Mon (petit) voyage

Transcription

Mon (petit) voyage
Mon (petit) voyage
Au bout de la nuit
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Frédéric Dhennin
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Préface
Le récit qui va suivre, décrit mon hospitalisation en hôpital psychiatrique public, puis dans
une clinique privée, suite à une tentative de suicide due à une dépression et une sévère
addiction à l’alcool. Ma dépression entrainant la consommation excessive d’alcool, l’alcool
m’enfonçant de plus en plus dans la dépression, le serpent qui se mord la queue, la spirale
infernale dans laquelle je m’étais plongé.
Durant cette hospitalisation, j’ai tenu un « journal de bord », qui me permettait de faire sortir
la pression journalière qui régnait dans tout mon être, et de faire un témoignage sur cet
univers si particulier qu’est une unité psychiatrique, puis une clinique de post-cure.
Le texte est séparé en deux, la première étant le texte « brut », celui écrit sur mon journal de
bord, suivi d’une réécriture que j’ai faite dix mois après les faits. Cette partie est
autobiographique, plus qu’un simple résumé réécrit de la journée écoulée.
Certains trouverons peut-être que le titre, « Mon (petit) voyage au bout de la nuit » bien
prétentieux, c’est sur, se comparer à Louis Ferdinand Céline, faut oser, mais c’est le seul titre
qui n’est venu à l’esprit, le seul sentiment final de cette expérience.
Bien entendu, les noms des personnages, les lieux sont modifiés, voir absents, car tout cela est
toujours en activité, certains malades étant toujours hospitalisés.
Dernière chose, je dédis cet essai à mon épouse, Gaëlle, qui m’a soutenu et continu de
m’aider, et à tout les soignants, les « petits » de l’organigramme hospitalier, les aides
soignantes, les infirmières, infirmiers, qui font un travail plus que dur, dans des conditions pas
facile et avec très peu d’effectif. Pour les médecins, ma critique sera plus sévère.
Lanvéoc, le 25/05/2012
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LE CARGO
Vendredi 09/09/2011, 21H
Je pensais avoir bien préparé mon coup, j’avais tout un stock de médocs, une bouteille de sky,
puis, j’étais parti avaler tout ca dans un endroit que j’affectionne beaucoup, face à la mer, face
aux embruns, en plus que, cette nuit là, ça soufflait pas mal. Donc, allons-y, je gobe, j’avale,
je bois, tout y passe….Puis viens le trou noir. L’ennui dans mon petit scénario de suicide,
c’est que je m’étais garé avec mon véhicule si voyant (un 4X4), en haut de la falaise, il fallut
que des cons de randonneurs matinaux passent par là et découvre le bonhomme en vrac dans
sa caisse. La suite logique s’en suis, pompiers, urgences, examens divers, et c’est comme ca
que j’ai atterri chez les cinglés à ….. (Nom du lieu volontairement absent).
Tu connais « Vol au dessus d’un nid de coucous », ben c’est comme ça en moins pire quand
même, pas de barreaux aux fenêtres, pas de gros costauds Blacks parés à te foutre sur la
gueule, pas d’infirmière chef pète-sec, mais sinon, pour le reste, c’est tout pareil. La journée
est rythmée par les repas, les prises des médocs, les visites des médecins, infirmières, divers
ateliers créatifs et de nombreuses errances sans fin dans les couloirs de l’établissement. Moi,
pour l’instant, je suis encore un peu vaseux, j’ai la démarche pas trop sure, alors je ne
déambule pas trop, pi ça me fais chier de voir toutes ces têtes de zombis.
Y’a tout les âges, des vieux séniles, dont un particulièrement retord, il n’arrête pas d’hurler à
longueur de journée, le premier jour, j’aurai bien été lui fracasser la tête à coup de batte de
base-ball pour qu’il ferme sa gueule, après tout, vu comme il est croumi, le plus simple serait
d’en finir tout de suite, une malheureuse injection un peu surdosée et hop ! Basta ! Ca
arrangerai tout le monde j’en suis sur.
Après, y’a les cinquantenaires tout mous, je ne sais pas se qu’ils ont, ils se trainent, tremblant,
mettent trois piges pour faire dix mètres, je pense qu’ils sont bourrés de médocs pour être
dans un état pareil. Y’a aussi les plus jeunes, des types de vingt, trente ans, et là tu sens que
ces gugusses, y sont vraiment dangereux, surtout un reubeu, agressif, une pure racaille, de la
graine de rien, j’imagine le sport avec les keufs et le personnel hospitalier pour l’emmener ici.
Bien sur, qui s’assemble se ressemble, y traine avec deux autres gaziers du même genre,
délinquants minables, surement avec des casiers remplis de délits pouraves, agressions, vols,
voix de faits, rebellions, cambriolages, deal, enfin, tu vois le profil….. Eux, je m’en méfie et
je les évite. Un truc aussi qui me fait penser au film, ces les deux gros types balaises sans
voix, des armoires à glace, comme dit la vanne : on dirait qu’ils ont mangé un meuble
tellement y sont carrés….. Pareil, y trainent leurs énormes carcasses dans les couloirs, un avec
un blouson de motard et un bas de survet, et l’autre en tenue de sport, depuis ce matin, y me
disent bonjour et me serre la pogne, ça s’arrête là.
Reste ma tranche d’âge, les quarantenaires, j’ai l’impression qu’on se ressemble tous, même
têtes fatiguées, même yeux vagues bourrés de médocs, silencieux, avec une infinie tristesse
aux fonds de nos orbites. Chacun nos histoires, ont se parle peu, de toute façon, j’en ai pas
trop envie de m’épancher sur mon sort, ni de connaître le leurs, enfin pour le moment.
Voila, j’ai fais à peu prés le tour des « pensionnaires », c’est très instructif comme expérience
vu de l’intérieur. Personnellement, je ne m’estime pas « fou », mais simplement dépressif
avec une addiction alcoolique, quelque part, ca va, ca se soigne tout ça, même si je dois dire
adieu à tout les bons vins que l’on peut boire avec joli-papa, ben tant pis, mais je ne peux plus
continuer comme ça, faut vraiment qu’on passe à la vitesse supérieure au niveau traitement et
passer sur du plus « lourd ». Ca fais aussi trois jours que je ne fume plus, bizarrement, ca me
manque pas trop, quoique là, j’en grillerai bien une, mais l’envie est maitrisable.
Ca me fait drôle d’écrire à la main, d’habitude, j’écris via mon PC, mais là, j’ai pas le choix,
c’est pas désagréable, Gaëlle m’a apporté ce cahier et j’ai fait le choix sur un beau stylo à bille
qui me convient bien. C’est vrai qu’un stylo à plume serais plus chic….Tiens, une idée de
cadeau ça…… un Mont-Blanc, avec une pointe large, j’adore…..
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J’en reviens à ici, tu sais quoi ? Je ne sais même pas dans quel hosto je suis, c’est dingue
non ? J’ai vu des tas de gens aujourd’hui, infirmiers, infirmières, psychiatres, médecins, je me
rappelle plus aucun de leurs noms, leurs têtes oui, mais leurs noms, mystère…..
J’ai du raconter dix fois la même histoire, normal, il faut qu’ils voient que tout cela est
cohérent, enfin, je le comprends comme ca, un peu comme un travail de flic en somme,
recouper les informations, vérifier que je pipote pas, y font leur boulot.
Maintenant, c’est la nuit, c’est devenu plus calme, les vieux sont bourrés de somnifères, les
autres je ne sais pas ce qu’ils font, remarque, j’m’en fous. Je ne sais pas encore combien de
temps je vais rester ici, ça m’angoisse un peu, après tout, je suis pas trop à ma place dans ce
bordel, j’ai envie d’être chez moi, de suivre sérieusement mon futur traitement, mais j’ai pas
envie d’être enfermé longtemps.
Que dire d’autre sur ma nouvelle demeure de « villégiature » ; les bâtiments sont relativement
propres, je suis dans une chambre individuelle, la bouffe est pas trop dégeu, y fait un peu
froid, il était temps que Gaëlle m’apporte des fringues chaudes. Sinon, comme d’hab, y’a pas
de mots assez forts pour décrire le boulot de tarés que font les infirmières, c’est vraiment une
vocation ce boulot, faut vraiment le vouloir, car c’est pas marrant du tout. J’ai beaucoup
d’estime envers elles. Je commence à réfléchir à l’idiotie de mon geste, peut-être que demain,
j’en parlerai.
REECRITURE
J’appréhendais un peu de rouvrir ce cahier, je m’étais dit, un jour, il va bien falloir que tu
mettes tout ca au propre, que tout le monde puisse lire mes pattes de mouches, mon écriture
parfois illisible. Et surtout, il fallait laisser faire le temps, que je digère tel un gros boa, cette
expérience marquante…. Il fallait laisser distiller les haines du moment, oublier les rancœurs,
voir tout ca avec beaucoup de recul, que je sois apaisé, que tout soit dégonflé.
J’ai donc commencé à écrire le journal de bord un vendredi, mais j’étais arrivé quelques jours
auparavant, transbahuté en ambulance sans aucune information sur ma destination finale,
Gaëlle me soutient le contraire, que je savais où je partais, mais j’en ai aucun souvenir. Mais
il faut que j’explique pourquoi, j’en étais arrivé là, reprendre depuis le début, que tu ne sois
pas trop paumé dans mes flashbacks qui vont être nombreux.
Bon, ça faisait des années que je buvais, depuis bien longtemps, j’ai commencé à boire
sérieusement à l’époque où nous habitions dans l’Oise, je me servais des apéros raisonnables,
et je cherchais n’importe quel prétexte pour inviter du monde, histoire de boire en société, ça
s’arrêtait là. J’arrivais encore à maitriser mes doses, à être gentiment saoul, à être plus
décontracté, volubile, me payer des bonnes tranches de rigolades. Mais déjà, au fond de ma
tête, le démon de la dépression avait fait son nid. J’étais resté quelques temps en arrêt maladie
pour dépression, je n’avais pas supporté une mise au placard au sein d’Air-France. Puis vint
notre déménagement en Bretagne. Nous qui avions toujours rêvés de venir vivre au bord de la
mer, c’était une nouvelle vie qui s’offrait à nous. La décision fut vite prise, en une soirée !
Allez hop ! Une chance pareille, on l’aura pas deux fois ! Et puis, notre vie dans l’Oise était
devenue infernale, nous étions confrontés aux problèmes de délinquances. En achetant notre
maison dans l’Oise, nous nous étions dit que là, au moins, à la campagne, nous serions
tranquille et que les enfants seraient plus protégés que dans le 93 par exemple. Que nenni !
C’était la zone….. Le rêve néo-rural s’achevait brutalement avec en prime des trajets
stressants pour faire les 60 km qui me séparait de mon lieu de travail. N’ayant plus de
perspective de carrières intéressantes à Air-France, c’était avec la plus grande joie que le
lendemain, j’appelais mon DRH pour lui demander quelles étaient les modalités de départ.
Tout fut réglé en un temps record, Gaëlle partie la première, avec les enfants, chez ses parents
pour nous héberger le temps de trouver une location, je restais un mois tout seul pour préparer
le déménagement, mettre la maison en vente. Gonflé à bloc par ce nouveau tournant de notre
vie, je m’imaginais trouver facilement du travail en Bretagne, surtout que mon CV, il n’était
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pas pourri. Tout allait comme sur des roulettes ! Le rêve de ma vie ! vivre en Bretagne, je
l’avais toujours rêvé, déjà gamin, j’y pensais, car mes grands-parents paternels vivaient en
Bretagne depuis que ma grand-mère était en retraite, et, pour chaque vacances scolaires, nous
étions chez eux, mon frère, ma cousine, mes cousins et moi. Que de merveilleux souvenirs !
Les plages, les dunes, des terrains de jeux à n’en plus finir, faire les cons dans les bunkers,
faire du vélo sur des routes désertes, rester à rien faire en écoutant le bruit des vagues, subir
les tempêtes en hiver au coin du feu, des attablés d’affamés bronzés rigolards en été, car oui !
Il y a beaucoup de soleil en Bretagne ! D’ailleurs, c’est bien connu, il ne pleut que sur les
cons ! Puis, plus grand, adolescent, pouvoir sortir le soir, trainer comme tout les jeunes sur le
quai, faire la tournée des bars, la fête. Mais je vais trop vite…faut revenir juste un peu en
arrière. Oui, donc, mes grands-parents avaient fait construire une maison en Bretagne pour
leur retraite, avant, nous étions en camping pour les vacances d’été, d’autres fois, je partais
avec eux dans une maison qui appartenait à mon arrière grand-mère dans les Cotes D’Armor,
mais tout cela, il faudrait que j’écrive un autre recueil….on s’éloigne du sujet.
Bon, on en était où ? Ah oui, notre nouvelle vie en Bretagne, ça commence très bien, La
mutation de Gaëlle s’est bien déroulée, mes beaux-parents nous louent une maison, je suis au
chômage mais je déchante vite…y’a pas de boulot ici, mais bon, dans un sens j’avoue que ça
me bile pas trop cette situation, je touche mes indemnités, je m’occupe des enfants, j’ai
beaucoup de temps à moi, c’est les grandes vacances en somme. Et puis, nous ne sommes pas
en terrain inconnu, nous avons tout un tissu social bien étoffé ici, des amis, la famille et mes
beaux-parents sont enchantés que leurs fille ainée soit revenue au pays.
Et c’est là que la pente commence, doucettement, presque plate au début, tu la sens pas, t’y
vas gaiement, t’avance en regardant pas le décor et les panneaux indicateurs de vitesse, y fait
beau, y fait moche, ont s’en fout, la vie continue, les mômes grandissent vite, tu t’es fait ton
trou dans la commune, ça jase un peu, tu parles, un mec qui bosse pas et qui reste à la maison,
c’est forcement une feignasse pur jus…mais tout ca, j’m’en foutait pas mal, je m’occupais
d’accompagner les enfants du groupe scolaire à la piscine, à la voile, aux diverses sorties, je
rendais service et ça me plaisais bien. Pi la pente, elle, cette vache la, tu la sens toujours pas
dans les jambes et la tête, ici, boire, c’est un sport, faut battre des records, on reste toujours
raisonnable au début, faut avoir l’entrainement, devenir un sportif de haut niveau, c’est à ce
moment, y’a des lendemains pénibles, la gueule de bois, Saint paracétamol priez pour nous
pauvres fêtards…..tout est prétexte à boire un coup, l’apéro à rallonge, les repas
gargantuesques, les bonnes bouteilles de vin, la goutte de derrière les fagots de tonton Bernard
pour finir en beauté sur la ligne d’arrivé. Le décor change pas, les panneaux non plus, mais la
pente se fait plus filante maintenant, tu t’en fous, t’es entrainé maintenant, tu tiens la marée
comme on dit ici.
C’est comme ca, petit à petit, j’ai suivi la pente sans faire gaffe qu’elle devenait sinueuse,
rapide, glissante et terriblement gluante à la fois, au fond de moi, je le sentais bien, mais je me
croyais plus fort, « j’arrête quand je veux ! », c’est ce qu’on ce dit pour avoir bonne
conscience. Mais c’est déjà trop tard, le démon à éclos de son œuf, il est comme un petit
dragon, dépliant ses petites ailes et ouvrant bien grand la gueule pour qu’on lui donne à
manger…..alors on lui donne à becqueter à ce pauvre petit dragon si mignon. J’ai franchi le
cap fatal sans m’en rendre compte, un jour j’ai commencé à boire tout seul, comme ça, sans
raison, parce que j’avais envie……c’est là que tout commence pour de vrai, c’est plus la
pente mon pote, mais là mec, t’es sur la piste noire, la terrible, un mur de glace comme ceux
qu’il y avaient dans mon verre de whisky coca, une bien raide, presque verticale, avec des
bosses que tu ne soupçonne pas encore. Un brouillard épais noie tout le décor maintenant et il
n’y a plus de panneaux indicateurs, et s’il y en avait, tu les verrais pas. T’es en free ride et tu
ne peux plus t’arrêter de glisser.
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Samedi 10/09/2011, 10H15
Je ne sais pas ce qu’il m’ont donné hier soir, le fait est que j’ai dormi comme un menhir, seul
problème, je fus réveillé vers les 6h45 par l’autre vieux frapadingue du bout du couloir, cris,
hurlements, coups dans les murs, z’ont vraiment le moral les soignants pour s’occuper d’un
gusse pareil. Ce matin, semblant de réunion entre soignants et « pensionnaires », j’ai fermé
ma gueule, pas envie de participer à leurs actions débilisantes. J’attends, peut-être lundi, si il y
a un atelier peinture, j’irais m’inscrire. J’ai dévoré les deux romans d’Amélie Nothomb que
Gaëlle m’avait apporté hier. Elle est vraiment douée cette Amélie, c’est court, cinglants, avec
toujours un scénar qui tient bien la route, j’aime vraiment cette auteure.
Tiens, je sais pas ce qui se passe, y’en a une qui gueule comme un singe hurleur dans le
couloir, j’vais voir….. Ah oui, c’est une jeune fille qui est arrivée cette nuit, je pense qu’ils ne
vont pas tarder à lui faire un gros shoot, ca vaut mieux pour elle et notre tranquillité, allez
bouges pas mignonne, c’est juste une petite piqure et hop ! Bonne nuit.
Ici, la violence est permanente, verbale, surtout entre « pensionnaires », ont devine bien les
dominés et les dominants, comme en prison je suppose. Tout est sujet à embrouilles, un bout
de pain, du beurre, une cuillère. J’suis vraiment pas à ma place ici, et comme je n’ai pas de
cigarettes, ça m’évite de trainer dehors avec tout le monde, c’est très bien ainsi. Ce qui est fou
(c’est le cas de le dire), c’est de savoir qu’il y en a des tas de foldingos comme je fréquente
actuellement, mais en liberté. Ici, ça va, on les shoots, des p’tits cachetons, une piquouze et
tout rentre dans l’ordre. Mais tu te rends compte de tout les cinglés qui se promènent libres
dans les rues de (Nom de la ville volontairement absent) et alentours ! C’est effrayant ! Je ne
m’étonne plus des atroces faits-divers qui couvrent les pages du « Télégramme » (journal
local Breton).
Franchement, qu’est-ce qu’il m’a pris de faire ça ? C’est complètement idiot au final, j’me
suis raté, j’ai fais du mal à tout le monde, bon, quelque part, que je me sois raté, c’est une
bonne chose, surtout que j’en ressors sans aucune séquelle ; foie qui va bien, intestins, rate,
pancréas, bref, tout au top. Une tension encore un peu faible mais il parait que c’est normal,
cerveau bien actif. En fait, j’avais pas pris la bonne option dans le suicide mode d’emploi, le
mélange médocs plus alcool, ça ne marche pas, il aurait fallut que je me balance du haut de la
falaise avec la caisse, ou la pendaison, mais j’avais pas le cran, ça me faisait peur, j’avais pris
l’option « tapette », mais allez, on va pas y revenir.
Résultat, une expérience que je ne renouvèlerai plus, prochains objectifs : Soigner cette
dépression et mon addiction. Retrouver du gout à vivre, lâcher prise au boulot, car en parlant
du boulot, je les mets dans la merde en étant pas là. Ne plus penser à mes échecs passés, faire
le deuil de certaines choses. Retrouver le temps de regarder le ciel et me dire « putain ! C’est
beau ! », Refaire du bateau, construire le studio de répétitions, ne plus penser à toutes ces
salopes d’Air-France qui m’ont pourri la vie. Arrêter de me prendre la tête avec les enfants,
élever les poules et les diverses volailles. Ca fait du boulot tout ça, mais c’est pas
insurmontable, de toute manière, j’ai plus le choix.
L’ennui, c’est comment je vais pouvoir me passer des produits toxiques auquel je suis accro,
alcool, tabac et de rare fois, un peu de shit. On verra ça avec les psys.
Putain, je sais pas ce qu’ils m’ont donné comme louzous (médicaments, cachets en Breton) ce
matin, mais ca me stone bien, je baille et presque envie de dormir.
Ce sera tout pour ce matin.
Samedi 10/09/12, 20H15
Sale journée en résumé, les cachetons qu’ils m’ont donné m’ont fait somnoler et dormir tout
le temps, et quand je me réveille, pâteux, j’ai des légères hallucinations, je vois Gaëlle ou les
enfants, souriants au chevet de mon lit.
La visite de Gaëlle m’a fait plaisir, mais elle doute beaucoup de mes capacités et mon envie
d’enfermer mes démons. Notre entrevue s’est mal finie, car comme d’habitude, elle remet sur
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le tapis le caractère provocateur et parfois pornographique des mes collages numériques. Ca a
le don extrême de m’énerver. Elle aura beau faire, dire, je continuerai, si j’ai le temps, dans ce
style là, mais pour l’instant, cela m’a tellement speedé que j’ai plus envie d’écrire. Je boude
en silence. Demain, dimanche 11/09, une grande date et personne ne me crois encore sur la
vaste fumisterie, l’arnaque parfaite des Twins Towers, du Pentagone et du piège descendu par
un missile en pleine cambrousse. J’en ai marre qu’on ne me croit pas sur ce sujet, c’est
tellement évident pourtant, que le coup était préparé de l’intérieur. J’en ai marre d’avoir
affaire à des crétins avec des œillères.
J’arrête pour ce soir, j’suis énervé.
REECRITURE
Voila, j’avais glissé tout seul. Au début, l’alcool me produisait les effets escomptés, cerveau
plus actif, j’étais plus joyeux, plus volubile, plus actif sur mes créations avec Photoshop, je
passais des nuits presque blanches devant mon écran, ma bouteille de scotch et sa petite sœur
de coca à porté de main, le casque sur les oreilles à écouter mes morceaux favoris, parfois en
boucle, pendant des heures, le même morceau. Ne me souciant pas de l’heure qui avançait et
du peu qui allait me rester à dormir. Tiens, parlons en de ça….des réveils gluants, les deux ou
trois heures de sommeil, la gueule bouffie, les yeux injectés de sang, l’haleine fétide, tout les
pores de ma peau transpirant mon whisky de la nuit. Malgré la douche et un petit déj, j’étais
comme un pruneau qu’on sort de son bocal d’alcool, tout flétri, moche, ratatiné, puant la tise.
Encore saoul de la nuit j’allais au boulot dans cet état….pitoyable, me trainant, fébrile sur mes
jambes, incapable de réfléchir correctement, bourré de paracétamol, buvant par bouteille
entière de l’eau pétillante pour me faire décoincer. Au début de ces excès, j’étais « agent
d’exploitation », rien que dans le titre, tout est dit : exploitation. Mais bon, j’avais pas trop à
me plaindre, je foutais rien de la journée, seulement cuver ma cuite de la veille. Ah, oui, je t’ai
pas dit ce que cela voulais dire « agent d’exploitation », j’étais gardien, je faisais du
gardiennage sur un chantier de la Marine, avec mon ou ma collègue, on contrôlait les badges,
on s’occupait de renouveler les habilitations des ouvriers bossant sur le chantier ; on
conduisait les pèlerins dans notre camionnette et nous étions devenu les champions du monde
au solitaire, démineur, mah-jong sur PC, imbattables au mots-fléchés. Le peu d’activité
physique m’avait fait gonfler comme une baudruche, j’approchais des 85 kilos pour mon petit
mètre soixante treize, je rentrais plus dans mes pantalons, j’étais essoufflé de partout. Lorsque
je retombe sur des photos de l’époque, on me voit boudiné dans mes chemises, mon bide qui
déborde par-dessus ma ceinture, mes joues gonflées comme un hamster qu’a trop fait de
réserve. J’m’en foutais, j’m’en rendais pas trop compte.
Je me rappelle plus très bien combien de temps j’ai fais du gardiennage, quelques mois, un
an ? Je sais plus, il faudrait que je retrouve mes feuilles de paies. J’ai arrêté ce taf pour
décrocher un CDI dans un des supermarchés locaux. Tu parles d’une aubaine ! Ici, trouver du
taf et en CDI direct, c’était inespéré. Me revoilà comme au début de ma carrière,
manutentionnaire dans la réserve. Alors la, c’était le changement total mon pote ! D’un poste
où j’étais rivé pendant huit heures sur ma chaise, je passais à la séance de bodybuilding
permanente, de la manut pure et dure ! De la bonne mon frère ! Celle du tout à la main ! Ah,
je les ai bien craché mes clopes, mes kilos en trop ! J’en rentrais le midi et le soir, épuisé,
vidé, hagard, loqueteux, plus bon à rien. Question alcool, c’était encore dans le raisonnable, je
picolais, certes, mais vu mon nouveau boulot, fallait pas trop que j’abuse, au prix de terrible
décuitage de choc, à grand coup de palette entière de boite de conserve à décharger à la mano,
la tête qui tourne, l’envie de dégueuler au bord des lèvres, les semi remorques qui n’arrêtaient
pas de venir coller leurs gros culs sur le quai, déchargeant sans cesse des profusions de
produits en tout genres. La corne d’abondance des temps modernes, par moment, j’en
devenais presque cinglé de ces tombereaux de victuailles arrivant sans arrêt. L’envers du
décor des temples de la consommation. J’en étais malade de voir tout ca.
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Dimanche 11/09/11, 11H50
Drôle de date ce 11/09 hein mec ! À cette heure là, heure française, elles étaient encore bien
debout les Twins. Je m’en rappelle comme si c’était hier de cette journée. On passe notre
mâtiné au boulot avec Richard, on va manger, pi après, comme deux grosses feignasses, nous
voila parti suer un peu à la salle de sport, et là, sur les écrans de TV, on voit ces fameuses
images, la première tour en feu, on se dit, quel con ce pilote, puis lorsque l’autre piège est
venu s’encastrer dans l’autre tour, j’me suis dit, la, c’est vraiment grave. Et tout arriva en
même temps, l’avion sur le Pentagone (enfin, je veux dire, le missile de croisière). Sur le
coup, j’ai pensé aux Palestiniens, un coup tordu pareil, ça pouvait venir que de chez les
Arabes, sauf qu’on avait tout faux sur la nationalité des illuminés de dieu….. Enfin, après on
connaît tous la suite, mais peu de gens ne veulent pas connaître LA vérité de ces attentats.
J’en parlerai plus tard.
Sinon, j’ai encore dormi comme une pierre, j’ai d’ailleurs dit aux soignants que j’estime que
la dose est trop forte, je mets une bonne heure à faire surface, ils vont revoir ça. Coup de
téléphone un peu froid ce matin avec Gaëlle suite à notre prise de bec d’hier, il est grand
temps que nous ayons une discussion avec le psy, Gaëlle et moi, ça peut plus durer comme ca.
J’ai l’impression que ça fait des mois que je suis ici, alors que j’y suis que depuis jeudi.
Bon, je vais aller aider les filles de service à préparer le repas. J’espère ne pas trop somnoler
cette après-midi. Tu parles Charles, avec les doses qu’il me file, dès le repas de midi fini, je
m’écroule comme une masse sur mon plumard, mon livre sur le nez, je dois dormir une heure,
une heure et demi, après je suis tout vaseux, j’ai horreur d’être dans cet état la, mou, ensuqué,
trainant les jambes. Ah, c’est sur, ça calme les plus énervés, mais ais-je besoin de doses aussi
fortes ? Demain, j’en parle au médecin.
Petit à petit, je commence à connaître tout le monde, les histoires sont distillées au compte
goutte. Pour résumer, on est tous là pour les même raisons : dépressions sévères, tentatives de
suicide, alcoolisme, par contre, y’a pas de gros toxicos aux cames raides genre héro, coke,
LSD, etc…Putain, la plupart de mes chers(es) « pensionnaires » du navire, sommes tous du
même coin, une belle brochette je vous le dit ! Y’a aussi F. L. ! Qu’est ce qu’on a pu rigoler
ensemble, à la grande époque ! L’ennui, c’est que F. malgré qu’il soit un peu plus jeune que
moi, il en fait vingt de plus, complètement destroy par les cames et l’alcool, y sait plus qui je
suis, enfin, c’est pas grave.
Gaëlle est venue, elle m’a apporté des livres, nos relation restent tendues, elle me reproche
plein de choses que je ne peux pas nier, mais sur certains sujets, je ne suis pas d’accord, mais
pas d’accord du tout ! J’espère qu’avec un peu d’aide, tout rentrera dans l’ordre. Demain, je
devrais normalement voir des médecins et au moins un psy, j’ai trop besoin de parler. Faut
vraiment que je parte d’ici au plus vite, cet univers de folie douce est très fatiguant. Je ne crois
pas que je tiendrais longtemps dans ce monde particulier, c’est pour ça que je mets par écrit le
résumé de la journée. J’ai eu envie de l’appeler « journal de bord d’un naufragé », mais ça
faisait trop pessimiste. J’ai repris l’écriture sur l’ange gardien au dos de ce cahier, puis
j’aimerai bien, si c’est possible, intégrer un des divers ateliers du centre, la poterie me branche
pas trop, je verrais demain s’il y a une activité peinture.
REECRITURE
Alors, on parle de quoi aujourd’hui, on continu sur ma lente et sure glissade dans l’alcoolodépression ou on parle des vrais faux attentats du 11/09 ? J’hésite….me tâte, j’en ai tellement
prit plein la tronche sur le 11/09, que j’ai pris le parti d’en parler un peu moins, d’éviter de
m’emporter sur le sujet, d’essayer de convaincre les gens que tout cela n’était qu’une vaste et
terrible fumisterie, le prétexte ultime pour allez faire la guerre. Heureusement, je ne suis pas
le seul à ne pas croire à la version officielle. Y’a pas que des paranos du complot
international, des adeptes de la thèse de la mainmise des Illuminatis, non, non, non, y’as des
gens très sérieux qui pensent comme moi, tiens, je prends le premier à qui je pense, Jean8
Pierre Petit, astrophysicien Français des plus sérieux, malheureusement, il n’est pas assez
médiatisé, presque interdit de parole partout, TV, radio, presse, car il n’a pas sa langue dans sa
poche pour dénoncer toutes les conneries du monde scientifique et du monde tout cours : le
gouffre financier, inutile et dangereux du projet Iter, le nucléaire, toutes les saloperies plus ou
moins connue et tordues du complexe militaro-industriel Américain, dont Eisenhower nous
avait mit en garde, mais trop tard, le monstre était déjà né et bien vivant. Reste pour JeanPierre Petit, Internet. J’apprends des tas de choses par son site, parfois, je suis totalement
dépassé, il explique des théories mathématiques, physiques, et comme je suis un véritable
cancre dans ces deux matières, je nage total. Mais ce qui fait la force de Jean-Pierre Petit,
c’est la facilité qu’il a pour vulgariser les choses les plus compliquées. Alors, tout le monde
comprend.
Je vous mets le lien Internet, bon, vous verrez, le look du site est un peu pourri, mais prenez le
temps de tout lire, ouvrez vos yeux et votre tête, arrêtez de croire aux mensonges des médias
de toute sorte ! Voici le lien : http://www.jp-petit.org
Bonne lecture !! Et devenez moins con !!!
Pas trop la forme aujourd’hui, j’ai un mal de dos terrible qui me cisaille tout le bas, au niveau
des lombaires. Je dois aller passer un scanner pour voir ce qu’il y a dedans. J’ai trop mal, pi si
je prends trop d’analgésiques, je suis dans le pâté complet, plus bon à rien.
Bon, encore une fois, je m’égare….. On en était où ? Le 11/09 ou je continu la réécriture de ce
dimanche ? Rien à faire, faut que je prenne des louzous, la douleur m’empêche d’écrire
quoique ce soit…..c’est la mouise.
Aujourd’hui, c’est la fête des mères, quand je pense que c’est une invention Pétainiste qui est
passée dans les mœurs, ca me fait doucement rigoler. Alors je suis bon pour le repas de
famille avec tout le monde. C’est dur les repas de famille maintenant….. Ne plus pouvoir
boire un coup, c’est hard, je suis encore, après dix mois, pas sevré du tout, et d’après mon psy
et mon toubib, je ne le serais jamais, j’ai trop déconné mine de rien. Fallait bien que je paie
l’ardoise un de ces quatre, ben voila, je carme, et au prix fort, pas de remise possible dans
mon cas. Dans ce genre de situation, je me shoot un petit peu avec des louzous que m’a
prescrit ma psy, ça me calme, me donne moins l’envie de boire, mais c’est dur de voir autour
de moi, les autres qui s’enfilent les divins liquides alcoolisés. C’est plus comme avant et ça ne
le sera plus jamais, faut que je me fasse une raison…… J’ai pas passé le cap, mais ça viendra,
j’en suis sur, en attendant, je déguste….c’est le cas de le dire.
J’ai pas pu reprendre l’écriture après le repas, j’avais trop mal au dos et les louzous m’avaient
bien secoué, j’ai fini la journée endormi.
Bon allez ! On y retourne ! J’ai toujours aussi mal au dos, mais il faut que j’avance, que
j’explique, que je flashback à tout va. Oui, donc, j’arrête pour aujourd’hui avec mon 11/09 et
on repart dans les couloirs de l’unité psychiatrique. Comme c’est une des seule pouvant
accueillir un bon nombre de « pensionnaires », elle recueille tout les éclopés de la déprime de
ma région, alors forcement, il y avait beaucoup de chance pour que je tombe sur des
connaissances. Ca n’a pas loupé. Tout un défilé de têtes connues, les surprises mutuelles :
« Ah ben merde ! Toi aussi t’es ici ! Ca fait un bail qu’on s’est pas vu !»
« Ben ouaih….quinze, vingt piges facile »
« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »
« Tentative de suicide et puis je picole trop…… »
« Ah……un peu comme moi…. moi, c’est surtout la tise, j’en suis à mon troisième séjour ici,
j’arrive pas à décrocher, à peine dehors, je replonge direct….pi j’fais des conneries….. »
« Du genre ? »
« Bouarf, je fous le bordel chez ma vieille, j’lui casse tout, j’suis mauvais quand j’ai picolé,
mais c’est de sa faute aussi ! Toujours à me chercher les poux dans la tête !! Elle me gonfle à
la fin ! Pi dehors, je traine, j’me frotte souvent avec des gaziers…tiens d’ailleurs, t’as vu ma
tronche là, au dessus, dix points qu’ils m’ont fait, l’autre enculé m’a cassé une bouteille sur la
cafetière, quatre ils étaient, ces tantes, pour me tabasser, mais t’inquiètes, avant qu’ils me
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fracassent, y’en a un que j’lui ai bien ruiné sa face à coups de cutter ! zim ! zoum ! Le signe
de Zorro ! (il me mime les gestes) »
« T’habite toujours chez tes parents alors ? »
« Ben, j’y suis retourné, bien obligé…..j’suis divorcé….j’ai deux fils aussi, un de 17 ans et
l’autre de 12, mais ils veulent plus me voir, ni leur mère, j’ai trop déconné, je leur tapais
dessus, alors ca a fini chez les keufs, pi au tribunal, comme j’étais en récidive, j’ai pris du
ferme, j’en sors… »
« T’étais pas comme ça quand on étaient jeunes ? »
« Arf, si …un peu, mais avec la tise, ça c’est pas arrangé…… Mon ex et les mômes ont
déménagés je ne sais pas où, et j’suis tricard, plus le droit de rentrer en contact avec eux si je
savais où y crèchent maintenant. »
« Ah….c’est moche… »
« Mouaih…c’est moche…. » Il tire une grande bouffé de fumée de sa clope et crache un long
jet de salive au loin, un crachat bien sonore. Il revient sur sa dernière blessure :
« T’as vu, Fredo, m’a pas loupé cette salope ! » il me montre le haut de son crane rasé, où
dépasse encore les fils, les croutes noirâtres de sang séchés, de teinture d’iode. C’est vrai, il
l’on pas loupé, ca s’étire sur au moins dix centimètres la blessure, ça devait bien pisser le sang
une ouverture pareille.
« Apres, comme j’étais par terre, y m’on ruiné à grands coups de latte ces batards, là tu vois
pas mais j’ai deux cotes fêlées aussi…..bande d’enculés ! » (re crachat au loin….)
« Y t’ont pas mit un bandage sur les points à l’hosto ? Parce que là, c’est tout à vif quand
même, tu vas pécho des trucs sales, tu devrais faire gaffe…. »
« Bien sur que j’avais un gros pansement, j’ai tout enlevé ce matin en allant pisser, on aurait
dit une momie, j’pouvais pas me balader comme ca…. »
« T’étais tout seul pour la bagarre ou avec des potes ?
« Seul tout que j’étais, c’est pour ca qui mon ruiné facile ces pédés….. J’suis resté sur le
carreau, c’est des gens qu’on appelé les pompiers et les keufs, mais moi, j’voulais pas y aller à
l’hosto, je savais bien que les keufs y allaient me cueillir vu mon pédigrée, jamais y
m’auraient cru que j’avais rien fait au départ » (re crachat en écrasant sa clope).
« Ben ouaih…..mais t’en a quand même tailladé un non ?……Pourquoi tu t’es embrouillé
avec les gusses ? »
« Y avaient insulté ma mère, elle a beau me casser les couilles, on n’insulte pas ma mère !! »
Je fais le mec qui acquiesce. Je pense que c’est devenu un gros con alcoolique, mais, ça,
j’peux pas lui dire franchement.
« T’es là depuis quand ? »
« Jeudi …. »
« Moi, j’suis arrivé cette nuit avec les keufs…….J’te dis pas le bordel que j’ai foutu, à trois, y
z’ont eu du mal à me faire grimper dans le fourgon, y m’on gazé en pleine poire ces fils de
pute ! »
« T’es pas resté à l’hosto ni en gardav ? (Garde à vue)»
« Ben nan, une fois recousu, et ki z’avait vu mes cotes fêlées, y parait que j’ai foutu un souk
monstre, z’ont du m’attacher, moi je voulais rentrer chez moi, mais je gueulais tellement qui
z’ont rappelé les keufs pour m’emmener ici….pi vu mon dossier et le coup de cutter……sur
que je replonge au ballon dès que je sors d’ici ».
« Ben ouaih…. »Je hoche la tête…..
« Ah ouaih, mais t’inquiètes mec ! Même gazé, de tout les noms je les ai traités les pingouins,
j’ai même pris un coup de tonfa par cette pute de keufette pour que je ferme ma
gueule…..arrivé ici, j’me suis un peu calmé, m’ont fait un shoot et bonne nuit ! » Il se marre
de toute sa bouche édentée et nous rebalance un long jet de salive au loin.
« Tu me disais que t’étais revenu chez tes vieux ? »
« Mouaih, après mon divorce, j’me suis mit à picoler encore plus grave, j’ai perdu mon taf à
cause de ca, j’suis conducteur d’engin de terrassement, mon patron, un type sympa, il a bien
essayer de me faire comprendre qu’il fallait que j’arrête, mais j’arrivais pas décrocher. J’me
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suis même mit à l’héro à cette époque, en plus du shit et d’la picole. Mon boss, ma femme et
mes vieux, mon dab, il était pas encore cané à l’époque, m’ont fait faire ma première cure de
desintox. J’ai pas tenu deux semaines une fois dehors. J’arrivais encore plus défoncé sur les
chantiers, quand j’y arrivais……tu parles, le taulier, y pouvait plus me faire confiance, y m’a
viré…..normal…j’lui en veux pas, j’aurais fait pareil à ça place. T’as pas une clope ? »
« Nan, depuis que je suis là, je fume plus…. »
« Merde…..alors, après, tu sais, ça va vite, plus de boulot, mes emmerdes avec la justice, ma
femme qui s’était barrée avec les mousses, plus de thune, j’avais tout revendu pour m’acheter
d’la came, plus d’appart, j’suis devenu SDF, je voulais pas revenir chez mes vieux, me pecho
la tehon, (« me choper la honte », c’est du verlan , pour ceux qui le cause pas), je savais même
pas que mon dab il avait calanché entre temps, crise cardiaque…au moins, il a pas trainé, pov’
vieux, à trois ans de la retraite, tu t’rends compte, c’est pas d’bol …..pi j’en ai eu marre de la
rue, c’est dur la rue tu sais, j’suis revenu chez ma mère…….putain, faut que je trouve une
clope…..t’es sur t’as pas une clope ? »
« T’as pas retrouvé du boulot ? Essayé de t’en sortir ? »
« J’ai pas cherché……j’me suis mit au deal, un vrai junkie j’te dis ! Je volais ma mère, j’ai
refourgué sa téloche, ses bijoux, ceux de la grand-mère ! Tout ce que je pouvais……pi j’suis
béton (« tomber », veut dire se faire gauler par la police)….c’est là, en zonzon (prison), j’ai
appris que j’ai une hépatite à cause de la came, j’m’en sors bien j’aurais pu pécho le dasse….
(J’aurai pu choper le sida) ».
« Merde….. »
« Mouaih….merde comme tu dis…. » Il s’est mit à tripoter nerveusement le piercing qu’il a
dans la lèvre inferieure.
« Bon, j’te laisse, faut que je taxe une clope….j’suis content de savoir que tu es là…. »
« Ouaih, moi aussi, ça me fait plaisir de t’avoir revu…… A plus ! De toute façon, on risque
de se croiser dans la journée ! »
Il m’avait raconté tout ça d’un bloc, d’une voix trainante avec des passages nerveux, comme
si on s’était vu la veille. Un fantôme du passé qui resurgissait tout amoché.
J’suis resté tout con sur le banc, les bras ballants, je sais plus trop quoi penser…….
Ce dialogue me renvoit au descriptif des « pensionnaires » que je n’ai pas fini, je t’en avais
dressé un vague aperçu plus haut, mais pas dans le détail. Premièrement, l’unité est mixte, pas
de séparation entre homme et femme, uniquement pour les chambres, heureusement. Comme
je te l’ai déjà dis, y’a toutes les tranches d’âges, hormis des enfants et des ados. De mes
compagnons masculins et féminins, toutes les pathologies de la psychiatrie sont présentes,
dépressifs, alcooliques, maniaco-dépressifs, cinglés complets, vieux séniles, des tronches pas
possibles, la véritable « nef des fous » de Hieronymus Bosch, un beau navire de la folie
douce. Depuis que je suis à bord, j’ai vite appris les us et coutumes du bateau, ce qui est
interdit et permis, les gens à qui tu peux parler sans trop de risque, ceux qu’ils faut prendre
avec plus de délicatesses, ceux qui ne parlent pas du tout et les imprévisibles, ceux qui tout un
coup, pete un câble, partent dans des colères terribles, des torrents de violences verbales,
parfois physique envers eux même, tapant des poings, de la tête contre les murs, des fois, on
frise la bagarre entre deux. Ce genre de démonstrations arrive généralement vers 16H, dès que
les louzous du midi ne font plus effet. Alors là, tout le navire est secoué de terribles
tremblements qui font craquer les nervures de la coque, comme par temps de tempête, les
soignants cavalant partout, des gueulantes, les cris des plus sensibles que la moindre émotion
plonge dans des crises de paniques longues et pénibles pour tout le monde.
Faut calmer tout ca jusqu’à 18H, l’heure des médocs du soir.
Lundi 12/09/11, 13H45
Stupeur et révolte ou révolte et stupeur ? Voila les deux mots qui caractérisent ma mâtiné.
Après encore un réveil difficile, mais un peu moins que les jours précédent, puisque j’avais
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demandé un somnifère moins puissant, douche, rasage et commence la routine des règles
imposées dans l’établissement. J’aide à mettre en place le petit déjeuner, légère errance dans
les trois unités pour dire bonjour à mes compagnons, prise des louzous, faut voir tout ce qu’il
me donne, rien qu’avec cette poignée de cachetons, je pourrais me passer de petit dej’. Viens
ensuite vers les 9H, le briefing de la journée, qui va faire quoi, avec qui, ce qui est prévu. Pour
l’instant, je reste silencieux, applique les règles, mais je ne me propose pas encore pour
certaines activités. Donc, ce matin, j’ai été découvrir l’atelier peinture où j’ai pu commencer
la reproduction de mémoire de mon collage « l’apocalypse selon Saint Jean », qui c’est plus
transformé en « Saint Michel terrassant le dragon ». Prit dans ma peinture, j’ai faillit oublier
le rendez-vous à ne pas manquer de la mâtiné. Je vais intituler cette réunion par : « La
résurrection des tribunaux populaires » ou « comment faire un procès stalinien à la sauce
sociale ». Pour résumer, presque tout les « pensionnaires » sont réunis sous la houlette de la
psy en chef, de ses cadres, de quelques infirmiers, infirmières, et chaque nom des « soignés »
comme nous sommes appelés, est passé en revu. En fait ce sont les « pensionnaires » qui
accordent un système de notes que je n’ai pas bien compris aux autres, un Kho Lanta de la
déprime. Celui-ci ne fait rien, paf ! Une note négative. Celle-là est une feignasse, paf ! re note
négative, untel fait des progrès, allez, un petit point pour l’encourager. Chacun est à la merci
de la petitesse d’esprit de mes compagnons qui, avouons le, n’ont pas les capacités de
discernement très valide. J’étais stupéfait et révolté de cette méthode. C’est aux médecins de
décider si untel va mieux ou moins bien, en le recevant, lui parlant, et non pas en écoutant les
ragotages des autres « pensionnaires »,qui, par animosité, par bêtise ou tout simplement par
méchanceté, accorder de pitoyables notations et commentaires à des gens en détresse. Je suis
vraiment outré des ces méthodes indignes. Tout ça sous les regards et acquiescements des
médecins.
Faut que je foute le camp de là, c’est révoltant, c’est pas comme ca qu’on soigne les gens !!!
At last !! En fin d’après-midi, j’ai eu mon deuxième entretient avec la jeune psy qui me suit,
le Dr. V.
Elle me cherchait alors que j’étais avec Gaëlle, ce qui écourta sa visite, enfin, ce n’est pas trop
grave, car demain, nous avons un rendez-vous à trois, la psy, Gaelle et moi. D’entrée j’ai fait
part à la psy qu’il faut que je parte rapidement de cet endroit pour aller en cure de desintox, je
pense que j’irai à G., ça j’y coupe pas, plus le début d’une longue thérapie pour lutter contre
ma dépression. J’ai pu continuer mon dessin que je rehausse à l’encre de chine car j’ai trouvé
au fond d’une armoire, un nécessaire de calligraphie, j’suis pas trop doué, mais ca m’occupe
l’esprit.
Demain, je me porte volontaire pour la préparation des repas, au moins ils me foutront la paix.
REECRITURE
Dix mois après les faits, je suis toujours autant révolté par la « réunion » du lundi matin, j’ai
appris plus tard, que cela s’appelait « l’attribution du pécule ». Apres moult explications, j’ai
compris les règles du jeu : En fait, cela date des années cinquante, au début de la prise en
charge des malades mentaux par l’hôpital public. Fini les enfermements, les asiles prisons, la
psychiatrie devenant une vraie médecine, la chimie ayant elle aussi fait des progrès, les psys
arrivaient à soigner de plus en plus de patients qui auraient été enfermés à vie auparavant.
Donc, ces patients, qui, pour la plupart étaient sans aucun revenu à leur sortie, avaient
l’opportunité de gagner un peu d’argent, le pécule, en aidant les personnels soignants à
diverses taches, nettoyage des locaux, mises en place du repas, pleins de petites activités
nécessaires à la bonne marche du navire et bon pour leur « réhabilitation » sociale. Sauf que
de nos jours, ce sont les patients qui notent les patients !! J’ai toujours pas compris le bien
fondé de la démarche intellectuelle de ce truc. Je trouve que cela provoque l’effet inverse sur
certain. Ben oui, y’avaient des cas retords à toute activité, enfermés dans leurs maladies, donc
zéro point, certains cumulaient du négatif ! Comment veux-tu que ces gens là « guérissent » si
on les enfonce de plus en plus ? Je les revois, marmonnant ou gueulant leur haine contre ce
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système, se faisant rabrouer sec par la patronne, les « notateurs » jouissant intérieurement du
pouvoir qu’ils avaient, c’était terriblement cruel. Quelques mois après mon séjour dans l’unité
psychiatrique, j’ai reçu un cheque d’une trentaine d’Euros pour mes bons et loyaux services,
ça m’a fait ricaner, un peu jaune, en l’encaissant.
En partant, j’ai laissé tout mes dessins là bas, je ne ressentais pas le besoin d’emmener avec
moi tout les crobars, je laissais derrière cette partie de ma vie….fallait tourner la page, essayer
de ne pas regarder en arrière. Encore aujourd’hui, j’essaie de ne pas regarder en arrière,
certains jours c’est difficile, mais j’y arrive mieux.
Mardi 13/09/11, heure inconnue.
J’ai rien écris aujourd’hui, j’avais pas envie d’écrire, ni l’inspiration.Ca me fait penser à Louis
XVI le 14/07/1789, il avait écrit sur son journal de chasse : aujourd’hui : rien.
REECRITURE
Une des rares journées où je n’ai rien écrit, un coup de mou surement, je ne m’en rappelle pas.
Mercredi 14/09/11, 14H.
Réveil encore pénible du aux somnifères et aussi de ma faute, je suis resté tard pour finir un
livre. L’entretien que nous avons eu hier entre la psy, Gaëlle et moi, a été comme je le
pensais : constructif et surtout rassurant pour Gaëlle. Il en ressort des points sur lesquels je ne
peux échapper et dont je suis d’accord, comme le fait de partir en cure de désintox à G.
Normalement, je partirai là-bas vers le 26/09, pour une durée de trois semaines, puis, bien
continuer ma psychothérapie et mes médicaments pendant pas mal de temps. Je suis motivé
pour sortir de cette maudite spirale.
Depuis hier, je m’inscris aux activités d’intérêts généraux du navire, je sers les repas, fait la
plonge, du rangement, la cantinière en somme, ça me fait penser à ma grand-mère. Je
m’occupe des vieux qui sont là, d’une jeune fille qui me semble être autiste, je parle avec des
types qui franchement, je les verrais dans la rue, j’aurais les jetons. Bon, ici ca va, y sont bien
shootés, mais quand tu vois leurs gueules et les blessures qu’ils ont, tu imagines bien la
violence qui est en eux. Certains ont les bras, les mains, les pieds cassés suite à des bagarres
pour de futiles motifs à l’extérieur. Quelle détresse et quelle expérience humaine pour moi,
violente certes, mais quelle expérience ! Je sens que les antidépresseurs agissent, je me sens
de mieux en mieux dans ma tête, j’ai même mis en place depuis hier, ma petite séance de step
de vingt minutes, histoire de garder la forme. Si je chope ma psy aujourd’hui, je lui
demanderai si ma « perm » de sortie pour le week-end prochain, lui parait envisageable.
J’espère que oui, il faut que je parle avec les enfants.
Là, je vais assister à une réunion « soignants/soignés », je vais voir si ça ressemble à l’autre
fois, aux procès staliniens. Et bien en fait, non, c’est plutôt du style « cahier de doléances »,
mais comme toujours, ce genre de rassemblement dégénère en règlement de compte, Bref,
deux heures de perdues dans d’inintéressantes discussions stériles.
Sinon, mauvaise nouvelle, on m’a changé de chambre, je suis maintenant dans une piaule
double, avec C. J’attends de voir ce que ça va donner cette première nuit avec un inconnu.
Gaëlle est passée, et je l’ai sentie beaucoup plus rassurée qu’au début de mon entrée.
Ah oui, chose bête, depuis que j’étais là, je ne fumais plus et ça ne me manquait pas, hélas,
cette après-midi, je fus pris d’une irrésistible envie de fumer, alors j’ai quémandé mes clopes
à Gaëlle qui me les a apporté. J’avoue que la première cigarette fut un délice. A moi de me
raisonner pour ne pas fumer clope sur clope comme la plupart des mes « compagnons » du
navire.
REECRITURE
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Tout se mélange un peu maintenant, les dates, les jours, je me rappelle de tout, mais j’avoue
que c’est devenu un peu brouillasseux tout ça. Le coup du mardi 13/09 où je n’avais rien
écris, je devais être encore sous le coup de l’émotion du rencard à trois. J’étais anxieux de ce
rendez-vous, anxieux et impatient, j’avais les mains moites, j’avais hâte de pouvoir parler
avec la psy et Gaëlle. On avait tout mit sur la table, ce coup ci, on parlait pour de vrai, je
cachais plus rien, fallait tout déballer, curer toute la fosse à caca qui m’avait conduit ici.
Avouer toutes mes conneries la gorge nouée. Essayer de rattraper Gaëlle, lui faire voir que je
tiens à elle. Pourtant, je lui en ai fait voir, et elle est restée…. Elle aurait pu me bordurer aussi
sec, je l’aurais mérité, mais faut croire qu’elle m’aime beaucoup pour avoir su digérer toutes
les conneries que j’avais faite….y’a des trucs encore trop intime que je ne peux pas écrire
pour l’instant, qui ne regarde qu’elle et moi…..j’ai pas le droit…p’tet plus tard, quand je
serais vieux….Gaëlle est restée, je ne sais pas si elle m’a tout pardonné, mais on est toujours
là, ensemble….Je ne sais pas ce que je serais devenu sans elle.
J’te flashback encore un coup, cher lecteur, lectrice, car faut que je te parle des femmes
présentes sur le bateau….tout à l’heure, je t’ai dressé un vague portrait du genre de type qu’on
pouvait croiser, mais je t’ai pas encore parlé de la gente féminine…Car tu vas voir, c’est pas
mal non plus….
La moyenne d’âge se situe au environ de la quarantaine, je crois qu’elles sont moins
nombreuses que les hommes dans l’effectif total. Pareil que pour les bonhommes, toutes les
pathologies sont là, des dépressives, des maniaco-dépressives, des psychotiques, des
alcooliques récidivantes, des paumées de la vie. Des parcours semés de bosses, de bleus, de
violences conjugales. Comme chez les hommes, tu vois vite qui sont les dominées des
dominantes, mais faut vraiment bien observer, car elles sont plus vicieuses que les
mecs…l’ordre naturel de la domination est plus perfide….tout se joue aux phrases assassines,
aux regards méchants et aux ragotages mythomaniaques. Physiquement, t’as tout les styles,
toutes les formes, ça passe de l’obésité maladive à l’anorexique cadavérique bourrée de
calmant. Pas de quoi réveiller les instincts copulateurs, de toute façon, étant donné que tous
les males sont bourrés de louzous, les fiers phallus sont en bernes, bien au chaud dans leur
écrin en attendant des jours meilleurs. Manquerait plus que ça d’ailleurs, t’imagines les
scènes, les corridas endiablées, les jalouseries, les coucheries inimaginables même par le plus
cinglé des réalisateurs de films pornos….non, non, non…pas question, j’ose pas y penser,
déjà que les soignants ont assez de boulot comme ça, on va pas leur rajouter les courettes dans
les couloirs et les piaules pour dénicher les assoiffés du trou d’balle, faut pas déconner….
Voila, la question du sexe est réglé et c’est tant mieux.
Comme les hommes, certaines se laissent aller total, plus de retenue, elles trainent dans
d’infâmes survêtements sans formes aux couleurs délavées, les pieds dans d’horribles tatanes
en pilou roses, les nichons bringuebalants sur le ventre pour celles que la nature à pourvu
d’énormes mamelles. La grève du sous-tif, la complète libération.
Normalement, pour le briefing du matin, la règle veux que tout le monde soit lavé, habillé,
sauf que pour les femmes, ça se complique. Le système de douche du navire étant sacrement
défectueux, certaines n’ont pas eue le temps de se préparer, c’est là que t’as le droit au
superbe défilé…..Honnêtement, je crois que Fellini, il aurait prit son pied de voir ça. Elles
arrivent par groupes de copines ou seule, les visages du réveil encore bien marqués, en
pyjama, tee-shirt déformés descendant jusqu’en haut des genoux, robe de chambre de tout les
styles, de la plus belle imitation chinoise, broderies fines, décors oiseaux du paradis, de belles
fleurs aux couleurs chatoyantes, pour finir par le must, le top de la collection des sorties de
bain hors d’âges. Pas la peine d’être un spécialiste en la matière pour deviner qu’il y a des
heures de vol, de longues journées de trainasserie dans ces frusques. Ca baille de partout, la
ceinture qui tient plus rien, parfois, un nibard rebelle sort de sa cachette, de l’air ! De l’air !
J’étouffe qu’il cri ce pauvre nichon au bord de l’asphyxie, vite remit sous l’étoffe par sa
propriétaire, qui continue son chemin en trainant les pieds. Tu devines les formes, les corps
qui se débinent, les ventres flasques, les cuisses et les fesses à la sauce cellulite. Moi, j’ai
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toujours été plus spectateur qu’acteur, pour tout, j’aime bien observer, c’est ma
nature…..alors tu parles que là, j’me suis régalé. Ca y est ! J’entends déjà les cris d’orfraies
des lectrices ! Salaud ! Pourri ! Dégueulasse ! Macho ! Miso ! Sale phallocrate ! T’as pas
honte ! T’etais moins cruel avec tes copains les poivrots ! Oh la ! On se calme tout d’suite !
J’te les dépeins pas vraiment au vitriol, les charmantes passagères, c’est juste que c’était
comme ça, et encore, je reste poli, gentil, j’ai pas encore tout dit, ça va venir. Tiens, vas pas
croire que je prenais mon kif de voir tout ça, c’était plutôt le blues que ça me filait, tout ce
laisser aller, ce désespoir. J’vais en raconter encore sur mes collègues males, les peindre à la
fiente de mouette, tu vas voir, ça va pas être piqué des vers non plus…toute la lie, le ramassis
des traines savates, les habitués des lieux……y vont pas y couper….. Pour me faire pardonner
d’avoir été un peu vache avec certaines, faut quand même que je te dise que d’autres, le plus
grand nombre heureusement, c’était tout le contraire. Prêtes pour le briefing, pimpantes, bien
habillées, maquillées, coiffées, t’aurais presque pu les confondre avec les cadres soignantes,
un toubib, une psy….mais non, elles faisaient parti du lot des passagers.
Jeudi 15/09/11, 20H25.
Une semaine que je suis là et je commence à en avoir plein le dos. Je fais tout pour ne pas
rester inactif, je sers les repas, aide les vieux à manger qui ne peuvent plus tout seul,
débarrasse les tables, passe le balai et la serpillière. J’ai l’impression que ce navire de la folie
douce est livrée à lui-même, que les médecins, psy, infirmières ne sont là que pour distribuer
les médicaments et perfuser les plus terribles. C’est assez incroyable d’ailleurs, en arrivant ici,
je pensais voir au moins une fois par jour mon psy, un toubib…ben non, y’a jamais personne,
il faut vraiment être acharné pour obtenir une information quelconque, un rendez-vous. Ce qui
me surprend le plus, c’est que j’ai l’impression que les moins « atteins », moins dépressifs
dans mon genre, sont là pour faire la psychothérapie des autres. C’est dingue le temps que je
passe à rassurer, calmer certains agressifs, être diplomate en étant toujours sur mes gardes
d’un accès de fureur de trois, quatre passagers particulièrement malades, que les médocs
calme à peine.
J’espère vraiment pouvoir être à la maison ce week-end, ça me ferait du bien.
Je crois que depuis que je tiens ce journal de bord, non pas d’un naufrage, mais d’un
sauvetage, je me porte mieux. Je suis fatigué ce soir, j’arrête là, je vais me coucher.
REECRITURE
En relisant ce journal de bord, je m’aperçois que c’est assez répétitif, toujours les mêmes
choses, les mêmes événements, les mêmes mots…normal, t’es dans un hôpital psychiatrique,
c’est pas la fête, y vont pas de t’amener les filles du Crazy Horse pour les mecs et les
Chippendales pour les filles, organiser un concours de celui qui roule le plus gros joint, une
rave party….Ici aussi, sur ces nouvelles pages, faut que je fasse gaffe à pas trop me répéter.
Puisque tout à l’heure, je rentrais un peu plus dans les détails physiques des passagères, va
bien falloir que mes gaziers y z ‘y passent aussi, je te l’avais promis. Je commence par mon
compagnon de piaule : C. , un homme d’une cinquantaine d’année, brun, moustachu, portant
des lunettes rectangulaires bon marché, maigre. Lors du premier contact, notre première
poignée de main, je savais tout de lui. J’avais lu dans sa tête. Je ne m’étais pas trop gouré. Il
parle peu, je l’aide à prendre ses marques sur le bateau, je lui explique les règles, lui fait
découvrir les lieux, les deux ponts du navire et ses trois unités. Il est sympathique, pas violent,
c’est déjà ça. Sauf que durant la première nuit, y m’avait fait un bordel pas possible.
Maintenant, quand j’y repense j’en souri, mais sur le moment, c’était à ne pas y tenir, j’te
raconte : Voila, C et moi on est couchés, l’infirmière de nuit est passée nous donner les cames
de la noché et s’assurer que tout va bien. C. s’endort presque tout de suite, je reste à lire avec
ma petite loupiote pour ne pas le déranger, et je finis par éteindre moi aussi, direction les bras
de Morphée. Soudain, en pleine nuit, malgré ma dose de somnifère, j’entends du barouf, des
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bruits de chocs, ça me réveille, j’me demande ce que c’est, tout ensuqué de molécules dodo,
pas le temps de comprendre plus, paf ! Pleine lumière ! Toute la piaule éclairée par le
plafonnier central, du brutal ! Je reste allongé, j’ai du mal à émerger, enfin, je comprends, C. à
envie d’aller aux toilettes de notre piaule, et il est paumé dans les interrupteurs. Je grogne un
peu, lui explique qu’il s’est gouré de bouton….Rien à cirer, y coupe pas le plafonnier pour
mettre sa veilleuse, part pisser, tire même pas la chasse, et retourne se coucher en laissant tout
allumé, les chiottes, la piaule. Moi, j’suis bien réveillé maintenant, mais là, j’suis un peu
énervé, putain ! Merde ! Tu pourrais faire gaffe C. ! Que j’lui dis, il s’excuse, mais bouge pas
pour autant, obligé de me lever pour tout éteindre. Bon, allez, ca peux arriver....le mec, il est
un peu perdu, y viens d’arriver, bourré de médocs, je pardonne et retourne me pieuter. J’me
rendors vite….. Jusqu’au moment, dans mon sommeil de plomb, je sens une lourde masse
tomber sur moi, illico j’me réveille et je comprends de suite, pas la peine de me faire un
dessin, c’est l’autre qui refait des siennes !
« Putain ! C. ! T’arrête ton bordel merde ! T’es sur mon plumard là ! »
En guise de réponse, j’ai des grognements incompréhensibles.
« Vas te coucher C. ! Bouges de là ! Retourne dans ton lit !»
« Mouaih…..mouaih……excuse…… »
Y bouge, pas vite, mais y bouge, y lève son cul de mes jambes….
Et là tu vas pas le croire, mais j’entends le bruit significatif du mec qui pisse, mais attends, le
mec qui pisse par terre ! J’y crois pas ! J’allume et découvre le souk….A poil, titubant de
médocs, de sommeil, mon gazier qui se tiens la nouille, se soulageant pépère au pied de mon
lit! Oh putain ! C’est pas vrai…..
« Merde ! C. ! T’es en train de pisser par terre ! Dans la piaule ! Arrêtes merde ! Vas aux
chiottes ! »
« Peux…..peux…..plus…..plus…m’arr….eter….. »
Tu vois un peu le tableau….de la pisse partout, une grosse marre, pas un petit pipi, de la
bonne grosse pisse bien odorante……J’y crois pas, c’est un rêve ! Non mais quel gros porc !
Je fulmine intérieur, ça commence bien avec le C. ! Il finit son affaire et retrouve le chemin de
son lit, ça fait « plitch ! plitch ! » quand il marche, on patauge dans l’pipi, y se recouche
comme si de rien n’était….Je reste comme un con, là, assis dans mon paddock…qu’est ce que
je fais ? J’appelle l’infirmière ? Oh, pi merde ! J’vais pas déclencher le plan Orsec, remuer
tout le navire, faire venir l’équipe de nuit nettoyer…..on verra ça demain……j’éteins et me
rendors. C’est le lendemain que l’infirmière du matin eue la surprise.
« Bonjour messieurs …. Il est 7H …… on se réveille…..Oh la la ! Mais qu’est ce qui c’est
passé ici ! »
Obligé de lui expliquer toute l’histoire, les détails, pendant que C. lui, il dormait encore à
poings fermés. Pas de bol pour sa face, c’était le jour du service d’une des infirmières, disons,
des plus « énergiques », pour ne pas dire pas sympa….
Pas question qu’il demande le p’tit dej au lit ce jour là, elle te l’a secoué net ! Boum ! Réveil
militaire !
« Alors monsieur ! C’est quoi toutes ces cochonneries !! Allez secouez vous un peu ! Allez !
Debout ! Allez ! »
En pétard qu’elle était la J.
Moi, je découvrais l’inondation à la lumière du jour…..chance…y’en avait partout sauf sur
mes chaussons…C. , il comprenait pas ce qu’il lui tombait sur le coin de la tronche,
l’engueulade dès le réveil, il se frottais les yeux, cherchait ses lunettes, bafouillait….y se
rappelait de rien……Véridique, il se rappelait de rien, doses trop forte à mon avis. Toute la
journée, il n’en revenait pas de sa mésaventure, il passa sa journée à s’excuser auprès de moi,
confus, péteux, il était vraiment bouleversé. Ca ne c’est plus jamais reproduit.
Voila, encore une petite anecdote hospitalière, mais t’inquiètes, j’vais pas rester dans le pipi
caca, c’est pas un recueil scato, parce que dans le genre, j’en ai encore plein ma besace de ce
genre la….mais celle-ci méritais d’être mise par écrit. Mais je m’éloigne encore une fois, je
pars, emporté par le flux des mots, j’te raconte plus pourquoi je me suis mis à boire, les
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méandres de mon alcoolisme. Faut que je me relise un peu pour ne pas être redondant, éviter
de t’emmerder avec des pleurnicheries sur mon sort, c’est pas le but. Faut témoigner.
Lundi 19/09/11, 20H10.
Pas tenu ce journal de bord depuis jeudi dernier. La cause est que j’ai pu être en
« permission » pour le week-end. Toute la journée de vendredi dernier, j’étais anxieux de mon
retour, de revoir les enfants, la famille, la maison, les animaux. Avant de partir, un long
entretien préalable avec la psy me rassura un peu, Gaëlle est venue me chercher et puis ce fut
un moment très intense d’émotion lorsque je poussai la porte de la maison où Nolwenn (ma
fille) me serra fort contre elle. J’ai ouvert toutes les vannes de mes yeux, je pleurais des
larmes non contenables, mes jambes ne me tenaient plus. Dire je j’allais, enfin que j’avais
décidé d’en finir, et plus jamais, je n’aurais vu cette jeune pousse de femme, si belle, devenir
adulte. Quelle connerie j’ai faite. L’émotion était aussi palpable avec Gwendal (mon fils
cadet), et un peu plus contenu avec Kilian (mon fils ainé), qui, je le sens, m’en veut à mort et
je le comprends. Je pense que lui me voyait partir en vrille, mais ne disait rien. J’espère
rattraper tout ça, je l’espère vraiment.
Nous sommes restés tout le week-end à la maison, où je reçu la visite d’Yves et Françoise
(mes beaux-parents), eux aussi visiblement très affectés et émus de me revoir. Toutes ces
vagues de fortes émotions, me vidèrent complètement, j’étais épuisé. Gaëlle et moi sommes
allés faire une petite balade vers K., où je ressenti avec une grande joie les odeurs de la mer,
de la lande, des algues, le bruit de la mer sous ce ciel plombé d’un joli gris. Ce n’était pas
nostalgique, bien au contraire, c’était un moment de vie intense qui ne m’était pas arrivé
depuis longtemps.
Le retour vers « la nef des fous », fut pénible, stressant et la routine du navire repris son cours.
J’ai rendez-vous avec ma psy demain pour un débriefing. J’ai plein de chose à lui dire et j’ai
hâte d’attaquer ma psycho-généalogie, le projet me plait énormément, car, j’en suis certain,
tout mes maux viennent de là. J’ai aussi rendez-vous mercredi prochain avec une alcoologue.
Là, par contre, je flippe un peu de ce qu’elle va me dire, on verra bien.
REECRITURE
Ah putain oui, quelle émotion forte lorsque j’ai serré Nolwenn contre moi ! Cette belle pré
ado de 12ans, l’odeur de ses cheveux, de son cou…..et je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer,
c’était trop fort, avec Gwen aussi c’était fort, lui contenais son émotion, mais je devinais qu’il
avait la gorge serrée, qu’en à Kilian, nous nous sommes serrés très fort. A tous je leur ai
demandé pardon, c’est tout ce que je pouvais faire de plus, qu’il me pardonne de leur avoir
fait tant de mal. Maintenant, ça va mieux, mon traitement, ma camisole chimique fait que je
suis plus cool, mais j’ai parfois de sérieux coup de blues, de brusques montées d’angoisses
que je jugule en prenant des médocs. Ma psy me dit que c’est normal, je ne vais pas redevenir
clean du jour au lendemain.
Mais faut que je revienne à ma lente glissade dans la picole, tu sais, ça peux paraitre con, mais
j’ai du mal à expliquer les vrais raisons. Y’a pas eu vraiment de raisons, de faits déclencheurs,
j’suis tombé dedans petit à petit. C’est une drogue l’alcool, une drogue vraiment dure, mais
autorisée, en vente partout et qui rapporte un max de blé à l’état. Facile à se procurer, tu
rentres dans n’importe quel magasin, tu sors avec ta came sans risquer de te faire choper par
les keufs, et y’a plus qu’à se servir ta dose, te faire ton fix, tout ça dans la plus grande
l’égalité.
Je parle avec des mots de toxico ; « dose », « came », « fix », mais c’est ça, un alcoolique est
un toxico. Les effets sont aussi ravageurs que l’héro ou la coke. Petite nuance, avec l’alcool,
la mort arrive moins vite, tu peux picoler plus longtemps avant que la machinerie interne
commence à déconner sérieusement. Attention, je ne dis pas que c’est de la faute de l’état,
non, non, non, l’état, il y est pour rien, il fait des campagnes de prévention des risques de
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l’alcool pour se donner bonne conscience, pi ça s’arrête là. L’alcoolique est le seul
responsable de sa maladie, enfin, c’est plus compliqué que ça, je fais un raccourci bien
méchant, l’alcoolo-dépendant est prit dans une terrible spirale dont il est impossible de s’en
sortir tout seul. Pour revenir à mon cas, ben ouaih, on est là pour ça, si je réfléchi bien, c’est
depuis toujours que je bois, enfin, buvais. Depuis mon adolescence, les fêtes entre jeunes, où
l’on boit pour se désinhiber, se fendre la gueule, se payer des franches tranches de rigolades,
se faire des souvenirs et commencer son apprentissage de la boisson. Tiens, qui n’a jamais été
saoul au moins une fois dans sa vie ? Personne ! Pour certain, l’expérience a dégouté de
l’alcool…j’en connais pas beaucoup, et le reste, ben, le reste, ils ont continué leur
apprentissage. Maitriser les doses, les comportements, apprendre à ne pas faire trop de
conneries une fois saoul, c’est un long apprentissage insidieux, mais qui fait parti intégrante
de notre société. Encore une fois, je ne dis pas que l’alcoolisme est la faute de la société, mais,
car il y a un mais, notre société, j’entends par là tout les pays occidentaux, autorise, voir
encourage la consommation d’alcool, car cela fait parti de notre mode de vie. Je ne vais pas
énumérer toutes les fêtes où ça picole, car la liste serait trop longue, mais juste pour le fun, on
peut citer, les fêtes nationales, Noël, le jour de l’an, la Saint-Patrick, la fête de la bière, les
mariages, baptêmes, etc…etc….Donc, c’est jeune qu’on apprend, après, y’a des gusses dans
mon genre qui n’arrivent plus à maitriser les doses une fois adulte.
J’en étais resté où dans l’histoire ? Ah oui, je bossais en supermarché….mais comme le taf
était super physique, j’avais réduit la fréquence de mes beuveries solitaires. Pourquoi
solitaire ? Bien parce que le travail de Gaëlle faisait qu’elle partait souvent en déplacement,
alors, seul, j’avais toute la liberté de m’adonner à mon vice. Elle aurait été là, je n’aurais pas
bu. Encore une fois, je ne dis pas que c’est de la faute de Gaëlle si j’ai sombré dans la picole,
parce que, même plus tard, quand j’étais vraiment « dedans », je buvais en cachette.
Mais, encore un mais, y’a eue un hic…..à force de faire de la manut de choc, j’me suis chopé
deux belles épicondylites aux coudes qui m’ont rendu complètement inapte. J’ai trainé un an
je crois, d’arrêt maladie en arrêt maladie à cause de ces saloperies. J’ai eu droit à tous les
traitements, infiltrations, kiné, les cataplasmes de bouse de vache, les emplâtres au goémon,
nan, j’déconne, faut bien qu’on rigole un peu, rien ne me faisait guérir. J’en souffre encore.
Cette saloperie, une fois que c’est installé, je crois que c’est pour toujours. Y’a du mieux
maintenant, des séances d’acupuncture m’ont fait presque disparaître le mal du coté gauche,
mais le droit reste encore douloureux par moment. Bref, au bout d’un an, je fus viré du
supermarché pour inaptitude sans espoir d’avoir un autre poste dans l’entreprise. Allez hop !
Les éclopés dehors ! Y’en à dix qui attendent ta place.
Je crois que c’est à ce moment que j’ai franchi la ligne de non retour. J’avais mal aux coudes,
mais ça ne m’empêchait pas de le lever, si tu vois ce que je veux dire…..
Mardi 20/09/11, 20h25.
Je suis un peu angoissé ce soir à l’idée de voir l’alcoologue demain. J’avoue avoir peur de
partir en cure pendant trois semaines entouré de pochtrons ultimes comme il en a ici. Mais si
cela est nécessaire, je serais bien obligé de m’y plier et d’accepter. On verra bien.
C’est sur que je préférerais une solution ambulatoire avec des soins, des traitements, un suivi,
qui me laissent repartir dans le vrai monde, retourner au boulot, à la maison. J’ai vu ma psy
aujourd’hui, elle envisage une sortie définitive pour vendredi ou samedi, selon ce que va dire
l’alcoologue. J’ai hâte à demain. J’ai commence avec la psy, l’arbre généalogique, je pense
que la clef se trouve à l’intérieur de tout ça. Je suis un peu fatigué ce soir, puis la nuit
dernière, C. à eue des cauchemars, j’ai donc mal dormi, j’ai lutté toute la journée contre le
sommeil.
F. est parti ce soir, un homme avec qui je m’entendais bien, on s’est souhaité bonne chance à
tout les deux. C’est étrange mais ça me donnais l’impression d’être comme sur un champ de
bataille, une Opex quelconque, où le bon pote, celui avec qui tu as vécu la guerre, se barre
entier car il a fini son temps, et toi tu restes, car c’est pas fini pour toi.
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J’ai replongé avec délice dans « Voyage au bout de la nuit », je crois que cela fera la troisième
ou quatrième fois que je le lis, je m’en lasse pas. C’est vraiment un des livres, avec « Les
Ritals », de Cavanna, qui me donnèrent gout à la lecture quand j’étais ado. J’espère bien
dormir, j’ai hâte à demain. Pour l’instant, je vais mettre mon casque et écouter de la musique
en bouquinant, attendre le passage de l’infirmière de nuit et ses cachetons.
REECRITURE
Je viens de lire un extrait du livre du Dr. Olivier Ameisen : « Le dernier verre », où lui aussi
raconte comment il a sombré dans l’alcool et comment il s’est en sorti. Le peu de j’ai lu m’a
donné envie de le lire. Hier, lors que j’essayais de trouver les mots du pourquoi j’étais tombé
dans l’alcoolisme, tu as bien senti que je n’y arrivais pas trop. Lui, en quelques phrases,
quelques mots a mit dans le mille de suite : On boit pour soulager une douleur ancienne.
J’te résume ça vite fait, faudrait d’abord que je lise le bouquin pour confirmer la chose, mais
je crois qu’il a raison….c’est ça, je suis tombé à cause d’une douleur ancienne…..mais
laquelle ? Demain faut absolument que j’en parle avec ma psy, pour ne pas oublier, j’ai noté
tout cela sur un papier. Depuis dix mois que je suis sobre, nous n’avons pas abordé ce sujet,
trouver LA douleur…faut travailler dessus…vite…car tu vois, aujourd’hui, en plus de mon
mal de dos, j’me sens pas bien psychologiquement….est-ce le fait d’avoir trop écrit hier sur
ce recueil ? Le fait que je me sois couché trop tard ? Pourtant qu’est ce que j’ai bien dormi….
au réveil…j’me sentais bien, mon dos ne me faisais pas souffrir, j’étais au chaud, je voyais le
jour se lever, j’entendais notre coq Casimir pousser ses « cocoricos », manquait juste le corps
chaud de Gaëlle à coté de moi…..elle rentre ce soir. Puis dans la matinée, une sorte de lourde
torpeur négative c’est abattue sur moi….j’avais plus envie de rien, de sombres pensées
m’envahissaient…..pour tout dire, j’avais envie de boire…
Pourtant je suis des plus sérieux avec mon traitement, ma camisole chimique et mon épée de
Damoclès qui est l’Esperal au dessus de la tête
J’ai peur de replonger, c’est dingue comme j’ai peur de replonger, j’me bats tout les jours
avec moi même. Peur de reboire, peur de retomber en déprime, peur de mon retour au boulot
une fois remis de ce dos douloureux. Peur de tout…..toujours ce sentiment de l’échec
permanent, parfois, j’en ai assez de ce cerveau, je donnerais cher pour faire un échange
standard si c’était possible, en faisant gaffe de ne pas me faire greffer celui d’une blonde....
(Allez, applaudissements dans la salle pour la petite vanne !!).
J’ai perdu mon enthousiasme d’hier pour écrire, je t’avoue que là, j’me force un petit peu, car
il faut que j’avance, que j’aille au bout, puisqu’en ce moment j’ai du temps. C’est pas
l’angoisse de la page blanche, mais l’envie qui n’est pas au rendez-vous aujourd’hui. J’aurais
envie d’être ailleurs, transparent, ne plus avoir de corps, être comme le vent, survoler la
planète sans aucun obstacle.
Mercredi 21/09/11, 20H20.
Ca y est, c’est parti pour le grand nettoyage, je quitte normalement ce navire vendredi pour en
intégrer un autre lundi prochain, le P., clinique de cure, j’y coupe pas. J’avais une petite lueur
d’espoir d’y échapper ce matin, mais l’alcoologue ne voyait autrement que par ce passage
obligatoire. Cela doit être le protocole normal. J’avoue avoir eu un petit coup au moral, la
gorge serrée en sortant de la consultation, et puis, comme je m’y attendais un peu j’ai digéré
cet ordre, je l’accepte, je m’y plis. Gaëlle aussi était déçue, mais elle accepte tant bien que mal
cette décision. Apres tout, je pense que c’est la meilleure solution.
Trois semaines normalement à G., j’ai déjà mon ordre de route, entrée le 26/09 à 14H45. Je
pars donc vers une nouvelle inconnue, un autre voyage dans les bizarreries de l’être humain.
Je redoute quand même. Bon, le type que j’ai eu téléphone pour me confirmer mon entrée ma
vaguement expliqué les fonctionnements de mon nouveau navire, j’ai droit à mon téléphone
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portable, d’avoir un PC si je le souhaite, la TV, et si j’ai bien compris, je suis en chambre
individuelle. Bon, comme j’aime à dire, on verra bien.
Faut dire qu’ici, je commence à saturer, de faire parfois la police, de calmer les psychotiques
au bord de l’explosion. Mais c’est étrange, je ne les hais pas, je vis avec eux 24H sur 24, et
malgré tout leurs excès, leurs folies douces, leurs patouilles, j’éprouve de la sympathie pour
eux, même pour les plus indécrottables. J’ai appris à les connaître et leur détresse me laisse
parfois dans un état d’hébétude. Certains ne font rien pour s’en sortir, ils se laissent porter par
la douce routine du bateau et reste dans leurs mondes……c’est effrayant.
REECRITURE
Voila, je pars, mais avant de partir va falloir que je t’en parle de mes « compagnons », je te
l’avais écrit plus haut. Je ne peux pas partir sans te les décrire, histoire que tu comprennes tout
ce qu’on peu trouver dans une unité psychiatrique.
Bon, C., mon voisin de chambre, tu le connais déjà un peu, j’vais trop m’étendre sur lui, il
résume le cas typique du gars qui est dans l’alcool jusqu’au cou et qui n’arrive pas à s’en
sortir. Le soir, je parlais avec lui, je lui sortais un peu les vers du nez, pour savoir comment il
en était arrivé là. Que du classique, le parcours normal de l’alcoolique, la lente glissade, les
bouteilles de whisky qui s’accumule, la femme qui s’en va, et lui, seul, qui sombre de plus en
plus. Une chance, il a pu garder son boulot, d’après ce que j’avais appris, il bosse dans la
fonction publique, donc peu de risque de se retrouver au chômage. Alors il cumulait les cures,
y connaissait tout les hostos, cliniques de la région, ici, c’était la première fois qu’il venait.
Interné en urgence suite à une énorme cuite solitaire, il fini la gueule dans le caniveau, dans
son dégueuli, il avait du tomber, car il portait encore un pansement sur l’arête du nez.
Pompiers, urgences, hôpital psy. Sa fille, une jeune femme, passait souvent le voir, ils
restaient silencieux tout les deux, dans l’espèce de petit coin « cafétéria » du bateau, où
l’intimité était réduite à son strict minimum, quelques petites tables avec leurs chaises, deux
trois fauteuils, un canapé. Je pouvais lire dans les yeux de cette femme, une grande tristesse,
voir son père se détruire comme ça à petit feu. Il restait raide comme un piquet devant elle,
échangeant seulement quelques mots, elle lui apportait des fringues propres, de la lecture, ses
clopes. Tout ça me semblait bien morose. Pas de signe d’affection, pas de main qui se
cherche, juste leurs regards un peu vide, blasés. Le soir, je lui demandais comme ça l’allait, si
il était content d’avoir vu sa fille, il répondait par un oui, puis ça s’arrêtait là, il ne voulait pas
en parler. Je devais m’occuper de lui aussi questions rendez-vous. Comme je te l’ai déjà dit,
sur ce bateau, pour obtenir un rencard avec un psy, un toubib, fallait vraiment batailler ferme,
faire le siège de l’accueil, négocier férocement. Alors je l’emmenais avec moi, j’expliquais
son cas, que cela ne pouvait pas durer, voila des jours qu’il n’a vu personne, que certains de
ses médicaments le rendaient plus malade qu’autre chose…..il se laissait aller, il partait à la
dérive complète, je ne pouvais pas plus pour lui.
Au début je t’ai parlé de T., celui avec le crane fracassé, c’est une vieille et vague
connaissance de jeunesse, quand je trainais dans les bars du quai de C. . Lui, c’est le multi
toxico psychotique, je l’évitais un peu, ce taxeur professionnel, avec sa gueule de cauchemar,
ses piercings sur la face, le visage ravagé par les drogues, les cicatrices, ses fringues
dégueulasses de raveur. Ici, il se tenait peinard, il s’embrouillait pas trop avec les autres, il
était calme, il avait sa dose de médicaments, ses clopes, mais il lui arrivait parfois de piquer
de terribles crises de colère d’un coup, on savait pas pourquoi….Il gueulait dans les couloirs,
frappait dans les portes, fallait du doigté de la part des soignants pour le ramener au calme, ça
finissait toujours par une immédiate injection, il revenait de la salle de soin apaisé….on lui
avait fait son shoot, il partait s’asseoir quelque part, les yeux défoncés.
Je vais continuer par les psychotiques, parce que ceux là, même s’ils n’étaient pas nombreux,
ils te mettaient un sacre bordel sur le bateau…..tout les jours on avait droit à un sketch, de
belles prestations, un peu répétitives à la fin, mais toujours du grand spectacle. Je commence
par qui ? Aahhhh oui ! Le meilleur ! Le champion toute catégorie ! La célébrité du bateau !
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J’ai nommé B. ! 25 ans, environ 1M75, tout en nerfs et en muscles, un beau gars, un visage
d’ange, les cheveux courts, presque rasés, de beaux yeux bruns ravageurs, dommage qu’il soit
psychotique, très violent. Dehors, il aurait du succès auprès des femmes un beau gosse pareil.
Toujours propre sur lui, en tenue de rappeur, il est en perpétuel mouvement, tu l’as croisé
dans le patio, une minute après, il est en train de marcher dans le couloir principal du pont
supérieur aux grandes baies vitrées. Il marche vite, nerveusement, son casque de lecteur MP3
sur les oreilles, il chante à tue tête les paroles débiles des groupes rap. Il arpente à longueur de
journée le navire, pont inferieur, pont supérieur, le patio, il passe à l’atelier peinture, pour ne
rien faire, rien ne l’intéresse, il fume clope sur clope, il n’en fait qu’à sa tête. Pour sa défense,
il respecte qu’une seule règle, celle de fumer dans le patio ou devant l’entrée du bateau, pour
le reste, c’est zéro. Il vit avec un délire de persécution, le monde entier est contre lui, sans
aucune exception. Moi, j’suis son pote, on a vite sympathisé, je le contrarie pas trop, je le
calme quand c’est possible, le dépanne en clope, je fais mon maximum pour arrondir les
angles lorsqu’il commence à partir en vrille. Sa tête de turc est J., je t’en parlerai tout à
l’heure. Entre B. et J. c’est la guerre ouverte, les hostilités commencent dès le matin, histoire
de bien réveiller ceux qui seraient encore un peu dans le cirage. D’homériques engueulades
pour des trucs futiles, une chaise, une tasse, un sucre, n’importe quel prétexte est bon pour
déclencher le combat. Toujours en retard pour le briefing du matin, il se fait bien sur remettre
en place par la cadre de service, et vlan ! C’est parti pour l’ouverture de la symphonie du
persécuté….
« Pourquoi ! C’est toujours moi qui prends ! Hein ! Z’etes toujours après moi ! Putain ! J’en ai
marre de vos gueules ! C’est toujours moi ! Moi ! Moi ! Y’a pas que moi qui suis en retard !
y’a aussi l’autre grosse conne de K. mais elle on lui dit jamais rien ! Putain ! J’en ai plein les
couilles de vos conneries ! » Gesticulants, faisant de grands moulinets avec ses bras, le volcan
déjà en ébullition.
La cadre, habituée à ses débordements, garde son sang froid, et fait son boulot en lui parlant
d’un ton calme mais ferme.
« B., calmez-vous maintenant, arrêtez de bouger dans tout les sens et asseyez vous. Vous
connaissez les règles B. ? On vous les répète tout les matins, à 9H, il faut être là avec tout le
monde, n’est-ce pas B. ? »
« Je m’assoie si je veux et où je veux ! Pi d’ailleurs j’en ai rien à foutre de votre programme à
la con ! C’est tout les jours les mêmes conneries pour débiles ! »
« B. vous vous asseyez et même si cela ne vous intéresse pas, il y a des gens ici que ça
intéresse, alors vous arrêtez votre petit numéro et vous vous calmez. Vous ne voulez pas
repartir en chambre dès le matin B. ? ».
Cette dernière phrase, ça le calme un peu, car repartir en chambre, c’est veux dire qu’il allait
se retrouver avec une perf de calmant dès le matin, voir même être attaché à son lit le temps
que sa crise passe.
« M’en fout de repartir en chambre ! Au moins je verrais plus toutes vos sales gueules ! »
« B., je ne le répéterais pas, maintenant vous arrêtez et vous vous asseyez. »
De mauvaise grâce, il s’assoie nonchalamment sur le rebord d’une table en maugréant….le
briefing pouvait commencer. C’était comme ça tout les matins. Là, je t’ai choisi un beau
morceau, y’avait des variantes, toujours sur la même partition. L’accalmie ne durait pas
longtemps, c’était d’ailleurs étrange, il fallait toujours que B. se retrouve à coté de son ennemi
J., à croire qu’ils le faisaient exprès ces deux là, ou alors c’est une loi de la physique, les pôles
plus et moins d’aimants qui ne peuvent que se chercher. Au bout de deux minutes cote à cote,
le pugilat verbal commençait sec, comme je te lai déjà dit, pour n’importe quoi. Il fallait
encore que la cadre intervienne, menace, les autres passagers grommelant leurs désaccords, ça
tournait vite au brouhaha, toute l’assemblée se tortillant sur les chaises, des « Vos gueules !
On n’entend rien ! », « Putain, faites chier tous les deux ! », « Toujours le même cirque avec
eux ! », fusaient. D’autres, comme moi, restaient silencieux, attendant gentiment que la crise
passe, et ca passait, après moult menaces et haussements de ton de la cadre et des infirmières.
Le briefing tournait court, et fallait voir la tête des nouveaux arrivants de la veille ou de la
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nuit….et oui ! C’est ça une unité psychiatrique ! Bienvenu à bord ! Z’allez voir on va pas
s’ennuyer ! C’est juste une histoire d’habitude, demain vous serrez rodé. Les yeux ronds,
hébété par tant de violence, les nouveaux se demandaient sur quel drôle de navire ils avaient
atterris. P’tet une erreur lors de l’enregistrement de la croisière.
Pour en finir avec B., ses accès de violence redoublaient lorsque ses parents venaient le voir.
Son père restait silencieux, le visage impassible, les yeux perdus, remplis de tristesse,
désemparé devant la maladie de son fils, ses mots et ceux de son épouse n’apaisant en rien
leur fils, bien au contraire, ces visites se terminaient toujours par B. engueulant ses parents
devant tout le monde. Ils partaient, sa mère les yeux embués de larmes. Immédiatement après,
B. partait dans son délire de persécution, criant, gesticulant, insultant ses parents…la crise ne
s’arrêtant que par une perf, son gros shoot de l’après-midi. Apres en avoir su plus sur lui, il
était comme ça depuis l’enfance, il avait trainé d’instituts en écoles spécialisées, puis une
longue liste d’hôpitaux. Ici, il y était depuis huit mois.
Viens le tour de J., la vingtaine, pas très grand, brun, barbe de trois jours, obsédé par la
propreté de ses vêtements de marque, enfin des contrefaçons qu’il porte. Complètement
shooté toute la journée, il parle d’une voix lente, à peine audible, t’es obligé de venir coller
ton oreille vers sa bouche pour entendre ce qu’il raconte. Toujours en manque d’argent ou de
clope, il passe sa journée à faire le tour des passagers pour taxer du pognon, du tabac. J’ai été
certaines fois généreux envers lui en le dépannant, mais j’ai vite arrêté. Outre son obsession
maladive pour la propreté, il n’a qu’une phrase à la bouche qu’il répète sans fin: « Hein j’suis
pas fou ! Hein, toi aussi tu sais que j’suis pas chéper ……. (« chéper », perché en verlan. Etre
« percher » est un mot de toxico à l’ecstasy, c’est lorsque tu es en phase « haute » de l’effet de
la came). Y’en a qui sont « perchés » en permanence, lui par exemple. Comme B., c’est un
psychotique qui peux partir d’un seul coup, il va s’énerver, monter dans les tours, pour finir
par d’incompréhensibles phrases criées dans tout le navire. Beaucoup moins rapide que B., il
va arpenter lentement les ponts du bateau à la recherche de B. pour une joute verbale qui
finira toujours par K.O technique de J., s’en suis des crises d’automutilations où il va se
taillader les avants bras avec n’importe quoi. Un véritable calvaire pour les soignants, toujours
en train de faire attention qu’un objet plus ou moins coupant, tranchant lui arrive entre les
mains. Je l’ai vu se taillader les bras avec une petite cuillère….faut le faire quand même…il y
aller franco. Deuxième vice du personnage, la fugue. Malgré sa lenteur, il a le chic pour
échapper à la vigilance des soignants et foutre le camp du bateau, se barrer n’importe où.
Heureusement, vite perdu, ses cavales se terminent généralement à l’arrêt de bus en contrebas
du bateau, à une centaine de mètres du navire. Cela reste toujours des moments de panique
pour les soignants, mais connaissant ses habitudes, ils allaient le rechercher. Une fois de
nouveau parmi nous, il te racontait qu’il était parti faire un tour à B. la plus grande ville d’à
coté, ou bien qu’il revenait d’un voyage en Afrique….complément à la masse. Lui aussi, sa
croisière se comptait en mois.
Pour finir avec les psychotiques les plus violents, viens D., 35ans, un grand mec, un bon
mètre quatre vingt, quatre vingt dix, rempli de beaux tatouages. Un beau gosse lui aussi, le
teint mat, les yeux bruns. Toujours avec un bonnet sur la tête, enfoncé jusqu’aux yeux et des
fringues de rappeur. En ce moment, il a tout l’avant bras droit dans le plâtre suite à une
violente garde à vue. Embarqué par les flics pour une bagarre où il était complètement
défoncé à l’alcool et la coke, une fois en cellule, il essaya de briser le verre blindé d’un coup
de poing. C’est pas le verre qui céda.
Interné de force sur le bateau, j’ai vite été son pote. Avec D, tu peux discuter, parler de choses
et d’autre, raconter ton parcours. Lui aussi n’étant pas avare de paroles, on se raconte nos vies
et nos espoirs de partir au plus vite d’ici, d’en finir avec nos toxicomanies. D. sert comme moi
de modérateur pour les excès de B., on se complète un peu. Père d’une petite fille, sa
compagne vient souvent le voir pour lui apporter des frusques propres, des clopes, des revues
et malheureusement, de la came. Elle ne reste pas longtemps, car D. est toujours défoncé, je
vois bien que ça lui fait mal au cœur de le voir dans ces états, mais elle est responsable,
pourquoi elle lui amène de la came aussi ? Elle l’aime beaucoup, ça se vois, alors elle se plis à
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ses demandes. D. hormis les médocs qu’il prend, il trouve le moyen de fumer du shit, et pire,
il prend de héro en rails. Alors ces jours là, il traine sa grande carcasse mollement dans le
bateau, reste vautré sur un des bancs du patio, roulant au ralenti ses clopes, les yeux glauques.
Poly toxicomane, il peut devenir violent les jours ou n’ayant plus de dope, les crises de
manque se font sentir, alors il gueule, il en a après le monde entier, frappe avec son plâtre
contre les murs. Les soignants sachant pertinemment qu’il se drogue en cachette, attendent
vraiment le dernier moment pour lui faire une perf de calmant….qu’est-ce que tu veux qu’ils
fassent d’autre….. D. n’a que peu de volonté pour s’en sortir. Il ne rêve que d’une chose une
fois dehors, monter un gros coup pour faire un bon bizness de revente et partir en Thaïlande
avec femme et enfant. Tu parles….le rêve de tout bon toxico qui se respecte. Dès mon
deuxième jour sur le bateau, il me proposa ses services, me demandant si j’avais besoin de
quelque chose, faut comprendre de la dope. N’ayant besoin de rien, il me demanda de garder
le secret, ce que je fis, j’suis pas une balance. On était devenu pote, il avait compris qu’il
pouvait me faire confiance. Ancien militaire, il avait fait la guerre des Balkans, d’où il était
revenu cramé. C’est durant ce séjour qu’il devint toxico en allant piller les stocks de morphine
de l’infirmerie. Une fois revenu, il était déjà trop tard, viré de l’armée, ce fut pour lui la
descente dans l’alcool et la came. Alternant les séjours en prison, les petits contrats
d’intérims, la perpétuelle recherche de came et les inefficaces cures de desintox, D. brulais sa
vie par tout les bouts. Doué pour la sculpture sur béton cellulaire, il créait de jolies choses, des
masques, des totems, il m’avait promis de m’en faire un, je suis parti avant qu’il n’ai pu
m’offrir une création.
Surprenant non ? De voir de la came rentrer dans un hôpital psychiatrique, ben c’est la triste
vérité. Tout rentre ! De l’alcool, du shit, de la coke, de l’hero, des acides ! Tout ! Tu peux tout
avoir, moyennant finance bien sur…normal, comme dans le vrai monde. Le bizness est bien
rodé, ceux qui partent en perm pour le week-end, ramènent les marchandises pour les clients
du bateau le dimanche soir, où il y a peu de soignants pour faire la fouille approfondie des
bagages ou du gazier servant de mule. C’est aussi simple que ça. Certains rentrent même fin
défoncés, titubants, puant l’alcool. Ils se font engueuler, menacer de suppression de
permission, ils s’en foutent, montent au pont supérieur pour les médocs et le repas puis vont
vite se coucher, pour cuver leur cuite.
Viens ensuite le tour de ceux que je n’arrive pas à « classer » dans mon inventaire des
pathologies. Un toubib me le dirait tout de suite, mais j’en ai pas un sous la main. Il y a deux
vieux à bord J, qui est mal voyant, presque aveugle et J.M. qui malgré des signes de sénilités,
reste vif et a beaucoup d’humour.
J. est le premier réveillé sur le navire, dès l’aube, il commence ses cris, je t’en ai parlé dés le
début de J., celui que je voulais tuer à coup de batte de base-ball…..en fait, j’ai compris
pourquoi il criait sans cesse, il était attaché pour la nuit, normal qu’il gueule pour qu’on
vienne le libérer des sangles. Baignant dans ses excréments, les couches aillant foutues le
camp durant la nuit, J. attendait. Parfois, ses cris s’arrêtaient, et il chantait des extraits de
vieilles chansons, puis il partait dans des éclats de rire. Sa phrase fétiche, celle répétée à
longueur de journée est : « Vous ne m’aurez pas ! Vous ne m’aurez pas ! » ……à qui pouvais
t’il bien s’adresser ? Quels démons pervers venaient lui chatouiller les neurones ? Totalement
abandonné, jamais je n’ai vu des gens lui rendre visite. Une fois j’ai demandé aux soignants
ce que J. faisait ici, qu’il n’était pas à sa place, qu’il serait mieux dans une autre structure, en
réponse j’ai eu droit à un haussement d’épaule qui signifiait « qu’est ce que tu veux mon
gars ? On y peut rien, il est là, on fait avec. ». Un laissé pour compte. J. mangeait rarement
avec nous autre, c’était trop compliqué, il était trop lent, alors un soignant lui donnait sa
pitance dans sa chambre, comme un vieux clebs qu’on veut cacher. Le reste du temps, ils le
baladaient de la salle TV à sa piaule, il ne descendait jamais au pont inferieur, où très
rarement, car les soignants avaient peur qu’il se blesse en tombant. L’Ankou aiguisait sa faux
et calligraphiait avec application le nom de J. sur sa liste. Il est patient L’Ankou, très patient,
mais il arrive toujours le moment venu.
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L’autre vieux est J.M., plus autonome, J.M. est très poli avec tout le monde, il marche à petits
pas dans ses charentaises, des petits pas rapides, on dirait presque qu’il glisse sur le carrelage
du bateau…zip, zip, zip……il avance, sait toujours où il va. Parfois, il s’arrête brusque,
fouilles dans ses poches, trouve ce qu’il cherchait, une pièce, un bout de papier, un mégot
pieusement emballé, et reprend son chemin, j’allais écrire sa course….faut pas que j’exagère
quand même…..J.M., au même titre que J., tu te demande se qu’il fait là, hormis quelques
petites pathologies dues à son âge, radotages, petits « oublis » pipi dans son falzar, il n’a rien
n’à faire dans cette unité psychiatrique. J. et lui, leurs voyages sur le bateau se compte en
mois, voir en années il me semble. A croire qu’ils étaient là, tout les deux, attendant dans le
champ, pi qu’un jour, les pelleteuses sont arrivées, les maçons, les divers corps de métiers et
qu’ils ont construit le bâtiment autour d’eux. Y sont restés là et tout le monde les a oubliés.
J.M. et moi on s’entend bien, je l’aide manger, puis comme je connais quelques mots en
Breton, je vois au fond de ses yeux un grand plaisir à entendre ces mots, alors il me répond en
Breton, ca lui donne beaucoup de joie. Il m’apprend des mots, des phrases. C’est compliqué le
Breton, et puis c’est tout en nuance, il y a des blagues qui sont intraduisibles en Français car
ça ne sera pas drôle une fois traduit. Au début de mon embarquement, ça me dégoutait sévère
de le voir manger, de s’en foutre partout, les longs bruits de sussions lors du sempiternel
potage du midi et du soir, depuis, j’ai encore du mal, lorsqu’on me propose de la soupe, je fais
un peu la grimace tellement j’en ai bu des litres sur le bateau.
A force, je me suis habitué et ça me faisait mal au cœur de le voir galérer manger, tout le
monde autour s’en foutant total, les soignants ayant d’autres chats plus retords à fouetter.
Alors, comme j’avais fini d’avaler mon repas plus vite, j’allais m’asseoir à coté de J.M. Là,
entre deux cuillerées, je lui demandais qu’il me parle un peu de lui. Moi je le tutoyais, mais
lui, rien à faire, il m’a toujours vouvoyé. J’avais beau lui dire de me dire « tu », non, il me
disait que j’étais trop gentil pour qu’il puisse me tutoyer. Il ne se souvenait jamais de mon
prénom, il m’appelait « monsieur ». Agriculteur depuis toujours, J.M. me racontait sa vie à la
ferme familiale, sa courte éducation, et son plus beau souvenir, son service militaire dans la
Marine, où il fit le tour du monde. Ses yeux en restaient encore émerveillés par les paysages
qu’il avait vu. C’était encore tout frais dans sa tête à croire qu’il venait de poser son sac hier,
il me parlait de son voyage, avec force de détails.
Il était content que quelqu’un s’intéresse un peu à lui, il me racontait des histoires de vaches
qui avaient du mal à vêler, d’années catastrophiques du au climat, les bonnes années, l’achat
du premier tracteur, les fez-noz, où, comme il me disait « Oohhh ! Ce jour là ! J’ai prit du
plaisir ! Oh oui ! Et je pouvais encore boire du gwin ru ! Pas comme ici ! gast ! » (gwin ru :
vin rouge ; gast : presque intraduisible, se rapproche de notre exclamation : « putain ! »).
Son repas fini, je l’époussetais un peu, enlevais les restants de bouffe qui s’étaient échappés
de la serviette, il y en avait un peu partout, sur sa chemise, son froc, autour de nous, c’était un
véritable chantier. Invariablement, une fois le nettoyage fait, il me serait la main en me
regardant bien droit dans les yeux et me disait : « Merci beaucoup monsieur ». ca me faisait
plaisir. Il se levait et prenait la direction du patio pour fumer sa cigarette……zip, zip, zip…..
Les autres passagers alcooliques, me demandaient comment que je pouvais supporter ce vieux
croumi qui mangeait comme un porc, ma réponse était que si j’étais comme lui, j’aimerai bien
qu’un gazier vienne m’aider un peu…ca coupait cours à toute discussion, et toc ! C’est vrai en
plus…….J’aimais bien venir m’asseoir à coté de lui pour fumer, en plus, ce mois de
septembre était particulièrement beau, un bel été indien, c’était agréable de venir faire les
lézards au soleil. Je lui racontais pourquoi j’étais ici, que je buvais trop, sa réponse était sans
appel : « Moi je n’ai jamais bu plus qu’il ne faut ! Oh si dame ! Des fois au fez-noz je mettais
un peu plus ! Mais c’est tout ! Car le lendemain, il fallait travailler ! Un verre de gwin ru le
midi, un verre le soir et c’est tout ! Toute ma vie ! ». Je le croyais sur parole. Jamais je n’ai vu
un proche venir le voir, lui aussi, on l’avait abandonné. Dans nos discussions, je lui
demandais s’il était marié, s’il avait des enfants, non, il n’avait pas de famille, il n’avait pas eu
le temps de fonder une famille. « J’avais trop de travail pour trouver une femme, gast ! Et
puis, qui aurait voulu de moi ! J’étais sans le sou ! Toujours à travailler, vous savez, c’est dur
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la terre, gast ! Pas d’horaire ! ». Je lui répondais qu’il devait bien avoir quelques mignonnes
de son village qui auraient bien voulu de lui lorsqu’il était jeune, il coupait la discussion d’un
revers de la main. J’avais appris par les soignants qu’il lui restait un frère, qui venait que très
rarement le voir. J.M. ne m’en parlais jamais.
Voila, pour les deux plus vieux du navire…sur, je passe demain, je les retrouve au même
endroit, à la même place, si l’Ankou n’est pas passé avant moi.
De qui je vais bien pouvoir parler maintenant ? Ben oui ! Mes loulous, les compagnons de la
beuverie, toute la horde des terribles du goulot, les féroces de la bouteille, les petits princes de
la descente facile, les orfèvres du vomi sur les godasses, les spécialistes de la traversée de la
cuite en équipage ou solitaire, les piliers de comptoirs remplis de croquantes anecdotes que
même une vingtaine de volumes de 1000 pages écrit sur papier bible ni suffiraient pas.
Franchement, te les décrire un par un, ça va être laborieux, faire comme je l’ai fais plus haut,
du cas par cas, on va pas tenir, ni toi, ni moi….sur, ça serait éducatif pour les futurs médecins,
leur expliquer comment y fonctionne l’alcoolo en hôpital psychiatrique …Oh ! Tiens ! Ça me
fait penser au jour où un jeune interne option psychiatrie passa deux jours avec nous….faut
que je te raconte, honnêtement, maintenant, j’ai vraiment envie de me marrer en écrivant ces
lignes, parce que lui y savait vraiment pas où il débarquait…….
Promis après, je reviens sur le descriptif des passagers de la biture.
Donc, je sais plus quel jour, arrive avec le staf des toubibs, un jeune gars, la vingtaine, Olivier
ou Sébastien, je crois, là je peux citer son prénom, y m’en voudra pas, puisque entre temps, il
a peut-être changé de spécialité. Enthousiaste qu’il est le carabin ! Il rayonne de bonheur
d’être parmi nous, ça ce vois, il dit bonjour à tout le monde, ne perds pas une miette des
paroles de ses pairs, il arrive juste pour le briefing de 9H, il croise tout les zombis du bord,
mais étant fier de son rôle de futur toubib, il est sur un petit nuage.
Le hasard fait que nous sommes assis cote à cote. Comme tout les jours, le briefing démarre
sec par une belle prestation de B. et J., la routine quoi ! Du coin de l’œil, je l’observe le
gamin, et plus le concerto augmente, plus je le vois changer de tête, limite il blêmit, deviens
presque blanc. Son visage en dit long, il ouvre de grands yeux ronds qui roulent dans tout les
sens, complément paumé, il ne prend pas de note, mais dans son crane, ça carbure sévère.
C’est ça la psy ! Mais on m’avait pas tout dit à la fac ! Putain ! Merde ! Mais y sont tous
vraiment siphonnés ici ! C’est l’enfer sur terre ! C’est des comme ça que je vais devoir me
coltiner le reste de ma carrière ? Ouhlalala ……ça va pas être possible….faut que je vois le
doyen vite fait pour m’orienter en chirurgie ou une autre spé……
Apres le magnifique numéro de duettiste matinal et la cacophonie du final, tout le monde se
lève pour la standing ovation, je lui glisse à l’oreille « intéressant non ? » avec mon plus beau
sourire moqueur, il en bafouille presque tellement il est sur le cul.
« Oui…oui….intéressant…. ». C’est plus le jeune homme fringuant de tout à l’heure. Il part,
les épaules basses, presque KO debout avec la troupe des toubibs, j’ai même l’impression
qu’il titube légèrement, mais j’me fais du cinoche, trop content de ma petite vanne que je lui
ai glissé. Après, il s’est collé près de la toubib chef et je n’ai pas pu entendre ce qu’il lui
disait, dommage, mais je voyais que son débit était rapide, il en revenait pas……
Plus tard dans la journée, remit de ses émotions, il était en binôme avec mon psy référent sur
le bateau, elle nous présente et nous laisse tout les deux. Et là, je sais pas ce qui me prends,
j’ai envie de le tester, il m’est sympathique, pas du tout fier, ni hautain, loin de là, mais
comme je vais déjà beaucoup mieux, j’ai envie de m’amuser un peu. Nous nous asseyons, et
j’ouvre la discussion sur son choix de la psychiatrie. Bien sur, remit sur ses jambes depuis ce
matin, il me sort un fabuleux et enthousiaste laïus sur son choix, le besoin d’aider les gens en
souffrance, et patati et patata…discours que je n’objecte en aucun point, je le laisse parler. Par
moment je lui remémore le cirque de ce matin, lui parle des psychotiques, là, son visage
devient plus sombre, plus perdu, il admet que c’était la première fois qu’il était confronté pour
de « vrai » à ce genre de pathologie….. Entre la théorie et la pratique, y’a une différence hein,
mon coco ! C’était son baptême du feu en quelque sorte. Puis, comme c’est un jeune homme
bien poli, il me demande pourquoi je suis ici, je lui réponds en toute honnêteté, mon
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alcoolisme, ma dépression, ma tentative de suicide, tout, je n’exagère rien, je ne minimise
rien, je lui fais un beau témoignage. Il compatie et fais comme tout les autres toubibs en me
disant que je suis sur la voie de la guérison puisque j’ai déjà admis ma maladie et que j’ai la
volonté de m’en sortir. Et ses yeux glisse sur mon livre ; « Voyage au bout de la nuit » que je
trimbale.
« Vous lisez beaucoup ? » me dit-il
« Ici oui, car c’est une des seules activités où l’on peut-être un peu tranquille…. »
« Oui, et puis cela vous occupe l’esprit…. »
« Tout à fait ! Vous avez déjà lu ce livre ? Moi, je crois bien que c’est ma troisième ou
quatrième lecture, je ne m’en lasse pas ! »
« Non, je n’ai pas lu ce livre, il parait qu’il est formidable. »
« Formidable ? Le mot est faible ! Il n’y a pas de qualificatif assez fort pour en parler, il faut
le lire. »
« J’écouterais vos conseils alors »
Notre discussion est digne d’un salon de thé…..et puis, c’est à ce moment que mon coté
obscur jaillit subitement….
Sur le ton de la confidence, m’approchant plus de lui je lui sors :
« Vous savez, Céline n’était pas aussi antisémite que l’on veux bien le croire….. »
Il en reste baba….je continue sur ma lancé puisque je vois que je l’ai désarçonné...
« Ces fameux pamphlets antisémites durant la guerre, certes il les a bien écrits, admis, mais
Céline était loin d’être l’affreux jojo que tout le monde veux nous le dépeindre
aujourd’hui….lors de ses derniers interviews, il reconnaissait ses tords, et puis il avait muri en
prison, n’est ce pas ? »
Alors là, le gamin, il sait plus quoi dire, me regarde bizarrement, je le sens bien embarrassé, il
se tortille sur son fauteuil …..
« Ah ? Je ne savais pas que Céline avait fait de la prison pour des propos antisémites….. »
« Vous ne le saviez pas ? Tient donc ? » Je me donne un air supérieur…..
« Non, cela a du vraiment entacher sa carrière… »
« Entacher ! Brisé oui ! Plus bas que terre il a été trainé, il le méritait ! Les propos tenus
étaient abjects, pourris ! » Je fais mine de m’emporter….je m’amuse comme pas possible…
« Le sujet vous tient à cœur ? »
« Bien plus que ça…..mais de la à réhabiliter complètement Céline, il y a une marge, ne
croyez-vous pas ? »
« Oui…oui… » il ne sais plus trop quoi répondre ou il me prend maintenant moi aussi, pour
un sérieux psychotique…..je me marre intérieurement et lui sors ma botte secrète, toujours sur
le ton de la confidence l’air mystérieux, comploteur….
« Vous savez, il ne faut pas croire à toutes les versions officielles… »
« Ah ? »
« Bien sur ! Ne me dites pas, que vous croyez à toutes les bêtises que la TV ou les journaux
nous rabâchent !!
« C'est-à-dire que…. »
Je le coupe net.
« C’est comme le 11 septembre ! Tout cela est une vaste fumisterie ! Vous y croyez vous ! À
la thèse officielle ? «
« C’est que…. » Là, il ne sait plus où se foutre, il ne voudrait pas être là, être invisible…..il
me croit définitivement paranoïaque.
Malheureusement pour moi et ma bonne partie de rigolade interne, son calvaire est
interrompu par ma psy qui vient le chercher, merde ! Je m’amusais bien moi ! Il me quitte
toujours très poli.
« Merci de cette discussion et remettez vous vite ! Courage ! Au revoir !» Qu’il me dit avec
son plus beau sourire de circonstance……j’aurais bien aimé savoir ce qu’il a raconté à ma psy
après cette petite entrevue…..Le lendemain, il me dit bonjour mais m’évita comme la peste
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toute la journée !! Je jubilais intérieur, c’est con hein ? Mais ça m’amusais de lui foutre un
peu les jetons.
Alors ? Y z’en sont où mes pochtrons du navire ? Toujours au même endroit on dirait, allez
c’est reparti pour la liste des passagers de la biture.
Moyenne d’âge, entre 30 et 50 ans, certains sont tellement marqués qu’il est impossible de
leur donner un âge. Tannés, ridés, le teint jaune, les yeux vitreux, maigres ou trimbalant un
bide énorme. Tous, sans exception sont fumeurs, l’alcool et le tabac vivent ensembles.
Certains ont les doigts jaunes de nicotine. Les ongles soient rongés ou au contraire, longs,
jaunes, boursouflés, des véritables serres de rapace. Leurs cheveux donnent toujours
l’impression d’êtres sales alors qu’ils viennent de prendre une douche. Pour la plupart édentés
ou aillant une dent tout les trois mètres, leur dentition est un cauchemar. J’en évite certains de
par leur haleine fétide, un véritable charnier, déjà l’odeur de la pourriture cadavérique, c’est
atroce. Dès le réveil, à jeun, tu les vois par grappe, se diriger vers le patio, trainant les pieds,
dans l’aube qui se lève, ils donnent l’impression d’un convoi mortuaire pour aller fumer clope
sur clope, les mains tremblantes, certains ne pouvant même pas rouler leur cigarette. De
véritables zombis, les gueules et les yeux gonflés par les médocs et le sommeil. Malgré les
doses de cheval de somnifères données, quelques un sont déjà debout depuis très tôt, avant
ouverture officielle du patio, alors ils ont fumés dans les couloirs du navire, ça pue le tabac
brun froid, les mégots écrasés dans les tasses à café, plus de respect de rien, ni des règles, ni
des autres, ni d’eux même, ils sont pathétiques, terrifiants de désespoir, malgré tout leurs
vices, leurs défauts, je n’éprouve pour eux que de la compassion. J’aimerais les secouer, leur
dire « allez mec ! C’est fini maintenant, t’as trop déconné, regarde quelle loque t’es devenu !
Tu peux plus continuer comme ca ! Faut vraiment que d’arrête ! », Je sais que se serais peine
perdue. Je suis impuissant et j’y peux rien. Je m’y habitue. Tous, sauf de rares exceptions
comme moi, ont derrière eux un long passé d’hospitalisations, de cures, de sevrages, tous
inutiles. Je passe la plupart du temps avec F., 51 ans, alcoolique « depuis toujours », comme il
me dit. L’alcool lui a tout fait perdre, un job de directeur financier, l’explosion de sa famille,
sa santé. De rechute en rechute, F. est au bout du rouleau, au bout de tout. Comme nous tous,
son alcoolisme s’est marié avec la dépression. F. est arrivé en même temps que moi, en
urgence lui aussi, retrouvé ivre mort, sur le trottoir d’une rue de B., une cuite de plus……F.
déconne à plein tube, il ne prend plus ses médicaments depuis longtemps, alors forcement il
s’est enfoncé de plus belle dans l’alcool. Réaliste, il sait très bien qu’il est là parce qu’on l’a
emmené de force, que les perfus actuelles ne servent qu’à le remettre sur pied, dans deux ou
trois semaines, dehors, il replongera, sa sortie d’ici, il ira la fêter dans le premier rade venu,
boire deux ou trois bières avant de prendre le bus pour rentrer chez lui. Il le sait, il me l’a dit,
tout est déjà programmé.
« Tu sais, maintenant, avec la gueule que j’ai et mon âge, plus personne ne veux de moi,
même lorsque je me présente pour des boulots de manut, ils font la moue, trop vieux….puis
ils comprennent vite, un mec qui a été directeur financier dans une grosse banque et qui vient
quémander un taf de manut, avec ma face de poivrot, c’est sur que je passe pas…. » Il raconte
ça, tirant sur son clope, assis sur le banc, les yeux dans le vague derrière ses lunettes.
« Pi tu vois, j’vais arriver en fin de droit, plus rien….j’c’hais pas c’que j’vais faire….. » là , je
le sens vraiment désespéré, c’est qu’être en fin de droit, c’est vite la descente aux enfers, plus
d’appart= la rue= SDF= encore plus de tise….la lente agonie.
« Tu sais quoi, avant que j’arrive ici, le Pole emploi m’avait convoqué pour un job dans les
champs, pour ramasser je sais plus quoi, je leurs dis que je ne pouvais pas, j’ai le dos en
miette, certificats médicaux à l’appui, ben tu sais quoi ? Ces bandes d’enculés ils n’ont radié
pour cause de refus…..pourquoi pas un stage de danseur étoile tant qu’y s’y étaient….bandes
de cons….Quand t’es dans la merde, elle te colle vraiment aux semelles…j’vais finir avec le
RSA, la mouise quoi…. Pi les assistantes sociales, elles sont bien mignonnes, mais elles font
pas grand choses, moi j’suis devenu d’la merde….»
Mouaih, j’suis vraiment de son avis, malheureusement je ne peux que compatir.
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« Mon ex veux plus me voir, y’a encore ma fille ainée qui veux bien me voir, mais question
que j’aille crécher chez elle, là-dessus, elle a été ferme, pas question que je remette les pieds
chez elle….. »Il devient triste, je le sens bien….se roule une nouvelle clope.
F. est l’exemple type de l’alcoolo dont la lente glissade va le mener on ne sait où, mais
surement pas vers des rivages ensoleillés. D’autres comme P. on carrément lâché toute envie
de vivre, tellement habitué à venir ici, que le personnel soignant ne le vouvoie plus, ils le
tutoient et l’appelle par son prénom. Il fait des allers retours entre dehors et l’hosto. Tellement
malade de partout, tellement brulé de l’intérieur que diverses pathologies l’affectent, en autre
de l’incontinence urinaire. Malgré les couches qu’il doit porter, il arrive souvent que des
fuites viennent souiller son froc, il s’en tamponne royal, s’en rends même pas compte, il pue
l’urine en permanence, hormis les matins, où, ceinturés par les soignants, ils réussissaient
après moult empoignades, à le laver. Il les insultes, car il est mauvais l’animal, hargneux,
méchant, la main leste, faut s’en méfier, il peut te retourner une baffe à la surprenante. Il ne
comprend que la violence, les rapports de forces. Moi-même, pour avoir essayé les méthodes
douces, la diplomatie, j’ai vite arrêté, obligé de pousser ma gueulante, de le choper par le bras
en le menaçant moi aussi de lui foutre sur la gueule lorsqu’il dépassait les bornes. Je me
surprenais d’en arriver à des extrêmes pareils. Il rabaissait d’un ton, maugréant dans son bouc
mal taillé, les yeux noirs, hirsute, toujours avec son espèce de coupe vent dégueulasse hors
d’usage. Me traitant de « p’tit pédé ! Enculé ! » Divers nom d’oiseau des iles…..normal qu’il
se fasse souvent casser la face dehors. Faisant à tout casser une cinquantaine de kilos, ses
frasques verbales ne devaient pas plaire à tout le monde. Les soignants me racontaient qu’il
était fréquent qu’il soit rapatrié sur le navire, esquinté, sortant des urgences, recousus de
partout pour venir entamer une énième désintoxication sur le bateau. Tout juste, s’il n’avait
pas un lit, une piaule de réservés en permanence. P. restait prostré toute la journée, assis sur
une chaise, un banc, se levait pour aller fumer dans le patio, où invariablement, cela finissait
par des engueulades avec B., le jeune psychotique, ou une femme quelconque. Misogyne fini,
la présence d’une femme dans le patio, le faisait partir dans des diatribes pas piqué des vers.
Direct les insultes, va savoir pourquoi, je te passe les détails, les insultes, il se faisait virer
illico après avoir fini son clope ou partait de lui-même en balançant toujours des insultes à
faire pâlir une taulière de boxon. Complément cramé le P., totalement irrécupérable.
C’est pas que ça me casse le moral de me les remémorer tous ces alcooliques, ces malades,
homme ou femme, non….. Seulement, j’en reste un peu amer, non pas que je culpabilise, loin
de là, mais ça me laisse encore presque hébété, avec ce sentiment de totale impuissance face à
tant de détresse. Dix mois après, je me rends compte que cette violente expérience m’a laissé
de belles cicatrices pas encore refermées. Cinquante sept passagers sur le bateau, cinquante
sept cas différents, cinquante sept histoires, cinquante sept êtres humains plus ou moins
perdus, cinquante sept cas enfermés sur les deux ponts d’un bateau échoué à quai, envasé,
comme les cerveaux des cinquante sept passagers.
Je ne peux pas les quitter sans te parler de L., la plus jeune du bord, la vingtaine, elle aurait pu
être ma petite sœur. Elle est mignonne comme tout L., mince, brune, les cheveux courts, pas
trop de poitrine, sportive, l’esprit vif malgré tout les médocs qu’elle prend. Elle ne se laisse
pas marcher sur les pieds et remet vite à sa place B. qui la drague lourdement dès qu’il a un
moment de lucidité. L. est arrivée une nuit, après une alcoolisation massive, je ne connais pas
les détails de son hospitalisation, sauf qu’un matin, j’ai fait sa connaissance. Jeune étudiante
en école d’infirmière, elle buvait toute seule dans son appart, des doses dangereuses de vodka,
mêlées avec un cocktail d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et d’amphétamines qu’elle volait
dans la pharmacie de son école. Ca n’a pas duré longtemps, vite grillée, ses études ont faillit
s’arrêter net. Rattrapée de justesse, malgré ses promesses, elle retomba vite dans son
alcoolisme. On s’entend bien elle et moi, souvent, elle pleure sur mon épaule, ça me fait tout
drôle, elle est comme une petit fille, je la console comme je peux….elle me fait mal au cœur.
Les rapports tendus avec ses parents n’arrangent en rien les prémices de sa guérison, leurs
visites se terminent toujours par des crises de larmes que je dois gérer avec l’aide des
soignants. L. a les yeux tristes, j’espère qu’elle s’en sortira, elle le mérite, elle est trop jeune
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pour tout gâcher. Le jour où je suis parti du bateau, je l’ai cherchée, je ne voulais pas partir
sans lui dire au revoir. Je l’ai trouvé à l’atelier peinture, elle faisait de la poterie, je lui ai fait
une bise en lui disant qu’elle prenne soin d’elle, que sa vie était trop précieuse.
« Tu vas me manquer… » Qu’elle me dit, de grosses larmes coulant sur ses joues, elle tourna
la tête et repris son travail sur le tour. J’étais ému, mais comme je partais, mon émotion fut
contenue par le fait que je quittais la nef des fous.
LE PAQUEBOT
Lundi 26/09/11, 16H15.
Me voila sur le nouveau bateau, un beau trois ponts, je suis pour l’instant sur le pont numéro
deux avec un compagnon de chambre que je ne connais pas encore. Normalement, demain, je
devrais avoir une chambre individuelle, nous verrons ça.
Je suis sorti vendredi de L. , que j’ai quitté avec un sentiment de joie mêlé d’un peu de
tristesse. J’aimais bien certains de mes compagnons de la nef des fous.
Le week-end à la maison fut agréable, mais comme toujours, la transition dans le vrai monde
me laisse parfois dans un état d’épuisement moral et physique. J’ai fini le parcours des poules,
nettoyé en grand le poulailler. Pas eu le courage ni la force de passer la débrousailleuse. Les
chattes vivent leurs vies, Plume et Cookie (deux de nos chattes), se courent toujours après,
elles sont vraiment très amusantes à regarder. Les enfants se sont habitués à cette nouvelle
situation, la vie reprend son cours.
Ce qui est étrange, c’est que lorsque je reçois de la visite à la maison, j’ai l’impression que les
gens viennent voir un grand malade, un cancéreux auquel ont fait moult efforts pour ne pas
parler de sa maladie. Certes, il est vrai que je n’avais nullement envi de parler de mon séjour,
mais de faire comme si rien n’était arrivé, me laisse démuni de paroles. Ce matin, j’ai appelé
J.F. (mon numéro deux au boulot), Comme à son habitude, il a été très gentil et compréhensif.
Comme je suppose que tout à du être su au sujet de mon hospitalisation, il m’a dit de prendre
mon temps, de me soigner. Je lui ai dit que je leur donnerai de mes nouvelles de temps en
temps. Je suis ici pour un minimum de deux semaines, sans permissions pour le week-end,
cela nous a donné un petit coup au moral Gaëlle et moi, mais que veux tu, c’est comme ça.
C’est clean ici, apparemment, pas de psychotiques comme je pouvais avoir sur l’autre navire.
Pas eu le temps cette après-midi de faire le tour complet des bâtiments. Visite du médecin et
j’attends dans la fin de journée le ou la psy qui me suivra durant mon séjour. Il y a un grand
parc arboré très beau en cours de réfection au niveau des allées. J’ai rencontré Mr. P., qui était
avec moi sur l’ancien bateau, lui aussi, il vient d’arriver aujourd’hui. J’étais content de le voir,
il a meilleur mine.
Le paquebot est mixte, car ici, ce n’est plus un vulgaire navire, et tous les âges sont mélangés.
En zonant un peu pour lire les panneaux d’affichages, j’ai croisé les mêmes têtes de
dépressifs, d’alcooliques. Pas beaucoup de zombis assommés aux médocs. Je ferais plus
connaissance avec tout ce monde demain.
Mon stress retombe un peu, mais c’est pas encore la pleine forme. J’entends encore les
démons ricaner autour de moi, mais maintenant je vais bientôt avoir les boites pour les
enfermer, j’espère, définitivement. C’est vrai que me retrouver là, à 45 ans, j’ai quand même
bien les boules, tout ce gâchis, cette perte de temps, toute cette destruction que j’ai semé
autour de moi. Je n’ai pas encore donné un sens à ma vie, et j’ai du mal à accepter que ma vie
pourrait être, comme la plupart des sept milliards d’humains, une vie toute bête, toute simple.
Et encore, je n’ai pas à me plaindre, je vis dans un pays sans guerre, je mange tout les jours,
j’ai un toit, une famille, de beaux enfants en pleine santé, une femme qui n’aime, pas de
soucis d’argent, et malgré tout ça, je cherche toujours mon bonheur. La quête spirituelle, le
mysticisme ne m’intéresse pas, c’est du vent, un truc trop simple, les seuls à la limite qui
serraient en passe de m’attirer, seraient les Bouddhistes, et encore, la quête est trop longue,
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trop compliquée pour moi, je suis encore trop impatient, malgré tout les efforts que je produit.
Non, décidément, plus j’y réfléchi, plus je ne crois pas en cette quête spirituelle. Par contre,
j’aime les jolies histoires, légendes que tout cela à produit. L’ennui avec les croyants de tous
bords, c’est que depuis toujours, ils ont foutus la planète à feu et à sang, rien que pour prouver
qu’ils sont tous aussi cons les uns que les autres, et leurs conneries ne sont pas prêtent de
s’arrêter. En plus, comme si cela ne suffisait pas, il a fallut qu’ils se mettent en cheville avec
les plus pourris de la planète, les hommes politiques, les grands patrons, les marchands
d’armes, les producteurs de pétrole, toute la crème du fumier humain dirigeant d’une main de
fer les couillons de notre espèce.
Ah merde ! j’vais pas n’énerver avec tout ça à peine arrivé ici. De tout façon, c’est peine
perdue, j’ai arrêté depuis longtemps d’être utopiste, de croire en le bon sens de l’homme. Non,
tout finira dans une bouillie sanglante, des guerres perpétuelles pour l’eau, la terre, l’énergie
uniquement pour le profit du complexe militaro-industriel et les dividendes de compagnies
comme Northrop Gruman, Halliburton, Total. J’en suis devenu à être cynique, même parfois
d’espérer qu’un cinglé quelconque fasse pêter une belle bombinette nucléaire, rien que pour
déconner, voir un peu le bordel que ça pourrait foutre. Oui, c’est ça, cynique, après tout, c’est
p’tet ce qu’il y a de mieux à faire, laisser faire et improviser après….Je m’égare dans mes
pensées, j’étais parti sur mon arrivé ici, ce nouveau bateau, et me voila encore en train de
pester contre les ordures qui tirent les ficelles d’en haut.
J’ai presque envi de dormir, tout ça m’a fatigué aujourd’hui, je sens mon stress tomber.
Ne pas oublier mon objectif initial, sortir en meilleure santé mentale rapidement de ce
paquebot, retourner dans le vrai monde.
REECRITURE
Ca se voit que j’allais un peu mieux, je commençais à m’énerver sur les injustices de ce
monde à peine arrivé. Le séjour en hôpital psychiatrique était pour me désintoxiquer et refaire
tomber la pression, ici, sur ce paquebot de luxe, c’est de la post-cure, c’est totalement
différent. Je n’ai plus à cacher mon téléphone portable, j’aurais même pu apporter avec moi
un PC portable pour me connecter au Web. Dans cette première chambre très propre,
confortable, le lit est moelleux à souhait, ma couette est juste chaude comme il faut, le cabinet
de toilette est d’une propreté exemplaire. Mon compagnon et moi avons un bel écran plat en
guise de TV. C’est vraiment le grand luxe. Le personnel soignant, pratiquement que des
femmes, est plus nombreux que sur mon ancien bateau. La gentillesse est la même. Le
nombre de passagers est plus important aussi, 137 pèlerins à bord repartis sur trois ponts, un
magnifique parc avec de grands arbres, de grands espaces gazonnés, des terrasses avec du
mobilier pour faire la causette et fumer, une volière, un joli bassin peuplé de carpes Coits. Pas
de cris, de beuglements de psychotiques, c’est plutôt des rires que l’on entend, c’est calme,
très reposant. C’est ce que j’ai remarqué en premier, c’est le calme, presque déconcertant, moi
qui arrivait d’un univers où la violence était présente chaque instant, je me retrouvais dans un
lieu au calme presque monastique. Juste ce qu’il fallait pour réfléchir, redémarrer sur de
nouvelles bases.
Mardi 27/09/11, 19H40.
Quel drôle de paquebot de luxe sur lequel j’ai embarqué. Ca change de l’autre bateau. Pas de
travaux d’intérêts généraux, pas de psychotiques furieux, rien que du bon dépressifs,
dépressives remplis de médicaments. A première vu, je pense qu’il y a une majorité de
femmes de tous âges. J’apprends par brides les histoires, les destins de chacun. Pour l’instant
je parle qu’avec peu de monde. Aujourd’hui, je n’ai parlé qu’avec mon compagnon de
chambre S., une jeune femme déjà très marquée par l’alcool dont j’ai oublié le prénom, et
B.un maniaco-dépressif très excité. Des histoires confuses, des amalgames de vies, chacun
essayant de parler de son cas, surtout cette jeune femme, de ses « campagnes », les tournées
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des divers hostos, cures diverses, des souvenirs d’anciens combattant de la défonce. Je me
suis limite emmerdé aujourd’hui tellement la prise en charge est totale, sauf, comme
d’habitude, avoir un rendez-vous avec un psy ou un médecin est un véritable parcours de
santé. Pour ma part, rendez-vous demain, 14H15 avec mon psy référent. Franchement, je me
demande bien ce que je fais ici, je pourrais largement faire la même chose à la maison et
continuer ma psychothérapie à C., reprendre le boulot. Je commence à trouver tout cet univers
toxique, malsain, tu pourrais largement te laisser bercer par cette douce torpeur de l’inactivité.
Bon, je suis prêt à honorer mon contrat moral jusqu’au bout, c'est-à-dire deux semaines au
minimum. Je trouve que tout cela ne m’est pas adapté.
REECRITURE
Le confort de ce navire de luxe et la totale prise en charge du passager par les soignants, font
que les journées sont longues, le calme absolu qu’il y règne joue aussi beaucoup sur le
sentiment de cocon bienfaiteur. Quelque part, ce sont les buts recherchés, calme, repos,
médicaments, bon repas, cadre agréable dans lequel tu peux faire de longues promenades en
groupes ou seul, regarder les joueurs de pétanque. Pour moi, qui avais été habitué à des
ambiances plus sportives c’était assez déconcertant. Comme dans le texte original, je me
demandais bien ce que je faisais sur ce paquebot. J’avais l’impression que j’y étais pour rien
et la compagnie de certains passagers « toxiques », plus toxiques que mes anciens
compagnons m’était désagréable. Je préférais rester tout seul, à lire ou à jouer avec mon
téléphone (j’avais pris soin de charger des jeux dessus). Je me rends compte maintenant que
j’étais déjà sur la voix de la guérison, le journal de bord étant moins rempli. L’introspection
avait commencé, lors de mes promenades solitaires dans le parc. Gaëlle faisait sont maximum
pour venir me voir tout les jours, m’apportant livres, vêtements propres et cigarettes. Les
journées étaient comme sur mon ancien navire, rythmées par les horaires des prises des
médicaments et des repas, tout le monde faisant bien gentiment la queue. Un véritable petit
paradis de la déprime. J’avais trouvé « ma » place dans la salle restaurant, à coté de mes
compagnons de table, tous plus polis les uns que les autres. Mais quelque chose me gênait, je
n’arrivais pas savoir ce que c’était. Maintenant, dix mois après j’ai enfin trouvé : cet immense
paquebot de post cure n’est en fait qu’une énorme machine à fric.
Mercredi 28/09/11, 19H20.
Bonne nouvelle, je devrais quitter le paquebot de la dépression mercredi prochain, suite à mon
rendez-vous avec le psy de cette après-midi. Un long entretien durant lequel j’ai exposé
clairement mon cas, c'est-à-dire le sentiment que je ne sentais pas vraiment à ma place sur
cette croisière de luxe. Son avis allait dans mon sens, ce qui me réconforta et me redonna le
sourire. Il était d’accord que je n’avais rien à faire dans ce navire, mais que ma dépression et
de mon addiction à l’alcool étaient à prendre très au sérieux. Mon cas ne nécessitant pas une
croisière au long cours comme certains des passagers.
Aujourd’hui, il a fait un temps magnifique, même trop chaud, le paquebot s’est transformé en
solarium. Ici, il y a une majorité de femmes, dont certaines, des folles de leur corps et des
fringues. Alors cette après-midi, c’était la croisette dans le parc, tout juste si certaines ne
s’étaient pas mises en maillot de bain, rien que pour énerver les gaillards en marcel. Une de
mon étage, je crois bien qu’elle a due changer au moins trois ou quatre fois de tenues dans la
journée. Elle me fait penser à l’ex-femme de Laurent, un des cousins de Gaëlle. C’est étrange
ce genre de femme….
Il y a tout un groupe dans ce gynécée, tu sens, rien qu’en les regardant, les harpies, les folles
furieuses en cas d’embrouilles, ça caquette, ça parle fort, sauf les plus défoncées aux médocs.
Je ne peux pas m’empêcher de laisser trainer les esgourdes, alors là, c’est toujours les mêmes
histoires ; de frusques, de cheveux, de poids, et surtout tout les bonhommes avec lesquels
elles se sont macquées. Tout ca finissant par des mômes de divers pères, de féroces ruptures,
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des engueulades terribles, des coups, les flics, un peu de prison pour certaines. Le terreau des
faits divers qui occupent les colonnes du « Télégramme de Brest ».
Puis y’a celles qui ont glissées dans l’alcool, la came, complètement détruites, marquées sur
leurs visages, de drôles de cicatrices sur les poignés, les bras, les jambes…pathétiques,
hagardes….Je devine qu’elles sont des habituées fidèles du paquebot. Elles connaissent tout le
monde, toutes les infirmières qu’elles appellent par leur prénom.
Idem pour les gaziers, les abonnés de la croisière, le perpétuel balai entre dehors et le navire.
Des mecs ruinés, des gueules de clodos avinés, les sans âge…ça fait peur.
Bon, certes….j’me suis toujours moqué gentiment de ces gusses, leurs frasques, divagations,
leurs discours de poivrots, les discussions de comptoir….mais maintenant, moi qui ai gouté
aux joies de la croisière organisée, ben, j’vois ça d’un autre œil…….c’est pas reluisant tout
ça….
J’ai un nouveau compagnon de chambre, un véritable lui, pas un mec qui a fait semblant avec
le biberon, j’espère, qu’ils vont bien le shooter ce soir, c’est pas qu’il me fait peur, mais j’ai
toujours une petite méfiance envers ce genre de mec, surtout que j’ai une grande expérience
dans la matière, vu mon ancienne affectation sur la nef des fous……j’écrira ça demain, le
résumé de la nuit.
En tout cas, je suis bien content de pouvoir foutre les bouts dans peu de temps.
REECRITURE
Tu te rappelle de cette série qui passait à la TV dans années 80, « La croisière s’amuse » ?
Ben j’suis dedans, si ! si ! Ici, c’est comme dans le feuilleton, le pacha au costume blanc
immaculé, des personnages sympas, et pour expliquer aux jeunes, je fais une copie du
synopsis (Merci Wikipédia) :
« À bord du luxueux paquebot Pacific Princess qui vogue sur l'Océan Pacifique, tout le
monde, ou presque, cherche l'amour. Une équipe efficace et sympathique est là pour satisfaire
au mieux les passagers et, même si les choses ne se passent pas toujours aussi bien qu'on le
voudrait, l'amour finit toujours par triompher.
Dans la deuxième série, le Sun Princess succède au Pacific Princess.
Chaque épisode reprend le même scénario. Trois histoires en parallèle :
Un couple embarque en situation de séparation ou se dispute en début de croisière, puis se
réconcilie avant la fin de l'épisode.
Deux personnes ne se connaissant pas se rencontrent, se fâchent puis vivent le grand amour ;
Un membre de l'équipage rencontre un des passagers, se dispute avec lui à cause de leur
histoire passée, un autre membre de l'équipage réussit à les réconcilier.
Certains épisodes spéciaux (cross-over avec d'autres séries) ne suivent pas nécessairement
cette trame. »
C’est beau non ? Putain ! C’était nul à chier !! J’en ai jamais regardé un jusqu’au bout
tellement c’était gnangnan….mais pour les futures et jeunes générations, ça mériterais d’être
étudier pour voir ce qu’on l’on pouvait faire de pire dans les 80’. Pourquoi cette
comparaison ? Parce que sur mon paquebot de la déprime, c’est comme sur le « Pacific
Princess », prise en charge totale, petit déjeuner servi en chambre, personnel aux petits soins
avec les passagers et la seule occupation principal qu’il y a faire pour les moins déprimés,
c’est de draguer. J’me demandais aussi pourquoi toutes les femmes faisaient des efforts de
toilette, de maquillage aussi intenses comparé à mon ancien bateau….c’est que sur le
paquebot, les jeux de la séduction y sont intenses. Peut-être est-ce voulu par les pontes, les
pachas qui dirigent le paquebot, que ça dragouille ainsi ? P’tet que c’est dans le protocole de
guérison, retrouver une belle image de soin, redevenir séduisant(e), se prouver qu’on n’est pas
devenue forcement la serpillère à vinasse que l’on était au début. Bon, pour certains(es), c’est
trop tard, l’alcool et la dépression ont trop fait de dégâts irréparables, les visages et les corps
trop abimés, la bloblotte, les haleines fétides, plus l’envie de s’en sortir…se laisser sombrer,
encore et encore, toujours plus profond, sans espoir de faire surface. Alors, pour les plus
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belles et plus beaux, la drague était la seule occupation valable pour tuer le temps. La plupart
étant dans des situations sentimentales difficiles, divorcé(e), en passe de l’être, seul(e) depuis
trop longtemps, d’improbables couples se formaient, exposant aux yeux des autres, leur
nouvelle et dévorante passion amoureuse. Je me demandais bien ce que tout cela allait donner
une fois dehors……Avec un taux de 90% de rechutes, les traitements dispensés sur le
paquebot ne peuvent qu’entrainer que de nouveaux drames liés à l’alcoolisme. Une mine d’or
pour les responsables du paquebot, un gouffre financier pour la communauté. Puisque j’en
suis dans les chiffres, l’alcoolisme en France c’est 100 morts par jours et 20 milliards de
dépenses publiques par an. Je n’ai pas été fouillé dans les rapports financiers des cliniques
privées de soins et post-cure comme mon paquebot actuel, mais l’alcoolisme est un bizness
juteux, rien qu’à la vue des belles voitures derniers modèles des toubibs sur leur parking,
Audi, Mercedes, BMW, Jaguar, toutes ces marques ont encore de beaux jours devant eux, et
de fideles clients à chouchouter pour un bon bout de temps.
Mais revenons sur « Les feux de l’amour », version clinique de post-cure, c’est vrai que ce
merveilleux été indien que nous avons, réveille les ardeurs des deux sexes, tout s’y prête, les
corps à moitiés dévêtus révélant les formes avantageuses de certaines, les muscles et
tatouages des gaziers, tout ce petit monde bien remplis de médocs vogue sur les nuages de
l’amour. Sans aucune pudeur, de farouches baisers s’échanges, des caresses érotiques trainent
par ci, par là, des mains tremblantes de désirs se faufilent sous les vêtements, les agrafes des
soutient-gorges sautent, les shorts ont du mal à contenir les érections. Des projets de futures
vies remplies d’amour de d’eau fraiche (additionnée avec du Ricard quand même….),
s’échafaudent dans des rires, des chuchotements d’adolescents découvrant les joies de
l’amour, ils renaissent, enfin, du moins, ils y croient comme fer. Je reste perplexe…..très
perplexe…..
Jeudi 29/0911, 19H40.
Comme prévu, le poche qu’ils ont mit avec moi, m’a fait passer une nuit de merde. Il se lève
en pleine nuit, allume toutes les lumières, fait un boucan pas possible, pisse dans le lavabo.
Un véritable clodo, il pue pas possible, de partout, ses frusques, son corps. Cette odeur
particulière de tabac brun mélangée à des relents d’alcool et de crasse. Il n’a même pas prit de
douche aujourd’hui, alors que sa fille lui a amené tout le nécessaire de toilette, des affaires
propres la veille.
Attends, ce matin je lui raconte tout le boxon qu’il avait foutu durant la nuit, comme C. sur
l’ancien rafiot, il ne s’en souvenait pas, cette engeance. J’attendais avec impatience le passage
du toubib pour lui raconter la nuit en espérant que mon clodo allait avoir un peu de cran pour
raconter son « absence » de la nuit passée. Arrive le ballet du toubib et de sa suite, un vague
« bonjour, vous avez bien dormi ? » un œil rapide sur ma feuille de soin, pas le temps de
répondre qu’il passe à mon rombier, « Bonjour, vous êtes arrivé hier, n’est-ce pas ? bien
dormi ? », « oui, oui » qu’il répond mon poivrot…Nom de dieu ! Mon sang n’a fait qu’un
tour, j’attends qu’ils sortent et me précipite derrière eux, je leur explique le bordel infernal de
la nuit, « bon, bon, nous faisons notre maximum pour vous trouver une chambre individuelle
comme prévu ». J’espère bien !
Content d’avoir pu exprimer mon mécontentement, je pars me brosser les ratiches et comme
un con j’oublie de fermer le verrou du cabinet de toilette…..La porte s’ouvre, mon ivrogne
entre, sort sa bite et se met à pisser sur le chiotte, je dis bien sur le chiotte, car il n’a même pas
vu que l’abattant était rabaissé…tu imagines le tableau hein ? Tu le vois un peu ? De la pisse
partout, des éclaboussures maousses, j’en prends plein les guiboles, ca dégouline partout, je
patauge dans son urine, plein mes chaussons, il fait des « S » avec sa chopotte tellement il
tremble, il asperge tout le petit espace…Alors là, je sort de mes gonds, s’en est de trop, je te
l’engueule comme du poisson pourri, le traite de tout les noms, de dégueulasse fini, il s’en
fout, il me marmonne un : « c’était trop pressé ….. », il se barre sans nettoyer un chouia de
son exploit….j’en reste encore une fois estomaqué et furieux. Obligé d’éponger un peu, de me
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débarrasser du plus gros pour aller me plaindre auprès des infirmières. La chef m’écoute avec
beaucoup d’attention, est sincèrement désolée pour cet « accident », me promet que cela ne se
produira plus. Je lui dis aussi qu’il serait grand temps qu’il se lave, qu’elle fasse le nécessaire
pour le bien être de la communauté. « Je m’en occupe personnellement », ce qui sera fait dans
la journée.
Sinon, plus réjouissant, j’ai participé cette après-midi à un groupe de parole sur la dépression
animé par une jeune psychologue. C’était la première fois que je faisais cette expérience, ce
fut très agréable et constructif. Demain, rendez-vous avec mon psy référent pour, je pense,
entamer les procédures de départ du paquebot.
Sinon, il faudrait que je prenne le temps de vous décrire toutes les femmes du navire. De quoi
remplir des pages et des pages de conneries à longueur de journée. C’est pas qu’elles soient
paumées, même si je prend en compte les puissants paramètres de la dépression et de
l’alcoolisme, le constat est malheureusement édifiant : elles sont bêtes, connes, foldingues
légères.
Gaëlle est passée me voir, nous étions très content tout les deux de nous voir, visite courte car
c’était l’heure pour moi d’aller becter.
J’espère de cette nuit sera plus calme.
REECRITURE
J’te l’avais dit ! Je le sentais pas mon gazier, je les connais bien maintenant les alcooliques,
rien qu’au premier contact, je peux te dire si untel va se tenir peinard ou si cela va finir en
corrida. Même maintenant, dans le vrai monde, je te les repère à 100 mètres les adorateurs de
la dive, comme un chien d’arrêt je te les flaire direct, avant aussi, mais désormais surentrainé,
je suis devenu imbattable. Quand tu as été toi-même alcoolique, que t’as fais la campagne de
la route des vins de France, la conquête des Highlands avec le pillage méticuleux de toutes les
distilleries, la débâcle sur un tonneau de mauvais whisky, pour finir en Bérézina de la
boutanche, quand t’as survécu à tout ça, ton flair est devenu celui d’un champion. Désormais,
lorsque je vois un client arriver vers moi au boulot, je peux te dire sans me tromper, si il est
sur la pente fatale, si ce n’est qu’un amateur, un amateur éclairé, ou un repenti. Parfois il
m’arrive de subir le mec ou la femme fin défoncé(e), qui vient me postillonner son haleine
avinée, parsemée de fragrances de tabac brun ou blond, Ricardeuse dès 9h du matin, déjà
titubant(e), pas sur de l’équilibre sur leurs fines guibolles, où, tout au contraire, les mauvais
coucheurs, les 100 kilos forts en gueule, ceux qui se croient encore au rade devant leur
premier demi, celui de 7h du matin, celui qui te glace les boyaux mais qui remet les idées en
place, avalé cul sec, avant de boire un café cognac, histoire de réchauffer la carcasse. Cette
espèce là, c’est la plus terrible, car étant imprévisibles, t’as intérêt à être sur tes gardes, ça
peut vite dégénérer, faut être des plus diplomate, fin limier pour éviter le clash, comprendre
vite ce qu’ils veulent, sinon, c’est direct les mots qui fâchent, ils n’hésitent pas à te traiter de
bon à rien, d’incapable, de merdeux, feignasse, enfin, toute la panoplie verbale de la poche
qui se tient plus, normal, ils sont clients, ils ont tout les droits, même celui de t’insulter. Ils
extirpent de leurs fouilles des bouts de papiers chiffonnés, illisibles, parfois ornés d’un crobar
qu’eux seuls peuvent en comprendre la géométrie. Des plans faits à la va-vite, j’en ai même
vu de ces dessins techniques avec des ronds de cul de bouteille de pinard imprimé dessus !
Paf ! Le sceau royal ! La marque de fabrique ! Certifié conforme aux normes des mélanges de
vins de la communauté Européenne…..Tout un poème…Faut vite trouver la solution du
bricolage, les balader dans les rayons, leur expliquer comment il va falloir s’y prendre,
malheur à toi si tu rentre trop dans les détails ! L’effet inverse se produit ! Ils te jettent à la
face qu’ils s’y connaissent, que c’est pas un branleur comme toi qui va leur apprendre à
bosser ! Bien…bien ….pas de problème….Puis t’as pas intérêt à oublier quelque chose dans
leur inventaire, sur, ils reviennent dans la journée encore plus hargneux, plus saoul, ils te
cherchent, t’engueulent encore plus fort, certains font esclandre dans le magasin, veulent voir
le patron ! Véridique ! Obliger de faire baisser la pression par n’importe quel moyen, de
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t’abaisser encore plus bas que terre pour que l’ouragan pochonesque passe au plus
vite…..Dehors ! Dehors ! Hors de ma vue !! Va cuver ailleurs !! Disparait !! Dégage de là !
Allez, après cette petite aparté, faut bien que je reprenne le fil du voyage. J’t’ai raconté
l’anecdote de mon deuxième pisseur fou, t’ai brossé un aperçu des vinasseux au boulot, faut
bien que je te raconte mon entrevu avec mon psy référent, le Dr. A. , c’est simple, les A. sont
psychiatres de père en fils, ils se passent les clefs de la clinique depuis que le papi fondateur,
dans les années 30, un pionnier à l’époque, fut un des premiers psychiatres à prescrire aux
malades alcooliques un traitement de choc basé sur l’absorption massive d’un extrait de jus de
varech aux effets prometteurs ! malheureusement, la seconde guerre mondiale, vint mettre fin
aux travaux du Dr.A, car il avait d’autres soucis à gérer avec tous ces Teutons qui avaient
réquisitionnés la clinique pour y foutre leurs vert de gris atteints des syndromes de la
chtouille, du panaris, du mal de bide chronique, et parfois, malheureusement de véritable
blessés causés par les avions alliés qui trouvaient pas mieux d’aller larguer des bombes
incendiaires et « purpose bomb »de 250kg sur la ville de B., son port, ses alentours, pour voir
quels effets ça fait….Depuis, trône en tableau sur le fronton de la grande cheminée de la
maison familiale, le portrait peint d’une main de maitre, du papi fondateur...nan..là je
déconne, phantasme, plaisante…..faut bien un p’tit peu quoi…..Mais qu’ils soient psychiatres
de père en fils, c’est vrai, car lorsque tu passe à l’accueil pour prendre un rencard, la réponse
est toujours la même : « avec le père ou le fils ? » ….bennn…j’chais pas moi…le saint esprit
p’tet pour cette fois....nan ! dans la famille A. donnez moi ..hhhhheuuuuu…..la mère ! Et non
heuuu ! Pioche…un véritable jeu des sept familles.
Bon, je pense pas que se soit un mauvais praticien, j’ai pas une grande expérience en la
matière, j’en connais pas beaucoup des psychiatres, mais pourquoi met-il une blouse blanche
sur ses fringues civiles ? Il ne risque pas un jet sanglant lors d’un prélèvement ? Il ne
m’ausculte pas, pas de palpation quelconque ? Aahhhhhh…….C’est pour te faire bien
comprendre que c’est lui le toubib….ZE boss ! L’homme de l’art, celui qui sait comment faire
pour te soigner….Bien mettre une distance entre le patient du médecin…je comprends
tout….Pas besoin d’être l’inspecteur Maigret pour savoir que le Dr. A. est un amoureux de la
mer, car dans la salle d’attente, s’empile tout les numéros de « Voiles et Voiliers », depuis
1980, revue très chic sur le monde de la plaisance. C’est chouette, moi qui aime bien les
bateaux, ca me permet de voir les évolutions techniques avec la courbe exponentielle des
prix…Ahhh ! C’est beau la mer …….
Arrive mon tour…mais pourquoi cet air sombre…y va m’annoncer que j’ai un crabe
quelconque ? Une tumeur inopérable ? Sa voie est grave, limite je pense qu’il accentue un
p’tit peu, histoire de se poser, de marquer le territoire : toi, t’es MON malade et JE suis celui
qui a le pourvoir de faire ce que je veux de toi, donc…..pas bouger ! Assis ! C’est ce que je
fais, je m’assoie face à lui, entre nous, bien entendu, se trouve son bureau….Petite déception
de ma part, c’est un bureau tout bête, un vulgaire bureau comme on en trouve partout, de
forme contemporaine, en mélaminé couleur poirier, un téléphone, une lampe, une petite pile
de dossiers, quelques stylos, même pas un Mont Blanc !……Mince, j’avais imaginé le bureau
de notaire, style Louis Philippe, les belles sculptures, le buste d’Hippocrate, une bibliothèque
remplie de vieux livres médicaux précieux….le mythe s’écroulait. « Excusez-moi », décroche
son téléphone, « je suis en consultation, qu’on ne me dérange pas », raccroche sans dire
merci….non mais ! C’est qui l’patron ici ! Il ouvre mon dossier, le parcours sans dire un mot,
hoche doucement la tête par moment, l’annote, passe les pages, les résumés, puis il daigne
enfin lever la tête vers moi. C’est un homme de ma tranche d’âge, porteur de fine lunettes, pas
très grand, les mains soignées, un visage de premier de la classe, les cheveux châtains clairs
séparés par une élégante mèche du cote gauche. Il bascule en arrière sur son fauteuil, place ses
mains devant sa bouche en forme de prière et m’observe, me scrute…..moi, j’suis pas trop
con, je connais un peu les postures qu’il faut avoir, donc je me tient bien droit, pas une jambe
sur l’autre, mes mains bien à plat sur mes cuisses, ma tête droite, un léger sourire accueillant
sur mes lèvres, je le regarde droit dans les yeux sans avoir un regard agressif.
« Alors ? Comment vous sentez-vous ? » Commence t’il après un bref instant de silence.
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« Bien, très bien même, je me suis bien adapté à l’établissement, je n’ai pas trop à me plaindre
hormis le petit accident avec mon compagnon de chambre… » J’allais continuer mais il
m’interrompt.
« Quel accident ? » sa voix n’est plus neutre, ca l’inquiète le mot « accident ».
Obligé de lui raconter l’histoire que tu connais déjà, apparemment il n’était pas au
courant.….. ouf ! Je sens qu’il se relaxe.
« Oui effectivement, c’est un malheureux incident, mais vous comprenez bien que certains
des patients arrivent ici dans des états bien loin du votre.. »dit-il en levant les yeux au ciel.
Ben oui mon pote ! Un beau spécimen celui la ! ca va être dur d’en faire quelque chose…
Te raconter tout l’entretien risque d’être laborieux et ennuyeux, j’vais faire dans le résumé.
Depuis mon hospitalisation je suis sorti de la phase du déni, j’ai accepté que je suis un malade
alcoolique avec une sévère dépression, je ne mens plus. Notre entretien tourne bien entendu
autour de tout cela, il voit que ma volonté de guérir est réelle, il me donne quelques
orientations, que je savais déjà, mais bon, il fait son métier, on n’allait pas se taper une p’tite
bellotte tout les deux, parler bateaux, golf et voiture de luxe. On a papoté comme ca durant
une bonne heure et demi, il m’a passé au crible, je me sentais à l’aise, en aucun cas agressé ou
rabaissé, pour finir, nous sommes tombés d’accord que mon séjour sur le paquebot n’avait
plus lieu d’être, donc une rapide sortie était envisageable.
« Bien ….. Je vois que vous êtes très motivé pour vous sortir de cette impasse et vous soigner
sérieusement, n’est-ce pas ? »
Ben tient…..
« Bon…bien…je ne vois pas ce qui vous retiendrais plus longtemps dans votre unité de
soins…je m’occupe du protocole de sortie pour les jours à venir…cela vous convient-il ? »
C’te blague ! Je veux ouaih !
« Bien entendu, vous continuez votre traitement médicamenteux ainsi que votre
psychothérapie avec le Dr.P.
Ben oui…..j’vais pas partir dans la nature comme ca !
Quelques mots écrits sur mon dossier, il se lève, je fais de même, m’accompagne, m’ouvre la
porte, et en me serrant la main, me dit d’un air docte, les yeux mis clos : « Au revoir, bonne
journée et bon courage…. »
Et voila mon pote !! t’as ton billet de sortie !YES !!!!!!! vite un coup de téléphone à Gaëlle.
C’était le mercredi cet entretien libératoire, le jeudi, c’était mon groupe de parole, une
première pour moi. Nous voila donc une dizaine réuni en cercle, une majorité d’hommes
autour de la jeune psychologue. Elle pose les règles du débat et chacun parle de son cas. Que
dire….toujours les mêmes histoires, les lentes descentes dans l’alcool depuis des années, les
dépressions qui s’installent, les médecins qui ne trouvent qu’en solution les antidépresseurs et
anxiolytiques, l’Aotal, l’Esperal, d’autres medocs en « al », les cures, les post-cures, les
rechutes immédiates, les tentatives de suicide, les dommages collatéraux, divorces, perte
d’emploi, les maladies. L’émotion est palpable, certains craquent de se mettre à nu, des
larmes non simulées se mettent à couler, j’avoue être bouleversé par ces témoignages, j’ai la
gorge nouée. Pourtant, j’avais eu ma dose sur l’ancien bateau, mais là, ce n’est pas pareil,
c’est vraiment très émouvant. Les femmes nous racontent en plus de leur alcoolisme, leurs
dépressions, les violences conjugales, des viols, des coups, les drogues, la prison, la perte de
garde des enfants, des histoires déchirantes. Moi avec ma p’tite addiction, ma p’tite
dépression, ma p’tite tentative de suicide, c’était d’la rigolade.
Le temps s’est écoulé comme par magie, je serais bien resté encore plus longtemps dans ce
groupe, ce n’était plus une expérience, je me sentais maintenant très proche de ces gens que je
ne connaissais pas une heure avant. Lorsque la psy ferma la discussion et que nous sortîmes
tous de la salle, nous étions devenus amis, malgré les larmes, des sourires se dessinaient, nous
parlions tous en même temps, presque joyeux, libérés de poids trop lourds, la réunion
continuant autour de la machine à café, de notre cigarette doudou, des affinités s’étaient
formées, je partais en compagnie de S. , mon premier compagnon de chambre, cette armoire à
glace, 1m90 de muscles, le visage poupin, brisé par une fulgurante dépression.
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Vendredi 30/09/11, 19H30.
Ca y est ! Officiel, j’ai les papiers qui vont bien, signés, tamponnés, mon nouvel ordre de
route direction la maison avec deux semaines de convalescence « at home » avant de pouvoir
reprendre le boulot. J’ai enfin ma chambre individuelle, c’est pas trop tôt, car l’autre
engeance, c’était plus possible. Je te passe encore un épisode urinaire de ce matin, à force, tu
vas croire que je me complais dans l’urologie, encore une fois, les bornes furent dépassées.
Grand temps que je me retrouve tout seul.
Cette annonce de sortie m’a vraiment fait plaisir, alors, j’ai pas fait grand-chose aujourd’hui,
je savourais la nouvelle, j’ai lu, je me suis promené, j’ai fais le lézard au soleil et je me suis
adonné à mon sport favori, celui d’observer mes semblables et d’écouter. Le groupe de parole
d’hier à formé un nouveau couple, lui, la quarantaine, rechute sur rechute, un silencieux, un
qui a le moins parlé hier, elle, la quarantaine aussi, brune, maigre, limite anorexique, marquée
définitivement par l’alcool, plus de seins, des fesses, une ombre de femme, ils se promenaient,
main dans la main. Au contraire des autres couples du paquebot qui exposent leur joie de
vivre, les visages resplendissants de bonheur, eux semblent perdus, les faces tristes, grises,
peut être que ca leur suffit…ils marchent, ils parlent, ils s’isolent des autres…ils ont bien
raison, s’ils sont heureux comme ca……
Beau aimer être spectateur, j’avoue que maintenant, je commence à en avoir un peu ma claque
des passagers du paquebot, la promiscuité, les ragotages. Aujourd’hui, c’était l’anniversaire
d’une des plus jeunes. Complètement détruite par l’alcool et la came, j’avais du mal à lui
donner un âge, j’aurais eu du mal à ne pas l’entendre, elle l’a beuglé tout la journée, de sa
voix éraillée par le tabac…25 ans !
J’imaginais le parcours de cette pauvre fille, elle devait être une jolie petit fille, comme toute
les petite filles, comment elle a pu en arriver là, la voix de vieille poivrotte, titubante de
médicaments sur ses talons aiguilles, fringuées comme une pute, le maquillage à la
truelle……putain…25 ans…..
Alors, ce soir, c’est le boxon en dessous de ma chambre. Comme c’est juste au dessus de
l’endroit fumeur, je suis aux premières loges, j’entends tout. Il a fait tellement chaud, que j’ai
la fenêtre ouverte, alors en plus du son, j’ai pas besoin de sortir pour aller fumer. Ce soir, ça
dégénère dans le grivois, la fameuse de 25 piges rameute tout les matous du bord en pariant
qu’elle n’a pas mit de culotte de toute la journée….ambiance caserne, ça gueule, ça siffle, ça
applaudi, les mecs veulent voir ! Pourtant personne n’a pitanché ? Par contre, je soupçonne
que ça fume pas mal l’herbe qui rend nigaud dans certains endroits du parc où les cameras ont
des angles morts…des p’tits groupes qui s’esquivent rapides, qui reviennent hilares, ça sent le
chichon tout ça…que veux tu….mon œil de flic.
REECRITURE
C’est vrai que ce soir là, j’ai bien cru que ça allait finir en une tournante sur la table en PVC,
elle les avait rendu dingue avec son histoire de culotte absente….Les autres harpies
bédaveuses rajoutant de l’huile sur le feu, excitants tout les males en ruts, j’me disais que ça
allait mal finir cette soirée. Une main au cul un peu trop appuyée et cela aurait entrainé de la
franche rigolade avec escalade dans le pelotage, soit c’était la guerre, avec échange d’insultes
pour commencer l’apéro et l’apothéose par une bonne bagarre. Heureusement, rien de tout
cela n’arriva, les bruits ont fini par alerter les soignants qui sont venus remettre de l’ordre
dans le merdier. Allez ! Allez !! Ouste !! Tout le monde au lit !! Et vite ! Bon sang ! Le mal
qu’elles ont eue les filles ce soir à coucher les plus excitées, elles courraient de chambre en
chambre, j’entendais tout ce qui se passait….à peine elles avaient le dos tournée, que les
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autres folles en profitaient pour foutre le camp de leurs piaules, des cavalcades, des rires….un
véritable pensionnat pour jeunes filles où l’on déconne à bloc…. Le bordel s’arrêtât net,
lorsque, assommées par les médocs du soir, vaincu par la chimie, elles s’écroulèrent dans
leurs plumards.
Samedi 01/10/11, 19H20.
Le paquebot s’est échoué comme une merde aujourd’hui…immobile dans la torpeur et la
routine, plus rien ne bouge. Même l’air a la fainéantise de bouger. Poisseuses, les molécules
d’oxygène s’écroulent les unes sur les autres tout autour de moi….Putain ! On dirait du
JCVD !
Journée interminable, j’ai lu, rien de plus…..
Calme absolu, pas mal de monde permission.
Je pense que demain sera du même genre……on verra bien.
REECRITURE
Et oui, c’est le week-end, alors pas mal de passagers sont en permission. C’est le calme le
plus absolu, en plus de la chaleur, tout le monde reste cloitré dans le frais des chambres. Les
plus terribles, toute la clique des harpies sont en perm, tout de suite, l’ambiance est au calme
sur le « Deprim Princess » Même les infirmières de garde sont molles, elles baillent,
fatiguées. J’ai hâte de partir, je me pense plus qu’à ça et à ma nouvelle vie.
Dimanche 02/10/11, 19H15.
Comme hier, le paquebot est resté échoué dans le chaud de cet été tardif. Plus que quelques
jours de cette croisière et retour dans le vrai monde. J’appréhende un peu, mais j’ai la pêche
dans ma tête. La chimie agit parfaitement bien. Gaëlle est passée me voir, elle aussi en a
marre que je ne sois pas à la maison, J’ai hâte de finir ce journal de bord, j’en ai fais le tour et
puis je n’ai plus envie d’écrire mes observations. Je n’ai rien fait à par lire, mais cela me
fatigue, j’en ai assez.
REECRITURE
Je m’en rappelle bien, je n’avais plus envie de rien, seulement partir, quitter ce navire, en finir
avec ce voyage qui commençait à devenir long. On le voit bien, je n’écris plus rien sur le
journal de bord qui m’a bien été utile. Ce dernier dimanche fut marqué par le retour des
permissionnaires…..Ahhhhh la belle arrivée ! Comme sur l’autre rafiot, ca arrive par grappe
ou seul, la plupart fins défoncés(es) à l’alcool ou aux cames, titubants(es)….tu parles d’une
sortie, ce qui prouve que ces post cures ne servent à rien. Je devine que certaines ont fait les
mules, puisque le soir même, d’étranges conciliabules avaient lieu sous ma fenêtre où
j’entendais tout : « t’en a eue ? », « combien j’te dois déjà ? », « tu viens, on va gouter… », Et
c’était reparti pour un joyeux bordel comme l’autre soir, jusqu’au moment où les soignants
venaient arrêter les frais. Là, le coucher était plus rapide, tous fins défoncés, y’avait plus que
le sommeil pour eux.
Lundi 03/10/11, 19H15.
Plus qu’une journée ! Une ! La délivrance de cet univers qui me devient toxique. Dernier
rendez-vous ce soir avec mon psy qui m’a conseiller de reprendre tranquillement les
prochains mois, de continuer mon traitements et ma psychothérapie avec le Dr. P.
La météo est enfin redevenue normale pour l’automne, le gris à soudain remplacé le soleil et
le parc est subitement devenu sinistre, mauvais pour le moral.
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J’ai hâte de refermer ce journal de bord.
REECRITURE
L’impatience avait prit place dans ma tête, j’étais énervé que le temps ne passe pas plus vite,
je rongeais mon frein, je n’avais plus envie de rien, lire m’étais devenu insupportable, je me
forçais à finir mes livres, trouver une occupation, relire des articles de revues que j’avais lu
rapidement…l’attente était longue.
Mardi 04/10/11, 19H20.
Voila, je clos ce journal de bord de mon « petit voyage au bout de la nuit », J’espère ne pas en
ouvrir un autre.
Je pose mon sac définitivement demain.
LE GRAND CARENAGE
10 mois ont passés.
J’attaque un nouveau combat, sobre depuis les événements, ma vie à prit un nouvel élan. Une
fois sorti du « Deprim Princess », j’avais repris immédiatement rendez-vous avec le Dr.P.
pour continuer ma psychothérapie et mon traitement. J’étais resté deux semaines à la maison,
puis j’avais repris mon travail. J’expliquais à mes collègues ce qui m’étais arrivé et pour
quelles raisons, à ma grande surprise, personne n’avait su, ils savaient que j’avais été
hospitalisé, mais n’en connaissaient pas les raisons, pour eux, la surprise fut grande, depuis,
ils me regardent différemment.
Je réalise petit à petit où je m’étais enfoncé, tout ce que j’allais perdre. Heureusement que
Gaëlle à cru en moi, en nous. 10 mois après, je ne sais toujours pas très bien les raisons qui
m’ont lentement poussé dans l’alcoolisme, mais ce témoignage, je tenais à l’écrire, une
histoire somme toute banale, des cas comme moi, il y en a des milliers en France. La mienne
se termine bien, j’ai retrouvé ma famille, j’ai gardé ma santé, je reviens à la vie petit à petit,
mais combien d’autre finissent dans les larmes, le chaos, les vies brisées à jamais. Des
hommes et des femmes devenus(es) des loques, comme j’ai pu t’en d’écrire un peu. La société
qui fait d’eux des exclus, car les préjugés sont tenaces, un alcoolique est forcement quelqu’un
sans volonté, un moins que rien, c’est faux, archi faux ! Un alcoolique est un grand malade
qu’il faut soigner, écouter sa douleur intérieur, car l’alcoolique soigne sa douleur tout seul
avec ce qu’il trouve facilement, en vente libre, une bouteille quelconque.
Enfin, pour finir, mon constat reste amer envers les médecins. Faisant ce qu’ils peuvent dans
les hôpitaux publics, mon premier navire, avec peu de moyens, peu de personnels, ils traitent
avec des méthodes qui s’avèrent sans effets, puisque 90% des malades rechutes dans un laps
de temps plus ou moins courts. Dans le privé, ces cliniques de post-cure, du genre mon
« Deprim Princess », comme je l’ai appelé, le bizness de l’alcoolisme est juteux, rapportant
au corps médical des revenus très confortables, avec autant de taux de récidives. Y aura-t-il un
jour un scandale dénonçant cette industrie ? Je l’espère.
Etre sobre est un combat de tout les jours, actuellement, j’ai une épée de Damoclès au dessus
de ma tête, L’Esperal, médicament aux effets secondaires importants en cas d’absorption
d’alcool, des effets qui peuvent entrainer une mort subite….ça dissuade….une sorte de force
nucléaire. Le dosage des mes antidépresseurs et anxiolytiques est bien dosé maintenant et
j’arrive à dormir sans prendre de somnifère. En cas de « bouffées » d’angoisses subites que
parfois j’ai du mal à contrôler, je me shoot un peu avec un neuroleptique, ce qui me calme.
Mais par moment je dois vraiment lutter contre l’envie, le fameux « craving » en Anglais,
l’appétence en Français, l’envie de reboire de l’alcool. C’est une véritable torture, qui parfois
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me laisse sombre, anxieux, désespéré. Le démon est toujours là, ceinturé, menotté, mais il
rigole à pleine dents aiguisés au fond de mon cerveau. La bête bouge encore.
Il y a quelques mois, j’étais tombé par hasard sur un article traitant de l’alcoolisme et parlait
des résultats surprenants de guérissons de malades alcooliques du à un médicament, le
Baclofène, un myorelaxant utilisé depuis 40 ans pour des troubles neurologiques. J’avais lu
l’article avec attention, mais comme le médicament n’avait pas encore eu l’autorisation des
instances pharmaceutiques pour le traitement de l’alcoolisme, cette molécule faisait
polémique. J’avais gardé en mémoire le nom du médicament.
En effet, absorbé à hautes doses, suivants les patients, le Baclofène rend indifférent à l’alcool,
il supprime ce fameux « craving » si terrible à vivre. J’en avais touché quelques mots à ma
psychiatre, qui en avait entendu parler, mais qui pour l’instant se refusait à m’en prescrire. Je
restais sur ma faim. Quand même, si je pouvais me débarrasser pour de bon de cette
maladie….Fin 2011, le Baclofène est enfin autorisé pour traiter les malades alcooliques, Le
farouche défenseur et inventeur du traitement, le Dr. Olivier Ameisen, parle dans son livre
« Le dernier verre », de son addiction à l’alcool et comment, par automédication à l’époque
(en 2008), il parvint à se guérir complément de l’alcoolisme. Ce n’est pas un cas isolé,
cardiologue reconnu, il en parle bien sur à ses collègues alcoologues, addictologues, où soit il
rencontre des oreilles attentives, soit des refus purs et simples de voir la vérité en face : ce
traitement fonctionne….
Bien sur, ce n’est pas la pilule miracle, Le Baclofène, doit être prit avec précaution, par des
patients motivés de guérir, en suivant un protocole strict en accord avec son médecin traitant
ou son psychiatre, pour éviter des effets secondaires parfois gênants. Mais quelle découverte !
Devenir indifférent à l’alcool ! Enfermer pour de bon dans un coffre cadenassé le démon et le
jeter dans un puits sans fond…mon prochain combat.
J’attends avec impatience mon prochain rendez-vous avec ma psychiatre.
Anxieux, tendu, j’ai bachoté mon argumentaire avec Gaëlle, qui est une spécialiste en la
matière, j’ai l’impression de passer un oral du bac, d’un examen quelconque. Car le Dr.P., ça
faisait deux ou trois fois que je lui parlais du Baclofène, comme ça, vite fait, en fin de
consultation. Elle restait évasive, évitant la question. Moi, entre temps, ca me turlupinais ce
médicament prometteur. Quelques recherches sur Internet, où je trouve une mine de
renseignements, une association, un forum, l’achat et la lecture du livre du Dr. Ameisen, font
que je suis convaincu que la solution est là, et pas ailleurs.
Me voila donc fin prêt pour mon rendez-vous tant attendu, gonflé à bloc pour déjouer tout les
pièges verbaux en cas de refus de sa part. Début de consultation, et là, j’attaque mon oral, elle
m’écoute attentivement, comme toujours, et je lui demande assez rapidement du ordonnance
pour du Baclofène : « Du Baclofène ? Mais sans problème ! C’est en effet très
prometteur…. » Et la voila en train d’écrire la prescription tant attendue. Je ne cache pas ma
joie, lui parlant des travaux du Dr. Ameisen, du livre, de l’association qui milite en faveur du
Baclofène, de mes recherches, de ma motivation, un véritable moulin à paroles sans être
excité. Je parle presque d’égal à égal avec elle, puisque, tellement bien informé sur la
molécule, comment elle fonctionne, où dans le cerveau, j’suis comme un étudiant en
médecine parlant avec un des ses professeurs. Elle me tend l’ordonnance avec un grand
sourire, je sens que ça lui fait plaisir, comme si elle me disait : « Tenez, on commence une
nouvelle aventure tout les deux ! ». Je l’a remercie vraiment chaleureusement. Notre
discussion tourne exclusivement autour du Baclofène, nous nous mettons d’accord sur la
posologie de mon nouveau traitement, enlevons la bombe atomique appelée Esperal que
j’avais au dessus de la tête, gardons les antidépresseurs et anxiolytiques. Pour le Baclofène, je
commence à petites doses, 30mg par jour, soit trois fois 10mg, matin, midi, et soir, pour
augmenter progressivement pour trouver la bonne dose, celle qui me rendra totalement
indifférent à l’alcool. Elle me dit qu’elle commence à en prescrire de plus en plus, et reste
assez « bluffée » par les résultats, même sur des grands alcoolo-dépendants. Enfin !! Ca
commence à bouger dans le bon sens dans le milieu médical !! Je jubile. Va-t-on enfin
pouvoir guérir facilement les malades alcooliques ? Pour un cout minime, fini toute la
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machine à fric, cette poule aux œufs d’or qui tourne à plein régime autour du traitement de la
maladie ? Bon sang oui que je l’espère ! Je rêve de voir à la TV, les toubibs venir, la queue
entre les pattes, les gueules de six pieds de longs, tentant d’expliquer pourquoi ils ont mit tant
de temps à mettre en place ce protocole…mais ça, je rêve, on le verra jamais, voir des toubibs
s’excuser en public, c’est croire au père Noël, à l’homme invisible…Superman….Bernadette
Soubirous et le p’tit jésus en personne distribuant des roues neuves…..
Fin de la consultation, on se quitte tout deux satisfait. Coup de fil à Gaëlle immédiat « Ca y
est, je commence ! ».Joie partagée…..
Me voila avec mes petites boites du produit.
Je commence juste le traitement, il est encore trop tôt pour te dire comment ca fonctionne sur
moi. Chose sure, mais je pense que c’est plus psychosomatique qu’autre chose, je me sens
déjà plus joyeux, plus libre, et cette nuit, première nuit sous Baclofène, j’ai fais un rêve
incroyable, c’était plus qu’un rêve, c’était un véritable trip sous LSD. J’ai mit un bon quart
d’heure avant de sortir de mon lit, direction la douche pour me rafraichir le cerveau, rien n’y
faisait, je restais dans mon voyage, l’eau coulant de long de mon corps, appuyé contre le mur,
je souriais, riais tout seul, totalement heureux de ce que je venais de vivre, et que mon cerveau
avait du mal à évacuer. Quel dommage d’ailleurs ! J’y serais bien resté encore un petit
peu….dans la fin de mes années 60’ psychédéliques.
Quelques jours ont passés, et j’ai progressivement augmenté les doses jusqu'à 50mg par jour,
c’est incroyable, plus aucune envie, de pulsion pour l’alcool. De bons tests me rendent à
l’évidence, ca fonctionne.
Plusieurs « apéros » à la maison avec des amis, l’anniversaire de mon fils ainé, repas de
famille où l’alcool est présent, c’est même moi qui sert les verres, ouvre les bouteilles. Rien,
c’est comme si je voyais des litres d’eau minérales devant moi. Avant, la torture aurait été
insupportable, j’aurais du me shooter aux calmants, et là, j’en suis le premier surpris, je bois
tranquille mon jus de tomate, je plaisante avec tout le monde, je suis « relax », la bouteille de
whisky ne me fait plus les yeux doux, le vin dans les verres à sa belle robe rouge, point final.
Je dors comme un bébé et je n’ai que très peu, voir pas du tout d’effets secondaires, un léger
gout métallique dans le bouche lorsque je suis passé à 50mg/j, qui c’est vite estompé au bout
de deux jours, et une légère somnolence en début d’après-midi que j’arrive vite à maitriser par
une activité quelconque, j’évite la lecture, car le fait d’être dans le canapé, bien installé, une
des chattes sur le ventre, c’est la sieste assurée.
Seulement deux semaines de traitement……deux ! Et je vois que je gagne des batailles, je ne
cris pas encore victoire, mais les résultats sont vraiment encourageants. Je pense que mon
abstinence de dix mois à jouée un rôle énorme sur l’accélération des effets du Baclofène en
préparant mon corps et mon esprit.
Tous les jours, dans le journal, j’aime lire les faits divers, les résumés d’audience des
tribunaux, un gout qui n’est venu par la lecture assidu de « Détective » avec mon grand-père
quand j’étais enfant, le constat est terrible, les colonnes sont noircies par de sordides histoires
toujours sur fond d’alcool, ça fini toujours pareil, du sursis dans les cas les moins graves, du
ferme pour les gaziers qu’on trop tirés sur la ficelle, et la fameuse phrase fourre
tout : « obligation de soins »…….c’est vague. J’me demande ce que ce passage vient foutre
là……
C’est dingue, j’arrive pas à finaliser cet essai sur une note joyeuse, youpi tralala poum poum !
J’ai l’impression que je pourrais repartir sur un autre journal de bord, te tenir au courant de
mes faits et gestes au jour le jour, recommencer un autre voyage rempli de nouvelles
interrogations, d’errances, mais il ne faut pas que je retombe dans le sinistre, alors j’attends,
j’attends qu’il fasse enfin beau temps en Bretagne et dans ma tête pour de bon….le plus dur
est passé, la tempête est loin derrière, reste un ciel de traine avec quelques petits nuages épars,
tout là haut, à 10.000 mètres, un avion laisse sa trace blanche de condensation….où va-t-il
celui-ci ? De l’autre coté de l’Atlantique, c’est sur…la route bien tracée sur le plan de vol et
l’appareil en pilotage automatique, pour moi reste à prendre les commandes de ma nouvelle
vie, en manuel.
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