un autre
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Alfred Schnittke : Concerto pour chœur (1984-1985) La tradition orthodoxe russe a de tout temps inspiré les compositeurs, croyants ou non. Pourtant, rares sont les œuvres pour chœur mixte de grande envergure marquées par cette tradition à avoir vu le jour que ce soit avant ou après la Révolution russe. La musique, dans I'Eglise orthodoxe avait une fonction liturgique et ne devait donc pas prendre trop de place ni devenir dominante. Des concerts de musique sacrée ne purent être donnés à Moscou qu’à partir de 1864, et la Chapelle Impériale devait approuver toute composition de musique sacrée. Peu nombreuses sont les œuvres notables connues en dehors de Russie, parmi lesquelles la Liturgie de St-Jean-Chrysostome de Tchaïkovski et les Vigiles nocturnes de Rachmaninov, œuvres a cappella d'une longueur et d’une envergure considérables. Très peu de musique sacrée a été composée sous la férule communiste. Résolument athée, le régime communiste a vigoureusement réprimé l’expression du sentiment religieux dès l'époque de Lénine. Celui-ci écrivait dans une lettre à Molotov: « Plus on pourra exécuter de représentants du clergé réactionnaire et de la bourgeoisie, [...] mieux cela vaudra. Nous devons donner une leçon à ces gens, de façon à ce qu'ils n'osent plus envisager quelque forme d'opposition que ce soit pour des décennies à venir. » Sous le règne de Staline, plus répressif encore, la relation entre Eglise et Etat connut cependant quelques périodes de dégel. En 1943, Staline laissa le sentiment religieux s’exprimer quelque peu, car il comprit qu'il avait besoin de l'Eglise comme alliée. Sous I'ère de Brejnev, il était permis de produire en concert le répertoire sacré à condition d’avoir l’autorisation du Parti. Le sentiment religieux ne fut autorisé à s’exprimer librement que depuis la glasnost de Gorbatchev et la chute de l'Union soviétique. La famille dans laquelle Alfred Schnittke grandit était hétérogène sur le plan religieux. Sa mère était une catholique allemande de la Volga et son père, un juif allemand aux sympathies communistes. Les parents de Schnittke n'étaient pas croyants. En revanche, sa grand-mère maternelle, catholique, devint très importante pour son éducation religieuse. Il ne fut baptisé catholique qu’au début des années 1980. Schnittke composa son Concerto pour chœur (1984-85) sur Ia suggestion de Valery Polyansky, chef du chœur du Ministère soviétique de la Culture, qui le créa. Polyansky connaissait bien le Requiem de Schnittke, autre œuvre d’envergure en plusieurs mouvements brefs écrite pour chœur et orchestre. Le Concerto est significativement différent; il est une œuvre a cappella construite comme une symphonie - une vaste composition en quatre mouvements d'une durée d'une quarantaine de minutes au total pour un chœur mixte à 16 voix traité à la manière d'un orchestre. L'œuvre n’était pas conçue pour un usage liturgique, mais elle évoque à plusieurs égards la musique de I'Eglise orthodoxe russe: mélodies répétitives à l’ambitus restreint, tierces parallèles, basse prédominante et chant antiphonique. Le texte est extrait du Matyan Vikhperkutyan [Livre de chants funèbres] de l'écrivain arménien du 10e siècle Grégoire de Narek, traduit en russe. Il donne à entendre une voix personnelle où le poète est présent. Schnittke était réticent à publier le Concerto, de même que d’autres œuvres sacrées, hors de la Russie car il considérait que l’interprétation fournie des formations non russes manquerait d’intensité religieuse. C'est ainsi que I'œuvre ne fut publiée en Occident qu'en 2000. Le premier mouvement est un portrait de Dieu en six sections. Les rythmes répétés à la manière d’un hymne et les motifs mélodiques diatoniques descendants produisent un effet sombre et implacable. Les vocalises dans les voix supérieures viennent parfois se superposer à des chorals. Le second mouvement donne la parole à l’auteur lui-même qui explique la raison d'être du poème: C’est une œuvre qui s’adresse à tous, justes et pécheurs, riches et pauvres. La musique part d'un motif chromatique oscillant entre quatre notes sur un ostinato aux voix basses. Le troisième mouvement est une prière personnelle énoncée au nom du lecteur. C'est le mouvement que Schnittke composa en premier. Il fut créé à Istanbul en 1984 avant même que les autres mouvements n’aient vu le jour. Le mouvement se développe à partir d'un traitement syllabique du texte - parfois en tierces parallèles, par endroit sous-tendu de notes de pédale, avec l’ajout de mélismes, aboutissant à un traitement polyphonique complexe à seize voix, imitatif du texte. Le mouvement culmine dans le vœu, scandé syllabiquement, « puisse-t-il, par le pouvoir des paroles que vous m'ayez inspirées, être sauvé et pardonné à jamais ». Dans le dernier mouvement, le poète demande finalement que son œuvre soit porteuse de signification, de guérison. Musicalement, le mouvement fait office d'épilogue retenu. Le style du Concerto diffère considérablement de la technique de collage que Schnittke avait pratiquée dans les années 1970. Quoique son écriture oscille entre une densification du matériau sonore propre à la musique contemporaine– avec un abondant recours aux clusters diatoniques et une harmonie tonale, I'articulation du texte et la structure mélodique centrale sur le mode du chant d’Eglise ne se trouvent jamais obscurcis. Source : http://www.eclassical.com/shop/art77/BIS-1157_booklet_x.pdf-d82282.pdf, version française remaniée