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Nous vous proposons un plan très détaillé à partir duquel vous pouvez vous exercer à rédiger quelques parties du devoir. Introduction Amorce : au XXe siècle, le théâtre, comme le roman, cherche de nouvelles voies pour rendre compte de l’absurdité de la vie. Le texte : ainsi, dans « Il y avait foule au manoir », Tardieu compose une scène d’exposition insolite, qui, résolument moderne, bouscule les habitudes du spectateur, en mettant en scène, seul, un curieux détective chargé de faire débuter la pièce et de la « présenter ». Annonce du plan : mais cette scène d’exposition bouleverse les conventions théâtrales par son côté artificiel et produit des effets inattendus. I. Une scène d’exposition artificielle : les conventions théâtrales bouleversées 1. Une situation de communication doublement artificielle • Une situation de présentation apparemment traditionnelle… Présence courante conventionnelle du monologue dans l’exposition d’une pièce : personnage qui parle seul, et ici longtemps (peu concevable dans la vie réelle), mais admise dans le théâtre comme une convention. www.annabac.com © H A T I E R 2009 • … mais en fait une rupture des conventions – Ici, présence encore plus artificielle, parce qu’en rupture justement avec les conventions théâtrales qui veulent que la présentation se fasse de façon naturelle et un peu cachée : Dubois-Dupont s’adresse directement au public et sans souci de créer l’illusion théâtrale (apostrophe et désignation par « vous » ; questions : « vous avez entendu ? » ; « vous voyez »…). – Rupture de la convention qui veut qu’on laisse planer le mystère sur la suite de la pièce : Dubois-Dupont annonce la suite de l’action (« Il y aura un crime »), tout en prétendant retenir l’information (« Cela pourrait vous mettre sur la voie »/« Vous le saurez plus tard »). – Inversion de l’ordre habituel des choses : le détective est sur les lieux avant le crime… Et c’est lui-même qui signale l’étrangeté de la chose (« chose étrange »). • Une explication superflue – Explicitation, avec explication consciencieuse, de ce qui est en général une situation normale au théâtre : « Les raisons de ma présence ici… / Nous nous trouvons par un beau soir de printemps… ». – L’adresse au public directement interpellé rompt avec les conventions du théâtre : la frontière habituelle entre salle et scène est abolie. 2. La présentation des lieux et du temps : l’illusion rompue et les ficelles du théâtre dévoilées Tardieu ne cherche pas non plus, bien au contraire, à créer l’illusion de réalité ni par le décor, ni dans le temps, ni dans l’espace. • Décor et accessoires étranges, minimalistes et indirectement présentés – Étranges : « il tient à la main une branche d’arbre en fleur ». Pourquoi ? Apparemment parce que c’est le printemps (l. 13). Mais on ne comprend pas bien pourquoi, d’autant que ce n’est pas un accessoire qui permet de passer inaperçu ni qui convienne à un détective (décalage). – Indirectement présentés : les éléments du décor ne sont pas présentés par les didascalies habituelles de début de pièce, mais dans les répliques mêmes du personnage qui semble les découvrir avec le spectateur (« Que de pierreries ! Que de bougies !… »). • Un lieu « hors scène » : l’essentiel se passe ailleurs… – Paradoxalement, ce qui est essentiel – ce qui pourrait créer l’illusion – semble se passer hors scène (le bal, la « fête »), et ce qui est accessoire sur scène (en fait, il ne s’y passe rien…). – Le hors-scène se signale par un bruit démesuré (didascalie : « On entend soudain la valse […], rires, vivats, bruits de verres […] bouffée de bruits de bal. » Le spectateur ne peut qu’entendre ce qu’il devrait voir. – Les précisions (didascalies) laissent deviner ce qui se passe en coulisses, les « ficelles » de la scénographie (affairement des machinistes et ingénieurs www.annabac.com © H A T I E R 2009 du son). De même pour le manège en alternance des bruits/silences (« puis tout s’arrête brusquement… »), excessivement répétitif et mécanique. • Un moment symboliquement et élémentairement représenté Ce sont la brève précision temporelle et le geste (« montrant la branche ») qui : – d’une part explicitent (après coup) la présence de cette branche ; – d’autre part situent l’action dans le temps : le « beau soir de printemps » est allégoriquement/symboliquement et naïvement représenté par « la branche d’arbre en fleur ». → Décor minimaliste, accessoire dérisoire. II. Un personnage étrange 1. Une identité trompeuse • Ce qu’il est… – Dubois-Dupont entre en scène comme invité au bal donné par le baron de Z… et se présente comme détective. – Mais, en même temps, il met l’accent sur le mystère attaché à cette identité (ce qui est anormal : un détective cherche à se cacher…) : « Tous les autres ignorent mon identité » → ce qui crée une sorte de complicité entre lui et le public, contre les autres personnages. • Ce qu’il n’est pas… – En même temps, il met en doute cette identité qu’il vient d’affirmer longuement : « J’ai tellement d’identités différentes ! » → équivaut à aucune. – Son stratagème annoncé (« se mêler incognito à la foule ») indique que cette identité est trompeuse (« l’on me prend pour ce que je ne suis pas »). → Donc présentation mensongère et factice. • Mise en abyme et identité incertaine, hybride – Rôle de bateleur, de comédien dans la comédie → sorte de mise en abyme. – À mi-chemin entre la scène et la salle : l’illusion est totalement rompue ; ce n’est pas un personnage qui fait croire à un homme réel, mais un personnage de théâtre et qui se présente comme tel. – Personnage excentrique, à l’identité insaisissable : le spectateur, qui a perdu ses repères, n’y croit pas. 2. Un langage et un comportement absurdes • Des propos illogiques – Absence de logique du langage utilisé et des raisonnements pour se présenter. Ou, mieux, apparence de logique à travers des connecteurs logiques, mais qui soutiennent des propos absurdes. Exemples : l’explication donnée pour justifier le nom de Dubois-Dupont (fausse étymologie) : « Surnommé Dupont à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith » ; « Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que … mystérieuses… ». www.annabac.com © H A T I E R 2009 – Absence de logique soulignée par des phrases brèves, des interruptions inattendues (« Je n’en dis pas plus. Je me tais. Motus ») ; des digressions : « Z… Zède comme Zèbre, comme Zéphyr… » ; il les signale lui-même : « Mais, assez causé ! » → Sorte de pantin, moulin à paroles. – Le personnage lui-même semble signaler l’inutilité de toute la scène par un « Ni vu ni connu », comme si rien ne s’était passé. Or, il a été « vu » et il est « connu » (puisque présenté longuement par lui-même). • Un comportement étrange et fantaisiste Des accessoires, des gestes et un comportement fantaisistes : – gestuelle comique : « il sort par la droite, sur la pointe des pieds, un doigt sur les lèvres » (geste enfantin, alors qu’il est censé être détective) ; – des réactions sans raison (« Il rit bêtement »… de ses propres blagues), ou étranges (« Voici ma carte »). → Un pantin ou un M. Loyal de cirque, qui peut, par sa parole, commander à la musique (« Le bruit du bal s’arrête net quand je parle. Quand je me tais, il reprend ») → aspect mécanique. Transition : tous ces artifices sont en rupture avec les conventions théâtrales, mais ils sont ici démontés, dévoilés. Quels effets ces artifices produisent-ils sur le spectateur ? III. Effets produits sur le spectateur 1. Effet de surprise et de déstabilisation • Surprise créée par le caractère inhabituel de cette présentation D’un côté les fonctions et principes de la scène d’exposition respectés : présentation du lieu, du moment, du personnage, de l’action). D’un autre côté, les principes du théâtre sont détournés : les informations sont tronquées, ou fausses. Une étrange atmosphère de mensonge, qui soutient tous les propos du personnage. • La déstabilisation : quel genre ? quel personnage ? – Un véritable « policier » (un crime : intrigue policière) ou à une tragédie, donc à un personnage d’envergure (le détective traditionnel), une sorte de héros : or, c’est un clown, faux détective maladroit et peu discret → dérision des sujets « nobles » et de la tradition tragique. – La création d’un personnage : or, Dubois-Dupont a de multiples identités, changeantes. On ne sait plus à quoi s’en tenir… → Le spectateur voit ses codes habituels – les conventions – battus en brèche. Il est déstabilisé : ou bien il accepte de jouer ce jeu de démasquage comique ou bien il quitte le spectacle. 2. Effet comique : une scène de comédie Paradoxalement, dans ce contexte de crime, le monologue annonce une comédie où tout est jeu et décalage. www.annabac.com © H A T I E R 2009 • Le comique de la fantaisie et de l’absurde – Langage, mots et sonorités : les sonorités : « l’homme de confiance et de méfiance » ; élucubration de « Baron de Z… Zède comme Zèbre, comme Zéphyr » ; les tautologies : « sont mystérieuses autant que … mystérieuses » ; les redondances : « Je n’en dis pas plus. Je me tais. Motus ». – Jeu d’identité, comique visuel : Dubois-Dupont est habillé à la Sherlock Holmes → comique visuel du personnage, avec son attirail, sa branche et ses gestes appuyés, en contraste avec son rôle de détective. – Jeu de situation : le personnage semble commander à la musique. • Le comique de décalage – Entre le ton prétentieux, grandiloquent et l’absurdité, la niaiserie des propos. – Entre son rôle et la branche incongrue « à la main ». • Plus subtil : les clins d’œil au spectateur et la parodie Plaisir d’initié : reconnaître des « modèles » littéraires derrière la scène. – Le personnage : patchwork de plusieurs modèles : on reconnaît en lui un mélange de Sherlock Holmes, « célèbre policier anglais » (qui ne s’appelle pas… Smith !) par l’habillement ; des deux Dupont-Dupond (de Hergé) par son nom double et aux sonorités proches, par certaines de ses expressions (« Motus »/« chut » → « Motus et bouche cousue ! ») ; d’Hercule Poirot, le héros d’Agatha Christie : le personnage est dans un univers clos… – Parodie de la scène d’exposition : imitation, mais ridiculisée, de la scène d’exposition et, au-delà du théâtre et de ses codes. Les mécanismes et les conventions du théâtre démasqués, démontés. 3. Effet d’attente • Au plan de l’intrigue : que va-t-il se passer (le crime) : où ? quand ? qui ? comment ? quels mobiles ? • Au plan du personnage : quelle est la véritable identité de DuboisDupont ? quel est son stratagème ? • Au plan plus général de la pièce elle-même et du théâtre : que va devenir cette pièce ? le théâtre (est-ce la mort de l’illusion théâtrale ?) ? Conclusion Scène comique et moderne, qui trouve sa source dans des genres contemporains (roman policier, bande dessinée), mais dont le propos est littéraire, sérieux : joue avec les conventions du théâtre comme certaines scènes de tragédie (début d’Antigone d’Anouilh, avec son Prologue ; ou interventions du Jardinier dans Électre de Giraudoux). Un théâtre qui se pose des questions sur lui-même. www.annabac.com © H A T I E R 2009