L`ORL

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L`ORL
L'observation réfléchie de la langue au regard des nouveaux
programmes
le point de vue d'un pédagogue linguiste
Conférence de JACQUES DAVID, professeur à l’IUFM de Versailles.
Le 20 octobre 2004, Espace Ille et Donac, Tinténiac
Attention, ceci est une version provisoire du texte, avant mise au point définitive.
L’Observation Réfléchie de la Langue est une composante de l’enseignement du français au
cycle 3 de l’école primaire qui pose problème, fait discuter, qui est l’objet de débats parfois
contradictoires et surtout d’une traduction et d’une mise en œuvre difficiles, complexes.
Il faut dire également que la présentation qui en est faite dans les programmes de 2002 va
entraîner une reconfiguration des enseignements du français, surtout pour le cycle 3.
J’essaierai de répondre point par point à ce relatif désarroi qu’on peut constater.
J’ai prévu de traiter un certain nombre de points ; je vais essayer de faire un parcours à travers ces
différentes entrées :
1) Je situerai la part de l’ORL par rapport à ce que l’on appelle traditionnellement
l’enseignement de la langue, ou encore de manière plus réductrice, on va dire la grammaire.
2) Cela ne permettra d’introduire le second point : l’introduction des démarches. En fin de
compte, l’un des apports nouveaux est l’introduction de démarches particulières d’étude de la
langue française.
3) La question des progressions : la progression grammaticale est difficile à cerner car les
programmes ne donnent généralement aucune indication sur les progressions : on a seulement
des objectifs de fin de cycle. Qu’est-ce qui se passe entre le CE2 et le CM2 ? Cela reste dans
l’ombre : c’est pourtant une question essentielle.
4) Les supports d’apprentissages : qu’est-ce que c’est que des activités en langue et la question
des exercices de grammaire et de lexique, que j’aime bien traiter…
5) L’utilisation de la métalangue, c’est à dire la terminologie grammaticale. Qu’est-ce qu’on en
fait ? Comment on l’introduit ? Qu’en font les élèves ? Comment cela peut-il devenir opératoire
pour eux ?
6) Et, si j’en ai le temps, Comment l’ORL peut-elle s’articuler avec les activités langagières
orales et écrites ? Production et langage oral ; apprentissage continué de la lecture au cycle 3,
notamment les problèmes de compréhension de texte et tout ce qui relève de la production écrite.
L’ORL
L’expression apparaît avec les programmes 2002. On peut se demander si ce n’est pas une
nouvelle discipline, ou une nouvelle sous discipline du français ? Ou bien n’est-ce pas un ré
étiquetage d’un ensemble de connaissances qui existaient déjà mais dénommé autrement ?
Sous le titre ORL dans les programmes, il y a entre parenthèses « Orthographe, Grammaire,
Conjugaison, Vocabulaire ». On se dit, c’est la même chose… donc rien de nouveau sous le
soleil !
Il faut savoir que les programmes sont aussi écrits pour les parents. De ce fait, les auteurs des
programmes ont traduit : cela renvoie à ce qu’anciennement on appelait « Orthographe,
Grammaire, Conjugaison, Vocabulaire ». Mais, en fait, la focalisation n’est plus du tout la même :
en gros avec l’ « orthographe, grammaire, conjugaison, vocabulaire » on était plutôt sur des sous
domaines de connaissances concernant le fonctionnement de la langue, de ses différentes
composantes, même si ces composantes sont artificiellement découpées. En gros, c’était simple !
Avec l’ORL, on n’est plus sur une focalisation en direction des contenus, de ce corpus de
connaissances, mais plutôt sur la démarche : c’est la démarche qui est décrite, plus que le
catalogue des connaissances que les élèves doivent avoir acquis à la fin de l’école primaire. Donc,
on voit bien un changement de point de vue ; c’est plutôt la démarche qui est visée :
l’« Observation Réfléchie » plus que le corpus de connaissances à construire… Mais l’un
n’empêche pas l’autre.
Les démarches
Concernant la démarche, les 2 termes d’ « observation réfléchie » sont importants. Ce n’est pas
nouveau : dans les travaux auxquels j’ai participé, on a décrit cela sous la forme d’une démarche
inductive, ou expérimentale et c’est, toute proportion gardée, la même démarche que celle utilisée
dans les procédures de résolution de problèmes en mathématique. Cette démarche inductive est
décrite sans être nommée dans les programmes sous couvert d’ORL.
Qu’est-ce que cette démarche inductive ?
La démarche traditionnelle, classique, c’ est donner ou énoncer un certain nombre de règles que
les élèves doivent appliquer… Dès le 17ème siècle, dans les manuels de grammaire, on énonce
une règle et on demande aux élèves de la répéter, la mémoriser, copier puis dans une deuxième
phase, de l’appliquer, de la transférer (au mieux dans un travail de rédaction, autrement dans des
dictées ou des exercices plus ou moins progressifs). Le prototype de cette démarche plutôt
déductive, c’est le Bled.
Par contraste, la démarche inductive décrite sans être nommée dans les programmes 2002, prend
le problème bien en amont :
Phase d’étude : avant d’énoncer les règles, il va falloir amener les élèves à observer,
comparer, réfléchir, raisonner, bref, essayer de découvrir à travers ou à l’aide d’un «corpus
construit » ou d’un « corpus représentatif » les phénomènes linguistiques que l’on va traiter avec
eux.
C’est très différent car il ne s’agit pas de commencer par énoncer la règle. On va commencer à
étudier d’abord ; on va extraire, voir comment le problème lexical ou grammatical que l’on veut
pointer apparaît dans ce corpus construit.
2)
La 2e phase est une phase de conceptualisation, de synthèse : une fois les observations,
les remarques, les phénomènes linguistiques décrits, observés, il faut les formuler, les dire et les
construire dans un énoncé le plus proche possible des fameuses règles que l’on trouve dans la
plupart des manuels.
3)
Phase de mise en œuvre : les fonctionnements qui ont été décrits, conceptualisés, que les
élèves se sont appropriés, il va falloir qu’ils les utilisent, principalement (en ce qui concerne les
connaissances grammaticales) dans des activités de production orale et écrite. C’est dans ce
domaine de compétences langagières que se justifie le travail grammatical. Concernant les
apprentissages lexicaux, c’est un peu différent.
4)
La dernière phase est une phase d’ouverture et d’évaluation : on va pouvoir s’assurer que
les élèves sont capables de transférer ce qu‘ils ont compris, conceptualisé, utilisé, et ceci quelle
que soit la situation de production orale ou écrite. Ils se sont véritablement appropriés les règles,
les fonctionnements, les régularités que l’on a pu extraire de ce cheminement, de ce parcours en
en 4 temps.
La démarche inductive suppose au moins ces 3 ou 4 temps assez précis.
L’important dans cette démarche est de ne pas précipiter les choses dans la construction,
l’extraction, la compréhension, et l’appropriation des règles.
On l’a tous constaté, on peut toujours demander aux élèves de réciter les règles, on peut toujours
leur demander de faire une dizaine d’exercices d’application de cette règle. La plupart vont les
faire avec un taux de réussite assez satisfaisant (80 à 100 %), mais quand on sort de l’exercice,
quand on propose une tâche de production écrite (ou, plus délicate à conduire encore, de
production orale) les fonctionnements qu’on a cru qu’ils s’étaient appropriés, les règles qu’on a cru
qu’ils maîtrisaient, sont complètement mises de côté.
Que ce soit en production contrôlée (dictée) ou autonome (rédaction d’un texte complet), les
exercices faits ne donnent pas de bons résultats : les élèves ne transfèrent pas ! En général, c’est
assez aléatoire.
Ce que l’on a constaté, c’est que quand les élèves énoncent par eux même les règles, c‘est à dire
qu’ils sont capables de les construire à partir de leur propre cheminement, leur propre
raisonnement (raisonnement guidé par l’enseignant), l’appropriation est beaucoup plus évidente et
surtout le transfert est facilité en situation de production orale ou écrite.
Voilà en gros la démarche.
Les programmes décrivent beaucoup plus les démarches que les progressions ou les contenus.
C’est d’ailleurs assez bien formulé, à quelques exceptions près.
Jacques David lit le passage des programmes concernant la démarche pour identifier les verbes
dans les phrases (cf., page 196).
Ici, on a une intention, la démarche, mais pas véritablement les procédures. Peut-être que les
programmes ne sont pas faits pour cela… ou bien ils remplaceraient les manuels… Face à mes
élèves comment je fais ? Comment est-ce que je les amène, grâce à des critères convergents, à
identifier à coup sûr un verbe dans la phrase ?
Il y a peu d’études sur la manière dont s’y prennent les élèves de cycle 3 pour isoler les verbes,
identifier les COD, Compléments Circonstanciels… Quelles procédures utilisent-ils et quelle
maîtrise ont-ils des différents types de phrases par exemple… un certain nombre de
connaissances grammaticales qui sont plus ou moins affichées, listées dans les programmes et
les manuels ?
Il n’y a pas 36000 solutions. Les élèves, quand ils procèdent intuitivement pour découvrir un verbe
dans une phrase, essaient plutôt en utilisant les critères sémantiques puis des critères de
fréquence : ils ont l’intuition que c’est plutôt un verbe qu’autre chose.
Si on donne une phrase du type « Jean timbre ses enveloppes et les poste. », 80% des élèves
omettent 1 ou même 2 des verbes ! Tout simplement, « timbre » et « poste » ont plus l’allure d’un
nom que d’un verbe ; ils fonctionnent plus souvent comme un nom que comme un verbe. ; les
élèves sont contrariés dans leur procédure intuitive pour trouver les critères convergents.
Pour trouver les verbes à coup sûr, il faut aller plus loin, procéder en utilisant des critères plus
fiables. Il est difficile, surtout au CE2, d’utiliser des critères qui ne sont pas uniquement
sémantiques, mais d’utiliser plutôt des critères liés à des manipulations, des opérations sur des
unités de la phrase, pour à coup sûr identifier le verbe dans la phrase. On est sûr de trouver les
verbes si on change la personne. Il ne faut pas prendre n’importe quelle personne : avec un verbe
en « er », si je change « je » par « il », cela ne donne rien ! Si je leur apprends qu’il faut plutôt
utiliser un contraste entre « je » et « nous », alors le verbe apparaît dans la phrase. Certaines
manipulations sont plus éclairantes que d’autres. Et puis, ce qui est obligatoire, dans n’importe
quelle phrase en français, si je veux être sûr de faire apparaître le verbe, il faut varier les repères
de temps.
Quand les élèves sont dans la phase de découverte, de manipulation, de conceptualisation, ils
apprennent à la fois à repérer le verbe mais ils apprennent aussi les procédures qu’ils vont utiliser
et ensuite pouvoir transférer dans des situations autonomes de production d’écrits. Il ne s’agit pas
d’enseigner que le verbe c’est ça ou ça, mais quelles sont les procédures qui me permettent de
l’identifier à coup sûr. C’est essentiel.
Mais on a très peu d’études qui montrent comment les élèves ont acquis à la fois des
connaissances grammaticales stables, assurées, maîtrisées et les règles et procédures qui
permettent d’identifier les différentes catégories. Il n’y a qu’une étude menée en suisse,
partiellement, sur certains critères : on est surpris, car ce que les élèves retiennent en fin de cycle,
c’est l’écume de l’enseignement effectivement réalisé… parce que c’est un enseignement de
surface qui n’est pas construit par le repérage, le montage et l’appropriation des règles, des
fonctionnements, des structures. Ce n’est pas un apprentissage qui va amener les élèves à
changer de logique, à changer de niveau de représentation, passer d’une logique sémantique à
une logique grammaticale ou morphosyntaxique.
On se rend compte qu’en CP, ils savent ce qu’est le pluriel : ils mettent le S quand il y en a
plusieurs ; cela ne leur pose pas trop de problème (critères sémantique et référentiel : il y a l’idée
de pluralité alors du coup on met un S). Mais ils en mettent partout ! Dans mes travaux, j’utilise
beaucoup ce que les élèves disent de leurs productions graphiques. Il n’est pas rare, même au
CE2, d’entendre « j’ai mis un S à famille, parce qu’on est plusieurs. » ou bien « je mets un S à
échelle, car il y a plusieurs barreaux ».
On s’est demandé si un élève de CP peut utiliser ces critères. Nous sommes allés voir quels
critères les collégiens et lycéens utilisaient face au même problème. On leur donne des tests
d’accord de verbes, d’accord dans le groupe nominal, etc.… On travaille avec des élèves dont on
a vérifié les connaissances orthographiques. On leur pointe un nom auquel il manque un S ; ils
disent « Oh oui ! ». « Pourquoi ? ». Ils ajoutent « Parce qu’il y en a plusieurs ! ». Du CP jusqu’au
lycée, les élèves répondent « je mets un S parce qu’il y en a plusieurs ». Le critère sémantique est
toujours présent.
L’argument est donné mais ce n’est pas véritablement la procédure qu’ils ont utilisée ; ils utilisent
des critères qui font abstraction du sens pour repérer quel est l’élément dans le texte qui est le
déclencheur de l’accord. Au-delà de 16 ans, ils répondent en mobilisant les connaissances qu’on
leur a enseignées, mais pas vraiment en donnant des arguments liés aux procédures utilisées
effectivement. Il y a un décalage. Ils donnent des explications, justifient ce qu’ils font mais cela ne
correspond pas à ce qu’ils ont mis en œuvre, aux procédures qu’ils ont utilisées. La plupart de
ceux qui réussissent ont développé des procédures efficaces, parfois empiriquement, ou de façon
souterraine. Par exemple, pour la distinction er/é, l’opposition «vendre » ou « vendu », est la
procédure la plus efficace mais elle est très coûteuse pour les élèves, de manipulation complexe,
et mal perçue car pas grammaticale, pas noble : c’est une « règle de grand-mère »...
C’est un enseignement qui ne prend pas toujours en compte les procédures, les critères, les
manipulations que les élèves construisent ou ne construisent pas, qu’ils s’approprient ou pas et qui
sont de fait les plus efficaces pour une utilisation dans des situations principalement écrites.
Le programme d’ « ORL » essaie de promouvoir la démarche, d’amener les élèves à produire des
raisonnements efficaces et transférables, opératoires : c’est la démarche inductive.
Les progressions :
C’est effroyable… Vous êtes soumis à des allers et retours, des tensions, des discours
contradictoires (comme pour l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe).
Dès les programmes de 1985, l’idée était qu ’il faut, dans les progressions, faire dépendre l’étude
de la grammaire et du lexique des activités de production. C’est à dire qu’on fait de la grammaire
occasionnelle, du vocabulaire au coup par coup, factuellement dans la rencontre des textes, à
l’occasion de telle production écrite, plus rarement de telle production orale. C’est la grammaire
factuelle, sans progression. Les productions écrites des élèves servent de guide pour le traitement
de tel ou tel problème grammatical, orthographique ou lexical.
C’est difficile, car la logique de progression dans l’étude de la langue n’est pas véritablement
compatible avec la logique de progression des apprentissages en production écrite. Les problèmes
que les élèves rencontrent en production d’écrits ne sont pas exactement dans le même ordre de
présentation des problèmes grammaticaux à étudier. Du CE2 à la 3e, il y aura toujours des
problèmes de verbes ; on commence en CE2 le passé composé et imparfait parce que cela
apparaît dans leurs textes et, en 3e, dans les textes, les élèves ont toujours les mêmes
problèmes ! Ce n’est pas très compatible…
Il y a des problèmes de bas niveau (orthographiques ou de codage). Qu’est-ce qui justifie qu’on
étudie les compléments de verbe, les compléments essentiels du verbe, dans tel ou tel texte ? Estce qu’il y en a davantage dans un texte documentaire que dans un texte narratif ? Si vous voulez
travailler sur les différentes catégories de déterminants, quel texte allez-vous choisir plutôt qu’un
autre ?
Il n’y a pas forcément compatibilité entre les progressions en maîtrise de la lecture (et de la
production écrite) et les progressions grammaticales. La plupart des manuels nouveaux ou
anciens sont traversés par cette contradiction. Ils ont beaucoup de mal à proposer une articulation
judicieuse, cohérente. Parfois, on a des passerelles, mais on n’a pas véritablement réussi à
articuler de manière savante et justifiée les apprentissages de l’oral, de la lecture et de l’écrit et
l’étude des phénomènes de langue.
A mon avis, il y a incompatibilité des apprentissages des deux domaines. Pour ce qui concerne
l’étude de la langue, on a plutôt affaire à la construction de connaissances qu’il faut mettre en
œuvre dans des compétences, des habiletés à lire et à écrire. Ces apprentissages ne sont pas de
même nature.
Les programmes 2002 sont en rupture.
On redonne une certaine autonomie à l’étude de la langue ; les phénomènes de langue sont
étudiés pour eux-mêmes, ce qui peut laisser penser à un mouvement de balancier en retour.
C’était dans les intentions, mais je ne suis pas certain que cette rupture soit claire dans la
réception des programmes.
Que faire ? On a des objectifs de fin de cycle. Par quoi commence-t-on ? On cherche souvent
réponse dans les manuels pour trouver la progression que l’on pense la mieux adaptée. Du coup,
les manuels ont une responsabilité considérable !
Vous avez des options complètement différentes :
- du micro vers le macro : les problèmes des mots puis les problèmes de groupes, puis les
problèmes de phrases, puis les problèmes de textes…
- du macro vers le micro : on travaille à partir des textes, et on repère les unités des plus larges
aux plus fines…
- un mixte des deux : des textes qui servent à extraire des exemples : le texte est prétexte, il sert
d’illustration à la leçon. Il ne sert pas à grand chose. On a beaucoup de manuels comme cela…
Les programmes ont tranché ; ils proposent deux grandes entrées : le nom et le verbe. Avec cela,
débrouillez-vous ! Quelle progression autour du nom et du verbe ?
Là, je ne suis pas satisfait, ça ne fonctionne pas !
Il faut aborder les grands découpages, c’est à dire la phrase, les différents types de phrases, les
groupes syntaxiques et, à l’intérieur des groupes syntaxiques, les différentes unités : les noms, les
verbes, les adjectifs, les déterminants, etc.
Mais la démarche, la progression nécessitent que les élèves perçoivent comment les différentes
unités sont hiérarchisées. C’est à dire qu’on ne peut pas prendre cela par un bout et tirer le fil ; il
faut bien qu’ils perçoivent l’architecture générale.
Et puis, surtout, comment voulez-vous aborder la question des fonctions grammaticales si vous
faites une entrée par les différentes catégories ? Ce n’est pas le nom qui est sujet, ou qui est
complément d’objet : c’est bien le groupe. Or ça, ça a disparu. Je pense que c’est vraiment une
erreur, parce que les élèves ne peuvent pas percevoir l’architecture d’ensemble du fonctionnement
de la langue et ils ne vont pas pouvoir raisonner, produire des raisonnements en système, mettre
en relation les unités les unes avec les autres. Ce qui manque c’est, dans la partie grammaticale,
tout l’apport de la syntaxe. Comment cela fonctionne-t-il ? Comment les mots sont-ils en relation
les uns avec les autres ? Comment les groupes sont-ils en relation les uns avec les autres ?
Il y a un problème très important pour les élèves : comment arriver à distinguer les compléments
de verbe des compléments de phrase ? C’est vraiment quelque chose de difficile ! Ils en ont
besoin ; il y a des procédures assez précises, seulement, si on rentre par le verbe ou par le nom,
on ne peut pas s’en sortir ! Il faut bien passer préalablement par l’analyse de la structure de la
phrase (des phrases), l’analyse des groupes syntaxiques (groupe nominal et groupe verbal), et
voir que le complément de verbe est obligatoirement dans le groupe verbal et que le complément
de phrase (ou complément circonstanciel, peu importe la manière dont vous l’appelez), il est plutôt
rattaché au fonctionnement de la phrase ; il est mobile dans la phrase, il est indépendant du
groupe verbal.
Ces manipulations là, on ne peut pas les faire si les élèves n’ont pas une connaissance de
l’organisation du système. Donc, je dois vous dire que je suis un peu en panne, en désarroi, face à
des programmes qui ne permettent pas toujours et de façon assez précise de résoudre ce type de
problème. En général, je ne me fais pas trop d’illusion, les collègues du cycle 3 que je vois ne
tiennent pas trop compte des programmes et vont plutôt regarder ceux des manuels qui sont plutôt
structurants, qui présentent les choses de manière plutôt cohérente.
Je veux évoquer une deuxième question : que faire des unités en macro ? Que faire par exemple
du fonctionnement en texte ? Je pense que tous les problèmes grammaticaux ne sont pas
perceptibles (et d’ailleurs ne sont pas intéressants à étudier) dans le fonctionnement des textes.
A quoi cela sert-il, par exemple, d’étudier les déterminants ou le système des déterminants ou
même le fonctionnement des adjectifs dans un texte ? Cela ne se justifie pas : il n’y a pas un texte
particulier qui va être plus à même de mieux faire apparaître les relations syntaxiques autour des
adjectifs ou les différentes catégories de déterminants. A la limite, il vaut mieux ne pas avoir de
texte, même long, parce que même dans un texte d’une page ou deux, on n’aura pas tous les cas
de figure, on n’aura pas toutes les catégories de déterminants, on n’aura pas tous les cas
particuliers, toutes les fonctions possibles de l’adjectif.
D’où l’idée (qui est en relation avec le principe de la démarche) de partir d’un corpus construit qui
comprend éventuellement des textes ou des extraits de textes, qui présente effectivement la
notion, le problème, la règle à étudier… mais également, complémentairement, ce qu’on appelle
des suites de phrases, éventuellement complétées par des productions d’élèves, des extraits de
productions d’élèves ; c’est à dire qu’on prend, dans les textes écrits par les élèves, des phrases
ou des paragraphes qui sont intéressants parce qu’ils sont représentatifs ou qu’ils pointent
justement (ils sont défaillants ou non, j’y reviendrai) le problème qui est à traiter. Donc, on construit
ce qu’on appelle un corpus. Alors on a, inversement, un corpus construit pour l’étude de ces faits
de langue.
En gros, ce que je vous donne là, dans l’idée du corpus, c’est une combinaison, une association,
parfois plutôt des suites de phrases qui donnent tous les cas de figure du problème à traiter, à
étudier, ou bien un texte qui est particulièrement représentatif d’un fonctionnement.
Par exemple, sur les temps verbaux, il est évident que si vous vous voulez étudier les temps de la
narration (imparfait, passé simple dans un récit de fiction), vous avez intérêt à prendre un texte qui
montre comment cela fonctionne. Du coup, avoir un texte se justifie ici… Mais cela ne se justifie
pas d’avoir un texte pour toutes les notions grammaticales à étudier. Et puis, il faut travailler en
association avec des productions d’élèves que vous avez sélectionnées.
Evidemment, les productions d’élèves, c’est toujours un peu délicat parce que là, il y a les auteurs
qui sont en face de vous… Il faut gérer cela. Quand on a l’habitude de fonctionner, de travailler de
façon coopérative, cela ne pose pas de problème.
On peut prendre des extraits de textes d’élèves, des phrases, ou par exemple des groupes
syntaxiques ou des paragraphes, mais pas forcément des phrases ou des paragraphes fautifs. On
peut très bien prendre un texte ou une phrase d’élève qui ne pose pas de problème, qui est plutôt
réussi. D’ailleurs, on fait cela assez systématiquement dans nos travaux, cela déstabilise les
élèves ! On prend une phrase d’élève, on l’étudie et puis l’auteur de la phrase dit « Ah oui, je me
suis trompé » et je dis « Non, tu ne t’es pas trompé, elle est parfaite ta phrase » et là, il ne
comprend pas : on est en train d ‘étudier quelque chose sur lequel il a réussi ! Voilà une approche
qui les déstabilise beaucoup ! Il y en a même un qui m’a dit un jour « Mais, on n’a pas l’impression
de travailler quand on fait ça ». En fait, il n’y a pas de raison de travailler uniquement sur des
énoncés fautifs.
Mais la question du corpus d’étude est vraiment importante. Et je crois que les manuels n’ont pas
encore donné de réponse satisfaisante… les programmes non plus. Evidemment, la progression
grammaticale est entièrement dépendante du choix du corpus, de la construction de ces corpus
d’étude.
Les règles
Dans la démarche, j’évoquais ensuite les règles. Les règles, vous les avez dans la plupart des
manuels, sauf que ça ne correspond pas forcément aux formulations des élèves. C’est à dire que
lorsque les élèves vont comparer, manipuler, faire fonctionner, bref observer tel ou tel
fonctionnement, ils vont énoncer des règles (on va appeler cela des « protorègles ») mais qui
n’utilisent pas la terminologie officielle.
Je vous rassure, en gros, on peut décrire tous les phénomènes grammaticaux avec 4 mots : lettre,
mot, phrase, texte. Les élèves peuvent décrire tous les phénomènes en utilisant à bon escient ces
4 mots. On n’a pas besoin d’une terminologie très savante, très sophistiquée ; on peut même se
dire que ce n’est pas un préalable de dire « nom, verbe, complément d’objet » avant de faire
l’étude du nom, du verbe, du complément d’objet, etc. Je dirais plutôt même que c’est la
résultante, c’est la conséquence. C’est à dire «Ecoute, ce mot qu’on a identifié, on l’appelle
verbe ; cette fonction qu’on vient d’observer, on l’appelle complément d’objet » C’est à dire que
l’étiquetage n’est pas le préalable à l’étude des phénomènes de langue, c’est plutôt ce qui vient
renforcer, construire même. C’est ce qu’on appelle conceptualiser la règle, la notion. Il y assez peu
de grammaires qui proposent cela, en tous cas à l’école primaire.
Les exercices
Je ne sais pas quels sont vos choix, mais les animateurs pédagogiques des maisons d’édition me
disent toujours que, pour les enseignants, le critère de choix d’un manuel, c’est le grand nombre
d’exercices.
Je ne veux pas vous provoquer, mais l’exercice de grammaire, de conjugaison, d’orthographe, de
vocabulaire ne sert véritablement pas au moment où l’élève le fait. De manière un peu
provocatrice, l’exercice dans ce cas là, ne sert qu’à les occuper ! L’exercice de français a été
inventé pour cela : pour occuper les élèves… C’est simple. Vous êtes un certain nombre ici à avoir
un cours double ou triple, voire des classes uniques : vous êtes obligés d’utiliser les exercices pour
donner du travail à un groupe pendant que vous faites un enseignement aux autres : on ne peut
pas faire autrement, mais on voit bien que la fonction première de l’exercice, c’est d’occuper une
partie de la classe pendant qu’on fait les apprentissages avec l’autre partie.
Il ne faut pas trop se leurrer sur l’efficacité réelle des exercices. Même les exercices les mieux
conçus, les plus intelligents (il vaut mieux prendre ceux-là, évidemment), qui présentent des
problèmes intéressants à résoudre ne vont pas avoir une efficacité considérable. Les élèves
peuvent en faire vingt sur l’accord du verbe avec le sujet, ce n’est pas pour cela qu’ils vont à tous
les coups être sûr d’utiliser ce qu’ils ont appris quand ils vont être en situation d’écriture autonome.
Ne pas trop se leurrer...
En revanche, ce qui m’intéresse dans les exercices, c’est ce qui se passe en amont et en aval.
En amont, c’est comment les élèves vont se lancer dans une tache ; que ce soit un exercice ou
n’importe quelle autre activité grammaticale. Qu’est-ce qu’ils vont faire avant ? Comment se
lancent-ils là-dedans ?
Et puis surtout, en aval, le plus important, c’est le moment de la correction : c’est le moment où on
va mettre à plat, mettre en commun ce qu’untel a trouvé, ce que tel autre n’a pas trouvé… Et
évidemment, on va mettre à jour (c’est vraiment l’expression) les procédures qu’ils ont construites,
qu’ils se sont appropriées ou non.
Ceci fait d’ailleurs qu’on met à peu près tout le monde au même plan : celui qui a « tout bon » à
son exercice n’est pas forcément celui qui a utilisé les meilleures procédures ! Il a tout simplement
utilisé ce que j’évoquais tout à l’heure : des procédures intuitives ou sémantiques. Il se trouve que,
dans cet exercice, ça marchait bien… Mais si vous considérez par exemple qu’à l’exercice, vous
lui mettez « 10 » ou « 20 » parce que toutes les réponses, tous les mots de l’exercice à trous sont
bien remplis, vous n’avez aucun accès réellement aux procédures qu’il a effectivement utilisées.
C’est à dire qu’il peut avoir « tout bon » à l’exercice mais « tout faux » aux procédures ! Cela arrive
très souvent.
Inversement, vous avez des élèves qui cherchent des procédures parfois excessivement
complexes, qui raisonnent au-delà de ce qu’on leur demande (et ils ont faux), mais ils sont plutôt
dans une démarche de raisonnement intelligent ; c’est intéressant, mais ce n’est pas adapté
forcément à la réponse ou aux réponses que demande l’exercice. C’est pour cela qu’il faut toujours
relativiser la portée réelle des exercices.
Alors, en amont, on a observé ceci : beaucoup d’élèves, lorsqu’ils avaient des exercices à faire,
confondent deux choses. Ils confondent la tache et les procédures. Je vais reprendre le même
exemple : repérer les verbes dans la phrase. Vous avez des tas d’exercices du type « Souligne le
verbe en rouge (ou encadre…) dans les phrases ». Qu’est ce qui se passe ? Vous avez les élèves
qui partent sur la tache. Ils disent « C’est facile, je prends ma règle, mon stylo et je tire un trait ».
Pour eux, c’est cela l’exercice. Et vous en avez un certain nombre qui partent là dessus, les plus
jeunes évidemment, ceux qui ne sont pas encore de vieux routiers de l’exercice. C’est à dire qu’ils
n’ont même pas besoin de lire la consigne, ils savent déjà ce qu’il faut faire. Les élèves de CE2
sont encore comme ça : ils ne savent pas trop ce qu’il faut faire et ils partent sur la tâche… et ils
soulignent n’importe quoi (ou au hasard).
En fin de compte, on voit bien que derrière la tâche qui est impliquée par la consigne, ce qui est
important, ce n’est pas de souligner, ce n’est pas prendre son stylo rouge… C’est effectivement
utiliser des procédures efficaces. Le travail en amont va être de dire « Attends, avant de faire
l’exercice, qu’est-ce que tu vas faire ? ». Et on va mettre à plat ; on va expliciter tout ce qu’il va
falloir faire pour effectivement répondre aux exigences ou aux finalités de l’exercice.
Donc, il y a un travail en amont. Et puis évidemment, il y a le même travail en aval où on va
reprendre « Comment tu as procédé pour telle phrase ? Et pourquoi tu n’as pas souligné
« timbre » ici ?
Là, ce qui est intéressant, c’est que les élèves qui sont peu entraînés à expliciter les procédures,
au début, sont assez dérangés. D’ailleurs, ils ne disent pas grand chose. Ils ne comprennent pas
trop ce qu’on leur demande. Ce n’est qu’au bout de 2 ou 3 séances qu’ils ont compris ce qu’on leur
demandait de faire et qu’ils sont capables d’aller au-delà de la simple tâche pour effectivement
expliciter argumenter, justifier leurs réponses, et donc donner des procédures bonnes ou erronées,
partielles ou complètes, mais qui sont en tout cas possibles.
Puis, effectivement, c’est après à vous de les valider, retenir celles qui sont les plus efficaces ou
d’apporter celles qui n’ont pas été trouvées, qui ne sont pas utilisées. Cela, c’est très intéressant.
Enfin, il y a un phénomène qui se passe à ce moment là (qui est très intéressant à observer), c’est
qu’il y a transfert. C’est à dire que, quand ils font ensuite des exercices du même type ou d’autres,
les élèves vont être dans une situation où ils ne vont pas répondre ou effectuer l’exercice de
manière aléatoire. En gros, ils vont produire des raisonnements… tout simplement parce que si
vous leur dites « Ce qui m’importe ce n’est pas l’exercice que tu as fait, mais c’est l’explication que
tu vas nous donner ensuite », ils vont travailler dans la perspective de l’explication à fournir
ultérieurement et pas uniquement dans la bonne réponse à donner. C’est très intéressant parce
que, du coup, ils anticipent les raisonnements à produire. S’ils les anticipent, ils raisonnent, ils
réfléchissent au moment où ils le font.
On fait exactement la même chose en situation de production d’écrit : quand vous avez des élèves
qui vous demandent « Comment ça s’écrit é/er à la fin de ce verbe ? ». On procède de la même
manière : « D’après toi, comment ça peut s’écrire ? ». Et vous lui demandez d’amorcer les
procédures qu’il doit lui même mobiliser, construire ou reconstruire. De cette façon, quand il va
être de nouveau en situation de résoudre le même problème, ce n’est pas uniquement
aléatoirement (un coup je vais mettre -er, un coup -é, un coup -ai), mais il va effectivement
mobiliser les procédures qui sont nécessaires pour écrire.
C’est effectivement très efficace. On a mesuré cela très tôt, bien avant le CE2 ! Au CE1, et déjà au
CP, il y a des élèves qui sont très efficaces de ce point de vue. Il y a des élèves qui ne font
pratiquement pas d’erreur sur la procédure de dérivation : c’est l’immense problème des finales
des consonnes muettes des mots (adjectifs essentiellement)… le S de gros, le T de petit… On fait
sonner le T, le S par des mots de la même famille. Tout le monde utilise cela, sauf que cela
devient intéressant quant les élèves le font, non pas au coup par coup, mais lorsqu’ils ont un
raisonnement heuristique (qui sert à la découverte). Je vous donne un exemple :un élève de CE1
a écrit « gras » et on lui demande comment il a fait pour écrire. « gr, c’est G-R, et puis a, c’est
facile », « Et le S ? », « Parce que grosse ». Vous avez là typiquement un raisonnement
heuristique : il l’a vu, il l’a étudié, il a raisonné sur un cas particulier qui est « gros/grosse » et il est
capable de transférer à d’autres mots qui fonctionnent de la même manière ; il a construit un
raisonnement très efficace de dérivation. Cette procédure fonctionne à 90 % ; il ne reste que
quelques mots effroyables qui font les délices des dictées de Pivot… genre cauchemar… ou
pianot*. Des élèves de CP, CE1 écrivent cela… en gros, ils font une « bonne erreur », le
raisonnement est juste…
C’est plutôt cela qu’on essaie de développer dans cette démarche.
J’ai déjà évoqué la métalangue. Je pense qu’on ne peut pas se contenter de «nom, verbe,
déterminant, adjectif… ». Il faut à moment ou un autre que les élèves perçoivent les types de
phrases, les groupes syntaxiques (groupe nominal, groupe verbal, groupe complément de phrase
– que j’appellerais plutôt groupe adjoint) et les fonctions correspondantes. Autrement, les élèves
peuvent difficilement percevoir le système, la hiérarchisation du fonctionnement de la langue
française.
Sur les phrases, il n’y a rien de très nouveau, si ce n’est qu’il est intéressant de mettre phrases et
types de phrases en relation avec ce qu’on appelle la manière de communiquer, de s’exprimer,
d’entrer en relation, etc. C’est à dire que les types de phrase n’existent pas en tant que tel, mais ils
existent parce qu’on en a besoin dans la production orale. C’est l’une des rares entrées où on peut
travailler à partir des productions orales.
Je ne reviens pas sur la démarche ; on présente des phrases, des non phrases, des phrases qui
n’ont que le critère syntaxique, ou qui n’ont que le critère sémantique… Ce qui est important, c’est
que les élèves mettent en relation ces phrases avec les manières de communiquer à l’oral ou à
l’écrit.
Dans les évaluations nationales 6e, on aborde généralement ce qui concerne les outils de la
langue pour lire et pour écrire ; on a fait des constats révélateurs sur deux tests.
On atteint des taux de réussite qui dépassent les 8O % au niveau national pour ce qui concerne
l’identification des différents types et formes de phrases. Quand on leur demande de dire si c’est
une phrase affirmative, impérative, etc.… le taux de réussite est quasiment au maximum.
En revanche, quand on leur demande un peu plus loin d’en produire, le taux tombe entre 40 et 60
% ! Qu’est-ce qui se passe ? On est véritablement dans le nœud du problème : pour les données
concernant l’analyse décontextualisée, les élèves réussissent. C’est dans l’utilisation en situation
que cela ne fonctionne pas.
On peut dire comme certains responsables institutionnels ou politiques « Il y en a 40% qui ne
réussissent pas à produire des phrases affirmatives, négatives… c’est un vrai drame ! ». Mais, à la
limite, c’est aussi attendu.
On arrive très certainement à ce que les statisticiens appellent des paliers : on ne peut pas aller
au-delà. L’école primaire a fait tout ce qu’elle pouvait faire ; il faut bien concevoir qu’au-delà de ces
60% de réussite en production ou de ces 75% de réussite en situation d’identification des types de
phrase, on atteint un maximum. Je dirais qu’il faut en laisser un petit peu pour le collège… Les
élèves continuent à apprendre au collège, notamment dans le domaine de l’étude de la langue
plutôt dans la perspective de maîtriser le transfert, en production. L’une des grandes taches du
collège va être que les élèves sachent transférer tout ce qu’ils peuvent avoir acquis de manière un
peu décontextualisée.
Mes collègues qui travaillent en psychologie cognitive sont assez précis sur ces phénomènes là.
Ils ont assez bien décrit deux types d’apprentissage : l’apprentissage de la compréhension en
lecture et l’apprentissage de l’orthographe. Leur conclusion, c’est que (de manière un peu triviale)
un élève de 6e n’est pas fini… Il n’a pas achevé sa maturation cognitive et il a encore des marges
de développement important en ce qui concerne ses capacités d’attention et ses capacités de
mémoire. On voit bien que c’est très important pour lire (résoudre les problèmes de
compréhension) et pour écrire. Si on n’a pas une mémoire de travail suffisamment étendue, on a
du mal à produire un texte complet. En gros, c’est au tournant de la 14e année (passage en 4e)
que l’on a un saut qualitatif important. De fait, les observations empiriques montrent que les élèves
de 4e-3e ne sont pas les mêmes que ceux de 6e-5e. Il n’y a pas beaucoup de différence entre un
élève de CM2 et un élève de 6e. Quand ils arrivent en 4e, il y a souvent un saut considérable ; on
constate qu’ils deviennent beaucoup plus performants du point de vue orthographique. Toutes les
erreurs qu’ils faisaient auparavant (notamment celles qu’on appelle « erreurs d’attention ») sont
beaucoup moins nombreuses à partir de la 14e année. Il y a un décalage de quelques mois entre
les garçons et les filles. Ces phénomènes sont maintenant assez bien montrés.
Je dis toujours qu’il ne faut pas trop se formaliser ou trop attendre des élèves s’ils ne maîtrisent
pas tel savoir grammatical ou orthographique ou lexical. A la limite, c’est normal. On atteint des
paliers qui sont ceux du développement de l’enfant. D’ailleurs, cela ne sert à rien de pointer
toujours en négatif les 15% d’élèves qui ont des problèmes dans la compréhension des textes (il y
a quelques années, on était plutôt autour de 30%… donc on a progressé ! Cela personne ne le
dit). Pourtant les tests sont beaucoup plus précis, ils pointent les choses beaucoup plus finement.
L’école primaire a fait beaucoup pour améliorer les compétences en une dizaine d’années. On a le
recul nécessaire. On constate qu’on ne peut pas aller au-delà et que le reste, c’est nécessairement
plus tard…
Il faudra alors améliorer les compétences dans la construction d’une représentation globale d’un
texte (une analyse des textes), ce que les élèves ont beaucoup de mal à faire : faire un résumé du
texte est excessivement difficile. Ils ont également beaucoup de mal à utiliser leurs connaissances
en situation de production…
Il y a 3 ans, à l’Observatoire National de la Lecture, on a auditionné un certain nombre de
praticiens. Un collègue enseignant auprès de 6e et 5e dans un secteur difficile de banlieue était un
peu désespéré du niveau orthographique de ses élèves ; il disait « Ils font tellement de fautes
d’orthographe que je n’en fais plus ! ». Je lui ai répondu « Au contraire, il faut continuer ; il ne faut
pas baisser les bras, parce que tout ce que vous ferez maintenant, cela va se cristalliser, se
formaliser un peu plus tard… Vous ne travaillez pas immédiatement pour vous ; vous travaillez
pour ce qui va se passer d’ici un ou deux ans ». On pourrait dire la même chose en ce qui vous
concerne au cycle 3. Ne vous faites pas d’illusion, cela fera sens ultérieurement.
L’articulation des activités grammaticales et langagières
J’ai dit tout à l’heure que c’était difficile du point de vue des progressions. On peut difficilement
mettre en relation une progression grammaticale avec le travail de production écrite. Du coup, il ne
faudrait pas non plus revenir, en donnant un coup de balancier de l’autre côté, à une progression
du CE2 au CM2 sans se préoccuper des apprentissages langagiers (notamment en production
écrite). Il faut penser les deux. Avoir une progression grammaticale cohérente et faire produire les
élèves à l’oral comme à l’écrit, en assurant à chaque fois des passerelles.
A chaque fois que les élèves rencontrent des problèmes d’écriture, il faut leur rappeler qu’on l’a vu,
à tel moment ; « C’est normal que tu ne saches pas encore accorder le verbe, parce que c’est une
leçon qu’on verra plus tard. ». Pour l’instant, on ne l’analyse pas. C’est tout à fait légitime.
Il faudrait essayer de se défaire de l’idée qu’on a tous intériorisée de considérer que
l’apprentissage de l’écriture se fait par défaut. On considère dans l’apprentissage de l’écriture
qu’on part d’un texte normé, bien écrit, et que l’apprentissage va consister à remplir les trous ou
les manques de cette norme. Plus encore dans l’apprentissage orthographique, cela se fait par
défaut. On considère que l‘élève a des manques. On n’inverse jamais la conception de
l’apprentissage en se mettant dans une position d’apprentissage progressif. C’est normal qu’ils ne
sachent pas encore en CE2 faire tel ou tel accord… C’est normal qu’ils ne sachent pas conjuguer
tous les verbes… C’est normal qu’ils fassent encore des erreurs sur les finales en « é » des
verbes… Pointez ce qu’il est capable de faire, de maîtriser progressivement.
Je vais reprendre un exemple que j’ai pas mal étudié sur le plus gros problème de l’orthographe du
français… A savoir, les finales en « é » des verbes. Il n’y a pas de problème orthographique plus
monstrueux !
La confusion entretenue sur la finale en « é » des verbes vient de l’homophonie et de la grande
diversité des graphies : -ai, -é, -er, sans compter -ez, mais également toutes les graphies un peu
aberrantes, -es, -et, qui sont des graphies possibles… puisque la procédure est phonographique.
On du mal à voir comment les élèves peuvent s’en sortir. De fait, on peut dire actuellement qu’il y a
quand même une progression : ils repèrent rapidement ez parce qu’il est vraiment attaché à la
deuxième personne du pluriel. Ensuite, ils font assez facilement la distinction entre ai et é/er. Mais
cette opposition n’est pas phonologique, elle est vraiment grammaticale. Beaucoup plus tard, au
collège, ils repèrent l’opposition é/er, avec des manipulations beaucoup plus sophistiquées. Ce
n’est que très tardivement qu’ils repèrent et maîtrisent bien l’ensemble des oppositions
phonologiques et surtout les accords qui sont appliqués au seul participe passé.
Dans vos classes, vous avez des « ers », ou d’autres formes assez dérangeantes du point de vue
de la norme, ça ne les gêne pas… Il y a donc une progression dans une résolution progressive,
une distinction progressive de ces séries homophoniques.
On a fait une étude qui va du CE2 à la fin du collège : on constate qu’à la fin du collège, il n’y a
que 60% des élèves de 16 ans qui ne font pratiquement aucune erreur dans l’opposition « -er/-é »
et qui savent accorder le participe passé. Il y en a 40% qui ne maîtrisent pas cela, même lorsqu’on
pointe le problème (et donc qui ne savent pas se corriger).
Que peut-on dire ? Ils ne savent pas ? On leur a mal enseigné ? J’ai tendance à penser que c’est
le système qui est beaucoup trop compliqué ; c’est à dire que personne ne peut véritablement être
sûr à 100% de l’orthographe de ces participes passés. A tel point d’ailleurs que parallèlement,
avec J.P. Jaffré, on a mené une nouvelle étude, car on arrive à un second palier, c’est la fin de la
scolarité obligatoire ! On a inversé le problème : ce ne sont pas les compétences orthographiques
qui sont en jeu, c’est le système qui est trop compliqué… C’est l’orthographe du français qui
impose un surcoût d’attention, un surcoût orthographique que les élèves ne peuvent pas maîtriser.
Pour notre étude, on a fait la même chose avec des enseignants, et même avec nos collègues
universitaires (des adultes dont on a vérifié qu’ils savent tous orthographier) ! Qu’est-ce qu’on a
constaté ?
On a proposé une double tâche : on demande de choisir entre é/ er dans une série de verbes dans
des phrases où il y a différents problèmes ; par exemple, on met des éléments parasites ou des
pronoms compléments qui gênent, ou on fait des inversions… tout ce qui peut perturber l’accord.
Déjà, on obtient pas mal d’erreurs. Comme vos élèves ! Et puis, on ajoute une tâche secondaire
d’addition (un « distracteur » à l’accord) : on dicte des nombres qu’ils doivent additionner avant de
donner le résultat. Il y a une double tache : on atteint alors 40% d‘erreurs.
On a fait la même chose sur l’accord des verbes avec les noms (ex : Le chien de mes voisins
aboie/ent) : 40% d’erreur avec un distracteur…
Quand il y a une tâche ajoutée, un distracteur, ou (des phénomènes que vous connaissez tous) du
bruit, de la fatigue et surtout des situations d’écriture relâchée, non publique, non contrôlée
(courriel, etc.…), on a les mêmes erreurs que les élèves de CM1… Des é à la place des er… à
profusion !
Ce qui nous fait dire véritablement que pour une partie de ces apprentissages, ça échappe à une
vigilance continue.
Ceux qui ont écrit un mémoire à l’IUFM ont tous fait des fautes d’orthographe même après
plusieurs
relectures
par
d’autres
personnes.
Ce
sont
toujours
les
mêmes
problèmes : l’homophonie des verbes en é, plus l’accord du participe passé.
On voit bien que dans une écriture longue, avec des moments où on ne maintient pas la vigilance
orthographique, dans des situations d’écriture relâchée (courrier électronique), on produit ces
erreurs de la même manière que les élèves de CM1.
La différence, et elle est de taille, c’est que chacun des adultes orthographieurs est capable de
rectifier, si on lui montre l’erreur, il va pouvoir relire et la corriger. L’élève de CM1, pas forcément…
certains oui, d’autres non.
Cela veut dire qu’il faut travailler sur la construction des règles, des connaissances, des
procédures et puis sur le contrôle : exercer les élèves à maintenir une vigilance en situation de
production. Faute de quoi, cela ne sert à rien.
Vous appelez cela erreur d’inattention. Nous, on appelle cela les erreurs d’experts ou des erreurs
de gestion. On ne peut pas en même temps maintenir la vigilance à la mise en forme
orthographique et à la réalisation des accords distants, complexes (complément de nom, inversion
du sujet). On constate que c’est vraiment un problème de gestion, d’attention de contrôle ou
d’autocontrôle.
En conséquence, il faut exercer les élèves également à contrôler ; essentiellement dans un travail
de réécriture, de révision. C’est à dire apprendre aux élèves à revenir sur leur texte, à relire leurs
écrits en mobilisant les règles étudiées, les procédures qui ont été mises à jour dans les
démarches type ORL, voire en les remobilisant sur leur répertoire, cahier ou manuel, sur les
affiches, les règles et les amener à exercer ce contrôle avec des raisonnement opératoires,
appliqués, justes.
C’est une tâche supplémentaire qui nous incombe : exercer ce contrôle.
Je n’ai évoqué que des problèmes grammaticaux ou orthographiques. J’aurais pu évoquer tout ce
qui concerne le lexique, car on a mené des travaux sur le lexique, mais c’est une autre
conférence…
Je vais terminer par là où j’ai commencé, sur la logique des programmes. J’ai commencé en disant
« il y a l’ORL, nouvelle étiquette apparente, il y a orthographe, grammaire, vocabulaire,
conjugaison pour ne pas déstabiliser »… Mais en gros, il y a des choses qui ont disparu ou qui
sont reconfigurées ou redistribuées : l’orthographe n’apparaît plus en tant que telle, comme une
sous discipline de l’étude de la langue, la conjugaison a disparu en tant que telle.
Comment vous la rangez ? Dans quoi met-on ces 2 sous disciplines : conjugaison et
orthographe ? Est-ce qu’elles ont complètement disparu ou ont-elles été redistribuées dans les
autres domaines ?
Il ne reste plus que deux grands domaines : grammaire d’un côté et lexique de l’autre. C’est ce
qui est pointé dans les programmes : ORL dans le domaine grammatical et dans le domaine
lexical.
Pour l’orthographe, on retrouve un découpage classique assez juste : orthographe grammaticale et
orthographe lexicale. Mais ce ne sont pas du tout les mêmes règles.
En orthographe lexicale, par exemple, le problème des consonnes doubles (pp, rr) n’est pas du
même ordre que les accords en genre, en nombre, en personne. On voit que cette césure à
l’intérieur du domaine grammatical renvoyant d’un côté vers les apprentissages du lexique, de
l’autre côté vers les apprentissages de la grammaire se justifie ; ce n’est pas vraiment aberrant.
Pour la conjugaison, j’ai toujours dit que la conjugaison n’était rien d’autre que la grammaire des
verbes ! Cela rentre entièrement dans le domaine grammatical. Historiquement, pourquoi en a-t-on
fait un sous ensemble ? Tout simplement parce que c’est le plus gros problème de l’orthographe
du Français : c’est sur les verbes que se portent tous les problèmes les plus complexes, les plus
difficiles à maîtriser.
La grammaire des verbes, l’orthographe des verbes, la production des verbes, la morphologie, ce
qu’on appelle la morphosyntaxe des verbes est ce qu’il y a de plus compliqué l’oral comme à
l’écrit. Dans le développement du langage oral, c’est celle qui est maîtrisée le plus tardivement : à
3 ans, les élèves maîtrisent les règles morphosyntaxiques autour de nom, adjectif, déterminant…
Les erreurs morphologiques qui persistent parfois assez longtemps sont toujours sur des verbes
(du style « il a prendu », « il disa »). Pour l’acquisition du langage oral et pour ce qui concerne la
production écrite, les verbes posent le plus de problèmes.
C’est tellement compliqué qu’on l’a extrait du domaine grammatical pour en faire un domaine
d’étude particulier ! Mais il n’y a pas de raison, il a nécessairement toute sa place dans l’étude du
domaine grammatical ; il va occuper une place importante. Certes, ce qui concerne la grammaire
du verbe, c’est le plus complexe, ce qui supporte le plus de variations, le plus compliqué, le plus
long à maîtriser, le plus coûteux en temps, en intention, en mémoire, en énergie… mais il n’y a pas
de raison logiquement de l’extraire et d’en faire un domaine à part.
Il y a redistribution : plus que deux grands ensembles, grammaire et lexique ; pas forcément en
proportions égales, le lexique est toujours le parent pauvre… On fait assez peu de vocabulaire…
Les manuels sont assez représentatifs de la désaffection du vocabulaire.
C’est essentiellement la grammaire qui retient l’attention.
Questions de la salle
Une personne fait état de ses interrogations sur le temps nécessaire dans l’emploi du temps pour
mener à bien cette démarche. Il est gêné également par la perception des changements de
démarche par les parents. Il souhaite des précisions sur les outils pour l’enseignant.
Tout de suite sur les parents… Je ne les vois pas beaucoup. Je vois les élèves et les
enseignants. J’ai bien conscience qu’avec les parents ce n’est pas simple… surtout dans le
discours ambiant de certains responsables ministériels, de la presse qui caressent l’opinion
publique dans le sens du poil. On est obligé parfois de ramer à contre courant… Je n’aimerais pas
être à votre place en ce moment !
L’idée, c’est de les déstabiliser le moins possible : surtout ne pas leur dire qu’on inverse les choses
et qu’on va focaliser sur la démarche. On fait toujours de la grammaire, de la conjugaison… sauf
qu’on met plutôt l’accent sur les démarches d’apprentissage et que les contenus sont toujours là. Il
faut les rassurer sur les contenus. Les contenus n’ont jamais véritablement disparu, sauf si on ne
fait plus rien du tout. Dans les textes, ils n’ont pas disparu.
Mon souci, c’est plutôt vous… J’ai l’impression que certains enseignants sont déstabilisés. On
passe d’une option à une autre, d’une conception de l’étude de la langue à une autre, alors qu’il y
a quand même des continuités qu’il faut maintenir.
C’est du point de vue des démarches et des procédures et de leur transférabilité que cela évolue.
On peut faire quelques aménagements terminologiques : par exemple, je ne l’ai pas évoqué, mais
cela ne sert pas à grand chose de faire une distinction entre les articles et les adjectifs possessifs,
etc.… C’est vraiment brouiller les cartes. On a la grande classe des déterminants, et à l’intérieur
on a les déterminants possessifs, démonstratifs, etc.… On peut reclarifier ou remettre un peu de
cohérence dans la terminologie utilisée. On peut remettre un peut de cohérence dans certains
découpages ou certaines descriptions. Par exemple, dans notre « Grammaire junior », avec Jean
Louis Chiss (chez Le Robert Nathan), on a introduit des notions qui n’existaient pas et qui sont
importantes pour les élèves, sur les différentes catégories d’adjectifs. Cela ne déstabilise pas les
élèves, parce qu’eux, ils le font ! Cela gêne davantage les enseignants ; c’est plus un problème de
formation, d’information.
Souvent les étudiants que j’ai eus en formation ne disent quelques années après que ces
démarches fonctionnent, que les élèves ont retrouvé le plaisir de faire de la grammaire, qu’ils sont
assez performants en orthographe… Mais quand même que « Parfois, ils me posent des
questions auxquelles je ne sais pas répondre ! ». Ou bien ils n’ont pas toujours immédiatement la
réponse. Cela montre que la formation est insuffisante. Vous avez tous des connaissances dans le
domaine linguistique, mais pas forcément la connaissance du fonctionnement des élèves dans les
processus d’acquisition. D’ailleurs, on ne sait pas tout ; je vous ai donné le résultat de travaux qui
sont extrêmement récents. On est encore, au niveau de la recherche, à l’aube de décrire ces
processus.
La question maintenant de la place de l’ORL dans l’emploi du temps.
Il y a une petite ambiguïté ; les textes disent 1h30/2h hebdomadaires. On a une petite marge, mais
il y a une réduction considérable par rapport aux anciennes pratiques. Au cycle 3, grammaire,
orthographe, conjugaison, vocabulaire représentaient plus de la moitié du temps d’apprentissage
en français.
Le subterfuge dans les programmes, c’est qu’on fait de l’ORL de manière explicite à concurrence
de ces 2 heures hebdomadaires. Mais les connaissances grammaticales et lexicales sont
présentes, mobilisées, étudiées dans les activités de production orale, écrite et dans les activités
de lecture. Le temps global, à la limite, est peut-être même augmenté. Mais il est présenté,
redistribué différemment.
Le problème est toujours le même : comment articuler ce qu’on va faire sur les 2 heures d’ORL (où
on va travailler à étudier, analyser, extraire les fonctionnements, les formaliser) et comment on va
utiliser tout cela en situation d’écriture ?
C’est ce que j’ai essayé de vous montrer avec des démarches qui, sans être totalement
satisfaisantes, ont montré des effets précoces. Les effets ont pu être mis en évidence avant le
CE2. J’ai toujours été un défenseur de l’étude de la langue à partir du CE2 ; fichez-leur la paix en
CP et en CE1, ils n’ont pas la maturité, ils ne sont pas prêts à faire un travail métalinguistique. Je
révise un peu ma position, car je me suis rendu compte que les CE1, quand ils écrivent, ils
raisonnent ! C’est normal qu’ils le fassent et les programmes sont un peu ambigus là dessus. Estce que vos collègues de CE1 font de l’ORL ? S’ils en font, ils sont hors la loi. Ce n’est pas prévu
au cycle 2, mais ils en font forcément. Les textes disent pour la fin du cycle 2 que les élèves
doivent maîtriser les accords dans le groupe nominal. Mais ils ne disent pas si c’est à travers des
situations d’écriture, à l’occasion de productions écrites, ou si c’est à travers des leçons
d’orthographe ou de grammaire précises.
Vous avez pris de plein fouet ces programmes du cycle 3 et vous avez en plus l’obligation
d’aborder les dimensions grammaticale et lexicale, non seulement dans l’ex discipline « français »,
mais également dans la lecture et la production de tous les textes disciplinaires, en histoire,
géographie, sciences… C’est d’ailleurs pour cela que j’ai accepté de travailler pour la brochure
ministérielle « lire et écrire au cycle 3 », parce qu’il n’y a rien dans les programmes là-dessus, sauf
des intentions. Il faut vraiment s’attaquer à la compréhension des textes disciplinaires, pour
résoudre les problèmes que les élèves rencontrent spécifiquement dans ces textes. La moitié du
temps d’apprentissage en géographie, c’est un apprentissage du vocabulaire spécifique de la
discipline… On va utiliser les mêmes procédures d’acquisition du vocabulaire en français et dans
une séquence de géographie.
Nous avons essayé dans la brochure de donner des progressions du CE2 jusqu’au CM2, donner
des exemples de supports…
Beaucoup d’anciens enseignants du cycle 3 nous ont dit « mais tout cela on le fait déjà, de toute
façon on fait tout ! ». Celui qui se préoccupe de ses élèves est bien obligé de prendre en compte
ses élèves lorsqu’il est face à un manuel d’histoire ou à un texte documentaire. Les élèves qui ont
des problèmes à lire ces textes là sont les mêmes qui peinent par exemple à maîtriser le
fonctionnement du vocabulaire… « Le français dans toutes les disciplines, moi je fais ça depuis
que j’enseigne au cycle 3 ! ». Cela pose plus de problèmes pour les collègues de collège.
Enfin, la question des outils.
Les corpus… il n’y a pas grand chose. La solution que j’ai trouvée, c’est d’apprendre à mes
stagiaires à constituer des corpus représentatifs, dès les premiers cours. Ce n’est pas simple, cela
ne s’improvise pas. L’idéal serait d’avoir un ouvrage qui nous donne des corpus tout prêts. Ceci
dit, vous n’aurez jamais les corpus de vos élèves dans un manuel ! Donc il vous restera toujours
une part de travail pour compléter les corpus externes à la classe.
Il y a un manuel que je trouve très bien fait : c’est celui qu’a fait Roberte Tomassone, « Grammaire
Pour Lire et Ecrire » (chez Delagrave). Là, vous avez un corpus, une progression (qu’on peut
discuter car elle a une option de texte comme support au phénomène à étudier). Moi je pense que
certains problèmes linguistiques peuvent être appréhendés par les élèves dans des suites de
phrases sans qu’on ait nécessairement l’obligation de les insérer dans des textes.
Il y a les exercices ; j’en ai déjà parlé. Ma préférence va vers deux types d’exercices :
- des exercices où les élèves vont transférer les fonctionnements, les règles, les habiletés qu’ils
ont construites avec vous. Ils vont les mettre en œuvre ;
- des exercices qui sont soit une ouverture, soit une production langagière (créer, inventer).
Dans notre manuel, nous n’avons mis que 2 exercices, un pour chaque type. Normalement, cela
suffit.
Le manuel de R. Tomassone propose des exercices intelligents.
Quel que soit l’exercice, le manuel, travaillez en amont et en aval. En amont, sur l’explicitation des
consignes, en mobilisant les véritables opérations qu’il faudra faire et pas uniquement la tâche
technique. Certains élèves ne sont pas capables de répondre à une consigne en deux temps. Ils
font la première partie de la tâche mais pas la seconde. Généralement, la seconde est la
conséquence de la première. Le travail en amont est dans ce cas indispensable.
En aval, c’est la correction. Si c’est juste pour donner les réponses, cela ne sert pas à grand
chose. Les élèves qui ont utilisé les procédures sauront toujours les faire, et les autres
recommenceront les mêmes erreurs. Ils ne vont pas progresser. Vous ferez œuvre
d’apprentissage lorsque vous mettrez à jour les procédures en les mutualisant.
N’oubliez pas la phase de validation : c’est vous qui validez. Il ne s’agit pas de voter … ! Validez
trop tôt, ils n’apprennent pas. Ne validez pas du tout, ils restent dans un brouillard de
connaissances non structurées. Vous aidez à la construction des règles, vous validez et vous les
formalisez en système (par exemple, les mettre en relation les unes avec les autres). C’est un
travail considérable.
Pour préparer la classe, beaucoup d’enseignants vont piocher dans différents manuels. Beaucoup
de manuels proposent des règles qui ne sont pas fausses, mais qui ne sont pas opératoires : elles
ne serviront à rien aux élèves. L’enseignant, s’il a un doute, a tout intérêt à aller vers une
grammaire savante car un livre du maître ne donne pas tout (il y a même des erreurs et des
approximations).
Une personne souhaite aborder la relation entre l’entraînement par l’exercice et l’activité de
raisonnement sur la langue. Quelle est la place de l’ « orthographe d’usage » dans cette relation ?
Je n’ai pas vraiment abordé cela dans mon exposé.
Il y a des questions d’orthographe lexicale qui sont acquises par l’entraînement, par la
confrontation avec des formes régulières et récurrentes. Les élèves sont sensibles à des
configurations des lettres dans les mots.
Par exemple, les consonnes doubles : avant même d’avoir appris à écrire, ils ont repéré que ce
sont toujours les mêmes lettres qui sont doublées. Ils ont repéré que les doublements des lettres
se situent à certains endroits du mot, jamais en début, ni en fin. Que certaines lettres sont plus
doublées que d’autres (on a beaucoup moins de doublements de D que de T ou de R).
Il y a des apprentissages dans le domaine de l’orthographe lexicale qui sont de l’ordre de
l’implicite, en l’absence d’un enseignement explicite formalisé… en l’absence parfois de leçons
dans les manuels. C’est un phénomène qu’on étudie.
Sauf que, en général, ceux qui produisent des raisonnements, sont ceux qui renforcent leur
orthographe lexicale par l‘entraînement. De fait, il y a un certain nombre d’activités dans
l’orthographe lexicale où l’entraînement est nécessaire ; des travaux pas toujours très intéressants,
très légitimes ou très nobles, tels que la copie (la copie sert à construire les formes de mots, à
repérer les configurations de lettres dans les mots et à se les approprier indépendamment des
règles).
Il reste que ces apprentissages implicites, il n’y a que les bons élèves qui se les approprient (ceux
qui n’ont pas besoin de l’enseignant pour réfléchir par eux-mêmes). Chez les élèves de Segpa
avec lesquels je travaille, c’est complètement défaillant.
Il y a un autre type de connaissance, plutôt des connaissances de fonctionnement, qui ne
peuvent pas passer de cette manière là, qui nécessitent obligatoirement des raisonnements ; vous
pouvez leur faire copier 20 fois une phrase en respectant l’accord du verbe avec le sujet, ce n’est
pas comme cela qu’ils vont l’apprendre. Cela ne passe pas par de l’entraînement, de la répétition ;
cela passe par l’explicitation et la mise à jour des procédures qui permettent de régler les
problèmes d’accord.
Encore une fois, vous travaillez en ORL sans qu’il y ait forcément des résultats immédiats ;
notamment parce que les élèves ne sont pas encore capables en CM2 (et même encore en 6e, en
5e) d’exercer un contrôle suffisant dans leurs productions langagières, écrites notamment, de
manière à utiliser ce qu’ils connaissent pour être efficaces de manière régulière en situation de
production écrite. C’est une réalité ; on ne peut pas faire autrement.
Sur l’accord du verbe avec le sujet. On prend une série de phrases erronées (l’accord n’est pas
réalisé) et on prend ailleurs une série de phrases où l’accord est réalisé. On les étudie exactement
de la même manière. Mais on est en situation. Il faut apprendre aux élèves à réécrire. Comment
apprendre aux élèves à produire de l’écrit en tentant de régler progressivement et à différents
niveaux tous les problèmes d’écriture qu’ils se posent ? Mais c’est une autre conférence…
Je dis toujours, si vous prenez un texte d’élève de CE2 en début d’année, vous avez tous les
problèmes existant ! Vous pouvez y passer l’année, le cycle. Vous êtes bien obligés de distribuer,
répartir les problèmes pour les aborder pas à pas. C’est difficile.
Pour l’instant, il n’existe pas d’ouvrage qui puisse vous guider, vous indiquer par quel type de
problème je vais commencer au CE2 et finir en CM2… J’ai bien quelques idées là dessus, mais il
n’y a pas encore d’ouvrage qui réponde à cela. Pourtant, j’épluche tout ce qui est publié…
Sur les problèmes de compréhension en lecture, je n’ai trouvé qu’un ouvrage québécois, excellent.
Ils proposent une progression des problèmes linguistiques que rencontrent les élèves dans la
lecture/compréhension des textes.(BRIÈRE-CÔTÉ F., GODON C., LABELLE G. & MOISAN M.
(1994). Ly et Lison. L'exploration des stratégies de lecture. Saint-Jérôme (Québec) : Éditions du
Phare.
Vous êtes nécessairement des inventeurs d’activités, de séquences… avec les moyens du bord,
j’en ai bien conscience.