Petite musique de chambre
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Petite musique de chambre
cinéma SUISSE Premier long métrage de deux comédiennes vaudoises, «La Petite chambre» est une réussite. Rencontre avec Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, qui abordent avec tact un sujet douloureux. Petite musique de chambre Projection et débat. Dimanche à 10h30 aux Galeries du Cinéma à Lausanne, projection du film suivie d’un débat sur le thème «De la maison à l’EMS Comment en parler?», en présence des réalisatrices et d’autres intervenants. 1 Le film a été écarté de la course jeudi. Photos. Le retraité Edmond (Michel Bouquet) et l’infirmière Rose (Florence Loiret Caille) affrontent ensemble leurs démons dans La Petite chambre de Véronique Reymond et Stéphanie Chuat (en médaillon) VEGA DISTRIBUTION / ANNE COLLIARD SC: Lorsque nous avons commencé à développer le film toutes seules, dans la cuisine de l’une ou de l’autre, nous avons quand même imaginé que Rose serait peutêtre jouée par Véro. Je la connais très bien; en tant que comédienne, elle a une couleur à elle. L’actrice qui allait jouer Rose devait avoir ce quelque chose qu’on sent chez Véronique. On voulait retrouver cette couleurlà, et on l’a retrouvée. PROPOS RECUEILLIS PAR BRIANA BERG F estival de Locarno, août 2010. Les comédiennes et réalisatrices vaudoises Stéphanie Chuat et Véronique Reymond viennent de présenter en compétition internationale leur premier long métrage, auquel un public ému a réagi par une ovation de près de 10 minutes. Sorti mercredi, et candidat suisse aux nominations pour l’Oscar du meilleur film étranger1, La Petite chambre raconte la rencontre de Rose (Florence Loiret Caille), infirmière à domicile anéantie par la perte d’un enfant mort-né, et d’Edmond (Michel Bouquet), vieil homme révolté qui refuse d’être placé en maison de retraite. Entretien à deux voix. Presque trop parfait D’où vous est venue l’envie de traiter de la vieillesse? Véronique Reymond: Plus que de la vieillesse, le film parle du vieillissement de la société et du changement d’identité qui s’opère peu à peu après l’âge de la retraite. On s’efface, on quitte le devant de la scène, on devient le décor de la vie des autres – jusqu’à être carrément un poids pour la société, parce qu’on a des problèmes de santé, qu’on coûte très cher... Vous êtes tout d’un coup considéré comme un objet dérangeant, un boulet pour la société, et je trouve ça très troublant. Le jour où l’on n’est plus capable de décider pour soi, nos enfants ou petits-enfants le font pour nous en disant «c’est bon pour toi maman...» A cela, notre personnage répond: «De quoi je me mêle!» C’est cette révolte qui nous intéressait, cette colère face à la déchéance du corps, à la perte d’autonomie et de maîtrise de soi à laquelle nous seront tous, tôt ou tard, confrontés. Stéphanie Chuat: Nous avions déjà abordé ce thème il y a une dizaine d’années dans notre spectacle Mémé, en traitant de la solitude d’une personne âgée et de la peur de vieillir des jeunes. Nous étions assez proches de nos grands-mères, ce qui avait déclenché le désir de faire ce spectacle. Pour La Petite chambre, dont le point de départ a été un concours de la TSR intitulé «Les films d’ici», nous avons à nouveau développé ce thème, en y ajoutant plus tard l’idée de l’enfant perdu. VR: Nous avions envie d’inclure une deuxième génération pour qu’on sente vraiment les deux pôles de la vie, pour partir du tout début, presque d’avant le début. Le destin d’Edmond est au cœur du récit, mais on a le sentiment que le film repose davantage sur le personnage de Rose... VR: Rose vit un deuil, elle est dans les limbes et doit revenir à la vie; Edmond, lui, a un choix fondamental à faire dans sa propre existence. Pour s’aider luimême, il va l’accompagner dans son retour à la vie. C’est un équilibre subtil. Rose porte le film parce qu’elle a beaucoup plus de scènes qu’Edmond, mais la présence de Michel Bouquet est tellement forte qu’ils forment un duo. SC: Michel Bouquet a aimé le fait que nous soyons comédiennes et l’a reconnu dans notre manière de communiquer. Je crois que c’était aussi très important pour lui que nous venions du théâtre. Vous avez tourné La Petite chambre en 30 jours, ce qui est très court... VR: En effet. Surtout lorsqu’on travaille avec une personne âgée, qui a son rythme. Nous avons d’abord tourné tous les extérieurs , pratiquement un road movie, dans la région lausannoise; puis les intérieurs au Luxembourg. SC: Heureusement, les acteurs étaient très investis. Florence Loiret Caille est tout le temps juste. C’était génial, parce qu’on n’aurait tout simplement pas pu faire quinze prises. Ce sont vraiment les acteurs qui portent le film. Les scènes étaient-elles écrites très précisément ou en avez-vous laissé certaines ouvertes? SC: Tout est très écrit, mais il y a un peu d’improvisation à la fin de la scène où Rose va acheter des pantoufles pour Edmond dans le magasin de sa mère. VR: Etant comédiennes, nous savons qu’un bon acteur va trouver ce qui est juste si on lui donne de la place. Il y a des choses auxquelles on ne touche pas trop. Parfois, quelques mots suffisent – «ils commencent à faire l’amour» – et c’est sur le plateau, dans le contexte, qu’on trouve comment faire, que les idées émergent. Avez-vous envisagé de jouer dans votre propre film? VR: Un film, c’est très lourd. Il y a énormément de paramètres. Je me sens encore trop «jeune» dans le cinéma pour réaliser et jouer en même temps. Nous n’étions d’ailleurs pas de trop de deux derrière la caméra! aussi à l’affiche ÉTATS-UNIS • «AU-DELÀ» FRANCE/BELGIQUE • «LES ÉMOTIFS ANONYMES» La vie avant la mort Les timides, quand ils chavirent... Reconstitution du tsunami de décembre 2004, la séquence d’ouverture est à couper le souffle. Mais après la tempête vient le calme. A Paris, survivante ébranlée par une expérience de mort imminente1, la journaliste Marie Lelay (Cécile de France) peine à retrouver ses marques. A Londres, le jeune Marcus perd son frère jumeau dans un accident et cherche à entrer en contact avec lui. A San Francisco, George Lonegan (Matt Damon) refuse d’exploiter un don de médium qu’il considère comme une malédiction, car «une vie dédiée à la mort n’est pas une vie». Revenu de l’Afrique du Sud d’Invictus, Clint Eastwood réalise ainsi pour la première fois un film choral, mêlant les destins de ces trois personnages aux prises avec la mort. Suivant leurs quêtes respectives, Au-delà avance comme eux à tâtons, lentement, et intrigue: où Eastwood veut-il en venir? En dépit des apparences, le sujet de ce film – ni fantastique ni mystique – n’est pas ce qui nous attend au bout du chemin, mais la solitude des vivants, leur aspiration à trouver l’âme sœur pour combler le vide de leur existence. Tout ça pour ça? Difficile de ne pas se faire cette réflexion, tant l’ampleur de ce triple récit «mondialisé» contraste avec la modestie du propos. Peut-être aurait-il fallu ne conserver qu’une des trois intrigues, celle du voyant, qui occupe déjà une place centrale et s’avère de loin la plus captivante. Par la grâce de ses acteurs, la beauté de sa photographie (entre ombre et lumière crépusculaire) et la magie de son atmosphère, Au-delà imprime pourtant durablement la mémoire – preuve que, même sans convaincre complètement, un film de Clint Eastwood vaut toujours le détour. MLR Ce n’est pas une formule, les «émotifs anonymes» existent bel et bien; certains d’entre eux participent, comme les alcooliques, à des groupes de parole. Ils sont même plus nombreux qu’on ne l’imagine, ces timides maladifs paniqués par la moindre interaction sociale, tétanisés à l’idée de décrocher leur téléphone ou de passer commande au restaurant. Le cinéaste Jean-Pierre Améris en est un, ce qui donne à son film d’émouvants accents de vérité. Si Les Emotifs anonymes est une comédie romantique, à la fois tendre et désopilante, le tragique du quotidien des hyperémotifs n’est jamais évacué. Documentariste et réalisateur de fictions qui n’ont guère fait date (Mauvaises fréquentations, C’est la vie, Poids léger, Je m’appelle Elisabeth), le Lyonnais signe sans doute là son meilleur film. Parce qu’il connaît bien son sujet et fait appel à des acteurs partageant un peu de ses angoisses: la douce Isabelle Carré, qui ne fait pas mystère de sa timidité, et Benoît Poelvoorde, qui la cache derrière sa formidable exubérance. Cette distribution idéale réunit à nouveau – après le troublant Entre ses mains d’Anne Fontaine (2005) – un couple de cinéma a priori improbable, mais qui fonctionne à merveille. A la fois hilarants et désarmants de maladresse, ces deux comédiens qu’on adore nous offrent de purs moments de bonheur. Inspiré dans les scènes comiques, Jean-Pierre Améris les greffe hélas sur un scénario-prétexte, trop prévisible et bâclé, dont les ressorts dramatiques sont sous-exploités: elle est une confiseuse de génie dissimulant son identité (mais le secret sera vite éventé), qu’il engage comme représentante dans sa chocolaterie en faillite. Cela dit, puisque le rire l’emporte, finalement peu importe. MLR 1 NEAR DEATH EXPERIENCE (NDE) Ovation à Locarno, course à l’oscar, louanges d’une presse unanime, sortie en France et affiches grand format: pour un premier film suisse, tant d’enthousiasme et d’ambition sembleraient presque suspects! Et pourtant, La Petite chambre est bien une incontestable réussite. Au-delà du sujet de société, un film juste et délicat où l’émotion affleure et submerge sans arracher les larmes. Tout en retenue, Florence Loiret Caille y tient tête à un Michel Bouquet comme toujours impérial, dont la précision du jeu évite la caricature du vieillard acariâtre – sans oublier le discret mais impeccable Eric Caravaca (La Chambre des officiers). La qualité de l’interprétation égale par ailleurs celle de la photographie et de la musique, comme l’utilisation des décors (Lavaux pluvieux) s’avère judicieuse. La Petite chambre en paraît presque trop parfait, pensé, verrouillé. «Tout est très écrit», avouent d’ailleurs les cinéastes, dont la mise en scène confine à l’illustration – soignée mais scolaire – du scénario. Stéphanie Chuat et Véronique Reymond auraient dû lâcher un peu la bride, laisser les plans respirer dans un montage moins serré, faire davantage confiance au «cinéma», à l’image plutôt qu’à l’écrit. Mais après tout, ce n’est là que leur premier long métrage. MATHIEU LOEWER LA DOPPIA ORA A l’issue d’une séance de speed dating, Guido, ancien policier devenu gardien, invite Sonia, femme de ménage, dans une luxueuse villa sur laquelle il veille. Mais Guido est assassiné sous ses yeux par des cambrioleurs. C’est du moins ce dont se souvient Sonia lorsqu’elle se réveille en état de choc à l’hôpital... A l’affiche au Spoutnik à Genève, La Doppia ora entend apporter du sang neuf au polar. Le réalisateur de clips Giuseppe Capotondi rend hommage à Hitchcock et aux gialli de Bava ou Argento avec «un thriller de mœurs qui mêle les drames sociaux et un certain romantisme à une incontestable terreur». Lors de sa sortie en France, sous le titre L’Heure du crime, Les Inrockuptibles ont salué «un polar italien réussi, tout en effets vertigineux et jeux de miroirs, et surtout d’une rare mélancolie». CO Ce soir à 21h, dimanche à 18h et 20h, puis mardi (21h), samedi (21h) et dimanche (18h) prochains au Spoutnik, Usine, entrée 11 rue de la Coulouvrenière (1er étage), Genève; ☎ 022 328 09 26, www.spoutnik.info LA TERRE DE LA FOLIE «L’arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le gardechampêtre, coupable d’avoir déplacé sa chèvre de 10 mètres. Ça me fournissait un bon point de départ.» Electron libre de la Nouvelle Vague, Luc Moullet est de retour derrière (et devant) la caméra avec La Terre de la folie. Il y enquête, avec son sérieux imperturbable et son humour décalé, sur ces phénomènes psychiques, nombreux dans sa région natale des Alpes du Sud. Présenté à Cannes et au Festival du film grolandais de Quend – où le cinéaste a reçu le Prix d’interprétation masculine! – ce documentaire est projeté depuis hier au Cinéma Oblò à Lausanne. Nous y reviendrons. CO Ve 4 et 11 février à 21h au Cinéma Oblò, 9 av. de France, Lausanne; ☎ 079 473 90 89. www.oblo.ch LeMag rendez-vous culturel du Courrier du samedi 22 janvier 2011 • 27