Méthodologie des exercices juridiques

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Méthodologie des exercices juridiques
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COURS
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COURS
LMD
« Sans technique un don n’est rien qu’une sale manie » chantait le poète. Cet aphorisme trouve
toute sa place dans le domaine de l’apprentissage de la discipline juridique. Réussir ses études
de droit suppose la maîtrise de la technique des exercices propres à la discipline juridique.
2013
La deuxième édition de cet ouvrage, dans la lignée de la première, maintient le défi de proposer
une approche novatrice de cinq de ces exercices – le commentaire d’arrêt, le cas pratique,
le commentaire de texte, les questions à réponses courtes et la dissertation juridique, d’en
déjouer les pièges sous le triple éclairage du droit privé, du droit public et de l’histoire du droit.
L’originalité de l’ouvrage réside à la fois dans l’approche interdisciplinaire des exercices abordés
soulignant ainsi les similitudes comme les différences ou les spécificités, et le parti pris
des auteurs de proposer au soutien de la compréhension de la méthodologie et de la réussite
des exercices, nombre de tableaux, schémas et exercices corrigés.
Les auteurs, Céline Laronde-Clérac, Agnès de Luget, Magalie Flores-Lonjou, maîtres
de conférences à l’Université de La Rochelle, et Arnaud Jaulin, maître de conférences
à l’Université de Bretagne occidentale, s’appuyant sur leurs expériences de chargés de travaux
dirigés, ont souhaité offrir aux étudiants de licence en droit un manuel de méthodologie
unique destiné à les accompagner tout au long de leur cursus. L'ouvrage, s'il s'adresse
en première intention aux étudiants, peut s'avérer un guide précieux pour les jeunes chargés
de travaux dirigés.
ISBN 978-2-7076-1887-0
www.lextenso-editions.fr
27 €
Méthodologie des exercices juridiques
5 exercices, 3 disciplines
L M D
ÉDITION 2013
Méthodologie
des exercices
juridiques
Droit privé, droit public, histoire
du droit
Commentaire d’arrêt, cas pratique,
commentaire de texte, questions
à réponses courtes, dissertation juridique
Céline
LARONDE-CLÉRAC
Agnès de LUGET
Magalie FLORES-LONJOU
Avec le concours
d’Arnaud JAULIN
Le commentaire de texte 121
Illustration
Texte à commenter : Saint Thomas d’Aquin (R. Bernier et alii,
traduction), Somme contre les gentils, Paris, Le Cerf, 1993.
« À considérer les choses objectivement, le même argument nous amène à conclure
que l’association de l’homme et de la femme, à savoir le mariage, non seulement doit
être de longue durée, mais doit se prolonger toute leur vie (…). Par conséquent, si,
même chez les oiseaux, l’office paternel à l’endroit du fils commande la cohabitation
du mâle avec la femelle, l’ordre de la nature, propre à l’espèce humaine, exige que
le père et la mère demeurent ensemble toute la vie. Il semble même répugner à les
quitter que cette société soit brisée. La femme en effet a besoin d’un mari, non seulement pour engendrer comme les autres animaux, mais encore pour gouverner sa
famille ; le mari est plus assis dans sa pensée et plus éprouvé dans sa force. Mais la
femme est associée à l’homme pour les besoins de la génération. Ainsi sa fécondité et
sa beauté disparaissant, elle ne serait plus recherchée par quelque autre. Si donc un
homme, prenant une femme en sa jeunesse, alors qu’elle possède beauté et fécondité, la pouvait renvoyer dans un âge plus avancé, il causerait à cette femme un dommage, contraire à l’équité naturelle. Il est évident qu’une femme ne peut renvoyer son
mari : la femme est naturellement soumise à celui-ci comme à son chef, et il n’est
pas au pouvoir d’un sujet de se soustraire à la juridiction du chef. Il est donc contraire
à l’ordre naturel que la femme abandonne son mari.
Et si celui-ci pouvait quitter celle-là, l’association ne serait plus à part égale entre
l’homme et la femme ; celle-ci serait tenue en une certaine servitude. Il est naturel
aux hommes de rechercher la certitude au sujet de leur paternité ; ainsi l’exige ce fait
que l’enfant a besoin d’une direction prolongée de la part de son père. Donc tout ce qui
fait obstacle à cette certitude est contraire à l’instinct naturel de l’espèce humaine. Or
si un homme pouvait répudier sa femme ou celle-ci son mari, s’il pouvait avoir des
relations avec d’autres, impossible serait cette certitude ; la femme ayant eu commerce avec l’un, se lierait ensuite avec un autre. Cette séparation d’une femme avec
son mari est donc contraire à l’instinct de l’espèce humaine (…). L’amour entre deux
êtres est (…) d’autant plus fidèle qu’ils se savent indissolublement unis ; plus fervente est encore leur sollicitude réciproque sur le plan familial du fait qu’ils prévoient
devoir toujours demeurer dans la possession de richesses communes. Pareillement
sont écartées les causes de discorde qui, si l’homme pouvait renvoyer sa femme, ne
manqueraient pas de surgir entre lui et les proches de celle-ci ; ainsi l’amour dans la
parenté est-il renforcé. Enfin sont supprimées les occasions d’adultère qui naîtraient
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du fait que l’homme pourrait répudier sa femme et vice-versa ; cela ouvrirait en effet
une voie facile pour ébranler les autres unions matrimoniales. C’est pourquoi il est
dit dans Matthieu (…) : “Je vous le dis que la femme ne quitte pas son mari”. Ainsi
est condamnée la coutume de répudier les femmes. Ce fut pourtant permis aux Juifs
dans l’Ancienne Loi à cause de leur dureté, prêts qu’ils étaient à tuer leur femme. Un
moindre mal fut toléré pour en éviter un plus grand. »
I. Travail de brouillon
Exemple de recherche des champs lexicaux
Code
Nature/animal
Rapport de nécessité
Religion et chrétienté
Droit et règle sociale
Hiérarchisation et rapport entre l’homme et la femme
Fidélité et famille
« À considérer les choses objectivement, le même argument nous amène à conclure
que l’association de l’homme et de la femme, à savoir le mariage, non seulement doit
être de longue durée, mais doit se prolonger toute leur vie (…). Par conséquent, si,
même chez les oiseaux, l’office paternel à l’endroit du fils commande la cohabitation
du mâle avec la femelle, l’ordre de la nature, propre à l’espèce humaine, exige que le
père et la mère demeurent ensemble toute la vie. Il semble même répugner à les
quitter que cette société soit brisée. La femme en effet a besoin d’un mari, non seulement pour engendrer comme les autres animaux, mais encore pour gouverner sa
famille ; le mari est plus assis dans sa pensée et plus éprouvé dans sa force. Mais la
femme est associée à l’homme pour les besoins de la génération. Ainsi sa fécondité et
sa beauté disparaissant, elle ne serait plus recherchée par quelque autre. Si donc un
homme, prenant une femme en sa jeunesse, alors qu’elle possède beauté et fécondité,
la pouvait renvoyer dans un âge plus avancé, il causerait à cette femme un dommage,
contraire à l’équité naturelle. Il est évident qu’une femme ne peut renvoyer son mari :
la femme est naturellement soumise à celui-ci comme à son chef, et il n’est pas au
pouvoir d’un sujet de se soustraire à la juridiction du chef. Il est donc contraire à l’ordre
naturel que la femme abandonne son mari.
Et si celui-ci pouvait quitter celle-là, l’association ne serait plus à part égale entre
l’homme et la femme ; celle-ci serait tenue en une certaine servitude. Il est naturel aux hommes de rechercher la certitude au sujet de leur paternité ; ainsi l’exige
ce fait que l’enfant a besoin d’une direction prolongée de la part de son père. Donc
tout ce qui fait obstacle à cette certitude est contraire à l’instinct naturel de l’espèce
humaine. Or si un homme pouvait répudier sa femme ou celle-ci son mari, s’il pouvait
avoir des relations avec d’autres, impossible serait cette certitude ; la femme ayant eu
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commerce avec l’un, se lierait ensuite avec un autre. Cette séparation d’une femme
avec son mari est donc contraire à l’instinct de l’espèce humaine (…). L’amour entre
deux êtres est (…) d’autant plus fidèle qu’ils se savent indissolublement unis ; plus fervente est encore leur sollicitude réciproque sur le plan familial du fait qu’ils prévoient
devoir toujours demeurer dans la possession de richesses communes. Pareillement
sont écartées les causes de discorde qui, si l’homme pouvait renvoyer sa femme, ne
manqueraient pas de surgir entre lui et les proches de celle-ci ; ainsi l’amour dans la
parenté est-il renforcé. Enfin sont supprimées les occasions d’adultère qui naîtraient
du fait que l’homme pourrait répudier sa femme et vice-versa ; cela ouvrirait en effet
une voie facile pour ébranler les autres unions matrimoniales. C’est pourquoi il est
dit dans Matthieu (…) : “Je vous le dis que la femme ne quitte pas son mari”. Ainsi
est condamnée la coutume de répudier les femmes. Ce fut pourtant permis aux Juifs
dans l’Ancienne Loi à cause de leur dureté, prêts qu’ils étaient à tuer leur femme. Un
moindre mal fut toléré pour en éviter un plus grand. »
II. Exemple de corrigé
Introduction
Les réactions de bon nombre de catholiques, provoquées en 2013 par le vote de la
loi dite du « mariage pour tous », confirment combien la question de l’union de deux
êtres est un sujet socialement sensible. Les manifestations publiques, qu’elles aient
été hostiles ou favorables, ont laissé transparaître, derrière l’acte juridique du législateur, de véritables choix de société, les uns brandissant sur des pancartes des
paroles de la Bible et évoquant des arguments de droit naturel tandis que les autres
revendiquaient un « simple droit à l’égalité ». Véritable institution désormais uniquement civile pour les purs laïcs, sacrement pour les croyants, système juridique
ouvrant à une nouvelle reconnaissance sociale et à de nouveaux droits pour ceux qui
avaient obtenu le pacte civil de solidarité en 1999, le mariage demeure dans l’esprit
commun de la culture française l’un des piliers de la relation intime à l’autre. L’Église
en défend le caractère sacré ainsi que l’aspect naturel de l’union de deux êtres. Elle
fonde son raisonnement sur la loi de Dieu, tirée des textes, comme sur la loi de la
nature, en concluant les obligations qui en découlent. Parmi les références de l’Église
figure Thomas d’Aquin, dont l’influence de la pensée est essentielle en Occident.
Dominicain né vers 1224, il est avant tout célèbre pour ses écrits. Canonisé dès
1323 puis proclamé docteur de l’Église au xvie siècle, le « Docteur angélique » est
considéré comme l’un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de
la théologie catholique. Il tente, dans ses œuvres, de concilier la raison et la foi, la
pensée chrétienne et la philosophie d’Aristote, redécouverte par les scolastiques
au xiie siècle. Qualifiant la philosophie de « servante de la théologie », il cherche à
connaître la vérité, voie vers la béatitude. Pour y parvenir, il distingue les vérités qui
sont accessibles à la seule raison naturelle de celles de la foi, qui oblige l’adhésion
inconditionnelle au message de Dieu.
Dans son traité écrit entre 1258 et 1265, Somme contre les gentils (les non-chrétiens)
ou Livre sur la vérité de la foi catholique…, Thomas réfute les « erreurs » des philosophes
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païens de l’Antiquité et celles des religions non chrétiennes. Faisant le constat que
les chrétiens, les mahométans et les païens, ne peuvent être d’accord sur l’autorité
d’une Écriture, il recourt à la raison naturelle, reconnue comme universelle, pour
démontrer la plus grande partie possible des vérités de la foi chrétienne. Il répond
en fait à deux menaces qui pèsent sur la chrétienté au xiie siècle ; d’une part, l’hérésie cathare manichéenne ; d’autre part, les Arabes musulmans et les barbares qui
attaquent l’empire chrétien et ne connaissent pas la vérité chrétienne révélée. Thomas
aborde la question de la constitution des liens du mariage, thème repris régulièrement
par l’Église, notamment à la Renaissance, tant il constitue une explication de l’Écriture et marque la position officielle du pouvoir religieux sur une question centrale de
la vie des hommes. Dans toute l’œuvre de Thomas d’Aquin, l’être humain est au centre
et il y a dans sa pensée une liberté laissée à l’homme, une forme d’autonomie et de
responsabilité de l’être ainsi qu’un mouvement de l’homme nécessairement guidé par
l’amour. Aussi, ses écrits se tournent naturellement vers l’importance du rapport entre
un homme et une femme, cette forme de respect nécessaire qui permet de construire
une famille, de stabiliser la vie en société et d’assurer la continuité de l’espèce.
Sur quel raisonnement  Thomas d’Aquin fonde-t-il sa conception des liens du mariage  ?
Très clairement, il apparaît pour le théologien que la formalisation de l’union d’un
homme et d’une femme est un acte religieux fondé sur le droit de la nature (I). Cette
approche, assez magnifiée, du lien entre les hommes sexués renvoie au lien constant
de l’être à Dieu (A) et établit entre le mâle et la femelle une relation de domination
(B). Par ailleurs, la communauté formée par ces enfants de Dieu se doit d’être exemplaire en termes de respect et de fidélité (II). Car le rapprochement est motivé par la
recherche d’un bonheur passant par la constitution stable d’une descendance et la
possession de biens communs (A). L’économie du mariage impose enfin aux époux de
se rester fidèles dans le temps (B).
Plan
I. Le mariage chrétien, un sacrement calqué sur l’ordre naturel
A. L’image idéalisée de la nature
1°) La vie de l’homme à l’exemple animal
a) Les instincts naturels de l’espèce humaine
b) La recherche première de la fécondité
2°) La vision chrétienne et thomiste du monde
a) La lutte contre les comportements païens
b) L’affirmation de certitudes inébranlables
B. Le rapport hiérarchisé entre le mari et la femme
1°) L’homme, chef du couple et de la famille
a) La constance de la pensée
b) La force virile
2°) La soumission justifiée de la femme
a) La fécondité limitée à la jeunesse
b) La beauté perdue avec l’âge
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II. L’association obligatoirement fidèle des deux créatures de Dieu
A. Le but de l’union, une communauté de richesses
1°) La constitution d’une famille
a) Une paternité essentielle à l’enfant
b) L’amour renforcé des parents dans le cadre du (sacrement du) mariage
2°) La gestion quotidienne des biens du ménage
a) La domination du mari, force de décision
b) La servitude continue de la femme en cas de désunion
B. La fidélité, gage de l’indissolubilité du mariage
1°) Le caractère indissoluble des êtres de Dieu
a) L’importance de la durée des liens du mariage, épreuve à la fidélité
b) L’impossible séparation (par renvoi, abandon, répudiation) évitant discorde, adultère et permettant ainsi la stabilité des autres unions matrimoniales
2°) Des obligations réciproques mais déséquilibrées entre époux
a) L’impossible renvoi de la femme en raison de son âge avancé
b) L’impossible soustraction de la femme au pouvoir de son mari
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