Comprendre la crise des subprime - Réussir ensemble Son avenir

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Comprendre la crise des subprime - Réussir ensemble Son avenir
Comprendre la crise des subprime
par Claire Montialoux et Gabriel Zucman
Introduction................................................................................................................................. 3
Partie I : La crise financière de l’été 2007, une crise psychologique..........................................4
1.1. Quelques faits...................................................................................................................4
1.2. Pourquoi a-t-on tant parlé de la crise ?.............................................................................7
1.2.1. Parce que les pessimistes ont enfin vu leurs prévisions se réaliser et l’ont clamé sur
tous les toits ?...................................................................................................................... 7
1.2.2. Parce que tous les organismes financiers ont intérêt à créer un sentiment d’urgence
afin qu’on leur vienne en aide ?.......................................................................................... 7
1.2.3. Parce qu’il y a eu un véritable risque systémique..................................................... 8
1.3. De la crise de confiance à la crise économique..............................................................10
1.3.1. Du marché interbancaire aux marchés actions........................................................10
1.3.2. Impacts sur la croissance mondiale.........................................................................10
Partie II. L’œil du cyclone : le marché immobilier américain.................................................. 11
2.1. La bulle immobilière américaine................................................................................... 11
2.1.1. Genèse de la bulle................................................................................................... 11
2.1.2. Comment la bulle immobilière a tiré la croissance................................................. 13
2.2. La titrisation, où comment disséminer les risques dans le monde entier....................... 14
2.2.1. Qu’est-ce que la titrisation ?................................................................................... 14
2.2.2. Les mauvaises surprises de la titrisation................................................................. 14
2.3. L’implosion de la bulle immobilière.............................................................................. 15
2.3.1. Marché prime et subprime...................................................................................... 15
2.3.2. Les premières victimes ........................................................................................... 16
III. Quelle régulation ?.............................................................................................................. 17
3.1. Les interventions des banques centrales........................................................................ 17
3.1.1. Le rôle de prêteur en dernier ressort ....................................................................... 17
3.1.2. La FED et le ciblage de la croissance..................................................................... 17
3.1.3. Le risque d’aléa moral : 1929 demain plutôt qu’aujourd’hui ?...............................17
3.2. Agences de notation : un fonctionnement à repenser.....................................................18
Introduction!
Après les turbulences de l!été, les marchés boursiers sont rapidement revenus sur
leurs plus hauts. Lundi 1er octobre, le Dow Jones, indice phare de la bourse
américaine, a battu son record historique, qui datait de juillet, à la veille de la crise
des «"subprime"», inscrivant un nouveau plus haut à 14 115 points.Tout se porterait-il
donc pour le mieux dans le monde merveilleux de la finance" ? N!a-t-on pas vu miseptembre à la télévision les épargnants anglais faire la queue pour retirer leurs
précieuses économies des coffres de la Northern Rock, aux caisses asséchées par
les déboires de l!immobilier britannique ? De prestigieuses banques américaines
n!ont-elles pas dilapidé des centaines de millions de dollars dans des produits
financiers opaques dont elles n!avaient aucune façon de calculer la valeur ? BNP
Paribas elle-même n!a-t-elle pas dû suspendre en août la cotation de trois de ses
fonds « monétaires dynamiques », notés AAA (c!est-à-dire réputés sans aucun risque
ou presque) après qu!ils aient perdu 20 % de leur valeur en quelques jours" ? Les
banques centrales n!ont-elles pas injecté en urgence des dizaines de milliards de
dollars, d!euros et de livres sterling dans le circuit bancaire"?
La spécificité de la crise actuelle réside dans ce paradoxe apparent. D!un côté, la
profitabilité des entreprises est élevée, la croissance mondiale reste soutenue, portée
par le dynamisme des émergents (Chine en premier lieu), l!inflation est basse et
contrôlée, tout comme les taux d!intérêt. L!économie réelle mondiale est en bonne
santé, les liquidités abondantes et les bourses (occidentales) ne l!ignorent pas": elles
sont tendanciellement orientées à la hausse, depuis 4 ans. De l!autre, le rythme
effréné des innovations financières a complexifié la donne. Nul ne sait exactement
quels organismes financiers supportent quels risques. Or les risques n!ont pas
disparu" : les ménages américains se sont endettés au-delà du raisonnable. Leur
dette a été découpée en morceau et distribuée de par le monde. Qui possède
aujourd!hui ces créances potentiellement douteuses" ? Le doute s!instille et se
répand": qui a pris (délibérément ou non) trop de risques"? Certains établissements
financiers ne cachent-ils pas des actifs douteux dans les tréfonds de leurs bilans" ?
Voilà pourquoi les marchés financiers connaissent depuis deux mois une volatilité
très importante, les périodes d!euphorie alternant avec des périodes de suspicion
généralisée, qui amènent parfois le système au bord de l!asphyxie. Le précipice ne
s!est pas rapproché"; mais la danse est toujours plus frénétique.
Voilà aussi pourquoi il est aussi bien permis d!être optimiste que pessimiste sur
l!avenir proche tout d!abord, sur la capacité du capitalisme financier à s!autoréguler
ensuite. Les marchés financiers sont-ils condamnés à aller de bulles en bulles"? Ou
suivent-ils une logique rationnelle, reflétant fidèlement la santé de l!économie réelle"?
L!étude de la crise actuelle est l!occasion de poser ces questions dans leur
complexité" à la lumière des événements récents ; elle donne des éléments de
réponse allant dans les deux sens. Pour le voir, il faut d!abord revenir sur le
déroulement de la crise de l!été, ce qui implique de plonger dans les arcanes de la
psychologie des acteurs des marchés financiers, notamment du marché
interbancaire (Partie I). Nous reviendrons ensuite sur les causes réelles de la crise,
qui prend ses sources dans le marché immobilier américain. Ce sera l!occasion d!un
voyage pour le moins dépaysant (Partie II). Nous finirons ce dossier par une analyse
des réponses qui ont déjà été apportées à la crise et celles qui restent encore à
imaginer (Partie III). La régulation de la finance nous sauvera-t-elle de la
catastrophe" ? Qu!avons-nous appris depuis 1929" ? Il sera temps alors de compter
les optimistes et les pessimistes.
Partie I!: La crise financière de l"été 2007, une crise
psychologique
1.1. Quelques faits
Le 19 juillet, la bourse américaine touchait son plus haut historique": 14 015 points.
Moins d!un mois plus tard, le 16 août, le Dow Jones cloturait à 12 845 points"; soit
une chute de 1" 200 points (9 %) en une vingtaine de jours ouvrés. Dans le même
intervalle, le CAC 40, indice phare de la Bourse de Paris, passait de 6150 à 5250,
une chute de 17 %.
Quelque impressionnantes qu!elles apparaissent à première vue, ces baisses ne
sont pas spectaculaires.
- D!abord, parce que comme on le voit sur le graphique ci-dessus, une grande partie
du terrain perdu a déjà été regagné en l!espace d!un mois et demi. Le CAC 40 a
repris 10 % par rapport à son plus bas du 16 août.
- Ensuite parce que la crise estivale n!a fait que ramener (temporairement) à zéro les
gains des grands indices boursiers mondiaux réalisés depuis le début de l!année
2007, qui avait été particulièrement euphorique. Il est frappant de voir que de la mimars 2007 à la mi-mai, le CAC 40 avait fait à la hausse le chemin qu!il a parcouru à
la baisse de la mi-juillet à la mi-août. Comme le dit un célèbre proverbe boursier" :
«" les arbres ne montent pas jusqu!au ciel" »" ; une correction était nécessaire, et
largement attendue par la communauté financière.
- En outre, la chute de l!été doit être remise en perspective": elle s!est produite après
quatre ans de hausse quasi ininterrompues des marchés. Comme le montre le
graphique ci-dessous, le CAC 40 a fait plus que doubler depuis le début de l!année
2003. Nombreuses sont les valeurs de la place de Paris qui ont doublé, triplé,
quadruplé depuis 4 ans. C!est aussi vrai pour toutes les bourses occidentales.
- Pour compléter le tableau, voici l!évolution du CAC 40 depuis 1992. (Bonus": quatre
crises financières se cachent sur ce graphique": saurez-vous les repérer"?)
Ainsi, si on la mesure en termes de variation des grands indices boursiers (en France
du CAC 40), la crise financière de l!été n!a été qu!une péripétie. A son maximum, elle
n!a fait qu!effacer les gains réalisés dans les six premiers mois de l!année 2007.
Deux questions se posent à ce stade" : pourquoi un sentiment de doute voire de
panique s!est-il installé, au-delà des salles de marché" ? Et comment expliquer la
crise de confiance, bien réelle, qui a eu lieu sur les marchés"?
1.2. Pourquoi a-t-on tant parlé de la crise!?
1.2.1. Parce que les pessimistes ont enfin vu leurs prévisions se réaliser et
l"ont clamé sur tous les toits!?
Laissons ici la parole à Alexandre Delaigue, qui développe cet argument dans un
billet de blog sur les «"éco-compareurs"», le 20/09/2007": http://
economistes.blogs.liberation.fr/chiffrage/2007/09/comment-jai-app.html
«" Les experts en matière économique et financière tendent à se répartir en deux
catégories : les pessimistes et les optimistes. Depuis des années, les pessimistes
annonçaient que la hausse de l'immobilier et du crédit est intenable et fait courir de
grands risques, que les déséquilibres extérieurs américains sont trop importants et
nécessitent une correction massive. Et depuis des années, leurs prévisions ne se
réalisent pas. Les optimistes, quant à eux, expliquaient que les circonstances avaient
changé, que les nouvelles techniques financières avaient considérablement réduit la
volatilité des marchés, que les déséquilibres extérieurs étaient largement une illusion
due à la plus grande efficacité de l'économie américaine attirant les capitaux.
Brusquement, les pessimistes voient leurs prévisions se réaliser en partie, et peuvent
enfin se dire qu'ils avaient raison, et que le reste de leurs anticipations vont
finalement se produire. Les optimistes, quant à eux, se retrouvent en tort, se disent
que leurs schémas d'explication n'étaient pas valables, et se trouvent d'un coup très
inquiets. Au total, optimistes et pessimistes convergent vers les mauvaises
nouvelles."»
Si on résume" : les pessimistes, frustrés par 4 ans d!euphorie boursière et tenant
enfin leurs revanches, auraient noirci le trait, en focalisant l!attention du public sur
une simple péripétie. C!est passer sous silence les difficultés très réelles auxquelles
ont été confrontés les établissements de crédit, à tel point qu!on a vu ressurgir les
images de clients partant à l!assaut de leur banque pour récupérer leurs avoirs,
preuve d!une crise de confiance profonde au-delà des marchés financiers.
1.2.2. Parce que tous les organismes financiers ont intérêt à créer un sentiment
d"urgence afin qu"on leur vienne en aide!?
Cet argument, en forme de conspiracy theory, est ainsi développé par Alexandre
Delaigue":
«" La seconde raison, c'est que la crise actuelle touche principalement l'industrie
financière. Il ne faut pas se leurrer, pour celle-ci, tout particulièrement pour les
institutions très exposées dans le secteur du crédit immobilier, la crise est réelle. Et
ces entreprises en difficulté souhaitent vivement que les banques centrales et les
gouvernements viennent à leur rescousse. Pour cela, expliquer que la crise actuelle
est simplement la sanction de ceux qui ont cru gagner beaucoup en manquant de
prudence n'est pas satisfaisante : il faut au contraire que la crise qu'elles rencontrent
soit considérée comme une menace grave pour l'économie dans son ensemble, et
donc, faire preuve d'un pessimisme échevelé et multiplier les annonces inquiétantes.
Il n'y a pas là forcément de malice, de volonté de tromper sciemment le public : les
personnes qui travaillent dans ces secteurs ont vraiment des difficultés, et voient
vraiment tout leur entourage (constitué de gens comme eux) en difficulté. […] Nous
sommes victimes d'un prisme déformant de l'information économique […]. Comme
par ailleurs une bonne part des prévisionnistes économiques sont employés par des
banques, eux aussi sont victimes de ce prisme déformant." En fait, les fluctuations
boursières, en pratique, ne concernent pas l'essentiel des entreprises et de l'activité
économique. Et, le plus souvent, les baisses boursières n'ont que peu d'effets
concrets sur la majorité des gens. Un effondrement généralisé du crédit aurait des
conséquences très graves, mais les banques centrales disposent de moyens pour
éviter cela. Le risque, en se focalisant trop sur la finance, est de voir ce secteur, qui
n'est pas le plus mal loti, sans cesse sauvé par des interventions publiques.
Outre qu'il y a quelque chose d'immoral à voir des gens se déclarer favorables au
laissez-faire lorsque leurs salaires sont conséquents, mais quémander le soutien
public lorsque ceux-ci sont menacés parce qu'ils ont été imprudents, annoncer au
secteur financier qu'il sera sauvé quoi qu'il arrive, c'est l'inciter à prendre sans cesse
des risques plus grands, au risque d'aboutir pour de bon à une situation grave. Dans
ce sens, la situation actuelle est en partie un rééquilibrage salutaire, dont les
conséquences ne sont pas toutes à craindre. Bien souvent, la meilleure façon de ne
pas trop s'inquiéter à propos des fluctuations boursières est, tout simplement, de ne
pas les regarder."»
C!est un argument intéressant sur lequel nous reviendrons en abordant les questions
de régulation, en particulier le rôle de la politique monétaire. On a là cependant
encore une explication non-économique. N!y avait-il rien d!économiquement
inquiétant qui puisse justifier l!attention portée à la crise"? Si.
1.2.3. Parce qu"il y a eu un véritable risque systémique
Si la dernière remarque du blogueur («" la situation actuelle est en partie un
rééquilibrage salutaire, dont les conséquences ne sont pas toutes à craindre. Bien
souvent, la meilleure façon de ne pas trop s'inquiéter à propos des fluctuations
boursières est, tout simplement, de ne pas les regarder." ») est valable, la raison
d!être de ce séminaire est nulle, et nous ferions mieux de tous rentrer dans nos
chaumières. Or, ce n!est pas si simple. Il est facile de porter a posteriori un jugement
sur l!importance d!une crise. Mais revenons un peu en arrière.
Nous sommes le 9 août au matin. BNP Paribas, la première banque européenne,
annonce qu!elle suspend la cotation de trois de ses fonds monétaires
«"dynamiques"», après qu!ils aient perdu 20 % de leur valeur en deux semaines et
que le marché des actifs dont ils étaient composés se soit totalement asséché. Des
fonds monétaires «"dynamiques"» sont des placements qui ont pour but de rapporter
un tout petit peu plus (d!où le terme «"dynamique"») que l!actif sans risque, les bons
du Trésor, tout en restant extrêmement liquides. Ce sont des actifs parmi les moins
risqués qui existent. Aux Etats-Unis, Goldman Sachs vient de fermer un de ses fonds
monétaires, également noté AAA, dont la probabilité de défaut avait été estimée, par
tout un tas de calculs savants, à 1/10138.
Quelques jours auparavant, en annonçant ses résultats trimestriels, BNP Paribas
s!est déclarée complètement à l!abri de la crise des subprime, grâce à une gestion du
risque de grande qualité. L!annonce du 9 août jette donc un gros coup de froid. La
plus grande banque européenne ne saurait-elle même pas ce qu!il y a dans ses
propres fonds" ? Ignorait-elle qu!elle avait effectué des placements douteux" ?
Pourquoi ces fonds monétaires «" dynamiques" » avaient-ils reçu la note «AAA" »,
indiquant le niveau de risque le plus faible"? Le doute s!instille, le soupçon grandit. Et
si les créances douteuses étaient plus nombreuses que prévu"?
Le mécanisme de la crise se trouve là, dans cette généralisation du soupçon. En
matière monétaire et financière, les agents ont horreur de l!incertitude. Or l!idée se
répand que les banques détiennent des créances douteuses. En conséquence, les
banquiers sont de plus en plus réticents à se prêter les uns aux autres sur le marché
interbancaire (le marché interbancaire est le marché où les banques s!échangent
entre elles des actifs financiers, consentent des prêts et empruntent à leurs
consoeurs, pour des centaines de milliards d!euros et de dollars par jour). La
liquidité s!assèche, accentuant la gravité de la crise, et renforçant les acteurs dans
leurs doutes. La crise de liquidité est née. L!étape d!après est quand, au-delà du
marché interbancaire le doute gagne Mme Michu (Mrs Smith en l!occurrence), qui se
précipite au guichet le plus proche pour retirer ses avoirs des coffres de la banque
envers laquelle elle n!a plus confiance.
Ici peut commencer un parallèle avec la crise de 1929, comme l!a fait Daniel Cohen
dans un article du Monde daté du 28 août":
«" #Comprendre la crise de 1929 est le Graal de l'analyse économique.! Ces propos
furent tenus par Ben Bernanke, l'actuel président de la banque centrale américaine,
la Fed, du temps où, professeur d'économie, il était un spécialiste reconnu de la
Grande Dépression américaine. L'interprétation qu'il en a offerte est dans la ligne de
celle proposée par Milton Friedman et fait jouer un rôle crucial à la crise du système
monétaire et financier. Elle est hélas éclairante sur la crise de cet été.
M. Bernanke a montré, dans ses travaux de recherche, que les faillites bancaires ont
anticipé, quasiment mois par mois, la plongée des Etats-Unis dans la crise des
années 1930. Le cercle vicieux qui s'est mis en place est le suivant. Les déposants
se méfiant, à tort ou à raison, des banques les plus vulnérables, retirent leurs dépôts
et les poussent à la faillite. En trois ans, de 1930 à 1933, près de la moitié des
banques américaines disparaissent. Les crises bancaires privent les débiteurs les
plus vulnérables de refinancement, et les poussent à leur tour à la faillite. Sont
directement touchés les paysans, les PME et les ménages. Leur défaut rétroagira sur
les banques, accélérant la spirale. Pour ne prendre qu'un exemple extrême, à
Cleveland, plus de 60 % des ménages endettés se mettront en cessation de
paiement.
Revenons à présent à la crise de cet été. A l'image du processus à l'oeuvre dans les
années 1930, les meilleures banques ont refusé de refinancer celles qui leur
paraissaient menacées. A l'inverse des années 1930 toutefois, où la Fed tardera à
saisir l'ampleur de la crise, les banques centrales ont réagi promptement. La BCE a
injecté à elle seule plus de 250 milliards d'euros. L'idée selon laquelle les Banques
centrales doivent jouer le rôle de #prêteur en dernier ressort! a donc ici parfaitement
fonctionné."»
1.3. De la crise de confiance à la crise économique
La source la plus immédiate de la crise est donc dans l!esprit"des acteurs du marché
interbancaire : c!est une crise avant tout psychologique. Comment la polarisation des
anticipations des banquiers peut-elle dégénérer en une crise économique"?
1.3.1. Du marché interbancaire aux marchés actions
Quand le doute s!installe sur le marché interbancaire, les taux d!intérêt auxquels les
banques se consentent mutuellement des prêts s!envolent. Les établissements les
plus fragiles sont les premiers touchés" : ils font face d!un côté aux demandes de
retrait de leurs clients (éventuellement augmentées quand la crise de confiance
touche les épargnants) et de l!autre à l!augmentation du coût de leur refinancement
sur le marché interbancaire. Pour rester liquides, les établissements bancaires n!ont
qu!une solution" : vendre les actifs financiers qu!ils peuvent vendre (c!est-à-dire les
plus liquides), comme les actions"; et ils ne font pas dans la dentelle": il est impératif
pour un établissement financier de rester liquide"; tant qu!il y a un risque d!illiquidité
tout ce qui est vendable est vendu, peu importe la vraie valeur de l!actif considéré.
C!est ainsi que les hedge funds ont soldé une bonne partie de leurs positions sur les
marchés actions, pour faire face aux demandes de retraits de leurs souscripteurs.
En outre, les acteurs fuient les actifs dont le risque est difficile à évaluer et placent
leur argent dans des actifs sécurisés – c!est ce que l!on appelle la « fuite vers la
qualité » (flight to quality). La fuite vers la qualité se traduit par une hausse du prix
des bons du Trésor et une chute du cours de tous les actifs risqués (matières
premières, actions, dettes de qualité douteuse, etc.). Voilà comment le cours des
actions peut chuter brutalement, en dépit de la bonne santé de l!économie réelle,
comme on l!a constaté en août.
1.3.2. Impacts sur la croissance mondiale
Quand les cours de bourse chutent, les ménages investis en actions s!appauvrissent
et consomment moins (ce que les économistes appellent «" l!effet de richesse" »).
Rappelons cependant que la baisse de l!été n!a fait qu!effacer la hausse des six
premiers mois de l!année 2007, et suivait 4 années d!euphorie boursière. L!effet de
richesse est donc négligeable. En revanche quand le système bancaire est fragilisé,
comme l!explique Daniel Cohen, ce sont les entreprises qui en pâtissent" : les
banques deviennent de plus en plus récalcitrantes à financer de nouveaux crédits
(qui se renchérissent), ce qui bloque l!innovation et la croissance. A la fin août, la
banque centrale américaine a ainsi reconnu que la crise affecterait la croissance aux
Etats-Unis. Les prévisions de progression du produit intérieur brut américain furent
révisées à la baisse et ramenées, en général, autour de 2,2 %. Mi-septembre, après
avoir baissé les taux directeurs, Ben Bernanke fit même un discours alarmiste devant
le Congrès américain (pour justifier a posteriori la baisse de cinquante points de base
des fed funds). Alan Greenspan, l!ancien patron de la FED, déclara même que le
risque de récession aux Etats-Unis à la fin de l!année s!élevait substantiellement (1
chance sur 3 selon lui). Or si les Etats-Unis entrent en récession, c!est toute la
croissance mondiale qui est remise en question.
Ainsi, la crise financière de l!été est-elle née d!un climat de suspicion généralisé sur
le marché interbancaire, qui s!est propagé aux marchés actions et même aux
épargnants londoniens. Le climat de méfiance a provoqué une baisse des actions
ainsi qu!une «" fuite vers la qualité" »" ; il a provisoirement paralysé le marché
interbancaire, forçant les banques centrales à des interventions d!envergure. Les
impacts sur l!économie réelle sont certains, quoique difficilement quantifiables pour le
moment. Mais quelle est donc la source du climat de méfiance qui s!est
soudainement instauré" "? Pourquoi le doute a-t-il brutalement saisi les investisseurs
cet été"?
Partie II. L!œil du cyclone":"le marché immobilier américain1
Ces derniers mois, il est devenu clair que le marché immobilier américain se
retournait, sous l!effet conjugué de la hausse des taux d!intérêt pratiquée par la FED
depuis 2004 et de la saturation du marché, qui a amplifié la chute du prix des
maisons. Ce retournement signe la fin de la bulle immobilière qui a significativement
tiré la croissance américaine.
2.1. La bulle immobilière américaine
2.1.1. Genèse de la bulle
Le rêve de posséder sa propre habitation, de vivre dans une «" société de
propriétaires" », n'est pas propre aux Américains. Mais quand on voyage aux Etats1
Cette partie doit beaucoup à la lecture de l’ouvrage extrêmement stimulant de Paul Jorion,
Vers la crise du capitalisme américain, éditions La Découverte, 2007
Unis, on ne peut qu'être surpris par cette profusion de maisons individuelles, qui se
ressemblent toutes ; dans l'imaginaire collectif américain (mais aussi pour remplir
parfaitement les critères qui permettent aux emprunteurs de toucher des
subventions) la maison ne doit abriter qu'une seule famille et avoir quatre murs
francs ; elle doit absolument être détachée de ses voisines.
Pour devenir propriétaire de leur maison, les Américains contractent des prêts
hypothécaires. Rappelons qu'un prêt hypothécaire est un prêt où les murs servent de
gage au montant avancé (ce qu'on appelle en français comme en anglais un
«"mortgage"») : le prêteur possède un «"lien"» sur l'habitation, à hauteur du montant
du prêt. Le principal du prêt est remboursé de manière progressive mensuellement.
Le versement mensuel, d'un montant invariable pendant la durée du prêt, est calculé
de façon à ce qu'à l'échéance (au dernier mois), la tranche finale du principal restant
due est remboursée.
Le rêve d'une société de propriétaires a été alimenté aux Etats-Unis par toute une
série de politiques publiques d'incitation à l'accession à la propriété. L'élément clé de
ces dispositifs réside dans la détaxation des intérêts versés sur un prêt hypothécaire
(mesure qui vient d!être votée en juillet en France).
Il faut ajouter à ce dispositif toute une série de garanties et de subventions apportées
par l'Etat fédéral, les Etats, des organismes semi-publics ou privés. Ainsi, la norme,
rarement respectée aujourd'hui, veut qu'un emprunteur dispose d'au moins 20 % du
prix d'achat de sa maison. S'il ne les possède pas, l'Etat fédéral ou des initiatives
locales peuvent apporter leur aide ; la Federal Housing Administration fournit une
assurance aux candidats à l'achat de leur premier logement sur la somme qui leur
manque pour atteindre 20 % d'apport personnel, etc. Notons également que le profit
réalisé sur la revente d'une maison est détaxé (jusqu'à un certain montant). En 2001,
la somme des avantages fiscaux consentis aux propriétaires s'élevait à 121 milliards
de dollars !
Tout ceci a alimenté une bulle immobilière gigantesque, que le graphique suivant tiré
de Irrational Exuberance de Robert Schiller, un des meilleurs spécialistes
contemporains de la finance, résume bien.
1000
200
900
700
150
600
Home Prices
500
100
400
300
Building Costs
50
Population
200
Interest Rates
0
1880
1900
1920
1940
1960
Population in Millions
Index or Interest Rate
800
1980
2000
100
0
2020
Year
2.1.2. Comment la bulle immobilière a tiré la croissance
Cette bulle immobilière a nourri la croissance américaine, d!abord parce que le
secteur de la construction et de l!immobilier emploie et fait vivre des dizaines de
millions d!américains, ensuite parce qu!un certain nombre d!innovations financières
ont permis que toujours plus de crédits adossés aux maisons (dont les prix
augmentaient jusqu!à 2005) soient accordés aux ménages Américains.
Depuis 2005, le taux d'épargne des Américains est négatif. Il y a aux Etats-Unis une
culture de l'endettement qui nous est inconnue. Pour faire simple, les Américains
vivent constamment à crédit ; le salaire que touchent les salariés à la fin du mois ne
fait que diminuer le montant de leur découvert. La capacité à emprunter est
personnalisée : chaque Américain dispose d'une cote FICO, qui évalue sur une
échelle allant de 375 à 900 sa «"fiabilité"» au regard de son passé de consommateur,
c'est-à-dire le risque qu'il fasse défaut sur sa dette. Les facilités de crédits qui lui sont
accordées sont directement indexées sur sa cote FICO : prime de risque faible et
donc taux d'intérêts bas pour ceux qui ont une cote FICO élevée (les plus riches),
forte prime de risque, donc taux d'intérêts élevés pour ceux qui ont une cote FICO
faible (les plus pauvres). Le niveau de cote FICO est recalculé quotidiennement, en
fonction des opérations effectuées par le consommateur dans la journée !
Les possibilités d'endettement des ménages américains ont été démultipliées par
l'utilisation du «" capital captif" » dans les logements. Quand les prix de l'immobilier
augmentent, le capital que constitue la maison achetée par l'emprunteur augmente.
Ceci lui permet de mettre en gage de nouveaux prêts ce capital captif. Or, le bénéfice
de la détaxation des intérêts versés sur un prêt hypothécaire s'étend au-delà du
«" mortgage" » proprement dit («" premier lien" »), et englobe les prêts hypothécaires
supplémentaires utilisant comme gage le capital captif des maisons (ce prêt est
qualifié de «"second lien"»). Ces prêts de «"second lien"» sont généralement utilisés
pour acheter des biens de consommation, et soutiennent ainsi la croissance
américaine.Tout va bien tant que les prix montent" : les ménages bénéficient alors
d'une hausse de leurs ressources directement indexée sur le prix de l'immobilier,
tirant la consommation et le PIB.
2.2. La titrisation, où comment disséminer les risques dans le
monde entier
Les prêts hypothécaires ainsi consentis par les banques représentent des montants
et par conséquent des risques trop élevés pour rester dans les mains d!une petite
poignée d!établissements. C!est là qu!entre en jeu le génial mécanisme de la
titrisation, qui est une des révolutions les plus importantes de la finance
contemporaine.
2.2.1. Qu"est-ce que la titrisation!?
La titrisation est une opération en deux étapes.
1) Dans une première étape, une banque revend des créances correspondant à des
crédits immsobiliers (ou des crédits à la consommation, comme à l!achat
d!automobile) à un organisme qui va les transformer en des titres financiers. Deux
organismes semi-publics peuvent racheter les créances des banques américaines":
les government sponsored entities Fannie Mae et Freddie Mac.
2) Ces dernières revendent à leur tour à des investisseurs (banques, hedge funds,
mutual funds, etc.) ces créances transformées en mortgage-backed securities, c'està-dire littéralement en titres adossés à des prêts hypothécaires. Ces mortgagebacked-securities agrègent un grand nombre de ces prêts hypothécaires. Cette
titrisation est à l'origine du marché secondaire de la dette immobilière, qui est
maintenant en volume plus important que le marché des treasuries (bons du Trésor)
américains !
Les investisseurs à qui sont revendus les mortgage-backed-securities touchent les
flux de mensualités versées par les emprunteurs des prêts ainsi agrégés et
supportent en échange le risque de non-remboursement des crédits à hauteur de
leur investissement. La titrisation permet ainsi de diluer les risques liés au crédit.
Mais Les établissements de crédit ont abusé du système. Ils ont sans vergogne
vendu des prêts à des taux usuraires à des ménages peu solvables en sachant que
le risque pourrait, de toute façon, être aisément transféré vers le marché.
2.2.2. Les mauvaises surprises de la titrisation
Ce qu'on a découvert à l'été, c'est que Fannie Mae et Freddie Mac, en titrisant à tour
de bras des crédits hypothécaires, ont créé un épais brouillard sur les marchés
financiers, en disséminant dans le monde entier les risques sous-jacents aux
mortgage-backed-securities.
Personne, pas même les agences de notation, ne s!est révélé être en mesure
d!évaluer correctement la réalité des risques. C!est ainsi que les fonds «"monétaires
dynamiques" » de BNPP ont eu la note AAA, parce que les modèles utilisés pour
calculer le risque que représentaient les actifs de ces fonds se sont trompés (il est
toujours difficile d!évaluer la valeur et le risque" de nouveaux produits financiers).
Lorsque la crise a éclaté, l'ensemble des établissements financiers se sont mis à
douter de la sécurité de ces investissements. Le doute s!est répandu"; les banques
ont suspecté leurs collègues de cacher des asset-backed-securities, les rumeurs de
pertes les plus folles se sont répandues (alors qu!en réalité les sommes en jeu ne
sont pas si colossales).
Quels sont donc les risques sous-jacents aux mortgage-backed-securities ?
Rappelons-le, ces produits financiers agrègent des prêts hypothécaires. Leur valeur
dépend du flux de mensualité anticipé sur ces prêts (principal + intérêts),
normalement connu à l'avance. Sauf... si les ménages qui ont contracté ces prêts
font défaut sur leur dette, c'est-à-dire sont dans l'incapacité de rembourser les
sommes dues.
2.3. L"implosion de la bulle immobilière
2.3.1. Marché prime et subprime
Quand les prix de l!immobilier baissent, les ménages les plus fragiles se retrouvent
très vite insolvables. Par quel mécanisme"?
Tout d!abord par le cercle vicieux de la cote de crédit. Moins sa cote de crédit est
élevée, plus cher est le crédit qu!un emprunteur peut obtenir. Or on l!a dit, la cote de
crédit évolue tous les jours selon le comportement du consommateur. Ainsi une
baisse des prix de l!immobilier, ou un renchérissement des taux d!intérêt dégradent la
cote FICO des ménages, qui voient leurs conditions d!accès au crédit se dégrader
(prime de risque exigée plus importante, frais augmentés, etc.). Le seuil à retenir est
620" : il sépare en deux le crédit à la consommation. Au-dessus de 620, le
consommateur appartient au secteur prime, de première qualité, pour lequel les
banques considèrent que le risque de défaut est négligeable. En dessous de 620, on
appartient au secteur subprime, où les emprunteurs ont un risque de défaillance
élevé (en 2003 1,12 % des prêts hypothécaires prime ont donné lieu à saisie ou
présentaient un retard de paiement de plus de trois mois, contre 7,36 % des crédits
hypothécaires subprime).
Dans le domaine du prêt au logement, le secteur subprime a connu une expansion
considérable" : il représentait 9 % du marché en 2002, 20 % en 2004. Ont ainsi
accédé à la propriété des populations qui n!en avaient pas les moyens, avec la
complicité de la Federal Housing Administration (qui met en œuvre la politique de
George W. Bush en la matière). Or les prêts subprime (accordés aux populations les
plus défavorisées) sont accordés à des conditions léonines": majoration des frais de
constitution de dossier, prime dite «" d!écart de taux" », pénalités pour les
remboursements anticipés… La liste est longue des abus dont ont été victimes ces
emprunteurs, parmi lesquels les Noirs et les latino-américains sont particulièrement
sur-représentés. Vivant littéralement sur le fil du rasoir financièrement parlant, ces
ménages ont subi de plein fouet le retournement de la bulle immobilière.
2.3.2. Les premières victimes
Les populations les plus défavorisées, qui sont celles à qui les banques de
«" mortgage" » ont accordé sans scrupule les crédits hypothécaires les plus léonins,
ont été les premières victimes de la crise. Ayant pour la plupart contracté des crédits
hypothécaires à taux variable, elles ont subi de plein fouet la remontée des taux
d!intérêt décidée par la FED depuis 2003, qui a renchéri le montant de leurs
mensualités, a dégradé leur cote FICO, augmenté en conséquence les intérêts
qu!elles payent sur leurs cartes de crédit…
(Graphique qui n!est pas à jour puisque en septembre la FED a baissé de 0,5 points
ses taux directeurs, les fixant à 4,75 %).
Or comme le veut le principe du crédit hypothécaire, quand les ménages ne peuvent
plus rembourser leur dette, les banques saisissent les maisons qui ont été gagées. Si
les prix de l!immobilier ont chuté, la maison saisie peut valoir moins (au prix du
marché) que le montant des dettes restant à rembourser": les prêteurs subissent une
perte nette et les ménages en défaut de paiement sont mis à la rue. Malins, les
organismes de crédit hypothécaire avaient abondamment titrisé leurs crédits, ce qui
n!a pas empêché quelques faillites retentissantes. Face à l!ampleur de la crise, la
réserve fédérale américaine a réagi vigoureusement.
III. Quelle régulation ?
3.1. Les interventions des banques centrales
Les interventions d!une banque centrale sont de deux type" : s!il y a une crise de
liquidité, elles sont tenues d!y remédier par des interventions sur le marché
interbancaire, en accordant des prêts pour éviter une paralysie des paiements. Si la
crise est plus grave parce qu'il y a un risque de contraction du crédit dans l'économie
réelle, alors la solution est monétaire : abaissement des taux d'intérêt pour faciliter le
crédit.
3.1.1. Le rôle de prêteur en dernier ressort
Quand il y a une crise de liquidité, comme celle que l!on vient d!analyser dans la
première partie, les banques centrales ont pour mission d!intervenir en prêtant aux
organismes bancaires qui en font la demande (rôle de prêteur en dernier ressort).
C!est exactement ce qui s!est produit en août, quand les banques centrales ont
«"injecté"» des milliards dans les circuits bancaires": il s!agissait de prêts à très courte
échéance (un jour) accordés aux banques qui avaient besoin de se refinancer et ne
trouvaient aucun prêteur à cause du climat de suspicion généralisé.
Par exemple, jeudi 9 août 2007 la réserve fédérale américaine a injecté 24 milliards
(pour être précis c!est le bureau des opérations d!open market de la FED, plus
couramment appelé le «" desk" » qui a injecté cet argent dans le système bancaire
américain). Vendredi 10 août 2007, le «"desk"» est intervenu trois fois sur le marché
injectant un total de 38 milliards de dollars.
Ces interventions de la Réserve Fédérale ont eu lieu immédiatement après que la
Banque Centrale Européenne (BCE) à Francfort en Allemagne ait réalisé deux
injections encore plus importantes. Le jeudi matin, la BCE avait réalisé une injection
de presque 95 milliards d!euros (130 milliards de dollars) dans le système financier
européen, suivie d!une autre opération légèrement moins importante de 61 milliards
d!euros (83,6 milliards de dollars) le vendredi.
Les passionnés de politique monétaire se référeront utilement à http://ddata.overblog.com/xxxyyy/0/24/69/70/cecchetti.pdf
3.1.2. La FED et le ciblage de la croissance
3.1.3. Le risque d’aléa moral : 1929 demain plutôt qu’aujourd’hui ?
3.2. Agences de notation!: un fonctionnement à repenser