en Europe. Or les combattants locaux supportent de plus en plus mal leur présence. En mai 2005, les chefs tribaux avaient même signé un accord avec l’armée pour les chasser. En septembre 2006, un nouvel accord de paix entre les locaux et l’armée stipulait que les Waziris devaient dénoncer les terroristes étrangers. De nombreux affrontements opposent ces deux groupes depuis le mois de mars 2007. Londres ou n’importe où ailleurs : ‘Ça suffit ! Y en a marre, remettez de l’ordre dans tout ça’, ça ne nous aide pas beaucoup, ici.” C’est peut-être vrai. Mais l’administration Bush commence à comprendre que la stabilisation de l’Afghanistan et la lutte contre AlQaida passent par le contrôle du Talibanistan. Le secrétaire d’Etat adjoint Richard Boucher a annoncé l’intention américaine de soutenir le développement des Zones tribales en offrant à Musharraf 750 millions de dollars [environ 560 millions d’euros] supplémentaires dans les cinq prochaines années. “Je pense que cet engagement pour le développement, pour une relation durable, est une nouvelle illustration des liens profonds qui nous unissent et que nous renforçons, at-il déclaré. Nous sommes profondément attachés à l’idée que le Pakistan reste un Etat musulman démocratique, modéré et stable.” Muzafar Khan, chef d’une tribu locale, a corroboré ces propos. Selon lui, le commandant ouzbek TahirYuldashev, chef du Mouvement islamique d’Ouzbékistan [IMU, organisation terroriste ouzbèke qui opère en Asie centrale et en Asie du Sud depuis 1998] et lieutenant supposé de Ben Laden, serait à la tête de combattants ouzbeks, tchétchènes, arabes et pakistanais massés dans la zone frontalière. “Nous savons qu’ils font partie d’Al-Qaida, déclare Muhammad Khan. Ce sont des étrangers, ils ne nous ressemblent pas et ne parlent pas le pachto.” Il ajoute que “leurs camps sont faciles à trouver. Même un enfant pourrait vous les montrer.” Ces camps abritent entre 10 et 300 hommes et sont généralement cachés dans la forêt, disent les habitants. On y trouve des constructions simples, en béton et parpaings, entourées de hauts murs. Certains disposent d’abris souterrains en cas d’attaque. Un responsable du renseignement pakistanais affirme que son gouvernement fait tout son possible pour les trouver et les détruire. “Je ne dis pas qu’il n’y a pas de terroristes étrangers sur notre sol, mais, quand nous en localisons, nous les poursuivons”, dit-il. En fait, la meilleure chance de déloger Al-Qaida se trouve peut-être du côté des tribus locales qui se sont violemment opposés à la présence des extrémistes, qu’ils soient locaux ou non-Pachtounes, dans la ville de Wana, fin mars et début avril 2007. Musharraf se joindra-t-il au combat ? Même si Washington fait pression pour qu’il lutte davantage contre le terrorisme, sa survie politique dépend encore largement de partis qui condamnent son soutien aux Américains. Et puis, le vice-président Dick Cheney, en visite sur place au début du mois de mars dernier, lui a ouvertement reproché son incapacité à éradiquer les extrémistes – même si les porte-parole des deux côtés soutiennent que la relation entre les deux hommes est toujours solide. “En faire plus ? Bien sûr qu’ils en font plus ! Tout le monde en fait plus, mieux et différemment. C’est la guerre”, déclare un diplomate occidental en poste à Islamabad. “Mais, quand ils disent, à Washington, à LE PRÉSIDENT MUSHARRAF DE MOINS EN MOINS CRÉDIBLE WPN Tensions COURRIER INTERNATIONAL N° 858 12 DU 12 AU 18 AV RIL 2007 Ces capitaux américains pourraient évidemment améliorer considérablement le sort de cette région pratiquement dépourvue d’infrastructures. Il ne fait aucun doute que, à terme, des écoles, des hôpitaux, des routes et l’accès à l’électricité seraient bien plus efficaces contre les extrémistes qu’un accroissement de la présence militaire. Mais ce genre de développement prend des années. A l’heure où les terroristes renforcent leur emprise, le président doit prendre des mesures plus radicales. La crise judiciaire et les manifestations de ces dernières semaines ont miné sa crédibilité aux yeux des Pakistanais modérés et laïcs qui formeraient un rempart efficace contre la menace du djihad. Musharraf s’est engagé à organiser des élections législatives d’ici à la fin de l’année, mais, pour reconquérir cet électorat, il lui faudra peut-être aller plus loin et ouvrir l’élection aux chefs de l’opposition, Nawaz Sharif et Benazir Bhutto, actuellement en exil. S’il parvient à faire la preuve de son engagement en faveur de la démocratie, les Pakistanais pourraient bien le maintenir en place. Assuré de cette légitimité, il serait sans doute mieux à même de combattre l’extrémisme dans les Zones tribales. En février dernier, un étrange défilé composé de 45 vieux chefs tribaux a emprunté les sentiers de montagne par lesquels passent généralement les extrémistes qui vont attaquer les forces américaines ou celles de l’OTAN en Afghanistan. Ils allaient rencontrer Hamid Karzai, le président afghan, qui avait ouvertement critiqué l’incapacité de Musharraf à éradiquer le soutien pakistanais aux talibans. “Nous n’avons eu que trop d’années de guerre, trop de veuves, trop d’orphelins, trop de blessés. Si le djihad continue, il détruira l’Afghanistan et le Waziristan, a déclaré l’un des vieux leaders. Nous avons besoin d’aide. Nous ne faisons plus confiance au gouvernement pakistanais.” Le chef de la délégation a offert au président Karzai un grand turban traditionnel waziri en soie jaune. Alors qu’il en coiffait le président, il déclara : “Vous êtes notre président.Vous pouvez nous sauver de la catastrophe. Nous sommes à votre service et nous vous soutenons.” En se tournant vers l’un des rivaux de Musharraf pour lutter contre les talibans, les tribus désavouent ouvertement sa politique. Et, si le président pakistanais ne parvient pas à reprendre au plus vite le contrôle du Talibanistan, ses soutiens à Washington pourraient bien, eux aussi, l’abandonner à leur tour. Aryn Baker 858p10-11-12-13 10/04/07 19:18 Page 13 ENQUÊTE SUR LE TALABANISTAN AFP ● La deuxième vague d’Al-Qaida Trentenaires, venus d’horizons divers et rompus à la lutte armée, les nouveaux chefs de l’organisation inquiètent les spécialistes du contre-terrorisme. THE NEW YORK TIMES New York lusieurs experts américains du renseignement et du contre-terrorisme assurent qu’Al-Qaida est en train de se reconstruire dans les Zones tribales au Pakistan. Et qu’Oussama Ben Laden s’appuie désormais sur une nouvelle génération de lieutenants pour consolider son contrôle sur les opérations du réseau. Issus de la base, ces nouveaux dirigeants se sont imposés après la mort ou la capture des principaux cadres qui avaient bâti Al-Qaida avant les attaques du 11 septembre 2001. Cette capacité de la nébuleuse à se relever de la vaste offensive menée contre elle par les Etats-Unis a suscité la surprise et le désarroi des agences de renseignements américaines. Depuis plusieurs mois, les autorités américaines, européennes et pakistanaises s’efforcent de reconstituer l’organigramme de ce nouveau leadership en se fondant en partie sur les preuves collectées lors d’enquêtes réalisées ces deux dernières années. Les services de renseignements ont intercepté des communications entre plusieurs agents opérationnels basés dans les Zones tribales au Pakistan, qui leur ont permis d’en apprendre davantage sur la structure d’Al-Qaida, mais le groupe se serait également doté d’un réseau complexe de messagers humains pour échapper aux écoutes électroniques. L’enquête sur le projet d’attentat contre les avions de ligne décollant de Londres a par ailleurs permis de remonter jusqu’au cerveau de l’opération : un commandant paramilitaire égyptien du nom d’Abou Ubaidah Al-Masri, un des leaders d’AlQaida pour le Pakistan. Ancien de l’Afghanistan, P Un groupe d’étudiants fuit le Waziristan, secoué par des heurts entre l’armée pakistanaise et les djihadistes. Des étudiants d’une madrasa extrémiste dans la ville pakistanaise de Dara, non loin du Waziristan. Leur école forme de nombreux jeunes hommes avant leur départ pour le djihad en Afghanistan. il ferait régulièrement la navette entre le Pakistan et l’Afghanistan, utilisant les points de passage les plus dangereux et les moins bien gardés de la frontière. Longtemps soupçonné d’être à la tête des opérations de la milice dans la province afghane de Kunar, il serait en fait l’un des principaux stratèges d’Al-Qaida depuis la mort d’Abou Hamza Rabia, un autre Egyptien tué au Pakistan en 2005 par un tir de missile. UNE MULTITUDE DE CELLULES TERRORISTES “LOCALES” Les preuves que les experts affirment avoir accumulées sur le rôle d’Al-Masri et d’une poignée d’autres personnalités les ont conduits à réévaluer la vigueur du noyau dur du réseau dans les Zones tribales pakistanaises et son rôle dans des complots terroristes parmi les plus graves de ces deux dernières années. Ils pensent par exemple au projet visant les avions de ligne et les attentats kamikazes de Londres qui, en juillet 2005, ont fait 56 morts. Cette réévaluation a remis à l’ordre du jour la nécessité de collaboration entre les services de renseignements pakistanais et américains, et laisse penser que le démantèlement des infrastructures d’Al-Qaida au Pakistan pourrait contrecarrer des projets d’attaque de grande envergure qui ont peut-être déjà été lancés. A Washington, nombre de hauts responsables assurent en fait depuis plusieurs années que Ben Laden et ses lieutenants ne tiennent plus qu’un rôle secondaire au Pakistan depuis la montée en puissance de la branche irakienne de l’organisation, nommée Al-Qaida en Mésopotamie, et l’apparition de réseaux terroristes régionaux et de cellules dites “locales”. C’est en partie sur cette analyse que s’est fondée la CIA pour décider de dissoudre à la fin 2005 son unité Alex Station, qui, pendant dix ans, a été chargée de capturer le Saoudien et ses plus proches conseillers, et de demander aux analystes de sa cellule antiterroriste de se concentrer sur l’expansion de la nébuleuse. Contrairement à la COURRIER INTERNATIONAL N° 858 13 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 structure relativement hiérarchisée d’Al-Qaida en Afghanistan avant le 11 septembre 2001, le commandement de l’organisation serait aujourd’hui plus diffus, réparti sur plusieurs centres de planification qui travailleraient de façon autonome et n’entretiendraient pas forcément de contacts suivis avec Ben Laden ou son bras droit, l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri. On ignore toujours beaucoup de choses sur les nouveaux chefs du réseau, dont certains ont adopté un nom de guerre. Les spécialistes pensent qu’ils auraient en moyenne une trentaine d’années et qu’ils auraient longtemps pratiqué la lutte armée dans des pays comme l’Afghanistan et la Tchétchénie. Ils sont issus d’horizons plus divers que leurs prédécesseurs, qui étaient pour la plupart des combattants égyptiens aguerris. Selon les sources américaines, le nouvel encadrement comporterait plusieurs agents opérationnels pakistanais et maghrébins. Les experts sont convaincus que le conflit irakien produira les futurs leaders du réseau terroriste. “Les djihadistes qui rentrent d’Irak sont beaucoup plus performants que ne l’ont jamais été les moudjahidin qui se sont battus contre les Soviétiques en Afghanistan” [de 1979 à 1989], assure Robert Richer, ancien directeur adjoint des opérations de la CIA en 2004-2005. Parmi les autres étoiles montantes de la nébuleuse qui prépareraient des attentats à l’étranger, les Américains ont identifié un Marocain, Khalid Habib, et un Kurde, Abdoul Hadi Al-Iraqi, qui est passé en Afghanistan – après avoir servi dans l’armée de Saddam Hussein – pour se battre contre l’occupant soviétique. Les officiels américains reconnaissent ne toujours pas très bien comprendre comment ces cadres opérationnels communiquent avec Ben Laden et Al-Zawahiri. Ils sont également partagés et quelque peu déconcertés à propos du jeu trouble de l’Iran pour mettre la main sur les chefs d’Al-Qaida. Des agents du renseignement pensent que Téhéran aurait dans certains cas été très efficace dans cette traque et aurait placé en résidence surveillée plusieurs cadres de haut niveau qui avaient fui l’Afghanistan après les attentats du 11 septembre, parmi lesquels l’Egyptien Saïd Al-Adel, responsable des opérations du réseau, et Saad Ben Laden, l’un des fils du chef historique d’Al-Qaida. Mais ils pensent également que plusieurs autres grandes personnalités seraient actives sur le sol iranien, et notamment un Egyptien connu sous le nom d’Abou Jihad Al-Masri et un spécialiste libyen en explosifs du nom d’Atiyah AbdEl-Rahbman, lequel irait régulièrement dans les Zones tribales pakistanaises. Malgré les dégâts infligés à la structure d’Al-Qaida après les attentats du 11 septembre, les hauts responsables américains continuent de craindre que le groupe ne soit déterminé à lancer une offensive à l’échelle mondiale. “Nous craignons depuis un certain temps que les chefs tentent de reconstruire une chaîne de commandement et une structure organisationnelle”, nous a déclaré Robert S. Mueller III, directeur du FBI. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’AlQaida prépare “des opérations complexes et de grande envergure”. “C’est se voiler la face que de clamer que la nébuleuse a été anéantie au simple prétexte qu’elle n’a pas attaqué les Etats-Unis depuis 2001”, souligne Michael Scheuer, ancien directeur de l’unité Ben Laden de la CIA. “AlQaida continue d’œuvrer dans l’ombre, et avec une nouvelle génération de dirigeants.” Mark Mazzetti 858 p.14-15 10/04/07 20:21 Page 14 f ra n c e ● É LY S É E 2 0 0 7 Plus fort, “La Marseillaise” ! Le drapeau, l’identité nationale, l’hymne… Cette campagne agite les symboles mais évite les vrais débats. Ce que le correspondant de l’hebdomadaire Die Zeit n’apprécie manifestement pas… DIE ZEIT (extraits) modèle républicain d’intégration, sait pourtant qu’il n’est souvent que dans la moyenne européenne. Alors que jusqu’à présent le plus grand malheur de la classe politique sortante a été d’embellir la situation, la génération suivante se plaît à prédire une catastrophe imminente. Dans les scénarios cauchemardesques de Nicolas Sarkozy, l’Etat est menacé de banqueroute, de conflits raciaux, de violence, d’invasion étrangère et de perte d’autorité. Hambourg es Français attendaient beaucoup de cette élection présidentielle. Une nouvelle génération d’hommes politiques devait balayer la gérontocratie au pouvoir, mettre fin à la monarchie présidentielle, dépoussiérer les institutions, réformer la protection sociale, dynamiser les entreprises et donner une nouvelle chance aux exclus. La France allait s’ouvrir à nouveau à l’Europe, surmonter son égoïsme missionnaire dans les affaires étrangères et tout faire pour que ses 62 millions d’habitants reviennent à la réalité, affirmaient les principaux candidats. Deux semaines avant le premier tour, on ne voit pas grand-chose de tout cela. En revanche, dans les meetings de campagne, qui ont rarement été aussi bondés, c’est à qui chantera le plus fort La Marseillaise. En quelques jours, ce chant est devenu le premier devoir du citoyen. Comme les virages de supporters dans les stades de football, les salles de réunion retentissent de cet air guerrier que chantait l’armée du Rhin face aux troupes germanoautrichiennes et qui est l’hymne national depuis 1795. Les logos des partis et les affiches des candidats se perdent dans la mer de drapeaux tricolores qu’on a distribués gratuitement. Au lieu d’ouvrir des perspectives, les candidats de gauche comme de droite sèment les illusions. Pour les railleurs, ce changement d’opinion s’explique par des raisons bassement matérielles : depuis que l’Institut de l’entreprise a calculé que les principaux candidats avaient désespérément sous-estimé le coût de leur programme, les protagonistes sont passés à des promesses plus abordables. Cette explication sous-estime cependant la passion avec laquelle les candidats prêchent ce nouveau patriotisme. Voilà des mois que Nicolas Sarkozy a déplacé une campagne auparavant axée sur l’optimisme économique et l’ouverture sur le monde sur le terrain du retour à la France et à l’identité nationale. Au début, c’était plutôt anodin, il invoquait par exemple les deux mille ans d’histoire et tous les héros, de gauche comme de droite, du pays. Mais, dernièrement, il a prôné la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Horrifié, Le Monde a rappelé que seul Vichy avait auparavant créé une administration publique pour protéger l’identité nationale : “C’était un instrument politique de nettoyage ethnique.” Nicolas Sarkozy souhaite tellement éviter d’être associé à cette période de l’histoire de France qu’il a récemment expliqué, avec des accents nettement germanophobes, que la France ne L Dessin de Schneider, Montréal. POUR L’OPINION, SEUL LE PLUS PATRIOTE ASSURERA L’ORDRE Le Pen et Henri IV Pour le correspondant de la Süddeutsche Zeitung, la campagne présidentielle montre que le modèle de présidence “monarchique” façonné sur mesure par de Gaulle s’est épuisé. Aucun des 12 candidats n’a l’assurance d’être “l’élu” du peuple français. Car près de la moitié des électeurs sont encore indécis. L’incertitude qui plane sur cette élection se manifeste dans la versatilité des thèmes de campagne. Il est donc peu surprenant que les candidats versent dans une surenchère de promesses qu’ils ne pourront pas tenir. Dans cette course absurde, Le Pen remporte la palme : en cas de victoire, il inviterait les Français à un buffet géant allant de l’Arc de triomphe jusqu’à la Concorde. Après tout, Henri IV n’a-t-il pas assuré sa popularité grâce à la promesse d’une poule au pot ? serait “jamais victime de la tentation totalitaire”, et n’avait d’ailleurs “jamais commis de génocide, ni inventé la solution finale”. Notre candidat se moque du fait que Jacques Chirac, en 1995, a reconnu – au prix de vraies douleurs pour l’identité nationale – la coresponsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs. Ségolène Royal entonne désormais l’hymne national à chacune de ses apparitions et demande à tous les Français de se procurer un drapeau tricolore et de l’accrocher à leur fenêtre le 14 juillet. Cette fille d’officier élevée dans l’ultracatholicisme n’a personnellement pas de gêne visà-vis des symboles nationaux. DISPUTER LE MONOPOLE DE LA NATION À JEAN-MARIE LE PEN Les deux principaux candidats affirment hypocritement qu’ils entendent ainsi contester le monopole de l’amour de la patrie dont jouissent les extrémistes de droite. Il serait donc logique de constater un début de panique du côté du président du Front national car, après tout, sa marque de fabrique traditionnelle semble désormais menacée. Pourtant, quand on observe JeanMarie Le Pen en ce moment, il est difficile de voir en lui ce radical excité qui clamait toujours plus fort son traditionnel “la France aux Français”. Au contraire, à 78 ans, le président du Front affiche une humeur rayonnante. C’est cette année la cinquième et la dernière fois qu’il se présente à la fonction suprême, et il n’a même pas besoin de gagner l’élection pour se targuer d’avoir réussi sur toute la ligne : ses slogans contre la sécurité et la souveraineté menacée de la France se sont depuis longtemps frayé un passage dans la société et les partis dit “de gouvernement”. Voilà des décennies que Jean-Marie Le Pen est l’éternel intrus de la politique, celui qui nie toutes les mauvaises COURRIER INTERNATIONAL N° 858 14 actions de la France, de la collaboration aux guerres coloniales, et réoriente à son profit les débats nationaux. Depuis qu’il s’est retrouvé au second tour face à Jacques Chirac en 2002, il est devenu le diable pour les classes dirigeantes qui font tout pour le marginaliser – quitte à l’imiter pour cela. Mais quelle différence entre l’original et la copie ! Nicolas Sarkozy prêche en transpirant et en brayant qu’il faut s’adapter aux valeurs de la République et demande à ceux qui n’aiment pas la France de la quitter. Ségolène Royal déclare sur un ton pontifiant qu’une identité nationale fermement établie est la condition d’une intégration réussie. Jean-Marie Le Pen, lui, livre la moins agressive de ses campagnes et se montre sur ses affiches avec des Maghrébins en “bons” immigrés. Il sait que beaucoup considèrent La Marseillaise avec suspicion parce qu’on y demande “qu’un sang impur abreuve nos sillons”. Mais, pour lui, l’important, c’est le côté révolutionnaire… le patriotisme viendra tout seul. Si les électeurs de Jean-Marie Le Pen sont, comme le veut une blague française, “des anciens communistes qui se sont fait agresser deux fois dans la rue”, on se demande ce qui est arrivé aux autres Français pour qu’ils s’enthousiasment pour les slogans aguichants de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. On peut comprendre que ce pays qui pleure encore son rôle de leader culturel en Europe ait manifestement du mal à définir ce qui fonde son identité culturelle. Mais le besoin d’affirmation de la France, qui a quand même une tendance au nombrilisme et qui est championne du monde pour convoquer les symboles historiques, les traditions et les mentalités, est plus profond. Ce pays, qui s’est toujours pris pour le premier de la classe dans tous les domaines, du système de santé au système scolaire en passant par le DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Les pronostics de Ségolène Royal parlent de désolidarisation, de désintégration, d’inégalité, d’absence de perspectives et d’effondrement de l’Etat. Cette campagne pessimiste, qui dure depuis des mois, a donné aux Français le sentiment que la cinquième puissance économique du monde était quasiment un pays en voie de développement. En chantant soudain les louanges de la construction nationale, les chantres de l’apocalypse ont bien calculé leur coup. Depuis que le sentiment subjectif de détresse des citoyens s’ajoute à la conscience objective d’une crise, les pionniers de l’identité nationale apparaissent bel et bien comme la seule bouée de sauvetage. Mais les Français sont facilement irritables, et en mettant en avant une menace, on risque d’en venir aux mains. C’est ce qui s’est produit pendant les émeutes des banlieues de novembre 2005. Nicolas Sarkozy avait alors gratifié le pays de trois semaines d’état d’urgence et avait en prime insulté les jeunes des banlieues. Après des années de travail acharné de la police et de renforcement des sanctions pénales, le ministre de l’Intérieur ne peut aujourd’hui toujours pas se rendre dans les banlieues. Il compense donc son bilan sécuritaire déficitaire par des appels au patriotisme. Le cas de François Bayrou est typique. Au milieu de cette campagne tout en émotion, le chrétien-démocrate est le seul à garder la tête froide et à dénoncer la “névrose identitaire” de ses adversaires. De récents sondages montrent toutefois que le raccourci entre la rhétorique nationale et la rhétorique sécuritaire fonctionne : aux yeux du citoyen, seul le plus patriote peut protéger l’ordre public. Aujourd’hui, celui qui promet sécurité et identité de façon convaincante peut caresser les espoirs les plus fous. Le spectre de l’extrême droite ne planera peut-être que jusqu’au premier tour. D’ici là, les candidats remueront ciel et terre pour rester dans la course. Ensuite, il leur restera deux semaines jusqu’aux résultats pour se souvenir de ce qu’ils avaient promis aux Français pour ce changement de génération politique. Michael Mönninger 858 p.14-15 10/04/07 20:07 Page 15 f ra n c e R E P O RTA G E C O M M E N TA I R E Aubade, la dernière leçon La République fraudeuse Les politiques n’ont pas réussi à sauver les emplois de l’entreprise de lingerie de La Trimouille. Pas même Ségolène Royal, présidente de la Région. DER STANDARD Vienne l règne un silence de mort à La Trimouille. Seul un chat traverse la place du village. Ah, enfin quelqu’un ! “L’usine Aubade ? Elle est définitivement fermée”, assure la dame en désignant un bâtiment délabré derrière un portail de fer. Maintenant que les ouvrières ne sont plus là, il ne se passe plus rien ici. “C’est une catastrophe.” La Trimouille tirait l’essentiel de ses revenus des soutiensgorge, des slips et des strings du célèbre fabricant de lingerie fine. En 2005, Aubade annonça avoir des difficultés à rivaliser avec la concurrence internationale. La marque a donc procédé à une restructuration : sur les 180 emplois de couturière que comptait l’entreprise poitevine, 140 ont été délocalisés en Tunisie. Les ouvrières qui travaillent encore chez Aubade s’occupent de la logistique à SaintSavin, la bourgade voisine. Le visiteur qui arrive là-bas après quelques minutes de voiture à travers des champs dénudés n’y trouve pas une meilleure ambiance. La direction refuse de parler aux journalistes. Une dame d’un certain âge arrête un instant son vélo et déclare, après un bref regard vers le bureau de la direction, ne pas savoir combien de temps l’usine va encore “tenir”. Une autre ouvrière, qui a travaillé trente-huit ans chez Aubade, raconte qu’elle a été “jetée dehors comme une voleuse” en février. “Quand je suis revenue des vacances d’hiver, mon emploi n’existait plus.” Les “filles” – c’est comme ça ici que l’on appelle les ouvrières d’Aubade, malgré une moyenne d’âge de 47 ans – qui restent I Dessin de Bengt Fosshag paru dans la FAZ, Francfort. doivent s’estimer heureuses de percevoir encore leur salaire minimum de 1 100 euros par mois. Au début de “l’affaire Aubade”, Ségolène Royal, la présidente de la Région Poitou-Charentes, est intervenue en leur faveur. La candidate socialiste à l’élection présidentielle a même menacé, fin 2006, d’occuper l’usine avec le personnel. Les personnalités politiques locales conservatrices s’étaient elles aussi rangées au côté des “filles”. Mais les politiques n’obtinrent rien, à part un bref sursis. “C’est là qu’on voit à quoi ça sert, la politique”, s’énerve le maire communiste de Saint-Savin. “Si les habitants de ma commune veulent trouver du travail aujourd’hui, ils doivent aller à Poitiers, la grande ville la plus proche, à 50 kilomètres d’ici. Et les petits commerces locaux partent avec eux. Le village meurt à petit feu.” Toute la région souffre de cet exode. En France, l’industrie manufacturière a perdu 800 000 emplois au cours des quinze dernières années ; le textile a perdu près de neuf emplois sur dix depuis les années 1970 et n’emploie plus que 100 000 personnes. Aubade n’a pas eu d’autre choix que de délocaliser sa production en Afrique du Nord, où les salaires sont deux fois moins élevés que le salaire minimum français. “Le pire, c’est que les gens n’attendent plus rien de la classe politique, confie le syndicaliste Alain Barreau. Ils ne s’étonnent même plus que Ségolène Royal ait dû, elle aussi, accepter la fermeture de l’usine sans rien faire. C’est pour ça qu’ils votent ensuite pour des extrémistes comme Le Pen.Tout simplement par colère.” Stefan Brändle Le libre arbitre existe-t-il ? ■ Der Standard se pose la question en égratignant Nicolas Sarkozy. “Avec sa phrase ‘J’inclinerais pour ma part à penser que l’on naît pédophile’, le candidat conservateur se donne des airs de philosophe du dimanche, tendance déterministe. Il faut dire que lui, pour le coup, a la politique inscrite dans ses gènes. Or, à moins de deux semaines du premier tour, Royal et Bayrou semblent trop faibles pour s’opposer à la volonté quasi innée de Sarkozy de l’emporter. Pourtant, la victoire du candidat conservateur est loin d’être inscrite dans les gènes du peuple français. Plus du tiers des Français sont encore indécis et ont prouvé maintes fois, dans l’isoloir, leur imprévisibilité.” I D E N T I T É N AT I O N A L E Un bon conseil de voyage : n’oubliez pas votre drapeau ! Les judicieux conseils du quotidien de gauche Die Tageszeitung aux Allemands qui passeront leurs vacances dans l’Hexagone. a prochaine fois que vous irez en France, mieux vaut vous procurer un petit drapeau bleu blanc rouge avant de partir. Ce serait aussi une bonne idée d’apprendre le refrain de La Marseillaise (vous trouverez les paroles sur la page d’accueil du site de l’Elysée, <elysee.fr>). Et si vous voulez être parfaitement préparé, posezvous quelques questions sur votre propre identité nationale. L’allemande, en l’occurrence. Si jamais vous en avez trop honte, adoptez au moins une identité européenne. Ces recommandations sont valables dans tous les cas de figure – quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle. Car cette année, les drapeaux, chansons et symboles patriotiques sont à la mode. Pas seulement pour Jean-Marie Le Pen – cela fait des décennies déjà que la flamme de son parti brûle aux couleurs de la L France –, mais aussi pour les trois autres candidats les mieux placés, qui se livrent à une surenchère de patriotisme. Un homme de droite (Nicolas Sarkozy) promet un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Sur la scène de ses meetings, l’autre homme de droite (François Bayrou), droit comme un I et les yeux fermés, chante l’hymne national. La socialiste (Ségolène Royal) conseille à chaque ménage d’acheter un drapeau tricolore et de le hisser à sa fenêtre le jour de la fête nationale. “Cocorico”, fait le coq gaulois. On se frotte les yeux. Il y a peu encore, les Français avaient pourtant de toutes autres préoccupations : ils sont descendus dans la rue pour manifester contre le contrat première embauche (CPE). Ils ont incendié des voitures et des bus dans les ghettos de banlieue. Et le pays a dit non à une Constitution qui ne leur offrait pas assez de justice sociale. Tout cela sans drapeaux et sans hymne. A chaque fois, les “grands” candidats à la présidentielle ont été surpris par leurs compatriotes. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 Et à chaque fois aussi ils ont dû trouver déplacé que leur propre peuple manifeste, s’enflamme et vote contre leur politique. Mais ils peuvent difficilement le dire. Et encore moins maintenant, alors que chaque voix compte. Ce serait insulter les citoyens. Cela diviserait. Et cela ne leur rapporterait que des ennuis. Si vous allez en France, c’est que vous recherchez l’harmonie et de nouveaux amis. Alors il vous suffira d’agiter votre petit drapeau et de chanter l’hymne national pour y parvenir. Et songez que le drapeau tricolore et La Marseillaise ont déjà servi toutes les causes : tantôt la Révolution, tantôt la contre-révolution ; ici la Résistance, là la collaboration ; un jour les fanfares militaires, un autre les chanteurs de reggae révoltés. Le drapeau tricolore et La Marseillaise sont des symboles adaptables. C’est pour cela qu’ils plaisent tant aux responsables politiques de tout bord. Et c’est justement pour cela qu’il serait utile de les mettre dans vos valises. Dorothea Hahn, Die Tageszeitung, Berlin 15 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 ’usager noir n’avait pas de titre de transport. Les contrôleurs, qu’il traitait de racistes, ont appelé des renforts, le passager contrôlé aussi. C’est ainsi qu’ont éclaté les émeutes de la gare du Nord, qui ont ouvert la phase finale de la campagne présidentielle [le 27 mars]. Sarko, alias Nicolas Sarkozy, a reproché à Ségo, soit Ségolène Royal, de se ranger dans le camp des resquilleurs. En riposte, elle l’a traité de menteur. Puis, un peu hâtivement, le ministre de l’Intérieur a décrit le Noir voyageant à l’œil comme un clandestin multirécidiviste. Il semble qu’il n’y ait pas que l’intégration qui se porte mal en France, la justice aussi. Et pas seulement dans ce cas : 30 % des peines de prison ne sont jamais effectuées. La proportion d’amendes réglées est à peu près aussi élevée que celle des séjours à l’ombre qui ne sont pas accomplis : un tiers. Autrement dit, deux tiers des contraventions ne sont pas payées. Longtemps, les compteurs ont été remis à zéro à l’issue de la présidentielle, par le biais d’une amnistie. Cette fois, ce sera difficile. Car la sécurité du territoire et les étrangers occupent une place centrale dans la campagne. Le nouveau président ne pourra donc pas tout simplement ouvrir les portes des prisons. En outre, la France a enfin l’intention de se rapprocher de ce qu’est une démocratie moderne. Par conséquent, on parle davantage de prévention. On vient d’annoncer que les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion pourront emprunter gratuitement le métro et le RER [une mesure prise par la Région Ile-de-France]. Or, qui dit moins de resquilleurs dit également moins de risques d’émeutes. Ainsi, les trains de banlieue seront désormais moins dangereux que l’autoroute, où personne ne peut échapper aux péages. De toute façon, sur l’autoroute, on ne peut pas faire grand-chose : les automobilistes français se collent aux fesses, se poussent, se font des queues de poisson, se doublent par la droite, tout cela est parfaitement banal. En première ligne sur ce terrain de violence routière : le futur président, quel qu’il soit. Les journalistes ont suivi les voitures de tous les candidats. Résultat : la nuit, sous la pluie, Sarkozy double à 130 km/h là où la vitesse est limitée à 70 km/h. Quant à Le Pen, il appuie sans sourciller sur le champignon. Mais à gauche aussi, on contribue à la terreur sur les routes. En tout cas, personne ne respecte la loi. Comme ministre de l’Intérieur, Sarkozy a hérissé la France de radars qui empêchent les citoyens libres de partir en roue libre et a ainsi sauvé des milliers de vies. Dans la course à l’Elysée, en revanche, même en cas d’accident, voire de défaite, pas besoin d’amnistie. Car aucun policier n’a encore osé retirer leur permis aux politiques en excès de vitesse et à leurs chauffeurs. Jürg Altwegg, Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort L 858 p.16 10/04/07 19:34 Page 16 f ra n c e FRANCOPHONIE Est-il encore utile de parler français ? Au Liban, l’usage du français se perd petit à petit, surtout chez les plus jeunes. Et lorsque les universités françaises cherchent à recruter des étudiants arabes, elles exigent un “bon niveau d’anglais”. Les Libanais ont oublié Hugo… puter à Internet, en passant par le chat, il suffit d’écouter parler les jeunes dans nos écoles, universités, cafés et boîtes de nuit pour se rendre compte de la place qu’a pris l’anglais. Les termes techniques et les expressions courantes qu’ils utilisent montrent que l’anglais n’est plus seulement la langue des affaires, comme on le pensait par le passé, mais également celle de la vie sociale, des relations amicales et même de l’amour. Raëd Jubair AN-NAHAR Beyrouth aut-il avoir pour le français cette tendresse qui sied à tout ce qui appartient au passé ? Qu’est devenue cette langue qui nous a permis d’entrer dans la modernité et à travers laquelle nous avons découvert tant d’histoires, de poèmes et de romans ? Qu’en est-il de cette langue de Molière, d’Hugo, de Racine, de La Fontaine, de Baudelaire, de Rimbaud, de La Bruyère, de Colette, de Sartre, de Camus, de Beauvoir, d’Aragon et de tant d’autres grâce auxquels notre conscience culturelle s’est ouverte ? Est-ce une langue de salon qui n’a plus sa place dans le monde d’aujourd’hui ? Ce sont toutes ces questions que je me pose quand j’entends parler du français comme d’une “langue vivante”. Qu’est donc une langue vivante et comment se distingue-t-elle d’une langue morte ? Décidément, d’autres langues, voire toutes, connaissent les mêmes difficultés d’adaptation à la vivacité de nos temps modernes. Et en premier lieu l’arabe. Je ne peux que déplorer le recul du français au Liban, à commencer par celui de son enseignement dans les écoles, même francophones. C’est comme si, dans la bouche des étudiants et des élèves, cette langue s’était asséchée. Devant la progression de l’anglais, qui a tout d’une invasion, le français semble se replier sur luimême, se recroqueviller sur ce qui F … et les facs françaises préfèrent Shakespeare AL-KHALEEJ Chardja ’ai été surpris récemment par une campagne censée promouvoir les cursus universitaires en France. Le texte, en arabe, insistait curieusement sur la nécessité de maîtriser l’anglais, la langue de Shakespeare, comme ils disent. Il est vrai que de plus en plus d’universités françaises assurent leurs cours partiellement ou entièrement en anglais. Pourtant, les Français ont l’habitude d’insister sur la richesse de leur langue et sur son importance internationale puisqu’elle est parlée par près de 200 millions de personnes à travers le monde, qu’elle est apprise par plus de 80 millions d’autres et qu’elle est l’une des deux langues officielles de diverses organisations internationales, au premier rang desquelles l’ONU. Et la France déploie d’énormes efforts pour soutenir son rang linguistique. Ainsi finance-t-elle J reste d’une élite francophone qui persiste à parler en français à ses enfants. Mais ces mêmes enfants n’ont qu’une envie en grandissant : embrasser la langue anglaise. Est-ce la loi du plus fort qui s’appliquerait aux langues ? Quoi qu’il en soit, la jeune génération semble avoir tranché la question puisqu’elle a adopté l’anglais en tant qu’outil pour s’ouvrir au monde moderne. Du com- Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. un réseau impressionnant d’instituts et de centres culturels à travers le monde. Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu aux enjeux culturels de la mondialisation savent que la France s’est beaucoup impliquée dans le dialogue entre les cultures. Elle est l’un des pays les plus actifs dans la coopération culturelle avec l’étranger, y compris les pays arabes, et ses élites réfléchissent beaucoup à la manière de résister à l’américanisation culturelle. Quant à nous, nous pouvons affirmer sans forfanterie que la France est toujours perçue comme le pays des Lumières, de la démocratie, de la culture, de la philosophie et du pluralisme. Ainsi, un étudiant ne peut qu’être séduit à l’idée d’un séjour en France, non seulement pour goûter au style de vie des Français, mais également pour s’ouvrir à des points de vue différents de ceux qu’il connaît et se frotter à la diversité des opinions. Il n’en est que plus étonnant que les Français eux-mêmes semblent se sentir obligés de donner des gages aux anglophones. Cette façon de promouvoir l’anglais au sein de leurs propres universités s’inscrit-elle dans la promotion de la diversité culturelle dont l’Hexagone se fait l’avocat au niveau international ? Ou bien est-ce une manière d’attirer davantage d’étudiants qui, sans cela, iraient aux Etats-Unis ? A moins que ce ne soit une sorte de capitulation face à la suprématie de l’anglais dans le monde actuel. Suprématie de la langue anglaise qui va de pair avec un style de vie dans lequel Shakespeare n’a même plus sa place. Hassan Madan I M M I G R AT I O N Sarkozy divise les Algériens pour mieux régner En rencontrant d’abord les harkis, puis les Berbères, le candidat de l’UMP chercherait à fissurer l’unité des Algériens de France. deux semaines du premier tour de la présidentielle française, Nicolas Sarkozy tente de séduire les électeurs d’origine algérienne. Selon nos informations, le candidat de droite devait recevoir, le mercredi 12 avril, une délégation d’associations berbères composée d’une vingtaine de personnes. La réunion devrait durer une heure et se tenir au siège de campagne du candidat de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), à Paris. Rachida Dati, d’origine algéro-marocaine et por te-parole du candidat Sarkozy, est à l’origine de cette initiative. Mais certaines associations ont déjà décliné l’invitation, estimant que la démarche de Nicolas Sarkozy est dangereuse et pourrait être por teuse de divisions A au sein des Français d’origine algérienne. Début avril, le candidat de droite avait en ef fet déjà reçu une délégation de la communauté harkie. Dans son discours, M. Sarkozy a clairement opposé cette communauté aux autres membres de la communauté algérienne de France. Le candidat de l’UMP s’est engagé, par exemple, à développer pour les harkis une “discrimination positive forte et ciblée” et à travailler à l’amélioration de la circulation des personnes entre la France et l’Algérie. Il s’est également engagé en faveur d’une repentance de la France pour les crimes commis contre les harkis durant et après la guerre d’Algérie. Ces déclarations ont suscité un malaise au sein même de la communauté harkie. Et pour cause : “Les harkis n’ont pas de problèmes avec l’Algérie ni avec les Français d’origine algérienne. Parler aujourd’hui d’une discrimination positive renforcée pour les harkis suppose que les autres Français d’origine algérienne mais qui ne sont pas harkis auront droit à une discrimination positive light ?” s’indigne un représentant d’une association d’enfants de harkis qui a pris par t à la rencontre de samedi dernier. La condition des femmes d’origine musulmane constitue également un des thèmes de prédilection de Nicolas Sarkozy. Depuis quelques années, il tente systématiquement de les présenter comme des victimes, opprimées par leurs frères ou époux. Il dénonce systématiquement ceux qui “excisent leurs COURRIER INTERNATIONAL N° 858 16 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 filles, empêchent leurs femmes ou leurs sœurs de s’habiller comme elles le souhaitent…” Le 11 avril, Nicolas Sarkozy devrait multiplier les promesses en direction des associations berbères, accentuant ainsi le malaise au sein de la diaspora algérienne de France. Depuis quelques années, toutes les composantes des Français d’origine algérienne militent ensemble autour de revendications communes et loin des divisions. Aujourd’hui, ils redoutent ouvertement que la démarche du candidat Sarkozy qui consiste à faire des promesses ciblées – harkis, Kabyles… – ne débouche sur de nouvelles divisions et ne fasse oublier les problèmes auxquels sont confrontés les Français d’origine algérienne : discriminations, chômage, racisme… Rabah Yanis, Le Quotidien d’Oran, Algérie Dessin de Pérez D’Elías paru dans ABC, Madrid. Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858p19-20 10/04/07 17:33 Page 19 e u ro p e ● UKRAINE Tenez bon, Monsieur le Président, vous êtes sur la bonne voie ! Après des mois d’atermoiements, Viktor Iouchtchenko a enfin pris la décision qui s’imposait : dissoudre le Parlement et provoquer des législatives anticipées, se félicite dans son éditorial le quotidien Kyiv Post. KYIV POST se serait peut-être apaisé. Mais la Cour elle-même est paralysée, divisée en fonction des partis qui ont nommé ses juges. Iouchtchenko avait donc raison quand il a déclaré que le système constitutionnel du pays était en panne. Spectacle troublant : pendant huit mois, Iouchtchenko est resté inactif alors que la coalition de Ianoukovitch au Parlement violait les règlements constitutionnels, extirpait des députés de l’opposition pour raffermir sa prise sur le pouvoir. Une dissolution moins tardive aurait été plus utile au président. Avec du recul, toutefois, on peut supposer que cette mesure constitue un précédent important pour notre jeune démocratie. Iouchtchenko n’a cessé d’inviter à un juste compromis et a rappelé qu’il se devait d’offrir à l’équipe de Ianoukovitch la possibilité de changer. Kiev éputé pour sa tendance à tergiverser et pour avoir toujours plusieurs trains de retard sur ses adversaires, Viktor Iouchtchenko nous a tous pris par surprise la semaine dernière en tentant ce que l’on peut sans doute considérer comme le coup le plus difficile et le plus risqué de sa carrière. Le 2 avril dernier, il a proclamé la dissolution du Parlement. Celui-ci bénéficie du soutien de la coalition au pouvoir, sous la férule du Premier ministre Viktor Ianoukovitch. Pour la première fois depuis des mois, le dos au mur, le président ukrainien a pris la bonne décision. Confronté à la menace réaliste de voir compromise sa politique de rapprochement avec l’Occident, trahi par des législateurs qui avaient quitté son parti [Notre Ukraine], les mains liées par des amendements confus de la Constitution votés après sa prise de fonctions, Iouchtchenko n’avait d’autre choix que “d’étendre” son autorité constitutionnelle face à ses adversaires avides de pouvoir. Certes, sur la scène politique ukrainienne, aussi opaque que susceptible de basculer du jour au lendemain, la situation reste explosive. Le décret présidentiel qui a renvoyé la Rada [l’Assemblée] pourrait encore R METTRE FIN AU BLOQUAGE CONSTITUTIONNEL DU PAYS être annulé par une décision de la Cour constitutionnelle, mais nous n’y croyons pas, et espérons que le président, littéralement assiégé, tienne bon et garde le cap. Les événements récents au sein de la Cour démontrent la sagesse de la décision de Iouchtchenko. Conçue par les auteurs de la Constitution ukrainienne comme un arbitre, la Cour constitutionnelle s’est révélée incapable de statuer sur quoi que ce soit durant ces huit derniers mois. Si elle avait tranché chaque fois que Iouchtchenko et Ianoukovitch avaient fait appel à elle afin de clarifier leurs domaines de responsabilité, le pénible affrontement entre les deux hommes Ianoukovitch (à gauche) et Iouchtchenko. Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou. POLOGNE-RUSSIE Deux fois victimes d’Auschwitz La question de la nationalité – soviétique ou polonaise – des victimes du camp originaires des territoires annexés par l’URSS en 1939 oppose Moscou à Varsovie. es Polonais ont libéré Auschwitz” : c’est sous ce titre ironique que le quotidien russe Kommersant a révélé, le 3 avril, le dernier contentieux diplomatique russo-polonais. Sous-entendu : “Les Polonais ont libéré [le musée d’] Auschwitz de la présence russe”. En effet, la direction du musée de l’ancien camp de concentration nazi refuse la réouverture du pavillon russe, fermé pour rénovation depuis 2005, au motif que les victimes du nazisme originaires des voïvodies orientales de la Pologne et des Etats baltes sont comptabilisées comme “soviétiques”. “Une fois de plus, les relations entre la Pologne et la Russie sont mises à rude épreuve. Les Russes sont choqués que la direction du musée de l’ancien camp de concentration d’Auschwitz refuse de considérer comme soviétiques les victimes originaires des voïvodies polonaises annexées le 17 septembre 1939 par l’Union soviétique”, L s’étonne le quotidien varsovien Gazeta Wyborcza. L’exposition, datant de 1961, à la mémoire des ressortissants soviétiques morts au camp, a été fermée à la demande des Russes, il y a trois ans, pour restauration. Rouverte exceptionnellement en janvier 2005, à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine, lors du 60e anniversaire de la libération du camp l’exposition fait depuis l’objet de négociations entre les deux pays quant à sa forme définitive. “Les Russes veulent s’attribuer des victimes polonaises, juives et baltes”, s’indigne dans le quotidien Dziennik Wladyslaw Bartoszewski, ancien résistant et prisonnier du camp, membre du Conseil international du musée d’Auschwitz. “Avant les accords de Yalta et de Potsdam (1945), ces territoires n’avaient jamais appar tenu à l’URSS. Si l’on pense le contraire, alors le pacte Ribbentrop-Molotov (1939) est toujours valable. Dans ce cas, qu’ils le disent ouvertement.” Au Conseil de la Fédération de Russie, le sénateur Mikhaïl Marguelov accuse la Pologne d’insulter la mémoire des victimes de l’Holocauste, “otages de la dégradation des rela- COURRIER INTERNATIONAL N° 858 tions russo-polonaises”. Et Kommersant de rappeler le veto opposé par les Polonais au lancement des négociations UE-Russie, à la suite de l’embargo russe sur les produits agricoles polonais. “Toute l’Europe obser ve avec l’inquiétude notre russophobie et le ‘révisionnisme historique’ qui en résulte”, constate le quotidien Rzeczpospolita. “Mais, comme chaque enfant russe le sait, poursuit-il avec un humour noir, tous ces gens ont adopté avec joie la citoyenneté soviétique après le 17 septembre 1937, voté à 99,9 % pour le pouvoir des soviets, puis sont partis dans des wagons à bestiaux en direction de la Sibérie et du Kazakhstan…” “Ni les Russes ni les Polonais n’ont l’intention de modifier leur position quant à la question de la nationalité des détenus”, conclut provisoirement Kommersant. Le ministère des Affaires étrangères russe juge “absurde” l’exigence des Polonais, qui veulent mentionner sur les cartes de l’exposition les “territoires annexés” (à savoir l’Ukraine et la Biélorussie occidentales, et les Pays baltes), et demande que des représentants russes fassent partie du Conseil international d’Auschwitz. 19 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Si tout se passe bien, et si l’Ukraine est le théâtre de législatives anticipées, alors la position du président sera vue comme une étape majeure sur le chemin de la démocratie, et peut-être même comme une leçon pour des politiciens obsédés par le pouvoir au détriment de l’intérêt national. Parmi les membres de la classe politique, les premiers qui devraient commencer à réfléchir sont ces gens riches et influents qui privilégient des relations amicales avec Moscou pour s’assurer à court terme du gaz à un bon prix pour leurs usines. Un calcul dangereux qui, selon nous, n’a fait qu’alimenter la corruption des élites. Le principal risque que court l’Ukraine aujourd’hui, avec ou sans élections, tient à sa Constitution estropiée. Elle ne fonctionne plus depuis que Iouchtchenko a accepté le compromis politique qui a mis fin à la “révolution orange”. Cet accord a transféré le pouvoir présidentiel au Parlement. Mais, au lieu de déboucher sur un Etat de droit, il a accouché d’un énorme vide, et d’une absence totale de clarté quant au partage des responsabilités. Or c’est ce manque de règles précises qui a abouti à la crise constitutionnelle que nous traversons. Ce vide créé par les amendements constitutionnels a laissé une marge de manœuvre suffisante à Ianoukovitch pour détourner des pouvoirs présidentiels en toute impunité. Fort heureusement, le président a fini par décréter que c’en était trop. On peut espérer que ces législatives anticipées placent aux commandes des députés un peu plus soucieux du bien public. Mais, au moins, maintenant, c’est aux Ukrainiens de décider ! 858p19-20 10/04/07 17:34 Page 20 e u ro p e R O YAU M E - U N I A quoi servent les troupes en Irak ? Malgré une solution pacifique, l’affaire des quinze marins britanniques capturés par l’Iran souligne la situation difficile dans laquelle se trouve Tony Blair, sur le terrain diplomatique et vis-à-vis de son opinion publique. THE INDEPENDENT (extraits) Londres ’il est un symbole pour illustrer à quel point la politique étrangère hasardeuse de Tony Blair a entraîné la GrandeBretagne dans des conflits dangereux, imprévisibles et aux retombées plus qu’inattendues, il s’agit bien de la juxtaposition de la joie et de l’horreur du jeudi 5 avril. Les chaînes d’information ont diffusé d’interminables séquences montrant les quinze marins de la Royal Navy libérés par l’Iran au terme d’une détention de deux semaines. Mais en bas de nos écrans défilait une autre information : quatre de nos militaires, dont deux femmes, et un interprète irakien avaient été tués dans une explosion dans le sud de l’Irak, la plus grosse perte britannique enregistrée dans ce pays ces derniers mois au cours d’un seul incident. Avec les deux soldats morts et un autre grièvement blessé à Bassorah, ce sont six militaires qu’a perdus la Grande-Bretagne en une semaine – un record depuis juin 2003. Le bilan des pertes britanniques en Irak s’élève désormais à 140 victimes, dont 109 tombées au combat. Ç’a été un choc pour l’opinion publique. Cela faisait près d’un mois qu’aucun soldat n’était mort à Bassorah, et le retrait annoncé par le gouvernement [le 21 février] doit débuter ce mois-ci ; il fera passer le contingent britannique en Irak à environ 5 500 hommes. Contraint de réagir simultanément aux deux événements, le Premier ministre britannique s’est félicité que les soldats capturés soient rentrés “sains et saufs”, avant de se tourner vers “la gravité et l’horreur” de la situa- S De retour du Golfe… Dessin de Martin Rowson paru dans The Guardian, Londres. ■ Polémique C’est au Sun que le matelot Faye Turner a choisi de raconter son “épreuve”, moyennant 100 000 livres (environ 147 000 euros). “Il n’y a pas beaucoup de raisons d’être fier dans ce qu’ont montré les otages, qui sont apparemment entraînés pour résister à un ennemi impitoyable, mais qui ont capitulé devant Rupert Murdoch [le propriétaire du Sun] encore plus vite qu’ils n’ont cédé à leurs interrogateurs iraniens”, commente The Guardian. tion en Irak. Mais ce que Tony Blair s’est efforcé de ne pas dire, et que beaucoup ont dû penser en l’écoutant, c’est que ni le drame des otages ni l’attentat de Bassorah n’auraient eu lieu s’il n’avait pas pris la décision d’envahir l’Irak aux côtés de George Bush en 2003. Pour les téléspectateurs, les deux événements sont liés par les images d’Irakiens et d’Iraniens jubilant de tenir des militaires britanniques à leur merci.Tony Blair a eu beau rappeler avec insistance que la GrandeBretagne n’avait ni négocié ni subi d’humiliation, l’issue de la crise des otages vient conforter le sentiment que l’aventure irakienne a affaibli la position personnelle du Premier ministre, mais aussi et surtout celle de notre pays. Une position guère confortable alors que tant de questions graves restent à résoudre avec l’Iran, au premier rang desquelles la volonté de Téhéran de fabriquer des armes nucléaires. Ces deux semaines de crise ont eu des répercussions positives, nous diton, notamment l’amélioration durable des relations entre le Royaume-Uni et la Syrie, dont l’offre de médiation avait été acceptée par Londres. Certains espèrent également que la GrandeBretagne pourra exploiter de nouveaux canaux de communication avec l’Iran pour améliorer la situation en Irak. Reste que, maintenant que les otages sont rentrés, Londres craint que Téhéran n’exploite dans l’affaire du nucléaire l’avantage acquis en termes d’image au cours de cette crise. “Ils nous ont coupé l’herbe sous le pied une première fois en capturant nos hommes, et une seconde lors de leur libération”, déplore un haut responsable britannique. La plus grave des conséquences inattendues de l’occupation de l’Irak a été de fournir un énorme atout à l’Iran. Maintenant qu’ils ont écarté la minorité sunnite et donné le pouvoir à la majorité chiite, qui considère Téhéran comme son éternel allié naturel, Britanniques et Américains n’ont d’autre choix que de chercher à obtenir la coopération des Iraniens. Ce qui implique pour Tony Blair de parvenir à réfréner les ardeurs de George Bush au moins autant que celles de l’Iran. Ce qui est en jeu ici, c’est bien davantage que la réduction du contingent britannique dans le sud de l’Irak ou les joutes navales entre embarcations britanniques et vedettes iraniennes dans le Golfe. La “montée en puissance” des Américains à Bagdad, qui a pour but de ramener les violences à un niveau permettant une stratégie de sortie, dépend pour une part du bon vouloir des Iraniens. Il est loin le temps où, à Washington, les néoconservateurs triomphants, ayant vu chuter le régime irakien en quelques semaines, parlaient ouvertement d’enchaîner avec la conquête de l’Iran. Certes, il n’a jamais été facile de composer avec Téhéran et son attitude passive-agressive à l’égard du reste du monde. Mais la Grande-Bretagne, qui s’apprête à envoyer le prince Harry sur les dangereux champs de bataille du Sud irakien, où l’influence de l’Iran ne fait aucun doute, doit se contenter de serrer les dents et de faire de son mieux. Quant à faire comprendre tout cela à une opinion déjà déroutée par les explications données à la présence prolongée des Britanniques en Irak, c’est une tout autre affaire. Raymond Whitaker, Anne Penketh et Angus McDowall ESPAGNE ETA privée de son “bulletin interne” Zutabe est l’“organe central” de l’organisation terroriste basque. Son démantèlement, fin mars, est donc un vrai succès pour la police espagnole. ’opération menée le 28 mars par la Guardia civil [la gendarmerie] a certes permis de démanteler un commando d’ETA en voie de reconstitution, le commando Donosti ; mais elle a aussi porté un coup fatal à la revue Zutabe. La revue en question est une sorte d’organe central, de bulletin interne, pour ETA. Pendant des années, l’organisation terroriste s’est servie de cette publication pour faire connaître ses exigences en période de négociations et de trêve, proférer des menaces et exposer ses “réflexions politiques”, qui concernent aussi bien le Pays basque que le mouvement tamoul du Sri Lanka. D’une périodicité plus ou moins mensuelle, Zutabe a rendu compte au fil des ans L des “stratégies” d’ETA, tantôt en castillan, tantôt en basque. Les criminels utilisent les deux langues, même si, lorsqu’ils veulent être compris directement, sans passer par des traducteurs, ils s’expriment en castillan. L’élaboration de la revue a toujours été aux mains de l’“appareil politique”. Un lieutenant de “Mikel Antza”, arrêté en 2001 à Toulouse, a ainsi été, des années durant, responsable de la publication. On a trouvé en sa possession le matériel et la documentation avec lesquels il réalisait la publication. La police espagnole avait toujours cru que la “rédaction” de Zutabe se trouvait en France. Les agents de la Guardia civil qui ont fait irruption dans la maison du quartier d’Errotaburu, à Saint-Sébastien, ont été étonnés de découvrir que le siège de l’organe d’ETA se trouvait donc au Pays basque espagnol. Zutabe n’a pas une pagination fixe et sert, outre les communiqués, à faire connaître la “pensée” des terroristes basques. C’est dans ses colonnes, au mois d’octobre, que ceux-ci ont annoncé pour la première fois que la trêve entamée en mars 2006 était compromise. Ainsi, les terroristes faisaient savoir au gouvernement Zapatero qu’ils n’allaient renoncer à aucune de leurs revendications et exigeaient de négocier sur un pied d’égalité. Dans ce numéro de Zutabe, ETA, après avoir annoncé “un nouvel effort dans la négociation avec le gouvernement de l’Espagne” et reconnu le vol de 350 pistolets en France, avertissait que, si Zapatero “ne [tenait] pas ses engagements et s’il n’y [avait] pas d’avancées visibles”, le processus serait rompu. Le 30 décembre dernier, l’explosion d’une voiture piégée à l’aéroport de Barajas tuait deux immigrants équatoriens. Les pages de la revue sont utilisées pour “signaler” des chefs d’entreprise, basques en particulier, qui refusent de payer l’impôt COURRIER INTERNATIONAL N° 858 20 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 révolutionnaire. A plusieurs reprises, des listes d’industriels et de victimes d’assassinats ont été publiées côte à côte. Dans le numéro 108, les etarras ont même publié des listes noires d’entreprises, réclamant leur boycott par les citoyens, tout en précisant qu’elles étaient dans leur ligne de mire. Des journalistes, des politiques, des juges et des intellectuels, entre autres, ont été mis à l’index par Zutabe. Même des footballeurs se sont retrouvés dans le collimateur. C’est dans cette revue qu’ETA a révélé qu’elle avait envoyé une lettre d’extorsion au joueur de foot français Bixente Lizarazu. Dans cette missive, l’organisation terroriste affirmait que l’ailier gauche de l’Athletic de Bilbao s’était enrichi “en jouant sous le maillot d’un Etat oppresseur” et exigeait donc de lui qu’il “finance l’organisation, des centres scolaires ou encore des médias”. D. Martínez, El País (extraits), Madrid Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858 p23 10/04/07 16:34 Page 23 e u ro p e UNION EUROPÉENNE Le Limbourg, “jardin expérimental de l’Europe” Dans cette région à cheval sur les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne, les autorités locales ont décidé de mettre leurs efforts en commun pour développer l’économie et les infrastructures. NRC HANDELSBLAD PAYS-BAS Rotterdam S MER DU NORD ROYAUMEUNI ■ Eurorégions Développées à partir du début des années 1970, en particulier sous l’égide de l’Association des régions frontalières européennes (ARFE), les eurorégions sont aujourd’hui plus de soixante-dix sur le continent. Depuis les années 1990, elles bénéficient du soutien financier de l’Union européenne, dans le cadre de l’Initiative communautaire INTERREG. L’eurorégion MeuseRhin a été créée en 1976. PROVINCE DU LIMBOURG BELGIQUE A LLE MA GNE Heerlen Maastricht Aix-la-Chapelle ARRONDISSEMENT Liège D’AIX-LA-CHAPELLE* PROVINCE DE LIÈGE A L L E M A G N E PAYSBAS PROVINCE DU LIMBOURG EURORÉGION MEUSE-RHIN BELGIQUE 0 LUX. *(Land de Rhénaniedu-Nord-Westphalie) 30 km FRANCE AUTRICHE Eurorégion Meuse-Rhin 0 Les récriminations du Limbourg vis-à-vis de La Haye n’ont rien de nouveau. Mais les autorités locales et le secteur privé limbourgeois n’attendent plus rien de ce que Léon Frissen appelle les “petits pouvoirs paralysants de La Haye”. En 2005, les dirigeants provinciaux et municipaux ont présenté au Parlement un programme de développement économique pour acquérir une position déterminante dans les domaines de la nutrition, de la santé, des énergies renouvelables et de la chimie d’ici à 2012. “Je ne dis pas qu’il ne se passe rien, précise le gouverneur. Mais il faut tout conquérir de haute lutte.” La Haye a ainsi déboursé 150 millions d’euros pour un grand projet de médecine moléculaire, auquel participe également l’université de Maastricht. Et les pe- 200 km Courrier international i la décision avait relevé des Ponts et Chaussées et des chemins de fer néerlandais, le pont qui enjambe la Meuse sur la ligne désaffectée entre Maastricht et la commune belge de Lanaken serait déjà démoli. “Mais nous avons dit que la voie ferrée avait un avenir”, explique Edward de Vries, le directeur régional du papetier Sappi, qui possède des sites de production de chaque côté de la frontière néerlando-belge. La voie ferrée est désormais redynamisée grâce à des fonds flamands et limbourgeois. Des capitaux provinciaux et locaux ont également été nécessaires pour assurer à Maastricht un train de voyageurs régulier à destination de Liège, permettant une correspondance avec la ligne à grande vitesse. La circulation d’une navette entre Heerlen et Aix-laChapelle est elle aussi devenue possible grâce à un financement régional. Pour les chemins de fer néerlandais, ces liaisons n’étaient pas prioritaires. “Tout vient de cette façon de penser en termes nationaux”, regrette le gouverneur de la province du Limbourg, Léon Frissen. C’est aussi ce que constate Gosse Boxhoorn, directeur de Solland Solar, un fabricant de cellules photovoltaïques. Son entreprise est à cheval sur la frontière, entre Heerlen et Aixla-Chapelle, et il a dû déplacer une chaîne de production pour qu’elle ne soit plus en partie sur le territoire allemand. “Sinon, je ne pouvais pas obtenir de subvention des Pays-Bas.” tites et moyennes entreprises dotées de kennisvouchers [les chèques recherche] peuvent désormais venir frapper à la porte d’institutions de recherche en Flandre ou en Allemagne, pour des missions d’innovation. DES INITIATIVES QUI ONT LA BÉNÉDICTION DE BRUXELLES Mais il est presque aussi important que le Limbourg dispose d’une plus grande marge de manœuvre pour collaborer avec les régions voisines en Belgique et en Allemagne, car la législation nationale agit trop comme un frein. L’eurorégion Meuse-Rhin, dans le cadre de laquelle le Limbourg collabore avec ses voisines dans les domaines de la sécurité, de l’enseignement et de la culture, est, selon M. Frissen, “un processus lent”, à cause du grand nombre de participants (le Limbourg, Aix-laChapelle, Liège, le Limbourg belge et la Belgique germanophone). Léon Frissen veut donc accélérer la coopération bilatérale avec le Limbourg belge et la région d’Aix-la-Chapelle. Il souhaite par exemple que les régions et les municipalités des deux côtés de la frontière puissent partager leurs compétences. Les infrastructures, les projets touristiques et la création de zones industrielles dans les régions frontalières seraient ainsi facilités. Mais La Haye se montre hésitante. Pour M. Frissen, le Limbourg est un “jardin expérimental de l’Europe”. Son homologue belgo-limbourgeois, Steve Stevaert, est de son avis. Tous deux travaillent à une charte pour le Limbourg sur les projets de coopération. M. Frissen est convaincu que l’intensification de la collaboration transfrontalière peut dissiper l’euroscepticisme des citoyens. Les personnes qui prennent des initiatives ont la bénédiction de Bruxelles. Les subventions pour la coopération territoriale européenne vont augmenter pour la période 2007-2013 : de 19 millions d’euros à 72 millions d’euros en ce qui concerne l’eurorégion Meuse-Rhin. Hans Buddingh et Guido de Vries W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com GRÈCE Les 300 rebelles sans bonne cause Depuis plus d’un an, les étudiants grecs manifestent contre le gouvernement. Mais leur lutte est entravée par les agissements de quelques anarchistes. endant que l’un d’eux enlève son costume noir, l’autre fait le guet. Depuis des années, historiens, chercheurs, journalistes et sociologues les comptent, et ils en dénombrent 300. Pas un de plus, pas un de moins. Ils sont presque devenus un mythe et c’est la raison pour laquelle ils se cachent dans les ruelles d’Exarhia, ce quartier anarchiste autoproclamé de l’Etat d’Athènes. Dans ce quartier, il n’y a ni loi, ni sondage, ni police. Les 300 sont ces “étudiants” qui sèment le trouble à chaque rassemblement, quel qu’en soit l’objet. Grèves étudiantes, derbys de football ou matchs de volley-ball, comme celui qui a coûté la vie à un supporter à Athènes le 28 mars. Ces hooligans P sont les mêmes depuis de nombreuses années. Mais aujourd’hui l’opinion publique demande aux autorités de réagir pour mettre fin à ces violences et permettre aux autres citoyens de mener à bien leurs combats. Mais, dans cette bataille des Thermopyles moderne, ces 300 n’ont pas de Léonidas, ce sont des soldats sans héros capable de défier Xerxès ou de se battre pour la victoire. [En 480 av. J.-C., 300 Spartiates affrontèrent l’armée perse, permettant un repli en bon ordre des forces grecques. Le film 300 vient de sor tir en salles] Au contraire, ils auront contribué à la défaite de la lutte étudiante, qui dure depuis près d’un an. Chaque semaine, des milliers d’étudiants continuent de manifester dans les rues d’Athènes contre la réforme de l’éducation que veut imposer le gouvernement conservateur. Chaque semaine, les étudiants ont un nouveau cri de guerre. Mais les armes ne sont pas les mêmes. Ce matin-là, les 300 rejoignent à nouveau le cortège qui se forme avenue Panepistimiou, au cœur de la capitale. Ils cachent leurs visages sous des foulards et des masques de protection, mais les policiers les connaissent bien, car ils les ont plusieurs fois arrêtés puis relâchés. Ils n’ont pas les mêmes revendications que les étudiants. Ces derniers contestent la modification de l’article 16 de la Constitution grecque, qui donnera l’autorisation aux universités privées de s’installer dans le pays. Non pas qu’elles soient aujourd’hui interdites, mais leurs diplômes ne sont pas reconnus. “Les ‘autres’, les anarchistes, parlent uniquement de l’asile universitaire”, fait remarquer Dionysis, un étudiant. Cette mesure historique, conquise à la chute du régime des colonels, empêche la police d’entrer dans l’enceinte de l’université, et “permet aux anarchistes de vivre librement et de cultiver de nombreuses substances illégales, explique Dionysis. Ils font ce qu’ils COURRIER INTERNATIONAL N° 858 23 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 veulent et personne ne les arrête. Mais au bout du compte, après tant de mois dans la rue, ce ne sont pas eux les véritables perdants, ce sont ceux qui veulent étudier, comme les étudiants partout ailleurs.” Leur défaite est double, en effet. D’une part, le gouvernement n’a pas cédé et le Parlement a voté la modification de l’article 16. Et d’autre part ces jeunes qui luttaient pour un meilleur avenir sont obligés de réviser en solitaire pendant les vacances de Pâques et d’été pour pouvoir passer leurs examens en septembre. Rejoints par les professeurs fin mars, les étudiants demandent désormais que cette réforme ne soit pas appliquée. Mais là encore le mouvement sera fragilisé et “les médias se focaliseront sur les troubles et pas sur les revendications”, regrette Dionysis. Une lutte pour la gloire, sans véritable héros. Alors, à quoi servent donc les 300 sans Léonidas ? Manos Stefanides, Eleftherotypia, Athènes 858 p24 10/04/07 12:29 Page 24 e u ro p e RUSSIE Le business de la manche en plein essor A Moscou, seuls 10 % des mendiants seraient de véritables indigents. Tous les autres – soit 100 000 personnes – seraient des professionnels employés par des organisations mafieuses. Enquête. estropiés en treillis militaire sont donc très représentés, et constituent plus de 20 % des mendiants professionnels. Après leur “journée de travail”, un bus vient les ramasser et ils sont conduits jusqu’à l’appartement loué pour eux. Les mendiants du métro de Moscou pourraient en remontrer à n’importe quel manager. Leurs mouvements le long des différentes lignes sont réglés au millimètre. Les plus exploitées sont la rouge et la bleue. Là, des histoires terribles de malheurs atroces vous sont débitées presque à chaque station, à intervalles de trois minutes. NOVYÉ IZVESTIA (extraits) Moscou ors de sa dernière réunion, la commission gouvernementale chargée des mineurs a proposé d’aggraver les condamnations des adultes qui poussent les enfants à se livrer à la mendicité. Sous des dehors inoffensifs, cette activité est en effet l’une des principales écoles du crime. Aujourd’hui, le terme même de “mendiant” suscite plus souvent la peur que la compassion. En 1993, l’article 209 du Code pénal, qui prévoyait des poursuites pour “parasitisme”, a été abrogé. Pour la première fois dans toute son histoire, la Russie a non seulement légalisé la mendicité, mais lui a conféré une protection. Résultat, en quelques années, les vrais indigents ont été remplacés par des mendiants professionnels. Aux dires des experts, ils représenteraient aujourd’hui 90 % de tous ceux qui demandent la charité. Dans les grandes villes, les “zones” contrôlées par des structures mafieuses se comptent par dizaines de milliers. Rien qu’à Moscou et dans sa région, le chiffre d’affaires annuel de cette activité, qui emploie près de 100 000 personnes, atteint [l’équivalent en roubles de] plusieurs millions de dollars. Et, demain, de nouvelles recrues pourraient venir grossir en masse les rangs de cette “armée des pauvres”. La crédulité des Russes et l’inaction des pouvoirs publics sont les principaux atouts du “business de la mendicité”. Un récent sondage indique que 55 % de nos concitoyens sont persuadés que les mendiants ont d’autres moyens de se nourrir que de faire la manche. Pourtant, 69 % des gens leur donnent régulièrement quelque chose. Dans la conscience collective, encore conservatrice, faire la charité est un acte pieux. Les professionnels profitent sans vergogne de cette gentillesse et ne cessent de perfectionner leurs méthodes. Voici ce que nous a confié l’un des agents de la direction de l’Intérieur affecté aux transports publics de la capitale : “Nous n’avons pas de véritables outils pour briser ce business. Que peut-on légalement reprocher à une personne qui passe d’un wagon à l’autre en récoltant des aumônes ? Même si on soupçonne ce mendiant d’être un escroc, il est difficile de le prouver. Nous sommes également impuissants lorsque ce sont des enfants qui mendient sous le contrôle L W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com PARTAGE DU MARCHÉ, COMPLICITÉS DE LA POLICE d’adultes. Cela tombe bien sous le coup de l’article 151 du Code pénal, mais celui-ci ne s’applique pas dans le cas où les parents forcent leurs enfants à demander un peu d’argent parce qu’ils n’ont rien à manger.” L’époque est propice aux escrocs, et ceux-ci le savent. Pour Maria Koudriavtseva, du Centre indépendant d’études sociologiques de SaintPétersbourg, “un bon mendiant professionnel est un expert en problèmes sociaux et situations de crise. Nombreux sont les retraités aux pensions misérables, nous le savons bien. Nous allons donc croiser ce type de mendiants dans la rue. Pour les femmes, la valeur sociale de la maternité est un grand avantage. C’est pour cela que la mendiante avec enfant est aussi un cas de figure répandu”. Nous sommes bien informés sur les problèmes des anciens combattants d’Afghanistan ou de Tchétchénie – les Dessin d’Igor Smirnov, Moscou. Sur la ligne rouge, station IougoZapadnaïa, l’activité effrénée des mendiants est contrôlée toutes les heures. En bout de quai, un handicapé à l’air respectable tend la main. Mais il suffit de l’observer assez longtemps pour s’apercevoir que tous les mendiants de la ligne rouge viennent plusieurs fois par jour lui remettre leurs gains. Il paraît que son siège social change chaque année, récemment encore il était à la station Fili, où, là aussi, il triait l’argent avant de distribuer leurs parts aux vaillants travailleurs du monde souterrain. Deux lignes, la verte et l’orange, sont “nonSlaves”. Aucun mendiant, même le plus audacieux, n’oserait s’y aventurer. Elles appartiennent à la mafia tsigane. “C’est n’importe quoi ! Des SDF, des Tsiganes, des estropiés, des enfants, des musiciens ! Je me demande vraiment ce que fait la police !” s’indigne Klavdia Silaïeva, une employée du métro de Moscou. En fait, on sait très bien ce que fait la police. “Nous sommes ‘gérés’ par les flics”, avoue Galia, une des jeunes musiciennes de la station Place-de-la-Révolution.“Sans ça, nous ne pourrions même pas rester une journée. Nous leur versons entre 30 % et 40 % de ce que nous gagnons.” Galia et sa sœur arrivent à récolter jusqu’à 3 000 roubles en une journée [environ 85 euros]. Elles sont toutes les deux en première année d’université et viennent de Barnaoul [aux confins du Kazakhstan et de la Chine]. Dans l’un de ses discours, le patriarche orthodoxe Alexis II a magnifiquement cerné la psychologie de ceux qui font l’aumône : “Même si dix mendiants vous trompent, le onzième peut être quelqu’un qui a vraiment été frappé par le malheur.” Il a ainsi confirmé involontairement les chiffres des sociologues, selon lesquels la proportion de véritables malheureux ne dépasse pas 10 %. Au reste, la mendicité est aussi un problème pour l’Eglise orthodoxe russe, car les hommes aux longues barbes et les vieilles femmes vêtues de noir récoltant de l’argent [prétendument] au profit d’églises ou de monastères ont envahi les rues. Le patriarche a même été contraint de limiter ces démarches aux parvis des lieux de culte. Pratiquer la charité est considéré comme l’une de nos coutumes ancestrales. Pourtant, à toutes les époques, on a mené une lutte farouche contre les faux pauvres et ceux qui les exploitent. Pierre Ier, dans l’un de ses oukazes, frappait d’une amende de 5 roubles ceux qui donnaient à de faux indigents. Forcer les enfants à mendier pouvait conduire les adultes en prison ou au bagne. Dans le même temps, la Russie disposait d’un vaste réseau d’asiles et d’orphelinats. La miséricorde allait de pair avec la justice. C’est souvent le cas aujourd’hui dans le reste du monde, mais, en Russie, les voies de la miséricorde et de la justice ont tellement divergé que l’espace entre les deux ne peut qu’être colonisé par une dangereuse incurie. Mikhaïl Pozdniaïev, Andreï Pankov, Karina Naraïevskaïa et Maxime Roudometkine ROUMANIE Plutôt mendiant et libre qu’ouvrier ! a ville de Pitesti, à 107 kilomètres de Bucarest, a tout de la success story roumaine : des entreprises prospères (dont la plus connue, Dacia, qui fabrique en partenariat avec Renault la voiture bon marché Logan, a pratiquement doublé ses bénéfices en 2006), une autoroute (la seule du pays) en par fait état qui la relie à la capitale, un taux de chômage ridiculement bas et des habitants au pouvoir d’achat croissant (les salariés de Dacia ont, par exemple, obtenu en début d’année une revalorisation de 20 % de leurs salaires). Mais, même à Pitesti, il y a des mendiants, se désole Adevarul (“La Vérité”), l’ancien journal du parti unique, qui a voulu en savoir un peu plus sur leurs motivations, à quelques L jours de l’entrée en vigueur de l’initiative “Un emploi pour chaque mendiant” lancée par le gouvernement, qui ambitionne de résorber cette “plaie” de la Roumanie. “L’idée d’accorder aux mendiants 70 % du salaire minimal [environ 90 euros] est louable, mais que faire si ces derniers ne sont guère intéressés par cette offre de l’Etat ?” demande le journal, dont l’envoyé spécial a rencontré plusieurs de ces demandeurs d’aumône, qui assurent pouvoir gagner “jusqu’à cinq fois plus” en faisant la manche dans la rue. De surcroît, à les écouter, ils “n’ont pas à se lever de bonne heure, pas d’horaires à respecter et, surtout, il leur semble plus commode de tendre la main plutôt que d’y tenir COURRIER INTERNATIONAL N° 858 24 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 une bêche ou un balai”, poursuit Adevarul. Aussi, peu d’entre eux sont prêts à abandonner leur occupation et leur mode de vie, estime le quotidien de Bucarest. Deux mille emplois sont pour tant disponibles, notamment dans les mairies du dépar tement, et les responsables locaux ne désespèrent pas de transformer les mendiants en employés municipaux. “Jusqu’à présent, nous avons œuvré à l’identification des mendiants aptes au travail. Nous irons bientôt à la rencontre des maires des localités de la région d’où proviennent le plus de mendiants, pour mettre les choses au point”, explique Aurel Iacsa, coordinateur de l’initiative “Un emploi pour ■ chaque mendiant” à Pitesti. 858 p25-26-27-28 amériques 10/04/07 15:35 Page 25 amériques ● BRÉSIL Le pape attendu de pied ferme A un mois de l’arrivée de Benoît XVI, les secteurs progressistes de l’Eglise brésilienne s’inquiètent du virage réactionnaire que pourrait prendre la 5e Conférence de l’épiscopat d’Amérique latine. São Paulo es théologiens de la libération et les mouvements populaires paroissiaux de l’Eglise s’organisent pour suivre de près la 5e Conférence générale de l’épiscopat d’Amérique latine et des Caraïbes. Celle-ci sera inaugurée le 13 mai par le pape Benoît XVI, à Aparecida, dans l’Etat de São Paulo, et durera jusqu’au 31 mai, en présence de près de 300 évêques, ecclésiastiques et conseillers. Les manifestations parallèles aux débats officiels visent à garantir l’approbation de résolutions assurant la continuité des conférences précédentes, notamment celles de Medellín (Colombie) et de Puebla (Mexique), qui avaient été consacrées en grande partie au sort des plus démunis. “Nous n’organiserons ni un débat marginal, ni un débat clandestin, car nous voulons être pris en compte dans l’esprit d’Aparecida et contribuer par nos réflexions aux défis que l’Eglise et le christianisme doivent relever sur le continent”, affirme Carlos Signorelli, président du Conseil national de la laïcité, qui parraine le Séminaire latino-américain de théologie, dont le thème sera l’Amérique latine, le christianisme et l’Eglise au XXIe siècle. Ce séminaire, qui aura lieu du 18 au 20 mai à Pindamonhangaba, une ville située à 20 kilomètres d’Aparecida, comptera près de 200 participants brésiliens et étrangers. Parmi les conférenciers se distinguent le Péruvien Gustavo Gutiérrez et le Chilien Pablo Richard, deux des principaux théoriciens de la théologie de la libération. L’Espagnol Jon Sobrino, jésuite installé au Salvador et L censuré en mars par le Vatican [la Congrégation pour la doctrine de la foi a rendu publique, le 14 mars, une “notification” selon laquelle les écrits de Jon Sobrino “ne sont pas conformes à la doctrine de l’Eglise”], n’assistera pas à ces rencontres, mais a participé avec d’autres théologiens et sociologues à la rédaction du document intitulé Signes d’espoir, un ensemble de réflexions sur les thèmes de la conférence d’Aparecida. Ce texte incisif part d’une analyse des défis lancés à la religion et demande à l’épiscopat le maintien de l’esprit de Medellín et de Puebla. “Nous n’aurons pas accès à la séance plénière des évêques, mais nous espérons que certains d’entre eux accompagneront nos débats et deviendront les porte-parole de nos propositions”, prévient Signorelli. UNE COMMÉMORATION POUR LES “MARTYRS D’AMÉRIQUE LATINE” Par ailleurs, un pèlerinage organisé la nuit du 19 mai par le Forum de participation à la 5e Conférence partira de Roseira vers le sanctuaire d’Aparecida. Les coordinateurs espèrent réunir près de 30 000 paroissiens. Munis de bougies et de torches, ils parcourront à pied les 10 kilomètres d’une route parallèle à la Via Dutra, avec cinq pauses de réflexion sur chacune des conférences latino-américaines – Rio (1955), Medellín (1968), Puebla (1979), Santo Domingo (1992) et Aparecida (2007). La manifestation, avec pour point d’orgue une messe célébrée dans le sanctuaire, commémorera les “martyrs d’Amérique latine”, dont Mgr Oscar Romero, assassiné en mars 1980 au Salvador, l’ouvrier Santos Dias, le père João Bosco Penido et sœur Dorothy Stang, qui ont péri au Brésil. “Les Car toonists & Writers Syndicate O ESTADO DE SÃO PAULO chrétiens de notre continent sont impatients de voir canoniser ces martyrs, un geste fort qui inviterait tous les baptisés à embrasser la passion, la tendresse et la lutte pour la justice, sur les traces de JésusChrist”, affirme un texte adressé par le Conseil permanent de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) au Conseil épiscopal latino-américain (CELAM). Ce document comporte également des sug- Dessin d’Arcadio Esquivel paru dans La Prensa, Panamá. gestions des évêques brésiliens pour la Conférence d’Aparecida. Le texte final du CELAM, qui servira d’outil de travail à la Conférence d’Aparecida, tient en partie compte des suggestions de la CNBB. Il rappelle que l’Eglise ne peut rester indifférente aux injustices et aux inégalités sociales en Amérique latine, critique la mondialisation et le néolibéralisme comme idéologies au service du pouvoir économique et pointe du doigt l’augmentation de groupes religieux [évangéliques pentecôtistes] qui enlèvent des fidèles aux Eglises traditionnelles. Mais l’union de personnes du même sexe, le mariage des prêtres qui ont abandonné leur ministère et l’accueil des catholiques divorcés et remariés sont autant de défis qui sont à peine abordés, dans un unique paragraphe. Le texte, qui a déjà été approuvé par Rome, défend le célibat des prêtres et ne tient pas compte de l’observation de la CNBB selon laquelle “la question de l’ordination des femmes reste à être étudiée”.“Cet outil de travail représente la position actuelle du CELAM”, constate le père Oscar Beozzo, venu récemment examiner en Colombie avec d’autres théologiens de la libération certains points avec le CELAM. Ils se sont aussi interrogés sur la censure imposée à Jon Sobrino, dont la sanction, deux mois avant la conférence d’Aparecida, a été interprétée comme un avertissement adressé à ceux qui prétendraient ressusciter l’esprit de Medellín. Sobrino, qui devait en principe participer au séminaire de théologie, conformément aux espoirs de ses collègues brésiliens, n’a pas été invité. José Maria Mayrink MEXIQUE Croisade catholique contre l’IVG lors que les députés de l’Assemblée législative de Mexico doivent voter, le 24 avril prochain, une loi instaurant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans la capitale fédérale, la hiérarchie catholique a lancé une véritable offensive contre cette initiative. Le président conservateur Felipe Calderón, qui s’est opposé publiquement le 20 mars dernier à la légalisation de l’avortement, a ainsi reçu le soutien du président de la Conférence de l’épiscopat mexicain (CEM), qui a qualifié la future loi d’“initiative d’extermination”. Les évêques mexicains ne sont pas seuls dans cette croisade. Le 17 février dernier, le pape Benoît XVI a réuni ses vingt nonces désignés pour l’Amérique latine et leur a demandé de s’opposer à toute législation qui tenterait A de dépénaliser l’avortement. Il s’est aussi inquiété de l’accroissement des divorces ainsi que du nombre de mariages entre personnes du même sexe dans la région. Pour couronner le tout, il a nommé un nouveau nonce pour Mexico, le Français Pierre Christophe, et a dépêché de Rome le Colombien Alfonso López Trujillo, président du Conseil pontifical pour la famille. Ce cardinal ultraconservateur est ainsi venu diriger les travaux du 3e Congrès international Provida, qui s’est tenu du 23 au 25 mars dans la basilique Guadalupe, dans la capitale. Et il n’est pas un jour sans que les dirigeants catholiques ne s’expriment sur le thème. L’archevêque de Mexico, le cardinal Norberto Rivera Carrera, a par exemple qualifié d’“inique” le projet de loi puis affirmé que “l’allégresse de la semaine sainte est assombrie par l’assaut lancé contre les valeurs les plus chères des Mexicains, les valeurs de la famille”. L’archevêché de Mexico tente aussi de recueillir sur son site Internet 7 millions de signatures qui lui permettraient d’exiger un référendum sur l’avortement. L’ingérence du Vatican dans les affaires internes du pays a été dénoncée par un groupe de femmes – députées, intellectuelles, artistes – qui ont demandé l’expulsion de l’envoyé papal. Sans succès. Pour l’écrivaine Guadalupe Loaza, “l’Eglise catholique est tout simplement en train de répandre la peur dans la population sur le thème de l’avortement”. La directrice de l’association CDD [Catholiques pour le droit à décider], qui milite en faveur de la légalisation de l’avortement, COURRIER INTERNATIONAL N° 858 25 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 a déclaré, après avoir reçu des menaces de mort : “Voici le résultat de la campagne de haine lancée par l’Eglise.” L’avor tement, considéré comme un délit selon le Code pénal (qui date de 1931), punit tant les femmes que les médecins qui le pratiquent par des peines allant de un à six ans de prison. Le projet de loi, proposé par le Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), majoritaire dans la capitale, est bloqué depuis près de sept ans par les conservateurs. Il prévoit d’autoriser l’avortement dans les douze premières semaines de la grossesse. Selon les chiffres de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, au moins 1 million de femmes et de jeunes filles avor tent chaque année au (D’après Proceso, Mexico) Mexique. 858 p25-26-27-28 amériques 10/04/07 15:02 Page 26 amériques C O S TA R I C A Une université où l’on apprend à faire la paix Créée au début des années 1980 par le Prix Nobel de la paix Oscar Arias et les Nations unies, l’Université pour la paix est unique au monde. Des étudiants de tous les pays viennent s’y former. Reportage. l’année suivante, à 100 en 2005 et à 110 en 2006. Ils étudient dans des bâtiments blancs disséminés dans la verdure, qui abritent salles de classe, bureaux administratifs, bibliothèque, salles de sport ou d’informatique. Les liens avec le Palais de verre, à New York, sont étroits et vont au-delà des matières enseignées. Tous les ans, le secrétaire général de l’ONU est tenu de présenter à l’Assemblée générale un rapport sur les progrès de l’UPEACE. D (LA REPUBBLICA DELLE DONNE) Milan haque matin, dans un grand parc protégé, cerné par les montagnes du Costa Rica, des jeunes de tous horizons débarquent de trois autocars. Les étudiants de l’Université pour la paix (UPEACE) détiennent des passeports chinois, congolais, péruviens, suisses, canadiens ou américains, et ils ont choisi cette école unique au monde, créée par les Nations unies, pour devenir diplomates, coopérants, bénévoles ou experts en conflits. Ils espèrent faire carrière à l’ONU ou travailler dans une organisation non gouvernementale, et ils sont ici pour apprendre et, pourquoi pas, retourner chez eux aider leurs concitoyens. Nous sommes à 30 kilomètres à peine de San José, la capitale de l’un des pays les plus riches et les plus stables de l’Amérique centrale, presque une oasis de félicité au milieu d’un continent assailli de problèmes économiques et sociaux. “En 1948,le Costa Rica a aboli l’armée”, explique Adriana Molina, responsable des relations publiques à l’Université pour la paix. “Alors, l’Etat investit massivement dans l’éducation et la protection de l’environnement.Sans compter l’extraordinaire tolérance d’une population très diversifiée sur le plan ethnique.” C’est en 1978 que le philanthrope Cruz Rojas Bennett et sa famille ont fait don de 300 hectares de parc, pour la construction d’une école, à Oscar Arias Sánchez, alors un homme politique comme tant d’autres, qui allait pourtant devenir président de la République [de 1986 à 1990 et depuis 2006] et Prix Nobel de la paix [en 1987]. C LES COURS SONT CONCRETS, BASÉS SUR DES SIMULATIONS Dessin de Kemchs, Mexique. Arias songeait à créer une institution de stature internationale unique en son genre. Un rêve ambitieux qui repose sur une collaboration importante, celle des Nations unies. L’UPEACE est la première Université pour la paix dans le monde, voulue par l’ONU, mais absolument autonome (une structure similaire existe à Tokyo, mais il s’agit là davantage d’un centre de recherche). Au début des années 1980, l’institution démarre, mais elle ne réussit pas immédiatement à acquérir cette dimension mondiale voulue par Arias : les étudiants provenaient uniquement d’Amérique centrale et du Sud. Ce n’est qu’avec la nomination de Kofi Annan comme secrétaire général des Nations unies [en 1997 et jusqu’en 2006] qu’elle parvient enfin à ouvrir ses salles de classe au reste du monde. La première année, les étudiants ne sont même pas une dizaine. Leur nombre passe à 30 en 2003 et à 70 Les étudiants viennent pour un an seulement, suivre des programmes spécialisés (sécurité environnementale et paix, droit international et droits de l’homme, études sur les questions hommes-femmes et la promotion de la paix, droit international et gestion des conflits, rôle des médias dans les crises internationales, ressources naturelles et développement durable).Tous arrivent avec un rêve. “Beaucoup de jeunes étudient ici pour pouvoir intégrer les Nations unies et d’autres organisations. Moi, je désire retourner en Ethiopie, où j’ai déjà travaillé deux ans au ministère des Affaires étrangères”, confie Bereket Bambore, 27 ans, diplômé en droit à Addis-Abeba. “L’Ethiopie est encore un pays pauvre, poursuit-il, vivant de l’agriculture et qui risque de se faire écraser par la mondialisation. Il est important pour moi de faire des études à l’étranger.Je veux comprendre les systèmes politiques et sociaux qui régissent les autres pays et ramener de nouvelles idées de développement.” Anat Nir, 28 ans, souhaite aussi rentrer en Israël où, avant cette expérience, elle a travaillé dans la section administrative du College for Women’s Empowerment. “A l’UPEACE, je suis le cursus ‘études sur les questions hommesfemmes et la promotion de la paix’, rapporte-t-elle, dans l’optique de rapporter au pays, dans mon école, une nouvelle façon de faire de la politique.” Histoires diverses que celles racontées par les futurs bâtisseurs de la paix. Comme celle de Marcel Fomotar, un cinéaste de 25 ans. “Je viens du Cameroun, explique-t-il, je me trouve ici pour le programme,‘médias, conflits et paix’. Je connais bien la vie dans mon pays, j’ai vécu dans une ville et dans un village, et les problèmes sont nombreux, tellement nombreux : mauvais gouvernements, guerres, faim et pauvreté. Je raconte l’Afrique par l’intermédiaire de documentaires, mais pas seulement : j’ai un projet de film de fiction avec des acteurs africains, j’entends offrir à mon peuple des spectacles dont il soit le protagoniste.” Cette année, les étudiants sont au nombre de 137, originaires de 37 pays. Ils ont été sélectionnés parmi 500 personnes. Les critères d’admission sont simples : un diplôme de premier cycle, un excellent niveau d’anglais (langue dans laquelle sont enseignés tous les cours) et une forte motivation. Les programmes sont dispensés par des professeurs titulaires, mais aussi par des professionnels ou des enseignants venus d’autres universités. Les cours sont souvent très concrets, basés sur des simulations et des jeux de rôle, pour faire comprendre que la vérité n’est jamais unique – parce qu’il n’y a pas de solutions simples ni de règles certaines dans les affaires internationales et diplomatiques. Chaque situation est unique, et l’institution nourrit l’ambition d’offrir des connaissances et des points de vue nouveaux que chacun pourra appliquer plus tard. Giulia Crepaldi JAMAÏQUE La politique à coups de batte de cricket DE KINGSTON (JAMAÏQUE) e Premier ministre jamaïquain, Portia Simpson-Miller, au pouvoir depuis mars 2006, n’est pas membre de l’équipe de cricket des Antilles britanniques qui participe à la Coupe du monde [qui a débuté le 13 mars pour se terminer le 28 avril]. Mais Sista P, comme on la surnomme, qui est aussi ministre des Sports, agit parfois comme si c’était le cas. Elle a récemment posé en tenue de cricket, avec jambières, gants et batte, pour une publicité vantant le tournoi qui se déroule actuellement en Jamaïque et dans huit autres pays des Caraïbes. Elle émaille aussi ses discours politiques de termes empruntés à ce sport. “Nous devons éliminer beaucoup de batteurs”, s’est-elle ainsi écriée, à la grande joie des militants du People’s National Party (PNP, Parti national populaire). Mme Simpson-Miller n’est pas la seule personnalité politique jamaïquaine à être férue de ce spor t. Son pré- L décesseur, P. J. Patterson, a joué un rôle déterminant dans l’organisation de la Coupe du monde dans les Caraïbes, une première depuis la création de cette compétition en 1975. Les Antilles britanniques avaient d’ailleurs rempor té la première Coupe. Lorsque Patterson a quitté ses fonctions l’année dernière et que Mme Simpson-Miller, avec le slogan “Venez avec maman”, a évincé ses rivaux masculins au sein du parti au pouvoir, elle a hérité du grand événement. Elle en tire aujourd’hui le maximum de bénéfice. Comme le président du parti, Robert Pickersgill, l’a dit à The Gleamer, le plus grand quotidien de la Jamaïque, “la dynamique créée par le cricket a cloué le bec à l’opposition”. Prenant ombrage de la remarque, le journal a suggéré que le cricket devrait rester en dehors de la politique : “L’organisation de la Coupe du monde est à notre avis une question nationale et non partisane.” Le gouvernement de Mme Simpson-Miller soutient que le tournoi aura des effets durables. La vente des billets s’est révélée quelque peu décevante, et l’afflux espéré de touristes n’a pas eu lieu. Mais, pour le Premier ministre, les résultats des travaux d’amélioration des infrastructures ne disparaîtront pas après la remise de la coupe – qui reviendra, on l’espère, aux Antilles britanniques. Le cricket jouera à l’évidence un rôle dans les futures élections, qui doivent se tenir au plus tard en octobre. Quand Mme Simpson-Miller a pris ses fonctions en février 2006, on pensait qu’elle choisirait une date assez proche pour profiter de l’énorme popularité que lui avait procuré le fait d’être la première femme à ce poste. Mais, comme la Coupe du monde approchait, ses conseillers ont décidé qu’il serait prudent d’attendre afin de surfer sur l’engouement frénétique suscité par le tournoi. Reste à savoir si le calcul va payer. La COURRIER INTERNATIONAL N° 858 26 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 cote de popularité de Sista P a bien baissé depuis l’année dernière, et l’opposition a dénoncé la corruption et l’inefficacité de son gouvernement. Elle prend donc des risques en liant son sort au cricket. Pour couronner le tout, le meur tre de Bob Woolmer, l’entraîneur de l’équipe du Pakistan, le 18 mars dernier [voir CI n° 857, du 5 avril 2007], a poussé les médias à rivaliser d’articles et de reportages sur le thème “la mort au paradis”, ce que détestent les Jamaïquains. Mme Simpson-Miller a récemment reconnu devant les journalistes que cet assassinat avait “jeté une ombre” sur le tournoi. Mais, dans un même souffle, elle a exprimé sa confiance dans l’enquête, qui pour l’heure n’a donné lieu à aucune interpellation, et a assuré que le meilleur moyen de rendre hommage à Woolmer était de se concentrer sur ce sport qu’il aimait tant. Marc Lacey, The New York Times, Etats-Unis 858 p27 bis amériques 10/04/07 16:26 Page 27 amériques É TAT S - U N I S Les démocrates remplissent leurs caisses pour 2008 En trois mois, Hillary Clinton et Barack Obama ont levé plus de fonds qu’aucun candidat à la présidence n’avait réussi à le faire par le passé. Et ils dépassent de loin les républicains. Pourront-ils conserver cette avance ? vont devoir être à la hauteur côté finances pour faire le poids face à Obama ou à Clinton. C’est un sujet d’inquiétude.” “Cela reflète non seulement le sentiment des démocrates sur leurs chances de victoire en 2008, mais aussi la façon dont ils exploitent leur retour électoral de 2006”, explique Costas Panagopoulos, professeur de sciences politiques à l’université Fordham. “Du côté des candidats républicains, les électeurs ont l’impression d’avoir le choix entre la peste et le choléra.” Cet avantage financier en faveur des démocrates est peut-être la suite des élections de mi-mandat en 2006, quand les comités de campagne démocrates sont parvenus à égaler ou à battre leurs pendants républicains, contribuant ainsi à la reconquête du Congrès par les démocrates. THE NEW YORK TIMES New York Q uiconque s’interrogeait sur le dynamisme du Parti démocrate par rapport à la campagne présidentielle de 2008 a été rassuré par la publication du montant des fonds réunis par les principaux candidats pendant le premier trimestre. Avec un budget de 25 millions de dollars, le sénateur Barack Obama se rapproche des 26 millions d’Hillary Clinton, qui constituaient déjà un record. Ensemble, les candidats démocrates dépassent les républicains et de loin : ils disposent au total de 78 millions de dollars, contre à peine plus de 51 millions pour leurs adversaires. Cet événement vaut la peine d’être souligné car, traditionnellement, ce sont les républicains qui réunissent le plus de fonds. Lors de toutes les primaires depuis 1976, le champion de la récolte de fonds a toujours été un républicain. De l’avis même de certains républicains, ces derniers chiffres sont une preuve concrète de l’optimisme des démocrates, qui ont bon espoir de reconquérir la Maison-Blanche et sont satisfaits – comme rarement – de leurs candidats. Cette différence d’état d’esprit apparaît comme l’un des premiers signes de la dynamique de la campagne de 2008. “Les démocrates semblent nettement mieux armés que nous pour gagner la Maison- LES RÉPUBLICAINS, EUX, MANQUENT DE DONATEURS Blanche”, déclare Scott Reed, un ancien responsable de la campagne 1996 du républicain Bob Dole. “Cela s’explique en partie par l’usure de Bush. Mais il est évident que les républicains Hillary Clinton et Barack Obama Dessin de Graff paru dans Dagbladet, Oslo. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 27 En guise de consolation, les républicains peuvent toujours se dire que les démocrates, notamment Barack Obama et Hillary Clinton, auront les moyens de s’entredévorer au cours des neuf mois qui les séparent du début des primaires, marqué par le caucus de l’Iowa. Quoi qu’il en soit, il reste encore bien des trimestres avant l’élection. Même les démocrates qui se disent ravis de leurs résultats sont convaincus que le candidat républicain aura plus d’argent que nécessaire pour participer au scrutin. DU 12 AU 18 AVRIL 2007 “Je ne pense pas que les républicains perdront les élections de l’année prochaine par manque d’argent”, estime David Plouffe, le directeur de campagne d’Obama. “Mais, pour une fois, ils vont devoir se battre un peu plus pour récolter des fonds.” Le favori des candidats républicains, le sénateur de l’Arizona John McCain, a réuni à peu près la moitié des budgets d’Obama et d’Hillary, et est dépassé par John Edwards, le sénateur démocrate de Caroline du Nord, qui a reçu 14 millions de dollars pour présenter sa deuxième candidature à la présidence. David Magleby, professeur de sciences politiques à l’université Brigham Young, soupçonne les républicains d’être en manque de donateurs. Dans les mois à venir, la perspective d’avoir une Clinton à la MaisonBlanche devrait inciter les républicains à sortir leurs carnets de chèques. Adam Nagourney 858 p25-26-27-28 amériques 10/04/07 15:03 Page 28 amériques É TAT S - U N I S Que faire des enfants des sans-papiers ? Alors que les raids contre les immigrés clandestins se multiplient, le problème des enfants nés aux Etats-Unis de parents entrés illégalement dans le pays se pose avec de plus en plus d’acuité. sa fillette reste seule. Mais le bracelet en plastique noir entourant sa cheville est là pour lui rappeler que cette situation n’est que provisoire. Elle est placée en résidence surveillée jusqu’à son procès. Ses chances de ne pas être expulsée sont minces. En vertu des lois adoptées par le Congrès en 1996, les juges ne peuvent plus autoriser les clandestins à rester aux Etats-Unis sous le seul prétexte que leur enfant est citoyen américain. Les parents doivent prouver que leur expulsion entraînerait “des souffrances exceptionnelles et inhabituelles” pour leur enfant. Par exemple que leur enfant est atteint d’une grave maladie, selon l’interprétation la plus courante de ce texte. THE WASHINGTON POST Washington es derniers mois, les autorités ont considérablement durci leur lutte contre l’immigration illégale, avec des conséquences parfois dramatiques pour certains citoyens américains : les enfants nés aux Etats-Unis de parents clandestins. Selon une récente estimation du Urban Institute et du Pew Hispanic Center, on en compte aujourd’hui environ 3,1 millions dans tout le pays. Il y a peu, la situation illégale de leurs parents ne changeait rien à la vie de ces enfants. Même si des centaines de milliers d’immigrés clandestins sont arrêtés chaque année au moment où ils traversent illégalement la frontière avec les Etats-Unis, jusque récemment ceux qui réussissaient à entrer dans le pays n’avaient plus grand-chose à craindre. Mais la multiplication des raids dans les entreprises qui emploient des immigrés clandestins a changé la donne. En décembre dernier, des agents de l’immigration ont fait une descente dans six usines de conditionnement de viande appartenant à la société Swift & Co et y ont arrêté 1 297 travailleurs sans papiers. Dans l’une de ces usines, à Worthington dans le Minnesota, les personnes arrêtées étaient parents d’au moins 360 enfants nés sur le sol des Etats-Unis, selon un pasteur local qui a organisé une collecte de fonds en leur faveur. De même, sur les 361 ouvriers arrêtés lors d’une descente, le mois dernier, dans l’une des usines de l’entreprise Michael Bianco, à New Bedford dans le Massachusetts, 90 étaient parents d’un ou de plusieurs enfants nés aux Etats-Unis. Depuis que les agents de l’immigration ont contrôlé l’usine Dixie Printing and Packaging, à Baltimore dans le Maryland, où ses deux parents travaillaient sous de faux numéros de sécurité sociale, Jessica Guncay fait désormais partie ces enfants. Jessica, 10 ans, savait que ses parents étaient C LE DROIT DU SOL EST GARANTI PAR LA CONSTITUTION Dessin d’Angel Boligan paru dans El Universal, Mexico. clandestins, mais elle n’avait jamais imaginé qu’ils puissent être arrêtés. “Je me sens mal”, marmonne-t-elle en fixant ses chaussures. Sa mère, Ana Tapia, assise à côté d’elle, la prend dans ses bras sans pouvoir cacher ses larmes. Le père de Jessica, Juru Guncay, 45 ans, est resté en détention. Ana Tapia, âgée de 40 ans, a été libérée quelques heures après son arrestation pour ne pas que Mme Tapia est donc confrontée à un dilemme qui s’impose désormais à de nombreux immigrés clandestins : confier son enfant à des amis ou des parents résidant légalement aux EtatsUnis, ou la ramener avec elle dans son pays d’origine, qui offre beaucoup moins de perspectives d’avenir. Dans le Maryland, souligne-t-elle, elle et son mari gagnaient correctement leur vie, ils avaient réussi à offrir à leur fille un ordinateur, le confort d’une maison modeste et l’accès à une école. Avant de quitter l’Equateur, il y a quatorze ans, leurs salaires d’ouvriers dans la métallurgie leur permettaient à peine de sous-louer un studio. Mme Tapia craint même de ne pas pouvoir retrouver son ancien travail si elle est renvoyée dans son pays, parce que les patrons locaux préfèrent les ouvriers plus jeunes. “Je ne sais même pas si moi et mon mari pourrons survivre là-bas, et je ne vous parle pas de Jessica”, se lamente-t-elle. Mark Krikorian, directeur du Centre d’études sur l’immigration, un think tank conservateur favorable à une politique très restrictive en matière d’immigration, dit éprouver de la compassion pour ces enfants, tout comme il en éprouve pour tous les enfants qui paient les erreurs de leurs parents. Car, pour lui, les parents “savaient ce qu’ils faisaient quand ils ont eu des enfants alors qu’ils étaient dans l’illégalité”. Il salue ces nouvelles mesures répressives contre les patrons qui emploient des clandestins. Pour lui, c’est un bon point après des années de laxisme en matière d’immigration. Au cours de l’année fiscale 2004, par exemple, le gouvernement a expulsé environ 51 000 clandestins qui vivaient aux Etats-Unis depuis plus d’un an, ce qui représente à peine 3 % du nombre total des clandestins expulsés cette année-là et moins de 0,5 % des 12 millions d’immigrés clandestins que compte le pays. Toujours selon M. Krikorian, les législateurs ne feront qu’aggraver les choses s’ils donnent aux juges plus de latitude pour permettre aux clandestins arrêtés de rester aux Etats-Unis si leurs enfants ont la citoyenneté américaine. “Cela reviendrait à dire que tout clandestin est autorisé à s’installer de manière définitive aux Etats-Unis s’il fait un enfant dès qu’il a franchi la frontière.” Il avertit également que, si les partisans de l’immigration vont trop loin dans leur défense des sans-papiers, ils ne feront que renforcer le camp des personnes favorables à une remise en question du droit du sol, garanti par le 14e amendement de la Constitution américaine. De leur côté, les associations de défense des droits des immigrants se servent de plus en plus du cas de ces enfants comme argument dans les débats sur la régularisation des immigrés clandestins. Selon eux, ils offrent un argument imparable. “Une fois que les familles américaines moyennes seront au courant des situations de ces familles, elles ne voudront pas qu’elles soient séparées. Car la famille est une valeur fondamentale aux Etats-Unis”, souligne Emma Lozano, cofondatrice de Familia Latina Unida à Chicago, l’une des nombreuses associations qui se sont emparées du sujet à travers le pays. N. C. Aizenman JUSTICE La Cour suprême refuse de se prononcer sur Guantanamo ■ Très divisée, la Cour suprême américaine a refusé, le 2 avril, de se prononcer sur l’une des questions légales les plus épineuses de la guerre contre le terrorisme menée par Bush : le droit pour les détenus de Guantanamo de saisir un tribunal fédéral pour contester leur détention sans inculpation. Cette décision, qui marque une victoire impor tante pour la MaisonBlanche, valide le jugement rendu par la cour d’appel de Washington le 20 février dernier, selon lequel les détenus de Guantanamo ne peuvent avoir directement accès à la justice fédérale. Les avocats de 45 des 385 prisonniers de la base navale américaine de Guantanamo avaient demandé aux juges suprêmes d’examiner l’affaire dans le cadre d’une procédure accélérée. Ils souhaitaient que la Cour suprême puisse rendre sa décision avant la fin du mois de juin. Mais la Cour n’a pas voulu s’engager dans la polémique. Pour elle, les détenus doivent épuiser les recours légaux fixés par le Congrès [dans sa loi du 29 septembre 2006 sur les tribunaux militaires] et par l’armée avant de s’adresser à la Cour suprême. Pour que celle-ci se saisisse d’une affaire, il faut que quatre de ses neuf juges se prononcent dans ce sens. Lorsqu’elle a rendu sa décision, le 2 mars, trois d’entre eux – Stephen Breyer, David Souter et Ruth Bader Ginsburg – ont exprimé leur désaccord, estimant que la COURRIER INTERNATIONAL N° 858 28 Cour aurait dû s’en saisir. Le rejet de la Cour suprême signifie que les procédures de révision du statut de combattant des détenus de Guantanamo et leur procès devant les commissions militaires pourront se poursuivre durant tout le printemps sans que les procureurs militaires et les autres responsables du ministère de la Défense ne soient inquiétés par une décision contraire de la Cour. Mais deux juges, John Paul Stevens et Anthony Kennedy, ont tout de DU 12 AU 18 AVRIL 2007 même mis en garde le gouvernement Bush. Ils ont rappelé que les juristes ne devaient pas considérer ce refus de la Cour suprême comme une approbation du traitement infligé aux détenus par le gouvernement, et que les détenus pourraient déposer de nouveaux recours devant la Cour suprême, notamment si les procédures les concernant prenaient un retard abusif. Warren Richey, The Christian Science Monitor, Boston 858p29-30-32 asie 10/04/07 14:46 Page 29 asie ● BANGLADESH Le fardeau de l’héritage pakistanais Le Bangladesh avait tout pour être une démocratie laïque et stable. Mais c’était compter sans les divisions héritées de l’époque où ce territoire s’appelait encore Pakistan oriental. DAWN Karachi e Bangladesh est peut-être le pays du sous-continent indien qui devrait avoir le moins de problèmes intérieurs. Il ne connaît pas de conflits ethniques ni linguistiques, n’a pas à faire face aux controverses auxquelles les éléments d’une fédération sont souvent confrontés, et il s’est doté de lois pour conduire ses affaires de manière démocratique. Les troubles qui ont éclaté récemment à propos de la question des élections législatives [qui devaient avoir lieu fin janvier et ont été repoussées sine die] et qui ont été suivis par l’instauration de l’état d’urgence le 11 janvier dernier font cependant planer un formidable point d’interrogation sur les perspectives de la démocratie dans le pays. En 1990, les deux principaux partis politiques bangladais, la Ligue Awami et le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), étaient parvenus à s’accorder sur un mécanisme qui soit idéal pour que les élections se déroulent dans une atmosphère libre et juste, sans la moindre pression politique ou administrative : quelques mois avant le vote, le gouvernement du moment doit quitter le pouvoir ; il est remplacé par un cabinet intérimaire qui a pour objectif spécifique de conduire des élections libres et impartiales ; celui-ci est normalement dirigé par le président de la Cour suprême, qui désigne les personnes chargées d’organiser le scrutin. Mais cette fois-ci les choses se sont passées différemment. La Ligue Awami, dans l’opposition depuis 2001, a rejeté cet arrangement prévu par la Constitution au motif que le président de la Cour suprême n’était pas impartial, Khaleda Zia, le Premier ministre sortant, et Sheikh Hasina, la chef de l’opposition. Dessin paru dans The Economist, Londres. L Islamistes car il était connu pour avoir de profondes sympathies pour le parti sortant, le BNP. Ses militants sont descendus dans la rue et ont provoqué de sérieux désordres au début de l’année. Plusieurs membres et sympathisants des partis rivaux ont perdu la vie dans des querelles absurdes. La méfiance et la peur sont énormes et ne diminuent pas avec le temps. Pourquoi ? Malgré ses efforts pour s’en sortir, le Bangladesh ne peut oublier qu’il n’y a encore pas si longtemps [avant 1971] il faisait partie du Pakistan, et il a hérité d’une partie de ses maux. Il ne peut balayer la “guerre froide” qui a eu lieu pendant plusieurs décennies entre le Pakistan et l’Inde. La Ligue Awami, pour des raisons pratiques, préconise l’établissement de relations cordiales avec l’Inde. Au contraire, le BNP, le parti fondé par le général Ziaur Rahman [1936-1981, ancien officier pakistanais et héros de la guerre d’indé- pendance], est pour sa part opposé à une telle politique. Cette divergence entre les deux partis a divisé les Bangladais, pas tellement la base, mais assurément la hiérarchie des partis. Et ce fossé, qui ne cesse de se creuser, crée un terrain favorable à un coup d’Etat militaire. Les observateurs constatent en outre une nette émergence des groupes politiques religieux. On pense par exemple au Jaamatul Mujahideen [JMB, Groupe des moudjahidin, formation clandestine ayant orchestré 434 attentats simultanés dans tout le pays en août dernier], au Jagarata Muslim Janata Bangladesh [JMJB, Peuple musulman éclairé du Bangladesh, mouvement se réclamant des talibans] et au Harkat Ul-Jihad Al-Islami [HUJI, Mouvement pour le djihad islamique, groupe proche d’Al-Qaida]. Ces organisations extrémistes sont toutes le produit d’une démocratie fragile et corrompue. Fin mars, six islamistes ont été pendus à Dacca. Ils avaient été condamnés à mort pour leur implication dans les quelque 400 attentats à la bombe simultanés qui ont frappé le pays en 2005. Parmi eux figure le tristement célèbre “Bangla Bhai” (Frère bengali), qui se réclamait des talibans et qui dirigeait le Jagrata Muslim Janata Bangladesh (JMJB). Tout cela a conduit à des grèves, à des violences et à des confrontations qui ont coûté la vie à plusieurs personnes et plongent les gens ordinaires dans l’incertitude et l’insécurité. Et puis, l’homme de la rue en a marre du jeu de chaises musicales entre Mmes Sheikh Hasina, leader de l’opposition, et Khaleda Zia, Premier ministre sortant. Ces deux femmes qui monopolisent le pouvoir sont désormais des sources d’anxiété pour tout le pays. L’état d’urgence a provoqué un vide : les activités politiques sont interrompues, les droits fondamentaux, la liberté d’expression et de circulation sont suspendus, et aucune date n’est annoncée pour la tenue des élections. Il n’est pas difficile de penser que l’armée, qui s’est imposée en force après l’imposition de l’état d’urgence et assure le maintien de l’ordre dans tout le pays, a peut-être décidé de rester un peu plus longtemps au pouvoir dans ce pays troublé. Si le gouvernement intérimaire veut prouver qu’il est assez honnête pour organiser un scrutin libre et juste, il devrait s’y mettre le plus tôt possible. Mais il semble avant tout vouloir nettoyer la sphère politique en menant des coups de filet contre des personnalités incompétentes et corrompues. C’est là une tâche difficile, qui requiert une patience que les Bangladais ne possèdent pas. Sirajul Islam Chowdhury, l’un des principaux intellectuels du Bangladesh, confie à cet égard : “Les responsables politiques ne peuvent supporter la démocratie pendant très longtemps. Ils s’y soumettent mais ils n’y adhèrent pas vraiment, et c’est là le problème qu’il faut résoudre.” Et il ajoute : “L’imposition de l’état d’urgence n’est pas la solution au chaos politique qui règne actuellement.” Yasmin Mustafa THAÏLANDE Attention à ne pas mêler religion et nation Des militants demandent l’inscription du bouddhisme comme religion nationale dans la Constitution. Une exigence qui risque d’envenimer les violences dans le Sud musulman. aut-il déclarer le bouddhisme religion nationale et l’inscrire en tant que tel dans la nouvelle Constitution ? Cette question devrait être largement débattue, une fois que le texte intégral du projet de Constitution aura été rendu public, le 19 avril. La Constitution Drafting Committee [CDC, commission constituante] est divisée sur ce point. Un groupe de nationalistes bouddhistes fait actuellement signer des pétitions pour réclamer que la nouvelle Constitution comporte F une clause faisant du bouddhisme la religion nationale. A défaut, il fait valoir que ses partisans pourraient voter contre le texte lors du référendum prévu pour le mois de septembre. Ce regain de nationalisme bouddhiste parmi de nombreux moines et leurs partisans coïncide avec la flambée de violence dans le sud du royaume. [Depuis 2004, trois provinces méridionales voisines de la Malaisie sont secouées par des attentats et des actes de violence. Près de 2 000 personnes ont perdu la vie dans des attentats et des attaques contre des mosquées, des pagodes ou lors de meurtres.] Les extrémistes musulmans accusés de ces violences voudraient faire croire qu’il existe une guerre de religion avec une minorité musulmane qui se sentirait oppressée par la majorité bouddhiste. Heureusement, les extrémistes ne trompent personne : les victimes de leur sale guerre sont des civils innocents. Autant de musulmans que de bouddhistes ont été tués lors de vagues d’assassinats aveugles, et des moines ont dû être escortés par la police lorsqu’ils sortaient mendier. Il n’en fallait pas plus pour amener cer tains membres du clergé bouddhiste à se demander si leur religion n’était pas sérieusement menacée, notamment dans cette région troublée. De telles craintes ne sont pas dénuées de fondement, mais pour autant elles ne justifient pas que le bouddhisme soit consacré religion d’Etat par la Constitution. Les bouddhistes nationalistes sont sans doute ani- COURRIER INTERNATIONAL N° 858 29 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 més des meilleures intentions, mais ils devraient tenir compte des susceptibilités des adeptes d’autres confessions, en particulier des musulmans. D’autant que dans le Sud, où les violences paraissent sans fin, le fossé d’incompréhension entre musulmans et bouddhistes se creuse toujours davantage, si bien que toute tentative d’officialisation du bouddhisme pourrait être facilement exploitée par les extrémistes. Dans d’autres régions, les musulmans modérés, qui sont aussi patriotes que leurs concitoyens bouddhistes, pourraient se sentir rejetés par une telle législation, au point de se demander s’ils sont encore des citoyens thaïlandais à part entière. Bangkok Post, Thaïlande 858p29-30-32 asie 10/04/07 14:47 Page 30 asie CHINE “La Vie des autres”, si loin, si proche Diffusé sous forme de DVD piraté, le film allemand fait un tabac en Chine populaire. Les spectateurs chinois y trouvent en effet de nombreuses similitudes avec les réalités locales actuelles. couple, et va même jusqu’à les protéger. En montrant comment l’aurore de la nature humaine réussit à percer les ténèbres d’une étouffante oppression, LaVie des autres a non seulement réveillé des sentiments multiples chez les citoyens de l’ex-RDA, pour la première fois confrontés à l’histoire de leur police secrète, mais a également fait vibrer et ému jusqu’aux larmes les spectateurs chinois. YAZHOU ZHOUKAN Hong Kong ors de l’annonce du palmarès de la 79e cérémonie des Oscars à Los Angeles, le film allemand de Florian Henckel von Donnersmarck, La Vie des autres, a remporté le prix du meilleur film étranger. Ce long-métrage, dont la sortie en salles n’a pas été autorisée en Chine, a pourtant connu un grand succès dans le pays au moment de la fête du Printemps [le nouvel an chinois, en février], en particulier au sein de l’intelligentsia et dans le milieu de la culture, où le bouche à oreille a joué à plein. Acheter le DVD piraté de La Vie des autres pour le regarder tout à loisir chez soi est devenu l’une des activités au programme de la fête du Printemps pour de nombreux Chinois. Et, quand on rencontrait des amis au moment du nouvel an, au lieu de leur présenter les traditionnels vœux de bonheur, santé et richesse, on leur demandait s’ils avaient vu La Vie des autres. Certains ressortissants de Chine populaire ont profité de l’opportunité de “voyager librement” [autorisation donnée depuis le 28 juillet 2003 à certains Chinois de Chine populaire de se rendre à Hong Kong à des fins touristiques en dehors des voyages organisés] pour aller à Hong Kong voir le film qu’ils n’ont pu s’empêcher d’applaudir debout à la fin. Regarder le film et en débattre en établissant des liens avec la réalité chinoise fait désormais fureur, au point d’introduire de nouveaux éléments dans le sujet brûlant de la réforme du système politique, à six mois de l’ouverture du XVIIe Congrès du Parti communiste L LES INTERNAUTES EXPRIMENT LEUR ÉMOTIONS DR Sur plusieurs sites, par exemple Tianya shequ [<www.tianya.cn>, un forum remarqué pour ses discussions animées sur des sujets parfois sensibles], des internautes écrivent : “La Vie des autres est un film excellent, comme il y a longtemps que je n’en avais pas vu. Alors que dans La Liste de Schindler les Allemands cherchent à se racheter une bonne conscience, dans La Vie des autres, c’est un Allemand qui se rachète une âme. Cela doit donner matière à réflexion aux Chinois.” Un autre confie : “A la fin du film, j’ai ressenti un inexplicable sentiment d’oppression. N’en pouvant plus, je suis allé sur mon balcon et j’ai crié plusieurs fois face au ciel. Dans la Chine d’aujourd’hui, on peut encore voir des scènes comme celles décrites dans le film.” Dès les années 1940, le PCC possédait des techniques et des moyens de mise sur écoute déjà avancés. Depuis la prise du pouvoir du PCC [en 1949], pour obtenir les renseignements et les preuves dont elles avaient besoin, les autorités sont devenues coutumières des abus de pouvoir, des mises sur écoute à grande échelle et du recours à des moyens illégaux de collecte de l’information L’affiche du film La Vie des autres à Hong Kong. chinois (PCC). L’histoire de ce film décrit l’usage extensif de la Stasi, la police secrète de l’ex-RDA, pour écouter et surveiller les citoyens de base. Le personnage principal est un policier de la Stasi, un homme glacial, chargé d’espionner un dramaturge célèbre. Au fil de ses écoutes, il est ému par la femme de l’auteur. Le policier devient de manière totalement imprévue partie prenante de la vie du sous prétexte de lutte contre les tentatives de sédition, d’infiltration, de restauration de l’empire, puis contre la corruption et le terrorisme. Voici ce qu’a déclaré Wang Yi, qui enseigne à la faculté de droit de l’université de Chengdu et fait des recherches sur le libéralisme et la mutation de la Chine en une démocratie constitutionnelle, après avoir vu La Vie des autres : “Je suis pour ainsi dire tombé amoureux de ce film ! Il m’a fait pleurer à plusieurs reprises. Je n’ai pu m’empêcher de le recommander à tous les dissidents que je connais.” Il a ajouté :“Ce film, c’est une chance pour le monde, mais c’est surtout une chance pour les Chinois !” Le réalisateur du film appartient à la génération de l’après-mur de Berlin, alors que Wang Yi appartient à celle de l’après-Tian’anmen [répression sanglante du mouvement étudiant en faveur de la démocratie, en juin 1989]. Ce dernier explique : “Je comprends très bien qu’un jeune réalisateur de l’après-mur de Berlin ait pu porter à l’écran ce genre de blessures chevillées au corps.” Quand à Liu Xiaobo, président de l’Independent Chinese PEN Club, il affirme : “Les organismes de police du PCC se livrent en dehors de tout cadre légal à de longues persécutions sur des personnalités dites sensibles en recourant à toutes sortes de méthodes : mise sur écoute téléphonique, filature à l’extérieur, îlotage policier, assignation à résidence déguisée, rapatriement forcé, privation de tout gagne-pain, etc.” Et il ajoute : “Les nombreuses atteintes aux droits de l’homme sont la conséquence d’un système où il est impossible de se fier aux lois qui sont violées par ceux-là même en charge de les appliquer !” Jiang Xun PHILIPPINES Pour museler la presse, le couple Arroyo attaque au portefeuille La présidente et son sulfureux mari n’aiment pas qu’on dévoile au grand jour leurs affaires de corruption. A quelques semaines des législatives, ils multiplient les procès en diffamation. e 13 novembre dans l’après-midi, Mia Gonzales, journaliste au Business Mirror de Manille, reçoit un coup de fil alarmé d’un de ses collègues du bureau de presse du palais présidentiel. “Il y a cinq policiers en civil qui vous cherchent”, lui dit-on. Surprise, Mia appelle son bureau et demande d’urgence un congé. Elle apprend alors que les policiers ont un mandat d’arrêt contre elle. Mike Arroyo, le sulfureux mari de la présidente Gloria Macapagal Arroyo, a déposé une plainte en diffamation contre elle à cause d’un ar ticle qu’elle avait écrit sur lui trois ans auparavant dans un magazine régional… Le lendemain, elle s’est rendue L au commissariat pour payer sa caution. Les journalistes du Philippine Daily Inquirer, le plus gros quotidien du pays, n’ont pas été aussi chanceux. Le 19 mars, des policiers sont venus dans leurs bureaux pour arrêter leur rédacteur en chef et sept autres rédacteurs. Cette fois, Mike Arroyo réclamait 22 millions de pesos philippins [340 000 euros] de dommages pour des articles écrits par l’éditorialiste Ramon Tulfo. Ce dernier avait établi la responsabilité de Mike Arroyo dans des activités de contrebande. Le couple présidentiel, qui croule sous des accusations de corruption plus ou moins graves – allant de la fraude électorale à la participation à des paris clandestins –, se sert d’une loi pratiquement obsolète sur la diffamation pour harceler la presse la plus libre d’Asie. A ce jour, M. Arroyo, dont le nom est régulièrement cité dans les médias pour des affaires de corruption et de paris truqués, a déposé 11 plaintes pour diffamation contre 46 journalistes, et réclame un total de plus de 140 millions de pesos [2 millions d’euros] en dommages et intérêts. Ce n’est pas la prison qui fait peur aux journalistes. Ils savent que la justice s’apercevra que les accusations à leur encontre sont dénuées de fondement, ou même totalement fantaisistes, mais en revanche ils se plaignent du coût financier et du stress qu’entraîne cette avalanche de procès. Les publications du groupe Inquirer ont déboursé presque 1 million de pesos [15 000 euros] pour payer les cautions des journalistes et les frais annexes. Newsbreak, qui, pour des raisons financières, est depuis le mois de janvier un journal en ligne, a prélevé quelques milliers de dollars sur son budget déjà serré pour faire sor tir de prison son rédacteur en chef et ses journalistes. Selon Glenda Gloria, rédactrice en chef de News- COURRIER INTERNATIONAL N° 858 30 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 break, Mike Arroyo mène campagne contre les médias avec la bénédiction de la présidente, qui tolère mal qu’on critique son mandat. Les élections prévues pour mai ne l’ont pas gêné dans ses actions, bien au contraire. En mars, des membres de l’opposition ont demandé que la loi sur la diffamation soit amendée lors de l’installation d’un nouveau Congrès, après le scrutin de mai. Il y a quelques semaines, un tribunal a débouté Mike Arroyo de sa plainte contre l’ancien avocat général Frank Chavez (celui-ci avait établi un lien entre lui et un détournement de fonds publics destinés à l’agriculture, qui avaient servi à financer la campagne de Gloria Arroyo). Le juge a déclaré que M. Arroyo était désormais une personnalité publique, dont les affaires ne relevaient plus du domaine privé. Asia Sentinel, Hong Kong Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858p29-30-32 asie 10/04/07 14:47 Page 32 asie JAPON Revue et corrigée, l’Histoire est bien plus belle L’armée impériale n’a jamais incité aux suicides collectifs à Okinawa. Telle est la version que le gouvernement entend enseigner malgré les faits et les nombreux témoignages qui ont toujours accrédité la version inverse. ASAHI SHIMBUN Tokyo l’issue de la procédure de contrôle des manuels d’histoire destinés aux lycées, il a été demandé aux éditeurs de rectifier les passages portant sur les “suicides collectifs” lors de la bataille d’Okinawa. Le ministère de l’Education a exigé que toute mention d’une intervention directe de l’armée soit supprimée, arguant qu’il “[n’était] pas clairement établi que les militaires en aient donné l’ordre”. La phrase où il était dit que “certains habitants [avaient] été forcés de se suicider par l’armée impériale” a donc été remplacée par : “Certains habitants n’ont pas eu d’autre recours que le suicide collectif.” Les suicides collectifs se sont principalement produits dans les îles Kerama, où les troupes américaines ont d’abord débarqué. Des familles entières se sont donné mutuellement la mort. Il y eut plusieurs centaines de victimes. En occultant le rôle de l’armée dans ces morts tragiques, les autorités tentent d’effacer l’aberrant militarisme nippon qui a contraint les habitants à se suicider plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi. Nous assistons ainsi à un travail de déformation de l’Histoire. La dernière opération de contrôle des manuels scolaires soulève plusieurs questions. Tout d’abord, on peut se demander pourquoi le rôle de l’armée est aujourd’hui remis en cause, alors qu’en 2005, lors de la précédente opération, il avait été accepté sans que cela pose problème. Le ministère de l’Education nationale s’est justifié en invoquant “un changement de situation”. Le A en doute ? Feu Shinjun Toyama, qui à l’époque était responsable de la conscription à la mairie de Takashiki, a parlé de la responsabilité de l’armée dans une interview accordée à l’Asahi Shimbun en 1988. Sur ordre militaire, il avait rassemblé une vingtaine de personnes, des jeunes non-combattants et des employés de la mairie. Un sousofficier leur avait distribué à chacun deux grenades, l’une à lancer sur les ennemis s’ils en rencontraient et l’autre pour se donner la mort s’ils devaient être capturés. Les suicides collectifs se sont produits une semaine plus tard. Shigeaki Kinjo, 78 ans, ancien président de l’université chrétienne d’Okinawa, est un survivant de cette période. Il se trouvait là au moment où des grenades ont été distribuées. Comme il n’y en avait pas assez pour qu’il en reçoive, il a été obligé de tuer de ses mains sa mère, sa sœur et son jeune frère. “Le fait que l’armée distribuait des grenades aux non-combattants donne corps au caractère coercitif des suicides collectifs”, affirme-t-il. Depuis que M. Abe est arrivé à la tête du pays, à l’automne dernier, on assiste à un mouvement qui tend à minimiser autant que possible les actions de l’armée impériale, notamment dans l’affaire des femmes de réconfort [voir CI n° 855, du 22 mars 2007]. C’est à se demander si les nouvelles directives du ministère de l’Education ne participent pas de la même volonté. Il est indispensable que les Japonais ne détournent pas les yeux de leur histoire, même si certains épisodes sont difficiles à accepter. Il appartient aux éducateurs de les faire connaître aux enfants, qui représentent l’avenir du pays. ■ LE MOT DE LA SEMAINE “JIKETU” LE SUICIDE exceptionnel ucun incident diplomatique n’est à déplorer à la suite des modifications relatives à la bataille d’Okinawa imposées par le ministère de l’Education japonais aux éditeurs de manuels d’histoire. Rien de plus normal : l’archipel d’Okinawa, en tant que préfecture, fait partie intégrante du territoire japonais. Et une préfecture, ça n’aboie pas… L’absence d’incident ne signifie pas pour autant que cette censure soit d’une autre nature que les précédentes – mieux connues car ayant provoqué des réactions indignées de la par t de la Chine et des deux Corées – qui niaient le massacre de Nankin (décembre 1937) ou l’implication de l’Etat dans la réquisition des esclaves sexuelles durant la guerre du Pacifique. Elle participe de la même démarche révisionniste, initiée par les forces conservatrices du pays, qui, par petites touches, triturent l’Histoire, piétinent la mémoire et promeuvent une vision du monde axée sur la grandeur du Japon. Autant dire qu’aujourd’hui comme hier les Japonais se conduisent avec désinvolture vis-à-vis de ces îles du Sud, sur lesquelles ils ont exercé une domination coloniale, puis postcoloniale. En 2007, Okinawa est en effet tout à la fois un objet de consommation (sable fin, musique exotique, nourriture qui rime avec longévité) et un indispensable dépotoir (bases américaines). En 1945, les militaires l’ont sacrifiée pour assurer la défense de la métropole. A la boucherie que fut la bataille menée contre les Américains viennent s’ajouter des atrocités imposées par le régime impérial aux habitants – en particulier les suicides collectifs, les civils étant amenés à tuer leurs proches avant de se donner la mort. C’est cette vérité que tente d’occulter le ministère, vérité que Chris Marker a approchée au plus près dans son Level 5, film à voir et à revoir. chez votre marchand de journaux Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Mori seul changement notoire concerne un procès en diffamation intenté en 2005 par un ancien chef de garnison qui contestait le fait d’avoir donné l’ordre aux insulaires de se tuer. N’est-il pas exagéré de réécrire des passages dans des manuels d’histoire sur la base de ce seul changement ? Les auteurs des manuels n’ont jamais écrit que l’ensemble des suicides collectifs avait été imposé par l’armée. Ils se sont contentés de mentionner que cela s’était produit dans certains cas. Dans L’Histoire de la préfecture d’Okinawa ou L’Histoire du village de Takashiki, on peut lire plusieurs récits d’habitants qui ne laissent aucun doute sur l’implication de l’armée. Les militaires ont ainsi fourni aux insulaires des grenades pour se tuer. Le ministère mettrait-il ces témoignages Dessin de Vince paru dans La Libre Belgique, Bruxelles. Pourquoi tant de guerres de religion ? Un hors-série COURRIER INTERNATIONAL N° 858 32 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 A 858_pp33-34 10/04/07 17:03 Page 33 m oye n - o r i e n t ● IRAN Qui gouverne vraiment à Téhéran ? La libération des marins britanniques a démontré l’exacerbation des luttes de pouvoir au sein du régime iranien. Mais aussi la suprématie du guide suprême Ali Khamenei, estime Ha’Aretz. HA’ARETZ (extraits) ran. On estime à 150 000 le nombre de gardiens de la révolution, un Etat dans l’Etat. Ancien officier des pasdarans, le président Mahmoud Ahmadinejad a nommé de nombreux miliciens à des postes élevés de la bureaucratie centrale. Récemment, ce sont les gardiens qui ont arbitré un conflit entre le ministère de l’Intérieur et le Conseil de sécurité nationale, rappelant ainsi à l’armée que c’étaient les pasdarans, bien mieux payés et mieux équipés que les soldats, qui dirigeaient les affaires militaires. Tel-Aviv n million de nouveaux billets de 50 000 rials iraniens [4 euros] ont été imprimés en mars. La nouveauté, ce sont les motifs : d’un côté, le symbole nucléaire, de l’autre, le visage de l’ayatollah Khomeyni. Le message est clair : les sanctions internationales n’intimident pas l’Iran. Coïncidence, c’est le lendemain que les 15 marins britanniques ont été arrêtés par les gardiens de la révolution [pasdarans] dans les eaux du Chatt Al-Arab. Autre message : l’agenda iranien se décidera à Téhéran et pas dans les capitales occidentales. Deux semaines plus tard, en présentant la libération des soldats britanniques comme un geste de bonne volonté, les gardiens de la révolution démontrent à la fois leur capacité à entraîner le Moyen-Orient dans la confrontation avec l’Occident et le fait qu’un conflit armé, même de basse intensité, n’est pas si simple. La difficulté est de savoir qui décide à Téhéran et donc sur qui faire pression. A première vue, le guide spirituel Ali Khamenei est l’autorité suprême en Iran. Mais celui qui est en mesure de le contourner ou de le défier est le commandant des gardiens de la révolution,Yahia Rahim Safavi, qui, bien que considéré comme loyal, n’en est pas moins violemment opposé aux négociations menées avec l’UE sur le nucléaire iranien. De même, et contrairement à Khamenei, Safavi a été directement touché par les sanctions internationales décidées en décembre 2006. Son nom figure sur la liste des propriétaires de comptes gelés à l’étran- U KHAMENEI DISPOSE D’UNE RÉELLE MARGE DE MANŒUVRE ger et, le concernant, on parle de plusieurs dizaines de millions de dollars. L’origine de ces dépôts se trouve dans les activités économiques des gardiens, lesquels possèdent entre autres des concessions pétrolières d’une valeur de 7 milliards de dollars, que des sociétés étrangères exploitent moyennant finance. L’aéroport international Khomeyni est également géré par une société travaillant pour les pasdarans. Enfin, ils sont aussi les maîtres d’œuvre du métro de Téhé- Les liens puissants entre Ahmadinejad et les miliciens radicaux sont un sujet de préoccupation, pas seulement en Occident, mais aussi dans l’entourage du guide suprême de la révolution, Ali Khamenei.Tout simplement parce que la puissance militaro-économique est détenue par un Safavi aussi ambitieux que fanatique et que c’est le système politique de la République islamique tout entier qui doit mettre son poids dans la balance pour encourager les gardiens à accepter une sortie de crise douce. Et que dire lorsque la conduite de l’administration américaine offre des arguments à Safavi pour mettre dans sa poche une opinion iranienne tétanisée par le risque d’une attaque étrangère contre le pays. La crainte d’une attaque est telle qu’elle a créé des dissensions au sein des 290 membres du Majlis [Parlement]. Voici quelques mois, quelque 150 députés ont signé un manifeste demandant au président de se présenter devant le Parlement pour répondre à des interpellations sur les questions économiques et militaires. L’ayatollah Ali Khamenei. Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Quito. Dans le même temps, Hachemi Rafsandjani, ancien président de la République et président du Majlis, Mohammad Khatami, président de la République sortant, et le religieux révolutionnaire Hussein Ali Montazeri ont mis sur pied une “cellule de crise” censée modérer autant que faire se peut les dérapages verbaux du président. Il semble que même Khamenei ne soit pas particulièrement heureux du style politique imposé par Ahmadinejad et les gardiens de la révolution. La gestion par les pasdarans de l’affaire des marins britanniques a mis dans tous leurs états des responsables politiques iraniens, harcelés de rumeurs annonçant des bombardements anglo-américains ciblés, ces derniers suscitant une riposte iranienne. Une telle escalade est la dernière chose que souhaite Khamenei. En effet, il ne craint pas tant une confrontation militaire qu’une déflagration ethnique voyant les Azéris [nord-ouest], les Baloutches [sud-est] et les Arabes de la province d’Ahvaz [sud-ouest, frontière irakienne] devenir une “cinquième colonne”. La vague d’arrestations qui frappe les Azéris témoigne de cette crainte.Voilà sans doute la raison pour laquelle c’est la modération qui a fini par l’emporter. Il se peut donc que l’issue diplomatique de la crise des otages témoigne de ce que Khamenei dispose encore d’une réelle marge de manœuvre et d’une capacité à imposer des “lignes rouges”, même aux gardiens de la révolution, surtout quand on soupçonne Safavi de fomenter des troubles. Mais l’autre enseignement de la crise, c’est que, désireuse de retirer progressivement ses troupes d’Irak en 2008, la GrandeBretagne cherche tout sauf un conflit réel avec l’Iran. Tzvi Bare REVUE DE PRESSE La “bonne nouvelle” d’Ahmadinejad ■ C’est la plus grande réussite scientifique de l’histoire de la République islamique d’Iran”, se félicite le quotidien gouvernemental Iran, après l’annonce par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le lundi 9 avril, du passage au “stade industriel” de l’enrichissement de l’uranium, lors d’un discours prononcé dans le complexe nucléaire de Natanz. Les responsables iraniens ont affirmé vouloir installer jusqu’à 50 000 centrifugeuses dans cette usine. “Nous serons capables de produire le combustible nécessaire pour faire fonctionner nos centrales sans dépendre des pays étrangers, notamment de la Russie [qui a récemment annoncé des retards de livraison de combustible pour la centrale en construction de Bushehr]. Arriver au dernier stade du cycle nucléaire iranien nous permettra de ne plus subir la pression de certains pays occidentaux. Ceux-ci tiennent le Conseil de sécurité de l’ONU et ont fait voter deux résolutions contre nous [en décembre et en mars] pour des raisons uniquement politiques. Mais, malgré les dures sanctions économiques qui nous ont été imposées, nous avons pu accomplir cet exploit scientifique”, insiste le quotidien de Téhéran. Le site de la BBC en persan est beaucoup plus sceptique sur la por- tée des annonces grandiloquentes faites par le régime iranien. Il considère que celle du président peut être considérée “comme une opération de communication à l’attention de l’opinion intérieure, visant notamment à satisfaire ceux qui, en Iran, ont placé leurs espoirs dans la poursuite du programme nucléaire promis maintes fois par le gouvernement. En d’autres termes, l’annonce du passage de l’Iran à un enrichissement industriel de l’uranium peut très bien n’avoir qu’une fonction irano-iranienne sans que cela implique d’évolution substantielle du programme nucléaire. Ce serait un COURRIER INTERNATIONAL N° 858 33 signe supplémentaire démontrant que ceux qui contrôlent le pouvoir en Iran n’ont décidément toujours pas compris qu’à l’heure de la révolution des moyens de communication modernes, les questions internes sensibles ne peuvent plus être circonscrites à l’intérieur des frontières nationales.” Mardomsalari, journal proche des partis politiques réformateurs, commente avec ironie ce nouveau développement dans le dossier du nucléaire iranien. “Les affaires diplomatiques iraniennes ressemblent à une série télévisée. Après l’épisode des otages britanniques, voici celle de la nouvelle étape dans DU 12 AU 18 AVRIL 2007 l’enrichissement de l’uranium. Ce feuilleton est sans doute un peu trop complexe et le peuple ne comprend pas tout ce qu’il implique. Même les Iraniens qui suivaient avec intérêt l’évolution de l’affaire semblent perdre patience, affirme le journal iranien. Généralement, à la télévision iranienne, tout se finit toujours bien. L’épisode des marins britanniques s’est bien terminé. Mais le dossier nucléaire peut encore avoir des conséquences douloureuses pour les Iraniens. Les autorités ont annoncé lundi une bonne nouvelle, mais nous devons veiller à ce que cette aventure se termine aussi bien.” 858_pp33-34 10/04/07 14:58 Page 34 m oye n - o r i e n t ÉGYPTE La démocratie n’intéresse plus personne Libéré de la pression américaine, le président Moubarak a fait voter des amendements antidémocratiques, constate An-Nahar. Et l’opposition islamiste ne montre pas plus d’ouverture. AN-NAHAR (extraits) Beyrouth a récente modification de la Constitution par le président égyptien Hosni Moubarak, approuvée par un référendum à la crédibilité douteuse [26 mars], a réduit à néant les derniers espoirs d’une démocratisation graduelle et pacifique du pays. Le plus important des pays arabes continuera donc de bannir la démocratie et, avec lui, la région tout entière continuera d’obéir à la logique binaire consistant à choisir entre la tyrannie et le chaos. Les principaux points de cette réforme sont le droit donné au président de dissoudre l’Assemblée, l’interdiction de créer des partis fondés sur l’appartenance religieuse et la limitation des candidatures à l’élection présidentielle aux membres des partis politiques représentés au Parlement. De même, cette réforme constitutionnalise l’état d’urgence et la violation des libertés individuelles en autorisant le jugement de civils devant des cours militaires. Finalement, elle réduit le rôle des juges en tant qu’observateurs des élections, simplement en prévoyant que les élections se tiennent le même jour dans toutes les régions, et non plus à trois dates successives. Comme les juges ne sont pas assez nombreux pour être présents dans tous les bureaux de vote sur l’ensemble du territoire, le régime a décidé de leur adjoindre des fonctionnaires de la haute administration, qui lui est acquise [les juges ont rejeté les résultats du référendum]. En 2005, le régime avait essayé de faire croire qu’il voulait vraiment aller de l’avant dans les réformes démocratiques. Hosni Moubarak avait com- L “Tu utilises beaucoup le mot ‘démocratie’, comme ça on ne remarque pas trop que tu es fasciste.” Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid. ■ Violations En Egypte, la guerre contre le terrorisme ainsi que l’état d’urgence, qui perdure depuis des décennies, continuent de porter de graves atteintes aux droits de l’homme, écrit Amnesty International dans un rapport publié cette semaine. Pour cette organisation, les derniers amendements de la Constitution égyptienne risquent de normaliser les arrestations arbitraires, la torture et les procès inéquitables mencé son cinquième mandat par un discours qui répondait aux pressions extérieures et intérieures en promettant de consacrer les années à venir à de véritables réformes. Auparavant, il avait adopté le principe d’une élection présidentielle pluraliste. Mais il n’avait pas fallu attendre longtemps pour se rendre compte du contenu réel de ces réformes. Ayman Nour, du parti Ghad [opposition laïque], qui s’était permis de concourir aux élections, ne fût-ce que pour la forme, est aujourd’hui en prison. Et, pendant que le fils du président, Gamal Moubarak, poursuit son ascension au sein du Parti national démocratique (PND) au pouvoir, les partis d’opposition, progressistes ou islamistes, sont soumis à des restrictions croissantes, et leurs militants emprisonnés. Cette trahison des promesses démocratiques intervient dans un contexte régional et international qui n’est plus du tout celui des lendemains du 11 septembre 2001. A l’époque, après avoir constaté que la quasi-totalité des pirates de l’air étaient ressortissants des deux principaux pays arabes alliés des Américains, à savoir l’Arabie Saoudite et l’Egypte, l’administration Bush avait pensé qu’il fallait rompre avec la doctrine de la stabilité à tout prix et promouvoir de véritables réformes politiques afin de donner de l’oxygène à une population exaspérée et ainsi amortir les ressentiments antiaméricains qui s’y étaient accumulés. Or les illusions démocratiques se sont évanouies depuis. Car les Américains sont embourbés jusqu’au cou en Irak, et effrayés par la perspective de victoires électorales islamistes, comme celle du Hamas en Palestine. Le régime égyptien n’a donc plus rien à craindre des pressions de son allié américain, et les officiels égyptiens se sont même enhardis à répondre vertement aux Américains quand ceux-ci osent faire quelques prudentes remarques. Ainsi, lorsque Condoleezza Rice en visite au Caire a exprimé une certaine déception devant la tournure des réformes démocratiques, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Ahmed Aboul Gheit, a claironné que “l’Egypte ne pouvait accepter aucune ingérence dans ses affaires intérieures de la part d’aucun de ses amis”. Dans le camp de l’opposition, les Frères musulmans égyptiens [qui avaient publiquement renoncé au recours à la violence] ont commis ces derniers temps un certain nombre de grossières erreurs. Afin de renforcer leur popularité à peu de frais, huit de leurs députés se sont amusés à attaquer le ministre de la Culture au sujet du voile. [Celui-ci avait déclaré que l’extension du port du voile en Egypte était un recul regrettable.] De même, ses représentants parmi les étudiants se sont laissés aller à rouler des mécaniques en organisant des défilés quasi militaires sur les campus. Certains de ses dirigeants ont également souhaité occuper seuls le rôle de l’opposition et marginaliser tous les autres partis. Ils auraient mieux fait d’engager leurs forces dans la bataille pour la démocratie et contre la succession dynastique entre Moubarak père et fils. Ils auraient mieux fait de rassurer les autres courants politiques afin de se faire accepter par eux en tant qu’organisation respectueuse des règles démocratiques et du pluralisme. Mohamed Ali Al-Attassi MINORITÉS La grave erreur du patriarche Chenouda Soucieuse de contrecarrer la poussée islamiste, l’Eglise copte a choisi de soutenir le régime autoritaire de Moubarak. Ce faisant, souligne l’écrivain égyptien Alaa Al-Aswani, elle se marginalise un peu plus. n dépit des pressions, de la répr ession sauvage et de multiples arrestations, le régime égyptien a échoué, pour la première fois, à mobiliser suffisamment de monde pour donner une apparence de respectabilité à son pseudoréférendum [constitutionnel, le 26 mars]. Selon les observateurs, le taux de par ticipation n’a pas dépassé les 3 %. Les images de bureaux de vote désespérément vides démentaient de façon flagrante les affirmations du président E Hosni Moubarak sur le consensus populaire. Les Egyptiens ont administré une claque retentissante à leur régime corrompu et tyrannique. Il faut se féliciter de la dignité retrouvée de millions de citoyens, l’attitude de certains dirigeants religieux n’en est que plus déplorable. Ainsi, le directeur de l’université religieuse Al-Azhar a déclaré que le boycott du référendum serait un péché assimilable à un refus de prononcer la profession de foi musulmane. Aucun argument, ni religieux ni rationnel, ne peut justifier de tels propos. Si le référendum est truqué, s’il ser t à consolider la tyrannie, à justifier la répression, et à introniser Moubarak fils comme successeur de son père, comme si l’Egypte était un poulailler, n’a-t-on pas le droit de le boycotter ? Le directeur d’AlAzhar parle-t-il au nom de l’islam ou bien au nom du Parti national démocratique (PND) au pouvoir ? Et, lorsque le patriarche copte Chenouda III a appelé à soutenir la réforme constitutionnelle, notre déception a été à la hauteur de l’estime que nous lui por tions. Comment un homme aussi respectable que lui peut-il apporter son concours à ce référendum ? Pense-t-il que la consolidation du régime en place empêchera l’arrivée au pouvoir des extrémistes [islamistes] ? Non seulement ce calcul est faux, mais il est dangereux. Car l’extrémisme est le produit de la tyrannie et on ne peut en venir à bout qu’à condition d’accorder des libertés. Cette attitude enferme les coptes dans une logique de minorité COURRIER INTERNATIONAL N° 858 34 confessionnelle qui défend ses propres intérêts, quitte à le faire au détriment des intérêts de l’ensemble de la population. Je pense que personne ne contestera le fait que les coptes ont des revendications légitimes à faire valoir. Mais, à partir de ce constat, il n’y a que deux moyens d’agir. Le premier consiste à fonctionner en tant que minorité confessionnelle qui cherche à obtenir des avantages en contrepar tie d’une attitude accommodante face au régime. C’est malheureusement dans ce sens que vont les dernières prises de position de Chenouda. Le second consiste à ne pas se mettre en marge de la communauté nationale, mais à s’inscrire dans la lutte nationale en faveur de la démocratie. C’est l’attitude qui DU 12 AU 18 AVRIL 2007 correspondrait à la grandeur historique de l’Eglise copte. En 1919, quand le leader copte Boutros Ghali avait obtempéré aux souhaits de la puissance mandataire anglaise et accepté le poste de Premier ministre, au moment même où le leader indépendantiste Saad Zaghloul avait été condamné à l’exil, l’Eglise copte s’était dissociée de Ghali et avait affirmé que tous les coptes, au même titre que les musulmans, étaient solidaires de Zaghloul. Et un religieux copte, Al-Qumus Sergius, avait lancé dans la mosquée Al-Azhar : “Si les Anglais justifient leur occupation par la nécessité de protéger les coptes, alors, que les coptes meurent et que les musulmans vivent et soient libres !” Alaa Al-Aswani, Al-Arabi (extraits), Le Caire Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858 p.36 10/04/07 16:38 Page 36 afrique ● ZIMBABWE Tortures, viols et emprisonnements pour les opposants Un membre des escadrons de la mort du président Mugabe est parvenu à s’enfuir en Namibie. Il témoigne des atrocités que le régime l’a forcé à commettre. MAIL & GUARDIAN (extraits) de la marijuana. Ses collègues et lui se sont alors mis à frapper les pieds du prisonnier jusqu’à ce qu’ils noircissent et que la victime défèque avant de s’évanouir. Gweru pleurait encore en racontant comment le deuxième homme avait été torturé au moyen d’un système électronique qui ressemblait à un “vieil amplificateur”. Puis le détenu s’est lui aussi vidé, et s’est évanoui. Des mois plus tard, le groupe a été emmené dans la région de Goromonzi, dans une ferme gardée par la Force de défense zimbabwéenne. Là, ses membres sont descendus dans un sous-sol où se trouvaient environ vingt personnes enchaînées, toutes portant des marques de terribles tortures. Ces gens, leur a-t-on dit, étaient également des “prisonniers politiques” qui avaient tenté d’assassiner le président Robert Mugabe. Quelques-uns n’avaient qu’entre 18 et 22 ans. Johannesburg n étroite collaboration avec la division du contre-espionnage de la Central Intelligence Organisation (CIO), la Zanu-PF [Zimbabwe African National Union, Patriotic Front, le parti du président Robert Mugabe] a mis en place des escadrons de la mort composés de membres du programme de formation du Service national de la jeunesse. Les escadrons incendient le domicile des opposants à coups de cocktails Molotov, commettent des actes de sabotage et torturent les adversaires du régime du président Robert Mugabe. C’est ce que vient de révéler un ancien membre de ces groupes. John Gweru (un pseudonyme) est âgé de 22 ans. C’est par désespoir qu’il a rejoint les rangs du Service national de la jeunesse à la fin de l’année 2005. Il dévoile, avec une précision crue et souvent insupportable, l’existence de prisons et camps de torture secrets, de viols systématiques au camp d’entraînement de Bindura Farm, et de centres de détention clandestins dans tout le pays. Ne supportant plus “son travail”, Gweru a fui le Zimbabwe au début de l’année et a fini par atteindre la Namibie, où il s’est réfugié, avec d’autres Zimbabwéens. Mais, à la fin du mois de mars, il s’est aperçu qu’un homme le suivait et le photographiait. Il a alors reconnu son ancien officier traitant du CIO. Puis il a compris que ses jours étaient en danger quand quelqu’un est entré par effraction dans sa hutte et a dérobé une sacoche contenant des preuves des activités d’espionnage du CIO à l’encontre d’ambassadeurs occidentaux et de ministres zimbabwéens. Gweru avait récupéré ces documents dans la demeure de Didymus Mutasa, ministre du Territoire et de la Sécurité, parce qu’il souhaitait disposer de preuves des activités du service de renseignements. Ils comportaient, affirme-t-il, des rapports de surveillance du site du British Council et de l’ambassade américaine à Harare [capitale du Zimbabwe]. Il a alors contacté le Mail & Guardian pour raconter son histoire. “Si je meurs, je veux que les gens sachent pourquoi”, déclare calmement cet ancien green bomber (surnom des volontaires du Service national de la jeunesse). Tout au long de leur entraînement, qui englobait l’endoctrinement politique, le maniement d’armes, les arts martiaux et les techniques de torture, on ne cessait de rappeler aux membres des escadrons qu’ils devaient soutenir la campagne présidentielle d’Emmerson Mnangagwa, non celle du viceprésident Joyce Mujuru, considéré comme peu fiable par le CIO. E LES FEMMES UTILISÉES COMME ESCLAVES SEXUELLES Dessin d’Eko paru dans Letras Libres, Mexico. ■ L’Eglise s’engage La Conférence des évêques catholiques du Zimbabwe s’est élevée, le 9 avril, contre le président Robert Mugabe, l’accusant de diriger un Etat corrompu, et a réclamé des réformes politiques radicales. Durant les six mois qu’a duré sa formation, au cours de laquelle il s’est également vu confier des “affectations techniques” qui consistaient entre autres à monter la garde et à espionner les demeures de certains ministres à Harare, Gweru a été impliqué dans le sabotage de la voie ferrée reliant Harare à Bulawayo. Il a pris part à des attaques au cocktail Molotov contre certains bureaux et domiciles et à la dispersion d’une manifestation du Mouvement pour le changement démocratique [MDC, le principal mouvement d’opposition]. Pendant cette dernière, l’opposant Trudi Stevenson a eu un bras cassé. Chacune de ces “affectations” était considérée dans les faits comme une mise à l’épreuve de la loyauté et de la fiabilité du groupe. Elles étaient de plus en plus violentes. PRISONS SECRÈTES POUR LES DÉTENUS POLITIQUES Selon des défenseurs namibiens des droits de l’homme qui ont écouté le témoignage de Gweru, les détails qu’il a fournis sont confirmés par les rapports dont ils disposent, qui font état de tortures, de violences et de l’existence de prisons secrètes au Zimbabwe. Gweru, qui a quitté la Namibie pour une destination inconnue quelque part en Europe avec l’aide d’activistes namibiens, craint toujours pour sa vie et pour ses proches restés au pays. Au COURRIER INTERNATIONAL N° 858 36 fil de leur formation, les membres du Service national de la jeunesse ont pris conscience du sort terrible qui menaçait quiconque tenterait de quitter l’organisation. Gweru affirme avoir vu plusieurs prisons secrètes où étaient enfermés ceux qui avaient défié le régime de Mugabe. Lors de leur première visite au quartier général de la Zanu-PF à Harare, vers le milieu de l’an dernier, un certain Tawanda les a emmenés jusqu’à la section B2, un ancien parking situé sous le bâtiment. Là, à l’aide d’une télécommande, Tawanda a ouvert une porte dissimulée donnant sur les cellules. Parmi les prisonniers se trouvaient deux Blancs. L’un d’entre eux a expliqué à Gweru qu’il avait été enlevé et accusé d’être un espion de la CIA. Plus tard, Tawanda a affirmé au groupe que toutes les personnes présentes là-bas étaient des “prisonniers politiques”. On leur a assuré qu’il s’agissait de prisonniers à long terme “qui ne manque[raient] à personne” et sur lesquels ils devaient tester les techniques de torture qu’ils avaient apprises “électroniquement, au hasard, en tapant où ça fait mal”. Quand le premier prisonnier a été menotté à une table spéciale, on leur a ordonné de le frapper sur la plante des pieds. Estimant qu’il ne faisait pas preuve de suffisamment d’enthousiasme à son goût, l’instructeur de Gweru l’a battu avec une matraque en caoutchouc, puis lui a donné du gin et DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Dès le début de sa formation, on a fait comprendre à Gweru qu’une fois entré dans le système du Service national de la jeunesse, on ne pouvait pas en sortir. Un jour, il a été obligé, avec quatre de ses amis, de violer à plusieurs une jeune volontaire en guise de “punition” pour avoir passé un coup de téléphone sans autorisation. C’est là que, avec son ami Gideon, il a décidé de s’enfuir. Les volontaires féminines, qui étaient entre 50 et 60 sur les 250 jeunes de Bindura Farm, étaient régulièrement violées. Certains des jeunes hommes se vantaient de s’être “fait” telle ou telle fille, et beaucoup, selon Gweru, arboraient des morsures sur les épaules. La nuit, il entendait des cris montant des dortoirs voisins, réservés aux filles, et leurs instructeurs avaient coutume d’utiliser les femmes comme des esclaves sexuelles. Personne n’avait le droit de sortir. Quand Gideon et lui ont été pris alors qu’ils tentaient de s’échapper, on les a enfermés. Le lendemain, ils ont été fouettés en public. Comme leur bourreau l’avait pris en affection, Gweru n’a pas été battu trop sévèrement. En outre, il avait affirmé à ses instructeurs qu’il avait juste cherché à faire un tour dehors, mais qu’il avait eu l’intention de rentrer avant le réveil de 5 heures. Son ami Gideon, lui, a résisté : il en avait assez d’être “traité comme un chien” et a répété qu’il voulait s’en aller. Ivres, les instructeurs ont frappé Gideon si sauvagement que certaines des femmes qui étaient contraintes d’assister à la scène se sont mises à pleurer. Le surlendemain, quand il a été relâché, Gweru a appris que Gideon était mort des suites de ses blessures. Le cuisinier, qui lui apportait du chou froid, lui alors asséné : “Que ça te serve de leçon.” John Grobler Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 858 p38 10/04/07 16:51 Page 38 afrique SIERRA LEONE AFRIQUE DU SUD Les forçats du diamant sont éternels Transformer les collégiens en policiers Longtemps l’industrie du diamant a financé la guerre civile en Sierra Leone. Aujourd’hui, les conflits ont cessé, mais l’exploitation des mineurs reste féroce. THE NEW YORK TIMES New York ichée dans sa paume calleuse, la pierre au reflet jaune était presque invisible, même au clair de lune. C’était la première que Tambaki Kamanda avait trouvée depuis des jours et il pensait en retirer un peu plus de 1 dollar. Cela ne valait vraiment pas la peine, compte tenu du nombre de journées qu’il avait passées accroupi dans la boue à creuser le sol, laver le gravier et le trier. Mais les travaux de la terre ne lui rapportaient pas assez pour nourrir ses deux femmes et ses cinq enfants. Et il n’avait pas pu se faire embaucher comme maçon. “Je n’ai pas le choix”, explique Tambaki, enfoncé dans l’eau boueuse de la mine de Bondobush, où il travaille tous les jours. “C’est vraiment mon seul espoir.” L’extraction de diamants n’est plus l’industrie sanglante rendue célèbre par une guerre civile de dix ans dans laquelle ces pierres précieuses ont joué un rôle central. Grâce au système international de surveillance mis en place après la guerre, l’exploitation des diamants n’a pas entraîné d’autres conflits ni financé de réseaux terroristes. Mais elle n’en demeure pas moins une sinistre activité, qui rapporte bien trop peu de revenus à l’Etat pour reconstruire un pays dévasté et qui se nourrit du désespoir d’un des peuples les plus pauvres du monde. “On cherche davantage à assainir l’industrie du côté du marché que du côté de l’offre”, indique John Kanu, conseiller du Programme de gestion de l’industrie du diamant, qui vise à améliorer l’usage de ses revenus. “C’est pour que les gens puissent acheter une bague en se disant que l’ère des ‘diamants du sang’ est révolue et que leur épouse comme leur conscience peuvent être tranquilles. Mais cela ne signifie pas qu’il y ait plus de justice.” Souvent, les étrangers propriétaires de concessions minières mis au pilori ont été remplacés par des notables locaux, qui ont assuré leur mainmise sur l’industrie. Les principaux perdants sont les mineurs, qui travaillent gratuitement ou presque en espérant faire fortune, mais qui sont pris dans un réseau de relations semi-féodales rendant cette éventualité quasi impossible. La grande majorité des diamants du pays étant contenus dans les alluvions près de la surface, il suffit de posséder une pelle, un seau et un tamis pour se lancer dans cette activité. Dans ce pays où les emplois réguliers sont rares, on recense, selon les chiffres officiels, plus de 150 000 chercheurs de diamants. Comme tous ses semblables, Charles Kabia, 25 ans, travaille dans les mines depuis que des rebelles l’y N ont contraint à l’adolescence. Il ne trouve pas souvent de diamants. Sa dernière découverte – une pierre d’un demi-carat – remonte à deux mois, et il l’a vendue 65 dollars, somme qu’il a dû partager avec ses trois partenaires. “Après tant d’années passées dans les mines, je n’ai même pas pu me payer un vélo”, dit-il, les mains tremblantes. “Ça ne m’a rien rapporté.” Le combat mené pour réformer l’industrie du diamant est emblématique des difficultés que ce pays, petit et pauvre, rencontre dans ses tentatives de reconstruction. Des Etats comme le Botswana, où les diamants sont enterrés à de grandes profondeurs, ont fait de leurs gisements une formidable source de richesse grâce à une gestion et à un contrôle rigoureux. Mais, en Sierra Leone, les gise- ments se trouvent dans les rivières, souvent à quelques centimètres de la surface, et ils sont difficiles à gérer. Cette industrie en pleine expansion compte 2 500 petites exploitations. A la différence du pétrole, du minerai de fer et même de l’or, les diamants sont si faciles à transporter que, lorsque les réglementations deviennent trop lourdes et les taxes trop élevées, les mineurs, comme les exportateurs, ont recours à la contrebande. En 2005, la Sierra Leone a officiellement exporté 141 millions de dollars en diamants, ce qui représente un net progrès par rapport aux 24 millions de dollars enregistrés en 2001, année où le processus de Kimberley est venu réglementer les ventes de diamants en exigeant qu’elles soient certifiées par les autorités. Avant cette date, la plupart des diamants étaient sortis du pays en contrebande et échangés contre des armes. Mais, aujourd’hui encore, les redevances versées à l’Etat demeurent modestes : 3 % des ventes, soit 3,7 millions de dollars en 2006. Même avec les droits sur les concessions, le montant est loin d’être suf- fisant pour reconstruire un pays comptant 6 millions d’habitants. Selon Kamara, le directeur adjoint du Bureau des mines, les nouvelles lois, qui exigent que les négociants, les propriétaires des mines et les exportateurs détiennent une licence, ont débarrassé le pays des opérateurs véreux, des trafiquants et des circuits de blanchiment d’argent. Elles fixent des niveaux minimaux de salaire et d’avantages pour les mineurs, même s’ils sont rarement respectés, au dire des experts. LES CHERCHEURS DE DIAMANTS REÇOIVENT 1 DOLLAR PAR JOUR Dessin de Pawel Galka paru dans Rzeczpospolita, Varsovie. ■ Une décennie de guerre La guerre en Sierra Leone a duré une dizaine d’années : elle a fait plus de 50 000 morts et s’est achevée en 2002. Elle avait été déclenchée par des rebelles qui avaient souhaité prendre le contrôle des mines de diamant. Ces derniers étaient soutenus par Charles Taylor, qui dirigeait à l’époque le Liberia. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 38 Avec ses centaines de chercheurs qui tamisent des tonnes de gravier, la mine de Bondobush offre un exemple de la sinistre routine de l’extraction des diamants. La carrière est divisée en plusieurs zones de 200 mètres carrés qui sont chacune contrôlées par le détenteur d’une licence. La loi veut que ce dernier soit de nationalité sierra-léonaise mais, dans la pratique, il s’agit souvent d’un prête-nom qui travaille pour le compte d’un commanditaire étranger. En outre, bien que la loi exige que ces mines soient sous contrôle local, les conditions de travail ne s’y sont guère améliorées. Celle où travaille Kabia est dirigée par Paul Saquee. Cet ancien chauffeur de camions de 46 ans a passé les vingt dernières années aux Etats-Unis, dont les dernières dans la région d’Atlanta. Son frère, Prince, est président de l’association locale des négociants de diamants, le premier Sierra-Léonais à exercer une telle fonction. Paul Saquee emploie deux types de chercheurs de diamants. Certains reçoivent l’équivalent de 1 dollar par jour et 30 % de la valeur des pierres qu’ils trouvent. Ils remettent leur butin à un autre frère du chef, Tamba, son bras droit, qui les surveille d’un œil de lynx. D’autres chercheurs, comme Kabia, travaillent pour un pourcentage du gravier qu’ils extraient et possèdent toutes les pierres qu’ils trouvent. En théorie, ils peuvent gagner beaucoup d’argent, mais ils se font arnaquer par les négociants. Prince Saquee, qui revend les diamants de son frère, finance plusieurs mines et ne peut imaginer écouler ses pierres auprès d’un seul négociant. “Si vous travaillez pour un exportateur,ce sera lui qui dictera les prix, dit-il. Pour moi, c’est de l’esclavage déguisé.” Mais il n’a aucun scrupule à imposer cette règle à ceux qui sont au-dessous de lui dans la chaîne de production. Les chercheurs de diamants, comme les propriétaires des mines qu’il finance, doivent lui vendre toutes leurs pierres. “Pour les chercheurs, ce n’est pas la même chose, assure-t-il. Ils sont tributaires de nous. Ils ne connaissent pas la valeur des pierres et, en tant que négociants, c’est à nous de la fixer.” Lydia Polgreen DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Pour faire face à la criminalité, le ministère de l’Intérieur mobilise les plus jeunes. es jeunes vont s’impliquer davantage dans la lutte contre la criminalité en devenant apprentis policiers, a souhaité le ministère de l’Intérieur sud-africain. “Chaque citoyen doit considérer le métier de policier comme le sien. La lutte contre la criminalité devrait être une priorité pour tous”, a affirmé son porte-parole, Nosisa Sogayise. Le commissariat de Schoemansdal, près de Nelspruit, à Mpumalanga, a nommé son premier apprenti commissaire de police le 17 mars dernier. Samson Zitha, du lycée de Tintlontla, un élève de 16 ans, a été choisi parce qu’il “bouillonne d’idées formidables”, a déclaré le lieutenant Thulani Mnizi, l’un des responsables du projet au commissariat de police de Schoemansdal. Chaque établissement scolaire situé dans le secteur du commissariat s’est vu désigner un “apprenti policier” – de 16 ans dans les lycées, de 12 ans dans les collèges. “Les jeunes sont les premières victimes de la délinquance, de la drogue et des armes à l’école : c’est pour cette raison que nous avons mis en place ce projet.” Les élèves viennent d’être sélectionnés et vont suivre une formation : ils partiront camper dans quelques semaines avec les policiers de leur commissariat. “Les réactions sont formidables, tout le monde veut participer”, poursuit le lieutenant Mnizi. Le jeune Zitha fera régulièrement son rapport au commissaire de police sur la sécurité dans son établissement. Il participera au forum de la lutte contre la criminalité, ainsi qu’à des rencontres avec des jeunes. Sa présence permettra à la police de mieux comprendre les jeunes et peut-être de redorer son blason auprès d’eux. “L’apprenti commissaire aidera la police dans la lutte contre la criminalité et fera de la prévention auprès des jeunes. Sa priorité sera de rapporter les délits dont il pourrait être témoin”, explique Mme Sogayise. Ces apprentis policiers seront chargés de faire appliquer des programmes sur la sécurité dans leurs établissements et seront “en première ligne” en matière de lutte contre la criminalité, surtout quand leurs camarades en seront les victimes. Pour le ministère de l’Intérieur, ce projet présente de nombreux avantages : il devrait décourager la délinquance chez les jeunes, créer un lien entre les établissements scolaires et les forces de l’ordre, et également pousser les élèves à envisager une carrière dans la police. “L’objectif est de créer une police sud-africaine dévouée qui formera au mieux les policiers de demain” conclut Mme Sogayise. News 24.com, Johannesburg L Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ *858 p40-41 SA 10/04/07 12:30 Page 40 p o r t ra i t Tokio Hotel Quatre garçons dans le ventilo STERN Hambourg Il est tard. La nuit est tombée depuis longtemps sur Moscou. Et les idoles d’une certaine jeunesse récupèrent dans le restaurant The Park. Des bouquets de lys blancs trônent sur les tables. Quatre fourchettes, quatre couteaux et trois cuillères encadrent chaque assiette. Bill Kaulitz, un garçon dégingandé de 17 ans, est assis tout au fond de la salle à une longue table couverte de bougies blanches. Ses yeux noircis au khôl prennent des dimensions fabuleuses, ses cheveux noirs crêpés forment des piques pointues. Son frère jumeau Tom est assis à côté de lui, une casquette de base-ball rouge enfoncée sur la tête. Des dreadlocks blondes tombent sur ses fines épaules comme des serpents. Assis en face, Georg Listing, 19 ans, ne cesse de replacer sa crinière fine derrière ses oreilles. Enfin, à côté, Gustav Schäfer, 18 ans, un blond robuste, martèle nerveusement la table avec les couverts. Deux serveurs du restaurant s’évertuent à ne pas regarder dans leur direction, en vain. Ils ne cessent de chuchoter en étouffant des ricanements. Ils ne savent pas que les quatre clients vautrés sur leurs chaises, las, sont les plus grandes stars actuelles de l’Allemagne. S’ils avaient des filles, ils les reconnaîtraient peut-être. A Berlin, mais aussi à Moscou et à Paris, les jeunes âgées de 6 à 13 ans sont folles de Tokio Hotel. Depuis le petit matin, dans l’air glacial de Moscou, quelque 300 adolescents russes sont postés devant l’hôtel. Ils s’égosillent à en devenir tout rouges : “Biiill !”,“Tooom !”, “Gustav !” et “Geooorg !” En 2006, leur premier album, Schrei [cri], s’est hissé à la 19e place du Top 50 français. Et, aujourd’hui, le groupe a même vendu 50 000 CD dans l’Hexagone. Quatre garçons originaires d’Allemagne de l’Est font un tabac en France, le pays de la chanson à texte, avec un album entièrement en allemand : qui eût cru cela possible ? Au total,Tokio Hotel a vendu plus de 1,5 million de disques. Même si d’autres groupes en vendent à peu près autant, son succès est hors norme. Car, aujourd’hui, ce n’est plus la vente de CD qui rapporte, mais les recettes des concerts et, sur ce plan,Tokio Hotel défie toute concurrence. Auparavant, une tournée, c’était une campagne destinée à vendre un album. A présent, à l’ère de la musique gratuite sur Internet et des copies pirates, c’est l’inverse : sortir un album, c’est un prétexte pour se lancer dans une nouvelle tournée. Et, lors de la dernière tournée, Tokio Hotel a vendu 350 000 places au prix moyen de 24 euros. “Dans toute l’histoire de notre maison de disques, c’est la première fois qu’une tournée connaît un tel succès”, s’enthousiasme Alex Richter, de Four Artists, la société chargée de l’organisation des concerts. Il y a deux ans, lorsque le groupe s’est lancé sur le marché, ses membres avaient entre 15 et 18 ans, l’idéal pour séduire le groupe cible des filles âgées de 6 à 13 ans, qui, depuis un certain temps déjà, exer- cent une influence considérable sur les ventes de disques et de places de concert. Sur le plan économique, ces préados sont particulièrement intéressants puisqu’ils gardent une grande ouverture et ne se sont pas encore scindés en fonction de leurs préférences pour le rock, le hip-hop, le reggae, la pop ou la techno. Qui plus est, le groupe s’accorde parfaitement aux différentes tendances actuelles. Le nom Tokio Hotel et le look du chanteur évoquent les mangas japonais ; les dreadlocks et le style vestimentaire de Tom, le guitariste, s’inspirent de la mode de rue américaine ; Georg, le bassiste, avec sa raie sur le côté, rappelle pour sa part les groupes de britpop dont il raffole ; enfin, Gustav, le batteur, est le membre le plus terre-à-terre du groupe : pas de gadgets ni de chichis. Leur musique : du rock allemand. Ce sont avant tout les refrains qui séduisent les ■ Dates fans, des refrains entraînants 2001 Quatre garçons comme les chansons que les sup- de Magdebourg porters entonnent dans les stades fondent le groupe de rock Devellish, de foot. La plupart de leurs morqui deviendra plus ceaux sont construits à la manière tard Tokio Hotel. de tremblements de terre. Ils com- 2005 Soutenu mencent en douceur, comme une par Universal, balade. Bill Kaulitz chante de sa leur premier disque, voix claire et triste, tandis que les Schrei [Crie], guitares électriques grondent dou- sort en Allemagne. cement, puis se déchaînent quand 2007 Sortie arrive le refrain. Du Nirvana pour de leur deuxième jeunes ados. La bande-son de la album, Zimmer 483 [Chambre 483]. puberté. Une niche commerciale. En concert à guichets Tokio Hotel marque peut-être fermés le 17 avril la fin de la pop enfantine innocente au Zénith de Paris et guillerette. Les réformes écono- et le 18 avril au miques, le chômage, la violence à Zénith de Nantes. l’école, l’extrême droite, la dissolu- Le 28 mai, Tokio tion des familles, tout cela fait par- Hotel part à l’assaut tie du quotidien de cette génération du marché angloqui ne connaît l’insouciance des saxon avec Scream années de prospérité que par ouï- [Crie], un album hybride qui regroupe dire. Dans le morceau Gegen mei- 12 titres tirés nen Willen [contre mon gré], le du premier et divorce d’un couple est raconté du du deuxième album point de vue de l’enfant : “Vous ne et réenregistrés vous regardez même plus/Et vous en anglais. croyez que je ne le remarque pas.” C’est avec ce genre de textes que les fans s’identifient. “Nous ne pouvons écrire que sur les choses qui nous touchent, tout le reste serait une imposture”, déclare Bill. Et, sur ce point, il s’y connaît, ses parents se sont séparés quand il était encore enfant. En écoutant Bill Kaulitz parler musique, spectacles et écriture, on a du mal à croire qu’il a laissé tomber l’école. C’est une star. Et c’est avant tout à lui que Tokio Hotel doit son fabuleux succès. Tout a commencé en 2003. Après avoir vu le garçon, alors âgé de 13 ans, dans le show Star Search de la chaîne de télévision Sat 1, le producteur Peter Hoffmann va assister à un concert du groupe dans un petit club de Magdebourg. A l’époque déjà, Bill était maquillé comme une sorte de créature hybride entre le vampire et l’elfe. “C’est peut-être à cause de David COURRIER INTERNATIONAL N° 858 40 Bowie : je ne sais pas combien de fois j’ai regardé son film de science-fiction Labyrinthe, je le trouve génial.” Bowie y incarnait le roi des gobelins avec une sorte de crinière. Lorsqu’il a choisi de s’en inspirer, Bill avait 11 ans. Le groupe était déjà formé, mais il s’appelait Devilish [en anglais, “diabolique”] et faisait du rock assez conventionnel. Mais tous les ingrédients étaient réunis, estime M. Hoffmann, qui les a aidés à se lancer. Devilish est alors devenu Tokio Hotel. Les garçons ont trouvé que ça sonnait bien et, en plus, ajoute Bill, “ça doit être une ville géniale, même si on n’y est jamais allés”. Pour Alex Gernandt, de la rédaction de Bravo [magazine allemand destiné aux adolescents], la particularité de Tokio Hotel, c’est la “fascination” et l’“image de folie” qu’il véhicule. C’est ainsi que Bravo a décidé de soutenir le groupe corps et âme. Et, avec ce magazine comme parrain, rien ne pouvait mal tourner. Bien sûr, ce soutien à Tokio Hotel a aussi de solides raisons commerciales. Aucun autre magazine que Bravo n’est à ce point dépendant de la découverte de stars pour adolescents. Avec quelques titres dédiés à Tokio Hotel, ses tirages ont augmenté de 12,2 % au premier trimestre de 2006. Dans les mois à venir, le magazine se concentrera sur la carrière mondiale du groupe. Pourtant, lorsqu’on interroge les garçons à propos de ces projets internationaux, ils deviennent laconiques, presque timides. “Nous ne voulons pas crier victoire”, reconnaît Georg. Ont-ils peur de faire un bide ? “Non, on n’a vraiment rien à perdre. On a déjà obtenu beaucoup plus que ce qu’on pouvait espérer”, assure Bill. C’est vrai.Toutes les grandes figures du rock allemand comme Westernhagen, Grönemeyer ou Maffay ont joué pendant des années dans les petites salles.Tokio Hotel, en revanche, a fait une entrée tonitruante, attirant 18 000 personnes dans les stades. D’une certaine façon, le succès de Tokio Hotel contredit le vieux principe de l’industrie de la musique qui veut qu’on puisse faire une star de n’importe quel type moyen du moment qu’on met en branle toute la machinerie. Ce groupe de gamins de Magdebourg était au départ un diamant brut, il n’y avait plus qu’à le trouver et à le tailler. Cela suffira-t-il pour que Tokio Hotel fasse une carrière internationale ? On verra bien. Si les jeunes Américains connaissent déjà le groupe, c’est grâce à une méthode simple mais efficace qui consiste à mettre quelques nouveautés sur la Toile, quelques photos et quelques clips, et la célébrité se fait toute seule. Les magazines comme Bravo et les télévisions allemandes n’auraient jamais réussi à toucher un public étranger aussi rapidement que les sites communautaires MySpace et YouTube. Les fans, qui sont des adeptes chevronnés du web 2.0, qui utilisent la Toile comme un moyen de communication interactif, favorisent avant tout les stars qui ont l’air authentiques, qui ont l’air de sortir directement de leurs rangs. Et c’est exactement ce que font ces quatre jeunes originaires de la province allemande. Ils ont le bon look, le bon son. Tout ce qu’il leur faut, maintenant, c’est encore une dose de chance. DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Hannes Ross et Andrea Ritter *858 p40-41 SA 10/04/07 12:31 Page 41 DR ● Photos de Frank Peterschroeder/Bilderberg/Studio X ■ Gustav, Bill, Tom et Georg posent pour la presse. ■ A Bonn, une foule majoritairement composée de jeunes filles attend leur entrée en scène avec une impatience non dissimulée. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 41 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 858 p42_43 SA 10/04/07 12:56 Page 42 ● Teun Voeten/Panos enquête CHEZ LES ÉTUDIANTS DE PYONGYANG Comment peut-on être nord-coréen ? SHINDONGA hin Eun-hee, professeur de religion au Simpson College dans l’Iowa, enseigne pour la cinquième année à l’université Kim Il-sung. Agée de 38 ans, elle a la nationalité canadienne et vit aux EtatsUnis, ce qui normalement lui permet de se sentir libre de parler de la Corée du Nord. Elle avoue cependant que ce n’est pas le cas. Quand elle donne une conférence, elle aperçoit souvent au fond de la salle un agent des services de sécurité sud-coréens en train de prendre des notes. La Corée du Nord reste un sujet tabou, même dans la société sud-coréenne. La première fois qu’elle s’est rendue au Nord, c’était en mars 2003. A l’arrivée des vacances de printemps, elle a sauté dans le premier avion à destination de Pyongyang. Elle n’avait alors aucun lien avec ce pays, si ce n’est le fait que sa mère est née à Pukchong, dans la province du Hamgyong-Nord, qui fait aujourd’hui partie de la Corée du Nord. Sa visite était motivée par sa passion de chercheuse, par une curiosité née de la lecture de livres nord-coréens trouvés dans une librairie de Los Angeles et de la rencontre de quelques personnalités nord-coréennes. Depuis, elle y retourne régulièrement au printemps et à l’automne pour donner des conférences sur les religions du monde devant un parterre d’étudiants nord-coréens. “Les Nord-Coréens ne ressentent pas le besoin d’avoir une religion, et surtout pas le christianisme. Il y a bien des temples protestants, mais il s’agit d’organisations caritatives qui font de la propagande. La religion des Nord-Coréens, S DR Séoul Shin Eun-hee est une enseignante canadienne d’origine coréenne. Depuis quatre ans, elle se rend régulièrement à Pyongyang. Pour elle, les jeunes n’y sont pas si différents des jeunes Américains. c’est l’idéologie du juche [voir note page suivante].” Chrétienne et professeur de religion, Shin Eun-hee avance une théorie qui ne manque pas d’audace : “Jésus aussi était un idéologue du juche.” Si le christianisme est une religion dont les adeptes croient en Dieu, le juche serait une religion où l’on croit dans le Grand Leader – de façon “moins sectaire”, ajoute-t-elle. “La société nord-coréenne paraît de prime abord très étrange. Mais, en l’observant sans préjugés, on peut y déceler un esprit religieux, difficile à apprécier suivant nos critères moraux habituels. […] L’idéologie du juche s’est transformée en religion d’Etat avec la déification de Kim Il-sung. C’est un phénomène religieux comparable à celui de Jésus. Il faut remettre en question l’idée que la déifi- COURRIER INTERNATIONAL N° 858 42 cation de Kim Il-sung n’est pas normale alors que celle de Jésus le serait.” Rien d’étonnant, à partir de là, que cette religiosité ait engendré de fervents adeptes. Il ne faut pas, affirme le professeur Shin, juger l’institutrice nordcoréenne qui s’est immolée en tentant de sauver un portrait du Grand Leader lors de l’explosion à la gare de Yongchon, en 2004. “Il n’y a pas de différence entre elle et un chrétien qui se fait tuer au cœur de l’Afrique, où il s’est rendu pour évangéliser la population. Le lamento des Nord-Coréens à la mort de Kim Il-sung peut être rapproché de celui de la foule qui a défilé devant la dépouille du pape Jean-Paul II. […] En Corée du Sud, on dit que si le régime nord-coréen se maintient, c’est à cause du lavage de cerveau. Mais nous subissons tous plus ou moins un tel traitement. C’est le cas des adeptes d’une religion, mais aussi de ceux qui vivent dans une société capitaliste et qui sont conditionnés par l’argent.” Vue ainsi, la société nord-coréenne n’est pas bizarre, mais différente. “Soyons justes”, déclare Shin Eun-hee, en nous invitant à nous ouvrir davantage au Nord avant de le condamner. Aux accusations de certains Sud-Coréens qui lui reprochent de faire l’apologie du juche elle répond : “La manière de penser des Sud-Coréens manque d’ouverture. Il s’agit pour moi d’avoir une approche culturelle visant à comprendre, et non de prôner un plan gauchiste ou pro-nord-coréen.” En effet, elle n’hésite pas à critiquer certains points concernant ce pays, tels que le droit limité au savoir, l’obsession de la pureté du sang ou le manque de souplesse dans la pensée. “Je veux critiquer et non haïr. Une expérience banale revêt un caractère étrange et exotique quand elle se produit en Corée du Nord, sans doute à cause DU 12 AU 18 AVRIL 2007 858 p42_43 SA 10/04/07 12:57 Page 43 de cette impression de distance qui s’est confortée depuis si longtemps en nous. Il faudra du temps pour l’effacer.” Elle déclare avoir compris au bout de quatre ans que les hommes sont partout pareils, même si leurs idées sont différentes. “On pense qu’en Corée du Nord tout est tellement mécanique qu’il ne subsiste rien d’humain. Or la vie quotidienne des Nord-Coréens ressemble beaucoup à la nôtre. Ils sont comme nous à 80 %.” Le premier jour qu’elle a passé à Pyongyang était un jour férié, l’équivalent de la Journée des femmes chez nous. Ce jour-là, les Nord-Coréennes sont libérées de tout travail et les hommes sont à leur service. Mme Shin était persuadée qu’il n’y avait pas de discrimination sexuelle dans ce régime socialiste. Mais une fonctionnaire venue l’accueillir l’a détrompée en lui confiant que la Corée du Nord garde certaines habitudes moyenâgeuses et que, si la discrimination à l’égard des femmes n’est pas très importante au travail, elle l’est dans les familles, car les hommes ne participent pas du tout aux tâches ménagères. Un de ses collègues Promenade aux masculins s’est tout de suite récrié abords de la tour du devant cette déclaration ! Ce jour- Juche, à Pyongyang, sur la rive droite là, la spontanéité de ses hôtes a du fleuve Taedong. beaucoup amusé la Canadienne. “Ils disent du mal des Etats-Unis, ■ “Juche” mais ils adorent les produits améri- C’est en 1955 que cains. Les gens sont tout aussi dévoués le dirigeant nordà l’éducation de leurs enfants qu’en coréen Kim Il-sung Corée du Sud : ils sont capables de aurait utilisé pour se ruiner pour payer à leurs rejetons la première fois le des cours particuliers qui vont leur per- terme juche (qu’on mettre d’entrer à l’université Kim Il- pourrait traduire par “autonomie”) pour sung. Même s’il faut pour cela sauévoquer la nécessité ter des repas, ils leur paieront un de libérer dictionnaire électronique d’anglais qui la Corée du Nord coûte 500 dollars.” de l’influence Le pic de la Pivoine est une soviétique. L’idée des promenades favorites des d’autarcie s’est amoureux de Pyongyang. Il est ar- rapidement révélée rivé à Shin Eun-hee d’apercevoir utile au maintien quelques scènes très chaudes à d’un régime l’ombre des arbres. “A cause de la dictatorial qui y trouve pénurie d’électricité, la nuit de Pyon- une justification gyang est vraiment très sombre. Je ne à l’isolement de la sais pas si c’est cela qui rend le spec- population du reste tacle encore plus érotique ou si c’est du monde. Mélange mon préjugé à l’égard de ce pays.” En de marxisme, dépit de l’idéologie et du militan- de nationalisme tisme, le quotidien des Nord-Co- et de confucianisme, réens serait donc très humain et la doctrine du juche plein d’humour. Les histoires gri- a servi de base voises seraient monnaie courante, au culte du Grand Leader et a orienté sans doute parce que toute discus- l’ensemble sion à caractère politique est pros- de la politique crite. Il existe en Corée du Nord nord-coréenne. ce qu’on appelle le “travail du vendredi”. Quel que soit son statut social, chacun est obligé d’effectuer un travail manuel au moins une fois par semaine. Cette tradition, paraît-il, est à l’origine d’une série de plaisanteries. “Quand vous sortez avec une vierge, c’est un ‘travail social’ ; quand vous sortez avec une veuve, c’est un ‘travail patriotique’ ; quand vous couchez avec votre femme, c’est un ‘travail forcé’, et ainsi de suite. Il y a de quoi exaspérer les féministes.” Les étudiants nord-coréens ont un but dans la vie : faire briller leur patrie sur la scène internationale. C’est pourquoi ils apprennent l’anglais. “Le monde s’est diversifié. Il faut connaître les autres civilisations pour vivre ensemble”, lui répondent les jeunes, alors qu’elle s’attend à une réponse plus martiale du genre : “Pour réduire en miettes les impérialistes américains.” Beaucoup d’entre eux sont fous de la langue de Shakespeare. Malgré l’absence de tout séjour linguistique, certains se débrouillent mieux que leurs camarades du Sud. “A l’Université des langues étrangères de Pyongyang,c’est l’anglais la plus populaire, avec le chinois. Les cours d’anglais sont composés d’échanges libres à partir de documents préparés. Ils discutent par exemple du climat, des mœurs et de la culture d’un pays.Tous les cours sont donnés en anglais. D’ailleurs, sur le campus tous doivent parler dans cette langue ou dans celle qu’ils étudient. L’apprentissage se fait de façon très disciplinée et rapide. C’est peut-être une conséquence de l’influence du militantisme.” Ils utilisent des manuels importés de GrandeBretagne et regardent régulièrement les journaux télévisés ou des films plutôt classiques, du genre La Mélodie du bonheur. Les étudiants raffolent de comédies sentimentales. Mme Shin a voulu leur montrer Titanic, mais ils l’avaient déjà vu plusieurs fois. D’après les professeurs de l’Université des langues étrangères de Pyongyang, les étudiants délaisseraient de plus en plus l’anglais britannique pour l’américain – la langue des “ennemis du peuple” certes, mais aussi celle qui est la plus utilisée sur la scène internationale. “Des Nord-Coréens font du commerce avec la Chine ou d’autres pays. Les étudiants se procurent par leur intermédiaire des livres ou des films américains et les apprennent par cœur comme si leur vie en dépendait. Certains d’entre eux sont capables de parler un anglais soutenu et impeccable. Pourtant, ils étudient dans des conditions difficiles. Ils ont les mains gelées car il n’y a pas de chauffage. J’ai de l’admiration pour eux, j’ai envie de les aider.” L’Université des langues étrangères de Pyongyang forme aussi les futurs interprètes. Dans les années 1980, le pays n’en avait pas et devait en trouver à l’étranger quand il y avait une réunion internationale. Aujourd’hui, avec la montée de la tension avec Washington, la formation des interprètes est considérée comme aussi importante que celle des soldats. “L’université Kim Il-sung et l’Université des langues étrangères de Pyongyang sont les deux meilleures du pays. Les disciplines enseignées ne sont pas très différentes de celles de nos universités, à part bien sûr l’apprentissage du juche. L’atmosphère est très différente dans les deux établissements, peut-être plus ouverte dans le second. Ils sont en rivalité, et cette rivalité ne joue pas au niveau individuel comme chez nous, mais au niveau collectif.” Elle a demandé aux étudiants quels étaient leurs sujets de préoccupation. Ils ont tous répondu qu’ils ne cogitaient pas sur les problèmes personnels et abstraits comme leurs camarades du Sud, mais réfléchissaient pour savoir comment ils pourraient se rendre utiles à leur patrie. “Ils ne se battent pas pour améliorer leur destin individuel. Ils pensent que les problèmes personnels peuvent se résoudre au sein de la communauté. S’ils se sacrifient pour la patrie, celle-ci le leur rendra ; c’est ainsi qu’ils raisonnent. La patrie leur dicte ce qu’il faut faire, alors pourquoi se poser des questions ?” Travailler pour le pays est considéré comme la valeur suprême pour ces étudiants. Si demain les dirigeants leur disent qu’ils manquent de main-d’œuvre pour la pêche et lancent le slogan “Jeunesse ! A la mer !”, chacun se précipitera pour devenir pêcheur. Pour ces jeunes, les valeurs sont fonction des besoins de la communauté. Ils croient ferment que la vie humaine et les droits de l’homme ne peuvent exister sans elle. L’accomplissement de soi n’est possible que dans une patrie autonome et digne. “Et ils sont étonnamment comblés, forts et heureux”, déclare Mme Shin. Certes, ils ont leurs goûts personnels en matière de métier. Les jeunes filles rêvent de devenir actrices et de faire partie des troupes nationales. Ces derniers temps, être hôtesse de l’air est en vogue. Il paraît qu’il faut être belle, compétente et de bonne famille. Par ailleurs, certaines veulent se lancer dans le journalisme, domaine jusque-là réservé aux garçons. Quant à ces derniers, ils estiment, comme leurs aînés, que le métier des armes est le plus glorieux, mais commencent à s’intéresser au commerce et à l’informatique. Il paraît qu’être journaliste sur le web est également apprécié. Le professorat continuerait à attirer les jeunes, aussi bien les filles que les garçons. “Nous pensons sans doute trop facilement que le Nord doit devenir comme le Sud, partant de l’idée que le Nord c’est le mal et que le Sud c’est le bien. Il nous faut nous débarrasser de ces préjugés qui reposent sur l’orgueil”, martèle Mme Shin. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 Les journalistes de Courrier international bloguent pour vous Anglosphères par Eric Maurice Le monde vu de Londres Exception France par Anthony Bellanger La France décryptée par la presse étrangère A l’Est, du nouveau par Alexandre Lévy L’actualité de l’autre Europe Le Québec vu d’ailleurs par Marc-Olivier Bherer La presse étrangère et la Belle Province Femmes d’ailleurs par Anne Collet La condition féminine dans le monde Palatino par Gian-Paolo Accardo Paris-Rome, embarquement immédiat Vous aussi bloguez avec nous. Devenez citoyen-journaliste. Courrier international a ouvert un site dédié aux blogs. Chaque internaute intéressé par l’actualité internationale ou la culture peut ouvrir son propre journal en ligne http://blogs.courrierinternational.com Paek Kyong-son 43 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 858p44-45 10/04/07 13:02 Page 44 enquête ● UNE AUTRE CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE Au secours de la forêt malgache L’ACTUALITÉ Montréal L 3 000 km2 supplémentaires. Si rien n’est fait, la forêt aura été éliminée de l’île d’ici quinze ans, estiment des scientifiques malgaches – et, avec elle, des espèces végétales qu’on ne trouve nulle part ailleurs. “Au même titre que l’Amazonie est le poumon de la planète, Madagascar en est le réservoir de molécules”, explique le biologiste Mondher El-Jaziri, de l’Université libre de Bruxelles. Les molécules en question sont à la base de médicaments consommés partout sur la planète. Certains composants chimiques de la pervenche de Madagascar [une plante herbacée], par exemple, jouent un rôle majeur dans la lutte contre la leucémie, les cancers du sein et du poumon, la tachycardie et l’insuffisance Chris de Bode/Panos e colosse a fini par s’effondrer au beau milieu de la chaussée. Ses bourreaux se sont aussitôt rués sur lui et l’ont achevé à grands coups de hache. En une heure, cet eucalyptus de 60 m a été abattu, débité et jeté dans le fossé. L’île de Madagascar venait de perdre un arbre. Un de plus. Les quinze bûcherons ont sévi sur une dizaine de kilomètres le long de la route nationale 7, axe reliant Antananarivo, la capitale du pays, et Fianarantsoa, pôle économique situé à plusieurs centaines de kilomètres plus au sud. Ce jour-là, une dizaine d’eucalyptus ont été coupés. Seuls indices de l’abattage : les branchages et les feuilles odorantes broyés sous les roues des voitures et des camions. Les arbres, eux, deviendront soit du bois d’œuvre, soit du charbon. Madagascar, quatrième île au monde avec ses 587 000 km, perd son couvert forestier à un rythme effréné. L’Institut de recherche pour le développement (IRD) estime que la déforestation y est “l’une des plus alarmantes dans le monde tropical”. La Grande Ile, comme on surnomme le pays, a déjà perdu plus des trois quarts de sa forêt. Chaque année, elle en perd La Grande Ile a déjà vu disparaître plus des trois quarts de sa couverture boisée, riche en plantes médicinales uniques. Autorités et ONG se mobilisent. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 44 cardiaque. “La déforestation met en péril la découverte des médicaments de demain, ajoute Mondher El-Jaziri. Qui nous dit que le remède contre une prochaine pandémie n’est pas en train de disparaître ?” Au moins 7 700 des 12 000 espèces végétales recensées dans l’île auraient, à des degrés divers, des propriétés médicinales. Le botaniste Armand Rakotozafy, retraité de l’enseignement supérieur et petit-fils d’une mpitsabo (guérisseuse), en est un ardent promoteur. Ce septuagénaire aux yeux rieurs travaille pour l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA), premier centre de recherche de Madagascar, en compagnie d’une cinquantaine de scientifiques qui étudient entre autres les propriétés médicinales des plantes. A l’IMRA, les Malgaches peuvent aussi consulter gratuitement un médecin. Dans la forêt d’Anjozorobe, vestige de la forêt du haut plateau central de la province d’Antananarivo, des chercheurs de l’IMRA et moi marchons d’un pas hésitant sur un sentier escarpé et boueux, bordé de murailles végétales impénétrables. Armand Rakotozafy, qui a donné son nom à au moins une quinzaine de végétaux – il en a perdu le compte –, parcourt la forêt comme d’autres font leur chemin de croix. Il s’arrête devant certaines plantes, les contemple, puis en énumère les propriétés médicinales. Le Dans le parc psychotria est efficace contre la toux. national de Kirindy L’uapaca contre les dysfonctions Mite, sur la côte ouest érectiles. Le harungana apaise les de Madagascar. brûlures d’estomac… “Papa Armand”, comme on l’appelle amicalement à l’IMRA, se désole, car derrière les murailles végétales se cache un problème grave. “Il ne reste presque plus rien de la forêt que l’on trouvait ici il y a tout juste une dizaine d’années”, dit-il. De plus, dans cette région rurale de la Grande Ile, on a reboisé exclusivement avec de l’eucalyptus et du pin, deux espèces importées de Nouvelle-Zélande et d’Europe dans les années 1960. Une erreur, estiment les chercheurs de l’IMRA, car l’eucalyptus est vorace et draine le sol de tous ses nutriments. “Il ne laisse rien pour les espèces indigènes”, dit Christian Rabemanantsoa, médecin et biologiste à l’IMRA. Le pin acidifie le sol et l’étouffe chaque automne sous un épais tapis d’aiguilles. “Les autres arbres ne parviennent plus à s’imposer”, ajoute l’expert en biotechnologie Denis Randriamampionona. Résultat : la forêt indigène d’Anjozorobe est détruite. “A l’heure actuelle, nous en sommes réduits à tenter de préserver les lambeaux qui restent”, déplore Christian Rabemanantsoa. Claudine Ramiarison, directrice générale du Service d’appui à la gestion de l’environnement (SAGE), un organisme gouvernemental, refuse toutefois d’empêcher le recours aux espèces exotiques. “Nous avons presque atteint le point de non-retour, déclare-t-elle. La désertification causée par le déboisement gagne du terrain, surtout dans le sud du pays. On n’a pas le choix : il faut reboiser avec des espèces à croissance rapide. En cela, l’eucalyptus est idéal.” Il atteint en huit ans la hauteur que le palissandre – une espèce locale – met un demi-siècle à atteindre. Il est vrai que le temps presse. Les ravages causés par la déforestation sont spectaculaires. Il n’y a plus d’arbres, ou presque. Le paysage est constitué de montagnes et de collines pelées. A leur sommet, des arbustes et de hautes herbes brûlées par le soleil ; au creux des vallées, des rizières vert tendre que des femmes courbées, genoux dans l’eau, entretiennent vaillamment. DU 12 AU 18 AVRIL 2007 10/04/07 13:02 Page 45 Chris de Bode/Panos 858p44-45 paysans incendient les champs pour mieux surveiller les troupeaux de zébus et pour voir venir les sangliers, qui dévorent les récoltes. Les voleurs de zébus, de leur côté, mettent le feu pour éviter que les propriétaires ne les retrouvent en suivant les traces laissées par le troupeau. “Quand les ‘tavystes’ perdent le contrôle du feu”, ditil en éteignant sa cigarette et en la mettant dans sa poche, “les forêts des alentours y passent.” Et des ravimaitso (plantes médicinales) partent en fumée. L’Aloe vahombe, qui pousse dans le sud-ouest du pays – et nulle part ailleurs –, est menacé par ces feux de brousse. Une catastrophe, estime Denis Randriamampionona. “Cette plante produit un stimulant du système immunitaire qui pourrait être utile contre l’hépatite et le sida. Elle aura disparu d’ici cinq ans.” En 2002, l’IMRA a songé à recourir à la cryoconservation – congélation dans l’azote liquide – pour en préserver l’ADN. Mais l’alimentation en électricité, à Madagascar, est trop incertaine pour assurer à la fois la fabrication DISPARITION DE LA FORÊT PRIMAIRE À MADAGASCAR Avant l’occupation humaine 1950 1985 Anjozorobe Antananarivo Vohimana Fianarantsoa Courrier international Plus loin vers le sud, c’est la steppe africaine, stérile et austère. Seuls quelques baobabs poussent çà et là, géants orphelins au pied desquels sont installées des huttes où vivent des nomades dans une indigence extrême. La misère, à Madagascar, sème le désespoir à la ville comme à la campagne. Avenue de l’Indépendance, au cœur d’Antananarivo, des enfants crasseux font voler des cerfs-volants bricolés avec de vieux sacs en plastique jaunis. D’autres imitent Zidane, leur idole, en dribblant du papier journal roulé en boule. Plus loin, des mères, assises sur le bord d’un trottoir, lavent leurs bébés dans une flaque d’eau grisâtre. Avec son PIB par habitant d’à peine 915 dollars – deux fois moins que celui d’Haïti –, Madagascar se classe parmi les 25 pays les plus pauvres de la planète, selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies. La situation est si grave que l’ONG Médecins sans frontières a dû plier bagages.Venue dans la capitale il y a douze ans pour soigner les enfants de la rue – ce qui a été fait –, l’ONG a été prise d’assaut par toute la population. La tâche était si lourde que MSF en est presque venu à jouer le rôle de système de santé à Antananarivo, ce qui n’est pas son mandat. L’organisme n’exclut toutefois pas de revenir dans la région si une situation d’urgence rendait sa présence nécessaire. Les ONG environnementales, elles, se sont ruées dans l’île comme des pompiers dans un bâtiment en flammes. Non seulement elles travaillent à reboiser Madagascar, mais elles tentent aussi de revaloriser la forêt auprès des populations rurales, de concert avec le gouvernement. Il y a trois ans, le ministère de l’Environnement, des Eaux et des Forêts (MINENVEF) a lancé le programme Zéro Tavy, visant à convaincre les paysans de ne plus brûler les forêts. Leurs efforts furent vains. La population voit toujours dans chaque parcelle de terrain une rizière potentielle. Les Malgaches continuent de détruire la forêt en ayant recours au tavy, c’està-dire au brûlis. La steppe n’est pas épargnée non plus. Toutes les raisons sont bonnes pour mettre le feu à ces vastes plaines herbeuses, explique Bernard, guide au parc national Isalo, une zone forestière protégée. Les Aire de répartition de la forêt primaire COURRIER INTERNATIONAL N° 858 45 0 300 km de l’azote et le bon fonctionnement des congélateurs. L’ONG franco-malgache L’Homme et l’environnement s’attaque aussi au tavy, et ce avec plus de succès que le MINENVEF. “Il ne suffit pas d’interdire cette pratique, on doit proposer des solutions de rechange aux paysans, dit son fondateur, Olivier Behra. Il faut leur prouver qu’ils peuvent tirer des bienfaits de leur environnement sans tout brûler.” Derrière lui, dans son modeste bureau d’Antananarivo, une bibliothèque déborde d’œuvres d’art malgaches et de flacons d’huiles essentielles. Une odeur flotte d’ailleurs dans l’air : les émanations apaisantes de l’huile d’eucalyptus. La substance provient entre autres de la forêt de Vohimana, à 125 km à l’est d’Antananarivo.Vohimana est le grand laboratoire de L’Homme et l’environnement. Dans ses profondeurs, Olivier Behra et ses collaborateurs ont installé une véritable petite entreprise de production d’huiles essentielles et de recherche sur les plantes médicinales. Après quarante-cinq minutes de marche, derrière un rocher, des cases de bois et de paille apparaissent ainsi que des poules et des chiens. Plus loin, un dortoir d’une dizaine de lits superposés et une cafétéria en plein air. Au centre de ce village de chercheurs, on trouve un alambic qui sert à distiller les huiles essentielles. Cellesci sont piégées dans les feuilles des plantes aromatiques. “C’est la substance volatile de la plante – son odeur, en quelque sorte”, dit le biologiste William Andrianantenaina. André, vêtu d’un bleu de travail, veille à la bonne marche de l’alambic. Il pèse les feuilles qui donneront l’huile, les plonge dans la grande La forêt de Kirindy cuve de distillation, alimente le feu est de type tropical et recueille le précieux liquide qui sec. Elle abrite s’écoule goutte à goutte. Lors de une faune et une flore notre passage, il récoltait l’huile exceptionnelles. essentielle du dingadingana, une plante qui pousse en abondance dans les alentours. Il faut 140 kilos de feuilles pour obtenir 30 ml d’huile. “Nous nous inspirons du savoir des sorciers de la région”, explique la biologiste Chantal Rakotoarison, 28 ans. “Selon eux, le dingadingana est efficace pour éloigner les moustiques. C’est ce que nous vérifions en ce moment.” A Vohimana, l’ONG L’Homme et l’environnement fournit du travail à 50 personnes de façon plus ou moins régulière, grâce à un budget annuel de 90 000 dollars. “C’est beaucoup, pour Madagascar”, précise Olivier Behra devant mon étonnement. Les femmes qui récoltent les feuilles reçoivent 20 ariarys le kilo, ce qui leur donne un salaire quotidien équivalant à un peu moins de 1 dollar canadien [0,60 euro]. Le responsable de l’alambic et les hommes qui travaillent à la construction de cases et de huttes – l’ONG s’apprête à se lancer dans le tourisme écologique – gagnent 3 000 ariarys par jour [0,90 euro]. A titre comparatif, un repas pour cinq adultes dans un boui-boui du coin coûte environ 12 000 ariarys [3,60 euros]. L’ONG d’Olivier Behra ratisse large : valorisation et diversification de l’agriculture, récolte d’huiles essentielles et reboisement. L’organisation ne reproduira pas les erreurs commises à Anjozorobe. A Vohimana, pas d’eucalyptus ni de pins. L’ONG ne plantera que des espèces locales. De 1960 à 2005, la moitié de la forêt de Vohimana a été récoltée ou brûlée. Le gouvernement malgache a cédé la gestion de ce qui reste à L’Homme et l’environnement pour vingt-cinq ans, avec pour mission de remettre la forêt dans son état d’origine. “Déjà, nous avons presque réussi à éliminer le tavy dans la région, dit William Andrianantenaina. Nous travaillons maintenant à recréer un corridor forestier entre deux forêts séparées par une coupe abusive.” Au total, l’ONG recouvrira de végétation 150 hectares. Les botanistes ont choisi une trentaine d’espèces locales, dont le Beccariophoenix madagascariensis, un palmier en voie d’extinction. Ils espèrent ainsi permettre à la nature de reprendre ses droits et d’augmenter leur récolte de plantes médicinales. “Toute la planète en bénéficiera”, assure William Andrianantenaina. Daniel Chrétien DU 12 AU 18 AVRIL 2007 10/04/07 12:51 Page 46 économie ■ multimédia “The Independent”, un malade qui se porte bien p. 48 ■ sciences Des pièges à virus pour stopper les infections p. 49 ■ technologie Recharger votre portable avec du jus d’orange i n t e l l i ge n c e s p. 50 i n t e l l i g e n c e s ● Les règles de l’OMC bafouées par Washington COMMERCE Les accords bilatéraux se ■ multiplient en marge de l’Organisation mondiale du commerce. Dernier exemple : le traité signé par les Etats-Unis et la Corée du Sud. FINANCIAL TIMES (extraits) Londres e mois d’avril marque le 60e anniversaire de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ou GATT, l’ancêtre de l’OMC. Il voit aussi l’annonce d’un “accord de libre-échange” entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Le GATT reposait sur la non-discrimination. Le nouvel accord fait exactement le contraire. A première vue, il permet une libéralisation considérable des échanges entre la première économie mondiale et la onzième : près de 95 % du commerce bilatéral de produits industriels et de grande consommation seront exempts de droits de douane d’ici trois ans, et le reste, pour l’essentiel, dans dix ans. La Corée du Sud ouvrira son marché à de nombreux produits agricoles américains, mais pas au riz. L’accès au secteur américain des services sera libéralisé, notamment dans les domaines juridique, comptable et audiovisuel. La propriété intellectuelle sera mieux protégée. Les marchés publics s’ouvriront substantiellement. De nouveaux engagements sont pris sur l’administration des douanes. Enfin, un nouvel organe de règlements des litiges sera créé. Pourquoi cela ne me plaît-il pas ? Une libéralisation des échanges comme celle-ci n’est-elle pas exactement ce que la plupart des économistes s’intéressant au commerce appellent de leurs vœux ? Oui et non. Oui, parce que le libre-échange est souhaitable, mais non, parce que cette forme de libéralisation ne va pas nécessairement dans le sens du libre-échange. Jagdish Bhagwati, de l’université Columbia [naguère conseiller auprès de l’OMC], a proposé de rebaptiser “accords commerciaux préférentiels” ce qu’on appelle les “accords de libre-échange”. Pour ma part, je préférerais parler d’“accords commerciaux discriminatoires”. En l’occurrence, les Etats-Unis et la Corée du Sud conviennent de pratiquer une discrimination en faveur des exportateurs ou des investisseurs domiciliés sur le territoire du partenaire. Le coût économique évident d’un tel accord est sans doute ce que Jacob Viner, le grand économiste spécialisé dans le commerce de l’entre-deuxguerres, qualifiait de “diversion des échanges”. Les deux partenaires risquent de se détourner de fournisseurs compétitifs au profit d’autres qui le seraient moins. Dans le cas présent, cette diversion devrait toutefois être modeste, puisque les deux pays figurent parmi les fournisseurs les plus compétitifs du monde pour un large éventail de biens et services. Mais un coût économique plus important est d’ordre systémique. Depuis quelques années, le nombre L Dessin de Christopher Zacharow paru dans Business Week, New York. ■ Négociations avec Bruxelles Séoul va bientôt engager des négociations avec Bruxelles afin de parvenir à un accord de libre-échange semblable à celui qui vient d’être conclu avec les Etats-Unis, a déclaré, le 4 avril, devant le Parlement de Séoul, le ministre du Commerce sud-coréen, Kim Hyun-chong. Le volume des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et l’UE s’est élevé à 71 milliards de dollars en 2006. Un tel traité pourrait créer 300 000 emplois en Corée et accroître le PIB de 2 % à court terme, estime l’Institut coréen de politique économique internationale. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 d’accords commerciaux préférentiels a explosé. Celui qui vient d’être conclu représente un énorme pas supplémentaire. En 2005, les Etats-Unis ont été le premier importateur de marchandises du monde et la Corée du Sud le sixième (si l’on exclut le commerce interne à l’Union européenne et les réexportations de Hong Kong). Les Etats-Unis sont également le premier importateur mondial de services commerciaux et la Corée du Sud le douzième (en incluant cette fois les échanges intra-européens). Les autres pays devront se battre désespérément pour éviter que ce traité n’ait pour eux des répercussions négatives. Ce qui accroîtra probablement encore un peu plus la prééminence de ce type d’accords. Sur le plan économique, deux conséquences seront inévitables. En premier lieu, une part croissante du commerce mondial sera certainement régie par les procédures spéciales d’une multitude d’accords discriminatoires bilatéraux et plurilatéraux, gage d’une explosion de la complexité administrative. En second lieu, chaque nouvel accord bilatéral modifiera le degré de préférence dont bénéficient les fournisseurs existants, ce qui rendra d’autant plus incertain le climat des affaires. Et les conséquences politiques sont au moins aussi importantes. D’abord, l’accès d’une entreprise à d’autres marchés dépendra de plus en plus de la capacité de son gouverne- BILATÉRALISME Nombre d’accords commerciaux préférentiels (cumul) 200 150 100 Sources : OMC, “Financial Times” 858p46-47 46 50 0 1960 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 2005 ment à en obtenir l’ouverture, et non de sa propre compétitivité. Ensuite, les grandes puissances rivaliseront entre elles pour arracher des conditions plus favorables pour leurs propres producteurs. L’apparition de tels blocs commerciaux fondés sur un rapport de forces est à des annéeslumière des espoirs des pères fondateurs du GATT. Les capacités politiques et diplomatiques sont également limitées. Alors que les Etats-Unis se concentrent sur les accords préférentiels, le cycle de Doha de l’OMC n’est toujours pas bouclé. Bruxelles est au moins aussi responsable que Washington de l’impossibilité de mener à bien des négociations qui favoriseraient bien davantage le commerce mondial que tous les accords bilatéraux possibles et imaginables. Mais, si les Américains se désintéressent des accords multilatéraux, alors le cycle de Doha a encore moins de chances d’aboutir. En l’état actuel des choses, il est probable que la tendance en faveur du commerce discriminatoire conduira à une fragmentation de l’économie mondiale et non à son intégration. L’économiste John Maynard Keynes [représentant de la Grande-Bretagne à la conférence de Bretton Woods, qui a donné naissance à la Banque mondiale, au FMI puis au GATT] a formulé clairement la question en 1946 : “La constitution de blocs séparés et la fin de l’amitié qu’ils provoquent forcément constituent un expédient auquel on peut recourir dans un monde hostile, où l’on cesse de commercer dans de vastes zones de coopération pacifique […]. Mais il est certainement fou de préférer cela.” Espérons qu’il ne nous faudra pas réapprendre à quel point ce serait fou. Je reste optimiste sur le long terme. Alors que les accords se multiplient, quelque sage décideur se demandera sûrement pourquoi son pays mène une politique commerciale reposant sur une centaine de traités bilatéraux. Pourquoi, se dirat-il, ne pas avoir un seul accord multilatéral ? Il voudra peut-être même lui donner un nom. J’ai une idée. Pourquoi ne pas l’appeler “Organisation mondiale du commerce” ? Martin Wolf 858p46-47 10/04/07 12:34 Page 47 économie Prospection minière dans… les caves d’un musée RÉP. CENTRAFRICAINE ■ Au musée royal de l’Afrique centrale, à Bruxelles, les experts miniers peuvent étudier de vieilles cartes géologiques du Congo. SO UDAN Cong o Kisangani OU RÉ P. DÉ M. DU CONGO N GA DA RWANDA BURUNDI Kinshasa TANZANIE THE WALL STREET JOURNAL (extraits) New York endant des années, le géologue Johan Lavreau a tranquillement veillé sur des monceaux de cailloux, de cartes et de vieux papiers africains, précieusement conservés dans les sous-sols du Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, dans la banlieue de Bruxelles. C’était un travail solitaire, rarement troublé par la visite d’étudiants ou de chercheurs. Aujourd’hui, on se bouscule pour voir ses archives. Les grandes compagnies minières espèrent y trouver des informations sur les vastes réserves du Congo-Kinshasa en cuivre, cobalt, or, étain et autres richesses. Dernièrement, Johan Lavreau, qui dirige le département de géologie et de minéralogie de l’institut de recherche du musée, a reçu la visite de l’australien BHP Billiton, du sud-africain De Beers et du français Areva, tous attirés par l’envolée des prix des matières premières. “J’imagine que nous devons commencer à penser comme une entreprise”, commente-t-il avec une pointe de mélancolie. Pour les groupes miniers, il est beaucoup plus simple de prospecter dans un sous-sol en Belgique, et les informations ainsi recueillies sont bien meilleures que celles fournies par des radars ou des sonars hautement sophistiqués. Rien, semble-t-il, ne peut remplacer le travail de terrain à l’ancienne. P A N G O L A ZAMBIE Lubumbashi 0 500 km Sources : USGS, “Atlas de l’Afrique” Ed. du Jaguar. MATIÈRES PREMIÈRES Principales concentrations de minerais et de matières premières Fer Cadmium Coltan Tantale Diamant Cuivre Tungstène Charbon Manganèse Pétrole Cobalt Or Zinc Etain “La cartographie était alors plus précise et plus détaillée”, explique David Ovadia, responsable du département international du Service géologique britannique (BGS). “Aujourd’hui,il faudrait monter une véritable opération militaire pour obtenir les renseignements que recueillait en une vie un géologue à cheval à l’époque coloniale.” Le BGS, propriétaire de vieilles cartes de l’Afghanistan ou de la Zambie, réalise la moitié de ses 106 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel grâce à ce genre de consultations. A Orléans, le Bureau de recherches géologiques et minières, qui gère les archives d’anciennes colonies françaises comme l’Algérie ou le Laos, fait naître lui aussi un grand intérêt. “Ils ont tous commencé à frapper à notre porte il y a dix-huit mois”, se souvient Marielle Arregros, historienne cartographe. Le géant angloaustralien Rio Tinto est ainsi devenu un client régulier. Peu de pays éveillent toutefois autant d’intérêt que la république démocratique du Congo, depuis longtemps considérée comme la plus grande réserve mondiale de minerais. Aujourd’hui, prospecter sérieusement sur place est à la fois très cher et très dangereux. Le pays sort à peine d’une sanglante guerre civile et les milices armées patrouillent toujours le bush. Consulter les documents de Johan Lavreau ne coûte en revanche que 250 euros par jour. Cette exploitation commerciale des archives de Bruxelles, qui appartiennent au gouvernement belge, est plutôt mal vue à Kinshasa. “Il est légitime de se demander pourquoi elles ne sont pas ici”, souligne Valentin Kanda Nkula, directeur du Service national de géologie. “Il serait juste que l’on partage les bénéfices.” Le Congo possédait autrefois des copies de ces archives, mais la plupart ont été perdues, pillées ou détruites. En outre, ajoute Johan Lavreau, le pays a réduit en miettes ses échantillons de roches pour en faire du gravier de parking. Les groupes miniers peuvent remercier le roi Léopold II (qui a contrôlé le Congo jusqu’en 1908) pour les trésors préservés à Tervuren. Le monarque avait envoyé des enquêteurs – et leurs esclaves – arpenter tout le territoire pour cartographier le pays à la main. Leurs successeurs ont lavé des millions d’échantillons de sol et recueilli des millions de fragments de roches. En 1940, le gouvernement colonial de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) a ordonné aux entreprises minières privées de lui transmettre leurs propres dossiers afin d’aider les Alliés à trouver des matières premières pouvant contribuer à l’effort de guerre. Après la guerre, des caisses de cailloux et de documents ont été transférées au musée de Léopold, construit en 1898 pour célébrer les vertus de la colonisation. Depuis des années, les archives africaines de la Belgique aident les compagnies minières à trouver les bons filons. En 1997, la société australienne Anvil Mining voulait prospecter dans le sud-est du Congo, où des Belges avaient exploité des mines de cuivre après 1910. Anvil a alors demandé l’aide du musée pour analyser ses cartes satellite. “Nous avons superposé une carte géologique de 1953 – elle-même élaborée d’après des archives plus anciennes – sur une vue de satellite pour avoir une image complète”, explique Johan Lavreau. Avec un investissement de seulement 6 millions de dollars, dont une petite partie au profit du musée, Anvil a pu commencer à extraire du cuivre en 2002. Au final, ce projet devrait générer un profit de 19 millions de dollars. Les archives peuvent aussi éviter de mauvais investissements. Il y a deux ans, BHP Billiton pensait qu’il y avait suffisamment de bauxite (utilisée pour produire de l’aluminium) près de la côte Atlantique du Congo pour y ouvrir une nouvelle mine. Le groupe a alors fait appel à Guy Franceschi, un consultant géologue belge, qui a suggéré de visiter le musée. Les représentants du groupe australien ont pu y consulter une carte de 1950, un document couvert d’une trame où chaque intersection, tous les 200 mètres, représente un puits percé par les ingénieurs belges pour collecter des échantillons, qui sont également conservés au musée. Après trois semaines d’analyses, BHP a conclu que les ressources en bauxite étaient insuffisantes. Au total, le groupe a déboursé 7 756 euros. “Si nous avions dû refaire tous les échantillonnages, ça nous aurait coûté extrêmement cher en temps et en argent”, souligne Harri Illtud, porte-parole de BHP Billiton. Aujourd’hui, le seul regret de Johan Lavreau est de ne plus avoir le temps d’errer, solitaire, au milieu de ses roches et de ses papiers. “De nos jours, constate-t-il, les gens n’ont du temps que pour chercher de l’argent.” John W. Miller la vie en boîte Google roule pour ses salariés oute la Silicon Valley est jalouse des avantages accordés aux salariés de Google. Ces derniers peuvent, à toute heure et gratuitement, se sustenter de petits plats préparés par des chefs, profiter du mur d’escalade, du terrain de volley ou de l’une des deux piscines du site. Sans compter le coiffeur et les visites médicales offertes. Mais il y a encore mieux : le transport du matin. Dans cette région connue pour être l’une des plus embouteillées de toute la Californie, Google le géant des moteurs de recherche est aussi Google le transporteur. Son objectif est de faciliter le trajet de ses chers employés de leur domicile au bureau et d’attirer de nouvelles recrues sur le marché très concurrentiel des ingénieurs de talent. L’entreprise obtient en outre quelques heures de travail supplémentaires de ses salariés, qui ne perdent plus de temps coincés derrière le volant de leur voiture. T Aujourd’hui, Google transporte quotidienticulière, l’ampleur du système correspond nement près de 1 200 salariés (près du aussi par faitement aux ambitions démequart de son effectif local) à bord de 32 nasurées du groupe. Après tout, Google est vettes équipées de confortables une entreprise dont le but sièges en cuir et d’un accès wiavoué est d’organiser l’inforfi à Internet. Les vélos sont emmation à l’échelle mondiale barqués sur le porte-bagages ex– et dont les fondateurs voyatérieur et les chiens, à l’arrière gent pour leurs af faires en de la navette ou sur les genoux Boeing 767. “Au fond, nous de leurs propriétaires. Les usagérons une petite agence de gers peuvent recevoir des alertes transpor t municipal”, résume sur leur ordinateur ou leur téMarty Lev, directeur de la séculéphone portable en cas de rerité et responsable du pro Dessin d’Astromujoff tard du bus. Le système flatte gramme de navettes. Pas si également leur fibre écolo, non paru dans La Vanguardia, petite que ça, en réalité : au Barcelone. seulement parce qu’ils laissent siège de Google, une équipe de leur voiture au garage, mais aussi parce spécialistes du transport surveille le trafic que tous les bus Google roulent au biorégional, enregistre les adresses des noudiesel. Et le trajet est évidemment gratuit. velles recrues et élabore de nouveaux traSi le concept por te bien la marque de jets, sur un rayon de 80 kilomètres, pour Google et de sa culture d’entreprise si parrépondre à une demande croissante. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 47 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 “C’est l’avantage non financier le plus utile de Google”, s’enthousiasme l’ingénieur informatique Wiltse Carpenter. “Cela a changé ma qualité de vie.” Quant à Michael Gaiman, qui vit à San Francisco, il explique avoir refusé une offre chez Apple avant d’accepter récemment un poste chez Google. “[Le système de navette] a réellement pesé dans mon choix.” D’autres sociétés de la Silicon Valley ont remarqué que ce genre de détails faisait la différence. Yahoo!, le principal concurrent de Google, a lancé un système de navettes aussi proche de celui de Google que Pepsi l’est de Coca. Les bus Yahoo! roulent également au biodiesel et sont eux aussi équipés d’un accès wi-fi. Selon l’entreprise, ce projet n’est qu’“indirectement” inspiré de celui de Google. Miguel Helft, The New York Times (extraits), Etats-Unis 858 p48 10/04/07 12:36 Page 48 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● “The Independent”, un malade qui se porte bien PRESSE Même s’il demeure le Petit ■ Poucet de la presse britannique, le quotidien londonien entend conserver sa spécificité. Pour son rédacteur en chef, le multimédia n’est pas la priorité. THE GUARDIAN Londres ’éditorialiste Stephen Glover, surnommé affectueusement par certains “le Puritain”, risque d’en avaler son chapeau. Lui qui s’était un jour déclaré “scandalisé” par la grossièreté du rédacteur en chef de The Observer, Roger Alton, lui reprochant de parler “comme un voyou alors que le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas grandi dans une cité”, risque de rester pantois devant la liberté de langage de son patron. “J’en ai marre que The Guardian choisisse toujours des photos merdiques de ma personne”, s’emporte le rédacteur en chef de The Independent, Simon Kelner, lors de la séance de photos. “Sur vos photos, j’ai toujours l’air énorme, vous le faites exprès ou quoi ?” Je doute qu’il y ait une conspiration de ce genre du côté du service iconographie du Guardian. Personne à L Dessin de Ruben L. Oppenheimer paru dans NRC Handelsblad, Rotterdam. ■ Evolution Depuis le 29 mars, The Washington Post a mis en place une nouvelle page d’accueil de son site Internet, sur laquelle un espace vidéo permet désormais de visualiser à tout moment les films produits par le journal. <www.washington post.com> ma connaissance ne cherche à souligner son menton recouvert d’un bouc ni son ventre replet d’ours anorexique, mais on lui pardonne volontiers d’être un peu à cran. Avec l’annonce de quarante départs négociés dans le cadre d’un plan de restructuration, soit une rédaction amputée de certains de ses éléments les plus chevronnés et une redistribution des tâches pour ceux qui restent, les dernières semaines ont été éprouvantes pour l’ensemble des deux rédactions. Pourtant, Kelner se veut rassurant. Il ne veut pas qu’on présente son journal comme le seul à traverser une mauvaise passe. Car, rappelle-t-il, c’est toute la profession qui s’est lancée dans une quête désespérée de réduction des coûts. “Ecoutez, vous pouvez présenter les choses comme vous voudrez, une chose est sûre, nous ne sommes pas les premiers ni les derniers à vivre ce genre de situation. Les temps sont durs pour tout le monde”, lâche-t-il, énervé. Il a évidemment raison. Reste que près de 70 journalistes de The Independent et The Independent on Sunday ont cherché à bénéficier de ce plan de licenciement. Faut-il voir dans ces départs volontaires l’expression de craintes plus profondes pour l’avenir des deux journaux qui, comme The Times et The Guardian, ne sont pas rentables. “LE PODCAST N’EST PAS DU TOUT L’AVENIR DU JOURNALISME” Kelner en profite pour tuer dans l’œuf un certain nombre de rumeurs qui circulent depuis qu’on a appris la nouvelle des licenciements. On murmurait, par exemple, que le quotidien et le titre dominical allaient fusionner et que The Independent on Sunday allait ensuite être relancé sous la forme d’un magazine, sur le modèle de Newsweek. Kelner dément formellement, mais il explique qu’il veut rationaliser certains services qui font double emploi. Il est vrai que c’est une question de bon sens. Pourtant, un bref sondage au journal montre qu’il règne une certaine frustration dans les deux rédactions. Les gens regrettent – à cette occasion, du moins – que Kelner n’ait pas trouvé une “grande idée éditoriale pour battre le rappel des troupes”, en référence à son coup de génie de relancer le journal dans un format plus petit (qui, selon lui, a conduit 55 journaux du monde entier à faire la même chose). Kelner a beau avoir été un pionnier en matière de format, il fait preuve d’une grande prudence, voire d’une méfiance qui confine à la technophobie, envers la révolution numérique et la convergence de la presse écrite et d’Internet. Alors que d’autres quotidiens, comme The Guardian,The Daily Telegraph et The Times, investissent masCOURRIER INTERNATIONAL N° 858 48 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 sivement dans leur site Internet, Kelner n’est pas du tout convaincu de la pertinence de ce genre d’investissement. Son budget étant des plus serré, il préfère laisser ses concurrents aller au charbon. “Pour une fois, c’est une bonne chose de ne pas être pionniers en la matière : au moins, personne ne nous tirera dans le dos. Pour l’instant, nous préférons privilégier une approche plus progressive, nous n’allons pas nous lancer tête baissée dans des investissements coûteux, explique-t-il. Je suis plutôt sceptique en matière d’intégration, mais surtout je ne suis pas du tout d’accord quand j’entends dire que la presse écrite est vouée à disparaître. J’ai l’impression de prêcher dans le désert, les gens aiment bien se faire du mal. Que les journalistes de la presse écrite jouent les Cassandre me révulse. Au contraire, je suis convaincu qu’une partie du budget marketing de chaque journal devrait servir à faire la promotion de la presse en général.” Contrairement à ses collègues de la presse dite de qualité, Kelner n’a que mépris pour le journalisme multiplateforme, surtout les podcasts et la vidéo. “Vous connaissez des gens qui écoutent des podcasts ? Personnellement,je n’en connais aucun ! La dernière fois que j’ai lu dans The Daily Telegraph : ‘Téléchargez le podcast de Simon Heffer sur les dernières déclarations de David Cameron’, j’ai éclaté de rire ! Ils se foutent vraiment de nous ! Vous ne me ferez jamais croire que le podcast est l’avenir du journalisme”, s’emporte-t-il. Il reconnaît cependant que le site de The Independent, comparé à ceux de ses rivaux, est un peu austère, voire négligé. “Nous avons conscience que nous devons améliorer notre site et, cette année, nous allons nous y attaquer, affirme-t-il. Il va être complètement repensé,il sera tout beau tout neuf. Je sais que nous devons passer à la vitesse supérieure sur la Toile. Mais je vais vous dire une chose : contrairement à ce que vous pensez, notre présence sur Internet génère des profits. Combien d’autres journaux peuvent en dire autant ?” Kelner se targue d’une grande lucidité sur les faiblesses de son journal. – “Je crois qu’il y a beaucoup de choses à revoir…”–, mais il ne veut pas en dire plus. Sommé de s’expliquer, il prend une grande inspiration et lâche : “Il me semble que nous ne tenons pas nos promesses.Avec nos unes, nous avons l’air de proposer un produit radicalement différent, et finalement le contenu de notre journal reste assez traditionnel. J’aimerais repousser les limites et aller encore plus loin. Vous le verrez d’ailleurs bientôt.” En 2008, il fêtera sa dixième année à la tête du journal. Il détient d’ailleurs le record de longévité à ce poste. On a beau lui avoir proposé la direction d’un titre concurrent, qu’il refuse de nommer, Kelner envisage de finir sa vie professionnelle dans le même journal. “Mon avenir est ici, dit-il avec fougue. Je fais une petite sieste dans mon bureau tous les après-midi, mais je ne suis pas encore à court d’énergie. Avec l’aide de Dieu et de Tony O’Reilly [le propriétaire des deux titres], c’est ici que je veux rester.” Les prétendants à sa succession devront encore patienter. James Silver 858p49 10/04/07 12:43 Page 49 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Des pièges pour stopper les infections VIROLOGIE Des chercheurs américains ■ veulent utiliser les globules rouges pour empêcher le VIH ou d’autres virus de s’installer dans le corps. THE NEW YORK TIMES New York I ■ Selon la revue britannique New Scientist, l’ecstasy serait un véritable philtre d’amour. Des expériences réalisées sur des rats par Iain Mac Gregor, de l’université de Sydney en Australie, montrent que cette drogue induirait un pic de sécrétion d’ocytocine dans le cerveau. Cette hormone est connue pour agir sur le comportement social des mammifères. Elle participe aux liens affectifs qui unissent les couples mais aussi les mères à leurs bébés. Des travaux antérieurs sur les rongeurs ont montré qu’après l’orgasme les mâles présentaient un pic similaire d’ocytocine. La prise d’ecstasy plongerait donc les hommes dans un état postorgasmique, dans lequel ils n’ont pas d’appétit sexuel, mais se sentent en harmonie sentimentale avec leur compagne. virus ne sont pas totalement détruits, diminuer leur nombre aurait déjà des effets bénéfiques. Entre autres, cela empêcherait l’effondrement du système immunitaire, comme le feraient des antirétroviraux, à cela près que ces pièges cellulaires seraient beaucoup moins onéreux. Robert Finberg explore également d’autres pistes pour piéger les virus. “Nous avons réussi avec des globules rouges, mais on pourrait essayer avec des microbilles, par exemple.” Lui et son équipe travaillent actuellement sur des perles minuscules recouvertes de protéines, dans l’espoir qu’elles puissent faire de bons leurres. “Certains virus seront plus faciles que d’autres à piéger, reconnaît-il. Par exemple, nous ne pourrons jamais piéger un virus qui vit en permanence à l’intérieur des cellules. En revanche, pour commencer, les virus mobiles représentent des proies plus faciles.” Carl Zimmer DÉTRUIRE LE VIH EN L’EMPRISONNANT Remède Le VIH se fixe sur les récepteurs CD4 d’un lymphocyte T et se multiplie grâce à l’ADN de la cellule. Pour lutter contre les formes très résistantes du VIH, le darunavir (Prezista), un tout nouveau médicament du laboratoire pharmaceutique Tibotec, s’avère être beaucoup plus efficace que tous les traitements existants, annonce le Los Angeles Times. Sur une étude rassemblant 110 patients, cette substance de la famille des inhibiteurs de la protéase a quasiment éradiqué le virus chez 45 % des patients en quarante-huit semaines, alors que ce taux est généralement de 10 % avec les autres traitements. Il présente néanmoins les mêmes effets secondaires, entre autres une sensibilité au virus de l’herpès. Récepteur CD4 Le lymphocyte est détruit par la libération des virus, qui passent ensuite dans la circulation sanguine. VIH VIH Lymphocyte T Récepteur CD4 On injecte des globules rouges modifiés porteurs de récepteurs CD4. Warner Bros. Les virus se fixent sur les cellules sanguines modifiées plutôt que sur les lymphocytes. Globule rouge ■ Le célèbre Taz de la Warner Les globules rouges n’ayant pas de noyau, le virus ne peut pas se reproduire. Les globules rouges, dont la durée de vie est de quatre mois, sont détruits dans le foie ou la rate. Les virus piégés sont détruits par la même occasion. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 Sources : Paul Turner, Université Yale ; “The New York Times” l n’y a pas trente-six solutions pour se débarrasser d’un virus. Il y a d’abord le vaccin, qui prépare le système immunitaire et lui donne les moyens de repousser le virus dès son arrivée. Si le virus réussit à s’installer, il y a le médicament que le médecin peut prescrire pour ralentir la progression virale. Et, en dernier recours, le médecin peut mettre le patient en quarantaine afin de circonscrire l’épidémie. Mais certains scientifiques sont en train de mettre au point une stratégie radicalement différente pour lutter contre les virus : ils comptent leur tendre de véritables pièges. Les virus attaquent les cellules en se fixant à certaines protéines de leur membrane. Une fois accrochés à la cellule, ils peuvent pénétrer à l’intérieur. Celle-ci est alors contrainte d’aider ses hôtes à se multiplier. Mais les virus ne peuvent pas infecter les globules rouges. Quand ces cellules ont achevé leur maturation dans la moelle osseuse, elles perdent leur noyau d’ADN. Donc, si un virus s’introduisait dans un globule rouge, il n’aurait pas de gènes à sa disposition et il ne pourrait pas se multiplier. “Si un virus se fixe à un globule rouge, il est littéralement coincé”, explique Robert W. Finberg, professeur à la faculté de médecine du Massachusetts. Lui et ses collègues ont ainsi eu l’idée de transformer des globules rouges en pièges à virus chez des souris. Ils ont pris pour appât une protéine de surface appelée CAR qui attire le virus coxsackie [responsable de pharyngites, entre autres infections]. Les résultats de ces expériences se sont révélés très prometteurs, mais les chercheurs n’ont pas réussi à éradiquer le virus. “Combien faut-il de pièges pour se débarrasser du virus ?” s’interroge Paul E.Turner, biologiste spécialisé dans les questions d’évolution à l’universitéYale. Actuellement, Paul E. Turner et son équipe étudient le VIH. En règle générale, le VIH s’attaque aux cellules immunitaires, comme les lymphocytes CD4. L’équipe de Paul Turner essaie de concevoir des globules rouges munis de protéines CD4, dans l’espoir d’attirer et de piéger le VIH [voir schéma]. L’étape suivante consistera à mélanger ces globules rouges modifiés avec des cellules immunitaires normales dans une éprouvette et à voir s’ils peuvent piéger le virus. Selon Paul Turner, il sera un jour possible de transfuser des patients séropositifs avec des globules rouges modifiés. Les globules rouges attireraient les virus et les éloigneraient donc des lymphocytes, permettant ainsi au système immunitaire du patient de se reconstituer. Et, puisque les globules rouges ne survivent que quelques mois avant d’être détruits dans la moelle osseuse, le foie et la rate, les virus piégés de la sorte disparaîtraient peu à peu du corps du patient. “Bien sûr, pour l’instant, c’est encore de la science-fiction”, avoue Turner. Dominik Wodarz, spécialiste de l’écologie des virus à l’université de Californie à Irvine, ne participe pas à ces travaux, mais trouve que “c’est un concept sensé et très intéressant”. Il reste tout de même prudent et rappelle que le succès de cette stratégie dépend de l’ampleur de la contamination. A des stades avancés de la maladie, un seul millilitre de sang peut contenir jusqu’à 10 millions de virus. “Il me semble peu probable qu’on puisse poser autant de pièges.” Paul Turner est conscient des limites de sa théorie, d’autant plus que les virus sont également capables de muter afin d’éviter les pièges. “Les données sont très prometteuses, mais il reste encore un tas de difficultés à résoudre.” Pourtant, souligne-t-il, même si les EN BREF 49 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Bros. vient en aide à ses homologues du monde réel. Depuis une dizaine d’années, la population des diables de Tasmanie – des marsupiaux carnivores qu’on ne trouve que dans cette île située au sud de l’Australie – est décimée par une maladie infectieuse se manifestant sous forme de tumeurs faciales et qui reste un mystère pour les scientifiques. Afin de financer la recherche, le gouvernement tasmanien a passé un accord avec la Warner pour fabriquer et vendre 5 000 peluches Taz, rapporte le magazine ● américain The Scientist. 858p50 10/04/07 12:50 Page 50 technologie i n t e l l i g e n c e s ● Rechargez votre portable avec du jus d’orange ! ÉNERGIE Des Dessin d’Imma Pla paru dans El País, Madrid. ■ chercheurs américains ont inventé une pile à combustible qui carbure au sucre. Cette technologie à base d’enzymes pourrait arriver sur le marché d’ici trois ans. SCIENCE NEWS Washington n nouveau type de pile à combustible est capable de produire de l’électricité à partir de sucre. Elle utilise pour cela des enzymes que l’on trouve dans les cellules vivantes. Si cette technologie peut un jour être reproduite à grande échelle, il suffira de quelques gouttes de votre boisson sucrée préférée pour recharger votre téléphone. Les piles à combustible génèrent du courant électrique grâce à des réactions chimiques. Généralement, ce processus fait appel à des métaux précieux – comme le platine – qui jouent le rôle de catalyseurs. Dans les cellules vivantes, les enzymes jouent un rôle analogue : elles décomposent les sucres afin de produire de l’énergie. Quand les chercheurs ont commencé à utiliser des enzymes dans les piles à combustible, ils avaient du mal à les faire travailler de façon durable, explique Shelley Minteer, de l’université de Saint Louis. Alors que les cellules biologiques produisent continuellement de nouvelles enzymes, les piles à combustible ne disposent pas U ■ d’un mécanisme permettant de remplacer les enzymes à mesure qu’elles se dégradent. Shelley Minteer et sa collaboratrice Tamara Klotzbach, elle aussi de l’université de Saint Louis, ont mis au point des polymères qui viennent envelopper l’enzyme et la préservent dans une poche microscopique. “Nous faisons en sorte que ces poches offrent le micro-environnement idéal [pour l’enzyme]”, assure Shelley Minteer. Elles maintiennent l’enzyme active pendant plusieurs mois, au lieu de quelques jours. Dans la nouvelle pile à combustible, les minuscules poches en polymère sont incorporées à une membrane qui entoure l’une des électrodes. Quand le glucose d’un quelconque liquide sucré pénètre dans une poche, l’enzyme l’oxyde, libérant ainsi des électrons et des protons. Les électrons traversent alors la membrane et atteignent l’autre électrode en passant par un fil. Ce flux d’électrons qui circule dans le fil constitue un courant électrique. “L’élimination des métaux précieux permet de réduire les coûts, mais [l’utilisation d’enzymes] élargit aussi la gamme de combustibles qu’on pourra employer”, assure Paul Kenis, ingénieur chimiste à l’université de l’Illinois à Urbana- Revue Publié depuis 1922 aux Etats-Unis, l’hebdomadaire scientifique Science News propose une formule de seize pages d’articles courts destinés à un large public. Champaign. Les piles à combustible enzymatiques mises au point par d’autres équipes de chercheurs font généralement appel à des combustibles plus classiques, comme l’éthanol. L’utilisation directe de sucre comme combustible serait plus économique, puisque la fabrication d’éthanol nécessite de passer par la fermentation de maïs, de canne à sucre ou d’autres végétaux, fait valoir Minteer. Sous leur forme actuelle, les piles à combustible de Minteer n’oxydent que partiellement le glucose, si bien qu’elles ne produisent que peu d’électricité. “Pourtant, c’est déjà une grande réussite d’arriver à les faire fonctionner”, soutient Kenis. L’équipe de Minteer s’efforce maintenant d’intégrer à ses piles un ensemble d’enzymes différentes, afin d’extraire davantage d’énergie du sucre. Par rapport aux piles à combustible actuelles ou aux batteries, les modèles biologiques auraient évidemment un autre avantage, celui d’être biodégradables. Il ne faudra peut-être pas plus de trois ans pour que cette technologie entre dans sa phase industrielle, à en croire Shelley Minteer. Le ministère de la Défense américain, qui finance ces recherches, espère aussi trouver des applications au sucre en tant que source d’énergie très concentrée sur les champs de bataille. Davide Castelvecchi W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com s t a d i d n a c s o n , s r u e l l i a ’ d s u V ? e s s e r p e n n o ont-ils b Planète preàs1s9.0e0 par rangers, présentéional. l ét ri s v te a lis 4 na 1 ur i jo d s Same ises vues par le Bellanger de Courrier internat identielles frança Les élections prés ec la revue de presse d’Anthony William Irigoyen av www.arte.tv vivons curieux COURRIER INTERNATIONAL N° 858 50 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 *858 p51 SA 10/04/07 15:11 Page 51 l e l i v re épices & saveurs ● VIES PARALLÈLES Le soldat et l’historien ASIE CENTRALE Le soumalak, ce délice printanier Londres es jumeaux sont un thème récurrent de la mythologie et de la littérature du Nigeria, dont la fonction est le plus souvent de récuser une vision de la société fondée sur la primauté de l’individu.Vu la façon dont le pays a évolué – le Nigeria étant désormais synonyme d’égoïsme calculateur et de corruption –, ce n’est pas un hasard si les jumeaux jouent un si grand rôle dans le renouveau du roman nigérian, incarné par Helon Habila, Chimamanda Ngozi Adichie et Helen Oyeyemi. Cette renaissance est une bonne nouvelle pour tous les amateurs de littérature africaine, car, depuis les années 1970, le continent n’avait guère produit d’auteurs susceptibles d’avoir un retentissement mondial. Il y a à cela beaucoup de raisons, la principale étant la conjonction néfaste d’une désintégration des mécanismes sociétaux (y compris l’édition) et d’une détérioration plus générale de ce que l’on pourrait appeler la mémoire citoyenne, un phénomène dont l’Afrique n’a en aucun cas le monopole. Le captivant roman d’Helen Oyeyemi The Icarus Girl (La petite Icare) [voir CI n° 752, du 31 mars 2005] évoque les relations entre jumeaux et entre doubles pour aborder la question des différences culturelles. L’exceptionnel Half of aYellow Sun [La moitié d’un soleil jaune] de Chimamanda Ngozi Adichie parle également de jumeaux mais aussi de religion, de loyauté tribale et d’éducation, reflétant l’entreprise de rénovation citoyenne que la jeune génération d’auteurs nigérians s’est donné pour mission d’accomplir. Un idéal difficile à atteindre mais crucial, car la réhabilitation de la société civile en Afrique passe nécessairement par une compréhension de l’Histoire. Dans le nouveau roman de Helon Habila, Measuring Time* [La mesure du temps], les jumeaux et l’histoire occupent également une place centrale. C’est une œuvre extrêmement subtile, où l’histoire d’une famille et d’un village du nord du Nigeria dans les années 1980 et 1990 s’insère dans un récit sociopolitique plus vaste, tournant autour de l’éducation, de la responsabilité de l’héritage colonial et du substrat mythique du folklore. Les jumeaux de Habila, Mamo et LaMamo, sont deux êtres très différents en dépit de leurs prénoms quasi identiques. Mamo est infirme (il souffre de drépanocytose) et maladroit, alors que LaMamo est fort et intrépide. La seule chose qui unit les deux frères est la haine qu’ils éprouvent pour leur L ■ Biographie Né en 1967 à Kaitungu, dans le nord du Nigeria, Helon Habila réside actuellement à Washington, où il enseigne la littérature anglo-américaine. Il se lance dans l’écriture en 1997 avec le recueil de nouvelles Prison Stories. Parallèlement, il écrit des poèmes et des nouvelles qui lui vaudront de remporter en l’an 2000 deux des prix littéraires les plus prestigieux du Nigeria. La même année, il remanie ses Prison Stories pour en faire un roman, qu’il édite à compte d’auteur sous le titre Waiting for an Angel (En attendant un ange, Actes Sud 2004, voir CI n° 652, du 30 avril 2003). Le livre reçoit en 2001 le prix Caine de littérature africaine, ce qui permettra à Helon Habila de se faire publier par un grand éditeur. Measuring Time est son deuxième roman. Graham Turner/The Guardian Pour son deuxième roman, Measuring Time, le Nigérian Helon Habila a choisi de revisiter un thème cher aux conteurs de son pays : les jumeaux. THE GUARDIAN ■ père, Lemang, un don Juan égoïste qui les délaisse. Pour se venger, ils mettront des scorpions dans les chaussures de ce père indigne, métaphore de tous les mauvais dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays. Après un étrange épisode où les jumeaux tuent le chien d’une sorcière, ils décident de fuguer et de s’enrôler dans l’armée, mais Mamo, souffrant, tournera vite les talons. Pendant une vingtaine d’années, il ne verra plus son frère mais en aura des nouvelles par l’intermédiaire de lettres où il lui parle de ses combats comme mercenaire au Tchad, au Mali et au Liberia. Mamo devient un spécialiste de l’histoire locale et un enseignant, tandis qu’il continue à batailler avec son père et avec sa maladie. Lemang s’est métamorphosé en riche homme d’affaires et en politicien. Il a le vent en poupe, jusqu’au jour où l’un de ses rivaux lui dérobe son projet d’alimentation des campagnes en eau potable. L’école de Mamo devient un enjeu électoral. Racontées sur le mode de la farce, ces scènes de luttes politiques intestines sont très amusantes, mais la gravité de l’enjeu – rien de moins que l’avenir d’un pays – est toujours présente en arrière-plan. Choisi par le waziri (vizir) pour écrire l’histoire de l’émir local et de sa famille, Mamo voit sa situation s’améliorer, tandis que celle de son père se dégrade. Il vit une histoire d’amour avec une femme nommée Zara, qui veut elle aussi devenir écrivain et entame une nouvelle vie en tant que secrétaire de l’émir. Mais les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent, et Mamo se retrouve à devoir déjouer les sombres machinations du waziri. Les lecteurs se souviendront de l’intrigant Sam Adekunle d’Un Anglais sous les tropiques, qui avait été inspiré à William Boyd par l’extraordinaire waziri du roman Missié Johnson, de Joyce Cary. Ce qu’il y a de passionnant, chez Habila, c’est qu’il allie ces archétypes de la littérature occidentale au style oraculaire, beaucoup plus ancien, du conteur africain. Measuring Time est à la fois un roman historique qui “mesure le temps”, au sens où il compare des périodes historiques, et également une étude psychologique d’un homme qui doit “se mesurer” à son frère et aux exigences d’une société en crise. Mais il est plus encore une célébration triomphale du relativisme. A la fin, malgré toutes les tragédies, Mamo aura découvert que le secret de la survie réside non pas dans l’individualisme, mais dans cette sorte d’entre-deux fluctuant dont sa gémellité est l’exemple même. Giles Foden** * Ed. Hamish Hamilton, Londres, 2007. Pas encore traduit en français. ** Auteur du roman Le Dernier Roi d’Ecosse, qui vient d’être adapté au cinéma. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 51 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Si vous êtes déjà allé en Asie centrale pendant la fête de Navrouz, qui tombe le 21 mars et qui marque l’arrivée du printemps, vous avez sans doute goûté au soumalak. La préparation de ce plat, qui s’accompagne de danses et de chants féminins, peut nécessiter jusqu’à 20 kilos de blé ou même davantage. Il faut du blé de première qualité, de l’huile végétale et de la farine. On commence par faire tremper le blé dans une bassine pendant toute une nuit. Le blé est ensuite réparti dans des sacs de lin que l’on suspend à des poutres. Lorsque l’eau s’est écoulée, on étale le blé sur une table de bois : la couche doit être épaisse de 3 cm à 5 cm. Celle-ci est alors arrosée d’eau jusqu’à ce que les racines sortent (mais pas la tige !). Elles sont ensuite broyées dans un mor tier en pierre ou en bois. La masse homogène et visqueuse obtenue est essorée à la main. On obtient ainsi plusieurs seaux de jus de blé blanchâtre légèrement farineux et sucré. Tout est prêt pour cuisiner un soumalak. Dans un grand kazan (marmite traditionnelle en métal), on fait chauffer de l’huile, puis on ajoute du blé, et enfin du jus de blé. On touille la préparation en y ajoutant progressivement de la farine. Pour que cette bouillie ne brûle pas, on place dans le kazan quelques petites pierres, qui seront ensuite conservées comme des talismans. Il est vivement conseillé de faire des vœux pendant la préparation : ils seront exaucés ! On laisse ensuite le soumalak refroidir et reposer à la belle étoile pendant une nuit. Le matin, on le servira dans de petits bols, où l’on trempera des morceaux de pain. Si les ingrédients sont d’une qualité irréprochable et si le blé n’a pas germé, le soumalak est délicatement et délicieusement sucré. Plusieurs légendes circulent en Asie centrale au sujet de l’origine de ce plat. Parmi les plus populaires, citons l’histoire de Fatima et de ses deux fils, Hassan et Houssan. Un jour, pour nourrir ses fils affamés, elle cueille des brins de blé dans un champ abandonné. Dans un kazan, elle met du blé avec des petites racines naissantes, de l’eau et quelques pierres. La cuisson est si longue que la famille s’endort avec le ventre vide. Mais quarante anges veillent à ce que le repas soit prêt le matin. Ayant pitié de la pauvre femme, ils versent secrètement de la farine et de l’huile dans le kazan. C’est ainsi que Fatima peut enfin, à sa grande joie, rassasier ses enfants. Alexandre Kouprine, Fergana.ru, Moscou W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com *858 p52-53 10/04/07 15:12 Page 52 voya ge ● L’EXOTISME À LA MODE BULGARE Splendeurs d’un bled roumain Du temps du communisme, Bulgares et Roumains se connaissaient à peine. Aujourd’hui, ils découvrent avec un émerveillement enfantin la vie que l’on mène de l’autre côté du fleuve. SEGA Sofia e long du Danube, les villes bulgares et roumaines vont par paires : Ruse-Giurgiu, Svichtov-Zimnicea, Toutrakan-Oltenita. Ainsi, lorsqu’on dit Vidin [prononcer “Vidine”], l’association spontanée est Calafat. Calafat est bien plus qu’une association, la ville est même visible de l’autre côté du grand fleuve, mais jusqu’à récemment, c’était un endroit où l’on ne pouvait pas aller comme ça, sur un coup de tête. Il fallait un passeport et même un visa de sortie. C’est pour cela que nous avons décidé de nous rendre dans cette ville voisine en utilisant ce sésame européen nouvellement acquis qu’est la carte d’identité. L’embarcadère du ferry Vidin-Calafat se trouve à 2,5 kilomètres de Vidin. On accède facilement jusqu’au quai en taxi. Ce ferry dessert le couloir de transport paneuropéen n° 4, celui qui part de l’Allemagne, traverse l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce pour arriver jusqu’en Turquie ; un couloir qui passe ici, sur quelques milles nautiques du Danube, pour effectuer la jonction entre Vidin et Calafat. [La construction d’un pont, sur les modalités de laquelle Bucarest et Sofia n’arrivent pas à se mettre d’accord depuis des décennies, est prévue pour “bientôt”.] La distance entre les deux villes ne dépasse pas les 3 à 4 kilomètres en ligne droite, une ligne qui traverse obliquement le fleuve puisque Calafat est légèrement en amont de Vidin. Avant d’arriver au port du ferry, on passe par le poste-frontière, où il fallait se soumettre, il y a encore quelques mois, à des procédures complexes. Aujourd’hui, il suffit de montrer sa carte d’identité à un employé écrasé par l’ennui. Le ferry n’a pas d’horaires, c’est son seul inconvénient. L’attente n’excède cependant jamais une heure, le temps nécessaire pour que le bateau arrive, décharge et se remplisse à nouveau. En une dizaine de minutes, il engloutit douze poids lourds et quelques voitures de tourisme. Les derniers à monter sont les piétons, d’habitude une dizaine de personnes qui s’apprêtent à rendre une visite ou à faire des emplettes de l’autre coté. S’il fait beau, vous restez sur le pont pour observer le Danube, qui est ici, près de Vidin, particulièrement beau et majestueux. S’il fait mauvais, vous pouvez entrer dans la cabine réservée aux passagers. Mais elle est exiguë, avec sa petite fenêtre et son banc sur le côté. Comme elle fait penser à une cellule de prison, personne n’y reste bien longtemps. Le trajet jusqu’à Calafat dure une vingtaine de minutes. L’aller coûte 6 leva [3 euros]. Le tarif du retour est équivalent, sauf qu’il faut payer en monnaie roumaine (13 lei) ou en euros. L Reportage photo : Petrut Calinescu Il faut donc penser à s’en procurer. Certains, à Vidin, nous avaient fait peur en nous disant que les flics roumains ne vous laissaient pas passer avec la carte d’identité et exigeaient parfois des passeports. Nous étions prêts à protester et à faire un scandale lorsque nous avons tendu nos cartes au douanier roumain. A notre grande déception, il les a vaguement regardées avant de nous souhaiter un bon séjour. Et cela en bulgare, s’il vous plaît, même s’il avait un fort accent valaque. Ce passage en douceur nous a tout de suite donné des ailes. Nous nous sommes donc empressés de découvrir cette fameuse cité de Calafat. C’est une petite ville qui ne compte guère plus de 12 000 habitants. La première impression est celle d’un endroit paisible et tranquille. Les pigeons y roucoulent de la même façon qu’en Bulgarie, mais ils ne sont pas perchés sur les mêmes toits. Car les maisons roumaines ont des toits un poil plus pentus que les nôtres. Ce qui est normal, compte tenu de la géographie et du climat ; du nord au sud les toits s’aplatissent progressivement pour devenir horizontaux dans les pays arabes. On sait pourquoi. Ce qui nous a le plus frappés, ce sont les rues. Elles sont relativement propres. Mais peu importe. Elles sont surtout incroyablement larges ! Et quand je dis larges, je ne plaisante pas : la chaussée fait de 15 à 20 mètres, alors qu’il n’y a pratiquement pas de circulation automobile. Et les rues sont presque partout goudronnées. On y voit, bien entendu, quelques nids-de-poule, tout comme chez nous. Mais on y voit peu de voitures et à peine plus de piétons. Il y règne un profond calme provincial. Bien décidés à goûter la bière roumaine, nous cherchons un bureau de change. Sauf qu’ici il n’y en a pas ! Une vendeuse interloquée nous explique que seul un “banco” nous sortira d’affaire. On en trouve finalement un et l’on se met sagement dans la queue en compagnie de quelques épargnants calafatais. Quand vient notre tour, que vous le croyez ou pas, l’employé de banque doit noircir cinq ou six formulaires pour changer nos dix malheureux euros. Nous sommes surpris par cet excès de bureaucratie. Mais c’est ainsi, et l’Etat perçoit un pourcentage. L’embarcadère sur le Danube, d’où part un ferry qui transporte véhicules et passagers entre Calafat et Vidin. COURRIER INTERNATIONAL N° 858 52 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Cela dit, accordons un bon point à nos voisins roumains. Je ne sais pas si vous avez remarqué ce phénomène très agaçant : quand on entre dans un établissement bulgare – que ce soit une poste, une banque, un magasin ou un restaurant –, on se retrouve immanquablement témoin d’une bruyante conversation entre employés. On y apprend ce qu’ils ont mangé la veille, comment Untelle était habillée, comment Untel a avalé deux cognacs, comment toute une bande de potes ont fait une apparition inattendue, ce qu’Untel a dit à son beau-frère et comment ce dernier s’est fâché tout rouge… Soit personne ne leur a jamais expliqué de ne pas déballer leur vie privée en public, soit ils sont imperméables à l’idée qu’ils sont là au service de leurs clients, et que ces derniers ne sont pas une bande d’importuns qui tentent de s’incruster pour leur gâcher la journée. Nos voisins de Calafat semblent, eux, comprendre l’importance du client : lorsque celui-ci arrive, ils le fixent silencieusement et se mettent à sa disposition. C’est bien de lui que dépend leur salaire, non ? Nous passons à côté de la grande église SaintNicolas, qui est malheureusement fermée. Nous décidons alors de suivre le meilleur conseil que l’on puisse donner à tous les touristes : va là où vont les gens du cru ! Car ils savent où l’on mange bien et pour pas cher. Il semble malheureusement que les habitants de Calafat restent chez eux et se bornent à aller au travail. Les rues sont désertes et les restaurants – quand il y en a (en tout cas, moins qu’en Bulgarie) – le sont aussi. Nous arrivons au marché couvert, pour constater que les prix ne sont pas différents de ceux pratiqués à Vidin. A propos, nous avons pu constater que les marchands ambulants locaux importent de Bulgarie des choses surprenantes : des cartons pleins de paquets de graines de tournesol grillées, des céréales, des petits gâteaux et d’autres broutilles. En revanche, nous avons vu le ferry se remplir, dans l’autre sens, de poids lourds transportant des voitures de marque Dacia. Les affaires marchent ! A la sortie du marché, un homme bizarre surgit, visiblement désireux de nouer des relations avec nous. S’il y a un dieu des reporters, c’est certai- *858 p52-53 10/04/07 15:13 Page 53 carnet de route Y ALLER ■ Air France, Bulgarie Air et Tarom (la compagnie nationale roumaine) proposent plusieurs vols directs de Paris vers Sofia et Bucarest. Prix moyen : 350 euros l’aller-retour. Côté bulgare, on peut se rendre de Sofia à Vidin par la route (la N81, puis la E79) ou par le train (quatre dépar ts quotidiens, en passant par Vratsa). Côté roumain, on accède à Calafat par la route en passant soit par Craiova, soit par Corabia (la route longe ensuite le Danube). Par le train, cinq liaisons existent quotidiennement dans les deux sens entre Bucarest et Calafat, avec une correspondance à Craiova. SE LOGER ■ A Vidin, l’hôtel Bononia est sans doute la meilleure adresse : il est situé près du Danube, en plein centre-ville. Côté bulgare comme côté roumain, il est possible de loger chez l’habitant : c’est peu onéreux et c’est un bon moyen pour faire connaissance avec les gens du cru. Les loueurs, qui portent souvent de petits badges, attendent les voyageurs à la sortie des ferrys ou aux abords de la gare ferroviaire. A VOIR ■ Presque absents des guides et des Au centre de Calafat près de la grande église Saint-Nicolas, des rues particulièrement “larges” aux yeux du visiteur bulgare (et vides). au “securistu-KGBistu”, et que, personnellement, nous détestons tourner en rond… Popescu se résigne ; il est prêt à tout pour avoir un contact international. Nous nous attablons près du port pour goûter la bière Ursus, qui s’avère, au passage, buvable. La bouteille coûte 2 lei [1 lev ou 0,50 euro]. C’est là que le docteur s’empare du sujet des Daces et des Thraces et de ce qu’avait dit Hérodote sur la question. Mais, lorsqu’il faut trinquer, l’homme cultivé laisse tomber les sujets de haute culture pour lancer un toast local typique : “Hai norok si bucurie, toti tiganii in puscarie !” La traduction qu’il nous fait avec une certaine pudeur révèle que le toast n’est pas très flatteur pour les minorités, c’est-à-dire que l’on boit à notre santé et notre bonne fortune à nous, en revanche pour ce qui concerne les Tsiganes, ils peuvent aller… Bref, ils peuvent aller quelque part, mais on n’a pas trop bien compris où. Oui, bon d’accord, ce n’est pas très en phase avec la politique antidiscriminatoire de l’Union européenne, mais nous avons promis de ne pas en souffler mot lorsque nous irons à Bruxelles. Boïko Lambovski COURRIER INTERNATIONAL N° 858 53 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 ROU MA NI E Oltenita Giurgiu Toutrakan Zimnicea Danube Ruse Svichtov Calafat Vidin S ER B I E Sofia B U LGA RI E Mer Noire ■ Retrouvez tous nos voyages sur courrierinternational.com Courrier international nement lui qui nous a envoyé le domnul [“monsieur” en roumain] en question. M. Popescu est vétérinaire, aujourd’hui à la retraite. Il brûle d’envie d’expliquer la situation politique roumaine aux deux “invités de Bulgarie” qui se baladent si désœuvrés dans sa ville natale. Il parle beaucoup, le Dr Popescu. Il s’emporte dans au moins quatre langues : nous avons perçu des bribes de russe, de français et de bulgare, considérablement altérés. Quant au roumain, nous ne le pratiquons pas, hélas. Malgré tout, M. Popescu arrive à nous convaincre que les services secrets roumains sont toujours aussi puissants et empêchent les gens libres comme lui de vivre leur vie. “Securistu, KGBistu !” s’exclame le docteur, alors que les passants se retournent en sursaut à la vue de notre trio. Il nous a gentiment emmenés jusqu’à la primaria [mairie], nous expliquant que le bâtiment appartenait jadis à un gros exploitant agricole dont les communistes avaient confisqué les biens. Il nous a montré aussi le centre culturel bulgare, malheureusement fermé par trois cadenas. Il voulait encore nous emmener dans les larges rues désertes, mais nous avons déclaré fermement que, dans notre pays natal, on préfère la bière fraîche circuits touristiques, Vidin et Calafat ne font pas partie des étapes “incontournables”. Ces villes constituent une étape pratique pour ceux qui veulent visiter les deux pays et n’ont de charme que parce qu’elles sor tent des sentiers battus. Vidin la bulgare possède néanmoins quelques monuments dignes d’intérêt, comme la forteresse ottomane Baba Vida, une belle cathédrale et, plus près de nous, un étonnant Mémorial des victimes du communisme, installé sur les bords du Danube en souvenir de ceux qui ont péri dans les camps de travail, notamment celui de Béléné, un peu plus bas sur le fleuve. Côté roumain, on se contentera de flâner sur le port et de visiter le petit musée d’art de la ville. *858 p54 10/04/07 15:14 Page 54 insolites ● Le roi de l’évasion sortira-t-il du tombeau ? U muscles abdominaux. Son certificat de décès attribue la mort du magicien à une péritonite due à une rupture de l’appendice. Mais aucune autopsie n’est pratiquée, et les rumeurs d’assassinat ne tardent pas à se répandre. Une biographie publiée l’an dernier, The Secret Life of Houdini [La vie secrète d’Houdini], a étudié ces rumeurs. Elle fait état d’une injection de “sérum expérimental” qui aurait été faite à Houdini peu avant sa mort au Grace Hospital de Detroit. Selon ses auteurs,William Kalush et Larry Sloman, les principaux suspects sont un groupe de médiums dont Houdini dénonçait régulièrement les mystifications et qui lui auraient envoyé plusieurs menaces de mort dans les dernières années de sa vie. La biographie divulgue une lettre de novembre 1924, dans laquelle Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, proche des adeptes du spiri- tisme, écrivait qu’Houdini allait “avoir ce qu’il méritait”, qu’il allait “bientôt devoir payer”. Le projet d’exhumation a reçu le soutien d’Anna Thurlow, l’arrière petite-fille du médium Margery Crandon, dont le mari, le docteur Le Roi Crandon, était l’un des principaux tenants du mouvement spirite et un ennemi déclaré d’Houdini. “Ce qui est sûr,c’est qu’un groupe de gens lui voulaient du mal”, dit-elle, obligée d’admettre que ses ancêtres ont peut-être commis un assassinat. Si Houdini a été empoisonné avec des métaux lourds (arsenic ou mercure), on en retrouvera la trace, même au bout de quatre-vingts ans, explique le professeur Starrs, qui a déjà procédé à l’exhumation de Jesse James et de l’“Etrangleur de Boston”. “Je n’aurais pas accepté ce travail si je l’avais considéré comme un simple tour de passepasse”, dit-il. Larry McShane, USA Today, New York Rue des Archives/The Granger Collection NYC ne équipe de médecins légistes va se pencher sur la dépouille de Harry Houdini pour tenter d’établir si le célèbre magicien a été victime d’un assassinat, il y a plus de quatre-vingts ans. “Tout sera minutieusement analysé”, a promis le professeur James Starrs, qui dirigera une escouade de pathologistes, d’anthropologues, de toxicologues et de radiologues. “Nous examinerons ses cheveux, ses ongles et ses éventuelles fractures.” Selon l’avocat de la famille Houdini, Joseph Tacopina, une demande officielle d’exhumation a été déposée fin mars, mais, bien que la famille et les autorités du cimetière de New York soient d’accord pour exhumer le corps, la procédure pourrait durer plusieurs mois. Harry Houdini est mort à l’âge de 52 ans, le 31 octobre 1926, deux semaines après avoir reçu dans l’estomac une volée de coups de poing assenée par un étudiant qui testait ses L’“objet rabougri” de Napoléon L’organe du haïdouk C’est la verge la plus célèbre de Roumanie, selon le quotidien Cotidianul. L’organe de 22 cm conservé en état d’érection appartenait au bandit Terente, réputé pour sa cruauté. Au terme de quatre-vingts ans passés dans du formol, la chose s’était affreusement dégradée : la peau devenue quasi transparente ne couvrait plus qu’un morceau de coton. Les spécialistes de l’institut médico-légal de Bucarest ont travaillé toute une journée sur l’organe du haïdouk (bandit). La relique restructurée repose désormais dans une solution de glycérine. Un sauvetage temporaire : “Pour en assurer la pérennité, il faut un implant de silicone”, indique l’équipe, qui pense faire effectuer cette délicate intervention à l’étranger. La verge de Vasali Stefan Terente, fusillé en 1927, vaut aussi Ainsi, les reliques de Jeanne d’Arc n’étaient que des bouts de momie égyptienne, révèle Nature. Intéressonsnous donc à d’autres restes. par son tatouage. “Je baise bien et profond”, lit-on sur la peau parcheminée. La jambe de Sarah Bernhardt 60 ans passés, la “divine Sarah” se blesse au genou droit en sautant du parapet dans la scène finale de Tosca. La gangrène s’installe : dix ans plus tard, l’actrice est amputée. Elle affrontera l’opération avec un rare courage et refusera de laisser son handicap mettre fin à sa carrière : la mort la surprend en 1923, en plein tournage d’un film. Après son amputation, elle n’hésitera pas à se rendre au front pour rendre visite aux poilus. On raconte plusieurs histoires sur son membre amputé. L’une d’elles semble véridique. Pendant sa convalescence, la comédienne aurait reçu un message du directeur de l’exposition panaméricaine à San Francisco lui offrant 100 000 livres en échange du droit d’exposer sa jambe. “Laquelle ?” lui aurait-elle répondu par télégramme. Une chose est sûre, c’est que personne ne sait où se trouve la droite. The Independent, Londres A n 1969, Christie’s inclut dans son catalogue un article décrit de façon énigmatique comme un “objet rabougri” d’environ 2,5 cm de long ressemblant à une petite anguille ratatinée. Aucun acquéreur. Peu de temps après, des rumeurs commencent à circuler : l’objet en question aurait été retranché du corps de Napoléon Bonaparte après sa mort à Sainte-Hélène. L’abbé Ange Vignali, qui avait administré l’extrêmeonction à l’empereur déchu, avait gardé quelques souvenirs – des couteaux, des fourchettes, une tasse d’argent et (à en croire le valet de chambre de Napoléon, Ali), une toute petite partie de la personne de Napoléon. Ali n’a jamais dit laquelle. La collection Vignali changera de propriétaire à plusieurs reprises. A l’issue d’une énième vente à Paris en 1997, la partie en question finit entre les mains d’un urologue new-yorkais réputé, John K. Lattimer. L’objet est-il réellement ce que l’on pense ? Rien n’est moins sûr. Sauf pour un tabloïd anglais, qui relatera la vente ratée de Christie’s sous le titre “Pas ce soir, Joséphine”. The Independent, Londres E L’objet moins rabougri de Raspoutine Grigori Raspoutine, dit “le Moine fou”, sortit un beau jour des steppes russes et usa de son charme pour se faire accepter par la cour impériale. Le jour où il fut présenté au tsar Nicolas et la tsa- Les neurones d’Einstein rine Alexandra, ceux-ci étaient très inquiets pour leur fils e cerveau d’Einstein a été extrait de son crâne moins de sept heures après sa mort – avec son consentement préalable. Pendant trente ans, l’organe fera plutôt l’objet de controverses que de recherches scientifiques. Plusieurs études seront finalement réalisées par des universités américaines dans les années 1980 et 1990. L’une d’elles, publiée en 1999, compare le cerveau du génie avec celui de trente-cinq hommes et cinquante-six femmes : chez Einstein, la région impliquée Rue des Archives dans le calcul mathématique et la représentation de l’espace et du mouvement est de 15 % plus grande que la moyenne. Chez la plupart des individus, un sillon traverse cette partie du cerveau, mais pas chez Einstein. La communication entre les neurones s’en trouvait peut-être accélérée. Le reste du cerveau du génie est conservé aujourd’hui à l’hôpital de Princeton, dans le New Jersey. Ses yeux, en revanche, se trouveraient dans le coffre-fort d’une banque de New York. The Independent, Londres L COURRIER INTERNATIONAL N° 858 AFP unique, qui souffrait d’une crise d’hémophilie. Raspou- tine réussit à arrêter les saignements. Il prêchait un christianisme étrange, selon lequel une femme pouvait assurer le salut de son âme en couchant avec un saint homme. Beaucoup de femmes aristocrates auraient emprunté cette voie vers le paradis. La partie du corps de Raspoutine qui a sauvé tant d’âmes est exposée depuis 2004 dans le premier musée érotique de Saint-Pétersbourg. “Nous n’avons rien à envier aux Etats-Unis, où est conservé le pénis de Napoléon”, plastronnera le musée. “Face à notre organe de 30 centimètres, ce haricot vert ne fait pas le poids.” 54 DU 12 AU 18 AVRIL 2007 The Independent, Londres 858-couv sport ok BAF 6/04/07 18:15 Page I www.courrierinternational.com T R O P S Supplément au n° 858 du 12 au 18 avril 2007 Ian Kenins LE CLIMAT CHANGE LES RÈGLES DU JEU À L’OCCASION DE CE CAHIER SPÉCIAL, COURRIER INTERNATIONAL LANCE SON SITE CONSACRÉ AU SPORT SOUS TOUTES LES LATITUDES. http://sport.courrierinternational.com 858-II-XII couv sport baf 6/04/07 18:17 e n Page II c o u v e r t u r e L’HIVER 2007 AURA ÉTÉ PARTICULIÈREMENT DOUX. PLUSIEURS COMPÉTITIONS DE SKI ONT ÉTÉ PERTURBÉES PAR LE MANQUE DE NEIGE. EN AUSTRALIE, LA SÉCHERESSE EMPÊCHE LES AMATEURS DE CRICKET OU DE PÊCHE DE PRATIQUER LEUR DISCIPLINE PRÉFÉRÉE. PARTOUT, LES DÉRÈGLEMENTS DU CLIMAT CONTRAIGNENT LE MONDE DU SPORT À S’ADAPTER. Les sportifs rattrapés par l’écologie Pour éviter de voir certaines pratiques sportives totalement remises en cause par les bouleversements climatiques, il est temps que le monde du sport s’implique dans la bataille pour sauver la planète. SPORTS ILLUSTRATED New York a prochaine fois qu’un match du championnat de base-ball sera annulé à cause des pluies d’automne, vous pourrez maudire l’inutilité momentanée des billets au fond de votre poche. Ou alors vous pourrez vous demander pourquoi il pleut autant ou pourquoi des entraînements ont été annulés l’été dernier quand il n’y avait pas un seul nuage dans le ciel, ou bien pourquoi cette jetée sur laquelle vous remontiez autrefois du poisson à chaque coup n’existe plus. Ou encore pourquoi vous n’avez pas sorti vos superskis Titanium du garage depuis plusieurs hivers. Le réchauffement planétaire n’est pas à venir, il est là. Avec la hausse de la température sur l’ensemble de la planète, les océans se réchauffent, les cultures souffrent de la sécheresse, la neige fond, il pleut davantage et le niveau de la mer monte. Tout cela influe sur notre façon de pratiquer le sport ou de suivre les compétitions. Les preuves que le futur se rue sur nous plus vite que les scientifiques ne le pensaient sont présentes partout. Les grandes chaleurs vont obliger les responsables du football universitaire au Texas à passer à un seul match par jour au lieu de deux, ce qui marquait un véritable rite de passage pour les athlètes concernés. Dans la cour des grands, l’équipe de football américain des Miami Dolphins – les joueurs de ce club sont soumis à un entraînement dans des conditions extrêmes – a fini par se faire construire une “bulle” d’entraî- L ■ “Sports Illustrated” Leader sur le marché de la presse sportive aux Etats-Unis, l’hebdomadaire est plus connu pour son numéro spécial “Maillots de bain” que pour ses articles consacrés aux sujets de société. Aussi, lorsqu’il décide de faire son dossier de couverture sur la question du réchauffement climatique, cela suscite de nombreuses réactions. Plusieurs sites ont écrit sur cet intérêt soudain pour l’environnement, soulignant cependant que cela pourrait bien favoriser une prise de conscience, dans un pays où une majorité de personnes restent insensibles à la cause environnementale. nement climatisée. A cause de la fonte des glaciers et de la banquise polaire, et parce que l’eau chaude occupe plus de volume que l’eau froide, les océans gagnent du terrain. D’après les scientifiques, leur niveau devrait monter de 1 mètre d’ici à 2100, ce qui signifie que les zones humides seront inondées. Si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre à ce rythme, la température de la Terre montera de 5 °C d’ici à la fin du siècle. Les scientifiques sont unanimes pour dire que la hausse qui nous attend dans les cent prochaines années fera des dégâts. “Il y a de nombreux combats environnementaux à mener,” estime Bill McKibben, écrivain, militant et passionné de ski de fond. “Mais, si nous perdons celui-ci – ce qui est en train de se passer –, aucun autre n’aura d’importance. Le moment est critique.” LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES INFLUENT SUR LA PRATIQUE DU SPORT Le sport nous conditionne à voir d’abord les actions rapides, et, jusqu’à récemment, l’action du changement climatique se déroulait dans la durée, un peu comme une rencontre sportive où le score reste nul. Mais cette perception est en train de changer très rapidement, en particulier chez les skieurs, qui viennent de passer d’un extrême à l’autre dans la même saison. Un certain jour de novembre, il est tombé tellement de neige à la station de Beaver Creek, dans le Colorado, qu’il a fallu reporter l’entraînement de la descente hommes comptant pour la Coupe du monde. Le lendemain, à l’autre bout de la Terre, à la station française de Val-d’Isère, une autre descente de la Coupe du monde était annulée parce qu’il n’y avait pas assez de neige et parce que la météo annonçait la poursuite de températures clémentes. Au total, sept épreuves de la Coupe du monde ont été annulées en Europe COURRIER INTERNATIONAL N° 858 II DU 12 AU 18 AVRIL 2007 pour la même raison. L’équipe américaine de ski nordique est rentrée à la maison plus tôt que prévu après l’annulation, quatre fois en l’espace d’une semaine, d’une compétition, et elle a laissé sur le Vieux Continent des stations de ski qui essaient désespérément d’attirer les touristes en leur proposant des week-ends de remise en forme, des marchés de Noël et des randonnées à savourer en cet “automne indien”. Le départ de l’une des plus prestigieuses courses de chiens de traîneau au monde, l’Iditarod, en Alaska, n’a pas été donné depuis 2002 à Wasilla, comme le veut la tradition, parce qu’il n’y a jamais assez de neige. L’Elfstedentocht, le marathon de patinage reliant onze villes que les Néerlandais organisent dès que les canaux gèlent, n’a eu lieu qu’une fois depuis vingt ans. Les pistes de ski les plus hautes de la planète, qui se trouvent à Chacaltaya, en Bolivie (à 5 300 mètres d’altitude), seront bientôt impraticables par manque de neige, et les Suisses sont en train d’emmailloter un glacier millénaire dans une couverture isolante comme si c’était un nouveau-né. Le ski de randonnée en Amérique du Nord et la pêche sur glace dans le haut Midwest sont des activités en voie de disparition, et les stations de ski situées au-dessous de 1 200 mètres sont inquiètes. La bonne nouvelle est que les stades, si on les conçoit en pensant à l’environnement, peuvent être autre chose que des Walhalla symboliques qui nous rappellent que nous sommes tous logés à la même enseigne. Placez-les près d’une station de ligne de transport, et il deviendra moins nécessaire de les doter de ce grand ennemi de la Terre entre tous qu’est le parking (le stade de base-ball le plus écolo du pays est sans doute le Fenway Park, car seul un imbécile tenterait de s’y rendre en voiture). De plus, en installant des éoliennes sur des plates-formes surélevées, on pourrait capturer ce vent farceur qui s’amuse avec les balles frappées en chandelle et fournir au moins une partie de l’électricité nécessaire pour un événement sportif. Le Gillette Stadium, à Foxborough, dans le Massachusetts, est déjà équipé d’un système de recyclage de l’eau, 858-II-XII couv sport baf 6/04/07 18:18 Page III 1. Les temps sont durs pour Chacaltaya, la station de ski la plus haute du monde. Pourtant située à 5 300 mètres d’altitude, dans les Andes boliviennes, la neige s’y fait de plus en plus rare. 2. Le point de départ de la course de traîneau sur le lac gelé de Willow a été déplacé depuis 2002 faute de neige. David Mercado/Reuters - Jim Watson/AFP - J.D. Pooley/AP/Sipa - K. Josch/AFP - Scott Boehm/Getty/AFP - Darrell Ingham/Getty/AFP - Herman Wouters/Hollandse Hoogte - Clive Mason/Getty/AFP - Samantha Sin/Getty/AFP - Doug Pensinger/Getty/AFP 1 3. Des bûcherons américains abattent des frênes victimes d’un parasite d’origine asiatique qui prolifère aux Etats-Unis et au Canada du fait du réchauffement climatique. 2 3 4. A Kitzbuehel, des soldats autrichiens commencent à étaler la neige transportée par hélicoptère en vue de préparer la piste pour la descente hommes comptant pour la Coupe du monde du 15 janvier 2007. 4 5. Match de football américain entre les Miami Dolphins et les New England Patriots au Gillette Stadium, l’un des rares stades qui recyclent les eaux usées aux Etats-Unis. 6. Dan Wheldon au volant de sa Honda lors de la course d’Indy 300, le 24 mars 2007. Sa voiture roule avec un carburant complété par de l’éthanol. 5 7 6 7. Monument commémorant l’Elfstedentocht, marathon de patinage reliant onze villes du nord des Pays-Bas. Celui-ci n’a pas été organisé depuis 1997 en raison des températures trop clémentes. 8. Des trombes d’eau s’abattent sur le stade de Stamford Bridge, à Londres, lors de la rencontre Chelsea-Fulham du 30 décembre 2006. 8 9. Le marathon de Hong Kong du 12 février 2006 a été couru malgré la très mauvaise qualité de l’air. Résultat : vingt marathoniens ont été hospitalisés, dont deux dans un état grave pour des problèmes respiratoires. 9 10. La descente hommes de la Coupe du monde de ski, à Avon dans le Colorado, a été perturbée le 28 novembre 2006 par de trop fortes chutes de neige. 10 COURRIER INTERNATIONAL N° 858 III DU 12 AU 18 AVRIL 2007 858-II-XII couv sport baf e n 6/04/07 18:20 Page IV c o u v e r t PORTRAIT Streeter Lecka/Getty/AFP ■ Bob Burnquist roule pour la planète Toujours prêt à relever les défis les plus fous avec sa planche à roulettes, le champion américain tente désormais de convaincre ses contemporains de l’importance de préserver l’environnement. l n’a pas peur de prendre des risques. Bob Burnquist en a même fait son métier. Ce professionnel de la planche à roulettes a 30 ans. Il a déjà remporté douze médailles aux X Games [les JO des sports extrêmes]. Il a inventé et baptisé plusieurs figures. En 2006, il s’est catapulté avec une rampe au-dessus du Grand Canyon et, par la même occasion, dans le Livre des records. Mais, lorsqu’il s’agit de sa santé et de celle de la planète, Burnquist refuse de prendre des risques. Il est né et a grandi au Brésil, où il s’est toujours nourri de produits locaux, frais et biologiques, une habitude qu’il a gardée dans sa vie d’adulte. Après avoir dirigé pendant plusieurs années un restaurant végétarien à Encinitas, en Californie, il a décidé d’agir en accord avec ses principes dans le domaine alimentaire et de recueillir des fonds pour mettre le jardinage et l’agriculture biologiques au programme des écoles. Son initiative, qui a démarré par un petit projet dans une école californienne sous l’égide de la Bob Burnquist Foundation, a pris de l’envergure grâce à un partenariat avec Toyota. Dans sa vie professionnelle, Bob Burnquist s’est toujours efforcé de rester fidèle à ses idéaux. Il choisit comme sponsors des entreprises écologiques telles que Stonyfield Farm et Sambazon, une société spécialisée dans les boissons énergétiques à base d’açaí, un fruit riche en anti- I Olympisme Depuis 1994, le Comité international olympique (CIO) considère désormais “l’environnement comme la troisième dimension de l’olympisme, aux côtés du sport et de la culture”. oxydants originaire du Brésil. Il se bat également pour que les manifestations de sports extrêmes respectent l’environnement, en demandant par exemple aux organisateurs des X Games d’utiliser du bois certifié FSC (Forest Stewardship Council) [organisation internationale qui garantit que le bois provient de forêts gérées de façon durable] pour fabriquer les rampes et de proposer des aliments sains fournis par des partenaires tels que Whole Foods. Avec sa femme, Jen O’Brien (également championne de planche à roulettes), il a cofondé l’ONG Action Sports Environmental Coalition, dont le but est de développer une conscience écologique dans l’univers de la planche, du surf et du BMX (bicross), univers qui s’étend bien au-delà de la scène californienne. A la fin du mois de janvier, 70 000 personnes se sont rendues à Aspen pour assister aux X Games d’hiver, et des millions de téléspectateurs ont suivi les compétitions sur la chaîne sportive ESPN. Les X Games d’hiver et d’été font les plus grosses audiences des chaînes sportives, et les sponsors signent de très gros chèques dans l’espoir d’atteindre un public qui appartient majoritairement à la tranche d’âge très convoitée des 12-24 ans. Bob Burnquist est conscient que la plupart de ses admirateurs sont à un âge où l’on se laisse facilement impressionner. “Lorsque j’étais enfant, j’admirais les champions de planche à roulettes et tout ce qu’ils faisaient me paraissait cool, explique-t-il. S’ils étaient punks, je voulais être punk.” Mais, aujourd’hui, il espère avoir une influence positive en étant plutôt “du genre hippie écolo”. Mobilisation Depuis 1999, l’ONG japonaise Global Sports Alliance multiplie les opérations pour sensibiliser le monde du sport à la cause écologiste. Parmi ses actions les plus spectaculaires, la création du mouvement Ecoflag, en association avec le Programme des Nations unies pour l’environnement. Il s’agit d’associer la protection de l’environnement à chaque manifestation sportive, en signalant au public et aux athlètes que la défense de la nature est désormais une priorité s’ils veulent profiter encore longtemps de leurs activités physiques. <www.gsa.or.jp> Sarah Van Schagen, Grist, Seattle 3000 COURRIER INTERNATIONAL N° 858 IV C’est le nombre d’arbres que la Ligue nationale de football américain (NFL) a décidé de planter en Floride pour compenser les émissions de gaz à effet de serre liées à la finale du championnat. DU 12 AU 18 AV RIL 2007 u r e qui permet de récupérer les eaux usées. Un équipement sportif très courant est déjà prêt à servir notre cause : le parcours de golf. C’est par définition un espace vert protégé et, s’il n’est pas transformé en dépôt de pesticides ou s’il ne sert pas à aligner des villas le long des fairways, il fonctionne comme un filtre à grande échelle, car l’eau qui s’en écoule est plus propre que lorsqu’elle y arrive. Depuis sa maison de Ripton, dans le Vermont, Bill McKibben, qui a tiré très tôt la sonnette d’alarme du changement climatique avec son livre The End of Nature [La Nature assassinée, éd. Fixot, 1994], observe la défiguration de la planète avec autant de mélancolie que d’indignation. Il participe actuellement à l’organisation d’une manifestation nationale, qui aura lieu le 14 avril, pour appeler tous les Américains à agir contre le changement climatique. Des rassemblements sont prévus dans les sites emblématiques des activités et des sports de plein air. “Si j’étais mû par de grands principes moraux, l’image de centaines de millions de Bangladais fuyant la montée des eaux, la dengue et la famine m’empêcherait de dormir, explique-t-il. Mais je ressens davantage l’urgence de la situation en hiver, lorsque je me rends compte que j’ai de moins en moins d’occasions de chausser mes skis.” Et c’est peut-être là que réside la grande valeur du sport. Si l’alarme est donnée dans un univers aussi familier et que nous aimons tant, peut-être l’entendrons-nous et en tiendrons-nous compte. En cette époque où presque tout dans notre vie, depuis l’économie jusqu’à la technologie, est linéaire et numérique, le sport continue à évoluer en cycles gracieux et à marquer le rythme des saisons. “C’est le dernier des calendriers semi-païens qu’il nous reste, poursuit Bill McKibben, et une bonne partie va disparaître. Si les entraînements de printemps ne se font plus en Floride mais plus au nord, les belles phrases de Bart Giamatti [ancien commissionnaire du base-ball, il a décrit ce sport en des termes très bucoliques] n’auront pas le même poids. Nous sommes tellement convaincus que nous pouvons affronter les forces de la nature que nous n’hésitons pas à baptiser nos équipes ‘les Hurricanes’ ou ‘les Cyclones’. Dans dix ans, il nous semblera tout aussi normal de leur donner des noms tels que ‘les Fléaux’.” Dix ans. L’équivalent de deux olympiades et demie. Suffisamment de temps pour que nos sportifs et nos équipes montent en première ligne, enflamment les foules et influencent les comportements. Lorsqu’ils le feront, espérons que nous réagirons en les acclamant et en suivant leur exemple. Mais, pour nous, spectateurs, ce match sera différent. Nous ne pourrons pas nous contenter d’y assister depuis la touche. Nous devrons nous aussi aller sur le terrain. Alexander Wolff Engagement Fondée en 2001, l’ONG Action Sports Environmental Coalition (ASEC), profite de l’engouement pour les sports extrêmes pour délivrer un message en faveur de l’environnement. 858-II-XII couv sport baf 6/04/07 18:23 Page V Ian Kenins COMMENT LE CLIMAT CHANGE LE SPORT Graeme Scannell est responsable du terrain de cricket de Geelong depuis vingt-cinq ans. La sécheresse de janvier 2007 est la plus grave qu’il ait jamais connue. La saison a d’ailleurs été écourtée faute d’eau. Le vert gazon australien a disparu L’Australie, qui refuse toujours de ratifier le protocole de Kyoto, est frappée par la sécheresse depuis plusieurs mois. Une situation aux conséquences dramatiques pour un pays où le sport est roi. INSIDE SPORT Sydney Q u’avez-vous fait de votre eau ? Et de vos sports ? Chaque matin, c’est la même vaste étendue bleue et sans la moindre goutte d’eau qui s’étend d’est en ouest, inondant le paysage défraîchi sous des vagues de chaleur dédaigneuse. Où sont passés vos sports ? La complainte sarcastique d’un corbeau dans le bruissement desséché des eucalyptus semble être le dernier bruit sur terre. Tandis que la chlorophylle disparaît de nos pelouses, c’est le sport qui agonise. Nous devrions en être aussi alarmés que si c’était la grenouille qui disparaissait. Car cela veut dire que notre monde perd sa couleur. En mauvais gestionnaires de l’eau, nous murmurons désormais notre peur et notre culpabilité : “Nous n’aurions pas dû tenir l’eau pour acquise. Nous allons maintenant devoir payer.” Tout se paie. Un jour, il se pourrait qu’on nous annonce officiellement la fin du sport. Un pays fondé sur le sport devrait s’inquiéter pour ses espaces verts, pour ses lacs et ses rivières. Le souvenir des journées chaudes qui défilaient à toute vitesse dans la fraîcheur des arroseurs crachotants, dans cette odeur d’humidité qui nous était si agréable qu’elle en venait à nous manquer, mène à une prise de conscience : notre identité de peuple fort et indépendant, amoureux du plein air, reposait sur l’eau. Le désespoir s’étend sournoisement, telle une sclérose dans le système nerveux. Un agriculteur du Mallee [au nord-ouest de l’Etat de Victoria, dans le sud-est de l’Australie] abandonne une centaine de têtes de bétail et égorge les agneaux. Les cadavres sont desséchés, ratatinés. Le régisseur d’un terrain de cricket regarde l’herbe dépérir. Même les vieux ormes privilégiés des bords du fleuve Yarra sont abattus. Ce sont les premiers craquements qui précèdent l’effondrement. La majeure partie de l’ouest de l’Etat de Victoria est une fenêtre sur l’enfer, un lieu de géhenne. Chacun de nous devrait aller voir ce qui s’y passe.Voilà qui nous passerait définitivement l’envie de tenir quoi que ce soit pour acquis. Le lac artificiel Wendouree, au bord duquel se trouve la ville de Ballarat, a connu le pire de la crise il y a trois ans. Il en est mort. Même si on le reconstitue, ce ne sera jamais plus ce lac urbain prospère, grouillant d’une vie sur laquelle s’appuyait auparavant un riche écosystème qui a rendu son dernier soupir. Geoff Cramer, président de l’association aquatique de ce lac qui COURRIER INTERNATIONAL N° 858 V Reportage photo : Ian Kenins. ■ Vélo A l’initiative de l’Association européenne de cyclosport (AEC), cinq des plus importants événements de Cyclisme pour tous européen (cyclosport) en 2007, auxquels participeront entre 35 000 et 40 000 personnes, auront notamment pour but de promouvoir les enjeux environnementaux associés aux activités sportives de masse, et ainsi d’encourager les participants et les spectateurs à mieux saisir l’importance de préserver l’environnement. <www.veloconcept.com> DU 12 AU 18 AVRIL 2007 n’existe plus et représentant d’un groupe de pêcheurs désormais aussi incongru qu’un refuge de montagne aux Bahamas, en sait trop pour garder espoir. “Les concours de pêche à la truite, l’aviron, tout ça c’est terminé. La course d’aviron Head of the Lake est partie pour le lac Nagambie. Les pêcheurs, à la ligne et à la mouche, doivent maintenant aller pêcher en eau salée, en Tasmanie ou en Nouvelle-Zélande.Terminé la plaisance. Le nombre des adhésions au yacht-club est tombé au ras des pâquerettes. Le club de canoë n’a plus d’installations d’entraînement ; ils étaient nombreux à s’entraîner pour le Murray River Marathon. Les épreuves nautiques des triathlons avaient souvent lieu ici.Les jeunes vont désormais se tourner vers les sports non aquatiques. Lors des concours de pêche à la ligne du Commonwealth, les Gallois, les Canadiens, les Anglais, tout le monde nous disait : ‘C’est génial. Faites bien attention à préserver cela.’ Mais, aujourd’hui, la sécheresse a mis fin à tout cela. Maintenant que les herbes aquatiques (myriophylles, scirpes ou éléocharides, qui garantissent la clarté de l’eau) sont mortes, il y a peu de chances de revoir des mouches de mai. Les rameurs d’aviron qui sont venus pour le cinquantième anniversaire des Jeux olympiques de 1956 [de Melbourne] étaient effarés à la vue du lac. Ce n’était pas un simple site sportif, c’était notre cœur”, affirme Cramer, qui travaille aussi au Central Highlands Water [le service local de l’eau]. Et il n’y a pas d’autre solution que de s’en remettre à Dame Nature. Il y a bien un projet de pompage visant à injecter 4 millions de litres par jour dans le lac à partir des réserves des envi- 858-II-XII couv sport baf e n 6/04/07 18:24 Page VI c o u v e r t u r e L’entraîneur David Noonan et le jockey Jack Hill ont dû renoncer à courir cette année. rons, mais encore faudrait-il qu’il pleuve. Pleins d’espoir, des échassiers se rassemblent dans les endroits boueux. Quelques carpes suffoquent dans des flaques de trente centimètres de profondeur. Il n’y a pas si longtemps, ces poissons étaient le cauchemar des pêcheurs. Aujourd’hui, tout le monde espère la survie de ces malheureuses rescapées. Des anguilles, animaux robustes, s’étaient réfugiées au centre du lac : on les a trouvées mortes dans les derniers vestiges d’eau, elles qui avaient résisté au pire par le passé. “J’ai vu dépérir l’anguille là où elle s’était enroulée/Dans la dernière goutte de sang de ce monde usé”, dit Judith Wright dans son poème intitulé DroughtYear [année de sécheresse]. Paul Blanchfield et ses quatre barreurs, arrivés deuxièmes au dernier championnat australien d’aviron des moins de 23 ans, passent aujourd’hui plus de temps sur les rameurs des salles de gym. Deux bateaux de plaisance gisent, bancals, sur une étendue de terre craquelée. Des kayaks immobilisés s’entrechoquent avec un bruit creux dans le vent sec. Les avirons bringuebalent dans leur rangement. Le silence de la rivière Wimmera n’est troublé que par le bourdonnement des mouches. Le concours de pêche de la ville d’Horsham a été annulé. Chris Spence se tient sur un banc de terre dans le lit de la rivière, au milieu de racines enchevêtrées et de plantes aquatiques à l’agonie tendues désespérément vers le ciel. Cet ami et compère de Rex Hunt [animateur d’une émission sur la chasse et la pêche] était l’arbitre principal de la compétition de pêche. “Le lac artificiel de Toolondo était un bijou, raconte-t-il. La plus belle pêcherie de truites d’Aus- Les courses de chevaux à Great Western ne sont plus qu’un lointain souvenir. tralie, qui valait plusieurs dizaines de millions.” En 1997, au début de la sécheresse, la truite rapportait à elle seule 136 millions de dollars australiens [82 millions d’euros] à l’économie de l’Etat de Victoria. “Les lacs Natimuk, Dock et Pine sont asséchés. Le Lachlan est réduit à 2 % de son étendue. Le Green Lake, un habitat vital pour la morue de la Murray et la perche, a disparu”, explique Chris Spence. On dirait un général énumérant la chute de grandes places fortes. Même pour un optimiste comme lui, cette litanie déprimante invite au silence. Mais la sécheresse n’affecte pas que les sports aquatiques. L’ouest de l’Etat de Victoria, comme une grande partie de l’Australie, est grêlé de terrains de sport brûlés et poussiéreux. La saison dernière, la plupart des matchs de football australien junior ont été annulés. Une question de gros sous. Les chiffres font mal aux pouvoirs publics : “Un terrain de sport normal a besoin de 70 000 à 80 000 litres par arrosage, avec trois arrosages par semaine. Or l’acheminement de l’eau depuis une station de traitement pour un terrain jusqu’à la fin du mois d’avril [fin de l’été austral] coûte près de 100 000 dollars. Faites le calcul, il faudrait 1 million de dollars pour arroser dix terrains de sport…” A en croire David Neil, le président du Cricket Club de Geelong [Victoria], la pluie arrivera trop tard – si elle arrive. “Il n’y a plus rien à faire repousser, souligne-t-il. Je travaille pour la mairie. Les autorités refusent de semer sans avoir la certitude que des précipitations tomberont dans des quantités au moins conformes aux moyennes. Nous pouvons certes installer des équipements économes en eau,herser la terre,ensemencer, COURRIER INTERNATIONAL N° 858 VI ■ Promesse Soucieux de montrer l’exemple, les responsables de la Ligue de football australienne (AFL) ont mis sur pied un programme destiné à neutraliser les 120 000 tonnes de gaz à effet de serre que les activités de la Ligue généreront au cours des trois prochaines années. Ils souhaitent notamment inciter les spectateurs à ne plus utiliser leur voiture pour se rendre dans les stades et entendent planter quelque 500 000 arbres. mettre de l’engrais,mais si c’est pour regarder ensuite les semences se faire manger par les oiseaux ou balayer par le vent… Dans le meilleur des cas, il nous faudra sans doute deux ou trois ans pour nous en remettre. Mais la pelouse des terrains de cricket sera sans doute morte d’ici à la saison prochaine.” L’Association de cricket de Geelong (GCA) n’est pas allée au bout de la saison après avoir été informée de l’adoption de mesures de restrictions d’eau de niveau 3. Appelés à cesser l’arrosage par le service des parcs et jardins, sur ordre de la Barwon Region Water Authority, les présidents de club ont écourté la saison. Graham Scannell est responsable du terrain de la Winter Reserve, à Belmont. “S’il ne pleut pas cet hiver, nous pourrions ne pas être là l’année prochaine, pronostique-t-il. Et il est difficile de demander aux joueurs de bien se préparer alors qu’ils ne savent même pas s’ils vont pouvoir jouer. La dernière saison a été atroce, avec des chutes sur un sol dur comme de la pierre – les joueurs mettaient des jours à récupérer. Il y aura un travail énorme pour que les terrains soient à nouveau en état. Et si la pluie arrive tôt, tout se transformera en boue. L’installation de surfaces synthétiques coûte très cher, et elle prendrait beaucoup de temps. Et puis, ce n’est pas la question, l’Australie est unique : je n’imagine pas qu’on puisse se passer du gazon. Il n’est pas envisageable pour moi que nous jetions l’éponge. Les clubs vont se battre. C’est peut-être un discours trop mélodramatique, je ne sais pas. Mais le sport au niveau local joue un rôle tellement important chez nous.” C’est même plus que du sport. C’est la vie sociale qui est en jeu. “A Noël, on entendait les filles dire : ‘Je ne sais pas quand je vais te DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Photos : Ian Kenins Faute de pouvoir ramer sur le lac, aujourd’hui asséché, les avironeurs s’entraînent en salle. 858-II-XII couv sport baf e n 6/04/07 18:25 Page VIII c o u v e r t u r e Racing Victoria. “Notre secteur n’est pas vraiment menacé, mais quatorze sites sont dans une situation critique. Nous avons tout de même des sites de remplacement.” Le secteur n’est donc “pas vraiment menacé”, mais, dans les zones rurales de l’Etat de Victoria, une manifestation sportive est un événement essentiel. Déménager une course ne vaut guère mieux que l’annuler. Towong accueille ainsi deux courses par an, chacune attirant quelque 4 000 spectateurs. Le site naturel de Hanging Rock avait coutume de voir des foules affluer à l’occasion de la fête nationale, le 26 janvier. En 2007, elle a été annulée. Pour Matt Hall, en charge des courses à Great Western, le plus important sera d’arriver à faire revivre la manifestation. “Financièrement, cette journée est un gros manque à gagner pour le club, mais c’est grave pour toute la ville, qui n’avait que ça et le rodéo de Pâques. Le cricket risque d’être suspendu, et on s’inquiète aussi pour le football. Perdre la course hippique, c’est un coup dur”, reconnaît-il. DE NOMBREUSES COMPÉTITIONS ONT ÉTÉ ANNULÉES À CAUSE DE LA SÉCHERESSE Photos : Ian Kenins Le yacht-club de Ballarat n’a plus de raison d’être depuis que le lac Wendouree est totalement à sec. Même s’il reste optimiste, Chris Spence sait bien que la pratique de la pêche est pour longtemps perturbée dans la rivière Wimmera. revoir.’ Les jeunes viennent sur le terrain pour jouer. C’est un club familial. Mais, sans le cricket, ça n’est plus pareil”, déplore Graham Scannell. La légende du foot australien John “Swooper” Northey entraîne désormais le club de Ballarat. C’est la première fois qu’il assiste au report d’une saison. “Il tombe normalement près de 600 mm de précipitations, mais on dirait aujourd’hui que la pluie se volatilise avant d’arriver sur Ballarat”, raconte le footballeur. Il a déjà mis ses jeunes joueurs en vacances pour qu’ils puissent faire face à une saison qui se terminera tard dans l’année. Doté du flair qu’ont les entraîneurs pour les statistiques, “Swooper” sait ce que représente la perte d’un terrain. “Entre le foot et le cricket, les juniors et les adultes, ce sont 600 à 800 personnes sur le terrain toutes les semaines, calcule-t-il. L’école ■ En couverture Nulle part où s’entraîner, car le lac Wendouree, où eurent lieu les courses des Jeux olympiques de 1956, est asséché depuis le printemps 2006. aussi s’en sert. Ne pas avoir d’eau pour un terrain, c’est un très gros problème,y compris au niveau social. L’annulation pure et simple d’une saison serait extrêmement grave. Les clubs s’appuient sur des bénévoles pour lever des fonds, les sportifs ne sont pas les seuls concernés. Cela ne touche pas une personne, cela touche tout le monde, tous les aspects de la vie.” La sécheresse a aussi creusé le fossé entre la campagne et les villes. C’est dans le secteur des courses hippiques, le troisième plus gros pourvoyeur d’emplois dans l’Etat de Victoria, que le phénomène est le plus criant. En revanche, la sécheresse reste une menace floue pour les zones urbaines. [Les hippodromes de] Caulfield et Moonee Valley, dans la banlieue de Melbourne, “manquent d’eau, mais cela reste vivable”, estime Lee Jordan, en charge des courses pour la société COURRIER INTERNATIONAL N° 858 VIII DU 12 AU 18 AV RIL 2007 Même constat pour les clubs de golf, qui peuvent éventuellement opter pour la solution du gazon artificiel. Mais ce n’est de toute façon pas la panacée. Anglesea, Portarlington, Bareena, Ocean Grove, Geelong et bien d’autres sont passés au synthétique. Mais les frais à court terme s’élèvent à quelque 150 000 dollars par green, et le synthétique a lui aussi besoin d’eau. Sans compter que le découpage et la mise en place représentent un travail considérable et que, la terre s’étant déformée sous l’effet de la sécheresse, certains de ces clubs ne fonctionnent pas normalement.Tony Long est las d’avoir une épée de Damoclès audessus de la tête. Après avoir regardé se flétrir les vastes pelouses de St Leonards et fait quelques calculs, il en a conclu qu’il s’agissait de préserver non plus l’identité du club, mais le club tout court, en tant qu’entreprise rentable. Et tant pis s’il faut pour cela renoncer au gazon et au jeu de boules. Un week-end, la pluie sembla à tous imminente. Quelques gouttes appétissantes se sont évaporées sans même toucher le sol. L’ombre de la mort plane toujours sur les sports. Certains veulent pourtant croire que la résurrection n’est pas loin. Des pêcheurs optimistes, tel Chris Spence, croient voir les joncs et les acacias se préparer au retour de la pluie, imaginent des lacs grouillant de vie, le retour de micro-organismes, suivis par les insectes, puis les crustacés et les petits poissons, et enfin par les gros poissons, ramenés par la montée des eaux : le retour de l’abondance. L’espoir fait vivre, diront certains. Comme en politique, certains avancent la théorie des cycles quand ça les arrange, tandis que d’autres nous annoncent la fin du monde. Dans tous les domaines, les opinions sont légion. Mais, comme la sécheresse, l’idéologie fait des victimes. De temps en temps, lorsque le vent vient du nord, un tourbillon de terre venu du Mallee souffle jusqu’à Melbourne, telle une mise en garde importune mais minuscule, née dans la gueule brûlante de l’enfer, que lanceraient les campagnes à la ville. Robert Drane 858-II-XII couv sport baf 6/04/07 18:26 Page IX COMMENT LE CLIMAT CHANGE LE SPORT La F1 n’a pas trouvé la bonne formule Biocarburant, récupération de l’énergie. Les idées ne manquent pas pour réconcilier l’automobile avec l’environnement. Mais tout le monde n’est pas encore prêt à franchir le pas. SPORT BILD Hambourg vec un mélange de sérieux glacial et d’humour anglais, l’homme, d’un certain âge, lâche : “L’environnement ? On en fait déjà assez. On trie les ordures dans les paddocks.” A 76 ans, Bernie Ecclestone, le grand manitou de la F1, est aussi connu que craint pour ses petites phrases. Car l’humour qu’il utilise pour parler de l’évolution de la Formule 1 cache souvent de réelles préoccupations d’avenir. Et, de fait, les voitures sont à la veille du plus grand bouleversement technique de leur histoire. À partir de 2011, la F1 va devoir montrer la voie en matière de technologies de l’environnement et de récupération de l’énergie. Au freinage, les disques peuvent chauffer jusqu’à 800 degrés. Max Mosley, président de la Fédération internationale de l’automobile, souhaite voir cette chaleur récupérée et réutilisée. Ses ambitions ne font cependant pas l’unanimité dans le monde de la F1. Pour certains, vouloir faire de la F1 un sport écologique, c’est aller dans la mauvaise direction. Le problème, ce ne sont pas les émissions de CO2 de “quelques voitures” de F1, explique Mark Webber, 30 ans, pilote de l’écurie Red Bull. “Le problème, c’est plutôt ces grands pays comme la Chine ou l’Inde, où on constate une pollution de l’air importante dans certaines régions.” Mario Theissen, 54 ans, directeur de BMW Motorsport, est du même avis. “Dire que la F1 nuit à l’environnement à cause de ses 22 voitures, A Abus Le collectif Alliance pour la planète, qui regroupe 80 mouvements, associations et ONG en France, dénonce l’usage abusif de l’argument écologique dans la publicité. Il estime qu’elles minimisent et banalisent la nécessité impérative de changer nos comportements de consommation. C’est notamment le cas des messages concernant l’automobile, où l’on promeut notamment des 4 x 4 qui rapprochent le conducteur de la nature sauvage alors que dans le même temps ces véhicules sont de gros pollueurs. <www.lalliance.fr> Jenson Button au volant de la Honda RA107. Le bolide est aux couleurs de la terre pour sensibiliser le public. c’est un peu trop facile”, estime-t-il. Comme d’habitude, la vérité se trouve entre les deux. Ce qui est sûr, c’est qu’une voiture de F1 consomme 60 litres aux 100 kilomètres. Lors d’une course, une voiture rejette 1 500 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre, contre une moyenne de 160 grammes en moyenne pour une voiture particulière. Mais même les défenseurs de l’environnement avouent que les émissions de CO2 deviennent si minimes en F1 qu’elles jouent un rôle insignifiant dans le débat sur le climat. Pour Wolfgang Lohbeck, 62 ans, directeur des projets spéciaux à Greenpeace, “le problème de la F1, ce n’est pas l’émission de substances nocives, mais c’est qu’elle donne une image néfaste de la voiture”. Il n’est pas le seul de cet avis. “Je ne suis pas contre la réduction du débit de carburant. Récupérer l’énergie et utiliser des biocarburants est aussi une bonne idée. Nous avons toujours dit que nous soutenions ces mesures”, explique Mario Theissen. Son homologue chez Mercedes, Norbert Haug, voit les choses sous le même angle. “Mercedes est leader en matière de technologie automobile. Nous sommes ouverts à toute innovation technique qui apporte un plus”, affirme-t-il. Il y a toutefois un problème pour les deux constructeurs : les coûts. “Nous avons rappelé que ces projets vont à l’encontre des efforts de réduction des coûts”, confie Theissen. Il ne peut pas encore donner de chiffres précis. Mais il ajoute que “cela va entraîner un dépassement des coûts que nous avions réussi à éviter grâce au bridage des moteurs”. Mercedes et BMW s’accordent sur un autre point : “Il faut que la F1 garde son caractère de compétition de très haut niveau.” Dans les années 1980, rappelle Mario Theissen, une quantité fixe de carburant était allouée à chaque voiture pour chaque course. “Résultat : la plupart des voitures roulaient à fond tandis que d’autres devaient aller lentement pour ne pas être à court de carburant. Ça n’a rien à voir avec une course.” Ralf Bach et Alexander Ohrt COURSE AUTOMOBILE Les pilotes changent de pompe ■ Cette saison, quand les pilotes de la NASCAR ou de l’IndyCar, ces championnats qui se déroulent sur des circuits très rapides, mettront le pied au plancher, ils participeront à la transition vers des carburants plus propres. Lors de la coupe NASCAR Nextel, qui s’est déroulée le 25 février dernier, les réservoirs des 43 concurrents ont pour la première fois été remplis de sans-plomb. Quant aux voitures qui participent à l’IndyCar 2007, elles vont recevoir un complément d’éthanol, et non plus de méthanol, un carburant dérivé du gaz naturel fossile. Cette tendance ne se limite pas aux courses qui font la une des journaux. Le championnat Le Mans américain de voitures de sport et de prototypes se convertit actuellement à l’E10, un mélange composé de 10 % d’étha- nol et de 90 % d’essence. Même des carburants qu’on ne trouve pas encore dans les stations-service entrent dans la compétition. En janvier, une nouvelle écurie a annoncé qu’elle organiserait une course Hydrogène 500 en 2009. La transition de la NASCAR vers le sansplomb a été lente et assez coûteuse. Un programme d’élaboration de carburant de course avait été lancé avec Unocal, l’ancien fournisseur de carburant pour la NASCAR. Mais ce changement a été remis à plus tard, lorsque Unocal a quitté le championnat en 2003. Sunoco a pris la succession, élaborant un mélange qu’il appelle 260GTX, avec un indice d’octane à 98, soit très au-dessous de son essence de course (indice 112). Malgré la baisse de l’indice d’octane, les équipes de la NASCAR affirment avoir mis au point des moteurs aussi puissants que ceux alimentés à l’essence plombée. Les voitures participant au championnat de l’IndyCar, dont le principal événement est Indianapolis 500, devraient utiliser un carburant contenant 98 % d’éthanol présenté comme une essence renouvelable, produite nationalement. Mais elles ne figureront pas pour autant en tête de la liste des véhicules peu gourmands en carburant que dresse l’Agence de protection de l’environnement. Le directeur technique de l’IndyCar, Les Mactaggart, assure que les moteurs alimentés à l’éthanol devaient consommer 67,2 litres aux 100 km, contre 117,6 litres aux 100 km pour la formule méthanol-éthanol à 90-10 utilisée la saison dernière. Les réservoirs de COURRIER INTERNATIONAL N° 858 IX DU 12 AU 18 AVRIL 2007 l’IndyCar ont aussi été réduits de 113 litres à 83, afin de maintenir le même nombre d’arrêts au stand pendant une course, explique Les Mactaggart. Le nouveau carburant contient 2 % d’essence – qui a dû être incorporée au mélange –, sans quoi il serait soumis aux contrôles de l’Administration des alcools, des tabacs et des armes à feu car l’éthanol n’est autre que de l’alcool éthylique. Pendant la prohibition, pour échapper à la police, les trafiquants d’alcool conduisaient des voitures aux moteurs gonflés, et, le week-end, ils organisaient des courses. Ces dernières sont à l’origine des championnats de la NASCAR. Autant dire que la course automobile, tout en progressant, semble avoir bouclé la boucle. Dave Caldwell, The New York Times, Etat-Unis DR ■ 858-II-XII couv sport baf e 6/04/07 18:26 n Page X c o u v e r t u r e A Pékin, ça sent le soufre THE WALL STREET JOURNAL New York a manifestation des Jeux olympiques de 2008 n’est pas la seule chose à se profiler à l’horizon de Pékin. Il y a aussi la pollution des provinces voisines : le Shanxi, le Shandong, la Mongolie-Intérieure et le Hebei. Ces provinces, qui comptent parmi les régions les plus polluées du monde, sont connues pour leurs mines de charbon, leurs centrales électriques, leurs cimenteries et leurs aciéries. Les scientifiques chinois et étrangers s’accordent à dire que, même si Pékin ordonne la fermeture de ses usines, interdit les déplacements non indispensables et demande à ses habitants de ne pas se servir de leurs installations de climatisation, il sera impossible d’empêcher les vents de passer d’une province à l’autre. Ce phénomène inquiète un certain nombre d’athlètes de premier plan qui s’entraînent pour les Jeux de 2008. Des médecins britanniques ont testé certains participants aux championnats du monde juniors 2006, qui se sont déroulés sur les sites des Jeux olympiques. Ils ont constaté que, au fur et à mesure que la semaine s’écoulait, la qualité de l’air se dégradait rapidement. “Je ne pense pas qu’un nouveau record du monde puisse être établi au marathon”, estime le médecin Marco Cardinale, directeur de recherche au sein du Comité olympique britannique. La pollution risque d’engendrer des crises d’asthme chez des athlètes prédisposés à ce genre de pathologie et d’avoir des conséquences néfastes sur ceux qui resteront longtemps en plein air. “Ce n’est pas seulement la qualité de l’air qui est en cause, c’est sa combinaison avec la chaleur et l’humidité”, ajoute-t-il. Voilà pourquoi les autorités chinoises ont mis sur pied un groupe d’étude pour tenter de réduire la pollution des provinces voi- L ■ Eolienne Le village olympique des JO de 2012, qui auront lieu à Londres, sera alimenté en électricité grâce à une éolienne de 120 mètres de hauteur implantée dans l’est de la capitale britannique. L’électricité produite pourra alimenter l’équivalent de 1 200 foyers, assure le Comité d’organisation, qui supervisera la construction de cette infrastructure. Les travaux commenceront au printemps 2008. Le 12 mars 2007, des ouvriers pékinois apprennent la délocalisation de leurs usines, jugées trop polluantes. sines de la capitale. He Kebin, professeur à la prestigieuse université de Tsinghua, admet que la tâche n’est pas facile, d’autant que les attentes sont plus grandes à l’égard de Pékin puisqu’il y a une prise de conscience généralisée des questions environnementales. Les Jeux de 2008 représentent un enjeu de taille pour la Chine. Quelque 2 millions de visiteurs et plusieurs dizaines de milliers de journalistes assisteront à cette manifestation, qui pourrait connaître le plus grand afflux d’étrangers que le pays ait jamais connu. Les autorités chinoises cherchent à éviter un scandale comme celui qui s’est produit à une plus petite échelle, en 2006, à Hong Kong, quand des marathoniens ont eu des malaises après avoir couru dans une atmosphère très polluée. En 2001, la Chine avait promis, pour défendre sa candidature, de ramener aux niveaux recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la concentration de polluants dangereux, comme le dioxyde de soufre, le dioxyde d’azote et l’ozone. Elle s’était également engagée à maintenir la teneur en matière particulaire, un composant du smog, aux niveaux observés dans les pays développés. Selon les scientifiques, l’ozone et la matière particulaire fine sont tout particulièrement dangereux. A ce jour, les autorités chinoises ne sont pas parvenues à tenir leurs promesses. Elles ont beau affirmer que le ciel est bleu les deux Guang Niu/Getty/AFP Difficultés pulmonaires, crises d’asthme, malaises : les athlètes qui participeront aux Jeux olympiques de 2008 ont tout à craindre de la pollution ambiante. tiers du temps, comme dans le reste du pays, une brume épaisse continue d’envelopper la capitale – et de remplir les poumons – une grande partie de l’année. Des études ont montré que, au cours de l’été, la pollution peut grimper à des niveaux deux à trois fois supérieurs aux plafonds recommandés par les EtatsUnis et l’OMS. Soucieuses de résoudre ce problème, des équipes de chercheurs modélisent des flux de pollution pour déterminer d’où vient l’air pollué et quelles régions du pays devront être paralysées pour que la pollution ne vienne pas ruiner les Jeux. A la périphérie de la ville, M. He et d’autres scientifiques tentent de déterminer le nombre de provinces où il faudra ralentir les activités et la durée de ces mesures. Il ne sera pas facile d’obtenir leur coopération. Le Hebei, qui entoure la capitale, ne peut se permettre d’arrêter son activité économique en fermant de vastes secteurs de son industrie pour un événement dont il n’attend guère de retombées. Malgré tous ces défis à relever, l’optimisme reste de mise. “La Chine est capable d’obtenir une amélioration rapide de la qualité de l’air”, assure Jill Geer, directeur de la communication au sein de la Fédération américaine d’athlétisme. “Elle l’a déjà fait pour les Jeux universitaires mondiaux de 2001 : la qualité de l’air s’est améliorée un jour ou deux avant l’ouverture.” Shai Oster 12 AVRIL 2007 À L’OCCASION DE CE CAHIER SPÉCIAL COURRIER INTERNATIONAL LANCE SON SITE CONSACRÉ AU SPORT SOUS TOUTES LES LATITUDES rendez-vous sur sport.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 858 X DU 12 AU 18 AVRIL 2007 Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ
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