Les « chrétiens-bouddhistes - Institut d`Etudes Bouddhiques
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Les « chrétiens-bouddhistes - Institut d`Etudes Bouddhiques
Les « chrétiens-bouddhistes » : une nouvelle problématique religieuse en Occident ? Colloque « Mutations des religions et identités religieuses » Louvain-la-Neuve, 5-7 octobre 2011 Eric Vinson « La rencontre du bouddhisme et du christianisme est l’événement le plus significatif de notre époque » a (semble-t-il)1 déclaré le grand historien des civilisations Arnold Toynbee (1889-1975). Une rencontre qui prend le plus souvent la forme du dialogue interreligieux, à savoir d‟un échange entre représentants de l‟une ou l‟autre tradition, chacun restant ancré « de son côté ». Mais une rencontre qui se vit aussi à travers des personnes, de plus en plus nombreuses, se sentant d‟une manière ou d‟une autre impliquées simultanément dans ces deux religions. Des exemples ? Le livre Regards chrétiens sur le bouddhisme2 présente ainsi son auteur : « engagé dans le dialogue interreligieux, Dominique Lormier pratique le zen soto dans un dojo et a pris refuge au sein du bouddhisme tantrique tibétain (école Kagyupa), dont il suit l‟initiation. Resté fidèle à sa foi chrétienne, il pratique l‟oraison du cœur apophatique dans la tradition de saint Jean de la Croix ». Quant à l‟Allemand Willigis Jäger, beaucoup plus influent dans son pays, où il transmet son expérience à travers de nombreux livres et sessions dans son « centre spirituel interconfessionnel » d‟Holzkirchen, il est présenté tout simplement comme « moine bénédictin et maître zen » par son premier ouvrage traduit en français3... Comment décrire un tel phénomène, qualifiable – faute de mieux – de « double-appartenance » ? Faut-il y voir un aspect de l‟occidentalisation du bouddhisme et, réciproquement, d‟une certaine orientalisation du christianisme ? Doit-on parler ici d‟« acculturation », d‟« inculturation »4, de « modernisation » ou d‟« altération » ? Ou encore de « relativisme », d‟« indifférentisme », de « métissage », de « syncrétisme », de « bilinguisme » ? Et qu‟en tirer quant à la compréhension du bouddhisme, du christianisme, du fait religieux et de leurs mutations respectives en post-modernité, avec les implications épistémologiques afférentes ? Faute de pouvoir répondre dans un cadre limité à ces interrogations théoriques massives, certainement la part la plus intéressante du problème, il est d‟abord nécessaire d‟établir et décrire un tant soit peu le phénomène, ce qui n‟est déjà pas une mince affaire. En effet, hormis quelques essais de réflexion sur la relation christiano-bouddhique5 ou sur une expérience personnelle en rapport – 1. Dans l‟œuvre surabondante de l‟historien britannique, je n‟ai pas réussi à retrouver la source primaire de cette citation si souvent reprise, sous des formes légèrement différentes. Mais de façon comparable au cas de la « prophétie » d‟André Malraux concernant le caractère spirituel du XXI e siècle, Toynbee a fait plusieurs déclarations de même teneur : par exemple « a thousand years hence historians will look back at the twentieth century and remember it not for the struggle between liberalism and communism but for the momentous human discovery of the encounter between Christianity and Buddhism », cité par Akizuki Ryōmin, “Christian-Buddhist Dialogue”, in Inter-Religio, no. 14, Automne 1988, p. 39. Ou encore « Arnold Toynbee has described the encounter between Buddhism and Christianity as “one of the greatest collisions of the 21st Century‟“», in Christianity among the religions of the world Oxford University Press, London, 1948, p. 14. 2. Dominique Lormier, Regards chrétiens sur le bouddhisme : de la diabolisation aux convergences, Dervy, Paris, 2002. 3. Wiligis Jäger, La Voie retrouvée : redonner sens à la vie, Editions du Rocher, Monaco, 2005 pour la traduction française. 4. Cf. Lionel Obadia « Le bouddhisme et la globalisation culturelle : modèles analytiques, controverses et enjeux théoriques », p 71-97, in Jacques Scheuer et Paul Servais (eds), Passeurs de religions, entre Orient et Occident, Academia Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2004. 5. Quelques exemples : Enomiya Lassalle, Méditation zen et prière chrétienne, Cerf, 1973 ; parue en 1968, l’édition originale en allemand portait le titre significatif : Zen-Meditation für Christen, soit littéralement « la méditation-zen pour 1 comme ceux de Bernard Senécal6 ou de Claire Ly7 –, les sources et les documents consacrés aux « chrétiens-bouddhistes » sont rares en langue française, si ce n‟est inexistants8. Peu de recherches en sciences humaines ont en effet étudié en tant que telle cette interaction entre les deux grandes religions universelles jusque là séparées, mais particulièrement comparables du fait de leurs valeurs, de leur dimension missionnaire et de leur irréductibilité à un ordre socio-politique déterminé9. En revanche, l‟existence de personnes concernées par la problématique christiano-bouddhique est mise en évidence par pratiquement tous les travaux sociologiques publiés sur le bouddhisme en France ; et si c‟est à la marge de leurs développements, ce n‟est pas sans fournir de précieux éléments d‟information dans un domaine où elles manquent cruellement. Sur la base de ces études, on peut donc établir l‟existence de cette double-appartenance et commencer à la caractériser un tant soit peu, dans l‟attente de données empiriques plus systématiques. De quoi amorcer une exploration de ce sujet complexe, en repérant un certain nombre d‟enjeux, de points d‟attention, de questions à creuser dans le futur. L’appartenance, une notion problématique Evaluer quantitativement la double-appartenance chrétien-bouddhiste est la première difficulté, surtout en France où il est interdit d‟établir des fichiers de données ethno-religieuses. Restent les sondages et l‟auto-déclaration des acteurs, ce qui apparaîtra comme insatisfaisant à beaucoup... Mais au-delà même de ce problème de comptage, évaluer la portée de cette double-appartenance interroge surtout la définition de ce qu’est d’une part être bouddhiste, et de l’autre être chrétien, sachant qu’en France, 43 % des jeunes « catholiques » interrogés en mars 1997 par un sondage CSA/La Vie disaient « croire à la réincarnation »... Entre d’un côté l’auto-reconnaissance des acteurs comme « chrétien » ou « bouddhiste », le sens le plus large, et de l’autre la définition par les institutions de l’une et l’autre religion, le sens le plus précis, l’on imagine bien la variabilité des situations concrètes. Et l’on se demande ce qu’entendent les répondants sous ces étiquettes si vagues, tout comme ce que mesurent exactement les sondages. Mais au-delà même des difficultés d’une définition puis d’une évaluation quantitative de telle ou telle « appartenance religieuse », c’est au fond cette notion elle-même qui s’avère problématique ; notre thème le montre assez lui-même. Pensée a priori comme exclusive, la notion d’appartenance met en effet de la rupture, du discontinu, du définitif et de la limite dans ce qui est du continu, du flou, de l’incertain, du temporaire et du flottant en ce temps de sécularisation, de pluralisation des réalités croyantes et de dissémination des éléments du religieux. Tout comme celle d’« identité », cette notion demeure pourtant aujourd’hui le prisme obligé à travers lequel sont spontanément envisagées ces réalités, en particulier par les médias et les pouvoirs publics. Mais est-ce là le tout, voire le plus important du vécu religieux, de l’être au monde croyant ? Est-il une question d’être ou les chrétiens ». Aloysius Pieris, "The Buddha and the Christ : Mediators of Liberation", in J. Hick et P.-F. Knitter (éds.), The Myth of Christian Uniqueness : toward a pluralistic theology of religions, Maryknoll, New York, Orbis Books, 1987. John B. Cobb, Bouddhisme-christianisme, au-delà du dialogue ?, Labor et Fides, Genève, 1988. Collectif, Convergence du christianisme et du bouddhisme, Editions Prajna, Arvillard, 1993. François Chenique, Sagesse chrétienne & mystique orientale, Dervy, Paris, 1996. Dennis Gira, Le Lotus ou la Croix, Bayard, Paris, 2003. Mayeul de Dreuille, Chemins de Paix : pratiquer en chrétien la méditation bouddhique ?, Médiaspaul, Montréal, 2005. Scheuer, Jacques, Un chrétien dans les pas du Bouddha, Lessius, Bruxelles, 2009. Pour une bibliographie sur les relations bouddhisme-christianisme, voir aussi Magnin, Paul, Bouddhisme, unité et diversité, Cerf, 2003. Pour une synthèse sur le dialogue chrétien-bouddhiste : Michael von Brück, Whalen Lai, Bouddhisme et Christianisme : histoire, confrontation, dialogue, Salvator, Paris, 2001 ; édition originale en allemand, 1997. 6. Bernard Senécal, Jésus le Christ à la rencontre de Gautama le Bouddha, Cerf, Paris, 1998, en particulier p. 207-228. 7. Claire Ly, Revenue de l’enfer : Quatre ans dans les camps des Khmers rouges, l‟Atelier, Ivry sur Seine, 2002 et Retour au Cambodge : le chemin de liberté d’une survivante des Khmers rouges, l‟Atelier, Ivry sur Seine, 2007. 8. à la notable exception de Dennis Gira et Jacques Scheuer (dir.), Vivre de plusieurs religions : promesse ou illusion ?, Ed. de l‟Atelier, Paris, 2000, ouvrage consacré à la double ou (multi-) appartenance. 9. A la différence du judaïsme, de l‟islam, de l‟hindouisme. 2 d’avoir ? Et même, si l’on accepte cette problématique de « l’appartenance », qui appartient à qui : la religion au sujet ou le sujet à la religion ? La communauté, l’institution à lui, ou bien lui à elles ? Ou encore à un vécu, un agir spécifique ? Ou encore à la « vérité », à « l’absolu », au fondateur de la religion concernée ? De ce point de vue, chaque tradition se situera de manière plus ou moins spécifique, d’où de possibles dissymétries : « j’appartiens au Christ » peut ainsi avoir un sens dans le cadre monothéiste, marqué par l’exclusivisme et la mystique nuptiale ; « j’appartiens à l’Eglise » aussi. Mais les bouddhistes ne diraient pas, je crois, « j’appartiens au Bouddha », mais plutôt au « Sangha », ou à telle ou telle lignée... Enfin, à travers « l’appartenance », de quoi parle-t-on vraiment ? De l’identité socio-culturelle héritée, des repères d’identification actuels, d’une vision du monde ou d’un vécu éthico-spirituel personnel ? C’est là qu’il faut poser une distinction fondamentale, hélas le plus souvent non perçue par les sondages : celle de l’articulation de la culture et de la foi, de l’identité reçue, « objective », et de l’adhésion personnelle, « subjective », certes liées mais distinctes10 ; la relation entre culture et spiritualité au sein du « religieux » étant certainement l’une des choses les plus compliquées, mais hélas centrale dans notre sujet... Se dire « chrétien » ou « bouddhiste » peut en effet renvoyer soit à la culture soit à la spiritualité, ou bien aux deux simultanément. En disant que quelqu’un est bouddhiste, on peut ainsi vouloir dire qu’il est issu d’un pays et/ou d’une famille de culture bouddhiste, sans rien savoir de son engagement personnel dans cette tradition, et inversement11. C’est donc avec toutes ces précautions qu’il faut entendre le terme « appartenance » dans l’expression « double-appartenance chrétien-bouddhiste ». Attestations sociologiques du phénomène Faute de données chiffrées sur la double-appartenance chrétien-bouddhiste, on peut essayer de l’évaluer quantitativement en commençant par établir le nombre de bouddhistes en France ; question elle-même épineuse… Négligeant les membres de la controversée Soka Gakaï 12 comme les personnes d’origine asiatique, Frédéric Lenoir proposait, dans sa thèse fondatrice publiée en 1999 13, les ordres de grandeur suivants selon trois degrés croissants d’implication des « Français de souche » dans le bouddhisme : de 2 à 5 millions14 de « sympathisants », 100 à 150 000 « proches » et environ 12 000 « pratiquants ». De 199915 au milieu des années 2000, le nombre fréquemment évoqué était de 600 000 bouddhistes en France, sans distinguer les « bouddhistes d’origine » et les « convertis » ; sachant que ces derniers étaient parfois évalués à 150 000 personnes, majoritairement proches des écoles tibétaines et zen japonaises. Mais en 2006, le Rapport Machelon estimait le nombre des bouddhistes en France « à 300 000, originaires pour l’essentiel d’Asie, auxquels il faut ajouter un groupe fluctuant de pratiquants venus d’autres horizons, estimé à 100 000 membres, soit un total de 400 000 personnes »16. Dernièrement, l’Union Bouddhiste de France (UBF), fédération interlocutrice des pouvoirs publics qui rassemble la plupart des associations bouddhiques du pays, annonçait enfin fièrement « un million »17 de fidèles et le bouddhisme « quatrième religion de France », sans qu’on 10. Cf. Oliver Roy, La Sainte ignorance, le temps de la religion sans culture, Seuil, 2008, 276 p. 11. Cf. Dennis Gira, Le Lotus ou la Croix, op. cit., p. 29-30. 12. En 2005, Thierry Mathé les évaluait de 6 000 à 7 000 dans sa thèse Le Bouddhisme des Français, contribution à une sociologie de la conversion, L‟Harmattan, mais en reprenant semble-t-il des chiffres de 1990. A en croire Wikipedia, en 2008, l‟Association Cultuelle Sōka du Bouddhisme de Nichiren (ACSBN) revendiquait quant à elle de 10 000 à 20 000 participants à ses réunions mensuelles. D‟après le porte-parole actuel du mouvement en France – contacté personnellement –, le chiffre « officiel » est aujourd‟hui de 15 000. La très grande majorité d‟entre eux étant des « Français de souche » convertis. 13. Frédéric Lenoir, Le bouddhisme en France, Fayard, Paris, 1999. 14. Environ 5 millions de « sympathisants » selon un sondage Psychologies-BVA de septembre 1999. 15. C‟est le chiffre évoqué par Lionel Obadia dans Bouddhisme et Occident, la diffusion du bouddhisme tibétain en France, L‟Harmattan, 1999, p. 167. 16. Jean-Pierre Machelon, Les relations des cultes avec les pouvoirs publics, Ministère de l‟Intérieur et de l‟Aménagement du territoire, La Documentation française (Collection des rapports officiels ), 2006. Paris. 17. Discours d‟Olivier Reigen Wang-Genh, président de l‟UBF, à l‟occasion de la soirée du Vesak à l‟Hôtel de Ville de 3 sache sur quoi elle se basait exactement18. On le voit, ces différents chiffres ne sont pas congruents et ne permettent guère d’aller bien loin. Reste que parmi les Français de souche « sympathisants bouddhistes », « proches » de cette religion ou « pratiquants » à l’instant distingués, il est probable que chacune de ces catégories conserve une relation – variable en nature et intensité – avec le christianisme, religion dominante en France depuis plus de quinze siècles. Surtout si les personnes devenues bouddhistes reconnaissent explicitement « venir du christianisme (ou du judaïsme) », ce qui est le cas de 22% des adeptes interrogés par l’anthropologue Lionel Obadia entre 1992 et 1995 19. Ce dernier remarque d’ailleurs à ce propos : « L’attitude envers la religion antérieure n’est pas univoque chez les adeptes du bouddhisme tibétain : selon la relation que l’acteur a entretenue avec elle avant sa conversion, cette attitude peut recouvrir soit une réinterprétation de ses croyances et des pratiques religieuses, soit, à l’opposé, leur rejet. Un laïc d’une cinquantaine d’années et qui a plus de huit ans de pratique, affirme à ce sujet : ‘‘Ma grandmère était catholique, elle allait à l’église, faire ses petits trucs, et moi, j’étais contre... j’étais athée parce que j’ai eu de mauvaises expériences avec les curés quand j’étais jeune (...) j’étais resté athée étant donné qu’on ne m’avait parlé de rien... ça reste surtout une mauvais compréhension que j’ai eue de la chose.’’ » L. Obadia poursuit : « Ces propos d’une jeune femme, salariée en activité, lors de sa toute première visite dans un centre tibétain, vont dans le même sens : ‘‘Je crois aussi au christianisme, j’allais à la messe, mais je n’étais pas très motivée... c’est à cause du style d’enseignement’’. Et une adepte, convertie depuis huit ans déclare même : ‘‘Moi, le Christ, je ne l’ai jamais quitté : j’aime lire les évangiles... (le Christ), c’est un peu mon Yidam (divinité tutélaire) préféré... je participe encore à des réunions avec un prêtre où l’on parle de l’Evangile, comment on le vit au quotidien (...) j’ai même découvert que les orthodoxes avaient un mantra : ‘Seigneur JésusChrist, fils de Dieu vivant, aie pitié de nous’, qu’ils répètent sans arrêt. ’’ Il existe ainsi une frange des adeptes du bouddhisme tibétain, pour laquelle la conversion au bouddhisme résulte plus d’un ‘‘glissement’’ que d’une ‘‘rupture’’ », conclut L. Obadia. Dans son travail plus récent, le sociologue Thierry Mathé affirme de même : « L’idée de conversion implique que l’on rejette une chose pour en embrasser une autre. Or le bouddhisme pose un problème épistémologique, dans la mesure où il entend rompre avec la logique de la rupture. Il ne se pose pas en termes d’abandon, mais revendique au contraire sa compatibilité et sa continuité par rapport à ce qui a précédé. Il nous semble que la conversion bouddhiste consiste bien en une rupture sur le plan formel, mais non sur le plan du sens (...). Aux yeux du bouddhisme, comme dans le rapport à la vérité chez les Grecs, ‘‘la contradiction apparente n‟est que dans la lettre des vérités correspondantes’’ (Paul Veyne), qui veut que l‟on revête telle identité ou telle autre exclusivement »20. Paris en mai 2009 : « Le bouddhisme en France compte aujourd‟hui près d‟un million de pratiquants et plus de cinq millions de sympathisants, ce qui en fait la quatrième religion en France. En effet depuis le milieu du XXe la France s‟est ouverte à l‟immigration de très importantes communautés venues surtout du Sud Est asiatique, pays avec lesquels la France a des relations fortes depuis plusieurs siècles. » 18. D‟hypothétiques données du Bureau Central des Cultes voire des Renseignements Généraux – deux services du Ministère de l‟Intérieur français – sont parfois évoquées comme sources pour ce chiffre. 19. Lionel Obadia, op. cit., p. 195-196. 20. Thierry Mathé, op. cit., p. 16 ; il poursuit : « Comme l‟avait noté E. Renan (« travaux sur le bouddhisme » (I), in Etudes d’histoire religieuse, 1857, Gallimard, coll. Tel, 1992, p. 365), « le bouddhisme se plaît au jeu des contradictions (...). A toute question, le sage répond ainsi par l‟affirmation et la négation ». » Il ajoute, p. 25 : « L‟idée de conversion tend à être rejetée parce qu‟elle est comprise comme identité religieuse. Au contraire, l‟idée d‟expérimentation et d‟autoperfectionnement traduit un processus en cours. Il ne s‟agit pas de croire en une vérité mais de suivre une méthode. Ce n‟est pas une rupture, mais la poursuite d‟une même quête par d‟autres moyens ». L‟adhésion exclusive n‟étant pas au programme, ou alors dans un horizon indéterminé, le bouddhisme ne refuse aucune candidature ; ce que résume le maître tibétain Dzongsar Jamyang Khyentse Rinpoche en affirmant « l‟enseignement du Bouddha est compatible avec tout » (Le Figaro, 18 mai 1999). Un caractère « attrape-tout » certainement vérifié dans les premiers temps d‟un cheminement bouddhiste, mais qu‟il faudrait grandement relativiser quand ce dernier s‟approfondit. Cette « omni-compatibilité » revendiquée pouvant être analysée, d‟ailleurs, comme une disposition prosélyte en quelque sorte passive, mais des plus efficaces. Ainsi présentée, cette tradition est en effet susceptible d‟« accrocher » n‟importe qui, ouvrant ainsi un cheminement et un avenir... où l‟exclusivité peut redevenir un jour d‟actualité. 4 Tout comme L. Obadia, T. Mathé remarque en outre que « parmi les pratiquants français du bouddhisme tibétain, on trouve de nombreux chrétiens qui, soit se détachent définitivement de la religion au sein de laquelle ils ont été élevés, soit cherchent une régénération de leur foi chrétienne en puisant dans une autre tradition, »21. 68 % des pratiquants sondés par Frédéric Lenoir éduqués dans une religion n‟affirment-ils pas se sentir encore « proches » de celle-ci ? « Très élevé, poursuit-ce dernier, ce taux montre que – loin de constituer une rupture brutale et définitive – l‟engagement dans le bouddhisme laisse souvent place à toutes sortes de liens culturels, affectifs, spirituels et même explicitement religieux (…) avec la religion d‟origine. » Il rejoint sur ce thème L. Obadia et T. Mathé, cette continuité entre ce qui précède et ce qui suit l‟entrée dans le bouddhisme se traduisant par une étonnante variété des situations sur le terrain. Cette variété renvoie en fait à celle des conceptions et des attitudes occidentales envers le bouddhisme bien sûr, mais aussi le christianisme. Ces attitudes sont le fait, écrit Frédéric Lenoir, « d‟individus engagés dans une quête de sens – selon les cas philosophique ou spirituelle –, mais aux identités religieuses extrêmement diverses. Les cas de figure rencontrés sont multiples et combinables à l‟infini : pratiquants réguliers récusant l‟étiquette „„bouddhistes‟‟, pratiquants occasionnels se définissant comme bouddhistes, non pratiquants se sentant en affinités avec le bouddhisme, non pratiquants se sentant totalement bouddhistes, chrétiens ou juifs utilisant des techniques du bouddhisme sans se considérer comme bouddhistes 22, chrétiens ou juifs pratiquant la méditation bouddhiste et se considérant adeptes des deux traditions 23, athées se sentant en affinités avec la philosophie bouddhiste, athées se considérant comme bouddhistes et pratiquant la méditation, etc. Cette extrême diversité des identités, conclut F. Lenoir, tient non seulement au phénomène général de dissolution des identités religieuses (…) mais aussi à la nature même du bouddhisme, (…) „„voie spirituelle‟‟ extrêmement souple qui se prête facilement à toutes sortes de ré-interprétations, d‟arrangements, de combinaisons. »24 Par ailleurs, au sujet du petit noyau des pratiquants du bouddhisme en France, le sociologue déclare : « On y trouve des cas de figure extrêmement variés, depuis ceux qui sont intégralement bouddhistes, comme Matthieu Ricard25, jusqu‟à ceux qui sont rattrapés par la culture moderne de l‟individu, et réinterprètent le bouddhisme à leur manière. Tout cela donne un certain nombre de métissages entre christianisme et bouddhisme26, vie moderne et bouddhisme, etc. Cette catégorie des pratiquants est un vaste chantier qui annonce l‟émergence d‟un bouddhisme occidental, en train de naître de manière très complexe. On y retrouve le rêve du Tibet, mélangé d‟une dose de rationalisme, de christianisme, le tout encore très incertain »27. Attestant la difficulté – caractéristique de la modernité – d’envisager ces attitudes spirituelles et religieuses en terme d’« identité » ou d’« appartenance » stable référée à des marqueurs univoques (pratiques, croyances, etc.), ces trois études sociologiques soulignent donc l’existence de bouddhistes français se sentant proches du christianisme, de chrétiens français utilisant « des techniques du bouddhisme » mais surtout d’adeptes simultanés d’un christianisme d’origine et d’un bouddhisme d’adoption (l’inverse étant également envisageable). Au delà de cette « proximité » entre bouddhistes et chrétiens, et de ses multiples configurations qui restent à étalonner, c‟est la minorité de ces pratiquants « se considérant adeptes des deux traditions » qui nous intéresse d‟abord ici. Car elle seule relève de la « double-appartenance » au sens strict, 21. Ibid., p. 19. 22. Pour des compléments, cf. Frédéric Lenoir, La Rencontre du bouddhisme et de l’Occident, p. 350-353 de l‟édition poche, Albin Michel, Paris, 2001 (première édition : Fayard, 1999). 23. C‟est moi qui souligne. 24. Frédéric Lenoir, Le bouddhisme en France, op. cit., p. 30-31. 25. Moine Vajrayâna, fils du philosophe Jean-François Revel, traducteur du Dalaï Lama et figure médiatique du bouddhisme en France. 26. C‟est moi qui souligne. 27. In « Heureux comme Bouddha en France », Guy Gauthier (dir.), Panoramiques, 1er trimestre 2001, n° 51, Condé-surNoireau, France, p. 24. 5 quand le centre de gravité de l‟identité des autres répondants pèse soit du côté bouddhiste, soit du côté chrétien. Privilégiant l‟une des deux confessions sans rejeter l‟autre, cette dernière position s‟avère bien sûr fort difficile à caractériser en terme d‟« appartenance », vu la variété de ses emprunts et adaptations – plus ou moins conscients et assumés – d‟éléments issus des deux religions… Que dire par exemple des 35% de pratiquants réguliers du bouddhisme – dont une part de chrétiens revendiqués – qui, selon F. Lenoir, ne se considèrent pas comme « bouddhistes » ? Face à de tels « bricolages », à de telles désarticulations des critères objectifs et subjectifs de l‟appartenance religieuse, faut-il parler de « double-appartenance relative » pour désigner un continuum identitaire et/ou spirituel indéfiniment nuancé ? Faut-il parler de degrés, de paliers, de « seuils » de la doubleappartenance chrétien-bouddhiste ? Dans l‟attente de recherches plus poussées, une telle notion s‟avère en tout cas problématique, de multiples interprétations en étant envisageables selon les critères retenus par l‟analyste. Ainsi, Thierry Mathé va jusqu‟à interroger l‟éventualité d‟un « bouddhisme crypto-catholique » dans la section entière de son ouvrage 28 qu‟il consacre aux « affinités entre la culture catholique et le bouddhisme ésotérique », autrement dit tibétain. « Au rejet du catholicisme – explique-t-il – se substitue, dans la bouche de certains pratiquants, un bouddhisme qui semble relativement imprégné de conceptions catholiques. (...) Ce n‟est point par hasard que Matthieu Ricard cite Saint François d‟Asssise parmi ses maîtres spirituels, ou que Christine29 dit (...) : « si tu réfléchis, Jésus-Christ, la résurrection, tout ça, c‟est très bouddhiste (...) Il est devenu un Bouddha en fait »30. Une idée qui vient de loin, diversement accueillie par les institutions religieuses La récurrence de ce type de propos est d‟autant plus frappante qu‟elle est ancienne. L‟idée d‟un « néo-bouddhisme, le bouddhisme chrétien (...) voie de la Connaissance acquise par l‟amour des créatures et par le travail incessant de rectification intime » était ainsi évoquée, dès 1894, par l‟orientaliste français Léon de Rosny (1837-1914), comme le rapporte Roger Pol-Droit31. Sachant qu‟en 1905, Elysée Reclus soulignait déjà « l‟analogie surprenante de coutumes et de rites que l‟on constate entre le culte catholique romain et celui des bouddhistes du Tibet »32. Dans leur ouvrage Etre bouddhiste en France aujourd’hui33, Bruno Etienne et Raphaël Liogier concluent : « Cette rencontre actuelle entre bouddhisme et christianisme va, dans certains cas, jusqu‟au syncrétisme. On peut assister aujourd‟hui en France à des messes zen, aussi choquant que cela puisse paraître pour certains chrétiens ou pour la plupart des spécialistes du bouddhisme (...) ». « Un cas extrême » aux yeux de ces chercheurs, « les prêtres et moines chrétiens qui s‟intéressent le plus sérieusement au bouddhisme, spécialement zen, envisageant plutôt une sorte de complémentarité séparée (...). » Concernant cette fois l‟attitude en la matière des clercs bouddhistes, T. Mathé remarque enfin significativement : « la conjonction que nous avons relevée entre catholicisme et bouddhisme est appuyée par les responsables tibétains eux-mêmes »34, ce qui semble avéré, au moins dans une certaine mesure35. Voix du bouddhisme aux yeux des médias et du grand public, le Dalaï-Lama incite 28. Thierry Mathé, op. cit., p. 235-248. 29. Dans un entretien cité par Odon Vallet, p. 89, in Jésus et Bouddha, Paris, Albin Michel, 1996. 30. Thierry Mathé, op. cit., p. 245. 31. In Le Culte du Néant, Seuil, 1997, p. 224. 32. in L’Homme et la Terre, t. III, Librairie Universelle, 1905, p. 209. 33. Etre bouddhiste en France aujourd’hui, Hachette, Paris, 1997, p. 243. Les auteurs expliquent : « Les fidèles reçoivent l‟eucharistie en position zazen, et la méditation fait partie intégrante de la cérémonie ». 34. T. Mathé, op. cit., p. 248. 35. A la question de savoir « si l‟adhésion au bouddhisme implique le rejet du christianisme », le grand maître tibétain Kalou Rinpoché (1905-1989) déclarait ainsi : « Il s‟agit de ne pas rejeter, abandonner, la confiance que l‟on avait dans une autre tradition religieuse. Il est possible de pratiquer certaines formes dans une tradition et dans l‟autre, si l‟on ne les mélange pas. Puis, progressivement, il est vraisemblable que l‟on optera pour une forme plutôt que pour une autre et, à un moment donnée, on laissera l‟autre, mais sans la rejeter, tout en continuant à être conscient de sa valeur ». in Les Cahiers du bouddhisme, n°6, novembre 1980. Cité par François Chenique, op. cit., p. 110. Figure du mouvement Rimé – littéralement « non sectaire », sorte d‟œcuménisme intra-bouddhique né au Tibet au XIXe siècle pour mettre fin aux 6 depuis toujours les Occidentaux à éviter le syncrétisme – « le yack doit rester yack et le mouton doit garder sa tête de mouton »36 aime-t-il à dire – et à garder leur religion d‟origine ; mais il affirme aussi : « Il y a deux phénomènes. Certaines personnes gardent leur foi dans leur religion d‟origine et adoptent certaines techniques, certaines pratiques d‟une autre religion. Je crois que cela est très positif. Mais d‟autres personnes désirent changer de religion. C‟est ce phénomène qui est plus dangereux. Il faut que ces personnes réfléchissent beaucoup et longtemps. Car ce n‟est pas naturel de se couper de ses racines »37. Comme si le Dalaï-Lama préférait des chrétiens adoptant des pratiques bouddhistes à des convertis bouddhistes « pur et dur »... En outre, la plupart de ceux qui tiennent compte de sa parole le font justement parce qu‟ils sont (ou se croient...) bouddhistes, ou sont attirés par cette tradition ; sans préjuger de l‟avis du leader tibétain sur la question précise de la doubleappartenance, cette injonction peut donc – paradoxalement et indirectement – les pousser garder (ou à rétablir) des liens avec le judaïsme ou le christianisme. Autre paradoxe : alors que la position du Magistère catholique et des différentes autorités compétentes chrétiennes sur le « syncrétisme », le « relativisme », « l‟indifférentisme », la pratique de « techniques orientales par des chrétiens » et la « multi-appartenance » est aussi claire que négative 38, il existe une foule de livres – et a fortiori d‟expériences – témoignant de l‟intérêt de nombreux chrétiens (dont beaucoup de religieux39) pour ces méthodes, pour ces emprunts, et plus si affinités... Mais rien de tel du côté des religieux bouddhistes, en particulier d‟origine orientale, qui accueillent tout le monde – chrétiens et « chrétiens-bouddhistes » – à bras ouverts, mais n‟encouragent guère le mouvement inverse (le passage de « bouddhistes de souche » au christianisme ou l‟emprunt et l‟adaptation de réalités chrétiennes au bouddhisme40). Essai d’estimation de l’ampleur du phénomène Mais, au-delà de ces multiples étapes intermédiaires où se recoupent – dans des proportions si diverses – les deux religions, comment évaluer le nombre des « chrétiens-bouddhistes » au sens propre ? Hélas, le seul élément chiffré disponible, ce sont bien les 111 pratiquants du bouddhisme – sur 903, soit environ 12% – interrogés par F. Lenoir qui affirment clairement une double identité religieuse. Extrapolée aux 12 000 pratiquants « Français de souche » qu‟il évoque, cette proportion permet d‟évaluer à environ 1 500 le nombre de personnes impliquées par le phénomène au sens strict en 1999. Et si l‟on applique ce pourcentage, avec circonspection, aux 100 à 150 000 « proches du bouddhisme »41 repérés par F. Lenoir, on arrive alors à 12 à 18 000 personnes supplémentaires. Soit conflits entre écoles –, Kalou Rinpoché élargissait cette attitude d‟accueil et de reconnaissance aux grandes religions du monde, tout comme le Dalaï Lama. A condition d‟éviter les mélanges des pratiques, il semblait en outre accepter une double appartenance temporaire, le temps qu‟un choix s‟opère pour le fidèle entre les deux religions. 36. In Le Dalaï-Lama parle de Jésus : une perspective bouddhiste sur les enseignements de Jésus, Brépols, Paris 1996. 37. Propos recueillis par Estelle Saint-Martin, « Clés pour comprendre le bouddhisme », Actualité Religieuse dans le Monde (ARM), octobre 1993. 38. Cf. en particulier la Lettre aux évêques de l’Eglise Catholique sur quelques aspects de la méditation chrétienne, Congrégation pour la Doctrine de la foi, signée par le Cardinal Joseph Ratzinger et approuvée par le pape Jean-Paul II, 15 octobre 1989. DC 1997, 1990 ; cf. aussi Déclaration Dominus Iesus sur l’unité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise, Congrégation pour la Doctrine de la foi, signée par le Cardinal Joseph Ratzinger et approuvée par le pape Jean-Paul II, 6 août 2000. 39. Dans Itinéraire d’un bouddhiste occidental (Jean-Pierre Schnetzler, Desclée de Brouwer, Paris, 2001), Dominique Lormier (cf. supra) interviewe l‟auteur et remarque p. 59 : « Des religieux catholiques (...) pratiquent la méditation orientale, comme le Zen, ou ont séjourné quelques temps auprès de maîtres bouddhistes (...) : Thomas Merton, Maurice Cocagnac, A.-M. Besnard, Bernard Durel, Pierre-François de Béthune, Laurence Freeman, Marie Pinlou, J.-K. Kadowaki, Enomiya Lassalle, Otto Steiner, Bernard Rérolle, Benoît Billot, Jacques Breton, Henri Augustin, Bernard Senécal et bien d‟autres... ». 40. Encore qu‟un certain nombre de bouddhistes (souvent dits « bouddhistes engagés ») ne cachent pas leur admiration pour l‟engagement social et humanitaire séculaire des chrétiens, et veulent se mettre en quelque sorte à leur école dans ce domaine précis. 41. Dans la revue Panoramiques, numéro déjà cité, p. 24, parmi ces « proches du bouddhisme », F. Lenoir repère deux 7 en tout 13 000 à 20 000 « chrétiens bouddhistes » environ en France. Très fragile, cette fourchette commence en outre à dater, mais elle a le mérite de fournir un ordre de grandeur… Tout en laissant ouverte la question de l‟impact relatif de cette configuration « chrétienne-bouddhiste » sur les centaines de milliers de bouddhistes d‟origine asiatique42 (certains ayant pu avoir des liens avec le christianisme dans leurs pays d‟origine43 ou d‟accueil), mais aussi de Français de souche « sympathisants »44 du bouddhisme. Envisagée ainsi dans sa plus large extension, la doubleappartenance chrétien-bouddhiste pourrait – à des degrés divers – concerner beaucoup plus de gens... Ce qui pose justement la question de ses différentes formes, et des paramètres à partir desquels on peut envisager ces dernières : traditions précisément mises en présence, moment et circonstance de la vie par laquelle la double-appartenance a été acquise, positionnement du sujet concerné à l‟égard de la double-appartenance, types de rationalisations de cette position, degré de formation et d‟implication du sujet dans ces traditions, rapport aux institutions correspondantes et éventuelle institutionnalisation propre des « chrétiens-bouddhistes », etc. A l’issue de ce parcours, on doit retenir que la double-appartenance chrétien-bouddhiste est un phénomène incontestable, établi par la plupart des travaux sociologiques récents portant sur le bouddhisme en France. Sans ne rien dire d’Internet, qui fourmille de sites45 se référant simultanément au bouddhisme et au christianisme, elle est également attestée en ce qui concerne d’autres espaces culturels, en particulier dans le monde anglo-saxon ; en témoignent notamment le livre au titre explicite de Paul Knitter, Without Buddha I Could Not Be a Christian (Oxford, Onewolrd, 2009) et l’enquête de Rose Drew Buddhist and Christian ? An exploration of dual belonging46, qui propose une étude qualitative approfondie de six « bouddhistes-chrétiens » typiques. De même, la synthèse de Molly Chatalic sur Le Bouddhisme américain consacre trois pages47 à cette double-appartenance, dans un chapitre significativement intitulé « Passerelles et minorités : les bouddhistes ‘‘à trait d’union’’ » ; l’auteur y évoque d’ailleurs l’existence d’une Unitarian Universalist Buddhist Fellowship aux Etats-Unis (141 centres dans 38 Etats en octobre 2008).. Configuration complexe, très diversifiée, la double-appartenance chrétien-bouddhiste a donc un impact certain, même s’il est difficile à évaluer. On doit en tout cas la prendre en compte dans l’étude des formes prises par l’interaction entre bouddhisme et christianisme, comme dans celle des recompositions du croire en situation d’ultra-modernité. De ce point de vue, il serait intéressant de la sous-groupes (sur trois) potentiellement concernés par la double appartenance : « … des « bricoleurs », des gens qui, sans être attachés à une religion particulière, prennent un peu à droite et à gauche, et utilisent le bouddhisme dans une sorte de syncrétisme personnel » ; et surtout « des chrétiens, de plus en plus nombreux, qui se disent explicitement chrétiens tout en pratiquant une technique de méditation bouddhiste, qui permet d‟ancrer la vie spirituelle dans le corps ». 42. Bruno Etienne et Raphaël Liogier affirment ainsi : « Bien sûr les Vietnamiens n‟ont aucune tendance religieuse exclusiviste. A force d‟intégrer les courants du confucianisme, du taoïsme, du bouddhisme chinois et indien, et enfin du christianisme, particulièrement catholique, ils ont fini (...) par faire de l‟ouverture religieuse le véritable fondement de leur spiritualité. Dans l‟esprit vietnamien, l‟intolérance religieuse est tout simplement incompréhensible, le contact avec d‟autres traditions ne pouvant qu‟être source d‟enrichissement. D’ailleurs, la plupart des Vietnamiens sont catholiques, ce qui ne les empêche pas de fréquenter régulièrement une pagode bouddhiste et de rencontrer régulièrement le bonze. », op. cit., p. 242. C‟est moi qui souligne. 43. Cf. par exemple « Etre catholique en Corée du Sud. Multiple-appartenance : contexte extrême-oriental », p. 119-138, in Bernard Senécal, op. cit. Ce dernier affirme, p. 120-121, « Le phénomène de multiple-appartenance religieuse soustend toute l‟existence des Coréens », dont « un quart environ déclare désormais appartenir à une confession chrétienne. » 44. F. Lenoir remarque ainsi que ces « sympathisants » « se disent dans les sondages proches du bouddhisme, mais le connaissent peu, essentiellement par ses valeurs. Pour eux, c‟est l‟aspect éthique qui compte, qu‟on soit athée, agnostique, catholique : il n‟y a plus d‟aspect religieux. Ce sont les gens qui lisent les livres du Dalaï-Lama, essentiellement », in revue Panoramiques, numéro déjà cité, p. 24. 45. Quelques exemples, relevés le 12 ocotobre 2011 : Buddhist Christian Vedanta Network (http://buddhist-christian.org/); The Society for Buddhist-Christian Studies (http://www.society-buddhist-christian-studies.org/) ; European Network of Buddhist Christian Studies (http://www.buddhist-christian-studies.net/?page_id=2) 46. Coll. Routledge critical studies in Buddhism, London/New York, Routledge, 2011. Merci à Jacques Scheuer pour cette référence. 47. Presses Universitaires de Bordeaux, 2011, p. 93-96. 8 comparer avec d’autres types de double-appartenance, à commencer par celle des « islamobouddhistes » ou des « juifs-bouddhistes »48 (les fameux buju souvent évoqués aux Etats-Unis). Au delà de ce travail purement descriptif, il faudrait bien sûr se lancer dans un travail plus interprétatif, en étudiant en détails les causes et les conséquences de ce phénomène, ainsi que ses différentes rationalisations et les questions qu’elles posent tant aux sciences humaines du religieux qu’à la théologie chrétienne et à la doctrine bouddhiste. En mettant à profit les travaux réalisés dans d’autres langues, c’est à ce niveau que doivent être interrogées les différentes notions évoquées pour qualifier ce phénomène : « acculturation », « inculturation », « relativisme », « hybridité », « syncrétisme », etc. Mais aussi d‟autres notions sous-jacentes, déterminantes en termes d‟épistémologie du fait religieux, comme celles de « culture », de « spiritualité » ou de « tradition ». 48. Cf. Rodger Kamenetz, Le juif dans le lotus : des rabbins chez les lamas, Paris, Calmann-Lévy, 1997 ; « Etre juif et bouddhiste », Lionel Obadia, in Des cultures et des dieux, J.-C. Attias et E. Benbassa dir., Fayard, Paris, 2007, p. 412-413. 9
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