La “feuille de route” du Quartet: passeport pour la paix ou pour la

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La “feuille de route” du Quartet: passeport pour la paix ou pour la
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La “feuille de route” du Quartet:
passeport pour la paix
ou pour la guerre?
L’une des retombées immédiates de la guerre d’Irak a été la publication officielle, le 30 avril 2003, et la remise à Israël et à l’Autorité palestinienne, d’une “feuille de route” du Quartet, groupant les
Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations unies, devant
conduire à la paix israélo-arabe définitive.
Ce plan de paix était en gestation depuis des mois. Retravaillé et
modifié à plusieurs reprises, il représente, grosso modo, un amalgame
de la philosophie américaine de la guerre au terrorisme, qui à émergé
après le 11 septembre 2001 historique, et du concept européen, selon
lequel la création d’un Etat palestinien serait la clef de voûte, le Sésame-ouvre-toi de la solution de tous les problèmes du Moyen-Orient,
y compris le sous-développement et l’analphabétisme, étant donné que
la principale source de frustration des peuples arabes serait le sort
des Palestiniens, depuis trop longtemps en suspens.
Des obligations réciproques
Le plan du Quartet se réaliserait en trois étapes.
La première phase du plan devrait s’ouvrir sans délai (“en mai
2003” dit le texte) et énonce les premiers objectifs dans un style de
constats sans dubitatifs, comme s’il s’agissait d’évidences, comme s’il
n’existait pas d’autres alternatives à ses exigences axiomatiques.
«L’Autorité palestinienne publie une déclaration sans équivoque
réitérant le droit d’Israël à exister en paix et en sécurité et appelant
à un cessez-le-feu immédiat et sans conditions. Les Palestiniens décrètent une fin sans équivoque de la violence et du terrorisme, et sur le
terrain, ils s’efforcent désormais visiblement d’arrêter, d’entraver,
d’interner les individus et les groupes menant ou préparant des attaques violentes contre des Israéliens, où que ce soit. L’appareil sécuritaire palestinien lance des opérations ciblées et efficaces pour s’opposer à tous ceux qui pratiquent la terreur, et pour démanteler les capacités ainsi que les infrastructures terroristes. Ces opérations supposent que l’on commence à confisquer les armes illégales, et que soit
renforcée l’autorité sécuritaire, hors toute association avec la terreur
et la corruption».
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En contrepartie, «Israël renonce à ses actions minant la confiance, notamment les attaques de populations civiles, la confiscation ou
la démolition de maisons et de biens palestiniens comme mesure punitive ou pour faciliter des constructions israéliennes, la destruction
d’institutions et d’infrastructures». Ces mesures seront surveillées par
«un mécanisme formel de contrôle» du Quartet, en collaboration notamment avec l’Egypte et la Jordanie. Israël coopérera avec l’Autorité palestinienne pour recycler ses services de sécurité et accordera
toutes facilités au Quartet pour participer à ce recyclage. De plus, Israël «prend des mesures pour améliorer la situation humanitaire des
Palestiniens, en levant les couvre-feux, en diminuant les restrictions
de circulation des personnes et des biens, en autorisant un accès
libre, total et sans entrave au personnel international et humanitaire»
et transfère à l’Autorité palestinienne les fonds, «y compris les arriérés», qui lui sont dus. Enfin, Israël démantèle immédiatement «tous
les points de colonisation construits après mars 2001» et gèle «toutes
les activités de colonisation, y compris l’extension naturelle des colonies existantes».
Il n’est pas prévu de délai pour la mise en oeuvre de ces mesures,
puisque la deuxième phase du processus était censée s’ouvrir dès juin
2003.
La mise en chantier de l’Etat palestinien
Cette deuxième phase de la feuille de route devrait se terminer en
décembre 2003.
Elle se concentre essentiellement sur l’établissement progressif
«d’un Etat palestinien indépendant, avec des frontières provisoires»,
mais qui ne pourra se réaliser qui «lorsque les Palestiniens disposeront d’une direction qui lutte résolument contre la terreur, et qui soit
désireuse et capable de bâtir une démocratie pratique fondée sur la
tolérance et la liberté». Cette évolution résultera d’élections palestiniennes démocratiques, et sera contrôlée par le Quartet des puissances, à travers un mécanisme de surveillance international.
La troisième phase, considérée comme finale par la «feuille de
route» est prévue pour 2004-2005, et sera consacrée à la négociation
«avec le soutien actif, constant et opérationnel du Quartet», en vue
d’un «accord israélo-palestinien sur le statut définitif et la fin du
conflit».
Les véritables contentieux de fond devront alors être réglés: «Le
problème des frontières, mettant un terme à l’occupation commencée
en l967. La solution réaliste, juste, équitable et acceptée du problème
des réfugiés. Une solution négociée du statut de Jérusalem prenant en
compte les préoccupations religieuses et politiques des deux parties,
préserve les intérêts religieux des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans du monde entier, satisfait la vision de deux Etats, Israël et une
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Palestine viable, démocratique, indépendante et souveraine, vivant
côte à côte dans la paix et la sécurité». Avec ce règlement s’institue
également une paix israélo-arabe globale.
Le précédent et l’échec d’Oslo
A première vue, ce plan de solution instantanée d’un conflit qui
dure depuis plus de 55 ans, et dont la première phase du calendrier
est déjà expirée avant même d’être entamée, paraît à la fois séduisant
en théorie, mais à la fois utopique et irréaliste dans la pratique.
Le 1 mai, lors de son «discours de victoire», à bord du porteavions Abraham Lincoln, le président George Bush avait constaté
avec bon sens et réalisme, s’agissant de l’Irak, que «la transition
d’une dictature à une démocratie prendra du temps». C’est l’évidence. Comment imaginer qu’une telle transition se ferait dans les territoires de l’Autonomie palestinienne du jour au lendemain? Moins
qu’ailleurs au Moyen-Orient, et même au monde, il n’y existe de tradition démocratique. Les institutions et les personnels palestiniens
sont ceux issus d’une «lutte armée», s’y sont impliqués et s’y impliquent encore. Si l’on prend au sérieux la terminologie-même du projet du Quartet, les Palestiniens sont aujourd’hui une entité “terroriste”, avec des exécutants, des dirigeants, des organisations armées, des
infrastructures qui se confondent pratiquement avec ceux de l’Autorité palestinienne. Les organisations terroristes: Fatah, Hamas, Djihad
islamique, Hezbollah, continuent de mener leur action terroriste, revendiquent les attentats, rejettent la “feuille de route” et proclament
sans désemparer leur objectif: la destruction de l’Etat juif.
Par quels moyens la direction palestinienne peut-elle les amener
à la raison et les éradiquer, comme la “feuille de route” l’y oblige?
Ces organisations se laisseront-elles éradiquer? L’hypothèse la plus
probable, c’est que la direction palestinienne se déclarera incapable
de remplir ses obligations à 100%, et qu’on se contentera d’un pourcentage minime de répression et d’éradication du terrorisme. Autrement dit, on assistera plus que probablement à une transition se déroulant sur toile de fond d’une poursuite des attentats-suicide. Israël
sera-t-il supposé, sommé, de remplir ses obligations quand l’autre
partie ne remplirait pas les siennes? On peut craindre que c’est exactement de cette manière que se déroulerait la transition, et que le
Quartet se contentera de cette mise en oeuvre boîteuse et unilatérale.
Sans faire ce procès d’intention aux puissances, on doit rappeler que
depuis les accords d’Oslo, et surtout après le commencement de “l’intifada El-Aksa” – ou “guerre des hommes-bombes” – on octobre 2000,
les Palestiniens n’ont jamais rempli leurs engagements, et que la communauté internationale n’en sommait pas moins Israël d’honorer, unilatéralement, les siennes.
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Mais peut-on imaginer qu’Israël, qui a payé un lourd tribut de
sang du fait de cette dérive, resterait l’arme au pied, observerait un
cessez-le-feu imaginaire que les Palestiniens n’observeraient pas, tandis que des terroristes continueraient à se faire sauter dans ses autobus, ses pizzerias, ses supermarchés?
L’enseignent palestinien du mépris
Comment imaginer, aussi, une “fin de l’incitation à la violence
contre Israël” quasi-instantanée?
Depuis les accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne a basé sa communication intérieure et internationale, son action politique et diplomatique, son enseignement public, sur une campagne permanente
d’incitation contre Israël. Les manuels scolaires palestiniens, qu’il
s’agisse d’histoire, de géographie, de langue, de culture et même
d’arithmétique, sont basés sur la vilipendation, la vilification des Israéliens et des Juifs, la caricature de leur religion, la réécriture de
l’histoire non seulement du conflit israélo-arabe, mais de l’histoire ancienne des Hébreux. Les liens du peuple juif avec la Palestine, avec
Jérusalem dont le roi David fit sa capitale il y a 3000 ans, l’existence
du Temple de Salomon et d’Hérode sur l’esplanade sacrée du Temple
(“...des mosquées...”) sont purement et simplement niés, comme est
niée la shoah, présentée à la manière des négationnistes néo-nazis.
Des parlementaires européens et français ont maintes fois alerté Strasbourg et Paris contre ces dérives et contre le financement, par des
fonds européens, de cet “enseignement du mépris”. La presse, la radio, la télévision palestiniennes se font l’écho des diatribes anti-israéliennes et antisémites. Les Protocoles des Sages de Sion, ce faux notoire concocté par des antisémites au temps des tzars, et condamné comme faux par de multiples décisions de justice depuis des décennies,
ainsi que Mein Kampf d’Adolf Hitler, sont des best-sellers à Gaza.
Croire qu’un tel corpus d’enseignements palestiniens disparaîtra
de l’histoire contemporaine du Moyen-Orient par un coup de baguette magique est de l’illusion ou de l’illusionisme. Il faudra probablement des années de patient “enseignement de l’estime” pour éradiquer
la haine qui a été instillée au coeur de générations de Palestiniens par
l’enseignement du mépris. Cette éradication sera plus dificile à réaliser que celle des groupes terroristes.
Les Palestiniens, gardiens d’Israël?
On peut donc énoncer les doutes les plus légitimes sur le réalisme
de la “feuille de route” et se demander si l’on n’est pas en présence
d’une réédition, dans un plus grand format, magnifiée par le prisme
formant et grossissant de la superpuissance américaine, des chimères,
des accords d’Oslo d’il y a dix ans.
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Pourquoi ces accords, qui devaient aussi conduire à la paix, ontils échoué, bien qu’ils eussent donné aux Palestiniens une première
étape de l’indépendance sous forme d’autonomie, et qu’Ehud Barak,
en juillet 2000, leur eût proposé 97% de la Judée-Samarie occupée,
plus 3% du territoire israélien pour compenser les pourcents manquants, le partage de Jérusalem et un Etat palestinien indépendant, à
des conditions moins draconiennes que celles du plan du Quartet?
Oslo a échoué parce qu’on avait cru que le conflit serait résolu
par le rapatriement de Tunis et de Beyrouth, où ils vivaient exilés,
des chefs de l’OLP terroriste, et par leur installation à Gaza et à Ramallah, où ils se transformeraient en parlementaires, fonctionnaires,
ministres et quasi-chefs d’Etat. Les tueurs de l’OLP ont été revêtus
d’uniformes fournis par l’Egypte, munis d’armes israéliennes, payés
en chekels israéliens. Et ces terroristes reconvertis en forces de sécurité étaient chargés de traquer ceux des leurs qui persévéraient dans
le péché terroriste, la dictature arafatienne étant censée se transformer en démocratie formelle.
Or, Oslo a échoué parce qu’il était utopique de croire que les
“militants”, les “manifestants”, les “activistes” de l’OLP (l’Occident
ne voulait pas appeler un chat un chat, c’est à dire les qualifier de
terroristes), dotés d’armes officielles, les retourneraient contre leurs
propres compagnons de combat, pour devenir une sorte de force supplétive à la solde d’Israël, veillant à la sécurité de l’Etat juif qu’ils
combattaient depuis des décennies. Comme l’avait constaté avec humour Uri Dan, un bon observateur israélien du conflit: «Yasser Arafat avait mieux à faire que devenir le chef de la police des frontières
israélienne, et Georges Habache et Nayef Hawatmeh ses généraux».
Rien ne permet de croire, pour les mêmes raisons, que le super-Oslo
du Quartet connaîtra un sort plus heureux. Tout permet de croire et
de craindre que la “feuille de route” connaîtra le même sort.
Mettre la charrue avant les boeufs
Pour la simple raison que sa publication, à la fin de la guerre
d’Irak, ne peut apparaître aux yeux des Palestiniens et de la plupart
des régimes arabes – des dictatures plus ou moins déguisées en démocraties – que comme la compensation de l’humiliation infligée à Bagdad au monde arabo-islamique, et comme une prime au terrorisme.
Les Etats-Unis ont annoncé – et Georges Bush l’a réitéré fortement lors de son discours de victoire – une guerre mondiale contre le
terrorisme, qu’ils sont d’ailleurs à peu près seuls à mener. Si cette annonce doit être prise au sérieux, appliquée au Moyen-Orient, et après
les campagnes d’Afghanistan et d’Irak, c’est la guerre contre les mouvements terroristes les mieux avérés de l’histoire contemporaine, le
Hamas, le Fatah, le Hezbollah, le Djiad islamique, qui devrait être la
clef de voûte d’une feuille de route conduisant à la paix israélo-pales-
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tinienne. (Peut-être une telle feuille à route n’aurait-elle pas reçu
l’adhésion des autres membres du Quartet). Mais faire de la création
immédiate d’un Etat palestinien d’ici fin 2003, fût-il à frontières provisoires, l’objectif principal, c’est mettre la charrue avant les boeufs,
récompenser avant l’effort. Un tel programme, une telle promesse,
une telle récompense ne peuvent être parçus à Ramallah et ailleurs
dans le monde arabe, que comme une solution du conflit israélo-arabe imposée à Israël, une conclusion politique autoritairement “made
in USA” de la guerre des hommes-bombes.
Cette perception palestinienne est parfaitement correcte et elle
correspond à la norme de toutes les issues politiques des précédents
affrontement israélo-arabes. Il en a été ainsi en 1956 (l’expédition
franco-anglo-israélienne de Suez, quand les Etats-Unis ont incité Israël une première fois à évaquer le Sinaï et les franco-britanniques à
abandonner le canal à Nasser). De même en 1967 (la guerre des Six
jours), de même encore en 1973 (la guerre de Kippour). Chaque fois,
la partie arabe vaincue s’est vue offrir par les Nations unies, sous la
pression de l’URSS et à l’instigation ou avec la participation des
Etats-Unis et de l’Europe (les composants du Quartet...) ce qu’elle
n’avait pas réussi à arracher à Israël sur le champ de bataille. Les généraux israéliens menaient la guerre “à la va-vite”, car ils devaient
engranger les fruits de la victoire en quelques jours, en quelques
heures, avant que les puissances n’interviennent pour imposer la fin
du pugilat, dès que la partie arabe vacillait.
La quatrième phase après la troisième
L’objectif de la guerre des hommes-bombes déclenchée par les
Palestiniens en octobre 2000 avait été un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, dans les frontières de 1967, l’évacuation
des “colonies”, une internationalisation du conflit. C’est exactement
ce que la “feuille de route” du Quartet promet. Comment imaginer
que les ennemis d’Israël ne verront pas dans cet endos de leurs revendications, un encouragement à persévérer dans leur effort pour
asseoir sur la réalisation de la troisième phase de la “feuille de route”, les phases ultérieures de leur programme?
Car l’intifada El-Aksa n’était pour les ennemis d’Israël, qu’une
étape d’un programme beaucoup plus ambitieux, qui n’a jamais été
abandonné, qui a été réitéré en permanence: le “plan par étapes” de
1964, la création d’un Etat palestinien sur la totalité de la Palestine
historique, “du fleuve à la mer”, du Jourdain à la Méditerranée. Ce
programme a été formulé d’innombrables fois. Par exemple: «L’OLP
est prête à accepter la création d’un Etat palestinien sur la rive occidentale du Jourdain et à Gaza, en tant qu’étape vers un Etat palestinien couvrant toute la Palestine» (Ibrahim Souss, Europe 1). «Au début, nous accepterons une partie seulement de la Palestine, mais nous
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n’accepterons jamais de nous en tenir là. Nous combattrons jusqu’à
ce que nous nous emparions de tout, jusqu’au dernier pouce»
(Georges Habache, APOYVMATINI, Athènes). «La marche victorieuse
se poursuivra jusqu’au moment où le drapeau de la Palestine sera
hissé sur Jérusalem et sur toute l’étendue de la Palestine depuis le
Jourdain jusqu’à la mer Méditerranée et depuis Ras-Nakura (sur la
frontière libanaise) jusqu’à Eilat» (Yasser Arafat, Radio-OLP). Etc.
Napoléon observait qu’une paix ne consiste pas à concilier les positions des deux adversaires, mais à harmoniser leurs arrière-pensées.
Celles des dirigeants palestiniens, telles qu’elles ont été manifestées à
ce jour, sont connues. La paix israélo-arabe, comme la démocratisation du Moyen-Orient, viendront d’une lente maturation, pas d’une
guerre ou d’une paix-éclair.
«L’homme est toujours trop pressé», enseigne le Coran (Sourate
XVII, 12).
Paris, 5 mai 2003
PAUL GINIEWSKI