L`enseignement supérieur de la musique / n°6, 2011, pp. 12-15

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L`enseignement supérieur de la musique / n°6, 2011, pp. 12-15
L’enseignement supérieur de la musique
L’enseignement
supérieur de la
musique
susceptibles d’être utilisées à l’identique dans ces succursales
dans une logique d’égalité républicaine. Au-delà de nombreuses
« méthodes » (au sens d’ouvrages écrits) 4 , l’un des dispositifs
pédagogiques le plus connu issu de cette logique jacobine fut
le « solfège à la française », dont il faudra attendre l’année 1977
avant qu’il ne soit officiellement revisité profondément sous le
nom de « Formation musicale générale ».
Ces succursales ne s’implantèrent en définitive que très progressivement sur l’ensemble du territoire national.
Eric SPROGIS
L’enseignement supérieur en France (hors du champ artistique)
se définit par rapport à celui qui le précède 1.
Si l’on voulait retenir ce critère s’agissant de l’enseignement supérieur de la musique, au moins jusque dans la dernière partie
du 20ème siècle, force est alors de constater…qu’il ne peut précisément pas être défini…
En effet, dans la réalité et, dirons-nous, dans les idéologies à
l’œuvre dans notre domaine, c’est pratiquement l’inverse qui a
présidé à son développement et qui rend, aujourd’hui encore,
profondément problématique, voire polémique, toutes les tentatives de le structurer, d’en définir les contours et les exigences.
Nous choisirons, pour saisir les mouvements qui nous agitent
aujourd’hui à ce sujet, de reprendre l’historique depuis la fin
du 18ème siècle en inscrivant le propos dans le cadre global de
l’ensemble des institutions d’enseignement musical dans la
mesure où tout est lié, où tout fut lié jusqu’au début de notre
siècle.
Jusqu’à la fin du 18ème siècle, l’enseignement généralisé de la
musique en France se présente de manière assez semblable à
celui de l’ensemble de l’Europe avec un ensemble de maîtrises,
essentiellement religieuses, réparties sur le territoire du royaume. Elles se chargent, sous l’Ancien Régime, de repérer et de
former des enfants aux qualités vocales et musicales reconnues
et touchent des « publics » de toutes catégories sociales, avec
notamment des efforts particuliers pour les enfants dont les
familles sont sans ressource.
En 1789, la Révolution Française mit fin aux maîtrises 2. Fut alors
conçu un nouveau système d’enseignement de la musique en
créant le Conservatoire de Paris 3. Chargé à l’origine de fournir
des musiciens aux orchestres parisiens (de la musique de la
Garde nationale aux orchestres symphoniques et d’opéra), le
Conservatoire de Paris privilégia l’enseignement instrumental et
vocal soliste, ce qui caractérisa ensuite et pendant longtemps
l’enseignement des conservatoires en France.
La création du Conservatoire de Paris était accompagnée d’un
plan de développement d’établissements sur le territoire, conçus
grosso modo sur le même modèle pédagogique. On les nomma «
succursales du conservatoire de Paris ». C’est pourquoi, outre sa
mission de formation de l’ « élite des musiciens de la Nation »,
le Conservatoire de Paris élabora des méthodes d’enseignement
1
L’enseignement supérieur en France peut se définir comme l’ensemble des formations qui conduisent à une
poursuite d’études après le baccalauréat, premier grade de
l’enseignement supérieur
2
Elles seront restaurées en partie après le Concordat
3
Projet élaboré sous la Convention et fondé par un
décret du Directoire le 3 août 1795 (16 thermidor an III).
N° 06 Ţ Novembre 2011
Création d’écoles de musique au 19ème siècle :
1802 : Lille
1806 : Douai
1818 : Abbeville
1820 : Roubaix, Toulouse
1821 : Marseille
1822 : Cambrai
1828 : Arras
1830 : Boulogne-sur-Mer, Clermont-Ferrand
1831 : Amiens
1832 : Bagnères-de-Bigorre
1835 : Caen, Metz, Nancy, Rodez, Valenciennes
1836 : Limoges, Saint-Omer
1839 : Saint-Etienne
1842 : Perpignan, Tourcoing
1844 : Nantes
1845 : Dijon
1849 : Aix-en-Provence
1852 : Bordeaux
1853 : Saint-Quentin
1855 : Strasbourg
1857 : Angers
1860 : Besançon
1872 : Lyon
1882 : Le Mans
1900 : Toulon
En 1884, quatre écoles sont érigées en succursales du
conservatoire de Paris (Avignon, Le Havre, Nancy et Rennes),
quinze sont nationalisées (Aix-en-Provence, Bayonne, Boulogne-sur-Mer, Caen, Chambéry, Digne, Douai, Le Mans, Nîmes,
Perpignan, Roubaix, Saint-Etienne, Saint-Omer, Tours et Valenciennes).
(Source : Philippe Lescat, L’enseignement musical en France de 529 à
1972, Editions Fuzeau, 2001)
Ainsi, cet ensemble d’établissements « de province », que l’on
appellerait « classés » aujourd’hui, étaient en quelque sorte des
déclinaisons de celui de Paris. Ce dernier évoluera rapidement
vers une unique mission de formation de musiciens professionnels dont ce fut bientôt la fonction principale sinon unique.
Les conservatoires « nationaux » conservèrent pourtant cette
référence qu’aucun texte n’imposait. Mais, pour autant le conservatoire de Paris ne devint « supérieur » que par son évolution
historique puisque le baccalauréat, créé en 1808, ne le concerna
pas jusqu’au début du 21ème siècle.
4
Lire à ce sujet l’ouvrage de Jean-Claude Lartigot,
L’apprenti instrumentiste : la musique sur mesure ? Editions Van
de Velde, 1999
12
La lettre des écoles supérieures d’art
L’enseignement supérieur de la musique
Dans la mesure où cet établissement fut unique en France
jusqu’à la création du CNSMD de Lyon en 1979, que l’admission
des « élèves » se faisait par le biais d’un concours de plus en plus
sélectif et qu’ainsi, mécaniquement, leur profil était obligatoirement de haut niveau, son caractère « supérieur » n’était pas contestable dans les faits 5. Mais l’ambiguïté perdurera longtemps
(et perdure encore dans l’esprit de certains) en ce qui concerne
l’amont de cet enseignement. En effet, les conservatoires « de
province », en particulier ceux que l’on appelait jusqu’en 2006 «
conservatoires nationaux de région », construits sur le modèle
hérité des « succursales du conservatoire de Paris », enseignaient
à de nombreux élèves qui, de fait, auraient dû relever d’un enseignement supérieur mais dont les faibles capacités d’accueil des
CNSMD de Paris et de Lyon ne permettaient l’accueil.
Cette « mission » non officielle (certains parlèrent d’ « enseignement supérieur sauvage ») répondait à des demandes fortes de
la part des usagers et à des besoins réels de la vie musicale. Nous
savons par exemple qu’une grande majorité de professionnels
(titulaires d’un diplôme national d’enseignement, artistes interprètes classiques permanents ou non…) ne sont pas « passés »
par l’un des CNSMD, sans parler évidemment de tous les artistes
qui exercent dans le monde des musiques actuelles, du jazz, de
la variété, de la création multimédia auquel les conservatoires
supérieurs ne se sont, pour l’instant, que timidement ouverts.
Mais cette fonction assurée notamment par les CNR (CRR
aujourd’hui) des plus grandes agglomérations, doit être confrontée au fait qu’ils sont, pour la plupart, en gestion communale ou
intercommunale et qu’elle entrait indiscutablement en conflit
avec leur mission d’accueil des ressortissants de la collectivité
gestionnaire.
Il faut alors rappeler une donnée invraisemblable : à l’exception
du décret de fondation du Conservatoire de Paris (3 août 1795)
aucun autre texte réglementaire et a fortiori législatif relatif à
l’enseignement musical spécialisé ne fut publié…jusqu’à la fin
des années 1960 !
Cela ne fut pas sans conséquence et, notamment, celle de reproduire dans les « conservatoires et écoles de musique de province » une conception de l’enseignement artistique calqué sur
un modèle implicite, celui du conservatoire supérieur de Paris :
enseignement prioritairement individuel avec la référence ultime de la perspective professionnelle, modalités sélectives
d’évaluation des élèves, mise à l’écart des démarches d’invention
et d’improvisation… Ce modèle est aujourd’hui remis en cause
même s’il perdure dans certains établissements.
En effet, ce modèle centralisé ne pouvait à terme qu’entrer en
contradiction avec la gestion locale de l’établissement. Au fur
et à mesure que l’enseignement artistique a commencé à être
pris en compte dans les politiques culturelles des communes,
l’insertion du conservatoire dans la vie locale, en appréhendant
ses spécificités sociologiques, économiques voire politiques est
devenue, notamment depuis une trentaine d’année, une préoccupation des élus et de beaucoup de professionnels, par exemple
vis-à-vis de la pratique amateur.
Ce n’est que par l’article 101 de la loi du 13 août 2004 relative aux
libertés et responsabilités locales, que, pour la première fois,
5
Même si, institutionnellement, cette reconnaissance
mit du temps à se faire. On peut, par exemple, relever que le
CNSMD de Lyon, lors de sa création en 1979, fut le premier à parler
d’étudiants et non d’élèves à propos de ceux qui étaient admis.
Ce n’est qu’avec la réforme récente de l’enseignement supérieur
musical que cette qualification fut officiellement reconnue.
N° 06 Ţ Novembre 2011
furent définis les niveaux de l’enseignement artistique du spectacle vivant, les établissements chargés de celui-ci et la responsabilité respectives des collectivités.
Ainsi furent précisés trois niveaux :
L’enseignement initial : de l’éveil jusqu’à une pratique
autonome (de type amateur)
L’enseignement à orientation professionnelle permettant aux élèves de confirmer ou d’infirmer leurs choix d’un futur
enseignement supérieur
L’enseignement supérieur.
La gestion, la conception, le financement des deux premiers
niveaux sont confiés aux collectivités territoriales. L’habilitation
des établissements d’enseignement supérieur et la qualification
des diplômes nationaux supérieurs sont confiées à l’Etat (ainsi
que le contrôle et l’évaluation des établissements chargés de
l’enseignement initial).
Il faudra ensuite attendre la fin 2006 pour qu’un décret et un
arrêté définissent les conditions de classement par l’Etat des
structures chargées de ce qui ne relève pas de l’enseignement
supérieur.
Par décrets, en 2007 et en 2008, l’Etat – enfin – précisait la nature et les modalités de l’enseignement supérieur musical : des
établissements autonomes juridiquement, des diplômes nationaux supérieurs inscrits au registre national des certifications
professionnelles, l’articulation avec l’harmonisation européenne
(déclaration dite « de Bologne ») impliquant un lien structurel
avec l’Université et entre les diplômes professionnels et les Licences/Masters/Doctorats.6 La construction de cet appareil
nouveau d’enseignement supérieur ne fait que commencer, dans
un contexte (ou une absence de volonté politique forte) marqué
par de faibles dotations budgétaires. Elle est donc soumise aux
moyens mis en œuvre par les collectivités territoriales (principalement les Régions) au prix de multiples concertations, compromis et aménagements selon la nature des projets (que l’on
appellera, pour tenir compte précisément de cette nécessité de
mobiliser et d’agréger de nombreuses ressources existant sur le
terrain, des « pôles d’enseignement supérieur »). Cette dernière
donnée est particulièrement problématique car elle amène, dans
un nombre significatif de ces nouveaux « pôles » à ne pas identifier nettement les établissements relevant de l’enseignement
initial et de l’enseignement supérieur proprement dit 7.
Deux autres points, étroitement liés, d’analyse – et de polémique
– sont à relever dans cette mise en œuvre quelque peu chaotique.
Chargé par l’histoire des conservatoires d’un poids très lourd
quant au modèle d’enseignement, l’enseignement supérieur de
la musique reste marqué profondément en France, d’une part,
par la référence culturelle « classique » alors que l’on sait que la
majorité des métiers de la musique (et autour de la musique)
sont aujourd’hui majoritaires dans les autres esthétiques. D’autre
part, il semble très difficile de revoir la notion d’excellence (inséparable de celle d’enseignement supérieur) autrement que par
la référence à celle qui préside dans les conservatoires supérieurs
6
A noter cependant que la question des correspondances avec le master et surtout le doctorat est loin d’être encore réglée
7
Ce que devrait cependant régler l’obligation faite à ces
derniers établissements de se constituer en Etablissements Publics
de Coopération Culturelle, autonomes vis-à-vis des collectivités
territoriales…mais dont elles sont souvent les partenaires financiers principaux
13
La lettre des écoles supérieures d’art
L’enseignement supérieur de la musique
(dont nous avons dit comment elle était déterminée avant tout
par la sélectivité qui préside à l’admission des étudiants). Tout se
passe donc comme si l’on ne pouvait se résoudre à accepter qu’en
France un enseignement supérieur « moyen » puisse exister à
côté d’un enseignement « d’élite », à l’instar des grandes écoles
littéraires ou scientifiques à côté des nombreux cycles universitaires. D’autant qu’un grand nombre de métiers et de fonctions
(en particulier dans le secteur de l’enseignement) ne seront que
rarement pourvus par ces « élites ».
Dans ce contexte, il parait très important d’évoquer le cas particulier de l’orientation professionnelle. Dans le domaine musical,
ce segment du parcours de formation doit être considéré comme
fondamental. En effet la perspective professionnelle pour un «
apprenant » en musique est très souvent un itinéraire personnel progressif qui ne devrait pas être trop précoce pour ne pas
figer les objectifs dans la seule direction d’un métier aux débouchés incertains et, en même temps, nécessite un engagement,
un travail personnel commencé très tôt (en tous cas pour les
disciplines les plus « classiques »). Le processus d’orientation et
l’accompagnement des choix des élèves doivent donc être particulièrement assurés. Si l’on répète par ailleurs que l’enseignement
supérieur musical n’avait pas vu défini, pendant près de deux
siècles, son seuil d’accès, on ne pouvait que se réjouir de voir fixé
par la loi (13/8/2004) un cycle spécifique d’orientation professionnelle, le CEPI (cycle d’enseignement professionnel initial).
Nous ne reviendrons pas ici sur les diverses raisons, bonnes ou
mauvaises (plutôt mauvaises que bonnes d’ailleurs) qui ont
empêché la généralisation de ce dispositif bienvenu sanctionné
par un Diplôme National d’Orientation Professionnelle (DNOP)
à l’exception de deux régions françaises (Poitou-Charentes et
Nord-Pas-de-Calais). Il est patent cependant qu’une réforme de
l’enseignement supérieur musical ne peut/ne pouvait être mise
en place qu’après avoir réglé la question de son « amont », ce que
permettrait la généralisation d’un véritable cycle d’orientation
professionnelle, cadré dans un dispositif réglementaire comme
cela était le cas pour le CEPI 8.
Après bien des débats plus ou moins maitrisés, plus ou moins rationnels, engagés depuis 2000, les options déterminantes pour
la structuration de l’enseignement supérieur sont désormais
tranchées :
Autonomie juridique des établissements (pôles
d’enseignement supérieur)
Articulation avec l’enseignement universitaire dans le
cadre de l’harmonisation européenne des cursus et des diplômes
Référentiels nationaux des diplômes
Seuil d’admission (baccalauréat et DNOP ou Diplôme
d’Etudes Musicales)
Mais chacun sait que la clarification juridique (certes indispensable) ne peut devenir effectivement opérationnelle sans modification des cultures professionnelles latentes ou explicites. Sur ce
point le chemin est encore long avant que l’on soit en mesure de
présenter, de manière globale et cohérente, un schéma national
de l’enseignement supérieur qui fasse consensus et qui lève tous
les malentendus. D’autant que le statut et, tout simplement, la
place des formations pédagogiques 9 (débouchant pourtant sur
8
Arrêtés du 25 février 2007 relatifs au cycle
d’enseignement professionnel initial pour la musique, la danse
et le théâtre.
9
Assurées, depuis la fin des années 1980, par des cen-
N° 06 Ţ Novembre 2011
les métiers les plus directement accessibles et les plus répandus) se heurtent encore à d’innombrables problèmes à la fois
de reconnaissance et de compatibilité avec les statuts actuels
de la fonction publique ainsi qu’à une véritable prise en compte
des évolutions de la situation de la musique au 20ème siècle
qui ont bouleversé les conditions de développement de ce mode
d’expression.
En effet, trois crises ont secoué au siècle dernier les certitudes pédagogiques des musiciens et de leurs enseignants…
ou auraient dû les secouer plus tôt car il faudra en effet attendre la fin du 20ème siècle pour les voir prises en compte dans
l’organisation, les méthodes et les contenus de l’enseignement
spécialisé.
La première crise, que l’on pourrait appeler « esthétique » s’est
produite au tout début du siècle, avec, d’une part, la rupture possible avec le système tonal et le principe d’attraction et de polarité qui déterminait la plupart des langages musicaux jusque là
; et d’autre part l’arrivée en Europe de musiques issues d’autres
cultures, d’Orient ou d’Afrique par exemple, et surtout du jazz et
de ses divers dérivés. Si l’on met en perspective le fait que des
musiciens comme Ravel ou Stravinsky – pour ne citer qu’eux –
ont intégré des références au jazz dans des œuvres des années
25-30 et qu’il faudra attendre 1984 pour que cette pratique musicale ait officiellement sa place dans l’enseignement musical, on
mesure combien le temps de réaction des institutions est long.
La deuxième crise pourrait être nommée « démocratique ». On
peut en placer le point de départ au début des années 1950, avec
l’idée naissante que l’enseignement artistique doit être considéré comme un droit pour tous. Nous ne prétendons pas ici, bien
entendu, que, par exemple en 1930, une règle réservait l’accès
des conservatoires aux seuls enfants des classes favorisées
socialement ou familialement, mais cette idée était largement
répandue et presque acceptée. Nous ne disons pas non plus
qu’aujourd’hui la plus large démocratisation de l’enseignement
spécialisé est établie. Mais le principe est affirmé et l’action en
faveur de cet élargissement est désormais inscrite dans tous les
textes officiels et de nombreuses actions et dispositifs visent
cet objectif. De ce fait, tout au long de ces cinquante dernières
années, et tout particulièrement depuis dix à quinze ans, c’est
un public entièrement nouveau – quantitativement et qualitativement – qui fréquente les conservatoires et les écoles de
musique, avec souvent d’autres attentes, d’autres exigences,
d’autres cultures.
La troisième crise, dont les effets sont de brûlante actualité,
pourrait être qualifiée de « technologique et économique ». C’est
l’essor, toujours en cours, des moyens mécaniques puis informatiques de conserver, reproduire, créer, diffuser, vendre, télécharger, transformer la musique. De la bande magnétique au MP3,
en passant par le microsillon et le disque compact, de la radio à
l’internet en passant par la télévision, le modèle du professeur
d’instrument dans sa classe, meilleur exemple de pratique musicale qu’il soit donné à l’élève d’entendre, a volé en éclat. C’est
la possibilité d’entendre et de réentendre les musiques que l’on
tres de formation spécialisée : Centres de Formation des enseignants de la musique (CEFEDEM, sous la tutelle du Ministère
de la culture) et Centres de Formation des Musiciens Intervenants à l’école (CFMI, sous la tutelle conjointe des Ministères de
l’Education Nationale et de la Culture)
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La lettre des écoles supérieures d’art
L’enseignement supérieur de la musique
aime, de découvrir les œuvres de toute l’humanité à tout moment. C’est aussi l’inscription des produits musicaux dans une
économie mondiale, une conception de la protection des auteurs
en plein bouleversement comme le montrent les turbulences de
l’adoption de la loi HADOPI par exemple. C’est aussi, grâce aux
possibilités de créer et de diffuser sa propre musique de chez soi,
la première fois que les élèves sont susceptibles de maîtriser une
technique particulière mieux que leur professeur.
A ces trois grandes révolutions qui touchent au plus profond la
manière d’appréhender l’enseignement de la musique, il convient d’ajouter les évolutions importantes dans le pilotage des
établissements avec le rôle grandissant – et parfois même exclusif – des collectivités territoriales qui, d’une part financent
l’essentiel de leur coût (souvent même la totalité) et, d’autre
part, contribuent à ce que l’enseignement artistique s’inscrive au
plus près des réalités locales.
du Conservatoire de Poitiers puis responsable de l’enseignement
artistique à la Région Poitou-Charentes. Aujourd’hui, entre la
direction d’orchestre, la composition et des actions de formation
et de consultant auprès de collectivités territoriales. Auteur de
“Collectivités locales et enseignement artistique : enjeux pédagogiques, culturels et politiques” (Territorial Editions, 2010).
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Le système français de l’enseignement artistique paraît donc
agité, presque dès ses origines, par un double mouvement contradictoire : une tradition (quasiment une culture professionnelle) de référence centralisée 10 et une prise en compte toujours
plus grande des exigences locales.
Le système français d’enseignement artistique est, on le sait,
paradoxal. Conçu au 19ème siècle sur le modèle jacobin du conservatoire de Paris, il a de fait – pour l’enseignement de base
– toujours été décentralisé entrainant des conflits de compétences, de pilotage, de financement, des contradictions entre
missions d’intérêt national et enjeux locaux, des tensions fortes
pour déterminer si les conservatoires devaient être d’abord au
service de l’art ou à celle des individus qui viennent y chercher
une formation et un épanouissement personnels.
La loi LRL du 13 août 2004, dans son article 101, a, pour la première
fois esquissé une clarification bienvenue après des décennies de
réflexions sur le sujet. La création du CEPI a permis de définir
enfin sur le plan national ce segment essentiel de l’orientation
professionnelle avec un double effet volontaire et pertinent, à
la fois en sortant de l’ambiguïté des anciens Diplôme d’Etudes
Musicales, Chorégraphiques ou Théâtrales (DEM-DEC-DET) visà-vis de l’enseignement supérieur et vis-à-vis de l’enseignement
initial. Cela aurait dû permettre de « dégager le terrain » pour
(re)construire un enseignement supérieur à la fois cohérent et
décentralisé. La légèreté avec laquelle la question des incidences
budgétaires a été traitée explique pour une large part les blocages rencontrés. Mais c’est aussi parce que l’enjeu est une remise
en question complète et positive des modèles historiques de
gestion et de pilotage.
Eric SPROGIS – 12 octobre 2011
Ancien professeur puis directeur des études musicales au
CNSMD de Lyon, puis directeur délégué de l’Institut de Pédagogie
Musicale et Chorégraphique. Pendant plus de 20 ans directeur
10
La création d’un deuxième Conservatoire Supérieur à
Lyon en 1979 perturbera quelque peu cette référence, mais en
partie seulement, dans l’imaginaire du milieu professionnel.
N° 06 Ţ Novembre 2011
“I would like to put forward the notion that art school should
be the conscience of the art world.”
Ernesto Pujol, “On the ground, Practical Observations for Regenerating Art Education”, Art Schools (Propositions for the 21st century)”, Steven Henry Madoff ed., p. 9
« J’aimerais avancer l’idée que les écoles d’art devraient être la
conscience du monde de l’art. »
“Here we might want to recall Theodor Adorno’s remark: ‘In
every work of art something appears that does not exist.’ He
elaborates: ‘Quite possibly the non-existent suddenly rises in
works of art, but they cannot take hold of it bodily in one fell
swoop. In art, the non-existent is mediated by fragments of
the existent, gathered up in an apparition.’ We can teach Adorno’s text, but can we teach the ways in which the existent and
the non-existent are gathered into a work of art?”
Ann Lauterbach, “The Thing Seen, Reimagining Art Education for
Now”, p. 88, Art Schools (Propositions for the 21st century)”, Steven Henry Madoff ed.
« Nous aimerions ici, rappeler la remarque de Theodor Adorno
: “Dans toute œuvre d’art apparaît quelque chose qui n’existe
pas.” Il développe : “Sans doute le non-existant s’élève-t-il soudain des œuvres d’art, mais elles ne peuvent s’en saisir physiquement d’un seul coup. En art, le non-existant est relayé par des
fragments d’existant ramassés dans une apparition.” Nous pouvons enseigner le texte d’Adorno, mais pouvons-nous enseigner
la manière dont l’existant et le non-existant s’assemblent dans
une œuvre d’art ? »
Traductions JCBA
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La lettre des écoles supérieures d’art