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marketing recherche hec Bouche-à-oreille sur Internet Attention à la déformation du message Kristine De Valck et ses co-auteurs ont analysé une campagne de marketing électronique visant à promouvoir un modèle de téléphone portable à travers des blogs. À la différence des campagnes de promotion classiques, ils montrent que le message peut être déformé en fonction des personnes d’influence choisies pour parler du produit et des communautés dont elles font partie. Kristine De Valck B IOGRAPHIE Kristine De Valck a rejoint HEC Paris en 2004. Titulaire d’un doctorat en Marketing Management du Erasmus Research Institute of Management (PaysBas), elle a suivi l’International Teachers Program à l’IMD (Lausanne). Ses travaux portent sur les communautés virtuelles de consommation, les tribus de consommateurs, le rôle du Web 2.0 dans la cocréation, le marketing et les études de marché. 4 • juin-juillet 2012 “Les spécialistes du marketing et les sociologues reconnaissent l’importance du bouche-à-oreille en tant que phénomène naturel depuis plus de 50 ans, affirmant par exemple que le bouche-à-oreille affecte la majorité des décisions d’achat, explique Kristine De Valck. Cependant, ces théories et observations sur le bouche-à-oreille informel, spontané, ont été élaborées alors qu’Internet n’existait pas encore.” Or, l’accessibilité, la portée et la transparence du Web ont d’après elle permis aux marketeurs d’influencer et de contrôler le bouche-à-oreille comme jamais auparavant. Et de lister les façons plus ou moins actives dont ils peuvent atteindre leurs objectifs en ligne: “écouter” les conversations, les modérer, voire dialoguer avec les consommateurs, donner des produits à des personnes d’influence... On franchit une frontière entre le bouche-à-oreille naturel, très puissant d’après Kristine De Valck car dénué de motif et celui, plus artificiel, qui consiste à transformer des blogueurs en porte-paroles. UN PHÉNOMÈNE GRANDISSANT MAIS MÉCONNU Ce phénomène a pris tellement d’ampleur qu’aux États-Unis, la Federal Trade Commission a créé de nouvelles règles. Les blogueurs sont maintenant obligés de dire s’ils ont un lien avec une marque ou une société. “Cela n’a aucune conséquence légale en Europe mais ça a donné le ton au niveau éthique, puisque les grandes entreprises sont membres de la Word of Mouth Marketing Association (WOMMA) qui, bien que basée aux États-Unis, compte des membres dans le monde entier. La pratique commence à être plus organisée et à ressembler à ce que l’on connaît dans d’autres domaines, celui des journalistes recevant des produits gratuits par exemple.” Cependant, peu de recherches ont été menées sur le bouche-à-oreille électronique, même depuis la parution de cet article coécrit avec Robert Kozinets, Andrea Wojnicki et Sarah Wilner en 2010. “Il y a eu des travaux quantitatifs, portant sur la façon dont le bouche-à-oreille numérique affecte les ventes, mais avant le nôtre il n’y avait eu aucun article qualitatif, cherchant à comprendre de quoi les gens parlent précisément et la façon dont ils en parlent ; ou comment les consommateurs réagissent face à des campagnes d’emarketing.” LE MARKETING VIRAL N’A RIEN D’UN VIRUS En analysant les blogs de personnes auxquelles avait été donné un téléphone portable, Kristine De Valck et ses coauteurs montrent que le bouche-àoreille électronique ne se contente pas d’augmen- “ recherche Les blogueurs transforment ” le message du marketeur pour l’adapter à leur identité, leur auditoire et leur réseau. ter ou d’amplifier les messages des fabricants, ceux-ci étant systématiquement modifiés au cours de leur intégration. “Les théories existantes avaient une vision tronquée du bouche-à-oreille. Le concept de marketing viral est basé sur une idée fausse, qui voudrait qu’un message injecté sur un marché se répande, intact, comme un virus, affirme Kristine De Valck. Nous avons montré que ce n’est pas ce qui se passe : les blogueurs adaptent ce qu’ils disent à leur propre histoire et à la communauté dont ils font partie, ils transforment le message du marketeur pour l’adapter à leur propre identité (ou à celle du personnage qu’ils ont créé en ligne) ainsi qu’à leur auditoire, leur réseau.” DES RÉSULTATS MITIGÉS Les auteurs ont défini quatre stratégies possibles sur les médias sociaux (évaluer, embrasser, endosser, expliquer), chacune influencée par la narration du personnage, les normes existant au sein de sa communauté virtuelle, la forme de sa communication (blog, Facebook, Twitter, etc.) et la nature de la campagne de promotion. “Ces stratégies sont marquées par une tension entre les normes communautaires et commerciales, et leur réussite dépend de la façon dont les blogueurs s’en accommodent”, ajoute Kristine De Valck. Pour illus- hec A PPLICATIONS DANS L’ ENTREPRISE Les implications managériales pour des entreprises désirant faire du bouche-à-oreille sur Internet sont de plusieurs ordres : comme l’illustre l’exemple d’Alicia, il vaut mieux trouver des porte-paroles à même d’intégrer un message commercial sans générer de tension. D’autre part, comme le type de message dépend des blogueurs, il faut les choisir en fonction de ce que l’on souhaite véhiculer (information technique ou sentiment personnel par exemple). Kristine De Valck conseille aussi aux services marketing de s’engager à long terme avec les blogueurs et les titulaires de comptes sur Facebook ou Twitter. Il faut enfin privilégier les communautés virtuelles relativement ouvertes à de telles campagnes de promotion. M ÉTHODOLOGIE trer son propos, elle prend l’exemple de deux blogueuses : Judith, une infirmière en arrêt maladie qui arrive astucieusement à faire comprendre à ses lecteurs que ses 11 blogs, gérés très professionnellement, l’aident à joindre les deux bouts ; Alicia, une femme au foyer qui n’avait jusqu’alors jamais intégré de messages commerciaux dans son blog et qui malgré sa transparence génère des réactions négatives lorsqu’elle parle du téléphone portable. “Les internautes ne sont pas habitués à ce type de campagne promotionnelle sur son blog consacré à sa dure vie de mère au foyer et cela peut avoir des conséquences néfastes pour la marque de téléphone.” ■ D’après une interview de Kristine De Valck, professeur associé de marketing, et l’article “Networked Narratives: Understanding Word-of-Mouth Marketing in Online Communities” de R. V. Kozinets, K. De Valck, A. C. Wojnicki et S. S. Wilner, paru dans Journal of Marketing (mars 2010, vol. 74, n° 2, pp. 71-89) et qui lui a valu le Prix Article Professeur de la Fondation HEC en 2010. Les chercheurs ont mené une enquête sur une campagne de promotion de téléphones portables qui a eu lieu dans six villes d’Amérique du Nord. Ils ont analysé les blogs de 83 des 90 personnes auxquelles on avait donné un téléphone sur une période de six mois afin d’évaluer l’effet à long terme de la campagne de Web marketing. “Nous nous sommes intéressés aux blogs parce que des études ont montré leur importance pour les campagnes de bouche-à-oreille, explique Kristine De Valck. Des enquêtes réalisées en Europe indiquent ainsi que les blogs sont la deuxième source d’information de confiance” (Nielsen Trust in Global Advertising Survey, Q3 2011). juin-juillet 2012 • 5