L`uniforme scolaire
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L`uniforme scolaire
Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel L’uniforme scolaire Équipe de rédaction : Christophe Desagher. Avec Johanna de Villers Coordination : Hira Laci. Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel Avenue du Onze novembre, 571040 Bruxelles 02/527.25.75 – 02/525.25.70 www.fapeo.be – [email protected] Avec le soutien de la Communauté française de Belgique Sommaire Introduction.............................................................................................................................. 4 Qu’est-ce qu’un uniforme scolaire ........................................................................................ 4 La distinction des classes sociales ......................................................................................... 5 Les adaptations ........................................................................................................................ 5 Les écarts au rôle attendu ....................................................................................................... 7 La coupure de l’école avec le reste du monde .................................................................... 7 Bibliographie ............................................................................................................................ 9 Pour en savoir plus …............................................................................................................. 9 Résumé La façon de s’habiller est un signe de notre humeur, de notre caractère, de notre identité. Elle varie dans le temps et suit l’évolution de l’être. Alors, comment les élèves se construisent-ils une personnalité tout en étant obligés de porter un uniforme ? Biens que les règles soient identiques pour tous, celles-ci ont-elles un même écho pour tous les élèves ? L’uniforme scolaire est une obligation de l’école imposée aux les élèves, mais ne serait-il pas aussi un symbole d’une toute puissance de l’établissement sur ces élèves ? Ces derniers, bien entendu, bien des moyens pour se réapproprier l’uniforme et peuvent dès lors marquer leur singularité. Mots-clefs Identité, marque, codes vestimentaires, mode, revenu, adaptations, marge, cosplay, modèle d’identification, virilité, écarts rôle, remise en question de l’autorité, voyage scolaire, tour d’ivoire, multi-culturalité. Introduction Pierre Desproges disait qu’on pouvait reconnaitre un con à son irrésistible envie de s’habiller comme les autres. A l’instar des exemples qu’il donne, avec l’uniforme scolaire, c’est non seulement une manière de s’habiller qui est imposée, mais aussi des manières d’être et de faire. Les tenants du port de l’uniforme scolaire avancent généralement l’argument que celui-ci permet de gommer les différences sociales qui peuvent exister entre les élèves d’un même établissement. De fait, en uniformisant l’apparence extérieure des enfants, il devient dès lors impossible de les différencier, de les catégoriser, voire de les hiérarchiser. Aussi, de manière à peine dissimulée, l’uniforme scolaire vient se positionner dans les écoles comme un contrepoids aux marques. Les modes se succédant de manière rapide, satisfaire aux exigences vestimentaires de son époque peut représenter une charge considérable au niveau financier. « Etre à la mode » n’est pas seulement un caprice d’enfant, mais peut représenter un vecteur d’intégration ou de non-exclusion d’un enfant dans son école. L’uniforme scolaire met fin à ce genre de pratique de compétition et permet aux élèves d’affirmer leur identité en ne s’axant que sur les éléments scolaires de l’école. Mais ces types d’arguments ne résistent pas longtemps à l’analyse et ne trouvent pas d’écho dans la réalité des écoles où les uniformes se portent. Qu’est-ce qu’un uniforme scolaire L’uniforme scolaire n’est pas seulement le complet aux couleurs de l’école. Du reste, cette tradition a quasi disparue de notre pays. Les écoles qui imposent le port de l’uniforme imposent le plus souvent à leurs élèves de s’habiller selon certains codes : des couleurs de vêtements bien précises, une préférence marquée pour les pantalons classiques ou des jupes, chaussures de ville plutôt que des baskets. Il ne faut pas nécessairement que tous ces codes soient imposés en même temps. Donc, l’uniforme scolaire n’est pas une façon type de s’habiller, mais plutôt une obligation de se vêtir de façon type. Par exemple, une école peut imposer le fait de porter tous les jours des chaussures de ville. L’uniforme scolaire peut être aussi une obligation qui ne porte que sur certaines heures de vie à l’école. Dans cette catégorie, on parle, par exemple, le bleu de travail ou encore la chemise de laboratoire du chimiste. La distinction des classes sociales Concernant l’argument économique, il est à noter qu’un uniforme scolaire coûte cher. Pour peu qu’une famille ait plusieurs enfants dans une école où le port de l’uniforme est obligatoire, l’investissement que représente ces achats peut devenir une lourde charge pour les parents. Il est aussi à remarquer que les familles les plus fragiles financièrement, n’achètent qu’un nombre réduit d’uniforme, à savoir un ou deux. Or, les familles plus aisées pourront en acheter plus, puisqu’elles disposent de revenus plus importants. Ce qui est ici du domaine du privé (le revenu de la famille) sera visible physiquement : un uniforme utilisé tout au long de l’année s’usera plus vite. Aussi, le soin qui pourra être apporté à l’uniforme vieillissant risque de décliner avec le temps, marquant un peu plus encore la distinction avec un uniforme scolaire neuf ou moins utilisé. Certaines écoles n’exigent pas l’uniforme, mais le port de chaussures de ville, et s’axent sur une même logique argumentative. Une critique identique peut bien sûr être émise. Mais notons aussi qu’une paire de chaussures de ville n’en est pas une autre – on en revient à la question des marques. De même, les écoles qui exigent le port de certaines couleurs de vêtement ne peuvent éviter la distinction due aux marques. Enfin, pour clore la critique de l’argument économique, sur une note ironique, on peut se demander la pertinence d’imposer un uniforme scolaire comme réaction à la prolifération des marques alors que des collations et rafraichissements (de marques bien connues) peuvent être en ventes. Les adaptations Entre la théorie et la réalité telle qu’elle peut être vécue à l’école, il y a une marge : l’uniforme doit permettre à l’élève d’axer sa personnalité au sein de l’école sur des éléments scolaires (bonnes notes, participation en classe, etc.), mais dans certains cas, il peut être aussi un élément d’originalité. L’uniforme peut être détourné, retravaillé, l’élève peut jouer avec les codes de manière à pouvoir se réapproprier le pouvoir de se construire une identité face aux autres élèves et en confrontation à l’école de manière générale. Comment peut-il réaliser une adaptation ? Par exemple, l’obligation vestimentaire qui est imposée par le fait de porter un uniforme scolaire ne porte généralement pas sur les sous-vêtements. Les chaussettes peuvent être multicolores sans que cela contrevienne au règlement. Or, cette originalité, qui reste très discrète, est une façon de contrevenir aux règles tacites du port de l’uniforme et donc une manière de contrevenir aux règles en affirmant son identité par des éléments vestimentaires. Pour revenir sur le thème des marques, les sous-vêtements ont aussi des marques et cela peut être un élément qui accentue les différences entre les classes sociales. Un autre exemple de jeu avec les codes vestimentaires imposés par le port d’un uniforme est le phénomène très développé au Japon du « cosplay12 ». Ce phénomène prend toute sa mesure dans l’imitation qu’un jeune peut faire de héros de manga 3. Ce phénomène a dépassé les limites de l’école et on peut retrouver des collégiens ou collégiennes en uniforme retravaillé dans les espaces publics. Il n’a plus grand-chose à voir avec la rigueur scolaire d’origine. Plus particulièrement, chez les adolescentes, celui-ci peut être raccourci ça et là de manière à mettre en avant les attributs féminins. Aussi, on comprend qu’au-delà de l’affirmation d’une adhésion à une mode, il s’agit aussi de se mettre en évidence, voire de rentrer en compétition avec ceux qui en font de même. Pensons aussi aux personnages connus pour porter des uniformes scolaires. Le plus médiatisé est sans doute Angus Young, guitariste du groupe AC/DC. Il a commencé à porter ce costume parce que sa sœur le trouvait mignon dans cet accoutrement. De concert en concert, il porte son uniforme quelque fois accompagné d’un cartable pour mimer un peu plus les écoliers tout en jouant du hard rock. Que ce soit grâce aux mangas ou à la musique, les adolescents trouvent différents modèles d’identification. A la différence de l’uniforme scolaire, les modèles proposés à la base, sont beaucoup plus malléables et peuvent donc être repris de façon plus personnelle par l’enfant. Cela peut donc avoir des effets au sein des écoles : les élèves peuvent tout en portant leur propre uniforme scolaire, pasticher les manières d’agir de leur modèle dans la cours de récréation ou au sein de la classe. « Ce qui est important ici, c’est la manière dont les élèves expriment par ces adaptations le décalage ressenti entre ce que l’institution veut faire d’eux et ce qu’ils aspirent à être, donc aussi entre les traces physiques que l’institution impose à leur corps et les marques valorisées de leur expérience juvénile au dehors4 » Pour illustrer cet extrait, à l’instar de son auteur, nous pouvons analyser ce que font certains élèves qui portent un bleu de travail. L’image négative véhiculée par les représentations du port de ce genre d’uniforme peut amener les élèves à mettre en avant certains attributs physiques. Pour paraitre plus viril, des élèves ouvrent le haut de leur bleu de travail pour mettre en évidence des poils dorsaux, peuvent relever les manches pour mettre en évidence un tatouage, une cicatrice, etc. La Libre, Libre Momento, N°32 magazine hebdomadaire de la Libre Belgique du 5 au 11 septembre 2009, p.15 2 Il s’agit de jouer (to play) avec le costume (cos) 3 Terme générique qui désigne les bandes dessinées japonaises. 4 Vienne P., Comprendre les violences à l’école – pratiques pédagogiques (2ème édition revue et actualisée), Bruxelles, De Boeck, octobre 2008 1 Les écarts au rôle attendu Comme on vient de le voir, l’élève peut contrevenir aux normes imposées en détournant les codes qui sont imposés par l’école. Mais, il n’y a pas qu’eux qui peuvent se mettre en opposition aux normes instituées. Effectivement, les professeurs qui sont pour les élèves les garants de la manière de fonctionner au sein de l’école peuvent être responsables d’une remise en question des normes prescrites par le port de l’uniforme scolaire. Ils sont, en effet, les personnes de l’institution scolaire qui sont le plus en contact avec les élèves et sont tenues de faire respecter le règlement. Pourtant, il se peut que ceuxci y contreviennent. Il ne s’agit pas, généralement, d’une attitude marquée ou soutenue dans le discours oral. Il s’agit plutôt de toutes ces petites attitudes qui laissent percevoir l’originalité des élèves. Le simple fait de ne pas réprimander en classe un élève sur la tenue correcte de son uniforme est un élément qui concoure à créer un écart entre le règlement et son application. Dans des situations particulières, les normes peuvent être mises à l’écart et donc les rôles que l’on attend de chacun aussi. Par exemple, lors d’un voyage scolaire, les règles de manières générales sont plus lâches. Pour ce qui est de l’uniforme, les règles peuvent s’estomper, voire disparaître. L’après voyage scolaire peut être une période difficile à gérer par les professeurs : les règles ayant été mises de côté, il peut sembler absurde pour les élèves qu’elles soient toutes appliquées avec la même rigueur. Certains professeurs se rendent compte de l’écart existant entre la stricte application du règlement et le fait de laisser un enfant ou un adolescent s’épanouir parmi ses pairs. La coupure de l’école avec le reste du monde Une raison de l’imposition du port de l’uniforme dans une école peut provenir de la volonté de créer une identité propre à l’école… Une identité construite de telle manière qu’elle puisse paraitre être une épiphanie, se suffisant à elle-même. A l’instar de ce qui se fait dans bon nombre d’écoles, une identité propre ces dernières peut immerger grâce, par exemple, aux fancy-fair, aux journées accueil, etc. Mais, les exemples donnés ont pour caractéristique de s’ouvrir au monde extérieur. L’uniforme scolaire symbolise, quant à lui, une affirmation identitaire de l’école pour l’école et à l’école. « C’est en abolissant les principes de différenciation sociale du monde extérieur qu’une institution totalitaire peut se donner progressivement une orientation conforme à sa propre conception de l’honneur5 » Goffman E., Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, traduit de l’anglais par LAINE L. et LAINE C., Paris, Les éditions de minuit, 1968, p.172 5 Notons d’emblée que l’expression d’ « institution totalitaire » se réfère à « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées6 ». En imposant un uniforme scolaire, l’école tend à se renfermer sur elle-même. Le fait de vouloir créer sa propre culture crée une distance entre l’école et le reste de la société. Pourtant, tous les acteurs, que ce soit les élèves, les professeurs ou le Directeur, une fois qu’ils quittent les murs de l’école, vivent en société et sont donc soumis à ces écarts. Cette posture de l’école comme « tour d’ivoire » est d’autant plus paradoxale que l’école est présentée depuis plusieurs décennies comme un lieu d’épanouissement et d’ouverture au monde7. S’ouvrir à l’autre, tenter de le connaitre dans toute sa diversité est une source d’enseignement à l’école. « Cette position repose sur l’idée que l’école doit être un lieu neutralisé, estompant le plus possible les différences. Tout ce qui fait de l’école un monde isolé, séparé, protégé me semble néfaste. Au lieu de leur imposer un uniforme, je voudrais qu’on leur apprenne, ainsi qu’aux enseignants, l’importance et la beauté du multiculturalisme, de la communication entre les cultures. On ne peut pas bâtir l’école sur le seul modèle de la classe moyenne, au nom de valeurs universelles, en méprisant ceux qui ne s’y conforment pas. Bien sûr, l’intrusion des marques commerciales doit être limitée. Mais ce n’est pas fondamental8 ». Goffman E., Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, traduit de l’anglais par LAINE L. et LAINE C., Paris, Les éditions de minuit, 1968, p.41 7 Vienne P., L’école face aux violences : du bricolage local aux « tentations de Saint-Antoine » d’un système scolaire en crise », Quatrième congrès des chercheurs en éducation, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Théâtre royal de Namur, Namur, le 22 mars 2006 8 Touraine A. dans http://archives.lesoir.be/degaine-c%26%238217-est-l%26%238217-equation-de-larentree_t-20090902-00PQA8.html?queryand=pixar+uniforme&firstHit=0&by=10&when=1&begYear=1989&begMonth=01&begDay=01&endYear=2009&endMonth=10&endDay=04&sort=date desc&rub=TOUT&pos=0&all=1&nav=1 6 Bibliographie La Libre, Libre Momento, N°32 magazine hebdomadaire de la Libre Belgique du 5 au 11 septembre 2009 Goffman E., Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, traduit de l’anglais par LAINE L. et LAINE C., Paris, Les éditions de minuit, 1968 Touraine A. dans http://archives.lesoir.be/degaine-c%26%238217-est-l%26%238217equation-de-la-rentree_t-2009090200PQA8.html?queryand=pixar+uniforme&firstHit=0&by=10&when=1&begYear=1989&begMonth=01&begDay=01&endYear=2009&endMonth=10&endD ay=04&sort=datedesc&rub=TOUT&pos=0&all=1&nav=1 Vienne P., Comprendre les violences à l’école – pratiques pédagogiques (2ème édition revue et actualisée), Bruxelles, De Boeck, octobre 2008 Vienne P., L’école face aux violences : du bricolage local aux « tentations de Saint-Antoine » d’un système scolaire en crise », Quatrième congrès des chercheurs en éducation, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Théâtre royal de Namur, Namur, le 22 mars 2006 Pour en savoir plus … De Erving Goffman : Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les éditions de minuit, 1968 De Philippe Vienne : Comprendre les violences à l’école. Pratiques pédagogiques (2ème édition revue et actualisée), Bruxelles, De Boeck, octobre 2008