mémoire 4 - Niernhaussen`s
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mémoire 4 - Niernhaussen`s
Centre International de Musicothérapie Association de Recherches et d'Applications des Techniques Psychomusicales 49, avenue Aristide Briand - 93163 NOISY le GRAND "Miroir et passerelle" Atelier chant avec de jeunes autistes Mémoire présenté et soutenu par : Martina Cuvereau – Niernhaussen Groupe 55 - Juin 2007 REMERCIEMENTS Tout d’abord je souhaite remercier de tout cœur les jeunes patients de l’IME. Ils m’apprennent et me donnent tant de choses. Ils m’offrent une passerelle vers leur monde, alors que moi, j’essaye, par le biais de la musicothérapie, de leur offrir une passerelle vers le nôtre. Un grand merci aussi à Yann Bouffort, qui anime les ateliers musique et qui est mon équipier lors des ateliers « chant ». Toutes ses précieuses indications concernant les jeunes me guident dans mon travail. Je remercie également Dominique Dufour, directrice de l’IME Cognacq-Jay, ainsi que toute l’Equipe de l’IME pour leur accueil chaleureux et leurs encouragements. Merci aussi à Jean-Luc Fidel, directeur de l’Hôptal Cognacq-Jay et à Manuel Nunes, responsable des projets culturels de l’Hôptal Cognacq-Jay, pour leur soutien et la confiance dont ils m’ont toujours fait preuve. Je remercie vivement Jean-Charles Léon qui a pris le temps de lire mes écrits et m’a aidée dans la rédaction de ce mémoire, ainsi que Gene Fouchs, pour sa précieuse leçon de traitement de texte. Je souhaite aussi remercier tous les intervenants du CIM pour leur enseignement très riche ! Merci à tous mes amis ! Leur curiosité, leur intérêt et leurs questions m’ont bien aidé. Merci aussi à ma famille pour son soutien et sa « positivité ». 2 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes SOMMAIRE INTRODUCTION ET RESUME......................................................................................................................... 4 I – PRESENTATION DE L’IME......................................................................................................................... 7 I. -1/ L’IME DE L’HOPITAL COGNACQ-JAY ......................................................................................................... 7 I. -2/ FONCTIONNEMENT DE L’IME...................................................................................................................... 7 I. -3/ LES PATIENTS DE L’IME ............................................................................................................................. 8 I. -4/ L’EQUIPE DE L’IME .................................................................................................................................... 8 II - L’AUTISME INFANTILE PRECOCE ...................................................................................................... 10 II. -1/ DEFINITION ET HISTORIQUE ..................................................................................................................... 10 II. -2/ CLASSIFICATION ...................................................................................................................................... 11 II. -3/ ETIOLOGIE ............................................................................................................................................... 13 II. -4/ EPIDEMIOLOGIE ....................................................................................................................................... 15 II. -5/ SYMPTOMATOLOGIE ................................................................................................................................ 17 III - LA MUSICOTHERAPIE ........................................................................................................................... 30 III. -1/ HISTORIQUE ........................................................................................................................................... 30 III. -2/ LA MUSICOTHERAPIE AUJOURD’HUI....................................................................................................... 32 III. -3/ LA MUSICOTHERAPIE ET L’AUTISME ...................................................................................................... 33 III. -4/ LA MUSICOTHERAPIE ET L’ADOLESCENT................................................................................................ 34 III. -5/ LA MUSICOTHERAPIE ET LA VOIX........................................................................................................... 35 III. -6/ LE MUSICOTHERAPEUTE ........................................................................................................................ 36 III. -7/ RECAPITULATIF DES EFFETS BENEFIQUES DE LA MUSICOTHERAPIE SUR L’AUTISME. .............................. 37 IV – APPROCHE CLINIQUE ........................................................................................................................... 40 IV. -1/ INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 40 IV. -2/ DEROULEMENT DES SEANCES ................................................................................................................. 40 IV. -3/ ANALYSE DE MA PRATIQUE .................................................................................................................... 70 V - CONCLUSION.............................................................................................................................................. 72 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 73 ANNEXES............................................................................................................................................................ 75 3 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Introduction et Résumé Manuel Nunes, responsable des projets culturels, me dit en octobre dernier : “Dominique Dufour1 t’attend. Monte au troisième tout de suite, ils veulent de la musicothérapie chez les autistes !” Cette proposition me réjouit, je suis aux anges en prenant pour la toute première fois l’ascenseur sécurisé qui mène au troisième étage. Depuis 1999 je travaille à l’hôpital Cognacq-Jay, où je dirige des chorales de soignants et de patients. En octobre 2006 j’ai commencé des ateliers de musicothérapie active dans le service “maladies infectieuses”. Manuel Nunes voudrait que la musique soit toujours présente à l’hôpital car il croit dur comme fer à la musicothérapie. C’est encore Manuel Nunes qui m’a encouragée dans mes études de musicothérapie. Ensemble, nous avons organisé beaucoup de petits concerts à l’hôpital ou dans des églises2 parisiennes. Nous avons pu y constater l’effet bénéfique de la musique sur les patients, même très malades, même en fin de vie. Il y a trois ans Manuel Nunes m’a aussi parlé d’une chorale d’autistes avec laquelle nous pourrions faire un concert de Noël. C’est ainsi que nous avons chanté avec les jeunes autistes de la chorale “Turbulences” et ce fut pour tous : les jeunes “Turbulents”, les autres chanteurs, les musiciens, le public et moi-même un moment inoubliable. C’est lors des répétitions hebdomadaires des “Turbulents” qui avaient lieu au Théâtre du Lucernaire que j’ai littéralement succombé aux charmes de ces jeunes patients incroyablement attachants. Depuis cette rencontre, je rêvais de travailler avec eux et j’avais été heureusement surprise d’apprendre qu’un Institut Médico Educatif allait être crée à l’Hôpital Cognacq-Jay. Mon rêve se réalise donc fin novembre, lorsque je commence mes ateliers chant auprès de ces adolescents. Chaque semaine je vis de nouvelles aventures passionnantes, même si certaines séances de travail sont particulièrement éprouvantes. Je pars de l’hypothèse que le travail effectué avec les autistes pendant les ateliers chant, va leur permettre de développer leur langage et va les amener à parler. Les différentes étapes de ce travail sont les suivantes : • Plonger les autistes dans un bain de sons qui les rassure et les met dans un état plus réceptif. • Leur donner ensuite envie de jouer avec leur voix • Leur apprendre de petits chants simples avec des onomatopées ou des paroles très faciles. • Faire chanter les autistes de telle sorte qu’ils prennent confiance en eux et 1 Dominique Dufour est directrice de l’IME. Pendant plusieurs années elle a été vice-présidente de « Turbulences » 2 Chapelle Saint Louis de la Salpêtrière, Temple réformé du Saint Esprit, la Madeleine, Eglise Sainte Croix des Arméniens, Chapelle Sainte Marie de la Compassion. 4 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes progressivement prennent plaisir à prononcer les paroles des chants proposés. • Finalement les autistes vont expérimenter leurs nouveaux acquis hors de l’atelier chant. Bien évidemment, j’ai conscience de mes erreurs de débutante et des progrès à accomplir. J’essaye de trouver des livres, des articles, des thèses. Hélas, la littérature en ce qui concerne la musicothérapie active où seul le chant est utilisé, de surcroît en groupe, se fait très rare. Alors avec l’aide de Yann Bouffort, l’éducateur qui anime les séances hebdomadaires avec moi, on expérimente, on propose, on hésite, on recommence. Un extrait du livre de Howard Buten “Il y a quelqu’un là-dedans”3 me reste constamment à l’esprit quand je travaille à l’IME : « J’ai été étonné d’apprendre un jour qu’il existe des professionnels de l’autisme qui ne regardent jamais les autistes dans les yeux. C’est pourtant la chose la plus indispensable ! Il faut les regarder non seulement droit dans les yeux, mais avec un regard si accueillant, si ouvert, sans contenu ni jugement, qu’ils ne pourront pas nous résister. Il faut faire de son regard une maison, conçue exprès pour eux, la porte grande ouverte, peinte à leurs couleurs, meublée à leur goût. » Dans ce mémoire, je vais tout d’abord vous présenter l’IME de l’Hôpital Cognacq-Jay. Ensuite, je vous détaillerai l’autisme infantile précoce. Afin que vous fassiez la connaissance des jeunes patients de l’IME, j’ai choisie de vous les décrire dans la symptomatologie complexe de l’autisme. Je parlerai ensuite de la musicothérapie, de son historique à l’utilisation de la musicothérapie avec les autistes. Dans la quatrième partie, je vous décrirai les séances des ateliers Chant, suivies à chaque fois de mon vécu durant celles-ci. Je terminerai ce mémoire par l’analyse de ma pratique au niveau musicothérapeutique. Il se peut que vous trouviez mes propos très simples, presque naïfs. J’ai volontairement voulu garder un maximum de spontanéité dans mes descriptions. Ceci afin que le lecteur puisse évaluer ma progression professionnelle et personnelle. J’ai donc essayé de rester tout à fait sincère et cela ne fut pas chose facile. Je vous souhaite une bonne lecture à tous ! 3 BUTEN Howard, « Il y a quelqu’un là-dedans » - Odile Jacob 2003, page 45-46 5 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes CHAPITRE PREMIER : PRESENTATION DE L’IME DE l’HÔPITAL COGNACQ-JAY 6 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes I – PRESENTATION DE L’IME I. -1/ L’IME de l’Hôpital Cognacq-Jay L’Hôpital Cognacq-Jay est situé entre les rues Blomet et Eugène Million dans le 15ème arrondissement de Paris. Les splendides locaux neufs on été dessinés par l’architecte japonais Toyo Ito. Cet hôpital, privé à but non lucratif, s’inscrit dans l’ensemble de l’offre hospitalière parisienne et même nationale pour certaines pathologies. Il comporte des services de soins de suite et de soins palliatifs ainsi qu’un secteur d’accueil d’enfants autistes. En effet, la Fondation Cognacq-Jay avait entrepris en 2001 la réalisation de ce projet qui lui tenait à cœur : apporter une réponse aux besoins urgents de structures d'accueil pour des adolescents autistes à Paris. I. -2/ Fonctionnement de l’IME Du lundi au vendredi, 16 adolescents4 sont pris en charge à l’IME , selon 3 formules d’accueil différentes. • Alternance internat/externat : une semaine sur trois, les jeunes sont accueillis 24 h/24 dans l’établissement. Deux semaines sur trois, ils seront pris en charge uniquement en externat. • Prise en charge en externat simple : elle permet l’accueil d’enfants âgés de 12 à 14 ans qui, ayant toujours vécu dans la sphère familiale, ne sont pas aptes à supporter une séparation ponctuelle de plusieurs jours avec leurs proches. Ce mode de prise en charge crée les conditions d’un apprentissage progressif, préalable à une entrée dans le dispositif de l’alternance. • La prise en charge en internat d’accueil temporaire (3 places) : l’objectif de permettre l’accueil « en urgence » de jeunes en décompensation, nécessitant momentanément une prise en charge 24 h/24. La prise en charge des jeunes autistes à l'IME Cognacq-Jay comporte plusieurs volets indissociables et complémentaires : 4 • psychothérapeutique • pédagogie spécialisée • éducatif • apprentissage de l'autonomie pragmatique et de compétences sociales valorisées. L’effectif pourrait monter à 21 7 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes I. -3/ Les patients de l’IME L’institut accueille des adolescents et de jeunes adultes des deux sexes, âgés de 12 à 20 ans, autistes ou présentant des troubles apparentés. Voici les trois critères d’admission : • Les troubles psychiques entrant dans la classification de l’autisme ou de la psychose infantile grave. • L’absence de dispositif de prise en charge approprié à la situation de l’adolescent et de sa famille. • La décompensation de l’enfant habituellement accueilli dans une structure d’externat, et nécessitant une prise en charge en urgence au sein d’un internat. I. -4/ L’Equipe de l’IME L’équipe de l’IME est composée de la façon suivante : • 1 directeur • 1 chef de service • 1 psychiatre • Des éducateurs spécialisés (dont un responsable d’insertion) • Des moniteurs éducateurs • Des aides médico-psychologiques • veilleurs de nuit • 1 psychologue • 1 psychomotricien • 1 orthophoniste • 1 infirmier • 1 psychothérapeute superviseur • 1 assistante sociale • 1 secrétaire-aide comptable • Des agents de service • Des intervenants extérieurs : art thérapie et musicothérapie. 8 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes CHAPITRE II : L’AUTISME INFANTILE PRECOCE 9 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes II - L’Autisme Infantile Précoce II. -1/ Définition et historique "Il était gentil, ce médecin. Il avait l’air intelligent. Il m’a expliqué qu’on les appelle des enfants autistes parce que « aut » ça veut dire soi-même et « iste » ça veut dire avoir surtout un rapport avec. (Un garagiste, par exemple, c’est quelqu’un qui a surtout un rapport avec un garage). Un autiste c’est quelqu’un qui a surtout un rapport avec lui-même, au lieu d’avoir des rapports avec les autres ».5 Le terme «autisme» vient du grec « auto » qui signifie «soi-même». Ce terme a été employé pour la première fois en psychiatrie en 1911 par le psychiatre suisse Eugene BLEULER6. On le retrouve dans son ouvrage « Démences précoces ou groupe des schizophrénies »7 pour désigner chez les malades schizophrènes adultes la perte du contact avec la réalité. En 1943, un psychiatre américain du nom de Léo Kanner va écrire un article intitulé « Autistic Disturbance of Affective Contact »8. Il y décrit sous le terme d’Autisme Infantile Précoce, un tableau clinique différent de la schizophrénie infantile. C’est en travaillant à la Harriet Lane Children’s Home qu’il va observer pendant cinq ans onze enfants qu’il a décrits comme « autistes »9. Tous ces enfants présentent les mêmes problèmes de communication et de repli sur soi. Ces symptômes précis, et l'absence de certains traits propres aux maladies psychotiques, lui ont fait écarter d'emblée la schizophrénie, tout comme la thèse de l'arriération mentale. « Alors que le schizophrène essaye de résoudre son problème en quittant un monde dont il faisait partie et avec lequel il était en contact, nos enfants arrivent progressivement au compromis qui consiste à tâter prudemment un monde auquel ils ont été étrangers dès le début. » (Kanner, 1943) Léo Kanner regroupe l’ensemble des symptômes particuliers qu’il observe chez ces patients en sept caractéristiques essentielles: • la solitude; 5 BUTEN Howard, Ces enfants qui ne viennent pas d’une autre planète : les autistes, Edition Gallimard 1995, page 10 et 11 6 BLEULER Eugen, psychiatre suisse, né à Zollikon en 1857. Directeur de l'hôpital du Burghölzli, près de Zurich. En 1911 Bleuler publie une nosographie consacrée aux schizophrénies dans le Traité de psychiatrie d'ASCHAFFENBURG. Cette nosographie, qui occupe quand même un tome entier, a été appelée Dementia Praecox, ou Groupe des schizophrénies. 7 BLEULER Eugen (1911), Dementia praecox oder Gruppe der schizophenien, Leipzig-Vienne, trad. fr. Dementia praecox ou groupe des schizophrénies, Paris, EPEL, 1993 8 KANNER Léo, Autistic Disturbances of Affective Contact, Nervous Child, 1943, vol.2, p.217-250 9 KANNER Léo, Follow up study of eleven children originally reported in 1943, Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 1971, 1, 2, p.119-145 10 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes • des obsessions pour des routines; • une mémoire extraordinaire; • l'écholalie; • la sensibilité aux stimuli; • une gamme d'intérêts limitée; • une intelligence normale. Un an plus tard, en 1944, et de façon totalement indépendante, un psychiatre autrichien du nom de Hans Asperger publie une description d'un groupe de 4 enfants présentant ce qu'il appelle "une psychopathologie autistique"10. Dans sa description on retrouve un certain nombre d'éléments du fonctionnement qui s'apparente aux enfants décrits par Léo Kanner (retrait social, stéréotypes au niveau du langage et du mouvement, résistance aux changements et un intérêt particulier pour certains objets ou sujets). Il y a néanmoins des différences : les enfants du groupe d'Asperger s'expriment bien et sont maladroits en terme de motricité globale. La définition clinique de l’autisme définie par Léo Kanner sera acceptée mondialement, mais les problèmes de sa pathogénie et de son étiologie font encore l’objet de nombreuses controverses. Même Kanner a énormément varié dans les conceptions étiopathogéniques de son syndrome tout au long de sa vie. II. -2/ Classification Nous possédons trois références principales en matière de classifications diagnostic : • Le DSM est le Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders, instauré par l’American Psychiatric Association (APA). De nombreuses versions ont été publiées. La dernière date de 2000 avec le DSM-IV-TR (Fourth edition Text Revision)11. • La CIM est la Classification Internationale des Maladies (la version anglophone est ICD : International Classification Disorders). Elle dépend de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La dernière version date de 1992 (ICD-10). A la différence des deux autres, cette classification ne se limite pas aux pathologies mentales mais s’étend à l’ensemble des maladies. Une réactualisation est en cours.12 • La CFTMEA est la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant 10 ASPERGER Hans (1944), Die Autistischen Psychopathen' im Kindesalter, Archiv fur Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 117, pp.76-136. 11 Cfr Annexes : pages II, III, IV 12 Cfr Annexes : page V, VI 11 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes et de l’Adolescent. Elle a été établie par des travaux français. La deuxième version est parue en 2000 (CFTMEA-R-2000)13. Que l’on se réfère à la classification française ou aux classifications internationales nous constatons qu’il existe deux types d’autisme infantile : A. L’autisme infantile précoce du type Kanner B. Autres formes d’autisme ou autisme atypique. A. L'Autisme Précoce L'Autisme Précoce, comme son nom l'indique, est l'autisme présent dès la naissance. On pourrait le considérer comme l'autisme dit "inné" que Léo Kanner décrivait au début de ses recherches. Par sa forme précoce, cet autisme peut être détecté chez les bébés dits "trop tranquilles" ou "trop calmes". Ce sont des enfants qui ne pleurent pas ou à peine, qui manifestent très peu leurs besoins, notamment les besoins sociaux. En général, ils ont des troubles toniques, soit par excès (hypertoniques) soit par défaut (hypotoniques). Ces troubles du tonus apparaissent surtout lorsqu'ils sont portés dans les bras et comme une forme d'évitement de tout contact corporel. Ils évitent systématiquement le regard humain de sorte que le sourire n'apparaît pas de façon adaptée à la situation. B. L'Autisme à Début Tardif L'Autisme à Début Tardif est un autisme qui se développe après une période de développement apparemment normale, c'est-à-dire jusqu'à 12-18 voire 24 mois. L'enfant qui avait présenté un développement assez satisfaisant de la relation à autrui et du fonctionnement du Moi (motricité, langage, intelligence...) ferait une régression brusque et se réfugierait dans un comportement autistique. Dans les deux cas on pourra noter les premiers signes d’autisme avant 36 mois. Trois domaines sont spécifiquement touchés et jugés déficients. Ils sont connus sous le nom de triade autistique et décris par Lorna WING14 : • 13 Altération des relations sociales : la relation aux autres est sévèrement perturbée, et cette perturbation peut prendre des formes diverses. La plus connue, mais pas forcément la plus fréquente, est le replis sur soi, l’enfant semblant vivre « dans une bulle », distant et coupé du monde. En fait, tous les enfants autistes ne refusent pas toute relation, mais sont surtout passifs. D’autres enfants vont vers les autres, mais de façon maladroite, peu adaptée, avec un manque de discrimination ou de finesse relationnelle, une sorte naïveté dans les rapports sociaux. On les dit « actifs mais bizarres » Cfr Annexes : page VII 14 WING Lorna & GOULD, (1979), "Severe Impairments of Social Interaction and Associated Abnormalities in Children: Epidemiology and Classification", Journal of Autism and Developmental Disorders, 9, pp. 11-29. 12 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes • Troubles de la communication verbale et non verbale. L’enfant autiste ne parle pas, ou présente un développement du langage retardé. Quand le langage existe il a peu de valeur de communication, les écholalies immédiates et différées sont fréquentes. Le langage est le plus souvent centré sur des préoccupations égocentriques, sans être ajustées à l’interlocuteur ou au contexte social. • Intérêts restreints et stéréotypés. L’enfant autiste a une activité réduite, ritualisée et stéréotypée, qui consiste à reproduire inlassablement les mêmes mouvements ou manipulations. Il accepte mal les changements, et peut y réagir par des troubles du comportement divers (cris, violence, accentuation du repli sur soi). II. -3/ Etiologie René Diatkine, un des promoteurs de la psychanalyse d’enfants en France a dit : « Tout a été écrit sur les psychoses infantiles et les autistes, cependant tout reste à comprendre ».15 En effet, les opinions sur l’origine de l'autisme varient, bien que la plupart s'entendent pour dire que les causes sont multiples. Dès le départ il y avait trois conceptions : • La cause de l’autisme est biologique: c’est une incapacité innée de constituer biologiquement un contact affectif avec les personnes. • La cause de l’autisme est fonctionnelle: Léo Kanner a également parlé de l’incapacité à utiliser la structure biologique relationnelle innée et à réagir aux situations. • La cause de l’autisme est psychologique : c’est un trouble culturel du contact affectif avec les personnes, notamment dans la relation mère-enfant ? Léo Kanner montre l'importance de la froideur relationnelle des mères et des pères de ses onze premiers cas. Le monde Anglo-saxon pense que le trouble cognitif induit le trouble relationnel alors que la majorité des écoles pédo-psychiatriques françaises pense, elle, que les troubles relationnels induisent les troubles cognitifs. Depuis quelques années on parle également d’une cause « génétique » de l’autisme. Dès 1977, le professeur Sir Michael RUTTER16, expert en autisme à l’Institut de Psychiatrie de Londres, met en évidence des taux de concordance chez les jumeaux monozygotes et dizygotes.17 15 TRIDON Pierre, « Influence de la mélodie sur la relation avec l’enfant autistique », 1er Colloque de la Forge « L’Enfant isolé – souffrance péri-natale, l’Autisme, Thérapie Sonore » - Strasbourg 1987 – page 36 16 Sir Michael Rutter est expert en autisme à l'Institut de Psychiatrie de Londres, 17 RUTTER Michael & Lawrence BARTAK, Causes of infantile autism: Some considerations from recent research, Journal of Autism and Childhood Schizophrenia 1971 Jan-Mar;(1):20-32 13 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Le lancement du premier test génétique de diagnostic de l'autisme est pour très bientôt. Effectivement, un gène anormal découvert par l'équipe du docteur Jörg HAGER,18 est situé sur le chromosome 16, il dirige la synthèse d'une protéine, qui joue un rôle central dans le processus de neuro-transmission. Néanmoins à l’heure actuelle,seuls 10 % des cas d’autisme sont associés à une cause génétique reconnue, le plus souvent un syndrome de l’X fragile, une sclérose tubéreuse ou des anomalies chromosomiques. Parmi ces syndromes figure le syndrome de Rett. Il s’agit d’une encéphalopathie (atteinte globale de l'encéphale) dont l'origine est inconnue et qui se manifeste entre le 6ème et le 18ème mois chez un enfant de sexe féminin presque exclusivement (la quasi-totalité des malades identifiés sont des filles). On le retrouve parmi toutes les races et les régions du globe. Selon les pays, le taux de prévalence varie de 1 cas sur 10 000 naissances de filles à un pour 23 000. Ce syndrome a été décrit pour la première fois par le Dr Andreas RETT19 et obtenait sa reconnaissance mondiale qu'après un article du Dr HAGBERG et de ses collègues, en 1983. Un autre syndrome est celui de Williams-Beuren, dont l’autre nom est l’hypercalcémie infantile. Il s’agit d’une maladie très rare, il y a environ 1 cas sur 20 000 personnes. Il ne s'agit pas d'une maladie héréditaire, mais on l'explique toutefois par des anomalies chromosomiques précises. Le désordre métabolique ainsi engendré s'exprime ensuite par divers symptômes variant d'une personne à l'autre. Notons également le syndrome de l' X fragile, dont la découverte remonte aux années 70, qui est la forme d'arriération mentale la plus fréquente qui soit. Ce syndrome touche surtout les garçons (environ 1 sur 1200), quoique ses manifestations affectent aussi une certaine proportion de filles (1 sur 2500). De façon globale, cette affection présenterait la même récurrence parmi tous les groupes ethniques de la planète. On estime cependant qu'une importante fraction des cas n'est pas diagnostiquée. En raison de troubles comportementaux et communicationnels communs, le syndrome de l' X fragile n'est pas sans rappeler l'autisme. D'ailleurs, 30 à 40 % des garçons victimes de l' X fragile ont aussi un syndrome autistique. Le syndrome de Bourneville, ou Sclérose tubéreuse de Bourneville, est un désordre grave qui touche les personnes des deux sexes. Décrit pour la première fois en 1862 par Von Recklinghausen, ce n'est finalement qu'en 1880 que Bourneville donne le nom "sclérose tubéreuse" à ce syndrome qui depuis porte son nom. Cette affection rare (1 sur 6.000 à 30.000 naissances) associe des anomalies oculaires à des perturbations des reins, du coeur, du cerveau et de la peau. Les tumeurs qui atteignent ces différents organes sont bénignes et sont dues à des anomalies de certaines cellules embryonnaires. Sur le plan anatomique, on relève chez les victimes du syndrome des nodosités au niveau des couches superficielles du cerveau. Dans 80 % des cas, l'enfant 18 19 HAGER Jörg travaille depuis 1995 à L’Institut Pasteur de Lille RETT Andréas était un pédopsychiatre autrichien. (1925-1997) 14 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes subit également des crises d'épilepsie dont la fréquence et l'intensité augmentent avec l'âge. II. -4/ Epidémiologie La proportion filles/garçons (1 pour 4 ou 5) est la même dans tous les pays et toutes les couches sociales de la population. La plupart des études épidémiologiques s'accorde sur un taux de prévalence compris entre 4 et 5,6 pour 10.000, s'agissant de sujets âgés de 0 à 19 ans. Ce taux peut être transposé à la population adulte, en considérant que l'espérance de vie d'un sujet autiste n'est pas différente de celle de la population générale. On peut ainsi considérer que 6.200 à 8.000 enfants et adolescents et 17.400 à 23.000 adultes présentent un syndrome d'autisme en France. Soit, en moyenne environ 7.000 enfants et 20.000 adultes. Ces chiffres sont à rapprocher des personnes actuellement prises en charge estimées à environ 4.200 enfants et adolescents (2.000 en pédopsychiatrie et 2.200 dans le secteur médico-social) et 5.200 adultes (3.000 en psychiatrie et 2.200 en institution pour handicapés). L'étude de Fred Volkmar et al. (1994)21 estime la répartition suivante: • 1,87% de syndrome de Rett; • 2,3% de Trouble Désintégratif de l'Enfance; • 6,9% de Syndrome d'Asperger; • 16,71% de TED non spécifiés; • 6,77% d'Autisme Atypique; • 65,41% d'Autisme Infantile. Dans l'étude de William Mahoney et al. (1998)22,par contre, la répartition est la suivante : • Autisme entre 60,1% et 67,8%; • Trouble d'Asperger entre 7,7% et 10,4%. • l'Autisme Atypique peut pouvait varier de 5,6% à 16,8%. 21 VOLKMAR Fred. (1992). « Three diagnostic systems for autism : DSM III, DSM IV and ICD 10 ». Journal of Autism & Developmental Disorders, 22 (4), p. 483-92. 22 MAHONEY WJ, SZATMARI P, MAC LEAN JE, et al., Reliability and accuracy of differentiating pervasive developmental disorder subtypes. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1998 Mar;37:278–85 15 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Notons aussi que : • 80% d'autistes souffrent de retard mental (15% de la totalité des personnes touchées par le retard mental sont autistes). • 35% d'autistes souffrent d'épilepsie (5 à 10% de la totalité des cas d'épilepsie). 16 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes II. -5/ Symptomatologie L'autisme, cette maladie aux mille visages Symptomatologie générale rencontrée auprès des autistes : • Difficulté générale à établir des relations avec l'entourage ; • Déficit d'attention ; • Tendance à l'isolement et au repli sur soi ; • Difficulté à soutenir le regard de l’autre ; • Retard ou absence de développement du langage ; • Usage stéréotypé et répétitif du langage lorsque le sujet parle ; • Intérêts restreints et obsessionnels ; • Observation de rituels précis et non fonctionnels ; • Maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs (par exemple, torsions des mains ou des doigts) ; • Problèmes d'épilepsie qui commencent souvent vers la puberté ; • Hyperactivité ; • Troubles du sommeil ; • Réactions inhabituelles à certains stimuli (bruits, images, froid, etc.) ; • Mauvaise compréhension du langage non verbal (gestes, mimiques,…) ; • Arythmie cardiaque ; • Peur du changement ; • Démarche particulière sans balancement approprié des bras ; L’autisme est une maladie présentant une symptomatologie très large. Certains symptômes sont à tel point différents qu’ils peuvent paraître s’opposer, ou entrer en contradiction lors de l’évaluation du malade. Les comportements de deux enfants autistes peuvent être très différents. Le tableau, ci-dessus, est donc bien incomplet et l’énumération des symptômes de cette maladie peut être fastidieuse, compliquée. S’ajoute à cela que la personnalité propre à chaque autiste entre également en ligne de compte dans son comportement et sa symptomatologie. Je m’appuierai donc sur mon expérience professionnelle pour décrire l’ensemble des symptômes rencontrés chez les patients que j’ai suivis à l’IME. Le ratio entre filles et garçons, présenté dans le chapitre «épidémiologie »23 est parfaitement respecté; il y a environ quatre fois plus de 23 Voir en page 15 17 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes garçons autistes que de filles traités dans l’IME (trois filles, treize garçons). Voici la présentation de la plupart des sujets que j’ai rencontrés lors de mon travail à l’IME du 22 novembre 2006 à fin avril 2007. Trois autres jeunes, Jean, Selim et Alain, ne seront pas décrits car ils ne participent pas aux ateliers chant et je ne les connais pas très bien. DEBORAH Autisme typique de Kanner – symptômes principaux : beaucoup de stéréotypies gestuelles – évite le regard. Deborah a 15 ans. Elle aime bien la musique et connaît beaucoup de chants d'église car elle va aux offices religieux avec ses parents. Deborah peut très bien s’exprimer quand la situation est favorable. Ce n’est pas souvent le cas et elle ne parle pas beaucoup lors des ateliers musique. Ses interventions verbales correspondent la plupart du temps à des phrases stéréotypées, comme « c'est n'importe quoi... ». Deborah possède pourtant de réelles capacités vocales, mais il faut insister pour qu’elle sorte sa voix, généralement elle chante tout doucement en bougeant à peine les lèvres. Ce qui est le plus significatif dans l’attitude de Deborah est son fort balancement corporel et le mouvement stéréotypé de sa main droite qui va du nez où elle enlève une petite crotte de nez imaginaire, au genou, où elle l’écrase. Ce mouvement répétitif et obsessionnel peut durer des heures. Deborah a presque tout le temps le regard baissé et évite tout contact visuel. Il a fallu dix séances pour qu’elle ose soutenir mon regard. Elle semble toujours épuisée et ne se lève que difficilement pendant l'échauffement vocal ou pendant le chant final. Il lui est arrivé de pleurer pendant toute une séance, sans que l'on arrive à lui faire expliquer pourquoi. TOSHIE Autisme typique de Kanner - Symptôme principal : n’a pas la conscience de son corps. Toshie est d’origine chilienne par sa mère et japonaise par son père. Elle a vécu dans plusieurs pays avant de s’installer en France. Le problème majeur de Toshie est la confusion des langues. On n'arrive pas à savoir ce qu’elle comprend. Toshie n’a pas conscience de son corps. Elle ne sait pas distinguer son enveloppe 18 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes corporelle, situer la limite entre elle-même et ce qui l’entoure. Elle ignore qu’elle a une peau et est réduite à vérifier inlassablement sa propre existence par l’intermédiaire d’exercices et d’activités stéréotypées. Temple GRANDIN dit : « Il arrive que les autistes perçoivent mal les limites de leurs corps. Ils ne sentent pas où se termine leur corps et où commence la chaise sur laquelle ils sont assis, ou l’objet qu’ils tiennent dans leurs mains. »24 Quand elle accepte de s'asseoir et de participer à une activité, elle demande à l’animateur d’appuyer fortement son pied sur le sien afin qu'elle puisse sentir son corps. Elle paraît n’avoir conscience ni des personnes ni des lieux dans lesquels elle passe. Elle essaye souvent d’ouvrir les fenêtres25, qui, heureusement, ne s'ouvrent que de quelques centimètres. Toshie adore jouer avec de l'eau et avec les interrupteurs électriques, qu’elle actionne des heures durant. Toshie aime la musique. Lorsqu'une chanson lui plaît, elle lève les bras au ciel comme si elle dansait le flamenco. Elle mémorise facilement une chanson, mais ne la chantera jamais avec les autres. En revanche, seule dans le couloir, elle n’hésitera pas à la chanter à tue-tête pendant de longs moments. Généralement elle a l'air heureuse. Quand je lui demande de s'asseoir sur une chaise pour participer à l'atelier, elle devient souvent très triste. Toshie ne participe plus aux ateliers chant. Depuis janvier, elle participe à la sortie bibliothèque le mercredi matin, car, selon le psychologue de l’IME, il est plus important pour elle de rencontrer du monde dans un endroit en dehors de l’IME. SOPHIA Autisme dont la cause est génétique (déficience du chromosome 17) déficience mentale profonde. Sophia a une quinzaine d’années. Elle évite le contact visuel direct. Dès qu’elle me voit elle me prend la main et fait un petit sourire en me regardant « en coin ». L’origine de l’autisme de cette patiente est génétique, et correspond à une anomalie du chromosome 17. Ce type de problème génétique se retrouve chez 5 à 10% des autistes26. Malheureusement, Sophia ne participe pas aux ateliers chant. Je peux 24 GRANDIN Temple, (1995) Thinking in pictures and other reports from my life with autism, New York, Doubleday, page 45 25 Les fenêtres de l’IME sont évidemment sécurisées. 26 Ces derniers temps on parle de plus en plus de génétisme en parlant d’autisme. Les scientifiques effectuent, ce qu’on appelle, un balayage de génome. Le test génétique détermine quelle forme ou variante d'un marqueur génétique (un élément d'ADN qui est utilisé pour baliser des zones spécifiques du génome) est transmise à l'enfant par ses parents. Quand l'ensemble des marqueurs génétiques est enregistré, une analyse statistique peut 19 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes néanmoins vous la décrire, car nous avons un très bon contact lors de la réunion matinale et au cours des petits concerts que nous organisons à l’IME MAXIME Autisme typique de Kanner – Symptômes principaux : Echolalie immédiate, petits mouvements stéréotypés, oublie d’avaler sa salive, ne prend aucune initiative. Maxime a 17 ans. Il ne refuse pas du tout le contact visuel direct. Maxime aime beaucoup la musique et connaît un large répertoire de chansons qu'il chante d'une voix forte et monotone. Il mémorise facilement les lignes mélodiques et les paroles, même quand il y a plusieurs couplets. Je pense qu'il possède l'oreille absolue, comme beaucoup d’autistes d’ailleurs. Le symptôme principal de Maxime est l'écholalie immédiate. L’écholalie, immédiate ou différée, est l’un des symptômes les plus courants de l’autisme. Le patient répète des mots, des bribes de phrases ou des énoncés entiers. Certains autistes confèrent à ces répétitions une signification très personnelle liée à leurs expériences propres. Ces abstractions sont très difficiles à saisir. C’est la raison pour laquelle l'établissement d'une communication doit être fondée sur des bases concrètes27. Voici une conversation représentative de celles que j’ai pu avoir avec Maxime lors de nos ateliers. − Moi : « Maxime, te souviens-tu de la chanson « Piroguiers » ? − Maxime : « te souviens-tu de la chanson « Piroguiers » ? Maxime utilise parfaitement mon intonation et imite également mes mimiques. − Moi: « Oui, il me semble que tu aimes bien cette chanson, alors veux-tu la chanter ?» − Maxime : « Oui, il me semble que tu aimes bien cette chanson, alors veux-tu la chanter ? » − Moi: « non, je te demande si toi tu l'aimes ? » ( j'accentue le « toi ») être effectuée à partir de ces informations si certaines de ces zones de l'ADN se rencontrent chez toutes les personnes autistes. Ce partage de mêmes caractéristiques est le fondement méthodologique nécessaire pour déterminer quelles sont les régions de l'ADN qui jouent un rôle dans l'apparition des troubles. Une région du chromosome 17 a ainsi été identifiée. Il est à noter que 24 autres régions ont été repérées suivant cette méthode, mais aucune n'atteint l'importance de celle du chromosome 17. Des chercheurs avaient déjà mis en évidence l'existence dans cette même région du chromosome 17 d'un gène lié à la sérotonine, un neurotransmetteur dont le taux se trouve être anormalement élevé dans le sang de nombreux autistes. Pour ce problème particulier, voir http://www.cureautismnow.org - Exciting Findings from UCLA Team on Chromosome 17: Cure Autism Now Grants New Genomics Initiative Award to Pursue Genetic Lead - Sophia Colamarino, Ph.D. 27 Il est à noter que près de 50% des autistes ne parlent pas au commencement de leur prise en charge. Cependant, une intervention éducative peut les aider à s'exprimer d’une manière ou d’une autre, oralement, avec le langage des signes ou avec des pictogrammes présentant des concepts précis. 20 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes − Maxime : « je te demande si toi tu l'aimes ? » (il accentue le « toi » également) − Moi: « non, mais, toi ! » − Maxime : « ben oui, je l'aime » − Moi: « alors tu l'a chantes ? » − Maxime : « alors tu l'a chantes ? » − Moi: « Maxime, vas-y ! » Fait suite un grand silence qui dure longtemps et pendant lequel je regarde Maxime qui semble hésiter. Il plonge son regard dans le mien et j’essaye de lui envoyer des encouragements télépathiques. Finalement, il se lance : « O, lé, lé, lé ». Il nous chante cette chanson en entier, avec une bonne intonation et les paroles. Sa voix est néanmoins très monocorde. La question qui se pose est de savoir s’il peut moduler sa voix et y introduire des nuances. Au fil des séances, nous allons voir qu’il en est parfaitement capable. BEN Autisme typique de Kanner – épilepsie – échopraxie28 – ne prend jamais d’initiatives. Ben a 17 ans. Il présente une hyperactivité importante à certains moments. Il aime le contact, tend une bonne dizaine de fois la main au visiteur pour le saluer. Il recommencera ce cérémonial si la personne sort de la pièce et y revient. Celui qui sort de son champ de vision et y revient n’est pas la même personne. Il lui arrive de me faire de petites caresses sur la joue ou d’y poser carrément une grosse bise bien sonore. Ben souffre d’échopraxie. Comme Maxime, il répète ce qu’il entend. Il parle cependant nettement moins bien. Seulement il ajoute à la parole les gestes, les mimiques et les attitudes de la personne dont il est l’écho avec un mimétisme très surprenant. Ben adore la musique et la danse. Je me suis beaucoup servi du livre passionnant de Chantal Lheureux Davidse pour concevoir des exercices pour Ben29 : « Lorsque Louis, jeune homme présentant des défenses autistiques avec très peu de langage, improvise une phrase musicale en chantant, et que je rejoue au piano ce qu’il vient de chanter, il est très attentif en reconnaissant ce qu’il a inventé et chanté, mais cela se prolonge immédiatement en crise si je rejoue exactement ce qu’il a chanté. En revanche, en changeant un tout petit quelque chose à la phrase mélodique, il la reconnaît et en saisit la différence. Ce qui le 28 Terme issu du grec ékho signifiant écho, et de praxis, action LHEUREUX DAVIDE Chantal, « L’autisme Infantile ou le bruit de la rencontre » Editions l’Harmattan page 100-101 29 21 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes fait éclater de rire de contentement et le rend entièrement disponible pour inventer une nouvelle phrase mélodique. » PHILIPPE Autisme de Kanner Typique - Symptômes principaux : beaucoup de mouvements stéréotypés, repli sur soi. Philippe a 17 ans. Philippe ne parle pas. Très souvent il met ses deux pouces dans ses oreilles : pour lui, le son est une persécution. Je me demande si pour lui cela correspond à la description qu’en fait Temple Grandin30 : « J'ai l'impression, quand j'entends, d'avoir un amplificateur sonore réglé au maximum de sa puissance. Mes oreilles se comportent comme un microphone qui ramasse et amplifie le son. J'ai deux choix: 1) Je continue l'écoute et me laisse envahir par un déluge de sons, 2) Je me coupe de la source des sons. »31 Certains jours, il complète ce mouvement en plaçant ses autres doigts sur ses yeux afin de s'isoler complètement. Néanmoins, il aime certaines musiques, et quand elles lui plaisent vraiment il enlève les mains de son visage qui devient alors lumineux et radieux. Pendant certaines séances il reste complètement isolé, se frottant la tête et se mettant délibérément de dos aux autres participants de l'atelier. Sa musique préférée est celle de Georges Brassens. Je pense que l’ostinato rythmique à ¾ de l’accompagnement le rassure et lui plaît. Yann m’a raconté que, lors de la petite fête du 19 décembre, quand les parents sont venus à l'IME, Philippe, interne cette semainelà32, s'était finalement réfugié dans sa chambre au milieu de ses disques de Georges Brassens. Philippe montre beaucoup d'intérêt pour les supports écrits bien qu’apparemment il ne sache pas lire. Il se peut cependant qu’il reconnaisse des mots. Philippe ne refuse pas le contact visuel. Lors d'une de nos sessions il plonge son regard dans le mien longuement comme s’il cherchait quelque chose. Certaines fois, pendant les ateliers, Yann et moi en venons à des supplications pour qu’il dise quelque chose, ou nous fasse un signe. 30 . GRANDIN Temple : article : Mes Expériences avec les problèmes sensoriels: la pensée visuelle et les difficultés de la communication (My Experiences with Visual Thinking Sensory Problems and Communications Difficulties.) Disponible sur le WEB : http://www.autism.org/temple/visual.html 31 Traduction libre : « My hearing is like having a sound amplifier set on maximum loudness. My ears are like a microphone that picks up and amplifies sound. I have two choices: 1) turn my ears on and get deluged with sound or 2) shut my ears off. » 32 Les patients de l’IME sont en externat pendant deux semaines, puis en internat pendant une semaine. 22 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Il correspond, selon moi à « l'enfant dans une cage en verre »33 dont on parle dans l’étude dite de Camberwell en 1970 : difficulté générale à établir des relations avec l'entourage, déficit d'attention, tendance à l'isolement et repli sur soi. Depuis janvier Philippe ne vient plus à l’atelier Chant le mercredi matin, il participe à l’activité « bibliothèque » SERGE Autisme de Kanner Typique - Recherche seconde peau Serge a 16 ans. Il salue les visiteur de l’IME en tendant la main, en disant « Bonjour » ou encore « Bonne Année ». On lui explique pourtant régulièrement qu'en mars il ne faut plus trop souhaiter la bonne année, rien n'y fait. Il raconte ensuite que certaines personnes dans l’IME ont des baskets ou un sweater magnifiques. Serge demande ensuite inévitablement : « Ceinture, montre ? », question à laquelle je réponds invariablement en lui montrant ma ceinture et ma montre. Si jamais le bord de mon pantalon est retourné sur ma chaussure ou si le bracelet de ma montre ne passe pas sous les deux passants, Serge manifeste de l’inquiétude. Les premiers temps, il me montrait le défaut en pointant son index, à présent, comme il me connaît bien, il passe lui-même le bracelet de ma montre sous les deux passants en me disant : « là, c’est bien ! » Lorsque Serge voit quelqu'un, il ne peut l’appréhender que par la somme de détails qui le constitue. En revanche, il voit tous les détails sans exception. Ce symptôme est remarquablement bien décrit par Temple Grandin34 dans son livre « Thinking in pictures ». Serge parle assez bien mais très vite. Il a également un problème d’appréhension du temps. Il faut absolument lui signifier très clairement le début et la fin d'une activité. Le minuteur blanc et rouge que nous mettons bien en évidence sur une table ne le rassure pas. La question « ça finit quand ? » revient très souvent. Sa fréquence est proportionnelle à l’état de stress de l’adolescent. Quant Serge ne se sent vraiment pas bien, il s’allonge par terre afin d’avoir un contact maximum du sol avec son corps. Ce contact l’apaise. Entrer dans une pièce pleine de monde pose de gros problèmes à Serge. Généralement il fait courageusement une tentative, mais finit par se rouler par terre et rampe vers la 33 WESSELEY Simon : The Camberwell Study of Crime and Schizophrenia, Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, Ed Steinkopff, Volume 33, Number 13 / November, 1998, pages S24-S28 34 GRANDIN Temple, Thinking in Pictures and Other Reports from my Life with autism , disponible sur le net : http://www.grandin.com/inc/visual.thinking.html 23 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes sortie, très inquiet. Pendant les ateliers, Serge reste en retrait, pas loin de la porte, quelquefois, mais rarement, assis sur la chaise la plus proche de la sortie, souvent allongé par terre, en partie sous une table, pour se protéger. JIMMY Autiste profond sévère – Polyhandicap – gros problèmes de vue – gros problèmes psychomoteurs Jimmy a 13 ans. Il ne parle pas et voit très mal. Pour qu'il remarque la présence d’un visiteur, il faut que celui-ci se baisse afin d'être à sa hauteur. Il faut s’approcher, mais pas trop, au risque de lui faire peur. Jimmy peut devenir violent et frapper s’il ne connaît pas le visiteur J’ai rencontré Jimmy pour la première fois lors de la réunion du matin, en février. Un autre patient voulait s'asseoir à côté de lui, mais une éducatrice lui a demandé de s’asseoir plus loin : Jimmy pince ! Finalement, Jimmy est venu à côté de moi et a effectivement passé tout son temps à me pincer, et fort ! Chantal Lheureux, grande spécialiste de l'autisme, que nous avons eue plusieurs fois comme intervenante au CIM, nous avait expliqué que l'enfant autiste pinçait l'autre pour s’assurer qu’il était bien vivant. Les contacts visuels sont impossibles avec Jimmy qui souffre de graves problèmes de vue. Lorsqu'il est content, son visage s'éclaire, il penche un peu la tête et fait un sourire. J'ai constaté que lorsque je chantais à pleine voix, dans un registre plutôt aigu, il venait tout près de moi, tendant son oreille gauche vers ma bouche. Je me demande s'il entend vraiment bien ! Lors de la séance du 14 décembre, il a touché ma bouche lorsque je chantais comme pour voir comment je m'y prenais. Lors des séances suivantes il a encore posé ses doigts sur mes lèvres, mais là j’ai eu l’impression que c’était sa façon de chanter à lui. AURÉLIEN Autisme secondaire - Capacité de jeu – Syndrome de West Aurélien a 13 ans. Nourrisson, il souffrait du syndrome de West, aussi connu sous le nom de spasmes infantiles ou d’épilepsie du nourrisson35. Ce syndrome commence entre le troisième et le douzième mois de vie, la plupart du temps au cours du 35 Ce syndrome a été nommé d'après le docteur anglais, William James West (1793-1848), qui le premier en a fait la description dans un article publié dans le magazine "The Lancet" en 1841. 24 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes cinquième mois. Plusieurs causes sont connues à cette maladie. Elle est souvent causée par un mauvais fonctionnement du cerveau, disfonctionnement dont les origines peuvent être prénatales, périnatales36 ou postnatales. La première fois que je l’ai vu, Aurélien voulait à tout prix me donner un journal. Il me regardait avec un regard franc, mais sans parler car son vocabulaire était vraiment très restreint. Au début il disait « bonjour » d’une façon très appliquée. Il disait aussi : « Maman », « cro » (métro), « bu » (bus), « Vavava » (Wagram). Un son non transcriptible désignait le RER et le TGV : Aurélien adore les transports en commun et a souvent un ticket de métro dans les mains. Quand il pose son ticket de métro pour applaudir lors d'un de nos petits concerts, c'est vraiment que cela lui plaît. Quand nous commençons une séance, il nous dit souvent, avec un beau sourire: « Maman, Tro, Va-va-va, bu, RER ». On sait que ce sont les choses qu’il préfère, et j’ai lu une explication intéressante dans le livre de Chantal Lheureux qui explique ce type de comportement37. Aurélien n’ayant pas le vocabulaire nécessaire pour nous dire qu’il aime venir à l’atelier et qu’il est content, nomme et y associe toutes les choses qu’il aime vraiment beaucoup. Lors d’une séance de chant, Aurélien a passé son temps à ramasser des micro poussières sur le sol de la salle38.Il ne l’a pas refait après. THIBAULT Psychose symbiotique Thibault, jeune homme de 17 ans, ne parle pas. Il peut juste prononcer, avec de gros efforts mais de façon fort intelligible, le mot « Maman ». Dès que j’arrive dans l’IME il me prend par le poignet et me montre toutes les choses nouvelles. Il mime très bien et fait de petits cris pour s’aider. Thibault me regarde toujours droit dans les yeux et m’embrasse quand j'arrive. Il possède une excellente mémoire, sait que je possède un lecteur MP3 qu’il voudrait tellement que je lui prête. Lors d’une réunion matinale l’éducateur met sa photo à côté de l’activité « travaux scolaires », Thibault se lève en faisant de grands « non » de la tête, il enlève sa photo du tableau et la positionne à côté de l’activité « Chant » en mimant quelqu'un qui chante dans un micro. Lorsque nous venons faire de petits concerts et qu'il est assis à côté de moi, il me montre qu'il est heureux et exprime ce qu'il ressent pendant les morceaux de musique. Thibault souffre de psychose symbiotique. Cette psychose est incluse dans la sous36 Pendant l'accouchement. LHEUREUX DAVIDSE Chantal, « L’autisme Infantile ou le bruit de la rencontre » Editions l’Harmattan – page 160-161 38 Voir la relation de la séance 4 en page 48 37 25 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes catégorie de la CIM-10 "Autre trouble désintégratif de l'enfance" (F84.3) et dans la catégorie générale des "Troubles envahissants du développement". [ORGA-E, 224-9] (R) Je reprends ici la description de Margaret Malher39, disciple de Léo Kanner : « La psychose symbiotique débute dans la seconde année et est précédée d'une phase de développement normale à l'exception d'une hypersensibilité aux stimuli sensoriels et des troubles du sommeil. Elle se met en place aux moments clés du développement, c'est-à-dire, ceux qui impliquent l'abandon de la fusion symbiotique et l'individuation de l'enfant. » Les signes sont plus tardifs que dans l'autisme. Le retrait social est moins massif, avec possibilité d'un contact même s'il reste pathologique. Le déficit est moins important au début des troubles, et reste localisé aux fonctions de communication (langage, psychomotricité). Cet aspect de la maladie permet de mieux repérer les signes psychotiques : utilisation du langage sans but de communication, défaut d'utilisation du "je", anxiété, terreurs, tics, rituels, … Thibault ne participe toujours pas à l’atelier bien qu’il en ait tellement envie. KAMMEL Autisme de Kanner Typique – langage écholalique Kammel a 16 ans. Il est d’origine algérienne. Il adore chanter et faire de la musique. Il a une belle voix, Quand on lui demande de chanter, il le fait souvent en ornant la mélodie de façon arabisante. Le psychologue m’a dit qu’il possédait un langage écholalique. Je ne l’ai en réalité jamais entendu parler. On a parfois l’impression qu’il dit des choses en arabe. Nous avons demandé à une éducatrice maghrébine de l’écouter. Kammel ne parle pas en arabe, à quelques rares mots près. Lorsque l’on tend un instrument de musique à Kammel, les chimes, le petit clavier, il refuse de les prendre, fait quelques pas en arrière ou va se réfugier dans un coin de la pièce. Kammel est très amoureux de Deborah. Pendant les ateliers chant, il veut absolument la regarder. Kammel se donne beaucoup plus de mal que d’habitude quand il chante pour attirer son attention. 39 MAHLER Margaret, Psychose Infantile, Paris Payot 1973 26 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes SEBASTIEN Autiste modéré typique de bon niveau Sébastien a 16 ans. Il possède un acquis scolaire réel, et un bon niveau de langage. Il est arrivé à l’ IME en janvier, pour une période d’essai. Il regarde les gens avec un regard très intense. La première fois que nous nous sommes rencontrés, le 31 janvier, Sébastien est venu vers moi, souriant, m’a tendu la main en me disant : « Je suis Sébastien et vous, vous êtes? ». Ensuite il a voulu savoir qu’elle était ma fonction, si j’étais présente tous les jours et si je possédais un imperméable en caoutchouc noir. Sébastien connaît de tas de films entièrement par cœur et peut interpréter les rôles qu’ils soient masculins ou féminins. Il se peut que Sébastien élabore un « faux-self », comme le développe Donald Wood Winnicott40, afin de protéger ce qu’il y a de plus précieux à l’intérieur. « Le self authentique est caché et d’un point de vue clinique nous nous trouvons en face d’un « faux-self » complexe dont la fonction est de maintenir caché le vrai. » Le fait de jouer une scène d’un film est aussi ce qu’on appelle l’écholalie différée. Les très nombreuses questions que pose Sébastien sont là pour qu’il puisse anticiper l’avenir car il déteste l’imprévu. Il se comporte parfois comme un robot, et souffre de dysharmonie. On m’a dit qu’il pouvait être violent, mais je ne l’ai jamais constaté. Au moment où je rédige ce passage je ne connais pas encore bien Sébastien, car nous n’avons travaillé qu’une seule fois ensemble. THIERRY Autiste typique Kanner – graves troubles sensoriels – problèmes de surdité. Symptômes particuliers : marche sur la pointe des pieds. Voilà un jeune devenu autiste suite à un cytomégalovirus que sa mère a coontracté pendant la grossesse. Ces infections, généralement bénignes pour la mère, peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’enfant. Thierry est totalement sourd de l’oreille droite. La plupart du temps, il couvre l’oreille gauche avec sa main et émet un grognement constant, comme un moteur de bateau. 40 WINNICOTT Donald Wood : De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris Payot, 1969, p. 160 et 161 27 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Cela lui permet de s’isoler complètement du monde qui l’entoure. De temps en temps Thierry marche sur la pointe de pieds. Un jour où le groupe avait chanté dans la salle de psychomotricité, Thierry s’est retrouvé à ma droite. Je portais un pashmina très soyeux autour du cou. Thierry a enlevé sa main gauche de son oreille et a joué avec mon écharpe comme s’il s’agissait d’un doudou. Je chantais une chanson de Noël qu’il a fredonne avec moi. Il ne participe pas malheureusement pas aux ateliers chant. GABRIEL Psychose infantile Gabriël a 15 ans. Gabriël n’est pas autiste mais souffre d’une psychose infantile. La plupart du temps, il se sent persécuté et parle de façon très agressive. Gabriël possède un assez bon vocabulaire. A la grande différence des jeunes autistes il est tout à fait conscient de sa situation. Le jour de la saint Valentin, Gabriël était très triste. Il m’a confié qu’il n’avait pas de copine et que ce serait difficile pour lui d’en avoir une. Gabriël adore le rap. Il a une bonne mémoire et mémorise des textes très crus dont il ne comprend pas du tout le sens. Malheureusement il lui arrive de les chanter, ou plutôt, hurler dans le métro. Cela lui cause souvent des problèmes. C’est difficile de travailler avec Gabriël, adolescent qui a un âge mental d’à peine 5 ans. 28 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes CHAPITRE III : LA MUSICOTHERAPIE 29 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes III - LA MUSICOTHERAPIE III. -1/ Historique « Dès lors, Glaucon, repris-je, n’est-ce pas pour les motifs suivants qu’élever les enfants dans la musique – et dans la poésie – constitue une valeur suprême ? Parce que le rythme et l’harmonie, plus que tout, pénètrent au fond de l’âme, la touchent avec avec une force d’une très grande puissance en lui apportant la grâce, et l’imprègnent dès lors que cette grâce, si on a été correctement élevé ? »41 Lorsque je parle à mon entourage de musicothérapie, on me répond souvent que c’est un truc « new age » dans l’air du temps. A-t-on déjà oublié que la musique a toujours eu une part importante dans toute culture et civilisation à travers l'histoire ? Dans les mythes déjà, nous retrouvons Orphée, l’inconsolable, qui décide d'aller chercher sa femme aux enfers et chante en s'accompagnant de sa lyre. Par le jeu de sa lyre il charmera les démons. « Alors, émues par ses chants, du fond des séjours de l'Érèbe, on put voir s'avancer les ombres minces et les fantômes des êtres qui ne voient plus la lumière, aussi nombreux que les milliers d'oiseaux qui se cachent dans les feuilles, quand le soir ou une pluie d'orage les chasse des montagnes »42. Amphion et son frère jumeau sont abandonnés enfants sur le mont Cithéron et recueillis par des bergers. Amphion devient alors un grand poète et musicien, comme Orphée. La spécialité d’Amphion est de déplacer des pierres à l’aide de son chant. Pour venger sa mère maltraitée par Dircé, il tue celle-ci puis bâtit les remparts de Thèbes uniquement à l'aide de sa flûte et de sa lyre. Hermès, lui, naît un beau matin dans une caverne du mont Cyllène en Arcadie et avant midi, invente : l’art de faire le feu, des raquettes pour effacer ses traces, une lyre fabriquée à partir d’une carapace de tortue et la syrinx (je ne suis pas sûre de l’ordre de ses inventions). Le soir il décide de voler les troupeaux de son demi-frère Apollon. Apollon découvre son voleur, mais Hermès le charme en jouant de la lyre. Apollon veut alors absolument acquérir cet instrument et lui propose en échange son troupeau, une baguette d'or, le don de prophétie mineure et, dans un élan de générosité il le fait également maître de l'oracle des Thries. Selon les Egyptiens, le monde naît du cri Thot. Dans l’ancien testament, le son des trompettes détruit Jéricho. David lui, soulageait les crises d’angoisse du roi Saul en jouant sur les cordes de sa harpe. C’est quand même le premier musicothérapeute officiellement embauché par un roi ! Chez les Grecs, Isménius, médecin de Thèbes, soignait la sciatique. Théophrate calmait les déments pendant que Xénocrate traitait les enragés. Platon conseillait la 41 42 PLATON, La république, traduction Georges Leroux, Edition Flammarion, Paris 2004. VIRGILE, Les Géorgiques, IV, 471-473 30 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes musique et la danse contre les frayeurs et les angoisses phobiques. C’est dans le livre de Platon « La république ou de la justice, livre troisième »43 que l’on trouve un des textes anciens sur les effets de la musique. Pythagore, philosophe-fondant-le-cosmos-sur-les-Nombres-Entiers44, relie l’âme au cosmos par la médiation des harmonies dans sa célèbre « Musique des Sphères ». En Inde, la musique est d’emblée considérée comme fondamentalement thérapeutique. Le raga est une musique qui correspond à un état psychique donné. La musique indienne est modale et chaque mode correspond à un état précis. Il est curieux et intéressant de voir que déjà dans l’œuvre de Platon, et plus particulièrement lorsque Socrate s’adresse à Glaucon, il parle des différents modes et de leur influence sur le citoyen.45 En Chine, c’est depuis plus de cinq mille ans que des rapports analogiques reliant les éléments, les sons, les viscères et les entités psychiques ont été établis. Cette science millénaire peut indifféremment utiliser les instruments de musique ou la voix. Les sons « taoïstes » purifient et harmonisent l’organisme. Dès l’Antiquité, la musique était utilisée à des fins cathartiques46 par les Corybantes et dans les Bacchanales. Au Moyen-Âge, en Italie du Sud, on dansait déjà la « Tarentelle». Effectivement, on attribuait l’origine de certaines pathologies mentales qui se manifestaient par une très grande agitation mentale ou une prosternation à une grosse araignée velue (qui ne mord même pas !), nommée tarentule. Pour guérir le patient il fallait trouver d’urgence un musicien. On invitait le patient à s’exprimer et à danser sur la musique très rapide que le musicien jouait de façon continue jusqu’à la cessation du symptôme. En 1641 Athanasius Kircher, Jésuite allemand qui justement est allé dans le Sud de l’Italie étudier l’histoire des tarentelles, publie une étude scientifique sur la maladie et ses remèdes dans son « Magnes, sive de arte magnetica », ouvrage ésotérique traitant du “magnétisme” de l’amour, de la terre, du cosmos et de la musique. Un chapitre entier parle non seulement de musicothérapie mais aussi de la thérapie par les couleurs pour traiter la maladie. De nos jours on retrouve des musiques à fins cathartiques dans des boîtes e nuit ou des festivals de rock. Lors de notre formation au CIM, Sylvie BRAUN nous expliquait qu’un montage sonore pour une séance de musicothérapie réceptive doit toujours commencer par une musique de « décharge ». En France, la musicothérapie est très présente dans les asiles psychiatriques parisiens dès le début du XIX siècle. En effet, on pense que l’ordre et la mesure symbolisée par 43 PLATON, La république ou de la justice, livre troisième, « III. La culture par la musique ». Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, La pléiade, 1950. 44 BERTRAND Dominique, Penser la musique : la part du diable http://www.cairn.info/resume.php?ID_REVUE=INSI&ID_NUMPUBLIE=INSI_001&ID_ARTICLE=INSI_001 _84 45 PLATON, op. cit. p 950-957 46 La catharsis correspond a une décharge des tensions physiques, émotionnelles, qui soulage et apaise momentanément. 31 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes la musique pourra améliorer le comportement du « fou »47. C’est Jean-Étienne Esquirol, psychiatre français, qui développe officiellement la musicothérapie à l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris. Il est un des premiers à préconiser la musique comme « soin ». On organise des chorales et des orchestres pour les malades dans les hôpitaux et Esquirol emmène ses malades au concert. En 1840, Jacques Moreau de Tours, qui travaillait à l’hôpital de Charenton avec Jean-Etienne Esquirol proposait un ouvrage sur “Musique & Psychiatrie”. La musicothérapie connaît vraiment un grand succès avant de tomber dans l’oubli à la fin du XIXème siècle. On croyait sans doute que les médicaments allaient mieux effacer les symptômes habituellement soignés dans les hôpitaux (grande agitation, prosternation, apathie). Il va falloir attendre 1954 pour que la musicothérapie revienne sur le devant de la scène avec. Jacques JOST, qui propose au Centre d'Études Radiophoniques de la Radiodiffusion Française l'étude du pouvoir affectif de la musique à l'aide d'encéphalogrammes. Pour la première fois, les effets psychophysiologiques de la musique sur le rythme cardiaque, l'amplitude respiratoire et les effets émotionnels sont mis en évidence. III. -2/ La Musicothérapie aujourd’hui Une grande dame de la musicothérapie française, Edith Lecourt48, nous donne de la musicothérapie actuelle la définition suivante : « La musicothérapie est une forme de psychothérapie ou de rééducation, d’aide psychomusicale, selon les cadres considérés, qui utilise le son et la musique – sous toutes leurs formes – comme moyen d’expression, de communication, de structuration et d’analyse de la relation. Elle est pratiquée en groupe comme individuellement, avec des enfants comme avec des adultes. » C’est au Brésil que travaille un autre pionnier de la musicothérapie, Rolando Benenzon. Ce compositeur et psychiatre s'intéresse à la musicothérapie depuis 1962. Il dit: «La psyché commence à s’organiser autour des expériences intra-utérines d’impressions auditives à point de départ externe (sons proprement dits) & 47 C’est seulement à partir de la naissance de la psychiatrie (1801) que le « Fou » change de statut et devient « Malade ». 48 LECOURT Edith, Découvrir la musicothérapie – Groupe Eyrolles, 2005 – page 8 32 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes interne (secousses vibratoires) »49 Benenzon part donc de l’hypothèse de l’existence d’un moi auditif prénatal et néonatal. Il y a de nos jours deux types de musicothérapie : • La musicothérapie active, basée sur la production sonore de la voix, des percussions ou autre instrument. • La musicothérapie réceptive, basée sur l’écoute d'extraits musicaux ou de sons. En ce qui concerne les ateliers chant avec les jeunes autistes de l’IME, je n’utilise que la musicothérapie active. III. -3/ La Musicothérapie et l’autisme « Je pouvais devenir mentalement sourde et aveugle à tout sauf à la musique qui réussissait toujours à mettre mes sens en éveil. »50 Si vous lisez l'article « Autistic Disturbances of Affective contact "51 dans lequel Léo Kanner décrit les cas et la personnalité des 11 autistes, vous serez surpris de constater qu’ils sont tous particulièrement réceptif à la musique Juliette Alvin, une des premières musicothérapeutes spécialisées dans le travail avec les autisme, commence l'introduction de son livre par : « Tous les ouvrages publiés récemment sur l'autisme font état d'une caractéristique commune à tous les enfants autistes à savoir leur manière de réagir à la musique. »52 Une étude très intéressante menée par l’équipe du Professeur P Heaton53 va dans le même sens que la citation de Donna Williams par laquelle je commence ce chapitre. L’équipe du Professeur P. Heaton a soumis des enfants autistes au test suivant : ils devaient écouter différents extraits de musique et leur attribuer un pictogramme avec 49 BENENZON Rolando, Manuel de Musicothérapie, Ed. Privat 1981 WILLIAMS Dona, Si on me touche je n’existe plus, page 123 51 KANNER Léo, Autistic Disturbances of Affective Contact, Nervous Child, 1943, vol.2, p.217-250 52 Traduction personnelle : « All recently published books on autism mention one common feature present in autistic children, namely their response to music » - ALVIN Juliette and WARWICK Auriel, Music therapy for the autistic child, Oxford University press 1991 - introduction 52 Le professeur P.HEATON travaille au Social Genetic and Developmental Psychiatry Research Centre, Institute of Psychiatry, à Londres 53 Le professeur P.HEATON travaille au Social Genetic and Developmental Psychiatry Research Centre, Institute of Psychiatry, à Londres. 50 33 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes un visage heureux ou un visage triste. Or, il s’est avéré que ce groupe d’enfants autistes a eu le même taux de réussite que des enfants normaux du même âge. Le professeur et son équipe en déduisent que les autistes arrivent à ressentir les émotions contenues dans la musique, alors qu’ils n’arrivent pas à ressentir les émotions des humains.54 Les premiers à élaborer un travail de musicothérapie avec des autistes furent Paul Nordoff, diplômé du Philadelphia Conservatory of Music, et le Dr Clive Robbins dans les années cinquante. Leurs travaux donnent naissance à l'approche NordoffRobbins55, qui est basée sur la croyance qu'une musicalité cachée réside dans chaque être humain. Cette musicalité peut être activée au service d'une croissance et d'un développement personnel. On utilise surtout l’improvisation musicale, dans laquelle la créativité innée individuelle est utilisée pour surmonter des difficultés émotionnelles, cognitives et physiques. Nordoff et Robbins utilisaient surtout le piano et l’improvisation vocale. Pour Despina Papayiannis, musicothérapeute canadienne, la musicothérapie est particulièrement recommandée pour les enfants autistes car la musique fait travailler les deux hémisphères du cerveau, ce qui amène l'enfant autiste à créer des liens. On travaille la motricité par la manipulation d'instruments et le mouvement. Le langage quant à lui est favorisé par l'apprentissage de chansons simples. De plus l'enfant qui n'est pas capable d'exprimer ses émotions verbalement pourra le faire sur les instruments de musique.56 III. -4/ La Musicothérapie et l’adolescent. Pour Winnicott,57 l’adolescence est : «Une découverte personnelle, chaque sujet est pris dans une expérience, celle de vivre dans problème, celui d’exister ». Des conflits internes vont surgir et bouleverser la quiétude de l’enfance. De plus, les transformations physiques lui font perdre ses repères. Pour l’enfant autiste les problèmes physiques et affectifs restent les mêmes. Tous ces changements sont souvent pour eux générateurs d’angoisse. Au cours de l’adolescence on rencontre souvent une aggravation des problèmes et des troubles du comportement. Les troubles du contact vont considérablement gêner une intégration à u groupe de travail ou à un atelier. L’autiste de haut niveau peut lui ressentir une envie d’indépendance. L’intolérance de l’autorité des adultes est bel et bien là et en tant que thérapeutes il va donc falloir les rassurer et les soutenir. Jukka TERVO, musicothérapeute finlandais, qui travaille depuis plus de trente ans avec des adolescents autistes, nous décrit les difficultés inhérentes au travail avec 54 source: Psychological Medicine, 1999, 29, 1405-1410 Source : Société Québécoise de l’Autisme - Début de la musicothérapie dans le traitement de l'autisme : l'approche Nordoff-Robbins - http://www.autisme.qc.ca/comprendre/doc 56 http://www.wmaker.net/musicotherapie/index.php?action=article&numero=174 57 WINNICOTT Donald, De la pédiatrie à la psychanalyse, PAYOT, Paris 1962 page 398 55 34 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes cette population dans son article « Music Therapy with Adolescents »58. Il explique qu’il faut bien séparer le travail en trois parties : • Susciter l’intérêt des adolescents. Ce stade est très important, car afin de progresser, l’adolescent autiste doit avoir une notion de « plaisir » pendant les séances. • Une période d’apprentissage. Au cours de ce stade le thérapeute va apprendre de nouvelles techniques musicales aux adolescents. Si le jeune autiste prend conscience de ses progrès, il va faire confiance en son thérapeute et l’on pourra passer au stade suivant. • L’improvisation. L’improvisation est à la musicothérapie ce que l'association libre est à la psychanalyse. C’est pendant les séances d’improvisation que l’on pourra obtenir les meilleurs résultats de la thérapie. III. -5/ La Musicothérapie et la voix. « Chanter, par contre, m’était facile. J'avais l'oreille absolue et pouvait, sans efforts, vous fredonner un air ou une chanson si je l'avais entendu une ou deux fois. »59 Comme nous l’avons déjà mentionné dans le chapitre « Etiologie »60 certains pensent, que chez les autistes, le trouble cognitif induit le trouble relationnel, alors que d’autres pensent que les troubles relationnels induisent les troubles cognitifs. On ne sait pas trop si l’enfant ne veut pas ou ne peut pas connaître, communiquer avec le monde extérieur? Néanmoins il a bel et bien un problème de langage. Pour le psychologue John Sloboda61 (1989) il y a sept liens saisissants entre le langage et la musique : • Musique et langage sont à la fois« le propre de l’homme et universels ». Aussi, 58 TERVO Jukka (2005). Music Therapy with Adolescents. Voices: A World Forum for Music Therapy. May 26, 107, from http://www.voices.no/mainissues/mi40005000169.html 59 Traduction personnelle « Singing, however was easy. I have perfect pitch and I can effortlessly hum back the tune of a song I have heard only once or twice ». GRANDIN Temple, http://www.autism.org/temple/inside.html 60 Cfr supra, page 13 61 SLOBODA John, (1989) The Musical Mind: The Cognitive Psychology of Music. New York: Oxford University Press – page 18. Traduction de Philippe Persiaux : 1."universal to all humans and specific to humans" meaning that we have a unique propensity to use both music and language. 2.The ability to create "an unlimited number of novel sequences" using words/musical contours is indicative of characteristics that are part of both language and music. 3. "Spontaneous speech and spontaneous singing develop within infants at approximately the same time." Sloboda makes a case for an analogous progression of acquiring "rules" of language and music. 4."The natural medium for both language and music is auditory-vocal." 5. Music and language can both be written down and notated, meaning that "the use of visual symbols" is integral to both systems. 6."Receptive skills precede productive skills in the development of both language and music." 7.In both language and music, there are distinct variances in cultural forms and the context in which such forms are presented which affects understanding of acquisition. 35 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes nous avons une capacité unique à nous servir de la musique et du langage. • Notre capacité à créer un « nombre illimité de nouvelles séquences qui utilisent des mots et des contours musicaux » témoigne de caractéristiques qui relèvent à la fois du langage et de la musique. • « La prise de parole et le chant spontanés se développent chez l’enfant approximativement au même moment ». Sloboda démontre que l’acquisition des « règles » du langage et de la musique obéit à une progression analogue dans les deux cas. • « Le medium naturel de la langue et de la musique est à la fois vocal et auditif » • Langage et musique peuvent être retranscrits et codifiés; « l’usage de symboles visuels » fait donc partie intégrante des deux systèmes. • Les compétences de réception précèdent celles de production dans le développement du langage et de la musique. • Les formes culturelles et le contexte dans lesquels de telles formes sont présentées existent à la fois dans la langue et la musique. Ces formes et ce contexte varient de manière distincte ce qui affecte la compréhension de l’acquisition. La musicothérapie peut favoriser le développement du langage. Myra J. Staum62 nous présente, dans son article "Music thérapy and language for the autistic child"63, le cas d'un enfant autiste apprenant progressivement des phrases simples à l'aide du chant. Dans un exemple d'exercice typique, une poupée est manipulée par l'intervenant pendant que la chanson dit : Ceci est une poupée (l'enfant, qui présentait de l'écholalie, répétait en chantant : "ceci est une poupée") La poupée saute ("La poupée saute"). Petit à petit on introduit de nouvelles actions (marcher, s'asseoir, dormir, etc.) et l'intervenant diminue, au fur et à mesure, sa propre participation. Dans le cas décrit par Myra Staump, la musique à pu être complètement éliminée et l'enfant s'est montrée capable de construire des phrases en réponse aux questions "qu'est-ce que c'est ?" et "que fait la poupée ?"; cet apprentissage a sans doute été facilité par la présence de musique et la vue d'un objet associé. Notons par ailleurs que, même si les mots de certaines chansons ne paraissent pas toujours importants comme tels pour une utilisation quotidienne, le simple fait de les agencer représente un pas important dans l'apprentissage de certains enfants. Selon Myra J. Staum (1997), à la suite d'une intervention, si un patient oublie les mots ou les phrases acquises, il sera possible de les lui rappeler en lui faisant réentendre la chanson. III. -6/ Le Musicothérapeute Le musicothérapeute qui agit dans le domaine du non verbal, cherche à atteindre la 62 63 Myra STAUM est Directrice et Professeur de musicothérapie à l’université de Willamette, Salem, Oregon STAUM Myria, Music Therapy and language, for the autistic child, http://www.autism.org/music.html 36 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes sphère émotionnelle du destinataire, à ouvrir des canaux de communications, à provoquer, à l’aide de stimuli sonores, un état émotionnel agréable, réconfortant, voire perturbant, propice à l’ouverture sur soi et sur les autres, pouvant permettre de lutter contre certaines douleurs, certains mal-être. Pour Rolando BENENZON, le musicothérapeute ne doit pas avoir une autre fonction au sein du groupe. Par exemple, il est impossible que le musicotérapeute soit aussi un éducateur. Il dit également que le musicothérapeute doit lui-même effectuer une psychothérapie ou une psychanalyse. Toujours selon Benenzon64, les quatre postures fondamentales du musicothérapeutes sont : • Attendre • Etre attentif • Ecouter • Percevoir III. -7/ Récapitulatif des effets bénéfiques de la musicothérapie sur l’autisme. • Très nette diminution de l’écholalie. (Trevarthen, Aitken, Papouli, Robarts (1996)65 Amélioration du langage parlé en passant par des phrases chantées. (C. Hoskins)66 • Diminution des mouvements stéréotypés en notant le tempo de ces mouvements et en utilisant des musiques ayant un tempo légèrement plus rapide (Alvin & Warwick 1991)67 • Amélioration du comportement compulsif en utilisant des rythmes syncopés. (Schultz 198768 et Lecourt69). • L’utilisation de silences et de pauses dans une morceau ou un chant va inciter à l’initiative (Schumacher70 1994 et Weber 199671, 199972) 64 BENEZON Rolando, La musicothérapie, La part oubliée de la personnalité, Ed. De Boeck & Larcier 2004 – page 162 65 TREVARTHEN C, AITKEN K, PAPOULI D, ROBARTS J (1996) Children with Autism, London, Jessica Kingsley Publishers. 66 HOSKINS, C. (1988): Use of music to increase verbal response and improve expressive language abilities of preschool language delayed children. Journal of Music Therapy. 25(2), 73-84. 67 ALVIN Juliette & WARWICK Auriel, Music therapy for the autistic child, Oxford University press 1991 68 SCHULZ, M (1987), Stereotic Mouvements and Musictherapy , Journal of Music Therapy, II-16 69 LECOURT, E (1991), Off-Beat Musictherapy : a Psychoanalytic approach to musictherapy. In : K.E. Bruscia (ed.) Case studies in Musictherapy. Phoenixville : Barcelona Publishers. 70 SCHUMACHER, K (1999), Musiktherapie mit autistichen Kindern. Stuttgart : Gustav Fischer Verlag. 71 WEBER, C, (1996) Autismusforschung in der Musik- und Tanztherapie, Musik-, Tanz- und Kunsttherapie, 7, 37 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes • Amélioration d’un comportement social inadapté (parler trop fort, agressivité, ne pas suivre les consignes) en passant par des chansons, où des textes simples décrivent les situations inadaptés (Mike D. Brownell) 73 • Pasiali74 (2002) démontre comme Brownell que les indications de comportement dans la musique améliorent un comportement gênant • Les nombreuses études de cas cliniques de Berger75 (2002) nous montrent que la musicothérapie active stimule l’imitation, les initiatives, la spontanéité et la créativité. • Whipple76 (2004) a réuni toutes les études cliniques (elles incluent les études menées par Bownell et Pasiala). Il a comparé les résultats des patients ayant eu des séances de musicothérapie avec d’autres patients (n’ayant pas de musicothérapie). Il en a déduit que la musicothérapie amène des progrès très significatifs en ce qui concerne les comportements sociaux, les habilités communicationnelles et les performances académiques. 1-10 72 WEBER, C, (1999) Tanz- und Musiktherapi zur Behandlung autistischer Störungen. Göttingen : Hogrefe Verlag für Angewandte Psychologie. 73 BROWNELL, M. D. (2002). Musically adapted social stories to modify behaviors in students with autism: Four case studies. Journal of Music Therapy, 39, 117-144. 74 PASIALI V, (2002 The use of prescriptive therapeutic songs to promote social skills acquisition by children with autism : Three case studies. Research poster session presented at the annual conference of the Amercican Music Therapy Association, Atlanta GA. 75 BERGER, D.S., (2002), Musictherapy, sensory integretion and the autistic child. London : Jessica Kingsley. 76 WHIPPLE J (2004) Music Intervention for children and adolescents with Autism : a meta-analysis. Journal of Music Therapy, Vol XLI (2) – pages 90-106 38 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes CHAPITRE IV : APPROCHE CLINIQUE 39 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes IV – APPROCHE CLINIQUE IV. -1/ Introduction J’ai rencontré pour la première fois Dominique Dufour, la directrice de l’IME (Institut Médico Educatif) de l’Hôpital Cognacq-Jay, le mercredi 8 novembre 2006. Elle m’a reçue en compagnie de Yann Bouffort, éducateur qui s’occupe des ateliers « chant » et « musique ». Auparavant Dominique Dufour travaillait à l’Hôpital Santos Dumont. Elle était également vice-présidente de l’Association « Turbulences » dont fait partie la chorale des « Turbulents ». Dominique Dufour a donc une grande expérience des répétitions et des concerts. Dès ce premier contact, elle me met en garde quant au niveau musical des patients ; dans cette structure, peu d’autistes ont l’usage de la parole, certains sont à la limite du poly-handicap. Chanter est pour eux une gageure. Les ateliers « chant », animés par Yann Bouffort se tiennent le lundi et mercredi matin. Les jeunes patients aiment beaucoup y participer. Voici le déroulement de mon travail au sein de cette structure, ainsi que la vie des jeunes autistes au sein de l’IME. IV. -2/ Déroulement des séances Séance n°1. : mercredi 22 novembre 2006. Cette séance est celle de la prise de contact avec les jeunes patients de l’IME. Elle revêt par conséquent une grande importance. J’arrive à l’IME vers 9 h15. Les jeunes autistes et quelques éducateurs sont encore à la réception où ils rangent leurs sacs dans des casiers. Nous prenons l'ascenseur jusqu'au troisième. Je tiens encore mon lecteur MP3 à la main en sortant de l'ascenseur et voilà qu'un grand jeune homme me le prend, tout content, en marmonnant des choses totalement incompréhensibles. Yann Bouffort le rattrape et me ramène mon lecteur MP3, en me disant que Thibault – c'est ainsi que s'appelle ce grand jeune homme –, voudrait en avoir un. Entre-temps, un autre patient veut absolument me donner un journal et une jeune fille s'accroche à mon bras, ou plutôt à la manche de mon blouson. Yann me fait mettre mes affaires dans le vestiaire et nous allons prendre le café du matin, rituellement une tasse de café pour les soignants, une tisane pour les autistes. La salle à manger est une grande pièce claire et spacieuse. Elle est complètement vitrée sur deux côtés. De grandes portes-fenêtres couvrent toute une longueur ; elles donnent sur un magnifique solarium. Devant les portes-fenêtres il y a quelques marches en gradins. Il y a également de très grandes fenêtres sur toute une largeur de cette pièce. C’est ici que je fais la connaissance d’autres membres de l’IME qui comptait, en novembre, 11 garçons et 3 filles. La séance est ritualisée. Après le café se tient la « réunion du jour ». Les chaises sont placées sur plusieurs rangs face à un grand tableau blanc. Tout le monde prend place, patients comme personnel soignant. Un éducateur fixe sur le tableau diverses 40 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes informations à l'aide de petits panneaux adhésifs. Il note le jour, la date, le temps qu’il fait. D’autres panonceaux disponibles représentent les différentes activités du jour. Ce mercredi, les activités sont les suivantes : • Travail scolaire • Bibliothèque • Jeux de sociétés • Chant. Le présentateur énumère d’abord les différentes activités, donne le nom de l'éducateur qui va diriger l'atelier et colle sa photographie sur la bande velcro placée à côté du symbole de l’atelier. Il annonce alors les noms des participants pour chaque activité et met la photographie de chacun à la bonne place. Le menu du déjeuner est évoqué, et on demande si quelqu'un a envie de raconter quelque chose. Aujourd’hui la directrice demande à Gabriel, qui est allé visiter une exposition, de raconter sa sortie. Gabriel n’est pas autiste mais psychotique. Il n’a pas de problème d’élocution et dit : « C’était bien, il y avait des filles… ». Ensuite l’éducateur annonce un premier atelier, donne les photographies aux jeunes qui sont concernés pour qu’ils se dirigent, guidés par leur éducateur, vers le lieu de où se déroulera l’activité. Pour ce premier contact, l’éducateur m’a présentée aux jeunes en disant simplement que j’étais une invitée. Je me lève donc en même temps que les jeunes concernés par l’atelier chant, et ensemble nous nous dirigeons vers la salle « musique ». L’atelier chant est organisé tous les mercredis, en deux séances. La première se déroule de 10 heures à 10h45, la seconde de 10 heures 45 à 11 heures 30. Les ateliers se passent toujours dans la salle dite « musique ». Sur la porte de la salle (comme sur toutes les portes où se déroulent des ateliers), il y a une bande velcro qui permet aux jeunes patients d’y fixer leur photographie. En entrant dans la pièce, les jeunes s’installent sur une chaise. Un minuteur blanc et rouge, bien en évidence, indique la durée de l’atelier et le temps qui s’écoule. Il y a d’abord un petit rituel de bienvenue, puis des exercices d’échauffements vocaux. On chante ensuite quelques chansons, avant qu’un nouveau rituel de départ ne clôture la séance. Tous les ateliers adoptent ce cadre rigoureux. Participants atelier 1 : Educateurs : Yann Bouffort (qui dirige l’atelier), un éducateur (qui assiste à l’atelier sans intervenir.) Patients : Kammel, Philippe, Aurélien – Invitée : Martina Participants atelier 2 : Educateurs : idem Patients : Déborah, Serge, Toshie – Invitée : Martina 41 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Déroulement de l’atelier : Rituel de Bienvenue : - - - - - On sort un petit carillon tubulaire que Yann et les jeunes appellent par son nom « chimes ». Les chimes seront passés à chaque participant. La personne qui a les chimes dit « Bonjour ». Aurélien dit « Bonjour » avec beaucoup d’application avant son tour. C'est un des rares mots qu'il arrive à dire et il en a l’air tout heureux. Serge ne va pas s’asseoir sur une chaise pour le début d’une séance. Il reste près de la porte, comme pour sortir en vitesse s’il est en danger. Il refuse les chimes, mais dit « bonjour » en mettant une main, les doigts écartés, devant son visage. Toshie ne va pas s’asseoir mais va courir dans toute la pièce pendant toute la durée de l’atelier, elle ne dit rien, joue avec le chimes qu’elle ne voudra jamais passer à quelqu’un d’autre. Philippe, qui ne parle pas du tout, se balance sur sa chaise, mais enlève brièvement les pouces de ses oreilles pour faire un petit signe qui remplace « bonjour » Kammel n’est pas sur une chaise, mais assis sur l’appui de fenêtre. On dirait qu’il a peur de Toshie qui n’a pourtant vraiment pas l’air de le voir. Deborah, qui se balance également intensément, articule un tout petit « bonjour » à peine audible. Exercices d'échauffement : Yann dit qu’avant de chanter il faut préparer son corps et propose les exercices suivants : bâiller, détendre les épaules, faire des mouvements avec la tête, souffler, jouer avec la voix en faisant la « sirène » Chants : Yann propose de chanter des chants que les jeunes aiment bien. « Aicha » de Khaled pour Kammel, « L’Auvergnat » de Brassens qui plaît à Philippe et à Serge, « Une chanson douce » d’Henri Salvador pour Deborah. Il sort sa guitare et propose d’inventer une chanson sur les transports en commun pour Aurélien. Rituel « Au Revoir » : Yann reprend les chimes et dit : « merci d’avoir participé à cet atelier et au revoir ». Il passe ensuite les chimes à un autre participant qui prononce la même phrase, suivant un procédé identique au rituel d’accueil. Au cours de cette séance j’ai participé à tous les exercices, j’ai chanté avec les patients, le but étant surtout de voir comment ils réagiraient à ma présence. Après ces 42 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes deux premiers ateliers, un bilan est fait en présence de la directrice de l’IME. Yann Bouffort fait un petit compte rendu et dit que les autistes et lui m'acceptent. L’étape suivante doit montrer aux patients ce que je peux apporter de plus aux séances. Je commencerai dès le mercredi suivant. Vécu : Je suis surprise d’être bien acceptée par presque tous. J’ai également fait l’expérience de ne pas exister pour l’autre, par le comportement de Toshie. Les balancements constants de Kammel, de Philippe et de Deborah m’ont perturbée. Ma participation à ces premiers ateliers a soulevé bon nombre de questions qui ont trait à la place de la musicothérapie dans l’établissement, à ce que cette technique peut apporter. Je décide, pour la prochaine séance, de proposer un chant qui pourrait plaire à tous les patients. En effet, j'ai remarqué une baisse de l’attention du groupe lorsque Yann fait chanter « Aicha » pour Kammel. Ce chant devra avoir des paroles vraiment faciles afin qu’Aurélien (qui ne parle pas) ou Toshie (qui parle Japonais et un peu d'Espagnol) puissent y participer. Je voudrais également trouver un chant qui pourrait introduire une première approche de la polyphonie ou un dialogue entre un soliste et un chœur. SEANCE N°2. 30 novembre 2006 Il s'agit donc de ma toute première séance de travail et, en commun accord avec Yann, nous avons décidé de ne pas changer le déroulement des ateliers précédents afin de ne pas trop perturber les autistes. J’ai amené la partition d’une chanson qui pourrait plaire à tous les patients, un disque ainsi qu’une petite berceuse en Japonais. Participants atelier 1 : Maxime, Aurélien, Deborah, Kammel - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Le minuteur est déclenché, le Rituel de Bienvenue peut commencer. − − Aurélien dit « Bonjour » avant tout le monde. Kammel refuse de prendre les chimes, Yann insiste pour qu’il les prenne, il ne dit pas « Bonjour » Echauffement vocal : Je demande si quelqu'un veut proposer un exercice : Deborah se balance depuis son arrivée et fait des gestes répétitifs avec une main qui va, inlassablement de son nez où elle enlève une petite crotte imaginaire, à son genou, où elle l’écrase, et bâille. Je décide de prendre ce bâillement pour une proposition et dis : « Effectivement, on peut bâiller, va pour le bâillement ». Tout le monde bâille sauf Aurélien qui préfère imiter une sirène avec la voix. Je propose alors d’imiter une 43 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes sirène. Maxime nous donne un départ de sirène. Je sollicite d’autres idées. Aurélien souffle. Le groupe l’imite. Chants : C’est Yann qui prend le groupe en main pour les premiers chants : « Aicha » pour Kammel. Celui-ci se frotte le visage et chante quelque chose qui ressemble à de l’arabe. Yann me dit que tout ce que chante Kammel ressemble à de l'arabe dont il connaît quelques mots. La plupart du temps, selon une éducatrice qui parle couramment l’arabe, il ne s'agit que d'un charabia sans aucun sens. Yann demande alors à Maxime s’il veut que l’on chante une chanson en particulier. Maxime, qui souffre d’écholalie immédiate, répète toutes les phrases dites par Yann. Yann insiste : « Tu veux une chanson de Gold…... comment il s’appelle encore ? » Maxime : « – Bah, de Goldmann ». Le groupe décide de chanter « Encore un Matin ». Après ces deux premiers chants que tous connaissaient, je propose d'écouter une nouvelle chanson. Nous écoutons « Piroguiers du Congo »77 extrait d’un disque intitulé « Swingmomes »78. Lors de l’audition, j'observe la réaction des membres du groupe. Maxime fait une sorte de sourire, se balance, rythme la chanson. Kammel balance la tête ainsi que Deborah qui a arrêté son mouvement compulsif pendant pour écouter. Cette chanson plaît à tous et on décide de l'apprendre la semaine suivante. Rituel de départ : Nous terminons cette séance par un « au revoir » en utilisant, à nouveau, les chimes. Atelier 2 : Pour commencer, nous nous trouvons seuls avec Toshie qui est particulièrement excitée aujourd'hui, aux dires de Yann qui part à la recherche d’autres participants. Je décide de suivre Toshie dans ses déplacements. Elle essaye d’ouvrir une fenêtre, je me place à côté d’elle et lui chante une berceuse Japonaise « Sakura »79. Toshie écoute, et devient, tout à coup très pensive, presque triste. Sa réaction me touche profondément, me culpabilise. Je décide donc de remettre le disque des « Piroguiers ». La chanson lui plait immédiatement. Elle lève les deux bras au ciel comme une danseuse de flamenco et chante la première phrase d’une voix très puissante et très juste. Yann revient avec Frédéric, un jeune autiste en stage80 qui va passer le reste de la séance à se rouler par terre. Il fait de petits sons mais ne chante pas. Ben et Thibault, deux autres jeunes, entrent dans la salle, intéressés par la chanson des piroguiers. Ils voudraient participer à l’atelier alors qu’ils ne devraient pas être là. Yann leur demande donc de sortir, ce qu’ils refusent de faire. Toshie hurle à présent la chanson, 77 Voir infra annexes en page IX Swingmomes, les canons qui balancent – Pierre Yves Le Duc – ABS - Ed.PLURIEL Paru 01/06/1995 79 Voir infra annexes en page X 80 Il ne sera pas admis à l’IME par la suite. 78 44 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Frédéric pousse de grands cris, Ben et Thibault se mettent à sauter sur le rythme de la musique ; tout cela crée un grand désordre. Yann décide de clore cette séance et j’en suis soulagée. Yann dit néanmoins que ce qui s’est passé est très positif. Ma chanson a emporté un vif succès auprès des patients. Vécu : Je suis complètement épuisée après cette première séance et mes sentiments sont très mélangés. Ma chanson a remporté un vif succès ; elle correspond exactement à ce que je voulais. Son refrain, composé d’onomatopées, peut être chanté par tout le monde, y compris par ceux qui ne parlent pas ou par ceux qui ne sont pas francophones. On peut la chanter « en canon » ou faire une deuxième voix lors du refrain. Le contact avec les jeunes semble bon. Ils paraissent me trouver plutôt sympathique, je les fais sourire. Toshie a l’air toute heureuse lorsqu’elle court dans tous les sens, elle ressemble d’ailleurs à un papillon qui vit dans un autre monde. Quand je lui ai chanté la berceuse et que je suis entrée en contact avec elle, j’ai insisté pour qu’elle soit dans mon monde à moi elle est devenue toute triste. Je me demande ce qui se passerait si on la laissait dans son monde à elle. Comment apprendre cette chanson à des jeunes comme Frédéric ou Aurélien ? J’ai lu tant de livres sur les autistes et j’avais l’impression, suite à ma première expérience chez les « Turbulents » d’être bien préparée, mais à présent je suis plein de doutes. SEANCE N°3. - 6 décembre 2006 Une grève des transports m’a retardée. Le café est presque fini quand j’arrive. Nous passons tout de suite à la réunion matinale. Le 16 décembre, j’organise de petits concerts de Noël dans tout l’hôpital Cognacq-Jay. Il y aura des choristes, des solistes, un pianiste. La directrice de l’IME a demandé que nous également chanter chez eux. J’ai donc apporté le chant avec lequel nous commencerons notre petit concert. Mon idée est que si les autistes connaissent le premier chant, ils accepteront plus facilement que des « étrangers » viennent dans leur lieu. J’appréhende peut-être un peu leur réaction. J’ai choisi un chant traditionnel gallois qui sera chanté en Anglais : «Deck the hall with boughs of holy »81. Chaque phrase se termine par « Fa-la-la-la-….. » ce qui permettra à tous les jeunes de chanter. De plus, tout le monde l’a déjà entendu à la radio. Il correspond à leur âge, Yann Bouffort m’ayant bien dit qu’il voulait traiter les jeunes en vrais adolescents. Yann me dit que nous allons essayer une nouvelle formule. Quelques jeunes patients vont rester durant les deux séances : Kammel, Maxime, Serge, Philippe, Deborah. Thibault nous fait bien comprendre qu'il veut venir avec nous et Yann et moi sommes prêts à l'accueillir, mais, l’assistante de la directrice qui est aussi chef de service s'y oppose. Il faut d’abord « officialiser » la participation de Thibault à l’atelier Chant. 81 Voir infra, annexes en page XI. 45 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Déroulement de la séance : Participants atelier 1 : Kammel, Maxime, Serge, Philippe, Deborah et Aurélien - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Le rituel de bienvenue se déroule comme à l’accoutumée sans problème particulier. Echauffement vocal : Je propose un nouvel exercice : sur une expiration, il faut enrouler la colonne vertébrale et descendre « tête en bas », les bras pendant totalement décontractés. C’est un excellent exercice de détente et certains chanteurs lyriques font des vocalises dans cette position qui pourrait pourtant sembler inconfortable. Pendant cette séance, je demande juste de faire cet exercice en soufflant. Yann trouve que c’est une excellente idée. Cet exercice est, pour des autistes, une véritable épreuve. Se pencher en avant leur donne l’impression qu’ils se lancent dans le vide. Il faut les aider et les rassurer. Kammel, Serge, Maxime et Philippe le font avec un peu d’aide. Deborah refuse de se lever. Aurélien court dans la pièce, cet exercice ne l’intéresse pas. Serge est extrêmement inquiet en ce qui concerne la durée de l’atelier. La minuterie ne le rassure pas. Il nous demande constamment si la séance va rapidement prendre fin. Le problème réside dans le fait que Yann a changé le déroulement ritualisé des ateliers. Serge n’en saisit plus la chronologie. Il ne peut pas comprendre que la séance a commencé, ou qu’elle va se terminer. Il ne saisit pas qu’il y en aura une autre ensuite à laquelle il assistera également. C’est trop compliqué, trop inquiétant pour lui. Il va passer beaucoup de temps à se rouler par terre, à se donner de petites tapes, à la limite de l’auto-mutilation. Il nous demandera constamment si on est content de son travail. On essaye de le rassurer. Chants : « Piroguiers du Congo» Yann leur a fait écouter le disque pendant la semaine. Les patients le connaissent donc un peu. Tout le monde participe à l’activité, à l’exception d’Aurélien qui ne parle et ne chante pas du tout. Yann et moi profitons de cette chanson pour expliquer aux jeunes ce qu’est un piroguier, une pirogue, ainsi le Congo ce qui semble les intéresser. Yann demande à Maxime s’il veut chanter cette chanson seul. Après quelques phrases d’écholalie, il se lance. A mon grand étonnement, il connaît les paroles des deux couplets. Je propose alors, pour finir la séance, l’apprentissage du chant de Noël. Je le chante une première fois. Immédiatement, Yann, Maxime et Deborah chantent le « Fa-la-lala-la… »82. 82 Voir infra, annexes en page XI 46 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Yann dit à nouveau que certains jeunes vont rester pour le deuxième atelier de ce mercredi. Aurélien, Kammel et Serge, vont partir et nous allons accueillir Toshie et Jimmy. Yann propose que nous allions chercher à boire. Nous partons à l’office et revenons avec deux plateaux, des carafes d’eau et des verres. Ce n’était vraiment pas une bonne idée de poser les plateaux sur la table. Toshie va se jeter sur l’eau, jouer à verser les carafes les unes dans les autres, tout renverser. Il ne sera plus possible de la calmer. Certains autistes sont fascinés par les jeux qu’ils peuvent faire avec de l’eau. Participants atelier 2 : Maxime, Philippe, Deborah, Toshie et Jimmy - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Nous devions accueillir Jimmy aujourd’hui, mais finalement il ne viendra pas car il doit aller à une visite médicale. Le fait que certains restent et que d’autres partent, qu’il y ait de nouveaux arrivants perturbe notre rituel d’accueil ainsi que l’échauffement. Il faut revoir notre procédure, car tout le monde est perturbé. Nous passons donc tout de suite aux chants dans le court laps de temps qui reste, car l’histoire des carafes d’eau en a pris pas mal. Chants : Nous chantons à nouveau le chant des piroguiers pour Toshie, qui chante systématiquement quand les autres se taisent. Je ne sais pas si elle croit qu’il faut faire ainsi, ou que le non respect de la règle est un jeu pour elle. Nous terminons la séance par « l’Auvergnat » et « Une chanson douce » que les patients connaissent déjà. Vécu : Je suis très contente du déroulement de cette journée. Les jeunes ont bien participé, chanté les chants avec plus d’assurance que la semaine précédente. En revanche, l’inquiétude de Serge et surtout les petites tapes qu’il se donnait n’étaient pas faciles à gérer. J’aurais voulu être prévenue du changement dans le déroulement de l’atelier. J’aurais pu prévoir un échauffement vocal différent pour le deuxième groupe. Je me rends compte combien il faut être très réactif au vécu immédiat du groupe. 47 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes SEANCE N°4. - 12 décembre 2006 Participants atelier 1 : Kammel, Maxime, Serge, Philippe, Deborah et Aurélien. - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Le rituel de bienvenue se déroule comme à l’accoutumée sans problème particulier. Echauffement vocal : Nous invitons les participants à se lever et nous faisons les mêmes exercices que la semaine précédente. J’ai l’impression que Philippe participe mieux que d’habitude. Il a enlevé les pouces de ses oreilles et fait de petits bâillements. En revanche, il reste assis, et personne, même Yann, ne lui demande de se lever. Si on le brusque trop, Philippe se replie sur lui-même et ne participe pas du tout. Serge est rassuré, car nous lui avons expliqué qu’il ne restera que pendant le premier atelier. Cette semaine c’est Aurélien qui a une attitude étrange : il a trouvé une toute petite poussière par terre et passe le reste de la séance à quatre pattes à la recherche d’autres micropoussières. Chants : « Piroguiers du Congo» Ce chant est devenu notre grand tube et Serge veut commencer par cette chanson. Yann demande : « Tu peux nous la chanter, Serge ? ». Serge : « Piroguiers, ok, ok » et ensuite il nous déclame tout le texte à toute vitesse dans un seul souffle. Toute la chanson ne paraît pour lui qu’un long et unique mot. Nous décidons donc de la chanter tous ensemble. Maxime chante à pleine voix et Deborah tout doucement. Kammel chante les premiers mots de chaque phrase en balançant la tête et Serge fait un peu ça aussi. Philippe ne chante pas, mais il plonge son magnifique regard bleu dans le mien d’un air ravi et se balance en rythme. Aurélien cherche toujours de petites poussières. «Deck the hall with boughs of holy » Je chante chaque phrase où il y a du texte et tous chantent « Fa, la, la….. » Je demande aux participants de chanter un peu plus fort. Je propose ensuite de chanter « Jingle Bells ». Yann est d’accord. Pendant le refrain, Yann et moi nous levons et invitons les jeunes à faire de même. On essaye de les faire bouger un peu en rythme. L’ambiance est bonne, tout le monde rit très fort. Participants atelier 2 : Maxime, Philippe, Deborah, Toshie et Jimmy - Intervenants : Martina, Yann Bouffort C’est la première fois que Jimmy vient à l’atelier. Le plus gros problème de Jimmy, en 48 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes plus de son autisme sévère, est sa très mauvaise vue. C’est la première fois qu’il se retrouve avec nous dans cette salle et il a sans doute un peu peur. Je m’approche de lui en lui parlant doucement, histoire de « faire connaissance ». Yann me décourage un peu et me dit que Jimmy frappe violemment les gens qui s’approchent trop de lui. On passe les chimes aux nouveaux arrivants pour qu’ils fassent le « rituel de bienvenue ». Toshie veut garder les chimes pour elle. Yann les lui prend et les tend à Jimmy, qui ne les prend pas. Chants : Yann sort sa guitare et nous laissons les jeunes choisir les chansons (« L’Auvergnat », une chanson de Goldmann, et « Une chanson douce ».) Maxime, Philippe et Deborah sont contents. Toshie passe son temps à vouloir partir en courant. On essaye inlassablement de la retenir, de lui faire prendre place sur une chaise et de la faire participer un petit peu, c’est épuisant. Jimmy n’ira pas s’asseoir, il passe la séance à parcourir, à explorer la salle. Comme c’est son premier atelier, nous le laissons faire. Vécu : Si le premier atelier m’a satisfaite, le second m’a déçu. Nous n’avons pas fait d’échauffement vocal avec Toshie et Jimmy. Mes interventions se sont bornées à empêcher Toshie de sortir, et à laisser Jimmy seul à sa découverte du lieu. Cela me semble bien loin de la musicothérapie. Petit concert de Noël du 16 décembre 2006 Il s’agit d’une grande première : un groupe va faire un concert. Afin de ne pas trop effrayer nos jeunes amis, j’ai sélectionne une quinzaine de choristes parmi les 30 qui sont aujourd’hui à l’hôpital pour faire des animations de Noël. Un choriste et ami est déguisé en Père Noël et nous avons posé le grand piano électrique sur une planche à roulettes. Dans la salle manger, les chaises ont été disposées face aux quelques marches en gradins qui se trouvent devant les grandes baies vitrées. Cela lui donne un aspect de salle de concert. On roule le piano devant les marches et les choristes entrent. Certains jeunes sont déjà assis sur les chaises, d'autres comme Thibault et Ben se lèvent pour donner la main aux choristes. Le rituel du « bonjour » va prendre beaucoup de temps, mais cela fait partie de la séance. Les éducateurs font entrer les autres jeunes. Tout le monde est présent sauf Serge, trop anxieux pour rester dans cette pièce pleine de monde. Il fera pourtant un essai courageux. Toshie, dans un mauvais jour, n’est pas là non plus. Dès qu’Aurélien voit le père Noël, il se jette dans ses bras, caresse son costume de velours rouge et sa barbe blanche. Finalement le père Noël décide de ne pas chanter mais de s’asseoir parmi les jeunes, à côté d’Aurélien. Nous commençons par un chant très ancien « Orientis partibus » dont nous avons transformé les paroles afin d’y inclure des moyens de transport ! (« On a tous pris l'autobus pour chercher l'enfant 49 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Jésus »). Le dernier couplet transformé parle vraiment des adolescents de l’IME et les met en valeur. Nous enchaînons avec d'autres chants de Noël assez connus. Je signale au public qu’ils ont le droit de chanter, y compris sur la, la, la s’ils ne connaissent pas les paroles. Un éducateur, qui entre dans mon jeu, chante « Stille Nacht » sur « Pom, pom, pom ». Tout le monde reprend cette chanson sur ces paroles, ce qui fait rire tout le monde. Nous terminons par « Deck The hall with boughs of holy » que nous chantons plusieurs fois afin que tout le monde puisse participer. Je vois Gabriel et Maxime qui chantent de bon cœur. Deborah se balance énormément ; elle est cependant rayonnante. Sophia ne se tord plus les mains et Philippe ne les porte pas à son visage comme à son habitude. Il a le regard bleu grand ouvert, l'air heureux. Thibault, ne bouge pas pendant toute la durée de notre intervention sauf pour applaudir comme jamais. C'est vraiment un succès ! Les choristes et le pianiste me diront combien ils ont été émus par ces adolescents si touchants. SEANCE N°5.- 20 décembre Un souci médical personnel m’a empêchée de prendre des notes sur cette séance. Cependant j’ai pu retenir un élément qui me paraît important. Participants atelier 1 : Kammel, Maxime, Serge, Philippe, Deborah et Aurélien - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Au cours du premier atelier, lorsque nous avons voulu commencer un chant, j’ai demandé que quelqu’un donne la pulsation avant le chant, et donne le départ. Cette demande est nouvelle. Elle est liée à une prise d’initiative puisque je ne désigne personne et attends qu’un volontaire se manifeste. Les jeunes me regardent assez étonnés. Yann sollicite Maxime, Deborah, Kammel qui ne réagissent pas. Nous insistons du regard, et entendons tout à coup la voix d’Aurélien qui dit : « Unteucroi ». Yann et moi n’en croyons pas nos oreilles, Aurélien, qui ne parle et ne compte pas, a très bien compris la consigne. Aurélien recommencera à plusieurs reprises, comptant jusqu’à trois pour donner le signal de départ d’un chant, nous prouvant qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence. Vécu : Voilà un moment d’importance dans la carrière d’un musicothérapeute. Les doutes accumulés depuis plusieurs semaines furent effacés par ces quelques mots. 50 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes SEANCE N°6.- 31 janvier 2007 J’ai hâte de retrouver mes jeunes patients à l’IME après les vacances de Noël. Aujourd’hui je fais la connaissance de deux nouveaux : Alain, à la carrure de géant tout à fait impressionnante, et Sébastien. Je ne reparlerai pas souvent d’Alain, car c’est la seule fois que je l’ai vu à l’IME, les autres mercredis, il est absent. Quant à Sébastien, c’est un autiste de « haut niveau ». C’est ainsi que l’on nomme les autistes qui ont un Q.I. élevé et de grandes facilités dans certains domaines très pointus. Je bois mon café en compagnie du psychologue de l’IME, qui me parle de l’enthousiasme des jeunes après notre concert de Noël. « Il faudrait faire plus souvent de petits concerts » me dit-il. Je mentionne au cours de la discussion mon souhait d’avoir plus de détails concernant les pathologies et les symptômes de tous les jeunes de l'IME. En effet, fin décembre nous avions fait deux tentatives de « chorale » à 11h30 où nous voulions rassembler toute la population de l’IME83. Lors d’une tentative je m’étais retrouvée à côté de Thierry, un autiste sévère qui ne parle pas du tout. Très agréablement surprise d’entendre Thierry fredonner quelques chants, j’avais été totalement déboussolée d'apprendre, après coup, qu’il était sourd. Il me semble que ce genre de problèmes chez un patient me concerne réellement. Le psychologue me propose une entrevue qui sera pour moi très importante. L’entretien est néanmoins un peu plus long que prévu et j’arrive ce mercredi à la toute fin du premier temps. Participants atelier 2 : Maxime, Philippe, Deborah, Toshie et Jimmy - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Le rituel de bienvenue, ainsi que l’échauffement vocal se déroulent comme à l’accoutumée sans problème particulier. Chants : Pendant mon absence Yann a fait travailler un nouveau chant : « Patou, Pata..... »84 . Cette musique, composée par des amis musiciens de Yann est très rythmée et plait beaucoup à tous les patients. Les paroles composées essentiellement d’onomatopées peuvent être chantées par tous, on peut la chanter en canon, ou improviser une deuxième voix à la tierce. Les jeunes ont l’air ravis de me faire découvrir leur nouveau chant. Ensuite nous reprenons le chant des piroguiers. J’ai également amené un nouveau chant : « T'es heureux et ça se voit, tape dans les mains »85 (If you’re happy and you know it clap your hands). Dans le chant en anglais il y a des couplets où l’on tape dans les mains, tape des pieds, claque la langue, dit « bonjour ». Gianluigi Di Franco note une amélioration considérable de la rigidité corporelle de certains autistes quand le chant demande une concentration sur le corps86. Dans ce 83 Après deux tentatives le projet de grande chorale est suspendu car il n’y a pas assez d’éducateurs qui veulent y participer. 84 Voir infra annexes page XII 85 Voir infra annexes page XIII 86 DI FRANCO Gianluigi, Music and Autism, Vocal Improvisation as containment of stereotypes. 1999. 51 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes chant on peut demander aux participants d’improviser de nouveaux couplets. Pour les patients souffrant d’écholalie la proposition est une réelle prise de risque, extrêmement positive lorsque tout le groupe l’accepte. J’ai aussi pensé que « frapper dans les mains, taper des pieds, claquer la langue » fait prendre conscience de l’axe horizontal et vertical du corps (le bébé joue avec ses pieds et avec ses mains). Claquer la langue fait prendre conscience de la bouche. Chantal Lheureux Davidse, que nous avons eu comme formatrice au CIM87, nous a beaucoup parlé de cette re-construction de l’image corporelle du corps d’un autiste. Je pensais surtout à Toshie, Aurélien et Jimmy quand j’ai traduit la chanson, mais je constate que même Maxime et Deborah ont du mal à faire les consignes au bon moment. Malgré tout, la chanson les amuse et on invente de nouveaux couplets. (dis « Youpi », tape sur les cuisses, claque des doigts). Nous finissons la séance par de grands éclats de rire. Lorsque nous rangeons la salle après l’atelier, Yann me dit que Serge a très souvent posé la question : « elle est où, Martina ? » Vécu : Je suis très contente d’avoir, à présent, plus d’informations concernant les différentes pathologies de chaque patient. Je suis étonnée aussi d’apprendre que Serge connaît mon prénom. Je viens de recevoir un livre hollandais sur la musicothérapie qui va me permettre de mieux structurer mes séances de travail et j’ai hâte d’y travailler. SEANCE N°7.- 7 février 2007 J’ai établi un plan de travail88 de la séance que je donnerai à Yann ainsi qu’à la directrice. Je veux vraiment leur montrer que derrière mon travail il y a une réelle recherche et une démarche thérapeutique. De plus Yann pourrait peut-être faire des annotations sur ce plan après les séances. Pourtant je n’entends pas suivre ce plan coûte que coûte, je n’oublie pas la consigne de Juliette Alvin : « s’attendre à tout et n’importe quoi »89 Déroulement de la séance: Participants atelier 1 : Maxime, Aurélien, Gabriel, Serge, Deborah et Kammel - Intervenants : Martina, Yann Bouffort Pour la première fois Gabriel participe à l’atelier. Lors de notre concert de Noël T.Wigram & J. de Backer (eds), Clinical applications of Music Therapy in Development disability paediatrics and Neurology - Jessica Kingsley Publishers. 87 Centre International de Musicothérapie 88 Voir infra, en Annexes page XIV 89 Juliette Alvain &Auriel Warwick, Music therapy for the autistic child, Oxford University press 1991 52 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes j’avais vu Gabriel chanter de bon cœur et pourtant, selon les éducateurs, il n’aime que le rap hyper réaliste. Lorsque nous entrons dans la salle et que tous s’installent sur une chaise je vois qu’il observe les autres jeunes et son regard semble dire : « Comment vais-je pouvoir mettre un peu d’ambiance là-dedans ? » Le rituel de bienvenue se déroule comme à l’accoutumée sans problème particulier. Echauffement vocal : Après les exercices corporels, je propose pour la première fois une vraie vocalise : do mi sol. Je demande : « qui veut le faire ? ». Gabriel se lance de bon cœur avec une voix solide. On demande : « Maxime, tu veux essayer ? » Après quelques phrases d’écholalie, il se lance. Kammel aussi nous fait une vocalise, ainsi que Deborah, à mi-voix. On refait plusieurs vocalises et j’essaye de monter et de descendre dans la gamme pour voir s’ils suivent. Cela marche assez bien et semble les amuser. Serge semble pourtant très perturbé aujourd’hui. La présence de Gabriel le dérange peut-être : il se couche sous la table, se tord le mains, se tape la tête avec les mains, se tape la tête contre le placard. Yann et moi essayons de le rassurer. A la demande générale on reprend la chanson des piroguiers. Je me lève, mets les mains devant la bouche comme un portevoix imaginaire et fais : « O, lé, lé, lé » le plus fort possible. Ensuite je fais la deuxième phrase piano. Tous affichent un sourire amusé. Yann leur demande la différence entre les deux phrases. Ils n’arrivent pas à verbaliser la différence, mais on voit bien à leur expression qu’ils comprennent. On propose de faire le chant en alternant une phrase piano et une phrase forte. Après on rechante la chanson en entier et j’y introduit un accelerando. J’observe la réaction de Maxime. Dans le « Handboek der Muziektherapie”90 il est noté qu’un changement de tempo, en particulier un tempo légèrement plus rapide, peut améliorer le comportement stéréotypé de certains autistes. L’accellerando semble agacer Maxime qui se concentre intensément mais suit le rythme imposé. Yann demande à Serge s’il veut chanter un chant en particulier et Serge répond : ”Patou, Pata”. “D’accord” répond Yann, “mais viens t’asseoir sur une chaise”. Serge fait une tentative pour se rapprocher du groupe. Gabriel profite de l’attention que nous portons à Serge pour faire des grimaces à Kammel et inciter celui-ci à cracher91. Serge qui venait s’asseoir courageusement sur la chaise à côté de moi, voit Kammel qui crache, pousse un cri, se replie vers la porte, fait tomber ma veste par terre, donne un coup de pied dedans et me donne ensuite également un coup de pied. Immédiatement il regrette son geste et dit sur un ton des plus malheureux: “Pardon, pardon, pas bien, pas bien, câlin.....” en me caressant la joue. Je suis prête à considérer cet incident clos, car il me semble qu’il a été magistralement orchestré par Gabriel, qui jubile à présent. Yann me dit que ce n’est pas possible et qu’après les scéances il va falloir parler de tout cela à l’assistante de la directrice. Nous chantons notre “Patou, Pata” avant de passer au rituel du “au revoir”. 90 SMEIJSTERS Henk, Handboek der muziektherapie, Editions Bohn Stafleu van Loghum, 2006, note concernant les travaux de Juliette Alvin & Auriel Warwick (1991) , page 33 91 Ce n’est pas la première fois que Gabriel utilise l’écholalie de Kammel pour provoquer ce genre d’incident. 53 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Participants atelier 2 : Maxime, Toshie, Gabriel, Deborah et Ben. - Intervenants : Martina, Yann Bouffort (Jimmy est malade) Avant de commencer, je vais chercher des verres d’eau pour les participants qui restent aux deux ateliers. Cette fois je n’amène pas de carafes et pourtant une petite lutte s’engage avec Toshie pour qu’elle ne joue pas avec tous les verres. Contrariée, Toshie se lance dans son autre jeu favori : les commutateurs électriques. Elle semble furieuse lorsque nous lui demandons d’arrêter son jeu. Yann veut que nous fassions un effort pour qu’elle s’intègre au groupe. Je ne sais pas ce qu’elle comprend exactement, mais il me semble que son jeu devient alors : «Je vais épuiser Yann et Martina en courant dans tous les sens et en voulant sortir de la pièce ». La retenir à chaque fois, lui demander de s’asseoir, essayer de lui expliquer calmement qu’elle doit participer à l’atelier chant et qu’elle se trouve dans la salle musique encore et encore m’épuise effectivement. Echauffement vocal : J’insiste pour refaire quelques exercices de mise en voix, car cela me semble important pour Toshie et Ben. Je propose de changer un tout petit peu le rituel de bienvenue : au lieu de « dire » bonjour, on va « chanter » bonjour en jouant avec la voix. Tous essayent sauf Toshie. Ben a même l’air tout content en s’écoutant chanter « Bonjour » sur deux sons : sol do (quinte descendante). Ensuite nous chantons : « T’es Heureux et ça se voit ». Gabriel, Deborah et Maxime répondent bien aux questions : « Qui se souvient de ce chant ? Qui se souvient des gestes à faire ? ». Nous inventons de nouveaux couplets : « saute en l’air », « ris très fort ». Les idées viennent de Gabriel car Maxime et Ben ne peuvent pas prendre une telle initiative. Deborah pourrait, je pense, mais n’a pas l’air intéressée. Après cette séance, nous nous retrouvons Yann, Serge et moi-même dans le bureau de l’assistante de la directrice. Il est très important pour Serge de verbaliser l’incident de ce matin et d’officialiser ses excuses ainsi que mon pardon. Si nous ne le faisons pas, Serge va se sentir mal pendant plusieurs jours. Vécu : Commençons par les côtés positifs : nous avons fait de vraies vocalises et essayé plusieurs hauteurs de sons. J’ai introduit une notion de nuance et nous avons un peu changé les tempi. J’ai réussi à faire des exercices avec les participants du deuxième atelier, tout en intéressant aussi ceux qui restent aux deux ateliers. Yann et moi avant noté une bonne participation générale malgré la présence de Gabriel et l’incident avec Serge. Côtés négatifs : je me suis sentie très mal pendant l’incident avec Serge et me sens 54 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes totalement impuissante devant Toshie. Je voudrais aussi trouver de meilleurs exercices pour faire participer Ben, Jimmy et Kammel. SEANCE N°8.- 14 février 2007 Cette semaine j’ai lu beaucoup d’articles intéressants dans le trimestriel de « Musictherapy Today92 » que j’ai pu télécharger sur mon ordinateur. Un article écrit par T.V. Sairam93 qui parle de l’utilisation de chants indiens m’a inspiré pour un nouveau chant. Un deuxième article écrit par Britta Boymans94 « Just Sing… » et qui parle, entre autres, de l’utilisation de canons va m’aider aussi. De plus, j’ai beaucoup réfléchi à la construction de ma séance de travail. J’ai donc établi un plan de séance type95, ainsi qu’un plan pour cette séance en particulier.96 J’ai aussi amené un petit clavier électronique. Participants atelier 1 : Kammel, Serge, Maxime, Deborah, Gabriel, Aurélien - intervenants : Yann et Martina Rituel de Bienvenue : Au lieu de dire "bonjour" on "chante" bonjour. Je fais quelques propositions afin d’observer les réactions. Yann improvise un petit chant, tous suivent. Aurélien attend son tour et chante presque. En tout cas, il essaye de faire quelque chose de différent de son « bonjour » habituel. Echauffement vocal : - - Serge participe à sa façon : de loin. (Il est assis dans un coin de la pièce, près de la porte) Deborah chantonne une petite mélodie bien à elle depuis son entrée dans la pièce; elle va rester dans sa mélodie à elle et il sera difficile de la faire participer à cet atelier. Aurélien a toujours beaucoup de mal, mais il compte régulièrement jusqu'à trois. Kammel participe bien. Gabriel et Maxime font de nouvelles propositions d'exercices. 92 Musictherapy Today, december 2006 E book , http://www.musictherapyworld.de/modules/mmmagazine/issues/20061222112911/MTT7_4_December.eBook.p df 93 SAIRAM T.V. (2006), Melody and rhythm - `Indianness' in Indian music and music therapy. Music Therapy Today (Online 22nd December) Vol.VII (4) 876-891. 94 BOYMANS Britta. (2006) « Just sing ».Music Therapy Today (Online 22nd December) Vol.VII (4) 913-931. 95 Voir infra annexes en page XV 96 Voir annexes page XVI 55 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Je propose d'utiliser le petit clavier pour l'exercice suivant : On prend le clavier en main, on compte jusqu'à trois, on enfonce une touche et on reproduit le son avec la voix. Cet exercice demande donc beaucoup de concentration. - - Gabriel enfonce une touche, se concentre et chante la bonne note. Maxime tape nerveusement sur la même touche (comme s'il faisait un rythme de double croches serrées) mais n’arrive pas à la chanter. On note un réel effort. Serge et Deborah refusent. Aurélien appuie sur toutes les touches. Kammel refuse dans un premier temps. Yann insiste, amène le clavier à Kammel qui s’est réfugié près de la fenêtre, mais qui réussit l’exercice. Cet exercice s’avère intéressant mais prend trop de temps. En séance individuelle il serait vraiment bien de le faire. Chants : Je lance la première phrase des «Piroguiers » d'un air fâché et contrarié et leur demande de deviner mon humeur. Yann aide : « Pensez vous que Martina est heureuse ou contente ? » Gabriel et Maxime disent que je n’étais pas contente du tout. On demande à Gabriel de chanter la phrase en étant « de mauvaise humeur ». Il le fait bien. Cela amuse beaucoup les autres, qui ont l'air intéressés, sauf Deborah. Je rechante cette phrase, mais l'air heureuse et contente. Yann : « De quelle humeur est Martina ? Pouvez-vous le faire ? ». Gabriel réussit bien, ainsi que Maxime qui nous fait un sourire grimaçant qui fait rire tout le monde. Maxime peut donc exprimer une émotion. Serge essaye, à toute vitesse, comme d'habitude, Kammel fait un bel effort tandis que Deborah refuse. Après cet exercice nous demandons à tous de chanter la chanson en entier, debout, comme de vrais chanteurs. En insistant un peu tout le monde se lève, même Deborah. Nous n’utilisons plus le lecteur CD à présent ; Yann et moi chantons plus fort que d’habitude en faisant de petits pas de danse et en incitant les jeunes à bouger. Yann fait semblant de mettre un micro devant la bouche de chaque patient, qui chante alors avec un peu plus d’assurance. C'est très sympa. Ensuite je propose un nouveau chant. Il s’agit d’un canon du Liberia : « Banuwa ».97 J'explique que Banuwa veut dire : « ne pleure pas petite fille ». Je chante la première phrase et demande à tous de la chanter plusieurs fois. Chacun essaye ensuite seul. Kammel semble beaucoup aimer le mot « Banuwa ». Je mets un disque que j’ai apporté dans le lecteur afin d’écouter une version de cette chanson avec un accompagnement au balafon.98. Après l’écoute on demande l’avis de chacun. Tous font des signes affirmatifs et Gabriel dit qu'il aime bien les percussions qui accompagnent ce chant. Aurélien est resté sur une chaise, attentif et concerné par tout ce qui se passe autour de lui. Yann me dit qu’il voulait justement trouver un chant africain. D’un commun accord nous décidons d’apprendre 97 98 Voir infra annexes en page XVI Sur le disque j’ai mis plusieurs versions de ce chant. 56 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes ce chant la semaine prochaine. Fin de la séance. Participants atelier 2 : Maxime, Gabriel, Ben, Deborah, Jimmy - intervenants : Yann et Martina Echauffement vocal : Je propose à chacun de faire une vocalise sur son prénom. Je fais d'abord des vocalises sur «Martina » puis demande à Yann, qui se prête bien au jeu. - - - Gabriel le fait vraiment bien, sur une large étendue vocale. Deborah refuse. Maxime se lance après beaucoup de concentration. Il s’aventure même dans l’aigu ce qui semble étonnant quand on connaît sa voix monocorde habituelle. Il est donc capable d’improviser et de moduler. Jimmy a l'air très heureux d’être parmi nous. Comme il n’utilise jamais sa voix je fais moi-même une vocalise sur « Jimmy » et il fait de petits soubresauts avec les épaules pour nous montrer que cela lui plaît. Il aime surtout les aigus. Il s'approche tout près de moi et met ses mains sur mes lèvres. Chantal Lheureux Davidse nous a expliqué qu'un autiste pouvait confondre ma bouche et la sienne. Il n’est pas impossible qu'en touchant mes lèvres il pense chanter lui-même. Ben a bien compris la consigne, il fait beaucoup d'efforts avec ses lèvres, la voix est faible, mais compte tenu de son echopraxie, c'est vraiment très bien et nous le félicitons. D’un commun accord, nous chantons ensuite «Patou, Pata ». Je prends une tonalité plus haute que d’habitude, car il y a une phrase mélodique sur "ia" qui devrait bien plaire à Jimmy dans un registre plus aigu. Sans que nous le demandions nous voyons tout le monde se mettre debout et pendant le chant nous voyons Ben et Jimmy se mettre à danser. On termine par « t’es heureux et ça se voit » que je chante d’abord seule en Anglais, avant que nous chantions ensemble, en Français. On est tous assis sur une chaise, même Jimmy, qui frappe dans les mains au bon moment et tape une fois des pieds. C’est la première fois qu’il participe aussi bien. Après, nous demandons aux participants de nous proposer quelque chose de nouveau. En les aidant un peu, chacun trouve une idée et la séance se termine sur un vrai sentiment de groupe qui a bien réussi. 57 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Vécu : Après deux séances difficiles, je suis heureuse car les ateliers se sont bien passés aujourd’hui. Il me semble que tous les participants font des progrès et cela fait du bien ! SEANCE N°9.- 7 mars 2007 Plan de la séance 99 Déroulement de la séance : Participants atelier 1 : Maxime, Aurélien, Selim (n’était pas prévu, mais on l’autorise à rester), Gabriel, Serge, Deborah, Kammel - Intervenants : Martina, K. (une éducatrice), Yann Yann est en entretien avec la directrice et K., une éducatrice absolument adorable, propose de commencer l’atelier avec moi. Thibault et Selim entrent en catimini dans la salle afin de se joindre à l’atelier. Ils s’installent sur une chaise comme les autres. K. fait sortir Thibault qui doit participer à une autre activité. Elle autorise pourtant Selim à rester. Rituel de Bienvenue : Tout le monde chante « bonjour » au lieu de le déclamer. Deborah nous gratifie d’un « bonjour » à pleine voix et Aurélien attend son tour, calmement assis sur sa chaise. Serge refuse de faire le rituel sans la présence de Yann. Echauffement vocal : Je demande à tous de se lever et de proposer des exercices corporels. Serge montre un bâillement, Maxime lève les bras, Aurélien fait la sirène. C’est la première fois que tout le monde participe et semble aussi un peu attentif aux autres. A ma question : « Qui veut faire une vocalise ?», nous entendons Aurélien faire : Do-Mi-Sol-Mi-Do, détaché avec une voix très mélodieuse. C’est la toute première fois qu’il chante vraiment. Kammel fait quelques envolées lyriques, un peu orientales. Maxime, par contre, semble très triste100. Quant à Gabriel, il semble très perturbé. Yann arrive à ce moment et K. lui dit combien elle était surprise de tous ces « Bonjours » chantés. Yann dit qu’il voudrait bien entendre cela et demande de refaire le rituel auquel Serge, à présent rassuré, va participer. 99 Voir infra annexes page XVIII J’apprends plus tard qu’il est triste parce que son papa est parti à l’étranger 100 58 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Chants : Nous commençons par « Banuwa » (canon du Liberia). Yann a fait écouter mon disque de travail au cours de la semaine dernière. Sur ce disque, il y avait également une version de ce chant interprétée par des chœurs d’enfants et j’aurais aimé savoir ce que les patients en avaient pensé, et surtout, s’ils avaient tout de suite compris qu’il s’agissait du même chant. Nous demandons d’abord si quelqu’un veut chanter seul. C’est une question importante lorsqu’on travaille avec des autistes, qui ne prennent pas d’initiatives. Kammel commence et chante avec beaucoup d’assurance en tournant sur lui-même comme un Derviche tourneur. Maxime et Gabriel veulent chanter seuls aussi. Serge refuse dans un premier temps et Yann lui propose de chanter avec quelqu’un de son choix. Serge choisit Deborah. Comme Deborah chante vraiment tout doucement Yann lui demande de chanter plus fort. Elle recommence mais c’est toujours inaudible et je lui demande si elle veut un micro. J’ai effectivement amené un micro, car Yann m’avait dit un jour que ce serait intéressant. Yann dit: « tu as amené un micro ? Il marche ? C’est génial car, justement, j’ai amené un amplificateur ». Nous branchons micro et amplificateur et nous constatons que tous sont très intéressés. On propose le micro à Aurélien qui fait juste « Bou ». Gabriel veut essayer mais il hurle dans ce micro. J’explique qu’il s’agit d’une berceuse et qu’il faut chanter doucement, mais rien n’y fait. Yann lui demande alors d’imaginer qu’il chante cette chanson pour un bébé ou une petite sœur, mais Gabriel hurle de plus belle dans le micro. Maxime essaye, mais du coup ne chante plus vraiment. Deborah chante toujours doucement, mais elle a l’air vraiment contente. Kammel aussi semble content d’essayer. Serge refuse car il a peur. Après ces essais Yann débranche le micro car Gabriel est de plus en plus excité. Ensuite, je chante la deuxième phrase de « Banuwa ». Cette phrase est à la tierce supérieure de la première et j’en profite pour parler de la hauteur du son. J’introduis un geste de la main qui dessine des lignes horizontales à la hauteur des genoux et à la hauteur des yeux afin de différencier les deux phrases. J’introduis aussi la troisième phrase de ce chant : « A lano neni alano » et tout le monde la répète. Le rythme de cette phrase est syncopé101 et je veux voir la réaction des patients, qui s’avère bonne d’ailleurs. Yann demande à tous de se lever, de se donner la main et nous chantons ensemble. Même Deborah se lève et me donne la main. Au début elle tient la tête baissée mais à la fin de ce chant elle plonge son regard dans le mien et il exprime de l’étonnement, comme si elle me découvrait aujourd’hui. C’est la première fois que nous avons vraiment un échange visuel. Nous passons au rituel « Au revoir » pour les jeunes qui ne restent pas aux deux ateliers et c’est la fin de la séance. Selim, qui ne participe pas aux ateliers habituellement, ne parle pas du tout. Il n’a pas chanté, mais il s’est levé au bon moment à chaque fois et a participé, à sa façon, la mine parfaitement radieuse. 101 SMEIJSTERS Henk, Handboek der muziektherapie, Editions Bohn Stafleu van Loghum, 2006, note concernant les travaux de Schultz et Lecourt ont noté une amélioration dans l’attitude stéréotypée des autistes suite à l'utilisation de syncopes dans les chants, page 33 59 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Participants atelier 2 : Maxime, Jimmy, Gabriel, Deborah, Ben - Intervenants : Martina, Yann Echauffement vocal : On fait des vocalises sur le prénom de chacun. Cet exercice plait de plus en plus et je note que mes chanteurs s’aventurent un peu plus dans un registre plus large. Jimmy reste maintenant toujours très près de moi et souvent il met ses mains sur ma bouche. Chants : Nous chantons « Piroguiers » debout en faisant des nuances « piano/forte ». Je propose de faire ce chant en canon afin d’introduire la notion de polyphonie. Après on demande aux participants ce qu’ils pensent du canon. Maxime, sans aucune phrase écholalique, nous dit que cela ne lui plaît pas. C’est un progrès très significatif pour Maxime, qui habituellement ne prend aucune initiative et ne donne jamais d’opinion. On propose de terminer par «Patou, Pata » et, sans rien demander, on voit les participants qui se lèvent et forment une ronde. La ronde tourne, change de sens, avance afin de se rassembler au centre. Tous acceptent et prennent plaisir à ce nouveau changement. Jimmy participe activement. Vécu : Encore une bonne séance pendant laquelle Yann et moi avons noté un réel progrès chez tous. En revanche, le fait de demander Gabriel d’imaginer qu’il chante pour un bébé est une chose très difficile pour un psychotique et presque impossible pour une autiste. Je me demande si nous ne pourrions pas introduire une marionnette dans notre atelier. SEANCE N°10.- 14 mars 2007 Yann et moi avons décidé d’aménager la salle de musique dorénavant ensemble. Cela nous permet aussi de préparer la séance. Je peux également rassembler plus d’informations concernant mes jeunes patients et la vie à l’ IME en général ; cela me semble important. On décide de changer la disposition de la salle. On enlève quelques tables et on met toutes les chaises près des murs, comme dans une salle d’attente de médecin, afin d’agrandir l’espace dans lequel nous inviterons les jeunes à venir chanter. Je parle à Yann de mon idée de marionnette. Il me parle alors d’un grand corbeau qu’il possède déjà et que nous pourrions utiliser. Je lui montre une nouvelle chanson que j’ai amenée « Ani Couni – Ghost Song Arapaho »102 et Yann me dit que Gabriel connaît cette chanson. Gabriel va très mal en ce moment, car il 102 Voir infra, annexes page XIX 60 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes prend de plus en plus conscience de son état. Le jour de la Saint-Valentin, il était particulièrement triste parce qu’il n’avait pas de copine. Il se rend compte, progressivement, que son handicap ne facilitera pas les rapports sociaux. Il voudrait aussi devenir policier. Petit à petit, il va falloir lui faire comprendre que cela ne sera pas possible. Yann et moi décidons d’utiliser la chanson « Ani Couni » pour le mettre en valeur. Plan de la séance103 : Déroulement de la séance : Participants atelier 1 : Jeunes : Maxime, Aurélien, Gabriel, Serge, Deborah, Kammel - Intervenants : T. (éducateur), Yann, Martina Le rituel de bienvenue se déroule comme à l’accoutumée sans problème particulier. Echauffement vocal : Je demande à tous de se lever pour les exercices de détente corporelle, mais Aurélien nous fait tout de suite une merveilleuse vocalise. Je propose de faire ensemble la vocalise d’Aurélien. Ensuite, chacun propose une vocalise qui sera reprise par le groupe. Tout le monde participe, Deborah de façon discrète, mais elle accepte l’exercice. Yann va se mettre au bout de la pièce et dit : « Chante plus fort, on ne t’entend pas ! » Deborah accepte de chanter un peu plus fort. Chants : Je propose une nouvelle chanson au groupe, me lève et commence : « Ani Couni ….». Dès la deuxième phrase Gabriel se lève pour chanter avec moi. Une fois le chant terminé nous félicitons Gabriel pour son aide et lui disons que c’est une heureuse surprise. Nous lui proposons de nous aider dans l’apprentissage du chant au groupe. Gabriel est absolument radieux. La chanson est rapidement apprise. T. , l’éducateur qui assiste aujourd’hui à l’atelier, propose à tous de se lever et de chanter en “file indienne”. On tourne dans les deux sens, comme des Indiens autour du feu. Tous acceptent sauf Serge. Kammel accepte lorsque Yann va le chercher. (Dans un premier temps il s’est levé en protestant et en allant se réfugier sur l’appui de fenêtre). Tous rient beaucoup. Ensuite nous demandons qui veut apprendre « Banuwa » à T., l’éducateur invité aujourd’hui à l’atelier. Tout le monde se porte volontaire à l’exception d’Aurélien. Je reparle des gestes que nous avons introduits pour différencier la hauteur des deux phrases. Je chante la troisième phrase et demande une proposition de geste pour cette phrase-là. T. nous propose de décrire de petits cercles, à la hauteur des yeux, avec les 103 Voir annexes en page XX 61 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes doigts. Tous sont d’accord. Tout le monde se lève et chante en faisant les gestes. Cela plaît bien et je note qu’Aurélien fait les gestes au bon moment. Nous terminons la séance par les « Piroguiers », à la demande de T. qui aime beaucoup cette chanson. Au cours du rituel « au revoir », T. félicitera tout le monde et dira combien il est surpris par les progrès du groupe. Participants atelier 2 : Maxime, Jimmy, Gabriel, Deborah, Ben - Intervenants : Martina, Yann Echauffement vocal : Yann prend sa guitare et on fait une petite improvisation sur les prénoms. C’est un exercice qui plaît beaucoup. Aujourd’hui, pour la première fois, nous entendons Jimmy qui fait un son sur deux notes (Mi-Do) tierce descendante. Chants : Tout le monde accepte de se lever pour chanter « Patou, Pata ». Pour la deuxième fois j’ai un vrai contact visuel avec Deborah. Pour terminer on propose aux jeunes qui étaient au premier atelier de chanter la chanson « Ani Couni » afin de l’apprendre à Jimmy et Ben. On peaufine le chant en disant que nous allons d’abord faire un “cri d’Indien”104. Cela permet une petite discussion pour savoir qui à déjà vu des films d’Indiens et qui sait quel est leur cri, etc. Ensuite quelqu’un va compter jusqu’à trois et le chant pourra démarrer. Nous demandons à Ben de compter jusqu’à trois sachant que ce sera particulièrement difficile pour lui, il hésite un peu, mais prends l’initiative. La proposition de faire ce cri d’Indien était surtout faite à l’intention de Jimmy, car mettre la main devant sa bouche (ou même devant la mienne en émettant un son devrait l’intéresser). Lors de cette séance il n’a pas réussit. Nous clôturons la séance avec beaucoup de rires et de bonne humeur pour tous. Vécu : Ces deux ateliers étaient particulièrement agréables. Nous avons réussi à valoriser Gabriel. Jimmy et Aurélien font des progrès significatifs. J’ai réussi à instaurer un système de code pour notre berceuse du Liberia et je trouve que c’est un travail très important pour ces jeunes autistes. Le canon ne plaît pas à Maxime, je vais donc travailler sur un chant simple à deux voix. Le fait aussi que nous ayons, à présent, un petit répertoire de chansons appréciées par tous, facilite de beaucoup les séances, surtout pour les participants qui assistent aux deux groupes. . 104 Une main devant la bouche on fait le son « ou » en continu. 62 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes SEANCE N°11.- 21 mars 2007 Ce matin nous sommes attendus, Yann Bouffort et moi, dans le bureau de la directrice pour “faire le point”. Je dis que nous constatons de réels progrès chez nos chanteurs et je montre mes notes. Yann Bouffort confirme mes dires et trouve l’idée de prendre des notes excellente : c’est vraiment important que quelqu’un note les progrès de nos jeunes patients. Compte tenu de son travail à l’IME il n’a pas le temps. La directrice voudrait que nous fassions participer Sébastien. Yann Bouffort réplique que Gabriel et Sébastien ne s’entendent pas du tout, et que si on passe notre temps à éviter les heurts entre ces deux jeunes on ne pourra plus s’occuper des autres. Effectivement, la directrice confirme que Sébastien n’est pas facile à gérer. Pendant la réunion matinale je fais donc, plus particulièrement, attention à Sébastien, notre autiste “de haut niveau”. A la fin de la réunion, lorsque l’éducateur demande si quelqu’un veut prendre la parole, Sébastien lève la main. Sébastien nous raconte d’abord l’histoire d’une vieille dame, une amie a lui, pour nous dire à la fin de sa petite histoire que cette dame n’existe pas et est un personnage de son imagination. Ensuite il se lève et dit très fort : “Tous les examens sont annulés !” Tous les soignants et moi-même le regardons sans doute de façon étrange, il éclate alors de rire en disant : “ le Professeur Minerva McGonagall, dans Harry Potter et la chambre des secrets !» Sébastien joue constamment des personnages de film dont il connaît les dialogues et les répliques par coeur. Plan de la séance : Déroulement de la séance : Participants atelier 1 : Maxime, Aurélien, Gabriel, Serge, Deborah, Kammel - Intervenants : A. (éducatrice), Yann, Martina Rituel de Bienvenue : Petite nouveauté dans notre rituel. Je demande aux participants de dire ou de chanter «bonjour», selon son humeur du jour. Au lieu de dire « bonjour » Gabriel dira : « La vie est vraiment trop dure pour moi ». Echauffement vocal : Lors de l’échauffement, nous notons que Deborah à l’air vraiment fatiguée. Kammel, par contre est tout guilleret. En effet, il est follement amoureux de Deborah. On lit souvent que les autistes ne voient pas les autres, pourtant il est évident que Kammel voit Deborah, ne cesse de la regarder et essaye d’attirer son attention. Je vois aussi que Deborah, malgré son regard toujours baissé, réagit au manège de Kammel par de 63 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes petits sourires en coin, même en gardant la tête constamment baissée. Gabriel quitte brusquement la pièce après quelques vocalises, Yann sort aussi pour voir ce qui se passe. Chants : En attendant le retour de Yann nous décidons de reprendre « Ani Couni » Aux questions habituelles : « Qui s’en souvient ? Qui voudrait chanter tout seul ? ». Maxime fait un petit signe et chante sans problèmes. Les phrases écholaliques sont de moins en moins nombreuses et je me demande si ses progrès sont les mêmes au cours d’autres activités. Kammel veut chanter, à son tour. Il semble très clair qu’il veut surtout impressionner Deborah et il rajoute de jolies petites ornementations dans un style arabisant à son chant. C’est une excellente idée, car pour un autiste il est très important de faire la différence entre soi et le groupe, aussi nous félicitons Kammel pour ses ornementations en disant : « Bravo Kammel, ton chant est bien arrangé et on reconnaît bien ton style ! » Serge, lui, chante le tout à toute vitesse et je lui demande de recommencer moins vite. Je décide d’insister car Serge est d’excellente humeur aujourd’hui. Ce matin, en me serrant la main il m’a dit qu’il était : « Co-Coolpeinard ». Aurélien, pour la toute première fois essaye de chanter une phrase, c’est haché, pas tout à fait compréhensible, mais on y retrouve la phrase : « Awawa, Bikana a-i-wa”. A. et moi le félicitons. Après, je demande au groupe de se lever, mais Serge ne veut pas venir, il reste collé à la porte. Si je fais un tout petit pas vers lui, il se met dans l’angle du mur et de la porte comme pour y disparaître. Je dis : “OK, je n’insiste pas, mais es-tu d’accord pour venir à la prochaine chanson ?” Il répond :”OK, Martina”. Après « Ani Couni » on demande à Serge qu’elle chanson il voudrait chanter et il choisit “Patou Pata”. Je dis : “ D’accord, mais tu viens dans le groupe, tu l’avais promis”. Il quitte sa porte et s’avance vers nous de quelques mètres, il fait ainsi presque partie du groupe. Yann, qui vient de nous rejoindre, sans Gabriel, va le remercier chaleureusement de cet effort. Pour terminer on écoute une nouvelle chanson que j’ai amenée : “Jambo, jambo Bwana”105. Elle a un rythme africain très entraînant et on peut la chanter très facilement à trois voix. Cette chanson pourrait, enfin, me permettre d’introduire une polyphonie. Rituel “Au revoir” pour Kammel et Serge qui me tend la main en me disant “Merci beaucoup, Martina” (Serge et Maxime sont les seuls à m’appeler par mon prénom). Participants atelier 2 : Maxime, Jimmy, Gabriel, Deborah, Ben - Intervenants : Martina, Yann 105 Voir infra annexes en page XXI. 64 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Après le rituel, Gabriel refait son apparition dans la salle et vient s’asseoir sur une chaise libre, juste à côté de moi. Yann dit : “ Gabriel est à nouveau parmi nous”. Cela me fait soudain penser à ma voisine qui chante souvent “Michael est de retour, Alléluia” quand elle voit mon fils. Je chante à pleine voix « Gabriel est de retour, Alléluia » et demande “vous ne connaissez pas cette chanson ? Vous pouvez quand même chanter “Alléluia” avec moi ? “ On recommence et tous chantent “Alléluia”. Ensuite je propose que tous chantent la phrase « Gabriel est de retour” et qu’une seule personne réponde “Alléluia”. Je leur explique que la personne qui chante seule se nomme : “soliste”. Au moment de chanter “Alléluia” je tends un micro imaginaire vers un participant au hasard qui doit chanter. Cela marche bien, sauf pour Jimmy qui ne chante pas encore. Ben, lui, va bien réussir. Après ce chant Yann se lève, prend sa guitare et propose d’improviser sur les prénoms. Ben, pour qui cet exercice est particulièrement difficile, se lance sans hésiter et Deborah chante un peu plus fort que d’habitude. Pour Maxime et Gabriel cet exercice ne pose plus aucun problème. Jimmy fait pour la première fois une petite vocalise au bon moment. On termine cette séance par la chanson des « Piroguiers ». Je reviens avec ma nouveauté du jour : l’alternance soliste - choeur. Le soliste chante : “O-lé-lé-lé” Les choeurs répondent : “O la-la-la”. Après on essaye de se remémorer les paroles des couplets : Maxime, Gabriel et Deborah s’en souviennent bien. On chante debout en dansant. Tout le monde à l’air content ! Vécu : Cette séance était très positive. Aurélien a chanté une phrase pour la première fois et vu comment il se comportait lors des premières séances c’est un grand pas en avant. Jimmy fait de petits sons. J’ai aussi réussi à faire sourire Gabriel alors que cette matinée ne commençait pas bien. Je suis contente aussi d’avoir pu faire l’alternance soli-tutti. Le « merci beaucoup Martina » de Serge m’a touché ! SEANCE N°12.- 28 mars 2007 En préparant la salle avec Yann nous reparlons de la séance du 21 mars dernier. Yann trouve que la chanson “Michael est de retour” était trop infantile et qu’il pensait qu’elle ne plairait pas à Gabriel. Néanmoins, il trouve que je l’ai présentée de telle façon que tout le groupe a pu participer. Gabriel, contrairement à son attente, était finalement très content. Il a parlé à nouveau à Dominique Dufour après notre réunion du 21 mars 07, en lui disant qu’il ne voulait pas avoir Gabriel et Sébastien dans le même groupe. Il pense que ce n’est pas possible et veut les faire participer séparément. Comme je ne connais pas encore Sébastien et que je n’ai jamais vu Gabriel et Sébastien ensemble, j’acquiesce. Au cours de la réunion matinale, Aurélien vient vers moi, me regarde avec insistance 65 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes et dit très clairement : « Chant » qu’il fait suivre d’une petite vocalise. Les éducateurs présents sont très étonnés et moi je n’en crois même pas mes oreilles ! Aurélien le répète plusieurs fois en articulant avec beaucoup d’application « chant ». Thibault vient s’asseoir à côté de moi et me fait comprendre qu’il a peur et qu’il faut que je le protège. Je lui demande de qui il a peur et il me montre Gabriel. Gabriel est tout excité aujourd’hui. L’ambiance électrique que je perçois vient d’un incident qui s’est produit la veille. Alain, qui est vraiment très impressionnant par sa taille, a piqué une colère terrible. Il a arraché les prises électriques et les systèmes d’alarme. Il a aussi déchiré les posters de la salle de musique et, en plus, il a été très violent avec plusieurs éducateurs. Tout cela a fortement impressionné les autistes. Je pense que seul Gabriel a du trouver que, pour une fois, l’ambiance était sympathique. Déroulement de la séance : Participants atelier 1 : Maxime, Aurélien, Gabriel, Serge, Deborah, Kammel - Intervenants : A. (éducatrice), Yann, Martina Serge est très angoissé aujourd’hui, ce n’est pas une journée “Co-Cool-Peinard” et il nous demande de fermer la porte à clef. On lui demande pourquoi et il nous répond qu’il a peur de Gabriel. Il ne veut pas prendre place sur une chaise, mais décide de rester collé à la porte (qui est fermée à clef, à présent). Je déplace une chaise le plus possible vers la porte et lui dis qu’il pourra venir s’asseoir là lorsqu’il se sentira en sécurité. Aujourd’hui il se roulera aussi souvent par terre et donnera des tapes dans les placards. Deborah se balance plus fort que d’habitude avec beaucoup de stéréotypies des mains. Yann va vers elle, lui prend les deux mains dans les siennes et dit gentiment : “Reste avec nous, Deborah” Rituel de Bienvenue : Maxime vocalise sur “Bonjour”. Il est très intéressant de noter que ses vocalises ont une étendue beaucoup plus importante à présent. Il monte bien plus vers l’aigu. Après un joli “bonjour” (pas encore chanté, par contre) Aurélien tend les “chimes” à Kammel. Celui-ci refuse de les prendre et va se réfugier sur l’appui de fenêtre qui est assez large pour s’asseoir. Yann se lève et insiste pour qu’il prenne l’instrument. Finalement, Kammel le prend et dit bonjour. Je réponds “Salaam”. Du coup il reprend “Salaam” en chantant et en improvisant joyeusement. On insiste afin que Deborah dise bonjour un peu plus fort. Serge ne prend pas les chimes non plus, il ne semble vraiment pas bien. Aurélien dit à plusieurs reprises : “chant” en me regardant avec beaucoup d’insistance afin de voir ma réaction. Je dis que vraiment c’est très, très bien, mais que d’abord il faut se lever et faire les “échauffements” 66 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Echauffement vocal : Tout le monde participe activement à l’échauffement à présent. En insistant un peu Deborah finit par se lever. Généralement elle participe à un seul exercice et dès que nous ne la regardons plus elle retourne se balancer sur sa chaise. Maxime sourit et a l’air particulièrement content. A la question : “tu te sens bien aujourd’hui ?”, il répond : “Ba, ouaich, je me sens bien aujourd’hui”. Voilà une réponse claire sans les phrases habituelles d’écholalie. Chants : Nous commençons aujourd’hui par « Banuwa » et Kammel veut chanter seul. Il nous fait une merveilleuse et très impressionnante version de ce chant en sautant en l’air sur place et en rythme, comme s’il était monté sur ressorts. Yann et moi l’imitons et finalement Maxime et Aurélien se lèvent aussi pour chanter cette chanson comme Kammel. Deborah tient son regard baissé, quoique dès fois elle lève un peu les yeux et nous fait sa grimace de “j’te jure, c’est n’importe quoi !” Nous avons aussi chanté « Patou, Pata », « Ani Couni ». Il n’y a rien de bien particulier, sinon une très bonne participation de chacun. Aurélien chante la même phrase que la semaine dernière, avec un peu plus d’assurance. Nous terminons par la chanson « Jambo, Jambo Bwana ». Yann la trouvait difficile mais nous essayons phrase par phrase et, finalement, elle plaît à tous. La prochaine fois je pourrai proposer une deuxième voix. Participants atelier 2 : Maxime, Jimmy, Sébastien, Deborah, Ben - Intervenants : A. (éducatrice), Martina, Yann. Yann arrivera bien après le début de la séance, certains jeunes se sont souillés et il faut les changer. Dans la salle il n’y a donc qu’Anne-Sophie, Ben, Deborah, Sébastien et moi. On ne peut pas vraiment commencer dans les règles de l’art en posant, bien consciencieusement, le cadre et cela m’ennui bien, car Sébastien participe à l’atelier pour la première fois. A, l’éducatrice, me dit que Sébastien connaît la chanson “NewYork – Kaboul” de Renaud. Elle sort un texte d’une chemise qui se trouve sur la table et ils me chantent cette chanson. Sébastien a une voix très étrange, il essaye constamment d’imiter quelqu’un d’autre comme s’il n’avait pas de voix à lui. Après, comme les autres participants ne sont toujours pas là, je sors une partition de « Banuwa ». J’explique à Sébastien comment on lit une partition : la hauteur et la durée des notes, le texte. Sébastien semble très intéressé106. On chante « Banuwa » ensemble. Sébastien est totalement perdu, j’ai l’impression qu’il ne sait pas qui imiter et que cela le perturbe beaucoup. Du coup, il 106 Par contre, il n’emportera pas les partitions avec lui après la séance. 67 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes essaye toutes sortes de voix en me regardant avec insistance. Il a un regard extrêmement troublant qui me met mal à l’aise et je me demande si les autres éducateurs le ressentent aussi. Les autres participants sont enfin arrivés. Je dis à Yann que nous n’avons pas fait les échauffements et lui demande s’il ne pourrait pas nous accompagner à la guitare afin que l’on improvise sur les prénoms. Yann est d’accord et dans un premier temps nous faisons la version habituelle. Après je propose que la personne dont un chante le nom se lève et se mette au milieu des autres. Les autres vont chanter pour elle. Je pense là, à nouveau, à différencier la personne du groupe et à noter comment cette personne autiste réagit au groupe. Tous sont d’accord pour le faire, même Deborah, qui contre toute attente, se lève et se place au milieu de la salle pendant qu’on chante “Deborah” sur toutes sortes de vocalises. Sébastien a vraiment l’air d’apprécier, son expression est détendue et sincère. J’ai l’impression qu’il ne joue plus un personnage. Quand arrive le tour de Jimmy, celui-ci se met au milieu du cercle comme s’il avait parfaitement compris la consigne, il a l’air très heureux quand tout le monde chante “Jimmy, Jimmy, Jimmy » et fait de petits mouvements d’épaules en rythme pour nous monter qu’il apprécie. Il pousse aussi de tout petits cris. Après cet exercice nous demandons à chacun d’exprimer un ressenti. Sébastien dit qu’il a beaucoup aimé cet exercice. Certains jeunes nous demandent ensuite de chanter « Piroguiers » et « Patou Pata ». Je dis : “Si on formait un grand cercle pour chanter ces chants”. Immédiatement Jimmy se lève prend une place à côté de moi et tend ses deux mains vers ses voisins. C’est vraiment la toute première fois qu’il nous montre qu’il veut vraiment participer. On chante en dansant. Ben nous montré un petit pas de danse et on décide de l’imiter. Pour une fois, c’est nous qui pratiquons l’echopraxie. Je ne sais pas si Ben est sensible à cela mais tout le monde est de bonne humeur. Fin de la séance. Vécu : Je suis sortie de l’Hôpital et je me suis assise sur un banc public en face de la mairie du XVième. Je me sentais tout à coup comme un puzzle dont les pièces tombent par terre, ne sachant plus ce que je voulais faire. Il y avait beaucoup de tensions ce matin et ce n’était vraiment pas facile à gérer. La première séance de Sébastien, quoique chaotique, ne s’est pas trop mal passée. Tous mes patients sont en progrès. Je vais m’offrir un repas au restaurant japonais et noter le déroulement des séances d’aujourd’hui. Les vacances de Pâques approchent et je vais pouvoir relire toutes mes notes pour envisager comment améliorer ces séances. Je voudrais passer à un échauffement vocal du type « responsoriel »107, créer de petits pictogrammes avec une 107 Dans son ouvrage de 1964, Joseph Moreno, décrit ses premières utilisations de la musique dans le cadre du psychodrame, dans les années trente et quarante. À cette époque, la musicothérapie était encore balbutiante aux États-Unis, où elle se développa vraiment dans les années cinquante. Joseph Moreno utilisait le terme de « psychomusic » pour parler de ces applications particulières. Il militait pour ouvrir l’expérience musicale à tous, à partir du corps, de la voix. Dans le cadre du psychodrame il proposait un « échauffement musical ». Le directeur chantait de courts fragments mélodiques pour le groupe, qu’il accompagnait de mouvements 68 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes image et le titre de chaque chant, afin de les fixer sur un tableau à l’aide de velcros. Et puis il faut que je reparle à Yann de l’utilisation du miro et de la marionnette. On pourrait aussi enregistrer une séance pour voir la réaction des patients. Faudrait aussi organiser un petit concert, le jour de la fête de la musique, je demanderai à quelques amis qui connaissent les chants de venir chanter avec nous. Et puis………. rythmiques. Il s’agissait de stimuler le groupe et de l’amener à une production vocale de type responsoriale. Le moment venu, J.L. Moreno demandait à un participant de proposer une situation à jouer. Le reste du groupe était encouragé à intervenir vocalement en écho, comme le chœur antique. 69 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes IV. -3/ Analyse de ma pratique J’ai commencé mes séances en les calquant sur celles de Yann Bouffort, qui lui-même était parti d’une idée pleine de bons sens : emprunter les différents lecteurs MP3 aux patients afin de noter les musiques qu’ils écoutent et qu’ils aiment. Avec le recul je me dis que le fait de ne pas avoir eu d’informations concernant les patients, lors de premières séances, était une bonne chose. Je respectais ainsi vraiment la consigne de Juliette Alvin : « s’attendre à tout et n’importe quoi »108 J’ai essayé de rester totalement authentique et naturelle afin de ne pas fausser les relations, cela me semble très important pour un thérapeute. A deux reprises je me suis laissé influencer par des éducateurs lors de l’arrivée de nouveaux patients. (e.g. Tu vas travailler avec Jimmy, attention, il pince et tape, Sébastien va venir à l’atelier, il peut être très violent…) et je le regrette, car il me semble que la rencontre a été moins spontanée. Par contre, j’aurais souhaité avoir une entrevue avec le psychologue de l’IME avant le 31 janvier 2007, peut-être après deux ou trois séances, afin de mieux cibler mes interventions en fonction des besoins précis de chaque patient. J’ai l’impression d’avoir perdu un peu de temps. Il me semble que je n’ai pas assez insisté sur le cadre de mes séances. Le fait qu’il y ait deux ateliers et que certains patients participent aux deux me pose un problème. Je sais que je dois être plus stricte sur ce point. J’ai décidé d’expliquer plus clairement ma fonction et le but de la musicothérapie aux patients. Au fil de mes séances je ressens, de plus en plus, que dans leur tête il se passe beaucoup plus que ce que laisse croire leur l’apparence. Je pense qu’ils sont tout à fait capables de comprendre les buts de la musicothérapie. Une des question importantes et difficile reste pour moi : comment trouver des chansons simples,qui puissent améliorer le langage, ou donner des tous premiers éléments de langage à des patients qui n’en n’ont aucun, tout en intéressant des jeunes qui n’ont souvent que pour seule référence la « Starac » ? J’essaye donc de faire un savant mélange, bien dosé, de comptines enfantines, de chansons étrangères aux paroles simples et de chansons que mes jeunes patients entendent à la radio. J’essaye aussi de trouver des chants qui laissent une place importante à l’improvisation. Hors séance il me faut absolument prendre tout le recul nécessaire afin d’analyser ce qui s’est passé pendant les séances. Cela m’est difficile, étant donné, qu’il y a deux groupes. 108 Juliette Alvain &Auriel Warwick, Music therapy for the autistic child, Oxford University press 1991 70 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes Récemment j’ai repris le livre de Rolando Benenzon109 expliquant qu’il y a quinze étapes pour une séance de musicothérapie : • 1. Etre présent dans le lieu de travail vingt minutes avant le début de la séance • 2. Relire les protocoles de la séance précédente • 3. Systématiser le setting • 4. Aller aux toilettes • 5. Compléter les protocoles I et II • 6. Echauffer son corps, observer, essayer les instruments. • 7. Respirer profondément au moins trois fois. • 8. Accueillir le patient • 9. Réaliser la séance • 10. Quitter le patient • 11. Observer et marcher au travers du setting • 12. Compléter les protocoles III et IV • 13. Réparer, nettoyer et ranger les instruments • 14. Archiver les protocoles • 15 Superviser C’est avec un étonnement amusé que je constatais suivre presque toutes les étapes, en changeant néanmoins un peu l’ordre. Effectivement, j’arrive tôt et les quatre vingt dix minutes de transports en commun me laissent largement le temps pour relire attentivement les notes des séances précédentes et pour écouter les chants et musiques. Juste avant de monter à l’IME je fais un petit exercice de méditation (pour moi cela correspond à l’étape 7). Le fait de mettre mes lentilles de contact et de les enlever après les séances m’oblige à me regarder dans un miroir. Ainsi, je renforce mon identité avant les séances et la récupère après. C’est pour moi une étape d’une grande importance. Avec Yann nous effectuons ensuite les étapes 6, 8, 9 10, 11 et 13 du programme. Ensuite je prends beaucoup de notes (étapes 12 et 14) en attachant beaucoup d’importance aux détails (il me semble qu’avec les autistes tout est dans le détail !). En prenant mes notes, je repense toujours à la toute première phrase du livre de J.M. Guitaud Caladou110 : « Qui êtes-vous ? Que faites vous ? A quoi çà sert ? » L’étape qui me manque vraiment est la supervision. Cette supervision me semble de 109 BENEZON Rolando Omar, La musicothérapie – la part oubliée de la personnalité De Boeck & Larcier s.a., 2004 – page 67 110 GUIRAUD-CALADOU, Jean Marie, Musicothérapie, paroles et maux – réflexions critiques, ED Vandevelde 1983, Page 5 71 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes plus en plus indispensable et je m’en occuperai dès la rédaction de ce mémoire terminé. V - CONCLUSION Ma conclusion pourrait s’intituler « Doutes et Questionnements ». Je sens bien que tous mes patients sont en progrès. L’équipe soignante en fait d’ailleurs le constat et la place de la musicothérapie dans le programme de soin global de l’IME est à présent acquise. Néanmoins, je ne pourrais pas vous dire pourquoi ils progressent, où quels éléments en particulier font avancer mes jeunes patients. C’est peut-être un tout, un ensemble de choses… Pour moi « Doutes et Questionnements » n’est pas du tout négatif. Que serait le travail d’un thérapeute s’il n’y avait plus d’imprévu, plus rien à chercher, plus rien à apprendre ? Dans mon introduction je disais être aux anges en prenant l’ascenseur jusqu’au troisième étage, je le suis toujours. Le travail avec les jeunes autistes de l’IME me passionne vraiment et chaque mercredi je suis heureuse de vivre de nouvelles aventures parmi eux. Je pensais terminer mes études par ce mémoire et, en fait, il me semble que le travail ne fait que commencer. Il y a tant de choses que je souhaite approfondir, tant de choses concernant les autistes à étudier. Howard Buten à pris pour titre d’un de ses ouvrages : « Il y a quelqu’un là-dedans ». La question reste : « Qui ? » Je terminerai ce mémoire par une petite anecdote : Lors de la description des patients de l’IME je vous parlais de Serge, qui me tendait la main, de janvier à avril, en me disant, au prix d’un gros effort : « Bonne Année ». Il y a quinze jours, Serge était de très bonne humeur, une journée « Co-Cool-Peinard » comme il dit. Serge m’avait déjà dit bonjour, mais il me retend une seconde fois la main et me dit « Martina, Bonne année ! », puis il pouffe de rire, mettant sa main devant la bouche, et rajoute : « C’est fini depuis longtemps… ». Depuis quand savait-il que c’était fini ? 72 Martina Cuvereau Niernhaussen – mémoire "Miroir et passerelle" – Atelier chant avec de jeunes autistes BIBLIOGRAPHIE ALVIN Juliette and WARWICK Auriel, Music therapy for the autistic child, Oxford University press 1991 ANZIEU Didier, Le Moi-Peau - Editions DUNOD 1995 ASPERGER Hans (1944), Die 'Autistischen Psychopathen' im Kindesalter, Archiv fur Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 117, pp.76-136. ATTWOOD Tony, Le Syndrome d'Asperger et l'autisme de haut niveau - Editions Dunod, 2003 BARRAQUE Philippe, La thérapie Vocale, se soigner par la voix - Editions Jouvence, 2001 BARRAQUE Philippe, La Voix qui guérit, Éditions Jouvence, 1999. BENEZON Rolando Omar, La musicothérapie – la part oubliée de la personnalité De Boeck & Larcier s.a., 2004 BENENZON Rolando Omar, Manuel de Musicothérapie, Ed. Privat 1981 BLEULER Eugen (1911), Dementia praecox oder Gruppe der schizophenien, Leipzig Vienne, trad. fr. 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