Comprendre la crise des subprime - Réussir ensemble Son avenir
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Comprendre la crise des subprime - Réussir ensemble Son avenir
Comprendre la crise des subprime par Claire Montialoux et Gabriel Zucman Introduction................................................................................................................................. 3 Partie I : La crise financière de l’été 2007, une crise psychologique..........................................4 1.1. Quelques faits...................................................................................................................4 1.2. Pourquoi a-t-on tant parlé de la crise ?.............................................................................7 1.2.1. Parce que les pessimistes ont enfin vu leurs prévisions se réaliser et l’ont clamé sur tous les toits ?...................................................................................................................... 7 1.2.2. Parce que tous les organismes financiers ont intérêt à créer un sentiment d’urgence afin qu’on leur vienne en aide ?.......................................................................................... 7 1.2.3. Parce qu’il y a eu un véritable risque systémique..................................................... 8 1.3. De la crise de confiance à la crise économique..............................................................10 1.3.1. Du marché interbancaire aux marchés actions........................................................10 1.3.2. Impacts sur la croissance mondiale.........................................................................10 Partie II. L’œil du cyclone : le marché immobilier américain.................................................. 11 2.1. La bulle immobilière américaine................................................................................... 11 2.1.1. Genèse de la bulle................................................................................................... 11 2.1.2. Comment la bulle immobilière a tiré la croissance................................................. 13 2.2. La titrisation, où comment disséminer les risques dans le monde entier....................... 14 2.2.1. Qu’est-ce que la titrisation ?................................................................................... 14 2.2.2. Les mauvaises surprises de la titrisation................................................................. 14 2.3. L’implosion de la bulle immobilière.............................................................................. 15 2.3.1. Marché prime et subprime...................................................................................... 15 2.3.2. Les premières victimes ........................................................................................... 16 III. Quelle régulation ?.............................................................................................................. 17 3.1. Les interventions des banques centrales........................................................................ 17 3.1.1. Le rôle de prêteur en dernier ressort ....................................................................... 17 3.1.2. La FED et le ciblage de la croissance..................................................................... 17 3.1.3. Le risque d’aléa moral : 1929 demain plutôt qu’aujourd’hui ?...............................17 3.2. Agences de notation : un fonctionnement à repenser.....................................................18 Introduction! Après les turbulences de l!été, les marchés boursiers sont rapidement revenus sur leurs plus hauts. Lundi 1er octobre, le Dow Jones, indice phare de la bourse américaine, a battu son record historique, qui datait de juillet, à la veille de la crise des «"subprime"», inscrivant un nouveau plus haut à 14 115 points.Tout se porterait-il donc pour le mieux dans le monde merveilleux de la finance" ? N!a-t-on pas vu miseptembre à la télévision les épargnants anglais faire la queue pour retirer leurs précieuses économies des coffres de la Northern Rock, aux caisses asséchées par les déboires de l!immobilier britannique ? De prestigieuses banques américaines n!ont-elles pas dilapidé des centaines de millions de dollars dans des produits financiers opaques dont elles n!avaient aucune façon de calculer la valeur ? BNP Paribas elle-même n!a-t-elle pas dû suspendre en août la cotation de trois de ses fonds « monétaires dynamiques », notés AAA (c!est-à-dire réputés sans aucun risque ou presque) après qu!ils aient perdu 20 % de leur valeur en quelques jours" ? Les banques centrales n!ont-elles pas injecté en urgence des dizaines de milliards de dollars, d!euros et de livres sterling dans le circuit bancaire"? La spécificité de la crise actuelle réside dans ce paradoxe apparent. D!un côté, la profitabilité des entreprises est élevée, la croissance mondiale reste soutenue, portée par le dynamisme des émergents (Chine en premier lieu), l!inflation est basse et contrôlée, tout comme les taux d!intérêt. L!économie réelle mondiale est en bonne santé, les liquidités abondantes et les bourses (occidentales) ne l!ignorent pas": elles sont tendanciellement orientées à la hausse, depuis 4 ans. De l!autre, le rythme effréné des innovations financières a complexifié la donne. Nul ne sait exactement quels organismes financiers supportent quels risques. Or les risques n!ont pas disparu" : les ménages américains se sont endettés au-delà du raisonnable. Leur dette a été découpée en morceau et distribuée de par le monde. Qui possède aujourd!hui ces créances potentiellement douteuses" ? Le doute s!instille et se répand": qui a pris (délibérément ou non) trop de risques"? Certains établissements financiers ne cachent-ils pas des actifs douteux dans les tréfonds de leurs bilans" ? Voilà pourquoi les marchés financiers connaissent depuis deux mois une volatilité très importante, les périodes d!euphorie alternant avec des périodes de suspicion généralisée, qui amènent parfois le système au bord de l!asphyxie. Le précipice ne s!est pas rapproché"; mais la danse est toujours plus frénétique. Voilà aussi pourquoi il est aussi bien permis d!être optimiste que pessimiste sur l!avenir proche tout d!abord, sur la capacité du capitalisme financier à s!autoréguler ensuite. Les marchés financiers sont-ils condamnés à aller de bulles en bulles"? Ou suivent-ils une logique rationnelle, reflétant fidèlement la santé de l!économie réelle"? L!étude de la crise actuelle est l!occasion de poser ces questions dans leur complexité" à la lumière des événements récents ; elle donne des éléments de réponse allant dans les deux sens. Pour le voir, il faut d!abord revenir sur le déroulement de la crise de l!été, ce qui implique de plonger dans les arcanes de la psychologie des acteurs des marchés financiers, notamment du marché interbancaire (Partie I). Nous reviendrons ensuite sur les causes réelles de la crise, qui prend ses sources dans le marché immobilier américain. Ce sera l!occasion d!un voyage pour le moins dépaysant (Partie II). Nous finirons ce dossier par une analyse des réponses qui ont déjà été apportées à la crise et celles qui restent encore à imaginer (Partie III). La régulation de la finance nous sauvera-t-elle de la catastrophe" ? Qu!avons-nous appris depuis 1929" ? Il sera temps alors de compter les optimistes et les pessimistes. Partie I!: La crise financière de l"été 2007, une crise psychologique 1.1. Quelques faits Le 19 juillet, la bourse américaine touchait son plus haut historique": 14 015 points. Moins d!un mois plus tard, le 16 août, le Dow Jones cloturait à 12 845 points"; soit une chute de 1" 200 points (9 %) en une vingtaine de jours ouvrés. Dans le même intervalle, le CAC 40, indice phare de la Bourse de Paris, passait de 6150 à 5250, une chute de 17 %. Quelque impressionnantes qu!elles apparaissent à première vue, ces baisses ne sont pas spectaculaires. - D!abord, parce que comme on le voit sur le graphique ci-dessus, une grande partie du terrain perdu a déjà été regagné en l!espace d!un mois et demi. Le CAC 40 a repris 10 % par rapport à son plus bas du 16 août. - Ensuite parce que la crise estivale n!a fait que ramener (temporairement) à zéro les gains des grands indices boursiers mondiaux réalisés depuis le début de l!année 2007, qui avait été particulièrement euphorique. Il est frappant de voir que de la mimars 2007 à la mi-mai, le CAC 40 avait fait à la hausse le chemin qu!il a parcouru à la baisse de la mi-juillet à la mi-août. Comme le dit un célèbre proverbe boursier" : «" les arbres ne montent pas jusqu!au ciel" »" ; une correction était nécessaire, et largement attendue par la communauté financière. - En outre, la chute de l!été doit être remise en perspective": elle s!est produite après quatre ans de hausse quasi ininterrompues des marchés. Comme le montre le graphique ci-dessous, le CAC 40 a fait plus que doubler depuis le début de l!année 2003. Nombreuses sont les valeurs de la place de Paris qui ont doublé, triplé, quadruplé depuis 4 ans. C!est aussi vrai pour toutes les bourses occidentales. - Pour compléter le tableau, voici l!évolution du CAC 40 depuis 1992. (Bonus": quatre crises financières se cachent sur ce graphique": saurez-vous les repérer"?) Ainsi, si on la mesure en termes de variation des grands indices boursiers (en France du CAC 40), la crise financière de l!été n!a été qu!une péripétie. A son maximum, elle n!a fait qu!effacer les gains réalisés dans les six premiers mois de l!année 2007. Deux questions se posent à ce stade" : pourquoi un sentiment de doute voire de panique s!est-il installé, au-delà des salles de marché" ? Et comment expliquer la crise de confiance, bien réelle, qui a eu lieu sur les marchés"? 1.2. Pourquoi a-t-on tant parlé de la crise!? 1.2.1. Parce que les pessimistes ont enfin vu leurs prévisions se réaliser et l"ont clamé sur tous les toits!? Laissons ici la parole à Alexandre Delaigue, qui développe cet argument dans un billet de blog sur les «"éco-compareurs"», le 20/09/2007": http:// economistes.blogs.liberation.fr/chiffrage/2007/09/comment-jai-app.html «" Les experts en matière économique et financière tendent à se répartir en deux catégories : les pessimistes et les optimistes. Depuis des années, les pessimistes annonçaient que la hausse de l'immobilier et du crédit est intenable et fait courir de grands risques, que les déséquilibres extérieurs américains sont trop importants et nécessitent une correction massive. Et depuis des années, leurs prévisions ne se réalisent pas. Les optimistes, quant à eux, expliquaient que les circonstances avaient changé, que les nouvelles techniques financières avaient considérablement réduit la volatilité des marchés, que les déséquilibres extérieurs étaient largement une illusion due à la plus grande efficacité de l'économie américaine attirant les capitaux. Brusquement, les pessimistes voient leurs prévisions se réaliser en partie, et peuvent enfin se dire qu'ils avaient raison, et que le reste de leurs anticipations vont finalement se produire. Les optimistes, quant à eux, se retrouvent en tort, se disent que leurs schémas d'explication n'étaient pas valables, et se trouvent d'un coup très inquiets. Au total, optimistes et pessimistes convergent vers les mauvaises nouvelles."» Si on résume" : les pessimistes, frustrés par 4 ans d!euphorie boursière et tenant enfin leurs revanches, auraient noirci le trait, en focalisant l!attention du public sur une simple péripétie. C!est passer sous silence les difficultés très réelles auxquelles ont été confrontés les établissements de crédit, à tel point qu!on a vu ressurgir les images de clients partant à l!assaut de leur banque pour récupérer leurs avoirs, preuve d!une crise de confiance profonde au-delà des marchés financiers. 1.2.2. Parce que tous les organismes financiers ont intérêt à créer un sentiment d"urgence afin qu"on leur vienne en aide!? Cet argument, en forme de conspiracy theory, est ainsi développé par Alexandre Delaigue": «" La seconde raison, c'est que la crise actuelle touche principalement l'industrie financière. Il ne faut pas se leurrer, pour celle-ci, tout particulièrement pour les institutions très exposées dans le secteur du crédit immobilier, la crise est réelle. Et ces entreprises en difficulté souhaitent vivement que les banques centrales et les gouvernements viennent à leur rescousse. Pour cela, expliquer que la crise actuelle est simplement la sanction de ceux qui ont cru gagner beaucoup en manquant de prudence n'est pas satisfaisante : il faut au contraire que la crise qu'elles rencontrent soit considérée comme une menace grave pour l'économie dans son ensemble, et donc, faire preuve d'un pessimisme échevelé et multiplier les annonces inquiétantes. Il n'y a pas là forcément de malice, de volonté de tromper sciemment le public : les personnes qui travaillent dans ces secteurs ont vraiment des difficultés, et voient vraiment tout leur entourage (constitué de gens comme eux) en difficulté. […] Nous sommes victimes d'un prisme déformant de l'information économique […]. Comme par ailleurs une bonne part des prévisionnistes économiques sont employés par des banques, eux aussi sont victimes de ce prisme déformant." En fait, les fluctuations boursières, en pratique, ne concernent pas l'essentiel des entreprises et de l'activité économique. Et, le plus souvent, les baisses boursières n'ont que peu d'effets concrets sur la majorité des gens. Un effondrement généralisé du crédit aurait des conséquences très graves, mais les banques centrales disposent de moyens pour éviter cela. Le risque, en se focalisant trop sur la finance, est de voir ce secteur, qui n'est pas le plus mal loti, sans cesse sauvé par des interventions publiques. Outre qu'il y a quelque chose d'immoral à voir des gens se déclarer favorables au laissez-faire lorsque leurs salaires sont conséquents, mais quémander le soutien public lorsque ceux-ci sont menacés parce qu'ils ont été imprudents, annoncer au secteur financier qu'il sera sauvé quoi qu'il arrive, c'est l'inciter à prendre sans cesse des risques plus grands, au risque d'aboutir pour de bon à une situation grave. Dans ce sens, la situation actuelle est en partie un rééquilibrage salutaire, dont les conséquences ne sont pas toutes à craindre. Bien souvent, la meilleure façon de ne pas trop s'inquiéter à propos des fluctuations boursières est, tout simplement, de ne pas les regarder."» C!est un argument intéressant sur lequel nous reviendrons en abordant les questions de régulation, en particulier le rôle de la politique monétaire. On a là cependant encore une explication non-économique. N!y avait-il rien d!économiquement inquiétant qui puisse justifier l!attention portée à la crise"? Si. 1.2.3. Parce qu"il y a eu un véritable risque systémique Si la dernière remarque du blogueur («" la situation actuelle est en partie un rééquilibrage salutaire, dont les conséquences ne sont pas toutes à craindre. Bien souvent, la meilleure façon de ne pas trop s'inquiéter à propos des fluctuations boursières est, tout simplement, de ne pas les regarder." ») est valable, la raison d!être de ce séminaire est nulle, et nous ferions mieux de tous rentrer dans nos chaumières. Or, ce n!est pas si simple. Il est facile de porter a posteriori un jugement sur l!importance d!une crise. Mais revenons un peu en arrière. Nous sommes le 9 août au matin. BNP Paribas, la première banque européenne, annonce qu!elle suspend la cotation de trois de ses fonds monétaires «"dynamiques"», après qu!ils aient perdu 20 % de leur valeur en deux semaines et que le marché des actifs dont ils étaient composés se soit totalement asséché. Des fonds monétaires «"dynamiques"» sont des placements qui ont pour but de rapporter un tout petit peu plus (d!où le terme «"dynamique"») que l!actif sans risque, les bons du Trésor, tout en restant extrêmement liquides. Ce sont des actifs parmi les moins risqués qui existent. Aux Etats-Unis, Goldman Sachs vient de fermer un de ses fonds monétaires, également noté AAA, dont la probabilité de défaut avait été estimée, par tout un tas de calculs savants, à 1/10138. Quelques jours auparavant, en annonçant ses résultats trimestriels, BNP Paribas s!est déclarée complètement à l!abri de la crise des subprime, grâce à une gestion du risque de grande qualité. L!annonce du 9 août jette donc un gros coup de froid. La plus grande banque européenne ne saurait-elle même pas ce qu!il y a dans ses propres fonds" ? Ignorait-elle qu!elle avait effectué des placements douteux" ? Pourquoi ces fonds monétaires «" dynamiques" » avaient-ils reçu la note «AAA" », indiquant le niveau de risque le plus faible"? Le doute s!instille, le soupçon grandit. Et si les créances douteuses étaient plus nombreuses que prévu"? Le mécanisme de la crise se trouve là, dans cette généralisation du soupçon. En matière monétaire et financière, les agents ont horreur de l!incertitude. Or l!idée se répand que les banques détiennent des créances douteuses. En conséquence, les banquiers sont de plus en plus réticents à se prêter les uns aux autres sur le marché interbancaire (le marché interbancaire est le marché où les banques s!échangent entre elles des actifs financiers, consentent des prêts et empruntent à leurs consoeurs, pour des centaines de milliards d!euros et de dollars par jour). La liquidité s!assèche, accentuant la gravité de la crise, et renforçant les acteurs dans leurs doutes. La crise de liquidité est née. L!étape d!après est quand, au-delà du marché interbancaire le doute gagne Mme Michu (Mrs Smith en l!occurrence), qui se précipite au guichet le plus proche pour retirer ses avoirs des coffres de la banque envers laquelle elle n!a plus confiance. Ici peut commencer un parallèle avec la crise de 1929, comme l!a fait Daniel Cohen dans un article du Monde daté du 28 août": «" #Comprendre la crise de 1929 est le Graal de l'analyse économique.! Ces propos furent tenus par Ben Bernanke, l'actuel président de la banque centrale américaine, la Fed, du temps où, professeur d'économie, il était un spécialiste reconnu de la Grande Dépression américaine. L'interprétation qu'il en a offerte est dans la ligne de celle proposée par Milton Friedman et fait jouer un rôle crucial à la crise du système monétaire et financier. Elle est hélas éclairante sur la crise de cet été. M. Bernanke a montré, dans ses travaux de recherche, que les faillites bancaires ont anticipé, quasiment mois par mois, la plongée des Etats-Unis dans la crise des années 1930. Le cercle vicieux qui s'est mis en place est le suivant. Les déposants se méfiant, à tort ou à raison, des banques les plus vulnérables, retirent leurs dépôts et les poussent à la faillite. En trois ans, de 1930 à 1933, près de la moitié des banques américaines disparaissent. Les crises bancaires privent les débiteurs les plus vulnérables de refinancement, et les poussent à leur tour à la faillite. Sont directement touchés les paysans, les PME et les ménages. Leur défaut rétroagira sur les banques, accélérant la spirale. Pour ne prendre qu'un exemple extrême, à Cleveland, plus de 60 % des ménages endettés se mettront en cessation de paiement. Revenons à présent à la crise de cet été. A l'image du processus à l'oeuvre dans les années 1930, les meilleures banques ont refusé de refinancer celles qui leur paraissaient menacées. A l'inverse des années 1930 toutefois, où la Fed tardera à saisir l'ampleur de la crise, les banques centrales ont réagi promptement. La BCE a injecté à elle seule plus de 250 milliards d'euros. L'idée selon laquelle les Banques centrales doivent jouer le rôle de #prêteur en dernier ressort! a donc ici parfaitement fonctionné."» 1.3. De la crise de confiance à la crise économique La source la plus immédiate de la crise est donc dans l!esprit"des acteurs du marché interbancaire : c!est une crise avant tout psychologique. Comment la polarisation des anticipations des banquiers peut-elle dégénérer en une crise économique"? 1.3.1. Du marché interbancaire aux marchés actions Quand le doute s!installe sur le marché interbancaire, les taux d!intérêt auxquels les banques se consentent mutuellement des prêts s!envolent. Les établissements les plus fragiles sont les premiers touchés" : ils font face d!un côté aux demandes de retrait de leurs clients (éventuellement augmentées quand la crise de confiance touche les épargnants) et de l!autre à l!augmentation du coût de leur refinancement sur le marché interbancaire. Pour rester liquides, les établissements bancaires n!ont qu!une solution" : vendre les actifs financiers qu!ils peuvent vendre (c!est-à-dire les plus liquides), comme les actions"; et ils ne font pas dans la dentelle": il est impératif pour un établissement financier de rester liquide"; tant qu!il y a un risque d!illiquidité tout ce qui est vendable est vendu, peu importe la vraie valeur de l!actif considéré. C!est ainsi que les hedge funds ont soldé une bonne partie de leurs positions sur les marchés actions, pour faire face aux demandes de retraits de leurs souscripteurs. En outre, les acteurs fuient les actifs dont le risque est difficile à évaluer et placent leur argent dans des actifs sécurisés – c!est ce que l!on appelle la « fuite vers la qualité » (flight to quality). La fuite vers la qualité se traduit par une hausse du prix des bons du Trésor et une chute du cours de tous les actifs risqués (matières premières, actions, dettes de qualité douteuse, etc.). Voilà comment le cours des actions peut chuter brutalement, en dépit de la bonne santé de l!économie réelle, comme on l!a constaté en août. 1.3.2. Impacts sur la croissance mondiale Quand les cours de bourse chutent, les ménages investis en actions s!appauvrissent et consomment moins (ce que les économistes appellent «" l!effet de richesse" »). Rappelons cependant que la baisse de l!été n!a fait qu!effacer la hausse des six premiers mois de l!année 2007, et suivait 4 années d!euphorie boursière. L!effet de richesse est donc négligeable. En revanche quand le système bancaire est fragilisé, comme l!explique Daniel Cohen, ce sont les entreprises qui en pâtissent" : les banques deviennent de plus en plus récalcitrantes à financer de nouveaux crédits (qui se renchérissent), ce qui bloque l!innovation et la croissance. A la fin août, la banque centrale américaine a ainsi reconnu que la crise affecterait la croissance aux Etats-Unis. Les prévisions de progression du produit intérieur brut américain furent révisées à la baisse et ramenées, en général, autour de 2,2 %. Mi-septembre, après avoir baissé les taux directeurs, Ben Bernanke fit même un discours alarmiste devant le Congrès américain (pour justifier a posteriori la baisse de cinquante points de base des fed funds). Alan Greenspan, l!ancien patron de la FED, déclara même que le risque de récession aux Etats-Unis à la fin de l!année s!élevait substantiellement (1 chance sur 3 selon lui). Or si les Etats-Unis entrent en récession, c!est toute la croissance mondiale qui est remise en question. Ainsi, la crise financière de l!été est-elle née d!un climat de suspicion généralisé sur le marché interbancaire, qui s!est propagé aux marchés actions et même aux épargnants londoniens. Le climat de méfiance a provoqué une baisse des actions ainsi qu!une «" fuite vers la qualité" »" ; il a provisoirement paralysé le marché interbancaire, forçant les banques centrales à des interventions d!envergure. Les impacts sur l!économie réelle sont certains, quoique difficilement quantifiables pour le moment. Mais quelle est donc la source du climat de méfiance qui s!est soudainement instauré" "? Pourquoi le doute a-t-il brutalement saisi les investisseurs cet été"? Partie II. L!œil du cyclone":"le marché immobilier américain1 Ces derniers mois, il est devenu clair que le marché immobilier américain se retournait, sous l!effet conjugué de la hausse des taux d!intérêt pratiquée par la FED depuis 2004 et de la saturation du marché, qui a amplifié la chute du prix des maisons. Ce retournement signe la fin de la bulle immobilière qui a significativement tiré la croissance américaine. 2.1. La bulle immobilière américaine 2.1.1. Genèse de la bulle Le rêve de posséder sa propre habitation, de vivre dans une «" société de propriétaires" », n'est pas propre aux Américains. Mais quand on voyage aux Etats1 Cette partie doit beaucoup à la lecture de l’ouvrage extrêmement stimulant de Paul Jorion, Vers la crise du capitalisme américain, éditions La Découverte, 2007 Unis, on ne peut qu'être surpris par cette profusion de maisons individuelles, qui se ressemblent toutes ; dans l'imaginaire collectif américain (mais aussi pour remplir parfaitement les critères qui permettent aux emprunteurs de toucher des subventions) la maison ne doit abriter qu'une seule famille et avoir quatre murs francs ; elle doit absolument être détachée de ses voisines. Pour devenir propriétaire de leur maison, les Américains contractent des prêts hypothécaires. Rappelons qu'un prêt hypothécaire est un prêt où les murs servent de gage au montant avancé (ce qu'on appelle en français comme en anglais un «"mortgage"») : le prêteur possède un «"lien"» sur l'habitation, à hauteur du montant du prêt. Le principal du prêt est remboursé de manière progressive mensuellement. Le versement mensuel, d'un montant invariable pendant la durée du prêt, est calculé de façon à ce qu'à l'échéance (au dernier mois), la tranche finale du principal restant due est remboursée. Le rêve d'une société de propriétaires a été alimenté aux Etats-Unis par toute une série de politiques publiques d'incitation à l'accession à la propriété. L'élément clé de ces dispositifs réside dans la détaxation des intérêts versés sur un prêt hypothécaire (mesure qui vient d!être votée en juillet en France). Il faut ajouter à ce dispositif toute une série de garanties et de subventions apportées par l'Etat fédéral, les Etats, des organismes semi-publics ou privés. Ainsi, la norme, rarement respectée aujourd'hui, veut qu'un emprunteur dispose d'au moins 20 % du prix d'achat de sa maison. S'il ne les possède pas, l'Etat fédéral ou des initiatives locales peuvent apporter leur aide ; la Federal Housing Administration fournit une assurance aux candidats à l'achat de leur premier logement sur la somme qui leur manque pour atteindre 20 % d'apport personnel, etc. Notons également que le profit réalisé sur la revente d'une maison est détaxé (jusqu'à un certain montant). En 2001, la somme des avantages fiscaux consentis aux propriétaires s'élevait à 121 milliards de dollars ! Tout ceci a alimenté une bulle immobilière gigantesque, que le graphique suivant tiré de Irrational Exuberance de Robert Schiller, un des meilleurs spécialistes contemporains de la finance, résume bien. 1000 200 900 700 150 600 Home Prices 500 100 400 300 Building Costs 50 Population 200 Interest Rates 0 1880 1900 1920 1940 1960 Population in Millions Index or Interest Rate 800 1980 2000 100 0 2020 Year 2.1.2. Comment la bulle immobilière a tiré la croissance Cette bulle immobilière a nourri la croissance américaine, d!abord parce que le secteur de la construction et de l!immobilier emploie et fait vivre des dizaines de millions d!américains, ensuite parce qu!un certain nombre d!innovations financières ont permis que toujours plus de crédits adossés aux maisons (dont les prix augmentaient jusqu!à 2005) soient accordés aux ménages Américains. Depuis 2005, le taux d'épargne des Américains est négatif. Il y a aux Etats-Unis une culture de l'endettement qui nous est inconnue. Pour faire simple, les Américains vivent constamment à crédit ; le salaire que touchent les salariés à la fin du mois ne fait que diminuer le montant de leur découvert. La capacité à emprunter est personnalisée : chaque Américain dispose d'une cote FICO, qui évalue sur une échelle allant de 375 à 900 sa «"fiabilité"» au regard de son passé de consommateur, c'est-à-dire le risque qu'il fasse défaut sur sa dette. Les facilités de crédits qui lui sont accordées sont directement indexées sur sa cote FICO : prime de risque faible et donc taux d'intérêts bas pour ceux qui ont une cote FICO élevée (les plus riches), forte prime de risque, donc taux d'intérêts élevés pour ceux qui ont une cote FICO faible (les plus pauvres). Le niveau de cote FICO est recalculé quotidiennement, en fonction des opérations effectuées par le consommateur dans la journée ! Les possibilités d'endettement des ménages américains ont été démultipliées par l'utilisation du «" capital captif" » dans les logements. Quand les prix de l'immobilier augmentent, le capital que constitue la maison achetée par l'emprunteur augmente. Ceci lui permet de mettre en gage de nouveaux prêts ce capital captif. Or, le bénéfice de la détaxation des intérêts versés sur un prêt hypothécaire s'étend au-delà du «" mortgage" » proprement dit («" premier lien" »), et englobe les prêts hypothécaires supplémentaires utilisant comme gage le capital captif des maisons (ce prêt est qualifié de «"second lien"»). Ces prêts de «"second lien"» sont généralement utilisés pour acheter des biens de consommation, et soutiennent ainsi la croissance américaine.Tout va bien tant que les prix montent" : les ménages bénéficient alors d'une hausse de leurs ressources directement indexée sur le prix de l'immobilier, tirant la consommation et le PIB. 2.2. La titrisation, où comment disséminer les risques dans le monde entier Les prêts hypothécaires ainsi consentis par les banques représentent des montants et par conséquent des risques trop élevés pour rester dans les mains d!une petite poignée d!établissements. C!est là qu!entre en jeu le génial mécanisme de la titrisation, qui est une des révolutions les plus importantes de la finance contemporaine. 2.2.1. Qu"est-ce que la titrisation!? La titrisation est une opération en deux étapes. 1) Dans une première étape, une banque revend des créances correspondant à des crédits immsobiliers (ou des crédits à la consommation, comme à l!achat d!automobile) à un organisme qui va les transformer en des titres financiers. Deux organismes semi-publics peuvent racheter les créances des banques américaines": les government sponsored entities Fannie Mae et Freddie Mac. 2) Ces dernières revendent à leur tour à des investisseurs (banques, hedge funds, mutual funds, etc.) ces créances transformées en mortgage-backed securities, c'està-dire littéralement en titres adossés à des prêts hypothécaires. Ces mortgagebacked-securities agrègent un grand nombre de ces prêts hypothécaires. Cette titrisation est à l'origine du marché secondaire de la dette immobilière, qui est maintenant en volume plus important que le marché des treasuries (bons du Trésor) américains ! Les investisseurs à qui sont revendus les mortgage-backed-securities touchent les flux de mensualités versées par les emprunteurs des prêts ainsi agrégés et supportent en échange le risque de non-remboursement des crédits à hauteur de leur investissement. La titrisation permet ainsi de diluer les risques liés au crédit. Mais Les établissements de crédit ont abusé du système. Ils ont sans vergogne vendu des prêts à des taux usuraires à des ménages peu solvables en sachant que le risque pourrait, de toute façon, être aisément transféré vers le marché. 2.2.2. Les mauvaises surprises de la titrisation Ce qu'on a découvert à l'été, c'est que Fannie Mae et Freddie Mac, en titrisant à tour de bras des crédits hypothécaires, ont créé un épais brouillard sur les marchés financiers, en disséminant dans le monde entier les risques sous-jacents aux mortgage-backed-securities. Personne, pas même les agences de notation, ne s!est révélé être en mesure d!évaluer correctement la réalité des risques. C!est ainsi que les fonds «"monétaires dynamiques" » de BNPP ont eu la note AAA, parce que les modèles utilisés pour calculer le risque que représentaient les actifs de ces fonds se sont trompés (il est toujours difficile d!évaluer la valeur et le risque" de nouveaux produits financiers). Lorsque la crise a éclaté, l'ensemble des établissements financiers se sont mis à douter de la sécurité de ces investissements. Le doute s!est répandu"; les banques ont suspecté leurs collègues de cacher des asset-backed-securities, les rumeurs de pertes les plus folles se sont répandues (alors qu!en réalité les sommes en jeu ne sont pas si colossales). Quels sont donc les risques sous-jacents aux mortgage-backed-securities ? Rappelons-le, ces produits financiers agrègent des prêts hypothécaires. Leur valeur dépend du flux de mensualité anticipé sur ces prêts (principal + intérêts), normalement connu à l'avance. Sauf... si les ménages qui ont contracté ces prêts font défaut sur leur dette, c'est-à-dire sont dans l'incapacité de rembourser les sommes dues. 2.3. L"implosion de la bulle immobilière 2.3.1. Marché prime et subprime Quand les prix de l!immobilier baissent, les ménages les plus fragiles se retrouvent très vite insolvables. Par quel mécanisme"? Tout d!abord par le cercle vicieux de la cote de crédit. Moins sa cote de crédit est élevée, plus cher est le crédit qu!un emprunteur peut obtenir. Or on l!a dit, la cote de crédit évolue tous les jours selon le comportement du consommateur. Ainsi une baisse des prix de l!immobilier, ou un renchérissement des taux d!intérêt dégradent la cote FICO des ménages, qui voient leurs conditions d!accès au crédit se dégrader (prime de risque exigée plus importante, frais augmentés, etc.). Le seuil à retenir est 620" : il sépare en deux le crédit à la consommation. Au-dessus de 620, le consommateur appartient au secteur prime, de première qualité, pour lequel les banques considèrent que le risque de défaut est négligeable. En dessous de 620, on appartient au secteur subprime, où les emprunteurs ont un risque de défaillance élevé (en 2003 1,12 % des prêts hypothécaires prime ont donné lieu à saisie ou présentaient un retard de paiement de plus de trois mois, contre 7,36 % des crédits hypothécaires subprime). Dans le domaine du prêt au logement, le secteur subprime a connu une expansion considérable" : il représentait 9 % du marché en 2002, 20 % en 2004. Ont ainsi accédé à la propriété des populations qui n!en avaient pas les moyens, avec la complicité de la Federal Housing Administration (qui met en œuvre la politique de George W. Bush en la matière). Or les prêts subprime (accordés aux populations les plus défavorisées) sont accordés à des conditions léonines": majoration des frais de constitution de dossier, prime dite «" d!écart de taux" », pénalités pour les remboursements anticipés… La liste est longue des abus dont ont été victimes ces emprunteurs, parmi lesquels les Noirs et les latino-américains sont particulièrement sur-représentés. Vivant littéralement sur le fil du rasoir financièrement parlant, ces ménages ont subi de plein fouet le retournement de la bulle immobilière. 2.3.2. Les premières victimes Les populations les plus défavorisées, qui sont celles à qui les banques de «" mortgage" » ont accordé sans scrupule les crédits hypothécaires les plus léonins, ont été les premières victimes de la crise. Ayant pour la plupart contracté des crédits hypothécaires à taux variable, elles ont subi de plein fouet la remontée des taux d!intérêt décidée par la FED depuis 2003, qui a renchéri le montant de leurs mensualités, a dégradé leur cote FICO, augmenté en conséquence les intérêts qu!elles payent sur leurs cartes de crédit… (Graphique qui n!est pas à jour puisque en septembre la FED a baissé de 0,5 points ses taux directeurs, les fixant à 4,75 %). Or comme le veut le principe du crédit hypothécaire, quand les ménages ne peuvent plus rembourser leur dette, les banques saisissent les maisons qui ont été gagées. Si les prix de l!immobilier ont chuté, la maison saisie peut valoir moins (au prix du marché) que le montant des dettes restant à rembourser": les prêteurs subissent une perte nette et les ménages en défaut de paiement sont mis à la rue. Malins, les organismes de crédit hypothécaire avaient abondamment titrisé leurs crédits, ce qui n!a pas empêché quelques faillites retentissantes. Face à l!ampleur de la crise, la réserve fédérale américaine a réagi vigoureusement. III. Quelle régulation ? 3.1. Les interventions des banques centrales Les interventions d!une banque centrale sont de deux type" : s!il y a une crise de liquidité, elles sont tenues d!y remédier par des interventions sur le marché interbancaire, en accordant des prêts pour éviter une paralysie des paiements. Si la crise est plus grave parce qu'il y a un risque de contraction du crédit dans l'économie réelle, alors la solution est monétaire : abaissement des taux d'intérêt pour faciliter le crédit. 3.1.1. Le rôle de prêteur en dernier ressort Quand il y a une crise de liquidité, comme celle que l!on vient d!analyser dans la première partie, les banques centrales ont pour mission d!intervenir en prêtant aux organismes bancaires qui en font la demande (rôle de prêteur en dernier ressort). C!est exactement ce qui s!est produit en août, quand les banques centrales ont «"injecté"» des milliards dans les circuits bancaires": il s!agissait de prêts à très courte échéance (un jour) accordés aux banques qui avaient besoin de se refinancer et ne trouvaient aucun prêteur à cause du climat de suspicion généralisé. Par exemple, jeudi 9 août 2007 la réserve fédérale américaine a injecté 24 milliards (pour être précis c!est le bureau des opérations d!open market de la FED, plus couramment appelé le «" desk" » qui a injecté cet argent dans le système bancaire américain). Vendredi 10 août 2007, le «"desk"» est intervenu trois fois sur le marché injectant un total de 38 milliards de dollars. Ces interventions de la Réserve Fédérale ont eu lieu immédiatement après que la Banque Centrale Européenne (BCE) à Francfort en Allemagne ait réalisé deux injections encore plus importantes. Le jeudi matin, la BCE avait réalisé une injection de presque 95 milliards d!euros (130 milliards de dollars) dans le système financier européen, suivie d!une autre opération légèrement moins importante de 61 milliards d!euros (83,6 milliards de dollars) le vendredi. Les passionnés de politique monétaire se référeront utilement à http://ddata.overblog.com/xxxyyy/0/24/69/70/cecchetti.pdf 3.1.2. La FED et le ciblage de la croissance 3.1.3. Le risque d’aléa moral : 1929 demain plutôt qu’aujourd’hui ? 3.2. Agences de notation!: un fonctionnement à repenser