Master 2 Recherche Sciences du Langage Spécialité Langage

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Master 2 Recherche Sciences du Langage Spécialité Langage
Master 2 Recherche Sciences du Langage
Spécialité
Langage, Langues, parole : Théories et Pratiques
Parcours Général
Mémoire réalisé sous la direction de
Michelle AUZANNEAU
Professeure d’université, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle
Présenté par
Doris COLORADO LÓPEZ1 - 21206378
Futurs enseignants de FLE étudiant à l’étranger : Effets du séjour
linguistique et culturel et enjeux identitaires analysés à la lumière
de leur récit de vie
Soutenance en juillet 2014
Composition du jury :
Christine DEPREZ
Linguiste, Professeure d’université, Université Paris
Descartes.
1
Beneficiaria COLFUTURO 2012
2
RÉSUMÉ
Nombre d’enseignants de langues étrangères partent étudier dans le(s) pays où on
parle la langue qu’ils enseignent, ce qui constitue une expérience bouleversante.
Intégrer une culture différente et se socialiser par le biais d’une langue étrangère
modifie à la fois notre façon d’appréhender la réalité et le regard que l’on a sur soi,
comme sur autrui. Un séjour linguistique et culturel à l’étranger aurait donc des effets
sur les constructions identitaires des (futur(e)s) enseignant(e)s. L’identité, considérée
d’un point de vue dynamique, évolue et se construit dans l’interaction, un
phénomène qui se produit dans le pays d’accueil et grâce au langage. Je présenterai
une recherche qualitative dans le cadre de laquelle j’ai analysé les effets d’un séjour
linguistique et culturel à l’étranger, m’intéressant de manière particulière aux aspects
identitaires, mis en discours dans le récit de vie de 9 (futur(e)s) enseignant(e)s de
FLE.
Mots clés : futurs enseignants de FLE, récit de vie, identité
ABSTRACT
Many foreign language teachers go to study in the country where the language they
teach is spoken, which is an overwhelming experience. Integrating a different culture
and socializing through a foreign language modifies both the way we perceive reality
and the way we perceive ourselves and the others. Being in contact with another
language and another culture abroad would affect the identity constructions of future
teachers. Identity, considered from a dynamic point of view, evolves and is built
through interaction, a phenomenon that occurs in the host country and where
language plays an important role. I will present a qualitative research that I
conducted in order to analyze the effects of living abroad, concentrating mainly on
the identity aspects in the narratives of 9 future Colombian French teachers.
Key words: future French teachers, narratives, identity
3
REMERCIEMENTS
Je remercie en premier lieu Mme. AUZANNEAU, ma directrice de recherche, pour
l’aide et le temps qu’elle m’a consacrés.
J’aimerais également remercier tous les étudiants colombiens, (futurs) professeurs
de FLE, qui ont accepté de partager avec moi leur parcours et leurs expériences
pendant leur séjour en France.
Une pensée chaleureuse à Gabriela Matamoros pour ses conseils et son écoute
précieuse.
4
TABLE DE MATIÈRES
INTRODUCTION …………………………………………………………………………… 6
1. Problématique …………………………………………………………………………… 8
2. Approche théorique …………………………………………………………………… 10
2.1. L’identité …………………………………………………………………………… 11
2.2. Étudier à l’étranger : Quels effets ? ..………………………….………………... 14
a. Des effets sur l’identité ..……………..……………………….……………….. 14
b. Des effets sur l’imaginaire linguistique ..………………………….…………. 15
c. Des effets sur la compétence de communication ……….………..………… 16
d. Des effets sur les stratégies d’apprentissage ……….………..…………….. 16
2.3. Récits de vie ou biographies langagières ? ……….………..…………………. 18
2.4. Reconstruction et co-construction de l’identité dans l’entretien interactif ……20
2.5. L’énonciation au cœur de l’interaction ……….………..……………………….. 22
2.6. La réflexivité dans l’apprentissage et l’enseignement des langues …………. 24
3. Approche méthodologique ………………………………………………………….... 26
3.1. Techniques d’enquête …………………………………………………………… 27
3.2. Difficultés ………………………………………………………………………….. 29
3.3. Participants : caractéristiques, recrutement et passation des entretiens …... 30
3.4. Corpus recueilli ………………………………………………………………….... 31
3.4.1. Tableau récapitulatif des entretiens ……............................................... 36
3.5. Transcriptions …………………………………………………………………...... 37
3.6. Méthodologie et perspectives d’analyse ……………………………………..… 38
4. Résultats et discussions …………………………………………………………....… 41
4.1. Des motivations partagées pour les langues étrangères …………………….. 42
4.2. Imaginaire Linguistique à propos des langues parlées ………………………. 43
a. Le français : une belle langue ……………………………………………….. 43
b. L’espagnol : la langue de leurs racines et de leur identité ……………….. 44
c. L’anglais : la langue véhiculaire dans le monde ……………………..……. 47
4.3. Images idéalisées de la France et des Français ……………………………… 47
a. La France : « un conte de fées » ou « le paradis » ..……………………… 47
b. Les Français : des gens cultivés, romantiques et classe ………………… 48
4.4. Partir à l’étranger : un besoin …………………………………………………… 48
4.5. Arrivée en France : prise de conscience de l’interculturalité ………………… 50
5
4.6. Des difficultés et des épreuves à traverser ………………………..………...... 51
4.7. Améliorer ses compétences : le développement des stratégies in situ …….. 52
4.8. Des réseaux sociaux en France ………………………………………………... 54
4.9. Séjour à l’étranger : opportunité pour renforcer la compétence plurilingue et
pluriculturelle ………………………………………………………………………. 55
4.9.1. L’accent étranger comme cause de l’insécurité linguistique …….…….. 56
4.10. Quelles transformations identitaires ? ………………………………………… 60
a. Ouverture d’esprit sur la diversité dans le monde ..……………………… 61
b. Disparition ou modification de stéréotypes ………………………………. 64
c. Appropriation de modèles culturels et traits de caractère de la société
française ...........................................……………………………………... 66
d. Renforcement du sentiment de fierté et patriotisme .……………………. 69
e. « Je continue à être le même » ……………………………………………. 73
4.11. Perspectives d’avenir …………………………………………………………… 74
5. Synthèse des résultats ……………………………………………………………….. 76
5.1 L’étudiant comme héros ……………………………………………………..…... 78
5.2 Le départ à l’étranger = un manque ressenti, un rêve, une quête du héros... 78
5.3 La langue comme épreuve ……………………………..…………………….…. 79
5.4 Le héros accomplit des tâches difficiles …………..…………………………… 80
5.5 La transfiguration du héros ………………………..…………………………….. 80
5.5.1 Facteurs ayant contribué à la transformation ………………………….... 81
6. Conclusion ……………………………………………………………………………... 84
7. Références bibliographiques ……………………………………………………….... 88
ANNEXES …………………………………………………………………………………. 97
Annexe 1. Guide d’entretien …………………………………………………………..… 97
Annexe 2. Fiche métadonnées ………………………………………………………….. 99
Annexe 3. Formulaire de consentement éclairé ……………………………………... 100
Annexe 4. Conventions de transcription …………………………………………….... 101
Annexe 5. Transcriptions des entretiens …………..……………………………….… 102
6
INTRODUCTION
En tant qu’enseignante de FLE en Colombie, je me suis toujours intéressée au
parcours de formation des enseignants de langues étrangères et comment ce
parcours façonne leurs identités. Cela m’a conduit à me demander quels seraient les
effets d’un séjour linguistique et culturel, notamment sur les constructions identitaires
des
enseignants
de
FLE
colombiens.
Cette
recherche
porte
un
intérêt
sociolinguistique et didactique à la fois. Sociolinguistique car les enseignants se
trouvent dans le milieu où la langue a une vie propre et doivent interagir
constamment avec des locuteurs natifs, et vivre dans une société francophone
organisée dans et par le langage. Il y a une visée didactique également parce que
les enseignants de FLE non natifs seront amenés à réorganiser leurs connaissances,
à apprendre autrement en milieu homoglotte afin de parfaire la maîtrise de la langue
étrangère qui constitue leur métier. Ces enseignants ont tous fait une Licence en
Colombie, ce qui les a préparés pour devenir des enseignants de FLE. Cependant,
ce n’est pas pareil de prendre des cours de langues au sein de la Licence, puis
d’enseigner cette langue dans leur pays, que d’apprendre en immersion dans le
milieu où la langue est parlée.
Les hypothèses de départ portent d’abord sur l’idée que le séjour à l’étranger aurait
des effets sur les identités des futurs enseignants de FLE. Les identités sont
considérées comme plurielles et dynamiques, d’un point de vue constructiviste.
Plusieurs questions se posent concernant le parcours de formation de ces
enseignants : motivations pour les langues, motivations pour partir à l’étranger,
difficultés, épreuves, stratégies, constructions identitaires. Ce mémoire tend ainsi à
démontrer que partir étudier à l’étranger est une expérience qui oblige les
apprenants à adopter des stratégies d’apprentissage différentes afin de renforcer
leur compétence de communication. Cette expérience modifie également l’image
qu’on se fait de soi-même et celle qu’on pense avoir face aux autres. La pertinence
de cette problématique s'est d'ailleurs confirmée au cours des travaux préparatoires
de la présente étude où j’ai constaté que peu de recherches avaient été conduites
auprès d’enseignants de FLE faisant des études à l’étranger.
7
La bibliographie consacrée à la matière orientait la méthodologie vers l'exploitation
des récits de vie recueillis en entretien. Pour répondre aux questions posées j’ai mis
en place un guide d’entretien qui m’a permis de recueillir les récits de vie de 9
enseignants de FLE colombiens faisant des études de master en France.
Le présent travail est articulé en cinq parties. Je présenterai d’abord la problématique
sur laquelle l’étude est fondée. L’approche théorique fera l’objet d’une deuxième
partie, j’y présenterai des notions-clés, à savoir celle d’identité, biographie
langagière, récit de vie, l’entretien comme événement interactionnel, l’importance de
la réflexivité dans le métier d’enseignant de langues. Suivra une description de
l’approche méthodologique concernant la technique de l’entretien et les difficultés,
accompagnée d’une description détaillée du corpus recueilli. J’aborderai par la suite
les résultats, y seront présentées différentes catégories concernant le parcours des
étudiants étrangers à partir du moment où ils ont décidé d’étudier des langues
étrangères, passant par leur séjour en France, et finissant par leurs perspectives
d’avenir. La dernière partie de ce mémoire sera consacrée à une synthèse des
résultats, une attention particulière sera accordée aux facteurs qui ont contribué aux
transformations identitaires des participants.
8
1. Problématique
Quitter son pays natal pour aller s’installer dans un pays où on parle une autre
langue, que ce soit pour poursuivre des études ou pour travailler, constitue une
expérience bouleversante. Si on part de l’idée que chaque culture est organisée par
et à travers le langage, le fait d’intégrer une culture différente et de socialiser en
utilisant une langue étrangère va modifier les manières d’apprendre la langue
puisqu’on n’est plus dans un contexte alloglotte, ainsi que les manières
d’appréhender la réalité, ce qui aura des effets sur le regard sur soi et les autres.
Autrement dit, un séjour linguistique et culturel aurait des effets sur l’identité des
locuteurs puisqu’elle est dynamique, évolue et se construit dans l’interaction,
interaction qui se déroule grâce au langage.
Peu d’études documentées se concentrent sur l’impact que le séjour
linguistique et culturel dans le pays de la langue cible peut avoir sur les constructions
identitaires des locuteurs et la façon dont ils perçoivent et donnent à voir leurs
identités. Cependant, certains travaux se penchant principalement sur les trajectoires
d’apprentissage, l’influence des mobilités géographiques sur la recomposition du
répertoire verbal et les rapports que des étudiants dans un pays étranger
entretiennent avec la langue et la culture étrangère, ont montré que l’expérience
d’apprentissage dans un contexte homoglotte (territoire francophone ou autre)
entraînerait des effets sur les constructions identitaires des apprenants.
Les travaux menés dans le domaine de la sociolinguistique, l’analyse du
discours et la didactique de langues se sont intéressés à l’histoire langagière des
individus afin d’analyser des enjeux identitaires, leur répertoire langagier, et la
construction de leur compétence plurilingue et pluriculturelle. Certaines de ces
études visant particulièrement les étudiants étrangers, constituent des apports pour
la réflexion sur l’« évolution de leur identité au contact de la culture étrangère
rencontrée en pays d’accueil » suite à cette expérience de migration qui a pu
entraîner « la perte de repères identitaires » (Galligani 2000 : 23). Autrement dit,
l’étudiant venu d’ailleurs est amené à remanier et ajuster sa/ses identité(s) au
contact de la culture étrangère. En ce sens, ce travail me permettra de mener une
9
réflexion sociolinguistique qui peut présenter intérêt d’ordre didactique car elle
touchera des aspects liés à l’apprentissage du français langue étrangère en contexte
homoglotte.
La France est un pays qui accueille chaque année de nombreux étudiants
étrangers provenant de tous les continents et de tous les domaines de
connaissances. Parmi ces étudiants, on trouve les
colombiens ayant fait une
Licence en Didactique du Français Langue Étrangère (désormais FLE) qui viennent
poursuivre leurs études de Master soit en FLE ou en Sciences du Langage afin de
perfectionner leurs connaissances et devenir des professeurs de FLE, certains ont
déjà débuté dans l’enseignement. L’objectif de mon étude est donc d’analyser le
discours de ces étudiants concernant les effets du séjour linguistique et culturel en
France sur l’identité conçue comme le résultat de l’histoire conversationnelle des
locuteurs (socialisation, réseaux, etc.) et de la dynamique de l’interaction que
constitue l’entretien. A partir de leur discours, je m’intéresse plus spécifiquement à la
manière dont l’apprentissage du français, d’abord en Colombie (contexte alloglotte)
et puis en France (contexte homoglotte) a pu modifier d’une part leur imaginaire
linguistique (Houdebine 1979), leurs stéréotypes sur le pays d’accueil et sur les
Français et leurs effets sur l’appropriation de la langue et de la culture francophones,
d’autre part leurs représentations identitaires et leur regard sur soi. Mon travail me
permettra également de répertorier différents aspects des stratégies adoptées en
contexte francophone afin de parfaire leurs connaissances et de surmonter les
difficultés au niveau linguistique ainsi qu’au niveau culturel. J’entends par stratégies
d’apprentissage « l’ensemble d’opérations mises en œuvre par les apprenants pour
acquérir, intégrer et réutiliser la langue cible » (Cyr 1998 : 5). Les stratégies
d’apprentissage, sont, selon Oxford (1990 : 1, ma traduction) « des outils pour une
implication active et autonome, essentielle pour le développement de la compétence
communicative ». Je m’intéresserai donc à leurs usages de la langue déclarés, à
leurs motivations, aux difficultés qu’ils ont rencontrées au niveau linguistique ainsi
qu’au niveau culturel durant leurs interactions avec des francophones, d’où la
pertinence didactique de cette recherche. Au même temps, étant donné que les
étudiants participant à cette étude sont ou seront des enseignants de FLE, je tiens à
participer, grâce aux échanges produits par ce travail, à leur formation en tant
qu’apprenants et enseignants réflexifs.
10
2. Approche théorique
11
D’ores et déjà, il convient de préciser la notion centrale de ma réflexion à
savoir celle d’identité. Il s’agit d’une notion complexe que je tenterai de définir en me
référant tout d’abord à des conceptions différentes d’auteurs dans le domaine de
sciences sociales et humaines puis en présentant la façon dont je l’envisage moimême.
2.1 L’Identité
Cette notion a, en effet, été utilisée selon des acceptions diverses. Elle a été
définie comme étant unique et fixe et associée à un territoire ou à l’appartenance à
un groupe. Cependant, les travaux réalisés dans le champ interactionniste ont
montré que la définition de l’identité ne pouvait se restreindre à de telles associations
reposant sur un point de vue essentialiste. Montrant que l’identité est le produit d’un
processus dynamique, ils ont fait apparaître qu’elle pouvait être plurielle, d’autre part
qu’il existe des facettes identitaires, voire des gestes identitaires que Vion (2000 : 8081) a appelé « des identités circonstancielles ». Dans cette perspective, l’autre et
l’expérience sociale jouent un rôle important dans la production de la conscience de
soi. Le consensus aujourd’hui est que « chaque individu (et chaque groupe) peut
disposer, successivement ou même simultanément, de plusieurs identités dont la
matérialisation dépend du contexte historique, social ou culturel où il se trouve »
(Lipiansky, Taboada-Leonetti et Vasquez 1990 : 18). Ces auteurs parlent de
« stratégies identitaires » faisant référence à « des procédures mises en œuvre (de
façon consciente ou inconsciente) par un acteur (individuel ou collectif) pour
atteindre une, ou des, finalités (définies explicitement ou se situant au niveau de
l’inconscient), procédures élaborées en fonction de l’interaction » (ibid., 24). Ces
« stratégies identitaires » nous permettent de considérer les identités au pluriel. En
ce sens, dans le Dictionnaire d’Analyse de Discours (DAD), Charaudeau (2002 : 300)
souligne que « l’identité résulte … des conditions de production qui contraignent le
sujet … [et] qui sont inscrites dans la situation de communication et/ou dans le
préconstruit discursif, et des stratégies que celui-ci met en œuvre de façon plus au
moins consciente ».
D’après Kastersztein (1999 : 28) l’identité est « une structure polymorphe,
dynamique, dont les éléments constitutifs sont les aspects psychologiques et sociaux
en rapport à la situation relationnelle à un moment donné d’un agent social (individu
12
ou un groupe) comme acteur social ». Les acteurs sociaux ont des comportements
« fluctuants et adaptatifs » (ibid., 30), ce qui leur permet d’évoluer en fonction des
situations. Mais il y a aussi des éléments stables, que Kastersztein appelle « le
noyau dur » des caractéristiques identitaires, qui rendent parfois difficile l’adaptation
de groupes ou individus à un contexte culturel nouveau.
Plusieurs auteurs confèrent à l’identité deux composantes principales qu’ils
nomment à l’aide de notions différentes. Les paires catégorielles utilisées pour faire
référence à ces éléments identitaires sont : identité sociale et personnelle (TaboadaLeonetti 1990), identité objective et subjective (Lipiansky 1990) ou identité sociale
dite externe et discursive dite interne (Charaudeau 2009). Pour Taboada-Leonetti
(1990 : 44-45), l’identité sociale d’un individu constitue « les statuts qu’il partage avec
d’autres membres d’un groupe social (presque toujours des substantifs qui désignent
des catégories sociales : nationalité, sexe, profession, religion, race, etc.) ».
Lipiansky (1990 : 174) fournit une définition similaire pour l’identité objective qui
désigne « la position du sujet dans la culture et la société et son appartenance à
différentes catégories bisociales (l’état civil, le sexe, l’âge, la nationalité, la
profession, etc.) ». Charaudeau (2009 : en ligne) conçoit également l’identité sociale
comme l’ensemble de traits externes tels que l’âge, le sexe, le statut social, et la
légitimité de parole. Des différences théoriques sont liées à ces diverses
conceptions, surtout en ce qui concerne la deuxième composante des éléments
identitaires. Pour Taboada-Leonetti (1990 : 44-45), l’identité personnelle d’un individu
est définie par « ce qu’il a d’unique en tant qu’être humain (il s’agit le plus souvent
d’adjectifs s’appliquant à des qualités ou des défauts : ambitieux ou idéaliste, etc.) ».
Tandis que l’identité subjective renvoie, chez Lipiansky (1990 : 174), à « la
perception subjective qu’a un sujet de son individualité (la conscience de soi, la
définition de soi) ». Quant à Charaudeau (2009 : 19, 2002 : 299), il considère que
l’identité discursive est construite à travers les comportements et actes langagiers ou
des actes de discours du sujet parlant qui « se caractérise par un certain nombre de
traits [sociaux] qui lui confèrent une certaine identité en tant qu’il produit un acte de
langage ». Il souligne que les stratégies discursives sont le résultat de l’articulation et
du jeu entre traits d’identité externes et internes (identité sociale et identité
discursive). « C’est du fait de leur combinaison que se construit le pouvoir d’influence
du sujet parlant […]. L’identité sociale a besoin d’être confortée, renforcée, recréée
13
ou, au contraire, occultée par le comportement langagier du sujet parlant, et l’identité
discursive, pour se construire a besoin d’un socle d’identité sociale » (Charaudeau
2009 : 19).
Tous les auteurs consultés accordent une grande importance à l’interaction
dans la construction de l’identité, identité et altérité formant un couple indissociable.
Nombreux sont ceux qui s’appuient sur les travaux des précurseurs dans le champ
de l’interactionnisme symbolique (Mead), la sociologie interactionnelle (Goffman) et
la phénoménologie (Schütz). Vasquez (1990 : 145), par exemple, s’appuie sur les
travaux de Goffman (1973) pour considérer que les identités « s’actualisent dans un
processus d’échange socialement situé ». Lipiansky (1990 : 174-175) cite également
les travaux de Goffman, et ceux de Georges H. Mead et de Jean-Paul Sartre pour
affirmer que « la conscience de soi dépend de l’interaction avec autrui ». « L’identité
apparaît comme une sorte de « boîtes à outils », chaque « outil » étant un élément
identitaire que le sujet choisit en fonction de l’interaction dans laquelle il se trouve »
(Taboada Leonetti 1990 : 46). L’identité est liée à la prise de conscience de soi qui
se fait en percevant l’autre comme étant différent, c’est le « principe d’altérité »
introduit par Charaudeau (2002 : 299, 2009 : 15) qui affirme qu’« il n’y a pas de
conscience de soi sans conscience de l’existence de l’autre, […] c’est à la mesure de
la différence entre « soi » et « l’autre » que se constitue le sujet ». Cette conscience
identitaire se réalise donc dans l’échange, il rejoint Benveniste quand il dit qu’« il n’y
a pas de je sans tu, ni de tu sans je : le tu constitue le je » (1966 : 260).
Dans le cadre de mon propre travail je concevrai donc l’identité comme étant
plurielle, dynamique et en évolution à travers le temps et à travers les différentes
situations auxquelles l’individu doit faire face. Pour nommer les deux composantes
de l’identité, je parlerai donc d’identité sociale et d’identité personnelle ou discursive.
Pour rapprocher les trois définitions d’identité personnelle, subjective ou discursive,
on pourrait affirmer qu’il s’agit de la perception que les autres ont d’un individu et /ou
que l’individu a de soi-même et c’est ce qui l’incite à s’exercer d’une manière ou
d’une autre dans le discours. En ce sens, j’emprunterai le concept de places,
proposé par Flahault (1978), repris et développé par Vion (2000), recouvrant les
positions statutaires (identité sociale) et les positionnements internes à l’interaction
(les différents rôles que les interactants actualisent ou co-construisent). Ce rapport
14
de places se négocie en interaction et implique « un positionnement respectif des
images identitaires » (Vion 2000 : 80)
Plusieurs études tenant compte des aspects identitaires ont été menées
auprès d’étudiants étrangers et je tâche ici d’en présenter les résultats principaux.
2.2 Étudier à l’étranger : quels effets ?
Les travaux auprès d’étudiants étrangers ont montré que la mobilité
internationale et éducative, que ce soit volontaire ou imposée, avec ou sans
difficultés, remet en question « la perception de l’autre et de soi, la communication, le
rapport qu’on entretient avec les/ses langues, la légitimité de sa place dans le
monde »
(Lévy
2008 :
71).
Ces
modifications
identitaires
entraînent
des
changements concernant les identités, les représentations linguistiques et culturelles,
le répertoire langagier et les stratégies d’apprentissage de la langue.
a. Des effets sur l’identité
Certaines études telles que celles de Molinié (2006), Baroni et Jeanneret
(2008), et Charbonneau (2008), montrent, par exemple, que l’expérience en contexte
étranger provoque une modification des représentations linguistiques et culturelles,
et une évolution de l’identité chez les étudiants étrangers résultant de l’interaction
avec une autre culture, d’autres locuteurs dans les différentes situations auxquelles
ils doivent faire face. Pour le premier cas, il s’agit des étudiants européens
(ERASMUS) en mobilité en France ; pour le deuxième, il s’agit de deux étudiantes
indiennes suivant une formation de FLE à l’EFLE (École de Français Langue
Étrangère) à Lausanne, Suisse. Charbonneau (2008 : 203) a analysé « les
malentendus éducatifs et culturels qui émergent de la rencontre de deux cultures
académiques » chez des étudiants étrangers suivant des cours en immersion dans
une université française où ils se retrouvent « confrontés à des modes de pensée et
à des systèmes de représentation différents ».
En effet, on adhère ici à l’hypothèse Sapir-Whorf, évoquée maintes fois dans
le domaine de l’anthropologie linguistique, indiquant que la langue porte en elle une
vision du monde et elle impose au locuteur une façon de voir et d’interpréter ce
15
monde. Le langage est donc un guide de la réalité sociale et chaque langue est un
prisme spécifique à travers lequel on est contraint d’appréhender cette réalité. Je
suis consciente que cette hypothèse, comme l’affirme Lucy (1997 : 291), a toujours
suscité un grand intérêt mais des recherches empiriques doivent encore être
conduites pour rendre compte de la façon dont la langue interprète les expériences
et comment ces interprétations influencent la pensée.
Molinié
(2006b :
89)
ajoute
qu’en
contexte
exolingue
il
y
a
une
conscientisation plus élevée de l'apprentissage d’une langue qu’en contexte
endolingue et cette conscientisation entraîne ce qu’elle appelle « un questionnement
identitaire ». Tout comme Molinié, Baroni et Jeanneret (2008 : 101) vérifient
l’hypothèse que « les nouvelles socialisations langagières que ces étudiantes
expérimentent donnent sens à leur vécu en pays francophone et contribuent à
modifier leur manière de se percevoir en tant que personne ». Il y a donc une
évolution et questionnement de soi et une réflexion de la part de l’individu se trouvant
dans un contexte étranger. Un questionnement qui sera fait grâce au langage parce
que « c’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet ; parce
que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept
d’« ego » » (Benveniste 1966 : 260).
b. Des effets sur l’imaginaire linguistique
Les nouveaux rapports que les étudiants construisent avec ceux qui les
entourent modifie également leur Imaginaire Linguistique défini par Houdebine
(2002 : 12, extrait de sa thèse de 1979) comme le « rapport du sujet à la langue, la
sienne et celle de la communauté qui l’intègre comme sujet parlant-sujet social ou
dans laquelle il désire être intégré, par laquelle il désire être identifié par et dans sa
parole ; rapport énonçable en termes d’images, participant des représentations
sociales et subjectives, autrement dit d’une part des idéologies (versant social) et
d’autre part des imaginaires (versant plus subjectif) ». Cette notion a été proposée
pour éviter des termes tels qu’attitude ou représentations qui sont souvent
polysémiques. En effet, Houdebine emprunte le terme d’imaginaire à la théorie
lacanienne qui fait la différence entre Réel, Imaginaire et Symbolique. Houdebine
(2002 : 14) indique que « la version qu’on donnera de la langue n’est que faite
16
d’imaginaire » puisque la « réalité profonde » de la langue est « en quelque sorte
inatteignable ». Houdebine (1996 : 23) affirme que les termes « imaginaires,
attitudes, représentations, opinions, croyances » correspondent à l’Imaginaire
Linguistique et Canut (1996) le rapproche du concept de représentations
linguistiques. Étant donné que les sujets peuvent adopter diverses attitudes selon
leur
« position
névrotique »,
leur
« position
sociale »
ou
leur
« situation
d’interlocution », l’imaginaire linguistique est mobile (Houdebine 2002 : 13). Il doit
donc être analysé comme produit et construit en interaction.
c. Des effets sur la compétence de communication
Il a été démontré que le répertoire langagier des étudiants en situation
plurilingue évolue aussi bien que leurs représentations des langues et des cultures.
Hymes (1973, trad. fçaise 1981 : 75) indique qu’« il y a des règles d’utilisation sans
lesquelles les règles de grammaire seraient inutiles ». C’est ce qu’il appelle la
compétence de communication qui inclut « non seulement les formes linguistiques
de la langue mais aussi ses règles sociales, le savoir quand, comment et avec qui
est approprié d’utiliser ces formes » (Hymes 1973 : 124). Les étudiants se trouvant
en contexte francophone et donc participant à la vie sociale vont se familiariser avec
les normes sociolinguistiques qui régissent les interactions. Molinié (2006a : 84), par
exemple, affirme que les étudiants, possédant une compétence plurilingue et
pluriculturelle toujours en évolution, se rendent compte qu’ils peuvent « tisser des
liens » entre ce qu’ils ont appris dans leurs pays et les connaissances formelles qu’ils
acquièrent dans l’université étrangère, entre les apprentissages formels et les
apprentissages dans des contextes informels dans la vie quotidienne. Cette réflexion
porte également sur la manière d’apprendre la langue puisque l’étudiant en contexte
francophone fait appel à des stratégies différentes à celles utilisées dans son pays
d’origine où il utilisait la langue étrangère principalement en milieu institutionnel.
d. Des effets sur les stratégies d’apprentissage
Roberts et al (2001 : 12) considèrent que l’apprenant en contexte étranger se
fait en quelque sorte ethnologue car dans le but de parfaire des connaissances en
langue il doit parvenir à combiner une méthode d’observation participative dans la
17
communication et un aspect de contrôle, de conceptualisation et de réflexion. Ces
rencontres
interculturelles
lui
permettront
de
développer
une
meilleure
compréhension de la culture du pays étranger tout en développant sa compétence
de communication. Il est donc nécessaire de tenir compte des différentes stratégies
d’apprentissage que les étudiants déclarent appliquer en contexte homoglotte afin de
parfaire leurs connaissances linguistiques et culturelles. Molinié (2009 : 112)
considère que l’étudiant étranger se trouve confronté à des situations complexes et
doit donc faire appel à d’autres habilités cognitives pour pouvoir s’intégrer dans le
nouveau système éducatif et pouvoir reconfigurer ses rapports avec son histoire, sa
langue et la langue étrangère. Autrement dit, l’étudiant étranger doit parvenir à relier
les différentes composantes de sa mobilité. La meilleure manière de se
problématiser et rendre conscients les rapports et représentations de la langue et la
culture étrangère est par le biais du langage, que ce soit oral ou écrit. Il est donc
nécessaire de créer les conditions d’interaction nécessaires pour que le sujet puisse
s’exprimer.
Selon Deprez (1996 : 2) « le sens que l’individu donne à une action « lourde
» comme l’apprentissage d’une langue, par exemple, s’appréhende en grande partie
par les propos explicites que le locuteur tient lui-même sur son apprentissage ou sa
bilingualité ainsi que par les traces, plus difficilement repérables et parfois volatiles,
que ses interprétations laissent dans son discours ». Ceci mène à penser que l’on
peut saisir l’identité dans le discours du locuteur à propos de l’avant et l’après de son
départ du pays d’origine. L’identité doit donc s’envisager dans sa dimension
dynamique. Dans le cadre de mon propre travail je ferai donc une analyse du
discours co-construit en interaction.
L’approche biographique a abouti à la construction de deux notions, à savoir
le récit de vie et la biographie langagière. Ces notions reposent sur des techniques
différentes (entretiens, questionnaires écrits) afin d’aborder des aspects de la vie des
apprenants de langues.
18
2.3 Récit de vie ou biographie langagière ?
La biographie langagière (récit de langues) et le récit de vie (parfois nommé
récit autobiographique, récit de parcours ou autobiographie) sont des notions
utilisées par diverses chercheurs dans le domaine de la narratologie, la
sociolinguistique (Deprez 2002, Jeanneret 2008) et/ou la didactique des langues et
des cultures (Bertucci 2006, Castellotti 2006, Lévy 2008, Perregaux 2006, Molinié
2006) afin de favoriser la prise en compte des parcours d'apprentissage dans la
construction des compétences plurilingues/pluriculturelles des publics en mobilité ou
en migration internationale, ou comme outils pour questionner la place et le rôle de
l’idéologie dans l’approche didactique aux langues (Lévy 2008), analyser les
représentations des langues et de leur apprentissage (Castelloti 2006); ou bien
analyser le processus de construction des identités et plurilinguisme (Bertucci 2006,
Pavlenko 2001).
Castellotti (2006 : 69) utilise la notion de biographies langagières
et
considère qu’il s’agit d’un ensemble de traces d’origine diverse : mémoires de
contacts linguistiques et culturels, témoins de l’évolution d’apprentissages formels ou
informels, preuves éventuelles de séjours ou de certifications. Dans une perspective
didactique, elle y associe deux dimensions : avoir une meilleure compréhension des
atouts plurilingues des locuteurs et favoriser le développement d’une conscience
réflexive sur l’apprentissage et l’usage des langues à plusieurs niveaux. Dans une
biographie langagière l’individu raconte « les éléments constitutifs de son expérience
dans les domaines linguistique et culturel » (Molinié 2006b : 6). Lüdi (2005, cité par
Simon et Thamin 2009 : 4) définit la biographie langagière comme « une souscatégorie de récits de vie, caractérisés par un inventaire spécifique de thèmes et de
figures ».
En revanche, pour Bertaux (1997 : 35) « il y a du récit de vie dès lors qu’un
sujet raconte à quelqu’un d’autre, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son
expérience vécue ». C’est en effet une conception que ce sociologue appelle
« minimaliste » du récit pour indiquer qu’il suffit que dans un entretien apparaisse de
la forme narrative pour qu’il y ait du récit. Le récit de vie est une notion qui encadre
non seulement le rapport aux langues étrangères mais aussi d’autres événements
significatifs de la vie du sujet, ce qui ne veut pas forcément dire qu’il faut qu’il raconte
19
toute son existence, il peut se concentrer sur un épisode qui a déclenché un
changement suite à une nouvelle expérience. En effet, Bertucci (2006 : 128)
argumente que « c’est la construction du récit qui fait émerger le sujet » avec son
rapport aux langues, y compris sa langue maternelle et son identité plurilingue dont
les traits constitutifs deviennent explicites lorsqu’il se raconte.
La biographie langagière se limite à la trajectoire linguistique ou histoire
langagière de l’individu et les rapports qu’il entretient avec les langues. Le récit de
vie, quant à lui, permet « d’inscrire le sujet dans son historicité » (Thamin et Simon
2009 : 7). Mon intention étant d’analyser le parcours de vie des étudiants, j’ai opté
pour le récit de vie car cela me permettra d’explorer l’événement migratoire, les
raisons du choix et de tisser des liens entre les composantes du parcours de vie et
d’apprentissage. Suivant Pavlenko (2001 : 167, ma traduction2), je considère que
« les histoires d’apprentissage sont des sources d’information uniques et riches
concernant la relation entre la langue et l’identité […]. Il est possible que seuls les
récits de vie permettent de donner un aperçu de ces régions si privées, si
personnelles, et si intimes qui sont rarement - ou pas du tout - considérées dans
l’étude de l’acquisition d’une langue seconde et qui sont au même temps le cœur et
l’âme du processus de socialisation ».
De ce point de vue, les récits de vie seront une manière de mettre en forme
l’expérience vécue dans le but de la rendre intelligible à soi-même et à autrui. L’autre
fait partie de ce qu’on raconte et va influencer la manière dont on se positionne, le
rôle qu’on va assumer. Il faut expliquer aussi qu’il y aurait deux points de
reconstruction identitaire : un plan général concernant les expériences vécues dans
le pays étranger et un plan plus spécifique qui consiste en l’événement interactionnel
que constitue l’entretien.
2
Language learning memoirs are unique and rich sources of information about the relationship
between language and identity […]. It is possible that only personal narratives can provide a glimpse
into areas so private, personal, and intimate that they are rarely – if ever – breached in the study of
SLA, and that are at the same time at the heart and soul of the second language socialization process.
20
2.4 Reconstruction et co-construction de l’identité dans l’entretien interactif
Goffman (1973 : 23) entend par interaction l’échange « en face à face » et
évoque « l’influence réciproque que les participants exercent sur leur action
respective lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres ».
Certains linguistes considèrent que tous les discours sont interactifs. Maingueneau
(1998 : 40), pour n’en citer que lui, affirme que :
Toute énonciation, même produite sans la présence d’un destinataire, est en fait
prise dans une interactivité constitutive (on parle aussi de dialogisme), elle est un
échange, explicite ou implicite, avec d’autres énonciateurs, virtuels ou réels, elle
suppose toujours la présence d’une autre instance d’énonciation à laquelle
s’adresse l’énonciateur et par rapport à laquelle il construit son propre discours.
Toute allocution est adressée, même dans le cadre d’un monologue, puisque le
locuteur s’adresse à un autre ou à lui-même. Ainsi, tel que le rappelle KerbratOrecchioni (1990 : 13), « tout discours est une construction collective ». De même,
Vion (2000 : 101) soutient que « toute production communicative de quelque nature
qu’elle soit, se présente comme la manifestation d’un ordre interactif ». Selon
Kerbrat-Orecchioni (2005 : 17), « pour qu’il y ait interaction il faut que l’on observe
certains phénomènes de rétroaction immédiate ». Elle fait référence au fait que les
interlocuteurs s’influencent de manière réciproque. Je pars du constat que
l’interaction est le « lieu où se construisent et se reconstruisent indéfiniment les
sujets et le social » (Vion 2000 : 93) ainsi que de la conception dramaturgique de la
communication où les sujets effectuent une mise en scène (Goffman 1959, 1973,
trad fçaise : 12) car « l’acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non,
une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine
impression ».
L’entretien, auquel participe donc le chercheur, et dans le cadre duquel il a un
rôle prédominant, est aussi une interaction où les deux participants se trouvent faceà-face. Le récit de vie se fait dans le cadre d’un échange qui est un produit collectif
où « les interlocuteurs, y compris l’enquêteur, construisent collectivement une vision
du monde » (Mondada 2001 : 197). Il s’agit d’« une co-construction qui repose sur
l'interprétation que chacun se fait de la situation, de la tâche qu'il est en train
d'accomplir avec l'autre, de lui-même et de son interlocuteur » (Vasseur 2000 : 49).
21
C’est dire que le sujet en interaction joue à la fois le rôle de « producteur et
interprète » (Vion 2000 : 44). Selon Vion (2000), l’entretien est une interaction
complémentaire qui s’apparente au dialogue ou à la conversation, sans qu’il y ait une
symétrie des rôles, où l’intervieweur essaie d’adopter une attitude neutre qui favorise
une parole « authentique » chez l’informateur. Cependant, il recommande de ne pas
oublier que s’il s’agit d’une « interaction spécialisée », elle « fonctionne toujours sur
l’intersubjectivité et sur l’action conjointe » (Vion 2000 : 132). Comme l’indique Bres
(1999 : 69), « recueillir de la parole par interview c’est recueillir une parole façonnée
par l’interaction de l’interview… parce que l’entretien relève, comme toutes les
pratiques langagières, de la catégorie de l’interaction verbale ».
Le dialogue est donc une situation fondamentale de la communication et c’est
un « échange constructif » (Kerbrat-Orecchioni DAD 2002 : 180). Paul Ricœur
(1990 : 59) souligne que l’énonciation « est un phénomène bipolaire : elle implique
simultanément un « je » qui dit et un « tu » à qui le premier s’adresse. … énonciation
égale interlocution ». Selon Benveniste (1966 : 260), « c’est cette condition de
dialogue qui est constitutive de la personne ». Il affirme ce qui suit :
La conscience de soi n’est possible que si elle s’éprouve par contraste. Je
n’emploie je qu’en m’adressant à quelqu’un, qui sera dans mon allocution un tu.
… Le langage n’est possible que parce que chaque locuteur se pose comme
sujet, en renvoyant à lui-même comme je dans son discours. (Ibid.)
Les récits de vie doivent donc être considérés comme le résultat d’un travail
collaboratif entre deux protagonistes participant à un cadre interactif complémentaire
puisqu’il s’agit d’un entretien où les places sont préétablies (une personne qui pose
des questions, l’autre qui a accepté d’y répondre) et les thématiques à traiter aussi.
En dépit du fait que l’entretien crée des conditions d’enquête, nos origines et notre
relation d’amitié ont contribué à une atmosphère détendue, ce qui réduisait l’inégalité
des places. La parole s’est donc libérée plus facilement tout en restant dans un
cadre interactif qui ne pouvait pas être symétrique. Par cadre interactif, on entend
« la nature du rapport social établi d’entrée, par et dans la situation, rapport qui se
maintient jusqu’au terme de l’interaction » (Vion 2000 : 110). Vion affirme que selon
la nature du cadre interactif, l’individu actualise ses différents statuts (positions
sociales : sexe, âge, métier, position familiale, religieuse, sociale, politique). Ce
linguiste explique que les travaux sur l’interaction opposent deux types de positions :
22
les positions statutaires et les places interactives. Les premières, actualisées parfois
dans l’interaction, renvoient à des « caractérisations ¨externes¨ à l’interaction » et
reposent sur des « positions objectives » (Vion 2000 : 80). Il s’agit, par exemple, du
statut de père, de médecin, de frère, etc. Les places interactives (cf. la notion de
rapport de places introduite en haut) se produisent « au hasard de l’échange », ce
serait donc le rôle occasionnel de séducteur, de conciliateur, d’accusateur, de
conseilleur, etc.). Rappelons-nous que Vion (2000 : 80) parle d’« identité
circonstancielle » des interlocuteurs qui les convoque « dans une ou plusieurs
facettes de leurs identités ». C’est la prise de parole qui leur permet de construire
ces facettes identitaires.
Deprez (1996 : 3) considère que « toute prise de parole secrète une image
de soi qu’elle construit et (re) modèle en interaction avec l’interlocuteur, à plus forte
raison lorsqu’on est, comme dans l’autobiographie, à soi-même et pour les autres,
son propre objet de discours ». Dans cette perspective, les réflexions faites au
moment de l’entretien n’ont pas été établies avant la production langagière et elles
contribuent à élaborer dans les discours « certains montages identitaires » et à
« faire bouger les constructions identitaires plus ou moins stabilisées » (Baroni et
Jeanneret 2008 : 111). C’est la condition du dialogue évoqué par Benveniste (1966)
comme élément constitutif de la personne : le je qui désigne un tu qui devient un je à
son tour. De même, Ricœur (1990 : 40) évoque la fonction du langage dans le
processus d’individualisation en affirmant qu’« on n’individualise que si on a
conceptualisé et individualisé en vue de décrire davantage ». C’est-à-dire que les
expériences vécues prennent plus de sens lorsqu’on les raconte.
2.5 L’énonciation au cœur de l’interaction
L’énonciation est définie par Benveniste (1970 : 80) comme la « mise en
fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ». Pour Anscombre et
Ducrot, il s’agit de « l’activité langagière exercée par celui qui parle au moment où il
parle » (1976, p. 18, cités par Kerbrat-Orecchioni 1980 : 32). Elle constitue « le pivot
de la relation entre la langue et le monde : d’un côté, elle permet de représenter dans
l’énoncé des faits, mais d’un autre côté elle constitue elle-même un fait, un
événement unique défini dans le temps et l’espace » (Maingueneau 2002 : 228).
23
La subjectivité paraît être inhérente à l’activité langagière. Dans le Tome 1 de son
ouvrage Problèmes de Linguistique Générale3, Émile Benveniste publie un chapitre
intitulé De la subjectivité dans le langage, il y affirme que « la « subjectivité » … est
la capacité du locuteur à se poser comme « sujet » ». (1966 : 259). Il continue son
raisonnement en disant que « cette subjectivité … n’est que l’émergence dans l’être
d’une propriété fondamentale du langage. Est « ego » qui dit « ego ». (p. 260). « Une
langue sans expression de la personne ne se conçoit pas » (p. 261). Il indique que
les pronoms personnels (le je, par exemple) ne renvoient pas à une entité lexicale
mais à la personne, au locuteur de l’acte de discours où ils sont prononcés, les
pronoms personnels sont considérés donc comme le premier indice de la subjectivité
dans le langage. Kerbrat Orechionni souligne que « toute unité lexicale est, en un
sens, subjective, puisque les « mots » de la langue ne sont jamais que des symboles
substitutifs et interprétatifs des choses » (1980 : 79).
Perregaux (2006 : 4) soutient que « la parole et la ou les langue(s) sont au
cœur du récit et il est rare qu’un récit de vie (ou histoire de vie) ne recèle pas des
éléments, souvent centraux, ayant trait au langagier ». Tout comme Bertucci (2006 :
139), je considère que dans la mesure où le récit de vie implique une énonciation, il
aidera le sujet qui accepte de se raconter à être plus conscient de soi. Il permettra
également l’émergence d’une identité qui est toujours en mouvement et en
processus de construction grâce à la langue. S’agissant d’une « histoire non encore
racontée » (Bertucci 2006 : 128), le récit de vie permet de faire émerger « l’identité
narrative » (Ricœur 1990 : 167) du sujet. Vion (1991 : 54) signale que « raconter les
éléments de sa vie revient à se construire, dans l’interaction, les éléments d’une
identité ». C’est dire que quand le sujet se raconte, il fait un retour sur soi, d’où
l’importance de la réflexivité pour tirer bénéfice des nouvelles expériences.
3
En fait, Benveniste a été le premier à théoriser la subjectivité sur le plan linguistique dans un article
publié dans le Journal de psychologie en 1958 qui a été repris et publié aussi dans l’ouvrage
Problèmes de Linguistique Générale, c’est l’article que je cite parce que c’est celui que j’ai consulté.
24
2.6 La réflexivité dans l’apprentissage et enseignement de langues
« Avoir vécu une expérience ne suffit pas pour que cette expérience devienne de
l’expérience. Il faut sans cesse la régénérer et la re-méditer. Si nous transformons
l’expérience en conscience, nous sommes prêts pour un nouveau commencement »
(Morin, cité par Molinié 2006b : 6). Un enseignant de langues étrangères doit faire de
la réflexivité une activité quotidienne, et ce projet a été l’occasion pour que les
étudiants participants fassent une introspection à leurs expériences en France et les
apprentissages qu’ils peuvent en tirer au niveau personnel, académique et
professionnel. Par ailleurs, les « récits de parcours » encouragent l’étudiant à
effectuer « un questionnement sur son apprentissage et la construction de son
répertoire bi-ou plurilingue et, par conséquent, sur la formation de son identité
sociale et culturelle » (Molinié 2006a : 89). C’est une manière de les inciter à la
réflexion et à leur implication dans leur propre formation. Selon Vasseur (2000 : 48),
la « démarche réflexive » est une approche proposée par des acquisitionnistes, des
praticiens, des didacticiens et des enseignants de langues qui entraîne « la prise de
conscience et l’attention porté à l’objet d’apprentissage, la mise en place d’activités
métacognitives, métacommunicatives et métalinguistiques et une modification des
attitudes et des compétences ». On revient au rôle essentiel de la langue pour rendre
explicites et conscients les apprentissages en contexte homoglotte et développer la
réflexivité chez les (futurs) enseignants de FLE.
Lors de son séjour à l’étranger, l’étudiant apprend autrement, ce qui requiert
un développement accéléré de ses capacités réflexives. Les travaux s’étant appuyé
sur l’élaboration d’un journal de bord par les étudiants ont mis en évidence les effets
de la réflexivité car elle peut être développée à travers l’écriture. Le journal de bord
apparaît de ce point de vue comme un outil intéressant, il est en effet l’une des
formes concrètes de l’écriture réflexive utilisée pour faire le bilan du travail, des
difficultés surmontées et des notions apprises. Cet « outil pour réfléchir » est
considéré par Chabanne (2006 : 59) comme un écrit intermédiaire puisqu’il s’agit
d’un écrit qui n’est pas destiné à la publication mais qui a un usage personnel non
soumis aux normes. Il considère que ces écrits « gardent la mémoire du travail de la
pensée, de ses errements, de ses échecs et leur dimension chronologique est un
point de convergence avec le récit autobiographique». Selon Lévy (2008 : 72), les
récits autobiographiques et les journaux de bord « attribuent à l’observé un statut
25
d’observateur qui lui permet de partager la parole, l’analyse et l’interprétation des
parcours ».
Le journal d’apprentissage a été utilisé par divers chercheurs dans le domaine de la
didactique de langues et de l’analyse du discours afin d’analyser leur contribution
dans la formation initiale des enseignants de FLE se trouvant confrontés à
l’apprentissage d’une nouvelle langue. Pour les futurs enseignants, les journaux
d’apprentissage
constituent
un
outil
de
réflexivité
et
forme
d’écriture
autobiographique qui participe à la « construction d’une identité et d’une compétence
enseignante » (Cadet et Causa 2006 : 69), une manière de s’interroger sur
« l’apprendre à apprendre […] et une mise en lien de l’expérience analysée avec les
éléments théoriques (ou supposés tels) dont disposent les étudiants » (Carlo 2006 :
86).
Dans cette perspective, le journal de bord permet d’établir des liens entre
l’expérience migratoire et les nouvelles dynamiques d’apprentissage. Anquetil et
Molinié (2008 : 84-85), soulignent que l’« écriture de soi est une ressource
fructueuse comme lieu de l’élaboration de l’expérience » et le journal de bord
« exerce des fonctions d’expression, mémoire et plaisir pour celui qui les écrit … [et]
une fonction réflexive de régulation des apprentissages qui permet aux auteurs [les
étudiants] d’objectiver, de comprendre et d’analyser leur vécu en contexte
plurilingue ».
Le journal de bord développe chez l’étudiant étranger « la compréhension des enjeux
personnels, sociaux, professionnels associés au plurilinguisme, à la mobilité
culturelle, à l’ouverture à l’altérité » (Molinié 2006a : 8). L’écriture permet donc de
prendre du recul, de chercher à comprendre et d’analyser son expérience.
26
3.
Approche méthodologique
27
3.1 Techniques d’enquête
Mon objectif est d’analyser les effets du séjour linguistique et culturel en
territoire francophone sur les constructions identitaires des apprenants, tout en
considérant les éventuelles modifications de leurs représentations de la langue et la
culture étrangère, leurs stratégies d’appropriation de la langue, leurs réseaux
sociaux, le développement de la réflexivité en tant qu’enseignants de FLE. J’ai donc
mené une étude de terrain auprès d’étudiants colombiens en utilisant le récit de vie
comme outil principal pour la recherche. Le langage ayant un rôle important dans la
construction de soi et de l’altérité, les récits de vie permettent aux chercheurs de
savoir qui sont les participants et comment ils sont devenus les personnes qu’ils
sont. Le journal de bord étant également apparu comme un outil intéressant j’ai
souhaité l’utiliser aussi afin d’obtenir des réflexions et des impressions sur les
expériences vécues par les étudiants en contexte francophone. Cette tentative m’a
permis d’obtenir la réalisation d’un journal de bord par l’une des personnes
interrogées. Cependant, ayant obtenu les données escomptées grâce aux récits de
vie par le biais des entretiens, je n’ai pas insisté à ce que les autres étudiants
écrivent le journal de bord et je n’ai pas analysé le seul que j’ai eu. Il faut quand
même remarquer l’importante que je lui accorde comme outil pour développer la
réflexivité chez les futurs enseignants. Le journal de bord que j’ai proposé aux
participants aurait été un complément pour trianguler les données obtenues mais
mon objectif n’était pas de le leur imposer. Les étudiants voyaient tous les atouts de
garder une trace de leur séjour linguistique et culturel mais faute de temps ils n’ont
pas concrétisé cette idée qu’ils trouvaient magnifique.
Afin de recueillir les récits de vie, j’ai adopté la technique de l’entretien.
L’intérêt de recueillir le récit de vie dans le cadre d’un événement interactionnel tel
que l’entretien repose sur le fait qu’il s’agit, selon Codó (2008 : 158) d’une « situation
communicative authentique » et donc la source de « données langagières réelles ».
De plus, il s’agit d’une technique qui donne plus de contrôle aux participants sur ce
qu’ils disent et la manière dont ils le disent. Ils peuvent donc raconter les
événements importants de leur existence suivant un ordre chronologique et
thématique qui ne leur est pas imposé de l’extérieur. Cette linguiste a utilisé
l’entretien surtout pour des études sur le bilinguisme et le plurilinguisme et elle
énumère certaines caractéristiques que je trouve pertinentes pour ma recherche. Il
28
permet d’obtenir des données biographiques qu’on n’obtiendrait pas facilement avec
d’autres techniques ainsi que la possibilité d’explorer des aspects tels que les
attitudes et les idéologies, auxquels on peut avoir accès seulement de manière
indirecte. C’est le cas de mon étude étant donné que je vise à analyser la mise en
discours de l’identité des futurs professeurs de FLE. En plus, l’entretien permet de
constituer un corpus en peu de temps. Codó (2008) recommande aussi de discuter
et clarifier l’objectif et le format de l’entretien avant de le conduire car le participant,
guidé par ses attentes socioculturelles, peut considérer que son rôle est passif et se
limiter à répondre aux questions de l’intervieweur.
J’ai choisi l’entretien semi-directif ou « entretien interactif » (Bres 1999) car, au
contraire des autres types d’entretiens, il favorise l’interaction verbale où
l’intervieweur a le rôle d’interlocuteur ayant pour objectif de faire parler mais
participant activement avec l’enquêté à la construction du discours. En effet,
l’entretien directif, selon Bres (1999 : 64) s’agit d’un questionnaire, ouvert ou fermé,
que l’on adresse dans le même ordre à l’interviewé afin de recueillir une parole « non
contaminée d’interaction ». L’entretien non directif implique, au contraire, que
l’enquêteur pose « une seule question initiale, la moins contraignante et la moins
orientée possible » et qu’il réduise son intervention « au rôle du pur auditeur idéal »
(Bres 1999 : 65). Bres (1999 : 68) affirme que, contrairement à ce qu’on pourrait
penser, l’entretien interactif ne s’agit pas d’« un juste milieu entre ces deux
extrêmes » puisqu’il ne vise pas à « neutraliser l’interaction pour obtenir de la parole
authentique ». Les auteurs qui utilisent les récits de vie comme corpus s’en servent
tous afin de « refléter les voix, les opinions et les croyances des participants »
(Pavlenko 2004 : 25, ma traduction).
J’ai donc élaboré un guide d’entretien (cf. annexe 1) qui me permettait
d’aborder de grandes thématiques relatives à leur répertoire langagier et Imaginaire
Linguistique, leurs motivations et modalités de migration, l’image de la France et des
Français,
les
difficultés
rencontrées
lors
de
leur
séjour, leurs
stratégies
d’apprentissage de la langue et de la culture, leurs modifications identitaires, leurs
perspectives langagières et leurs projets de vie.
29
3.2 Difficultés
Le premier obstacle avec lequel je me suis heurtée a été le fait de ne pas
avoir obtenu les journaux de bord demandés aux étudiants qui s’étaient pourtant
engagés à en tenir un. Quand je leur en parlais ils m’expliquaient qu’ils avaient
beaucoup de choses à faire pour leurs études et pour leur travail et qu’ils n’avaient
pas trouvé le moment de le faire, ils me promettaient quand même de le faire. J’ai
donc commencé à leur envoyer une question toutes les semaines par le biais de
« googledocs » pour qu’ils écrivent au moins un paragraphe mais peu d’étudiants ont
pris le temps d’écrire et je ne recevais qu’une ou deux réponses. N’ayant pas encore
recueilli les récits de vie et considérant que mon étude serait incomplète j’ai
commencé à m’inquiéter et à m’angoisser un peu. Mais ne pouvant rien faire pour
obliger les participants à écrire et sachant qu’ils me rendaient déjà un service
énorme en acceptant de participer à mon projet, j’ai dû utiliser une seule technique :
l’entretien semi-directif.
Même si j’ai effectué une étude où j’entretenais une relation d’amitié avec la
plupart des participants, tout comme Demazière (2008 : 20), je considère que
« l’entretien constitue toujours une intrusion dans la vie des personnes contactées :
intrusion dans leur agenda et leur temps personnel, mais aussi intrusion dans leur
intimité et leur monde personnel ». Plusieurs conditions de mon enquête la
rendaient, cependant, facile. Il s’agissait d’interroger des pairs dans le sens où on
avait suivi à peu près le même parcours professionnel : nous avons tous fait une
Licence en Langues Étrangères en Colombie et nous avons été des enseignants de
FLE, on est venu(e)s en France en tant qu’assistant(e)s d’espagnol et on y fait des
études de master. On a donc établi un contrat initial de communication avant de
démarrer l’entretien proprement dit, ils étaient disponibles à répondre aux questions
et moi à leur en poser. Il n’y avait pas de soupçons de la part des enquêtés. Il faut
dire que c’était toujours moi qui cadrais l’interaction, je décidais donc quand
l’interaction devait se terminer, ce qui témoigne de l’asymétrie de rôles.
Pendant l’entretien, j’étais toujours à l’écoute (hochements de tête, regard, signaux
sonores). Cependant, soucieuse d’aborder toutes les thématiques du guide
d’entretien, je faisais parfois des ruptures brusques et passais à un nouveau thème
sans bien enchaîner. Autrement dit, certaines réponses ou commentaires des
interviewés se trouvant au cœur de mon questionnement n’ont pas donné lieu aux
30
reprises, à des explorations ou à des demandes d’élucidation de ma part, pourtant
possibles.
Un autre aspect qui mérite d’être mentionné consiste en la difficulté de
susciter une réponse impliquant un récit. Parfois les participants donnaient des
réponses courtes à certaines questions qui étaient censées provoquer une réponse
plus longue en forme de récit. Je devais donc relancer ou enchaîner avec une autre
question.
La retranscription des entretiens a été aussi difficile, d’abord parce qu’il fallait
prendre des décisions à propos des conventions de transcription et parce qu’il n’y
avait qu’un seul transcripteur : moi-même. Ce qui prend plus de temps et diminue le
degré de fiabilité puisqu’on ne peut pas effectuer une triangulation des interprétations
faites pendant la transcription.
3.3 Participants : caractéristiques, recrutement et passation des entretiens
9 étudiants colombiens participent à cette recherche : 3 femmes et 6
hommes. La plupart sont en France depuis 2011 ou 2012, il y a un étudiant qui est
arrivé pour débuter son année en 2013. D’autres sont arrivés en France en 2006 ou
2010 mais sont rentrés en Colombie et sont revenus en France quelques années
plus tard. Ils ont terminé leurs études de Licence en Didactique du FLE au sein de 5
universités en Colombie situées dans 5 départements différents et ils poursuivent
des études de master en Didactique du FLE ou en Sciences du Langage dans 3
universités françaises situées à Paris, Lyon et Grenoble. J’entretiens avec eux une
relation amicale, j’ai fait la connaissance de certains d’entre eux dans mes cours à
Paris 3. Je les ai sollicités depuis le début et ils ont tous accepté de participer à ma
recherche. Une présentation plus complète des participants est proposée en page
36.
Les entretiens qui composent mon corpus ont été réalisés pendant le mois
de février et mars 2014, en France, dans 4 villes situées dans deux régions
différentes : Ivry-sur-Seine et Paris (Île de France), Chambéry, Grenoble et Saint
Martin d’Hères (Rhône-Alpes). Il s’agit d’un corpus constitué dans des conditions
similaires. Les entretiens ont, en effet, été réalisés dans les logements privés des
interviewés ou de la chercheuse. L’enregistrement a duré une heure à peu près, sauf
une fille avec qui l’entretien s’est passé très vite et a duré une trentaine de minutes,
31
et un garçon que je ne connaissais pas qui a parlé pendant une heure quarante
minutes. J’ai fait en sorte que tous les entretiens se déroulent dans un endroit calme
où personne ne pouvait nous interrompre. Etant donné que les colocataires étaient
également sur le lieu où se déroulaient les entretiens, la plupart du temps on
s’installait près d’un bureau, dans la chambre de l’interviewé. Des fois on était
obligés d’interrompre l’enregistrement car les colocataires arrivaient et, ignorant ce
qu’on faisait, frappaient à la porte et parlaient afin de savoir s’il y avait quelqu’un
dans l’appartement. Il s’avère donc intéressant de présenter le cadre et le résumé de
chaque enregistrement.
3.4 Corpus recueilli
Je présenterai les entretiens dans l’ordre chronologique de leur réalisation mais
regroupés par département. Afin de garantir l’anonymat des participants, leur prénom
a été remplacé par un pseudonyme, qu’ils ont souvent choisis eux-mêmes. Je vais
d’abord m’attacher à décrire les conditions de rencontre et le contexte où l’entretien
s’est déroulé, pour ensuite résumer le parcours des interviewé(e)s. À la fin, je
récapitule les caractéristiques principales des interviewé(e)s.
Ile de France
Jerónimo
06/02/2014
J’ai fait la connaissance de Jerónimo dans un séminaire mutualisé à l’ILPGA
(Université Sorbonne Nouvelle) en janvier 2013. À partir de ce moment-là on a
commencé à partager du temps ensemble et une belle amitié s’est tissée entre nous.
L’entretien a eu lieu en soirée dans l’appartement où il logeait à Ivry-sur-Seine. On
s’est installés dans sa chambre parce que son colocataire pouvait nous interrompre
à son arrivée. On s’est assis à côté du bureau où j’ai posé le dictaphone.
Jerónimo a 30 ans, il est arrivé en France en 2012 pour faire un master en
Didactique du FLE à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Il est né à El Zarzal,
un village situé dans le département du Valle del Cauca et il y a fait ses études
primaires et secondaires. Il a fait aussi des études techniques professionnelles dans
32
le domaine de l’informatique. À l’âge de 22 ans, il est parti faire des études à Cali, la
capitale du département. Il a donc fini sa Licence en Langues Étrangères à
l’Université Santiago de Cali en 2010. Il a travaillé comme professeur de FLE à
l’Alliance Française de Cali.
Verónica
07/02/2014
J’ai rencontré Verónica dans un séminaire mutualisé à l’ILPGA (Paris 3) en octobre
2012. On a tissé des liens en tant que colombiennes et hispanophones mais je
pourrais dire que c’est surtout après l’entretien qu’on a commencé à partager
davantage. L’entretien s’est déroulé à Paris, dans le foyer où elle habite, dans une
sorte de salon commun mais on était seules autour d’une table.
Elle a 26 ans et fait un master en Didactique du FLE à l’Université Sorbonne
Nouvelle – Paris 3. Elle est née à Bogota et y a fait toute sa scolarité. Elle a fait une
Licence en Langues Étrangères à l’Université Javeriana. Pendant la dernière année
de ses études de Licence, elle a commencé à travailler comme enseignante de FLE
dans un lycée publique et comme enseignante d’anglais auprès des enfants. Elle est
venue en France en 2011 pour être assistante de Langue Vivante dans deux lycées
à Paris. Elle est rentrée en Colombie pendant quelques mois pour revenir en 2012 et
commencer son master.
Julián
22/02/2014
J’ai fait la connaissance de Julián dans un séminaire à l’ILPGA en septembre 2013
quand je faisais mon M2 et il venait d’arriver à Paris pour commencer son M1 en
Sciences du Langage. On se connait très peu et avant l’entretien on avait juste
partagé une soirée avec mes amis. L’entretien s’est déroulé chez moi, on s’est
installés sur un canapé mais suite à l’arrivée de mon colocataire on a fait une pause
pour nous déplacer dans ma chambre. Il était un peu gêné du fait que l’entretien se
déroule en français mais je lui ai dit qu’il avait la liberté de passer à l’espagnol.
Julian fait son M1 en Sciences du Langage à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris
3. Âgé de 25 ans, il est né à Viterbo et a fait une Licence en Langues Modernes à
33
l’Université de Caldas, à Manizales. Il a travaillé comme professeur d’espagnol en
Colombie. Il est arrivé en France en septembre 2013 et a obtenu un contrat à
l’Académie de Paris pour enseigner l’espagnol comme langue étrangère.
Sara
11/03/2014
J’ai rencontré Sara lors d’un séminaire mutualisé à l’ILPGA, le même enseignement
où j’ai fait la connaissance de Jerónimo, ils étaient toujours ensemble. On a toujours
eu une bonne relation, c’est une fille sympathique et décontractée. Elle a préféré
aller à mon domicile pour conduire l’entretien parce qu’elle me disait qu’il y avait
toujours du monde chez elle et qu’on serait facilement interrompues. Pour conduire
l’entretien on s’est assises sur le canapé et on a posé le dictaphone sur une table
basse en face de nous. Elle avait un discours très naturel et spontané, ça a été un
entretien très riche.
Sara poursuit des études de master en Didactique du FLE à l’Université Sorbonne
Nouvelle- Paris 3. Née à Manizales et âgée de 27 ans, elle a fait une Licence en
Langues Modernes à l’Université de Caldas et a vécu en France pendant l’année
scolaire 2009-2010 pour travailler en tant qu’assistante de langue vivante dans un
lycée en région parisienne. Elle est revenue en France en 2012 pour faire des études
de master.
Santiago
22/03/2014
J’ai rencontré Santiago dans le hall de la bibliothèque de Paris 3 (centre Censier), je
l’ai entendu parler en espagnol et je me suis aperçue qu’il était colombien, on a parlé
pendant 5 minutes à peu près de ce qu’on faisait à Paris et il m’a dit qu’il avait fait le
même master que moi. Pour l’entretien, il a préféré aller chez moi, j’ai fait donc
comme pour Sara, on a conduit l’entretien assis sur le canapé et tout s’est bien
passé même si c’était la première fois qu’on se parlait vraiment. C’est quelqu’un de
très ouvert et il n’était pas du tout gêné par le fait qu’il soit l’invité chez moi, c’était
comme si on se connaissait depuis longtemps.
34
Santiago a 35 ans et il fait sa première année de thèse en Sciences du Langage à
l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Il est né à Popayan et a fait une Licence en
Langues Étrangères à l’Université du Cauca. Il est arrivé à Lille en 2006 pour être
assistant de langue vivante dans un lycée, il est reparti en Colombie l’année suivante
et a travaillé en tant que professeur d’anglais dans une communauté Indigène dans
son département. En 2011 il est revenu à Paris pour faire un master en Sciences du
Langage à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
Rhône-Alpes
Armando
24/02/2014
J’ai fait la connaissance d’Armando en 2010 lorsqu’il faisait sa dernière année de
Licence et que je travaillais comme enseignante de FLE à l’Université d’Antioquia.
On n’était pas très proches à l’époque, mais sachant qu’on était tous les deux en
France, on s’est contactés sur Facebook. L’entretien s’est déroulé à son domicile, à
Saint Martin d’Hères, d’abord dans la salle à manger, puis dans sa chambre parce
que ses colocataires sont arrivés et on a dû interrompre l’enregistrement.
Armando fait son M1 en Sciences du Langage-Spécialité FLE à l’Université
Sthendal-Grenoble 3. Il a 25 ans et est né à Amalfi, un petit village situé dans le
département d’Antioquia. Il a quitté son village natal pour s’installer à Medellin et
pouvoir poursuivre ses études de Licence en Langues Étrangères à l’Université
d’Antioquia. Après recevoir son diplôme, il a travaillé pendant quelques mois en tant
que professeur de FLE à l’Alliance Française de Medellin. Il est arrivé à Grenoble en
2012 pour être assistant d’espagnol et il est rentré en Colombie pendant quelques
mois afin de faire les démarches correspondantes pour être admis
dans une
université en France.
Milena
24/02/2014
Milena étudie avec Fernando mais elle est colocataire d’Armando. Je ne la
connaissais pas mais elle a demandé ce que je faisais avec lui et elle s’est montrée
35
intéressée à témoigner de son expérience en France. J’ai donc conduit l’entretien
dans sa chambre, près du bureau où j’ai mis le dictaphone. C’est une fille
sympathique et un peu timide. Le fait que c’était la première fois que nous parlions
n’a pas contribué à lever nos inhibitions et j’ai été un peu maladroite au moment de
lui poser les questions et d’enchaîner les thématiques.
Milena fait sa deuxième année de master en Didactique de Langues et Ingénierie
Pédagogique Multimédia (DILIPEM) à l’Université Sthendal-Grenoble 3. Âgée de 25
ans, elle est née à Popayan et a fait une Licence en Langues Étrangères à
l’Université du Cauca. Milena a travaillé comme professeure d'anglais en maternelle
et en école primaire et dans des instituts de langues à Popayan et dans une
université à Medellin. Elle a exercé aussi comme enseignante de FLE à l'Alliance
Française à Popayan, à la Police Nationale à Medellin et dans un Lycée dans un
village près de Medellin. En 2011 elle est arrivée en France pour être assistante
d’espagnol dans un lycée, puis en 2012 elle a commencé son master.
Fernando
24/02/2014
Je connais Fernando depuis 2006 quand il commençait à faire sa Licence et que
j’étais sur le point de finir le même programme. On a des amis en commun mais on
n’a jamais été très proches, le fait d’être tous les deux professeurs de français, avec
les mêmes motivations pour partir étudier à l’étranger et le fait que j’avais déjà été
assistante d’espagnol en France en 2007 nous a rapprochés quand il finissait son
programme en 2011. Il habite à Grenoble dans un grand appartement qu’il partage
avec une mexicaine et un autre colombien que je connais. On a conduit l’entretien
dans sa chambre parce que ses colocataires et sa petite amie étaient dans
l’appartement et il ne voulait pas qu’ils entendent ce qu’il allait dire. J’ai été surprise
parce qu’il a toujours été très timide et je ne m’attendais pas à ce qu’il dise autant de
choses lors de notre conversation. Cela a été un échange très riche.
Fernando fait son M2 en Didactique de Langues et Ingénierie Pédagogique
Multimédia (DILIPEM) à l’Université Stendhal-Grenoble 3. Il a 26 ans et il est né à La
Unión, un petit village situé à l’Est du département d’Antioquia. Il y a toujours vécu
même quand il faisait ses études de Licence en Langues Étrangères au siège que
36
l’Université d’Antioquia a dans une municipalité voisine. Il a reçu son diplôme début
2011 et a commencé à travailler en tant que professeur de FLE dans un collège
privé, dans une municipalité près de Medellin. La même année il est venu en France
pour être assistante de langue vivante dans une école primaire. En 2012, il est rentré
en Colombie pendant quelques mois pour finir les démarches afin d’être admis dans
une université française.
Oscar
25/02/2014
J’ai fait la connaissance d’Oscar en 2010 quand il postulait pour être assistant
d’espagnol en France car, par le biais d’une amie en commun, il m’a contacté pour
que je lui donne des recommandations étant donné que j’avais déjà eu cette
expérience. L’entretien s’est déroulé le soir à son domicile à Chambéry. Il y a eu un
moment où on rigolait beaucoup et on a dû interrompre l’enregistrement parce qu’on
ne pouvait plus parler.
Oscar a 28 ans et il est né à La Dorada, un village situé dans le département de
Caldas. Il a commencé sa Licence en Langues Étrangères à l’Université de
Pamplona dans le département du Norte de Santander mais a fait un transfert à
l’Université d’Antioquia où il s’est diplômé en 2010. Il est arrivé en France en tant
qu’assistant d’espagnol pour l’année scolaire 2010-2011. Il a décidé de rester à Lyon
où il a fait un master en Sciences du Langages à l’Université de Lyon. En 2011 il a
commencé à travailler comme professeur d’espagnol dans le même établissement et
en 2012 il a obtenu un contrat à l’Université de Haute Savoie et a donc déménagé à
Chambéry.
3.4.1 Tableau récapitulatif des entretiens
Prénom
Sexe
Département
d’origine
Jerónimo
M
Valle
Cauca
Verónica
F
Cundinamarca
Julián
*
M
Caldas
del
Université
en
Colombie
Universidad
Santiago de
Cali
Universidad
Javeriana
Universidad
de Caldas
Université
en France
Université
Sorbonne
Nouvelle
Université
Sorbonne
Nouvelle
Université
Sorbonne
Nouvelle
Ville en
France
Année
d’arrivée
en France
2012
Date de
l’entretien
Durée
06/02/2014
1:03:48
Paris
2011
07/02/2014
55:12
Paris
2013
22/02/2014
1:11:09
Ivry-surSeine
37
Armando
M
Antioquia
Universidad
de Antioquia
Milena
F
Cauca
Universidad
de Cauca
Fernando
M
Antioquia
Universidad
de Antioquia
Oscar
M
Santander
Sara
*
F
Caldas
Universidad
de Antioquia
Universidad
de Caldas
Santiago
*
M
Cauca
Universidad
de Cauca
Université
StendhalGrenoble
3
Université
StendhalGrenoble
3
Université
StendhalGrenoble
3
Université
de Lyon
Université
Sorbonne
Nouvelle
Université
Sorbonne
Nouvelle
Saint
Martin
d’Hères
2012
24/02/2014
1:00:53
Saint
Martin
d’Hères
2011
24/02/2014
31:47
Grenoble
2011
24/02/2014
1:04:18
Chambéry
2010
25/02/2014
55:03
Paris
2009-2010
2012
11/03/2014
53:01
Paris
2006-2007
2011
22/03/2014
1:36:37
*Entretiens s’étant déroulés à mon domicile
3.5 Transcriptions
Tous les entretiens ont été transcrits intégralement sauf certains extraits
concernant des informations factuelles que j’ai décidé de résumer.
Pour effectuer les transcriptions je me suis servie du logiciel SONAL4, développé par
le sociologue Alex Alber, enseignant chercheur à l’Université François Rabelais, à
Tour. Ce logiciel gratuit permet d’archiver, retranscrire et puis analyser des
documents sonores, des vidéos et des documents de texte. Son intérêt pour mon
analyse repose sur le fait qu’il synchronise le son et le texte et permet la construction
d’une grille thématique. On a donc la possibilité de découper des extraits et de leur
assigner une thématique, sans parler de la malléabilité des fonctions qui s’adaptent
aux besoins spécifiques des enquêtes qualitatives : construire et renseigner une
base de données, utiliser le mode dictée, fusionner des extraits, modifier, replacer ou
recoder une thématique, marquer un passage (pondération qualitative), ajouter des
mots-clés, conduire des analyses lexicométriques, etc.
Pour plus d’informations concernant le logiciel SONAL, vous pouvez consulter le site suivant:
http://www.sonal-info.com/
4
38
3.6 Méthodologie et perspectives d’analyse
J’ai effectué une analyse qualitative de contenu suivant une approche inductive
et déductive. En d’autres termes, certaines catégories ont été préétablies à partir de
la littérature tandis que d’autres catégories ont émergé des données mêmes
(Creswell, 2007; Freeman, 1998; Huberman et Miles, 1991). J’ai suivi les étapes
proposées par Anne Burns (1999) : les données ont été assemblées, codées,
comparées et interprétées pour finalement rendre compte des résultats.
Suite à la transcription, j’ai d’abord fait une recherche des thématiques majeures
correspondant à mes thématiques du guide d’entretien. Cette étape a servi de
fondement à une analyse du contenu, de ce qui est dit. J’ai ensuite soumis quelques
extraits des entretiens à une analyse du discours afin de montrer comment se
construisaient discursivement des catégories relatives à l’identité et à l’évolution des
images et des stéréotypes. Pour cette étape, j’ai procédé à une description du
discours en m’intéressant aux marques de subjectivité ou aux déictiques qui sont
« les traces linguistiques de la présence du locuteur au sein de son énoncé »
(Kerbrat-Orecchioni 1980 : 36). Il s’agit d’éléments linguistiques qui servent de
repère par rapport au moment de l’énonciation tels que les pronoms personnels, les
temps verbaux, les adverbes, le lexique (les adjectifs, par exemple), les modalités
d’énonciation. Ce sont, en effet, les composantes de ce que Benveniste (1970, 1974)
a appelé l’Appareil Formel de l’Énonciation (désormais AFE) comme outil pour
étudier la relation du locuteur à la langue. Il me semble donc pertinent de présenter
les catégories qui composent l’AFE, à partir d’un article éponyme publié en 1970 par
ce linguiste incontournable en linguistique de l’énonciation et repris dans le Tome II
de son ouvrage Problèmes de Linguistique Générale. J’ai complété ma recherche
théorique et méthodologique avec la lecture de l’ouvrage L’Énonciation en
Linguistique Française, écrit par Maingueneau (1994,1999). Il faut dire que ce travail
a été l’occasion de m’initier à ce genre d’analyse qui complémente l’analyse de
contenu.
J’ai ainsi tenu compte des éléments figurant dans les quatre catégories de L’AFE :
les déictiques de la personne, les déictiques de la temporalité, les déictiques
spatiaux et temporels et les modalités :
39
a. Les déictiques de la personne ou « indices de personne » (Benveniste 1970 : 14) :
le « je » de l’énonciateur et le « tu » de l’allocutaire qui forment la sphère de
locution qui « renvoie à un univers extérieur, celui de la non-personne », c’est-àdire, « tous les objets dont parlent je et tu » (Maingueneau 1994,1999 : 23). Seuls
je/tu sont des personnes et il est ce que Benveniste (1966 : 230) appelle la nonpersonne et que nous appelons à tort la troisième personne. Maingueneau (1994,
1999 : 22) affirme que nous et vous ne sont pas le pluriel du couple je-tu, il s’agit
de « personnes amplifiées » et ce sont des formes « ambigües » :
Nous
Vous
je + je (+je)
je + tu (+tu)
je + il (+il)
tu + tu (+tu)
tu + il (+il)
b. Les déictiques de la temporalité : Les temps verbaux. Le présent linguistique est le
présent de l’énonciation, par rapport auquel se repèrent le passé et le futur. Il
existe plusieurs emplois du présent qui ne se rapportent pas à l’instance
d’énonciation : le présent générique, le présent historique, le présent itératif ou
d’habitude.
c. Les déictiques spatiaux et temporels : Je parle ici et maintenant (adverbes,
locutions adverbiales, les démonstratifs). Benveniste les appelle aussi indices
d’ostension.
Parmi les déictiques spatiaux, Maingueneau (1994, 1997) classe les démonstratifs
(déterminants
et
pronoms)
qui
peuvent
fonctionner
comme
déictiques
anaphoriques ou comme déictiques situationnels, les présentatifs (voici, voilà),
les adverbes et locutions adverbiales : ici/là/là-bas, près/loin, en haut/en bas, à
gauche/à droite. Les déictiques temporels sont ceux qui sont fixés grâce au
moment de l’énonciation : le moment où l’énonciateur parle, qui définit le présent
linguistique.
d. Les
modalités :
Manifestations
linguistiques
des
dispositions
subjectives,
affectives et mentales. L’énonciateur dispose de 3 modalités d’énonciation pour
montrer son attitude à l’égard de son allocutaire : assertive ou déclarative,
interrogative, injonctive ou impérative. Les attitudes de l’énonciateur par rapport à
40
ce qu’il énonce constituent les modalités d’énoncé : les modes verbaux
(subjonctif) pour exprimer attente, souhait, appréhension (Benveniste 1970 :16),
« la phraséologie (« peut-être », « sans doute », « probablement ») indiquant
incertitude, possibilité, indécision, etc., ou, délibérément, refus d'assertion. Selon
Maingueneau (1994, 1999 : 13), le langage n’est pas un simple instrument neutre,
destiné à transmettre des informations, c’est « une activité entre deux
protagonistes, énonciateur et allocutaire, activité à travers laquelle l’énonciateur se
situe par rapport à cet allocutaire, à son énonciation elle-même, à son énoncé, au
monde, aux énoncés antérieurs ou à venir. Cette activité laisse des traces dans
l’énoncé, traces que le linguiste cherche à analyser ».
La méthode d’analyse de l’énonciation consiste à relever et à analyser les marques
linguistiques de la subjectivité (marques formelles de la langue, traces que laisse
l’énonciation quand on parle) pour les interpréter.
Pour les extraits où les interviewés évoquent des transformations identitaires, j’ai
réalisé une analyse qui tient compte de certains aspects de l’interaction et de sa
dynamique me focalisant sur la co-construction du discours et des facettes
identitaires qui émergent lors de l’événement interactionnel que constitue l’entretien
semi-directif grâce auquel j’ai pu recueillir les récits de vie. Il s’est agi d’analyser des
phénomènes tels que les offres de sens, les reformulations, les reprises que les coénonciateurs font lors de l’entretien. Il s’agit, en effet, de considérer les récits de vie
comme « des reconstructions discursives du monde, à la fois formatées et
performatives, produites dans un contexte interactionnel et social singulier » (Nossik
2014 : 7)
41
4. Résultats et discussion
42
Pour cette partie je ferai en sorte que les thématiques abordées suivent un
ordre chronologique pour refléter l’ordre des événements dans la vie d’un être
plurilingue qui fait des études à l’étranger. Pour ce faire j’évoquerai tout d’abord les
motivations que les participants avaient envers les langues étrangères, leur
imaginaire linguistique concernant les langues qu’ils parlent y compris leur langue
première, les images qu’ils avaient par rapport à la France et aux Français, la façon
dont ils ressentaient le départ à l’étranger. Ensuite j’aborderai les difficultés
rencontrées et les épreuves surmontées lors de leur arrivée et leur séjour en France,
les stratégies d’apprentissage de la langue et de la culture, leurs usages langagiers
et réseaux, et les aspects de la compétence de communication qu’ils ont renforcés
en milieu homoglotte. Finalement je m’attacherai à analyser les transformations
identitaires évoquées dans l’interaction.
4.1 Des motivations partagées pour les langues étrangères
Tous les participants sont passionnés des langues étrangères et sont
plurilingues mais ils ne sont pas nés dans un milieu qui favorise l’apprentissage de
langues parce que leurs parents sont monolingues, la plupart des membres de leurs
familles ne parlent qu’espagnol. Leur premier contact avec une langue étrangère a
été avec l’anglais à l’école primaire ou au lycée puisque c’est la langue étrangère
promue dans le système éducatif colombien. Ils ont appris à communiquer en langue
étrangère à l’âge adulte, surtout à l’université au sein de la Licence en Langues
Étrangères.
Quelques-uns étaient motivés par le désir de devenir des enseignants (Jerónimo,
Oscar, Armando). Pour d’autres, les langues étrangères étaient un passage, un
tremplin pour accéder à d’autres choses : faire d’autres études (Fernando), voyager
connaitre d’autres cultures et ouvrir leur esprit (Santiago, Verónica). Sara a décidé
d’étudier l’anglais pour partir aux États-Unis et puis elle a décidé d’étudier le français
pour connaitre la France. La plupart d’entre eux ont entendu le français pour la
première fois à l’université et c’est une langue qu’ils ne s’attendaient pas à apprendre
auparavant, ça a été une vraie surprise et un coup de foudre. Un facteur déterminant
pour leur motivation a été aussi le fait d’avoir de bons professeurs de FLE, qu’ils
soient natifs ou non (Jerónimo, Armando, Sara, Milena, Oscar, Fernando) ou
43
l’expérience d’autres étudiants plus avancés ou déjà diplômés qui avaient vécu en
France (Milena). Pour d’autres le français était optionnel dans leur programme de
Licence et ils ont voulu l’étudier afin d’élargir leur répertoire langagier (Sara et
Julian). Verónica indique que parler une langue étrangère c’est avoir une nouvelle
identité et Sara avoue qu’elle a choisi le français pour se démarquer de ses copains
qui choisissaient l’anglais.
4.2 Imaginaire Linguistique à propos des langues parlées
L’analyse tente de mettre à jour certains aspects de l’imaginaire linguistique
(Houdebine) des personnes rencontrées. Ce concept permet de connaitre les
attitudes et représentations que les participants ont envers les langues qu’ils
apprennent ou qu’ils parlent. Je présenterai donc la manière dont les étudiants
colombiens décrivent les langues qu’ils parlent : le français, l’espagnol et l’anglais.
a. Le français : une belle langue
Les étudiants s’accordent tous à dire que le français est une belle langue et
qu’ils adorent sa musique, ses aspects prosodiques. Santiago et Fernando s’y sont
intéressés aussi parce qu’ils aimaient la culture, l’art et la littérature française.
Ils utilisent plusieurs nominations pour le français. C’est le savoir intellectuel et
l’académie (San578-579), la découverte (Fer521-524), la reconnaissance (Sar257),
la passion de sa vie (Jer59-60), une langue puissante, structurelle, directe et limpide
(Ver295-296), la langue de l’amour (Osc74), une vraie surprise (Arm349), un défi
(Jul221), un outil qui lui a permis d’être professeure, de faire des études en France et
de voyager (Mil238-240).
Le français est la deuxième langue étrangère avec laquelle ils ont eu contact mais il
est plus important dans leur vie que l’anglais qu’ils ont connu en premier. Il semble
que la ressemblance avec l’espagnol a joué un rôle important pour faciliter son
apprentissage selon Fernando (43-44). Également, Jerónimo (119-122) trouvait que
le français, vu qu’il possède des règles de grammaire et de prononciation plus
précises, était pour lui plus facile à apprendre que l’anglais. Julián (241), Milena
44
(338), Jerónimo (782) affirment que le français fait partie de leurs vies puisque c’est
une culture et une langue qu’ils habitent. Milena (339) dit avoir vécu beaucoup de
choses en France qui la font s’attacher à la langue.
Lors de l’entretien je leur ai demandé quelle langue ils choisiraient pour
communiquer avec tout ce qui les entoure au cas où ils perdaient l’usage de la
parole (cf. guide d’entretien : le jeu du chaman), seul Oscar a choisi le français parce
qu’il se sent à l’aise et il aime la liberté qu’il a trouvé en France. Regardons l’extrait
suivant (Osc399-406)5:
Parce que j'aime bien le français, j'adore la musique, j'adore la langue, c'est
vraiment joli, et parce que parce que la langue aussi ça fait partie de la culture,
de l'histoire et tout donc je trouve que je xxx et en plus que - je ne sais pas mais
je me sens très à l'aise en France, je crois que c'est aussi à cause de la liberté
que tu as, que tu n'es pas jugé, que tu fais toutes les choses que tu veux, tout,
et voilà, peut-être c'est lié à ça mais je ne nie pas que l'espagnol - j'adore
l'espagnol aussi parce que c'est une langue aussi très jolie mais s'il faut décider
je changerais, oui, pourquoi pas ?, parce que maintenant que je la connais
beaucoup plus et tout
b. L’espagnol : la langue de leurs racines et de leur identité
L’espagnol est la langue première de tous les étudiants interviewés, ils n’ont
jamais été en contact ou appris une des 64 langues indigènes qui ont un statut
constitutionnel de langue nationale en Colombie. Sara est la seule à dévaloriser
l’espagnol et à ne pas montrer un lien affectif fort avec sa langue première. En fait,
elle affirme qu’elle ne perdrait « rien » (304) si elle perdait l’espagnol ; par contre,
« le français c’est vraiment quelque chose » (331). Elle considère que parler français
lui donne plus de possibilités dans la vie en général, notamment « au niveau du
travail » (228) ; être français, suisse ou belge est plus important qu’être colombien ou
5
J’ai utilisé des conventions de transcription orthographique adaptées aux objectifs de mon
étude et fidèles au discours des participants. J’ai numéroté les lignes et les tours de parole pour
faciliter la référence à certains extraits cités dans l’analyse. Quand je fais référence au corpus j’utilise
des codes contenant les trois premières lettres du prénom du participant suivies du numéro des
lignes, le code Osc399 correspondrait donc à la retranscription du récit d’Oscar et à la ligne 399.
45
latino-américain. Il est clair qu’elle n’est pas consciente du fait que le français est
aussi parlé en Afrique mais elle argumente en disant que le français qu’on apprend
n’est « PAS forcément le français […] de l'Afrique » (279). Elle est donc consciente
qu’il y a une variété qui jouit de plus de prestige, un français normatif qui est plutôt
celui de la France. On verra après que cette survalorisation du français va être
directement proportionnel à son souci pour gommer son accent d’étrangère afin de
parler comme une française. Regardons cet extrait (Sar254-266):
[>Doris] 40 : Pourquoi tu dis que tu préfères le français à l'espagnol ?
[>Sara] 40 : +++ je pense que c'est plutôt question de, je ne sais pas, je vais
dire peut-être une bêtise mais peut-être question de reconnaissance
[>Doris] 41 : De statut ?
[>Sara] 41 : Voilà c'est ça, parce que si tu dis que tu parles espagnol ((elle fait
un geste et un son pour indiquer que c'est pas grand-chose)), soit tu es
espagnol, soit tu es sud-américain, les sud-américains ((elle fait encore une fois
le même geste accompagné du son qui indique que ce n'est pas grand-chose)),
par contre si tu dis que tu parles français, ta langue maternelle c'est le français,
WOW, soit tu es français, soit tu es suisse, soit tu es [canadien]
L’image que Sara a de l’espagnol reflète en quelque sorte les résultats d’une étude
mentionnée par Moore (2006 : 31), et conduite par Moris en 2003, auprès
d’enseignants de français au Pérou. Il a trouvé que « nombre de ceux-ci ont choisi
l’apprentissage du français, et plus tard son enseignement pour cacher leurs racines
amérindiennes et leurs langues, le quechua ou l’aymara ».
Pour la plupart d’étudiants, l’espagnol est une belle langue (Mil198, Jer347) et
elle représente leur identité (San549, Jer340, Jul317, Mil222), leurs racines
(San561/568, Osc410), leur langue d’appartenance et de leur territoire (Jer340/343),
la langue de leur pays (Jul311), la langue de leur famille (Jul311) et de leurs amis
(Arm407). Regardons cet extrait où Santiago fait une métaphore en se comparant à
un ballon gonflable attaché par un fil à sa culture, s’il perd l’espagnol ce serait
comme couper le fil et perdre ses repères (549-563) :
[>Santiago] 54 : Parce que le castillan ça fait partie de mon identité, c'est mon
identité, c'est moi, c'est toujours dans cette langue, le castillan, je peux
exprimer ce que je suis, ce que je ressens, ce que - moi, je peux m'exprimer
moi-même
46
[…]
[>Doris] 57 : Donc si tu le perds, tu perds quoi ?
[>Santiago] 57 : Si je le perds, je perds aussi, je pense que je perdrais cette
liaison avec ma culture, c'est un peu comme si on coupait un fil qui m'attache à
mes racines, tu vois ?, c'est un peu comme on dit un ballon gonflable d'hélium
que tu tiens avec un fil, donc tu coupes le fil et hop le ballon il s'en va
Pour Jerónimo « perdre l’espagnol c’est comme perdre son âme » (444-445).
Fernando de son côté affirme que l’espagnol « c'est ++ c'est MOI et c'est l'espagnol
qui m'a fait personne, après c'est l'anglais et le français qui m'ont introduit dans le
monde mais moi c'est l'espagnol » (495-496). Armando dit que « c'est la langue à
laquelle je m'identifie […] c'est la langue de ma vie c'est la langue de ma famille, c'est
la langue de mes amis » (405-407). Pour Julian, l’espagnol c’est aussi son
« histoire » (337) et il dit qu’il ne pourrait jamais faire ce qu’il fait avec l’espagnol
« avec une autre langue » (323) parce que l’espagnol c’est la langue avec laquelle il
peut s’exprimer « sincèrement » (312), c’est son « langage interne » (317), il y a
donc une compétence de locuteur natif qu’il pense qu’il n’atteindra jamais dans une
langue étrangère. Milena (220-224) affirme son identité de colombienne et de latinoaméricaine grâce à sa langue première :
[>Doris] 29 : Donc l'espagnol représente pour toi quoi exactement ? ++ il
représente euh
[>Milena] 29 : Mon identité, l'espagnol c'est comme je me présente, c'est une
langue qui m'a été assignée pour le lieu où je suis née mais ça m'identifie moimême comme Milena, comme une latine, comme une colombienne qui exprime
des choses à travers la langue
Oscar et Verónica sont des cas particuliers parce que même s’ils apprécient
l’espagnol ils ne l’ont pas choisi lors du jeu comme langue pour communiquer
pendant toute leur existence. Même si Oscar « adore l’espagnol parce que c’est une
langue très jolie » (404), et en l’effaçant de son répertoire il perdrait ses « racines »
et donc ce qu’il est (410-411), il choisirait le français parce qu’il dit que maintenant il
fait sa vie en France. Malgré le fait qu’elle perdrait « le côté de gaité, le côté aimable,
le côté où toutes les personnes peuvent aider » (302-303) vu qu’elle est « plus
ouverte, plus chaleureuse » (353-354) quand elle parle espagnol, Verónica choisirait
47
l’anglais ou le français pour communiquer pendant toute son existence parce qu’elle
trouve que « dans la communication il y a un problème » (309) avec l’espagnol : « on
parle, on parle et on parle et on parle pour finalement dire quelque chose » (311312).
c. L’anglais : la langue véhiculaire dans le monde
L’anglais a été imposé aux étudiants vu que c’est la première langue
étrangère enseignée dans le système éducatif colombien. Il a constitué un choix à
l’âge adulte car ils ont tous fait une Licence en Langue Étrangères. Cependant, ils
n’expriment pas trop d’affect pour cette langue qu’ils voient plutôt comme « utile »
(Fer539) « indispensable » (Jul443) et « nécessaire » (Ver83) dans un monde
globalisé, « c’est la langue véhiculaire du monde » (Jer466). Elle représente aussi
dans
leur
Imaginaire
Linguistique
« le
capitalisme »,
« l'argent »,
« les
multinationales » (San621- 622), c’est une langue qui donne accès à « l’actualité »
du monde entier (Fer538). Pour Armando, l’anglais constituait « un défi » (463) parce
qu’il ne possédait pas les connaissances de base que les professeurs prenaient pour
acquis quand il a commencé ses études de Licence.
4.3 Images idéalisées de la France et des Français
a. La France : « un conte de fées » ou « le paradis »
Tous les étudiants interviewés avaient une image de la France, véhiculée par
les médias, les films ou par leurs professeurs, qui correspondait à quelques lieux
célèbres ou à la gastronomie. Ils pensaient par exemple à la Tour Eiffel, à l’Avenue
des Champs-Élysées, au Tour de France, au fromage, au vin ou à la baguette. Ils
avaient tous une image très positive de la France, ils l’imaginaient comme « un
monde merveilleux », comme « un conte de fées » (Sar54), « un monde qui est
vraiment fantastique » (Ver85), « le paradis le lieu où tout est parfait où y a pas de
soucis, y a pas de problèmes » (Arm496-497), « un pays plus élitiste » (Mil94). Paris
représentait « la ville lumière, la ville culturelle, la ville des amoureux » (Jer194-195),
c’était « un Paris où tout est bien, tout est joli, le Paris parfait » (Fer255-256).
48
b. Les Français : des gens cultivés, romantiques et classe
Ils avaient aussi certains préjugés par rapport aux Français. Selon Santiago,
un Français c’est quelqu’un qui est « très poli, très cultivé intellectuellement, qui aime
beaucoup lire et qui a un discours un peu des droits de l'homme, de la justice, de
l'égalité, la fraternité » (393-394). Fernando avait « l'image du français qu'on voit
dans les films » (250) : un Français « TRÈS très blond » (254). Sara avait l’idée que
« tout le monde a un diplôme, tout le monde a de bons salaires » (68). Jerónimo
pensait que « le français » était « romantique », « classe » (87). Oscar pensait que
les Français étaient « vraiment très carrés » (110-111), il entendait dire que « les
français ne se lavent pas » (120), que « les français sont râleurs, […] ils se plaignent
tout le temps » (124), et qu’« ils aiment pas travailler justement parce qu'ils sont en
grève tout le temps » (125-126). On disait à Armando que les français étaient « un
peu froids », « un peu distants » mais qu’ils n’étaient pas « méchants » (99-100).
On verra que dès qu’ils sont confrontés à la réalité certaines images et préjugés par
rapport à la France et aux Français vont se renforcer et d’autres vont se modifier ou
disparaitre.
4.4 Partir à l’étranger : un besoin
Tous les étudiants ressentaient le voyage et le départ à l’étranger comme un
besoin ou un manque à plusieurs niveaux. La plupart éprouvait le besoin de « parler
la langue dans son contexte » (San151-152), le désir d’« améliorer » (Osc275 ;
Arm18 ; Mil52) ou de « perfectionner » (Jer154) leur niveau de langue grâce à
l’« immersion » (Sar24). Étant donné que la majorité a d’abord voyagé en France afin
de travailler comme assistants de langue vivante (espagnol), ils voulaient aussi
« avoir une première expérience dans l’enseignement » (Sar22-23). Ils affirment
également que c’était nécessaire de se former plus, de faire des études parce
qu’« avec une Licence en Colombie ça suffit pas » (Ver127-128). Pour Milena, c’était
une opportunité de « continuer [son] projet de vie, [son] projet professionnel » (56).
D’autres ressentaient aussi le besoin de « voyager » et « découvrir » (Mil53), de
connaitre le monde et d’être en contact avec la culture française (Jul15 ; Arm132). Ils
considéraient aussi que le fait de vivre dans un pays francophone est « une bonne
49
expérience pour un enseignant de FLE » (Arm17-18). Certains décrivent ce départ à
l’étranger comme « un rêve » (Jul114) ou même « le rêve » (Fer238) : « le rêve
français » dit Sara (53) en le comparant avec le rêve américain qu’elle avait au début
quand elle a commencé à étudier l’anglais.
a. Émotions ressenties : entre la joie et la tristesse
Une fois que la décision de partir a été prise et que le voyage s’est concrétisé, tous
les étudiants se trouvaient entre deux émotions : la joie de voir un rêve sur le point
de se réaliser et la tristesse et la nostalgie d’abandonner leurs familles et leur pays
pour « la première fois » (Mil77). Ils étaient donc très « contents » (Arm37) mais au
même temps quelques-uns ont « beaucoup pleuré » (Osc331) quelques jours avant
le départ ou le jour de leur voyage. Regardons ce qu’Oscar dit à ce propos (322-326)
:
j'étais content, donc, au même temps j'ai commencé à avoir un peu d'angoisse
parce que je savais que j'allais partir, c'était la première fois et j'avais pas
vraiment fait un grand voyage comme ça donc pour moi c'était compliqué de ce
côté-là et moi j'étais vraiment attaché à ma famille donc voilà tu imagines que
c'est pas facile, c'est pas évident
Julián (37-39) se trouvait aussi entre la joie et la nostalgie :
[…] bon au niveau personnel ++ au début j'étais très très content mais 15 jours,
20 jours avant le voyage j'ai ressenti la nostalgie et c'était un changement euh
bon très important pour moi et je suis très attaché à ma famille et surtout à ma
mère […]
Sara (42-45) a beaucoup pleuré :
La première fois c'était SUPER SUPER dur parce que c'était la première fois que
j'allais vivre loin de mes parents, donc c'était super dur et je me rappelle que,
avant de venir, je pense la dernière semaine, j'ai BEAUcoup pleuré parce que je
savais que j'allais venir ici et j'allais être toute seule […]
50
4.5 Arrivée en France : prise de conscience de l’interculturalité
Les étudiants colombiens débarquent tous à Paris et pour certains le contact
avec la « vraie France » comme ils l’appellent a été une sorte de choc, ce à quoi ils
ne s’attendaient pas. Regardons cet extrait (Fer256-265) :
[>Fernando] 34 : […] et je suis arrivé à Paris, et mon premier contact c'était
avec le métro où j'ai commencé à voir que des étrangers, des migrants et des
choses que - en Colombie on n'est pas habitués à être à côté de, d'un
musulman qui porte des vêtements typiques, à côté d'un chinois, d'un africain,
alors j'étais complètement perdu, c'est pas ça la France mais où est-ce que je
suis ?
[>Doris] 35 : Oui, c'est pas ça l'image de la France que tu avais
[>Fernando] 35 : Non, pas du tout, c'était Paris, Paris ((rires)), alors, ça m'a
beaucoup impressionné et j'étais ++ pas bloqué mais j'étais très "où est-ce que
je suis ?"
On remarque que Fernando se sentait complètement perdu et qu’une source
d’étonnement a été le flux migratoire en France qu’il ne connaissait pas.
L’immigration a aussi étonné Santiago (408) et Jerónimo qui dit qu’« on n'a pas ces
impressions en Colombie » et qu’« on attend jamais ça » (200-201).
Certains comme Véronica, par exemple, sont déçus dès leur arrivée en France et
commencent à se construire une image négative du pays : « tu retrouves une image
qui est complètement triste », « t'es déçu complètement » (409-410).
Quoi qu’il en soit, ce contact avec une autre culture et manière de voir le monde a
aidé les étudiants à une prise de conscience interculturelle définie comme « la
connaissance, la conscience et la compréhension des relations, (ressemblances et
différences distinctives) entre « le monde d’où l’on vient » et « le monde de la
communauté cible » (CECRL 2001 : 83). D’après Cuq (2003 : 136-137), l’interculturel
« suppose l’échange entre les différentes cultures, l’articulation, les connexions, les
enrichissements mutuels. Loin d’être un appauvrissement [. . .], le contact effectif de
cultures différentes constitue un apport où chacun trouve un supplément à sa propre
culture ». Porcher (2004) affirme que l’interculturel est le résultat d’un processus où
trois éléments convergent : la décentration, l’altérité et l’intersubjectivité. La
décentration consiste en « s’efforcer de se placer dans la position de l’autre
51
(l’étranger par exemple), de comprendre comment il pense, il sent, il agit » (Ibid. :
115). L’altérité s’agit de comprendre que « je suis moi-même un alter pour l’autre, un
autre pour l’autre » (Ibid. : 116). Pour ce qui est du troisième élément, Porcher
affirme que l’intersubjectivité est une condition essentielle pour l’interlocution, c’est-àdire, pour que les échanges langagiers aient lieu « il est indispensable qu’une
intersubjectivité nous relie entre nous et, dès lors, cette interlocution renforce en
retour notre intersubjectivité » (Ibid.). Cuq (2003 : 138) dit à ce propos qu’il s’agit de
comprendre que « l’altérité fait partie de ma subjectivité, autrui fait partie de mon je
[…]. L’intersubjectivé est ce qui, seule, rend possible l’existence d’un je ».
L’interculturel repose donc sur le principe du partage dans un esprit de respect
mutuel entre cultures et même entre individus pour accepter que « l’échange
égalitaire est plus fructueux, pour les deux partenaires qu’un affrontement » (Ibid.).
On verra dans la partie dédiée aux transformations identitaires, que les étudiants
disent avoir atteint un degré d’ouverture d’esprit grâce au séjour en France.
4.6 Des difficultés et des épreuves à traverser
Parmi les difficultés mentionnées par les étudiants, on trouve : la langue, la
solitude et la méthodologie à l’université.
Concernant la langue, certains ne trouvaient pas leurs mots au début de leur séjour
et avaient du mal à s’exprimer en français (Santiago, Oscar). Plus spécifiquement ils
avaient peur de parler au téléphone parce qu’ils croyaient qu’ils n’allaient pas être
capables de faire passer le message et qu’ils n’allaient pas comprendre leur
interlocuteur (Jerónimo, Armando). D’autres éprouvaient des difficultés pour la
compréhension orale en général (Fernando) ou pour établir du contact avec les
Français (Julián).
Le fait de se trouver complètement seuls dans un pays étranger a constitué aussi
une difficulté et une épreuve à laquelle ils ont dû faire face. La solitude s’est effacée
au fur et à mesure qu’ils faisaient des rencontres : des français, d’autres étudiants
étrangers, d’autres latino-américains.
S’adapter à une nouvelle méthodologie à l’université pose toujours des difficultés. Ils
ne sont pas habitués à des cours magistraux, à prendre des notes pendant deux
52
heures (Verónica), ou aux modalités d’évaluation. À ce propos, Armando (139-143)
affirme le suivant :
Ben c'est vrai que c'est un vrai choc au début, c'est un vrai choc parce qu'on est
habitués à un système très différent, et surtout ce qui m'a choqué le plus ça a
été le système d'évaluation parce que ++ parce que moi j'étais habitué à une
évaluation où on met en valeur euh ce que tu fais de bien, ici on met en valeur
ce que tu fais de mal c'est-à-dire les fautes les erreurs
C’est pour cela que pour certains (Sara, Jerónimo) le fait d’avoir fini leur M1 est un
grand accomplissement personnel. Tandis que pour d’autres (Verónica), le seul fait
d’avoir survécu, d’avoir supporté son séjour en France est déjà une grande réussite.
4.7 Améliorer ses compétences : le développement des stratégies in situ
Tous les étudiants interviewés utilisent à peu près les mêmes stratégies pour
améliorer leur compétence de communication. Ils utilisaient des stratégies directes
ainsi que des stratégies indirectes si l’on adhère à la typologie de Rebecca Oxford
(1990), l’une des typologies les plus répandues dans le domaine de l’acquisition de
langues étrangères.
Les stratégies directes « impliquent directement la langue cible » et
« demandent un traitement mental de la langue »6 (Oxford 1990 : 37). Elles
comportent 3 sous-catégories : les stratégies mnémoniques, cognitives et de
compensation. Les stratégies mnémoniques (créer des liens mentaux, utiliser des
images et des sons, bien réviser, utiliser des actions) « aident les apprenants à
emmagasiner et à récupérer les nouvelles connaissances »7 (Ibid. : 37). Les
étudiants se servaient de ce type de stratégies puisqu’ils notaient les nouveaux mots
et les expressions qu’ils entendaient dans la rue où dans les médias, ou les mots
qu’ils rencontraient dans les livres et après ils essayaient de les réutiliser. Ils
adoptaient aussi des techniques telles que la répétition et l’imitation pour parler
comme les locuteurs natifs. Les stratégies cognitives (pratiquer la langue, recevoir et
émettre des messages, analyser et raisonner, créer des structures) « permettent à
6
7
Direct strategies directly involve the target language [and] require mental processing of the language.
Memory strategies help students store and retrieve new information.
53
l’apprenant de comprendre et de produire dans la langue étrangère »8 (Ibid. : 37). Ils
appliquaient également ces stratégies car le fait de participer à des soirées avec des
francophones leur permettait de pratiquer la langue : comprendre et produire. Les
stratégies de compensation (deviner intelligemment, surmonter ses lacunes à l’oral
et à l’écrit) « permettent aux apprenants d’utiliser la langue pour la compréhension
ou la production malgré leurs connaissances limitées »9 (Ibid. : 47). Ils se servaient
aussi de cette sous-catégorie notamment pour la compréhension lorsqu’ils
écoutaient la radio, regardaient la télé, lisaient les journaux qu’on distribue
gratuitement dans le métro, ou lorsqu’ils allaient au cinéma voir des films en version
originale ou voir une pièce en français au théâtre.
Les étudiants étrangers participant à mon étude déclarent employer des
stratégies qui correspondent aux stratégies indirectes, celles qui « encouragent et
gèrent l’apprentissage sans que la langue cible soit directement impliquée »10 (Ibid. :
135). Oxford (1990) les divise aussi en 3 sous-catégories : les stratégies affectives,
sociales et métacognitives. Afin de surmonter la peur de ne pas comprendre ou de
ne pas être compris, ils ont dû changer l’attitude négative suite aux commentaires
que certains leur faisaient par rapport à leur accent et adopter des stratégies
affectives pour prendre contact avec des francophones. Ces stratégies (diminuer son
anxiété, s’auto-encourager, prendre son pouls émotif) « aident à réguler les
émotions, la motivation, et les attitudes »11 (Ibid. : 135) afin de). L’interaction avec
des francophones entraîne aussi des stratégies sociales où les étudiants étrangers
sont amenés à poser des questions et cultiver l’empathie. Oxford indique que ces
stratégies (poser des questions, coopérer avec les autres, cultiver l’empathie)
« aident les apprenants à apprendre à travers les interactions avec les autres »12
(Ibid. : 135). Les stratégies métacognitives (centrer, planifier et aménager, et évaluer
ses apprentissages) « permettent aux apprenants de contrôler leur cognition,
8
Cognitive strategies enable learners to understand and produce new language.
Compensation strategies enable learners to use the new language for either comprehension or
production despite limitations in knowledge.
10
Indirect strategies support and manage language learning without (in many instances) directly
involving the target language.
11
Affective strategies help to regulate emotions, motivations and attitudes.
12
Social strategies help students learn through interaction with others.
9
54
d’organiser leur propre apprentissage »13 (Ibid. : 135). Le fait qu’ils soient conscients
qu’ils doivent profiter au maximum de leur séjour et que cela les conduise à planifier
des actions pour être plus en contact avec la langue et la culture française témoigne
aussi de la mise en place de cette dernière sous-catégorie de stratégies.
4.8 Des réseaux sociaux en France
Je me suis également intéressée aux réseaux de relation tenus par les
participants à cette étude. Selon la définition qu’en donne Milroy (1987), les réseaux
sociaux font référence aux différents types de liens formels ou informels que les
individus d’une communauté développent. Plusieurs sociolinguistes ont repris ce
concept qui, selon Gadet (2003 : 66), renvoie à « des configurations relationnelles
qui permettent d’analyser des structures sociales à divers niveaux: famille, groupe
d’amis, relations de travail, bande, voisinage, associations, organisations ». Juillard
(1997 : 252) soutient que « la taille du réseau d’une personne tient compte de ses
contacts directs et indirects; la densité du réseau d’une personne renvoie au degré
de relations qu’entretiennent entre elles les connaissances de cette personne ».
L’intérêt de cette notion repose sur le fait qu’elle me permettra d’avoir un aperçu des
usages langagiers des étudiants interrogés : parlent-ils en français ? En espagnol ?
En d’autres langues ? Dans quelle mesure ces usages langagiers renforcent leurs
compétences ?
Il m’a paru donc pertinent d’interroger les étudiants à propos des groupes de
personnes qu’ils fréquentent : avec qui ils ont l’habitude de partager lors de leurs
activités quotidiennes et en quelles langues ils communiquent. On s’est aperçue que
même s’ils se trouvent dans un contexte francophone et ils se soucient de consolider
leurs compétences, ils sont entourés de beaucoup d’hispanophones : leurs
colocataires (sauf Sara et Jerónimo qui habitent avec des francophones), leurs
copains à l’université ou leurs collègues du travail pour ceux qui travaillent en tant
que professeurs d’espagnol comme c’est le cas de Fernando, d’Oscar et de Julián.
Cette situation réduit leurs interactions en français aux soirées qu’ils passent avec
des amis francophones, aux moments partagés avec les collègues du travail quand
ils font autre chose qu’enseigner l’espagnol (service à la personne, emplois
saisonniers) et aux cours à l’université. À part leurs études, peu d’étudiants font
13
Metacognitive strategies allow learners to control their own cognition-that is to coordinate the
learning process.
55
partie d’une association ou un club qui leur permette d’être en contact avec des
francophones. Seul Armando fait partie d’une équipe de volley et Oscar a intégré une
association chrétienne où ils ne parlent qu’en français. Mais quelles seraient donc les
raisons de cette situation ? La plupart d’entre eux ne trouvent pas d’explication, ils
disent que c’est « le contexte » qu’ils ont trouvé, que « c’est la vie » (Fer479/484). En
tout cas ce n’est pas une situation qu’ils ont voulue ou qu’ils ont prévue. Par contre
Verónica affirme qu’elle a beaucoup d’amis hispanophones parce que « c'est une
culture plus proche » (200), et quand elle a essayé d’avoir des amis francophones
elle sentait qu’il y avait « une rupture dans la culture » (201). Elle bloquait quand on
lui disait qu’elle avait « un petit accent » (206). Pour Santiago, avoir des amis
hispanophones et parler en espagnol avec eux « c’est un peu comme un repos »
(769) parce qu’au début parler en français tout le temps le fatiguait intellectuellement.
« C'est REVENIR à nos racines, quand on parle notre langue, revenir à nousmêmes, à ce qui nous fait » (779-780), ajoute-t-il. Sara avoue que partager avec des
francophones et ne pas participer tout le temps à des soirées latinos a été difficile :
« ça a pris d'abord du temps et ça demande VRAIMENT un grand effort » (409).
4.9 Séjour
á
l’étranger :
opportunité
pour
renforcer
la
compétence
plurilingue et pluriculturelle
Malgré le fait qu’ils ne sont pas tout le temps en interaction avec des
francophones, tous les étudiants disent avoir beaucoup progressé concernant leurs
compétences. Ils s’accordent tous à mentionner des aspects de la compétence
communicative (Hymes 1973, trad. fçaise 1981) qu’ils ont renforcés grâce à leur
séjour en contexte homoglotte. Pour faire référence à la compétence de
communication, j’emploie également la notion de compétence plurilingue et
pluriculturelle (désormais CPP) puisque cette notion « développée à partir des
années 1990, porte les traces évidentes de l’influence de Hymes et d’une relecture
de la compétence de communication au travers du prisme du plurilinguisme » (Coste
et al. 2012 : 115). Ces auteurs revisitent la notion de compétence communicative et
affirment qu’elle a aidé la didactique de langues à « mettre l’accent sur les capacités
d’action, plutôt que sur les connaissances déclaratives, et sur la communication,
plutôt que sur le système grammatical uniquement » (Coste et al. 2012 : 111).
56
Qu’apprend-on donc en contexte homoglotte ? Les participants à cette recherche y
ont répondu. Santiago dit le suivant : « là tu sais vraiment quand tu peux utiliser un
mot, quand tu peux pas, même il y a des consignes culturelles qui sont difficiles à
transmettre en Colombie » (163-164). On remarque qu’il fait référence aux normes
d’emploi de la langue, ce qui intègre la compétence de communication. Fernando
mentionne la possibilité de connaitre « les gestes » (119) qui sont typiques chez les
Français et de saisir, grâce au contexte, « le vrai sens » (97) des mots et des
expressions. D’autres affirment qu’ils ont appris « le français parlé », « les tics de
parole, les tics verbaux » (Jer594-595, 598-599), « l’argot » (Mil249), « le registre de
langue » (Jul494). À propos du français parlé, Milena se demande « si parfois on
abîme ce qu'on a appris parce qu'on apprend le bon français, on va dire, le français
grammatical comme ça très très soutenu et après on apprend des trucs sales » (260262). On voit chez Milena une reconnaissance du français normé et des locuteurs
légitimes qui sont les natifs qui en l’occurrence ne suivent pas les normes qu’elle a
apprises et qu’elle est amenée à reproduire en tant qu’enseignante de FLE.
Armando, de son côté, sentait qu’en milieu alloglotte il parlait français de manière
artificielle, en France il sent qu’il peut « parler sans sentir qu’[il est] en train d’imiter »
(211).
4.9.1 L’accent étranger comme cause de l’insécurité linguistique
Face à des locuteurs natifs, certains étudiants se trouvent dans une situation
d’« insécurité linguistique » à cause de leur accent qu’ils aimeraient gommer. Ce
concept est apparu dans les travaux de William Labov (1966) 14 sur la stratification
sociale des variables linguistiques à New York. Labov (1972, 1976 trad. fçaise : 200)
indique que « les fluctuations stylistiques, l’hypersensibilité à des traits stigmatisés
que l’on emploie soi-même, la perception erronée de son propre discours, tous ces
phénomènes sont le signe d’une profonde insécurité linguistique chez les locuteurs
de la petite bourgeoisie». Il s’agit de « l’opposition entre usage personnel et usage
correct » (Ibid) conduisant à une auto-dévalorisation de son propre parler. Ce
concept peut être appliquée aux étrangers qui, conscients de leur non-légitimité dans
la communauté linguistique, s’efforcent d’atteindre une compétence comparable à
14
The social stratification of English in New York city (1966).
57
celle des locuteurs natifs notamment au niveau de l’accent. Dans sa thèse portant
sur l’insécurité linguistique des professeurs non natifs, Roussi (2009) indique que les
professeurs grecs de français ressentent de l’insécurité linguistique du fait de leur
accent. Il en va de même pour le cas particulier des étudiants-enseignants
colombiens. Cette situation est parfois provoquée par des remarques faites par des
locuteurs natifs, remarques auxquelles certains étudiants sont plus sensibles, et dont
les effets vont d’une gêne subtile (Sara) à parfois un blocage, comme c’est le cas de
Verónica. Regardons l’extrait suivant (Ver205-206) :
Par exemple, je me rappelle que quand je commençais à parler en français tout
le monde commençait à dire "ah, t'as un petit accent", et ça ça me bloque un
peu
Verónica (506-509) exprime que l’accent est une marque d’identité, ce qui indique
aux autres qu’elle est différente, qu’elle n’est pas française :
Euh, je suis consciente que moi je vais jamais me débarrasser de cet accent
mais en tant que prof j'aimerais bien, je vais pas le nier, parce que quand
j'entends quelqu'un qui parle parfaitement, pour moi c'est merveilleux mais je
sais que l'accent ça fait partie aussi de ton identité, voilà, qui te dit que tu n'es
pas d'ici
J’ai demandé à Jerónimo ce que le français représentait pour lui et après avoir
indiqué que c’était sa passion il a dit le suivant (357-359) :
Bon, y a mon accent qui me gêne un peu mais bon, c'est mon identité aussi
mais je voudrais aussi améliorer un peu mon accent, m'approcher un peu au
français, français français et c'est une belle langue
Fernando (134-167) mentionne spontanément le fait d’avoir un accent et il conclut
que c’est son identité. Comme je l’ai annoncé plus haut, l’analyse du contenu sera
complétée par une analyse du discours concernant les enjeux identitaires afin
d’approfondir la réflexion. Comme le souligne Maingueneau (2002 : 230), « dans une
perspective d’analyse du discours, la prise en compte de l’énonciation est
évidemment centrale ». Je m’attacherai donc à rendre compte de la façon dont
l’énonciation participe à la construction des identités et comment les étudiants
prennent en charge leur discours. J’analyserai également des aspects ayant trait à la
co-construction du discours dans l’interaction. Il m’a semblé intéressant de faire
58
l’analyse de cet extrait (cf. conventions de transcription, annexe 4, page 101)15 grâce
aux outils de l’analyse du discours présentés plus haut. J’essaierai également
d’analyser quelques aspects interactionnels, à savoir la co-construction des énoncés,
les offres de sens et les reprises :
[>Fernando] 17 : J’ai une stratégie\ c'étai:t l'imitation\
[>Doris] 18 : Ouais
[>Fernando] 18 : Mais y a aussi un problème/ que quand j'imite/ je sens que: c'est
pas moi/ et je peux le faire pour un moment/ et je peux me mettre à parler comme
un français/ en imitant\ mais après si je veux dire quelque chose que c'e:st de moi/
dans la VRAIE vie/ je peux pas le faire comme ça\ ((rires))
[>Doris] 19 : Alo:rs quand tu parles comme toi tu parles comment ?
[>Fernando] 19 : Comme je parle maintenant\ tu vois/ je ga:rde encore beaucoup
mon accent espagnol\ et je pourrais imiter/ les français mais ça: c'est pas naturel\
dans la conversation spontanée ça marche pas\
[…]
[>Doris]: Alors quand tu dis que: quand tu imites l'accent pour parler comme un
VRAI français/ disons/ et tu sens que c'est pas toi/ euh ça veut dire que tu
n'aimerais PAS te débarrasser de ton accent de: colombien/
[>Fernando]: Peut-être c'e:st implicite ça\ je le fais pas exprès\ de garder mon
accent\ mais explicitement je crois qu'il veut rester là ((rires))
[>Doris]: ((rires)) et tu veux qu'il reste là aussi\
[>Fernando]: Comme prof de français\ parce que j'aimerais être un bon prof de
français\ je crois que: je devrai:s beaucoup améliorer ça\ mais après le côté
pratique ça m'amuse aussi\ de: de garder mon accent\ c'est ++ c'est mon identité
je crois\ c'est moi ((rires))
15
[ début du chevauchement entre deux locuteurs, ] fin du chevauchement, ++ pauses moyennes,
+++ pauses longues, / et \ notent les montées et descentes intonatives, : notent des allongements
syllabiques, les MAJUSCULES notent une emphase particulière sur une syllabe ou un mot, ou
augmentation de l’intensité, les signes ° ° notent un volume bas de la voix, xxx notent un segment
incompréhensible ou inaudible, - note auto-interruption, ((rire)) entre parenthèses doubles sont notés
mes commentaires, ainsi que des phénomènes non transcrits (paraverbal ou non verbal), ( ) entre
parenthèses sont notés les résumés des extraits que je ne transcris pas.
59
Fernando utilise le « je » de l’énonciation, c’est toujours Fernando, c’est le « je » qui
énonce et qui ancre ces énoncés dans le moment de l’énonciation, « je » fonctionne
dans tous les cas comme un embrayeur. Il y a une seule occurrence de « tu » (« tu
vois ? ») qui pourrait être interprétée comme le tu de l’allocutaire qu’il inclut dans son
énonciation. Fernando se sert du présent de l’énonciation (« comme je parle
maintenant ») et le présent itératif ou présent d’habitude incluant le présent de
l’énonciation dans une temporalité qui se répète, Perret (1994) l’appelle présent
dilaté. On trouve aussi un présent générique (« c’est pas naturel ») qui renvoie à
« une vérité qui perdure : émis par n’importe quel énonciateur en n’importe quelle
situation, [l’]énoncé demeure valide » (Maingueneau 1994, 1996 : 83). Le déictique
temporel « maintenant » ainsi que les temps verbaux utilisés montrent que
l’énonciateur s’inscrit dans une temporalité plus large qui inclut son existence
antérieure et sa vie en France. Il commence par un énoncé déclaratif ou assertif « j’ai
une stratégie », après il annonce sa stratégie à l’aide d’un présentatif : « c’était
l’imitation ». L’énoncé déclaratif est contredit par « mais » qui lui sert à introduire une
proposition coordonnée où il explique son aperçu face à sa stratégie, la conjonction
« si » introduit une condition à laquelle est soumise sa stratégie montrant
l’émergence de deux facettes identitaires qui s’opposent : son identité réelle qu’il
déploie dans « la vraie vie », dans une « conversation spontanée » et une identité
fausse lorsqu’il « imite » la façon de parler des français.
Si on prend en compte l’interaction dans cet extrait, on remarque que le
« ouais » de Doris en 18 ne constitue pas un vrai tour de parole puisqu’il s’agit de ce
qu’on appelle en linguistique interactionnelle un continueur « ayant pour fonction
principale d’inviter le locuteur en place à poursuivre » (Kerbrat-Orecchioni 2005 : 37),
c’est un « signal d’écoute » ou régulateur. Fernando reprend donc son discours qui
introduit un élément nouveau à sa stratégie (une contrainte). Notons en 21, un
phénomène de négociation (Vion 2000 : 225) où Doris fait une reformulation
introduite par « ça veut dire que… » qui va aider Fernando à construire son discours.
Les questionnements de son allocutaire poussent Fernando à aller plus loin dans sa
réflexion et l’amènent à mettre en avant une de ses facettes identitaires, celle de
colombien et donc d’hispanophone, et l’amènent à conclure que son accent c’est son
« identité ». On remarque donc que les facettes identitaires déployées dans
60
l’entretien sont construites par les deux interactants lors de l’échange dans
l’entretien. La question de l’accent n’était pas prévue dans le guide d’entretien et il se
peut que Fernando n’ait jamais associé auparavant son accent à son identité de
colombien. C’est une réflexion faite au moment de l’interaction et grâce à elle.
Jusque-là le sujet avait été évoqué spontanément par les étudiants lors de
leur récit. J’ai donc eu la possibilité de demander à d’autres étudiants si on leur avait
fait des remarques similaires. Pour Oscar (216-222), son accent fait partie de ce qu’il
est :
Ah oui ((rires)) mais là c'est normal, moi, euh, je te dis une chose les français et
même les colombiens sont comme ça, ou même les étrangers, c'est rarement
et je considère que mon français c'est pas top, c'est un français normal quoi et
que j'ai beaucoup d'accent aussi, je travaille là-dessus mais des fois j'arrive
pas, quand j'essaie de bien parler et de maitriser bien mon accent, ça me fait
mal à la tête, donc je me fatigue plus et après je parle plus parce que j'ai peur
de parler justement, parce que j'ai l'impression que j'ai cet accent, mais au
même temps, je peux pas nier ce que je suis
Sara (478-483) n’est pas gênée par le fait qu’on lui dise qu’elle a un accent mais
c’est la seule à ne pas l’associer avec une de ses facettes identitaires :
[>Doris] 70 : Donc en tout cas c'est le seul commentaire que t'as entendu et ça
te gêne pas qu'ils te disent que t'as un accent ?
[>Sara] 70 : Euh non pas du tout ça me gêne pas, ce qui me gêne c'est le fait
de ne pas arriver - je peux pas arriver à avoir vraiment un accent français, c'est
ça qui me gêne ((rires)) moi j'y travaille vraiment, j'essaie de vraiment faire
l'effort mais j'arrive pas quoi
4.10 Quelles transformations identitaires ?
À l’occasion de ce séjour linguistique et culturel, le regard que les étudiants ont
d’eux-mêmes s’est modifié, ils affirment tous qu’ils ont beaucoup changé même si
parfois ils ne trouvent pas les mots pour expliquer ce qui a changé chez eux (Julian,
par exemple). Il s’agit des apprentissages tout au long du séjour, des expériences
61
vécues qui contribuent aux transformations identitaires. Tous les étudiants évoquent
un avant et un après leur départ à l’étranger: comment ils étaient en Colombie quand
ils n’avaient jamais vécu à l’étranger et comment leurs expériences en France les ont
changés. Ils signalent donc une ouverture d’esprit grâce à la rencontre des
différentes cultures, ce qui les amène à questionner la normalité et à respecter et
tolérer la différence. Ils disent aussi qu’ils se sont débarrassés des préjugés et des
idées fixes par rapport à la France et aux Français. Ils mentionnent également les
gains au niveau de formation personnelle et professionnelle. La plupart d’étudiants
valorisent plus leur pays et leur sentiment d’appartenance et de fierté est plus élevé.
a. Ouverture d’esprit sur la diversité dans le monde
L’ouverture d’esprit est une qualité récurrente lors des entretiens. Les étudiants
considèrent qu’ils ont « une vision plus étendue du monde » (Jer493), qu’ils
comprennent « mieux le monde entier » (Mil117) : « je suis plus sensible aux regards
des autres » (Mil118). Pour Fernando, par exemple, le fait d’être en France lui a
« ouvert les yeux » (317) pour « voir que le monde est si complexe et qu’on est tous
si différents » (319). Regardons de plus près cet extrait (Fer316-359):
[>Fernando] 45 : Je sais que beaucoup de choses ont changé chez moi mais je
ne sais pas les décrire ++ comment je pourrais le dire \ c'est - être ici m'a
ouvert les yeux au - ben les yeux dans le sens ++ ((rires)) ça m'a ouvert ma
mentalité / et la manière de voir que le monde est si: complexe et qu'on est
tous si différents \ parce que moi je suis catholique / j'avais vécu toute la vie
dans un cercle catholique \ alors aller à l'église faire les prières tout ça ça faisait
partie de ma culture et pour moi c'étai:t normal la religion catholique / même si
je sais qu'il y a plein de choses qui ne marchent pas / que je comprends pas / et
qu'il y a PLEIN de choses qui sont +++ comment dire ?
[>Doris] 46 : Qu'on peut mettre en question
[>Fernando] 46 : Oui bien sûr TOUT peut être mis en question dans la religion
peu importe laquelle \ mais ++ venir ici et voir qu'il y a des musulmans des juifs
[>Doris] 47 : Des athées
[>Fernando] 47 : Voilà ça m'a impressionné beaucoup parce que je dis quand
62
même il y a quelque chose que - bon tous mes cercles ce sont des personnes
qui croient en quelque chose alors je disais comment on peut dire "je crois en
rien" / ça aussi c'est très intéressant / e:t j'avais jamais parlé avec un musulman
\ et j'adore poser des questions parce que pour moi par exemple manger du
porc c'est génial / j'adore, et après parler avec quelqu'un d'autre et qu'il
m'explique pourquoi il mange pas de porc / c'est seulement un exemple mais ça
arrive beaucoup c'est ça que je dis comment on peut être tous si différents et
être dans le même monde \ c'est beaucoup beaucoup de choses \ aussi à
l'école je voyais le comportement des enfants et comment les enfants dès petits
ils sont éduqués d'une autre façon \ des choses comme compter des gestes
qu'on fait pour moi quelque chose qui était si normale et si évidente et ici c'est
pas comme ça \ y a PLEIN PLEIN de choses qui ont changé en moi mais le
plus important c'est la façon de voir le monde qu'on est tous si différents
[>Doris] 48 : Mais est-ce que ça t'a aidé à ++ à remettre en question tes
croyances tes traditions ou simplement à ne pas juger les autres ? Comment ça
t'a aidé ?
[>Fernando] 48 : C'est les deux \ à remettre en question ce que je fais ou ce
que je crois et aussi à ++
[>Doris] 49 : À ne pas juger ou mépriser les autres ?
[>Fernando] 49 : À ne pas juger c'est ça je suis une personne très préjugeuse
j'ai beaucoup de préjugés voilà, j'ai beaucoup de préjugés même si je ne le dis
pas je le pense et je vois quelqu'un et je dis oh là là mais ça m'a beaucoup aidé
à ++
[>Doris] 50 : À être plus tolérant plus flexible plus respectueux
[>Fernando] 50 : Ouais la tolérance oui complètement
Dans cet extrait il s’agit toujours du « je » de l’énonciation sauf dans l’énoncé du
discours rapporté « je crois en rien » où le « je » correspond à quelqu’un d’autre qui
le produit. Pour ce qui est de « on », il possède les propriétés syntaxiques de je, tu,
il, avec lesquels il entre en concurrence et « c’est le contexte qui permet de lui
conférer une valeur, qui est très variable » (Maingueneau 1994,1999 : 26). Il peut
s’agir d’un « on » indéfini ou d’un « on » substitut d’embrayeurs, comme substitut de
nous, par exemple. Dans ce cas particulier, le « on » qu’utilise Fernando est un
substitut d’un « nous » inclusif faisant référence à l’humanité dont Fernando fait
partie aussi. Fernando se situe par rapport à un présent qui ne renvoie pas
63
seulement au moment de l’énonciation mais inclut souvent une temporalité plus large
(présent d’habitude ou itératif). Ce présent itératif lui sert à présenter des
caractéristiques de son identité sociale (« je suis catholique ») et de son identité
personnelle ou discursive (« j’adore poser des questions », « j’ai beaucoup de
préjugés »). En fait, il est catholique parce que son environnement, les personnes de
son cercle sont catholiques. C’est sa « culture » qu’il associe à des pratiques
spécifiques : « aller à l’église, faire les prières », pouvoir manger du porc. Il se situe
donc en France à l’aide du verbe de déplacement « venir » et du déictique spatial
« ici » qu’il mentionne 3 fois et explique comment son parcours et son séjour dans ce
pays l’a aidé à ouvrir son esprit (« être ici m’a ouvert les yeux »), ce qui l’amène à
questionner l’idée qu’il a de la normalité. Cette confrontation avec la diversité
contribue à sa prise de conscience de la différence : « le monde est si complexe »,
« on est tous si différents ». La transformation est produite par la confrontation des
cultures, la prise de conscience de la différence menant à une prise de conscience
de la complexité. Fernando va se resituer par rapport à un nouveau monde qui l’a
« beaucoup impressionné »: « moi je suis catholique » mais depuis « plein de choses
ont changé » ; ce qui veut dire que la normalité a changé.
Quant à la co-construction du discours en interaction, en 45 Fernando termine son
tour de parole par une pause longue et une question (« comment dire ? »), son
interlocutrice vient à son aide et complète son énoncé. Fernando, en 46 fait une
« hétéro-reformulation » (Vion 2000 : 221) de la séquence de son interlocutrice qui
lui sert de base pour construire son discours. Cet énoncé vient confirmer et clarifier
un point de vue exprimé par son interlocutrice. Par contre, en 49 et 50 Fernando fait
une « reprise diaphonique réitérative » (Vion 2000 : 215) accompagnée d’une
particule de feedback (« c’est ça » / « ouais », « oui ») mais en 49 il poursuit son tour
de parole. On constate donc que le discours en entretien interactif fonctionne
toujours de manière coopérative où les deux partenaires négocient le sens et
parviennent à un consensus.
Regardons aussi cet extrait du même participant (Fer363-370) :
64
Et aussi ++ euh y a plein de fois où ++ dans les cours d'espagnol que je donne
tout ça / ce semestre on travaille les traditions du monde hispanophone / alors
toutes les semaines on travaille une tradition différente ++ et à la fin je dis ++
tous les ++ tous les pays ++ on est pareils / y a quelque chose qui se répète \
peu importe si tu es français espagnol portugais euh chacun a : une croyance
qui après se transmet et avec ça on crée des rituels des traditions / ici c'e:st la
fête des fruits / là-bas c'est la fête des fleurs / ici on fait une fête pour que: le
printemps arrive / ici on fait une fête parce que c'est l'hiver / alors on a tous les
mêmes choses mais autour de choses différentes \
Dans cet extrait on trouve un présent itératif aussi qui n’est pas déictique. Fernando
produit des énoncés déclaratifs et prend en charge son discours. Il continue à
associer une culture à un territoire et à des pratiques spécifiques (des rituels, des
traditions qui se transmettent). Il utilise le pronom « on » renvoyant à deux groupes
de personnes différents. Il correspond à un « nous » exclusif (je+il+il : Fernando et
ses élèves) dans les deux occurrences de l’énoncé « on travaille » et il s’agit d’un
« nous » renvoyant à l’humanité, incluant aussi l’interlocuteur, dans le reste des
énoncés. Ainsi, Fernando se situe en tant qu’être humain mais construit aussi une
identité d’enseignant d’espagnol où grâce aux activités proposées au sein de ses
cours, il parvient à enrichir sa vision du monde et il tire des conclusions lors de
l’entretien. Concernant l’emploi de « tu », il ne constitue pas toujours un embrayeur.
Il peut s’agir d’un « tu » générique ayant « pour fonction de « personnaliser » des
énoncés à valeur générale en remplaçant le sujet universel (on en particulier) par tu
» (Maingueneau 1994,1999 : 24) où l’allocutaire fait partie du procès, soit comme
victime ou comme bénéficiaire. Fernando utilise un « tu » générique pour un énoncé
à valeur générale, il ne fait donc pas référence à l’interlocuteur. Ce qui est
intéressant dans cet extrait c’est la conclusion à laquelle Fernando arrive : « tous les
pays on est pareils ». Finalement il retrouve un peu d’ordre dans la complexité qu’il
évoquait avant. Mais cette conclusion à laquelle il arrive est le produit d’une réflexion
faite au moment de la prise de parole. Cette ouverture d’esprit le conduit à
reconnaitre l’étranger comme semblable.
b. Disparition ou modification de stéréotypes
Quant à l’image du pays étranger, certains mentionnent la disparition des
stéréotypes liés à la France, aux Français ou à d’autres cultures. Armando dit le
65
suivant : « ce qui a changé le plus c'est surtout mes représentations sur la France
[…] parce qu’avant d'y venir moi je pensais c'était le paradis » (490-492) et il ajoute :
« je me suis rendu compte que c'est - en fait c’est un pays qui comme le mien a
beaucoup de problématiques » (497-498). Jerónimo dit avoir éliminé certains
« clichés » qu’il avait entendus en Colombie à propos de Paris qui la dessinaient
comme « la ville romantique » (520) car il trouve que « c’est une ville normale »
(521) ; à propos de la nourriture il croyait que « c’était seulement la baguette » (522)
mais il voit qu’il y a d’autres choses. Il a également supprimé des idées par rapport
aux Français qui sont considérés comme des gens « romantiques » et « classe »
(538), il pense que les Français « qui sont pas sortis de leur pays » (544-545) sont
« plutôt froids dans leur manière d'être » (543-544). Cependant, il témoigne avoir
rencontré d’autres Français qui sont « ouverts d'esprit » (545-546). Il affirme qu’« on
voit les choses différemment » en France (532).
Il me semble intéressant d’analyser ce que Santiago (666-710) répond quand je lui
demande si des choses ont bougé en lui après ce séjour à l’étranger :
[>Santiago] 71 : Ouais oui oui bien sûr\ bien sûr que que: que tout ça tout ça
change beaucoup ça m'a beaucoup beaucoup ++ pas changé on dirait ça m'a
++ comment dire ? ++ ça m'a plus formé/ façonné/ c'est un peu comme l'image
de cette sculpture qui commence à se fai:re/ tu vois\ qu'on commence à se
débarrasser de ce dont on n'a PAS besoin/ pour avoir une sculpture/ pour avoir
une ima:ge ++ et je pense que: depuis le début quand je suis arrivé ici euh j'ai
commencé toute cette structuration toute cette formation en tant que personne
parce que: surmonter tout ce que: dans mon expérience j'ai surmonté ben ça
m'a ++ qu'est-ce qu'il me reste à faire/ c'est d'être meilleur quoi
[…]
[>Doris] 74 : Et ++ cette métaphore de la sculpture qui se façonne un peu: et
qui se débarrasse des choses inutiles/ quelles sont les choses que t'as laissées
de côté que t'as abandonnées\ ++ des choses dont tu t'es débarrassé pour ++
[>Santiago] 74 : Oui oui par exemple les stéréotypes ++ les stéréotypes et les
idées figées des cultures et de la façon de penser des autres\ tu vois\ et même
les idées figées par rapport à la langue […]
[>Doris] 76 : Quels types de stéréotypes tu avais par rapport aux cultures au
fonctionnement des cultures ++ quoi exactement ?
66
[>Santiago] 76 : Par exemple le stéréotype de penser que tous les français ils
sont polis/ ils sont gentils/ ils sont tout ça/ le stéréotype de penser que les
maghrébins ils sont tous euh comment dire violents/ des voleurs tout ça\ les
stéréotypes par rapport à la: comment dire politique/ euh je ne sais pas il y a
beaucoup de cho:ses qui ont changé dans ma façon de penser\
Il s’agit ici d’une réflexion engendrée hic et nunc comme le témoigne la présence de
certaines marques d’hésitation (Vion 2000 : 211) telles que les pauses oralisées
(euh) ou non oralisées (++), les répétitions d’items (« Ouais, oui oui bien sûr, bien sûr
que tout ça, tout ça ça change beaucoup, ça m'a beaucoup beaucoup », « les
stéréotypes ++ les stéréotypes ») et les activités de modulation (« comment dire »).
La modalisation « on dirait » sert à distendre l’implication de l’énonciateur par le biais
du pronom on, après quoi il accomplit l’acte de dénomination « ça m’a plus formé,
façonné » poursuivi par « un peu » qui introduit la métaphore de la sculpture ou de
l’image qui se débarrasse des choses inutiles. En 71, Santiago fait des glissements
référentiels entre « m’ », « on » et « je » mais tout ce processus qu’il appelle
« structuration » ou « formation » n’a été parcouru que par lui. Selon Vion (2000 :
212), « l’acte de dénomination s’effectue toujours dans un cadre interactif ». En ce
sens, c’est grâce aux demandes de précisions faites par l’enquêtrice que l’interviewé
parvient à dire que le séjour en France lui a permis d’éliminer « les stéréotypes et les
idées figées des cultures et de la façon de penser des autres ». Comme tous les
participants, Santiago évoque un déplacement par le biais du verbe arriver et se
situe en France par l’usage du déictique spatial ici et ce sont les expériences vécues
dans cette période spécifique de son existence qui ont fait changer sa manière de
voir le monde. C’est donc grâce au séjour en France qu’il s’est débarrassé des
stéréotypes sur certaines populations et cultures.
c. Appropriation de modèles culturels et traits de caractère de la société
française
Au niveau personnel, ils ont mentionné certaines caractéristiques qu’ils
attribuent à la manière d’être et d’agir des colombiens qu’ils ont modifiées pour
adopter d’autres attitudes propres au caractère des Français qu’ils considèrent plus
positives. Oscar (160-166), par exemple, indique le suivant :
67
Oui une chose que j'ai apprise ici et c'est vraiment à savoir maitriser le temps /
à être vraiment organisé et savoir que- par exemple on se projette à l'année et
pas juste "la semaine prochaine je vais faire telle chose" des fois on est comme
ça en Colombie \ et là ici il faut vraiment où est-ce que tu veux arriver tu vois /
donc je vais aller au bout et je vais me fixer certains objectifs certains buts et je
vais y arriver \ donc c'est bien euh et là le fait de bien BIEN organiser les
choses ne pas laisser les choses à la dernière minute comme ça on va
improviser on va voir qu'est-ce qui se passe
Oscar mentionne une caractéristique des colombiens : on fait les choses à la
dernière minute, on ne planifie pas, on ne se projette pas, on improvise. Par l’usage
du pronom on renvoyant à un nous inclusif, il englobe tous les colombiens y compris
lui-même et son interlocuteur. Il oppose à cette attitude des colombiens, la manière
d’être des français en ce qui concerne l’établissement d’objectifs clairs, et le fait
d’aller jusqu’au bout des choses.
Le séjour en France et le partage avec des Français et leur côté « râleur »
(Ver671) les a aidés à « être critiques, à aller plus loin » (Ver673-674) et à être moins
« conformistes » (Ver678), à être plus ouverts et moins enfermés dans leur cercle
d’amis (Mil114-115) et plus réflexifs (Jer487). Ils s’accordent tous à dire que vivre et
étudier à l’étranger est une expérience enrichissante qui les a fait grandir, qui les a
formés plus (Mil348, San668) comme personnes. Sara, par exemple, dit que suite à
ce séjour en France elle est exigeante et plus stricte (619), et elle se préoccupe plus
pour la formation et l’apprentissage (343/365). Regardons cet extrait (618-660) :
[>Sara] 88 : Euh ++ c'est ++ oui oui parce que par exemple ma mère et mon
père ils disent que maintenant je suis plus exigeante euh je suis disons plus
stricte euh ++ ben je pense que c'est aussi question de l'âge tu vois ? Tu
grandis tu vis euh tu te rends compte que tu peux pas continuer à jouer comme
un gamin avec ta vie / donc je pense que oui le fait d'avoir une expérience ++
ben ici en France et le fait d'avoir déjà je ne sais pas quel âge ((rires)) une
trentaine ((rires))
[>Doris] 89 : On sait pas on dit pas ((rires))
[>Sara] 89 : Donc ++ oui oui ça te change toi-même et les gens ils le
remarquent oui c'est vrai
[>Doris] 90 : Donc tu penses que ce n'est pas une conséquence directe de ton
séjour à l'étranger ?
[>Sara] 90 : Si si si c'est aussi une conséquence parce que je pense que si
68
j'étais en Colombie et je continuais avec ma vie de "aller de boîte en boîte" et
de ++ ben oui j’aurais pu faire mon master aussi là-bas mais ça serait pas la
même chose déjà parce que c'est super compliqué d'étudier et de travailler en
même temps / si tu étudies / tu travailles pas donc tu n'as pas d'argent pour
continuer à étudier donc c'est vraiment compliqué en Colombie mais ici tu vois
tu as l'opportunité d'étudier de travailler euh mais bon je pense que ça ça m'a
changé
[>Doris] 91 : Et est-ce qu'il y aurait quelque chose de la manière d'être des
français qui: qui soit en toi maintenant ++ parce que je vois que ben on est plus
rigoureux LES français sont plus rigoureux plus systématiques que nous les
colombiens / je ne sais pas s'il y a quelque chose de
[>Sara] 91 : Oui je pense le fait de - tu vois quand on est en Colombie / c'est
bon tu sais que ben- quand tu es au lycée tu es obligé d'étudier parce que tes
parents ils t'obligent / quand tu es à l'université: ben il y a les deux cas soit tu es
obligé soit tu le décides toi-même \ MAIS quand tu étudies tu étudies ce que les
profs ils t'enseignent point final / par contre ici tu vois ils sont tout le temps en
train de li:re tout le temps en train de s'informer tout le temps de suivre
l'actualité / pas en Colombie \ [ou pas au moins que je le sache]
[>Doris] 92 : [tu parles des étudiants ou des français ?]
[>Sara] 92 : Ben des étudiants et des français en général ben chez nous nos
parents c'est pire / ils travaillent j'ai jamais vu ma mère ou mon père prendre un
livre dans leurs mains \ euh les gens de mon entourage c'est pire \ par contre ici
tu vois tout le monde est là dans l'actualité en train de lire en train de s'informer
donc je pense que ça ça a changé en moi en Colombie je faisais pas ça \
maintenant je lis beaucoup je suis l'actualité / j'essaie d'apprendre par ci par là
/ un petit peu de ça un petit peu de là / tu vois pas rester que dans le domaine
des langues mais apprendre un petit peu aussi des autres choses tu vois ?
Sara utilise plusieurs déictiques de la personne : le je correspondant à l’énonciateur,
le tu (tu vois) qui implante son allocutaire et un tu correspondant à un datif éthique
qui inclut l’allocutaire dans l’énoncé « à titre de témoin fictif, mais sans jouer aucun
rôle dans le procès, si bien que sa suppression n’altèrerait en rien l’énoncé au niveau
du contenu » (Maingueneau 1994,1999 : 25). On voit ce datif éthique dans les
énoncés surlignés. Au lieu d’utiliser le « tu » elle aurait pu utiliser le « on » à valeur
générale dont elle se sert aussi pour substituer le « nous » (« quand on est en
Colombie ») qui inclut tous les colombiens, y compris les deux co-énonciatrices. La
non-personne est représentée par « ils » renvoyant à ses parents (en 88), aux gens
69
(en 89), aux parents en général (« tes parents ils t'obligent »), aux professeurs (« les
profs ils t'enseignent »), aux Français (« ils sont tout le temps en train de lire »), à
ses parents et aux parents de son allocutaire (« chez nous nos parents c'est pire, ils
travaillent »). Tous ces groupes de personnes mentionnés l’aident à présenter un
contraste entre les caractéristiques des personnes appartenant à deux lieux : la
Colombie (« là-bas ») et la France (« ici »). Elle se situe aussi par rapport à un passé
à l’aide de l’imparfait (« je faisais pas ça ») et par rapport à un moment présent à
l’aide du déictique temporel « maintenant » qui englobe une période plus large que le
moment de l’énonciation. Tout cela l’amène à conclure que des choses ont changé
en elle grâce à ce séjour à l’étranger : « je lis beaucoup je suis l'actualité, j'essaie
d'apprendre par ci par là, un petit peu de ça un petit peu de là ». Ce sont des
attitudes qu’elle n’avait pas quand elle était en Colombie et c’est à travers le contact
avec des gens en France, francophones ou non, qu’elle a vu l’importance de la
lecture, par exemple.
d. Renforcement du sentiment de fierté et patriotisme
Quant à leurs sentiments par rapport à la Colombie, la plupart aiment la
France et l’expérience qu’ils y ont vécue. Certains indiquent qu’ils portent « un regard
plus objectif » (Jul414) et « plus critique » (San715) sur leur pays, et ils ont
commencé à « connaitre l’histoire » et à se questionner par rapport aux causes et
origines de la « violence » (San717-719). Il y a donc un sentiment de patriotisme qui
s’est réveillé ou qui s’est fortifié suite au séjour dans un pays étranger. En effet, à
l’exception de Sara, ils se sentent fiers d’être colombiens, de leurs origines : « c'est
quand tu voyages que tu commences à mettre en valeur ta culture » (Ver521-522). Il
me semble pertinent de montrer un cas particulier d’un étudiant qui veut faire sa vie
en France et qui se considère plus français que colombien (Osc410-478) :
[>Oscar] 38 : Si je perds mon espagnol ben je perds ++ mes racines et ce que
je suis quand même parce que je suis ce que je suis parce que je suis né en
Colombie et parce que j'ai appris l'espagnol par cœur parce que voilà je suis né
là-bas / mais c'est vrai que au même temps / tu es ce que tu es là où tu es et
dans ce moment-là je suis en France et voilà
[>Doris] 39 : Et tu t'identifies plus ++
70
[>Oscar] 39 : À la France maintenant parce que je suis là / et plus de temps je
passe en France je suis moins - de plus en plus détaché de la Colombie dans
ce sens tu vois ? je ressens que maintenant que je - écoute je suis allé une fois
en Colombie \ je suis resté deux mois \ la dernière fois un an après je suis resté
un mois et cette fois j'ai envie d'y aller mais je veux rester trois semaines
[>Doris] 40 : ((rires)) Tu diminues encore plus le temps que tu vas y passer
[>Oscar] 40 : Oui parce que là par exemple la dernière fois pour moi c'était
beaucoup aussi mais je sais que c'est peu mais au même temps je voulais
retourner \ c'est horrible mais c'est comme ça […]
[>Oscar] 41 : Mais en général je vois que
[>Doris] 41 : Tu es de plus en plus détaché
[>Oscar] 42 : Oui c'est ça ((rires))
[>Doris] 42 : Tu deviens de plus en plus français ? ((rires))
[>Oscar] 43 : Ben tout doucement je crois oui \ c'est horrible
[>Doris] 43 : Tu aimes mais au même temps ça te gêne ça te gêne pas ?
[>Oscar] 44 : Non mais j'aime bie:n mais simplement que ++ des fois je me dis
c'est un peu euh un colombien qui écoute un colombien dire qu'il veut être
français c'est un peu quand même ++ je ne sais pas peut-être gênant / il va dire
« ah mais celui-là qu'est-ce qu'il croit ? » voilà non la Colombie parce que j'aime
bien je suis ++
[>Doris] 44 : Il se croit sorti de la cuisse de Jupiter
[>Oscar] 45 : Exactement voilà il se croit oui il a la grosse tête et tout non mais
non moi j'aime bien la Colombie / et je suis très fier d'être colombien
simplement que euh le fait d'être là et que tu t'attaches vraiment à ce pays \
[>Doris] 45 : Ouais tu es attaché à la France
[>Oscar] 46 : En plus tu n'as pas de projets / par exemple toi tu as un projet / tu
veux travailler / tu retournes en Colombie / bon et en plus il y a la contrainte de
la bourse
[>Doris] 46 : Oui mais de toute façon je voulais retourner
[>Oscar] 47 : Et même si tu ne l'as pas voilà tu voulais mais moi non / j'ai pas
vraiment - ma famille mais au même temps je sais que ++ mes parents ils m'ont
dit « tu fais comme tu veux même si on veut que tu viennes mais tu restes là où
tu veux vraiment être » voilà et là c'est comme je t'ai dit hein ? […] je suis
colombien et tout mais dans ce moment je suis en France / je fais ma vie en
71
France / et je passe la plupart du temps en France voilà \ donc je me sens
vraiment ++ plus français quoi mais je suis pas français mais bon mais
[>Doris] 47 : Mais tu te sens plus d'ici
[>Oscar] 48 : D'ici exactement pas forcément français mais plus d'ici voilà
Oscar utilise le « je » de l’énonciation qui indique qu’il prend en charge ses
énoncés. Cependant, il prend parfois distance de ses énoncés quand il se sert de la
non-personne au lieu de « je » : (« il veut être français »). Il n’ose pas affirmer « je
vais être français ». Un autre élément qui laisse voir cette prise de distance est
l’utilisation d’un tu générique où il aurait pu mettre un « je » : « tu es ce que tu es là
où tu es », « tu t'attaches vraiment à ce pays », « tu n'as pas de projets ». Au fil de
ses tours de parole on se rend compte des raisons de cette distance, il considère
que ses compatriotes vont juger d’une manière négative le fait qu’il s’identifie plus à
la France. Oscar implante également son allocutaire en face de lui à l’aide d’un « tu »
embrayeur (« tu as un projet, tu veux travailler, tu retournes en Colombie », « même
si tu ne l'as pas, voilà, tu voulais »), d’une expression phatique (« tu vois ? ») et
d’une modalité injonctive (« écoute »). Ces unités construisent un discours ancré
dans la situation d’énonciation et témoignent de l’attention portée par Oscar à son
partenaire dans l’interaction. En effet, tout ce qu’il dit est plus au moins conditionné
par son interlocutrice et la façon dont il pense qu’elle va réagir : le fait de ne pas dire
directement qu’il se sent plus français, par exemple. La plupart d’occurrences du
présent correspondent à un présent itératif ou d’habitude qui englobe aussi le
moment de l’énonciation : « je suis en France, je suis là, je ressens, j'ai envie, je
veux rester, je vois, je crois, je me dis, j'aime bien la Colombie, je suis colombien, je
me sens vraiment plus français, je fais ma vie en France, je passe la plupart du
temps en France ». Des aspects de l’identité sociale sont ainsi construits grâce à ce
présent itératif : son identité de colombien dont il est fier, par exemple. À l’aide des
déictiques spatio-temporels, Oscar se situe par rapport à deux endroits : la
Colombie, le pays qui est éloigné (« là-bas ») et qui fait partie de son passé et la
France, le pays de son présent (« dans ce moment, maintenant, là »). Dans son
discours on identifie une grande contradiction représentée par l’usage répété du
connecteur « mais » (12 fois) indiquant une opposition, et par l’adjectif évaluatif
« c’est horrible » (2 fois) précédé une fois d’un verbe d’opinion (« je crois ») qui
72
constitue aussi un marqueur de subjectivité. Oscar est fier de ses origines mais il se
sent plus français.
On remarque également la co-construction du discours en entretien par les
deux protagonistes. En 39 et 41, par exemple, on observe des co-constructions
d’énoncés parce que c’est l’allocutaire qui complète par une interruption ou suite à
une pause. En 42 et en 48, Oscar accepte « l’offre de sens » (Glady 2008) de son
allocutaire par le biais de modalités adverbiales (« exactement ») ou d’énoncés
assertifs « oui, c’est ça ». L’acceptation de l’offre de sens dans le dernier tour de
parole de cet extrait pourrait être interprétée comme une tentative de garder la face
de la part d’Oscar puisqu’il se trouve face à une colombienne qui pourrait aussi juger
de manière négative le fait qu’il se croit plus français que colombien.
Dans cet extrait, on peut remarquer la présence de voix différentes à celle
d’Oscar car « l’énonciation est fondamentalement prise dans l’interdiscours »
(Mainguenau 2002 : 231). Oscar renvoie deux de ses énoncés à la responsabilité
d’une autre source énonciative. On assiste à un dédoublement de l’énonciation où
Oscar agit comme locuteur « responsable » de l’énoncé mais pas comme
énonciateur, « auteur empirique de l’énoncé, son producteur » et donc le
responsable des points de vue que l’énonciation exprime (Ducrot 1984 : 193, 194).
Oscar fait donc parler un colombien quelconque (« ah mais celui-là qu'est-ce qu'il
croit ? ») et ses parents (« tu fais comme tu veux même si on veut que tu viennes
mais tu restes là où tu veux vraiment être »). Il s’agit de la polyphonie, notion qui en
linguistique renvoie à « l’idée que le sens de l’énoncé, dans la représentation qu’il
donne de l’énonciation, peut faire apparaître des voix qui ne sont pas celle d’un
locuteur » (Ducrot 1984 : 204). Autrement dit, la polyphonie présente le sens des
énoncés comme une énonciation d’un locuteur responsable du fait de dire mais non
de ce qui est dit, des points de vue exprimés par un ou plusieurs énonciateurs
susceptibles d’être dissociés ou identifiés au locuteur. Oscar, faisant référence à un
autre colombien illustre le paradoxe dans lequel il se trouve : il est colombien mais il
se sent plus français. Mais se sentant plus français, il risque de se faire critiquer par
les colombiens qui d’habitude sont très fiers de leur pays et de leurs origines. Il
justifie aussi le fait de vouloir rester en France par les propos de ses parents qui
disent qu’il doit être là où il veut vraiment être, peu importe s’ils veulent qu’il retourne
73
en Colombie. La famille étant la seule pression possible pour qu’il rentre dans son
pays, il est donc libéré de cette contrainte.
e. « Je continue à être le même »
Certains étudiants ont insisté lors de l’entretien que même s’il y avait
beaucoup de choses qui avaient changé chez eux, ils continuaient à être les mêmes.
Il me semble donc intéressant de faire appel aux concepts développés par le
philosophe Paul Ricœur concernant l’identité, plus particulièrement ceux de mêmeté
et ipséité présentés dans sa cinquième étude de l’ouvrage « Soi-même comme un
autre » (1990). En effet, Ricœur (1990 : 140) affirme que l’identité personnelle est le
« lieu privilégié de la confrontation entre les deux usages majeurs du concept
d’identité : mêmeté et ipséité ». L’identité-mêmeté s’agit du changement dans la
continuité, le soi qui n’est plus le même (idem, sameness) mais qui se reconnait soimême comme soi dans le temps grâce à l’identité-ipséité (ipse, selfhood). L’identité
narrative présente donc une tension entre ipséité (ce qui est irréductible, unique) et
mêmeté (changement dans la continuité). Jerónimo (493-495), par exemple, se
perçoit comme étant toujours la même personne, mais une personne avec plus de
compétences et plus de formation. Il utilise un « on » indéfini qui peut s’appliquer à
l’énonciateur de manière précise : « je peux pas dire que je suis meilleure ou
mauvaise personne, je continue à être le même mais au niveau des compétences je
pense qu'on gagne, on gagne toujours, il y a toujours un apprentissage ». Santiago,
de son côté, évoque la vision que les autres ont de lui. Il affirme à plusieurs reprises
qu’il reste le même. La première fois il assume son énoncé en utilisant le « je » de
l’énonciateur, comme le démontre cet extrait (737-738) :
[…] quand je suis allé en Colombie euh les gens, ma famille, mes amis, mes
cousins, tous, ils voyaient que j'étais le même
Plus tard dans l’entretien, il explique pourquoi il considérait qu’il était le même mais il
utilise également le pronom « on » qui pourrait être interprété comme remplaçant le
« je » ou comme renvoyant à toute l’humanité dont l’énonciateur fait partie aussi :
Dans la manière de parler, dans la manière d'agir, d'être moi-même, de mon
identité, de rigoler, de m'habiller, normal, tu sais, mais par rapport au discours
ils voyaient que les choses avaient changé un peu (742-744)
on reste toujours fidèle à ce qu'on est, tu vois ?, on peut changer un peu, on va
74
dire, la décoration, mais on reste fidèle (755-756)
4.11 Perspectives d’avenir
On a aussi interrogé les étudiants colombiens à propos de leurs projets pour le futur,
sur le plan linguistique, familial et professionnel.
Ils reconnaissent tous les atouts du bilinguisme ou du plurilinguisme. Quant à leur
répertoire linguistique, il n’en est pas question qu’ils perdent leur langue maternelle.
Ils aimeraient conserver le français car ils ont des liens affectifs avec cette langue et
l’anglais pour son côté fonctionnel. « Le français il va rester avec moi d’ici à ma
mort », indique Jerónimo. Concernant les langues qu’ils apprendraient à leurs
enfants, l’espagnol est en tête de liste, suivie par le français et l’anglais. S’ils restent
en France ils parleront espagnol à la maison. Julian voudrait appliquer la règle de
Grammont (un parent, une langue) pour que ses enfants soient bilingues. S’ils
habitent en Colombie ils feront en sorte que leurs enfants apprennent les langues qui
composent leur répertoire en leur offrant une éducation dans une école bilingue.
Fernando mentionne l’importance des approches telles que l’éveil aux langues.
À propos de leur avenir professionnel, ils n’ont pas tous les mêmes projets. Oscar,
par exemple, veut rester en France et se former en espagnol juridique pour donner
des cours de spécialité. Il faut dire que la plupart d’étudiants veulent rentrer en
Colombie pour continuer dans le métier d’enseignement du FLE. Tel est le cas de
Jerónimo qui voudrait travailler dans le projet de réintroduction du français dans les
écoles et collèges publiques en Colombie, suite à un accord signé, en 2010, entre le
Ministère de l’Éducation National et l’Ambassade de France. Il aimerait travailler pour
la formation des enseignants de FLE dans le domaine de la didactique. Milena
aimerait faire une thèse en France pour après appliquer toutes ses connaissances en
Colombie et contribuer aussi à la formation d’autres enseignants. Elle aimerait
trouver un poste dans une université. Armando ne compte pas rester en France non
plus. Il souhaite travailler en Colombie en tant qu’enseignant de FLE. D’autres ne
font pas référence à l’enseignement du FLE pour leur futur métier. Verónica aimerait
travailler dans l’édition ou dans la gestion des projets éducatifs. Julian aimerait se
former dans la traduction de textes. S’il rentre en Colombie il aimerait enseigner
l’espagnol ou l’anglais ou commencer à enseigner le français. Santiago aimerait
75
apprendre à parler et à écrire le nasa, la langue amérindienne, et encourager la
description des langues amérindiennes en Colombie. Fernando souhaiterait faire des
études en sciences politiques.
76
5. Synthèse des résultats
77
Il est intéressant de remarquer que la structure des récits récoltés présente
d’une part des caractéristiques communes à celles présentées par la morphologie du
conte de Vladimir Propp (1928), d’autre part des caractéristiques propres liées à la
transformation identitaire qui s’est accomplie chez les personnes interrogées
pendant leur séjour ainsi qu’à la construction identitaire telle qu’elle s’est réalisée
pendant les entretiens. L’on retrouve la sphère d’action du héros mais également
tous les attributs et facettes identitaires que les étudiants disent avoir adopté ainsi
que les catégories définitoires de leur identité construites in situ grâce à l’entretien,
une interaction qui a encouragé leur réflexion face à l’expérience de vivre et étudier à
l’étranger.
Dans son livre intitulé « Morphologie du conte » (1928, 1e éd, 1969 2e éd. en russe,
trad. fr. de la 2e éd, 1970), Propp a réalisé une analyse de 100 contes merveilleux et
a en a proposé une structure que la sociolinguiste Christine Deprez (2002), parmi
d’autres, a appliqué afin d’analyser des récits de vie de migrants. L’érudit russe
(Trad. fr. 1970 : 29) affirmait que « le conte prête souvent les mêmes actions à des
personnages différents. C’est qui nous permet d’étudier les contes à partir des
fonctions des personnages ». Selon Propp (Ibid. : 31), « les éléments constants,
permanents, du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces
personnages et quelle que soit la manière dont ces fonctions sont remplies. Les
fonctions sont les parties constitutives fondamentales du conte ». Il entend par
fonction « l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification dans
le déroulement de l’intrigue. ». Il a répertorié 31 fonctions des personnages reparties
en 7 sphères d’action qui « correspondent aux personnages qui accomplissent les
fonctions » (p. 96). On trouve dans le conte les sphères d’action suivantes (96-97) :
la sphère d’action de l’AGRESSEUR (ou du méchant), la sphère d’action du
DONATEUR (ou du pourvoyeur), la sphère d’action de l’AUXILIAIRE, la sphère
d’action de la PRINCESSE (du personnage recherché), la sphère d’action du
MANDATEUR, la sphère d’action du FAUX HÉROS, et la sphère d’action du
HÉROS. Les sphères d’action peuvent correspondre exactement au personnage ou
un seul personnage occupe plusieurs sphères d’action ou une seule sphère d’action
peut se diviser entre plusieurs personnages. Ce sont les fonctions du héros qui
m’intéressent pour cette analyse puisque presque tous les étudiants se considèrent
des personnes hors du commun car ils ont fait face à beaucoup de situations et
78
surmonté beaucoup d’obstacles qui les font devenir des personnes vraiment
« courageuses ».
5.1 L’étudiant comme héros
Les héros de ces 9 récits de vie sont tantôt des quêteurs, tantôt des victimes à
différents moments de leur séjour à l’étranger. Ils voient les personnes dans des
situations similaires comme des gens qui sont très courageux : « Je crois que toutes
les personnes qui sont là et qui font leurs études, c'est vraiment des personnes
courageuses, ce sont des personnes que, on enlève le chapeau » (Ver551-552).
Fernando, par exemple, évoque les adjectifs que ses proches utilisent pour le
décrire tels que martyr (389) et courageux (395).
Ils s’accordent tous à dire que partir à l’étranger et être loin de sa famille n’est
pas facile et ce n’est pas une situation qu’une personne ordinaire pourrait supporter :
« le fait d'être restée ben pour l'instant 2 ans, loin de ma famille ++ euh le supporter
((rires)) ça c'est vraiment avoir du courage quoi » (Sar592-593). Également Santiago
affirme : « surmonter tout ce que dans mon expérience j'ai surmonté ben ça m'a ++
qu'est-ce qu'il me reste à faire ?, c'est d'être meilleur quoi » (672-673), « j'ai fait face
à beaucoup de choses qui ne sont pas faciles et qui m'ont donné le courage de
continuer » (677-678). Des fois ces étudiants se voient comme des personnes qui
ont été bénies (Osc207) ou des victimes, des personnes qui souffrent à cause de la
solitude dans un pays étranger et qui doivent organiser leur vie à travers une langue
étrangère, s’adapter à un système éducatif nouveau (Ver543-546). Mais qu’est-ce
qui a été à l’origine de ce départ à l’étranger ?
5.2 Le départ à l’étranger : un manque ressenti, un rêve, une quête du héros
Ce départ à la quête de nouvelles expériences de vie et de formation a été un
besoin, un manque personnel et donc une décision que personne n’a imposée aux
étudiants-héros. On retrouve donc qu’« un membre de la famille a envie de posséder
quelque chose » (fonction VIIIa), il s’agit ici de l’étudiant même qui éprouve la
nécessité de vivre une nouvelle expérience, de se former, de voyager, d’être en
79
immersion linguistique et culturelle. L’étudiant-héros « accepte la quête et décide
d’agir » (fonction X) : faire les démarches pour obtenir un visa et pour être admis
dans une université, faire des économies, etc. Finalement « le héros quitte la
maison » (fonction XI) pour s’installer dans un pays étranger, loin de sa famille et de
tout ce qu’il connait. À leur arrivée dans le pays étranger, les héros doivent faire face
à différentes épreuves, parmi lesquelles on trouve la langue.
5.3 La langue comme épreuve
Deprez (2002 : 48) a fait une analyse d’une centaine de récits de vie de migrants et a
trouvé que la langue était un « obstacle placé entre le héros et l’objet de sa quête ».
Même si les étudiants protagonistes de ces récits ont tous étudié le français dans
leur pays et se destinaient ou avaient déjà commencé à l’enseigner en tant que
langue étrangère, la majorité a mentionné des difficultés linguistiques au début de
leur séjour en France. La langue se présente donc comme une épreuve que subit le
héros (fonction XII). Santiago (202-203) affirme le suivant : « Tout le monde parlait
en français, discutait, j'essayais de comprendre, je comprenais rien du tout ». Cette
phrase qui indique un degré zéro de compréhension aide l’étudiant qui se raconte à
se positionner comme héros puisque « plus l’épreuve est difficile et plus le héros en
sort grandi » (Deprez 2002 : 49). Regardons ce que dit Oscar (232-239) à ce
propos :
[…] je pensais que je savais parler français quand je suis arrivé en France, la
première année c'était catastrophique, c'était DIfficile, parce que je trouvais pas
les mots pour m'exprimer […] je trouvais pas les mots donc voilà je disais à peu
près les mêmes phrases et là j'étais perdu, donc moi maintenant je regarde oui
ça va j'ai beaucoup progressé mais bien sûr il y avait des gens qui me disaient
"non, je comprends pas, désolé"
Julian (102-105) avoue aussi que c’était difficile pour lui d’« établir une conversation
en français » et qu’il ne se sentait pas « capable » mais après « 4 mois à peine »
d’être en France il se sent « à l’aise » avec la langue. Armando considère que ce
qu’il a surmonté c’est surtout la peur : « j'avais peur de parler de me faire
comprendre ou pas » (175), « j'avais même peur de parler au téléphone » (177-
80
178). La communication au téléphone a aussi été une des difficultés évoquées par
Jerónimo (671-673).
5.4 Le héros accomplit des tâches difficiles
Lors de leur séjour à l’étranger les étudiants s’affrontent à une tâche difficile (fonction
XXV. On propose au héros une tâche difficile) qu’ils doivent accomplir avec succès
(fonction XXVI. La tâche est accomplie). Pour certains le seul fait de survivre
(Ver542) est déjà un de ses grands accomplissements. Pour d’autres, le fait d’avoir
réussi leur M1 remplit leurs existences de fierté (Jer697, Sar581-586). Améliorer leur
niveau de langue est un grand accomplissement pour quelques-uns, Oscar, par
exemple, est très content d’avoir son diplôme du DALF C1 (514). D’autres évoquent
tous les apprentissages qu’ils ont eus au niveau personnel qui ont contribué à former
leur caractère (Mil104) et à ouvrir leur esprit (Fer432). Suite aux épreuves
surmontées et à l’accomplissement des tâches difficiles l’image que les étudiants ont
d’eux-mêmes se modifie ainsi que la manière dont les autres les perçoivent.
5.5 La transfiguration du héros
À part les transformations évoquées plus haut, les amis et la famille des étudiants les
considèrent comme des gens qui réussissent dans leur vie. Ils éprouvent de la
reconnaissance envers eux (fonction XXVII. Le héros est reconnu). Oscar (180182) affirme le suivant :
[…] mes amis en Colombie donc ils me voient comme une personne qui a eu
du succès, qui a réussi dans la vie professionnelle, qui travaille en France, qui
voyage, qui connait ++ le monde
Armando (513-516) indique que le fait d’être sorti de son pays lui donne un statut
différent, qu’il le veuille ou pas :
[…] même si ++ si on se comporte comme on se comportait avant de venir en
France euh d'une certaine manière les gens ils vont te voir différemment ils vont
te regarder différemment parce qu'on a déjà quand même un autre statut "ah lui
il est déjà parti à l'étranger il a vécu en France pendant je ne sais pas combien
de temps"
81
Aux yeux de ses amis et de sa famille, Fernando n’est plus le même, il s’est
transformé en une sorte de figure importante. Fernando raconte qu’il est « devenu un
personnage de la famille », qu’on le voit parfois « comme un martyr » et qu’entre ses
cousins il est « le symbole » parce qu’il est « loin » et « voyage partout ». Il est aussi
quelqu’un d’aventurier. Regardons ces extraits (382-413) :
[…] en fait je suis devenu un personnage de la famille, dans ma famille, mes
frères, ma sœur, mon frère, mon père et ma mère, alors dans ma famille je suis
un personnage
[…] après entre mes cousins je suis aussi le symbole de "oh le cousin qui est
loin, ça fait trois ans qu'il est là qu'il voyage partout", parce qu'ils voient que le
côté Facebook, tu vois ?, les fêtes, les voyages, des choses bonnes, alors ils
me voient comme le cousin qui est partout dans le monde qui fait la fête mais
qui étudie, tout ça
[…] et après aussi entre mes amis il y a le côté de ceux qui disent "bon il est
courageux d'être là", y a d'autres qui disent "il est très chanceux" et mes tantes
aussi, le côté plus proche ils s'inquiètent pour moi, mais il y a l'autre côté qui me
voit comme l'aventurier, mais aussi - je ne sais pas si quand je vais rentrer
comment ils vont me regarder s'il y a plein de choses qui ont changé
Tout au long de ce processus de transfiguration les étudiants ont acquis diverses
qualités, certaines propres à la société d’accueil, d’autres développées comme
produit des interactions avec l’Autre. Il s’agit des traits identitaires qu’ils ne
possédaient pas et qu’ils mentionnent lors de la réflexion faite in situ dans l’entretien.
Je présenterai ici une synthèse des facteurs qui ont contribué à la transformation
identitaire afin de compléter ce qui précède. Mon objectif est de montrer que les
identités sont plurielles, dynamiques et toujours en évolution et que l’identité
personnelle des étudiants colombiens est façonnée à tout moment par les
expériences vécues en territoire francophone.
5.5.1 Facteurs ayant contribué à la transformation
a. Le contact avec d’autres cultures : En France, les étudiants ont eu la possibilité
de se confronter à l’Autre qui est différent. Le séjour leur a permis de connaitre
plein de gens issues de cultures différentes et ayant des origines diverses. Parfois
il s’agissait d’autres étudiants étrangers mais la plupart d’interviewés évoquent le
82
contact avec des immigrés. Cette interaction en dehors de leur cercle intime et
familier les a emmenés à comprendre que les gens pensent et agissent
différemment, qu’ils ont une vision différente du monde, qu’ils ont d’autres
pratiques religieuses, par exemple. Ce processus les a aidés à devenir plus
tolérants et respectueux et à questionner l’idée de normalité. Ils sont, en effet,
plus ouverts au monde et à la différence. Ils se sont aussi débarrassés des
préjugés par rapport aux cultures. Ils ne sont plus prêts à juger les autres d’une
manière négative basés sur leurs origines, ou bien à les idéaliser comme cela a
été le cas concernant les Français.
b. Le contact avec des Français : Tout au long du séjour, les étudiants ont partagé
avec des familles françaises ou interagi avec des français appartenant à plusieurs
générations : des jeunes étudiants ou non, des lycéens des zones ZEP, par
exemple. De plus, faire des démarches administratives et habiter au sein d’une
société avec des règles et des valeurs différentes les a conduits à adopter des
caractéristiques propres à la société française qui ne sont pas présentes dans la
société colombienne. Parmi les qualités acquises on trouve l’organisation et
planification du temps et une attitude moins conformiste. Concernant la
planification du temps, ils trouvent qu’ils ne sont plus comme la majorité de
Colombiens qui vivent au jour le jour et qui ne planifient pas leur futur. Le contact
avec des Français qui, selon eux, râlent et se plaignent tout le temps a aidé les
étudiants à apprendre à protester, à assumer une attitude de militant et de lutte
face à des inégalités existantes dans le monde et en Colombie. Ils s’aperçoivent
que parfois les colombiens assument une attitude passive et ne vont pas jusqu’au
bout des choses pour faire valoir leurs droits.
Les étudiants ont également modifié l’image qu’ils avaient de la France. Avant d’y
venir, ils avaient une image presque parfaite de la France, c’était le paradis,
l’endroit où il n’y a aucun problème, où tout le monde vit bien. Une fois sur le sol
français, ils se sont rendu compte que la vie quotidienne n’est pas différente dans
le sens où les gens ont aussi des difficultés. Le pays d’accueil doit faire face aussi
à des problématiques de différent ordre, certes, mais il est loin d’être le paradis.
Cette expérience a provoqué des sentiments contradictoires chez les étudiants
envers la France. Certains en sont déçus et restent avec une image plutôt
négative de Paris et de la France. Mais ils apprécient tous leur séjour à l’étranger
83
malgré les difficultés, la solitude ou l’hostilité qu’ils aient pu subir et le
recommandent vivement. Ils garderont toujours un lien solide avec la France et
avec le français, leur deuxième langue, la langue qu’ils enseignent ou s’apprêtent
à enseigner. Tous les étudiants aiment la vie qu’ils mènent en France et sentent
que ce serait bizarre de retourner en Colombie, mais seulement un étudiant veut y
rester pour toujours, tellement il sent qu’il est devenu plus français que colombien.
c. La comparaison avec les Colombiens : Ils effectuent toujours une comparaison
entre les sociétés française et colombienne. Parfois la comparaison se fait à une
plus petite échelle. Ils analysent donc les attitudes de leur entourage familial et se
rendent compte des différences. Par exemple, ils disent que les Français lisent et
essaient de se former tout le temps et c’est en France qu’ils ont commencé à
aimer la lecture et à se préoccuper pour leur formation. Ils ont également une
vision différente de la Colombie, leur pays. Il s’agit d’un regard plus objectif mais
au même temps un regard plein de fierté de leurs origines.
d. Les études à l’université : Même si certains ont eu du mal à s’adapter au
système éducatif français, ils sont satisfaits des connaissances qu’ils ont
acquises. Ils se sentent plus formés dans le domaine académique et envisagent
des projets intéressants. Quelques-uns éprouvent plus d’intérêt pour la lecture et
sentent qu’ils sont plus stricts et plus exigeants. Ils ont enrichi leur discours par
rapport à des domaines propres de leur métier d’enseignants de FLE.
e. L’entretien interactif : L’entretien a aidé les étudiants à faire un retour sur leur
parcours d’apprentissage de langues et de formation en tant qu’enseignants de
FLE. Ils savent que toutes les situations dans lesquelles ils se trouvent ont des
effets sur la manière dont ils agissent et se perçoivent. Le fait de se raconter en
entretien contribue au développement d’un esprit critique et d’une posture
réflexive. Des facettes identitaires émergent et se co-construisent lors de cet
événement interactionnel.
84
6.
Conclusion
85
Dans cette étude je n’ai pas adopté la conception maximaliste des récits de
vie qui les considère plutôt comme une autobiographie complète, racontant tous les
détails de l’existence d’une personne, depuis sa naissance jusqu’au moment de
l’entretien. Tout comme Bertaux (1997 : 36), j’ai adhéré à une conception minimaliste
qui considère qu’il s’agit d’un récit de vie « dès qu’il y a, dans un entretien, apparition
d’une forme narrative pour raconter une partie de l’expérience vécue ». Bertaux
(1997) mentionne trois fonctions des récits de vie : la fonction exploratoire, la fonction
analytique et la fonction expressive. La fonction exploratoire au début d’une
recherche sert à « baliser » le terrain. La fonction analytique consistera à orienter le
témoignage de l’informant vers des phénomènes et des processus que le chercheur
a déjà identifiés sur le terrain. La fonction expressive est remplie par un récit de vie
que le chercheur publie car il considère qu’il est censé « contenir, incarner et
exemplifier une large part de rapports et processus sociaux découverts » (Ibid. : 48).
Pour recueillir les récits de vie des étudiants colombiens, j’avais déjà en tête
quelques thématiques que je voulais faire émerger : leur répertoire linguistique et
motivations pour les langues, leur imaginaire linguistique, leurs motivations pour le
départ, leurs stratégies d’apprentissage, les difficultés lors du séjour en France, la
manière dont ils se perçoivent et dont ils pensent que les autres les voient et leurs
perspectives d’avenir. C’est pour cela que les récits de vie répondaient à une
demande analytique.
Nossik (2014 : 7) affirme qu’en sciences sociales, pour la plupart des recherches, il
s’agit d’extraire des récits de vie des données factuelles ou des points de vue
subjectifs. C’est donc une analyse de contenu qui est effectuée. Mais en linguistique,
les récits de vie doivent être considérés comme « des activités configurantes qui
donnent sens à ce qui est raconté et dont l’intérêt réside précisément dans la recatégorisation des expériences sociales vécues à travers les choix discursifs du
narrateur » (Nossik 2014 : 8). C’est cette approche que j’ai essayé d’adopter en
effectuant une analyse du discours en me focalisant sur l’énonciation.
Tout comme Brubaker (2001 : 70), nous considérons les identités « comme
multiples, fragmentées et fluides ». On adopte donc une posture constructiviste.
L’identité des individus n’est donc pas prédéterminée mais façonnée par les multiples
86
possibilités que leur offre leur parcours et les situations dans lesquelles ils
interviennent. Dans le cas du récit de vie, Ochs (2014 : 38) indique qu’ils jouent un
rôle important dans le processus de construction identitaire car « mettre en récit une
expérience personnelle est un moyen d’accroître la conscience de soi présente chez
tous les êtres humains ». Dans la mesure où « le narrateur ne se raconte que parce
que le narrataire se fait raconter », Dufour (2014 : 54) considère qu’il y a une coconstruction de l’identité. C’est aussi le point de vue que j’ai adopté en tenant compte
du cadre interactif de l’entretien et le rôle joué par les interactants.
Ce travail a été une tentative de démontrer l’intérêt de l’approche biographique
pour analyser la mise en mots des aspects identitaires des enseignants de FLE se
trouvant dans un pays étranger. De plus, ce type d’enquête s’avère enrichissante
pour celui qui accepte de se raconter car il aura l’opportunité de faire un retour sur
soi et de développer sa réflexivité. Dans le cadre de l’entretien, ils ont pu réfléchir à
propos de ce qui les motivait à choisir les langues faisant partie de leur répertoire
linguistique, de l’image qu’ils en avaient et des stratégies utilisées pour parfaire leurs
compétences en territoire francophone. Il s’agissait de sujets dont ils n’avaient
jamais parlé et l’échange verbal leur a servi pour construire leur discours et mettre en
œuvre des stratégies identitaires en interaction.
À part l’analyse de contenu mêlant des éléments de l’analyse du discours et des
aspects interactionnels de certains extraits afin de démontrer que l’identité est aussi
co-construite grâce à l’entretien interactif, j’ai également effectué une analyse de la
structure des récits. Pour ce faire, on a appliqué les fonctions du conte théorisées
par Propp (1928) pour montrer que même si chaque récit est différent il y a des
aspects que tous les narrateurs évoquent et qu’on peut comparer. J’ai complété cette
analyse avec une typologie des éléments ayant contribué aux transformations
identitaires. En explorant le parcours de ces 9 étudiants-enseignants de FLE, on a
vérifié que suite aux interactions avec l’Autre et avec d’autres cultures pendant un
séjour linguistique et culturel en France, le regard qu’ils portent sur eux-mêmes se
modifie ainsi que la manière dont les autres les perçoivent. Ce qui m’a permis de
démontrer que les identités ne sont jamais préétablies, qu’elles se construisent en
situation. En effet, les étudiants-enseignants ont acquis des traits identitaires tels que
87
l’ouverture d’esprit sur le monde, et leur fierté et leur sentiment d’appartenance à leur
pays s’est fortifié. Ils ont également modifié des stéréotypes par rapport à la France
et aux cultures en général et sont devenus plus tolérants de la différence, conscients
que la normalité est une construction culturelle aussi. Il faut aussi dire que toute cette
réflexion a été faite in situ lors de l’entretien où chaque partenaire à l’échange jouait
un rôle important pour la co-construction du discours et donc des facettes
identitaires. Certains étudiants ont réaffirmé leur identité de colombiens quand des
thématiques relatives à l’accent ont émergé, par exemple. D’autres se sont montrés
plus identifiés à la France.
En guise de conclusion, le travail mené dans le cadre de cette recherche a été
enrichissant pour tous les participants, y compris la chercheuse. Ces 9 étudiantsenseignants de FLE témoignent des effets d’un séjour linguistique et culturel à
l’étranger. Des effets qui peuvent être sur le plan didactique ainsi que sur le plan
identitaire. On a constaté que les stratégies pour améliorer la compétence plurilingue
et pluriculturelle se modifient en milieu homoglotte. On a aussi vérifié que les images
et les stéréotypes liés aux cultures évoluent ou disparaissent et que la manière de
voir le monde et de se percevoir soi-même est différente. On peut affirmer que
l’interaction joue un rôle prépondérant pour la construction des identités, l’importance
de l’altérité, dans la vie de tous les jours ou dans une situation d’entretien, est
indéniable.
88
7.
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97
ANNEXES
ANNEXE 1
Guide d’entretien16
1. Parcours géographique, social et langagier
-Langues apprises / répertoire linguistique
-Modalités d’apprentissage / mode d’appropriation des langues (premiers contacts
avec les langues)
-Motivation pour l’apprentissage des langues : « passeurs ou des passeuses de
langues » : personne(s) qui ont joué un rôle marquant dans l’apprentissage ou
l’usage de chaque langue (membre de la famille, professeur, auteur), ou au
contraire dans le rejet de cette langue.
-Parcours de formation
2. Motivation de la migration :
Modalités d’arrivée
-Préparatifs, émotions
-Le voyage : détails
-L’arrivée: premières impressions
3. Environnement actuel
-Réseaux et pratiques langagières (quelle langue et avec qui ?)
-Travail -Activités
-Amis / Fréquentations (clubs, associations)
-Raconter une semaine ordinaire
-Média ? Radio, tv, musique, ciné – langues préférées
4. Idéologie linguistique et culturelle
-Sentiments liés aux langues / Affect (pas seulement du point de vue fonctionnel
mais du point de vue symbolique) Pourquoi le français, qu’est-ce qu’il représente
-Tu perds la parole, il y a un « chaman » très puissant qui te donne une pilule pour
que tu puisses parler une langue mais c’est un choix pour la vie, laquelle prendstu ? Pourquoi ? / Le chaman est très puissant et il peut te donner une deuxième
pilule pour une autre langue : laquelle et pourquoi ?
16
Construit à partir des idées de Michelle Auzanneau et Christine Deprez
98
-Pourrais-tu te passer de certaines langues ? Pourquoi ?
5. Perception de l’identité et éventuels changements
-Est-ce que tu as l’impression que des choses ont changé en toi tout au long de ce
processus d’apprentissage et de ton séjour en France ?
-Tu as changé la manière de voir les choses, etc. ?
-Est-ce que tu as l’impression d’être la même / le même dans le regard des
autres ?
6. Attitude vis-à-vis de la culture française
-Comment te représentais-tu la culture française ou francophone, les français en
France avant de venir en France et maintenant que tu es là ?
-Le système éducatif
-Qu’est-ce qu’on apprend à propos de la langue française, de la France et des
français quand on est en France ?
7. Stratégies d’apprentissage de la langue et la culture
-Quel était ton but concernant le perfectionnement du français avant d’arriver en
France ? Comment vas-tu y parvenir ? Quelles stratégies as-tu déployées ?
8. Difficultés rencontrées
-Épreuves surmontées
-Accomplissements personnels
9. Anecdotes significatives
- Histoire d’un malentendu
10. Perspectives langagières
-Quelle langue étrangère conserver, pourquoi ?
-Veux-tu maintenir le français dans ton répertoire linguistique ?
-Apprendre une autre langue étrangère ?
-Si tu vas rester en France, quel est l’avenir de l’espagnol ?
11. Projets de vie
-Mariage
-Éducation des enfants : quelle langue parler aux enfants ? / Quelle langue
voudrais-tu qu’ils parlent ? / Comment feras-tu pour que ce soit possible ?
-Lieu de résidence
-Métier
99
ANNEXE 2
FICHE MÉTADONNÉES
« Futurs enseignants de FLE étudiant à l’étranger : Effets du séjour linguistique et
culturel et enjeux identitaires analysés à la lumière de leur récit de vie »
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
Nom de l’interviewer : Doris COLORADO LOPEZ
Nom(s) de l’informateur / informatrice :
Âge :
Lieu de naissance :
Université en Colombie / Programme :
Université en France / Programme :
Date :
Durée :
Lieu :
Type d’enregistrement : entretien semi-dirigé
Présence de l’enquêteur : oui
Antécédents avec l’informateur :
13. Lien enquêteur-informateur(s) (préciser la nature du lien) :
14. Transcription effectuée à la suite de l’enregistrement :
oui
non (préciser le délai) :
15. Qualité de l’enregistrement :
16. Commentaires (particularités, interventions d’autres personnes, interruptions
téléphoniques, passages inaudibles, éléments perturbateurs, présence d’une
tierce personne qui n’intervient pas, phénomènes linguistiques saillants…) :
17. Autres éléments susceptibles de faciliter l’identification de l’enregistrement et ses
caractéristiques principales :
100
ANNEXE 3
« Futurs enseignants de FLE étudiant à l’étranger : Effets du séjour linguistique et
culturel et enjeux identitaires analysés à la lumière de leur récit de vie »
Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ17
En signant ce formulaire je déclare que je consens à participer à l’étude « Futurs
enseignants de FLE étudiant à l’étranger : Effets du séjour linguistique et culturel et
enjeux identitaires analysés à la lumière de leur récit de vie » menée par Doris
COLORADO dans le cadre de ses études de master en Sciences du Langage.
J’ai pris connaissance des informations suivantes :
 La recherche est basée principalement sur des entretiens semi-dirigés qui seront
enregistrés entièrement et qui seront utilisés à des fins scientifiques.
 Mon identité et mon adresse seront traitées de manière confidentielle et seront
anonymisées.
 Je conserve le droit de rétractation si je change d’avis.
 Les résultats pourraient faire l’objet de publications dans des livres ou des revues
spécialisées dans le domaine.
 Je pourrai avoir accès aux résultats et aux publications éventuelles si j’en fais la
demande.
Mon consentement ne décharge pas l’enquêteuse de ses responsabilités. Je
conserve tous mes droits garantis par la loi.
Date :
Nom :
Prénom :
Signature (précédée de la mention « lu et approuvé ») :
17
Tous les participants à l’étude ont signé ce formulaire avant de conduire les entretiens.
101
ANNEXE 4
Conventions de transcription18
[ début du chevauchement entre deux locuteurs.
] fin du chevauchement.
++ pauses moyennes.
+++ pauses longues.
/ et \ notent les montées et descentes intonatives.
: notent des allongements syllabiques.
Les MAJUSCULES : emphase particulière sur une syllabe ou un mot / augmentation
de l’intensité.
Les signes ° ° : un volume bas de la voix.
xxx : un segment incompréhensible ou inaudible.
- : auto-interruption
((rire)) : entre parenthèses doubles sont notés mes commentaires, ainsi que des
phénomènes non transcrits (paraverbal ou non verbal)
( ) : entre parenthèses sont notés les résumés des extraits que je ne transcris pas
18
Les conventions de transcriptions ont été adaptées et inspirées de GRECO (2006) et
d’AUZANNEAU et LECLERE-MESSEBEL (2007).