Sécurité en mer et protection de l`environnement marin

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Sécurité en mer et protection de l`environnement marin
Séminaire "sécurité en mer et
protection de l'environnement
marin"
Le 28 septembre 2016 / Tour Pascal B – La Défense
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CGEDD
Etaient présents :
Michel BABKINE, Secrétariat général de la Mer
Anne-Marie LEVRAUT, Vice-présidente du CGEDD
Thierry COQUIL, Directeur des Affaires maritimes au MEDDE
Jean-Luc LE LIBOUX, Directeur du BEA mer
Jean-Jacques MORVANT, Chargé de mission, IGA
Antoine FERRI, Directeur du Cross Méditerranée
Nicolas MAIRE, Chargé de mission à la Direction des Affaires maritimes
Eric LEFEBVRE, Préfecture maritime Méditerranée
Jean-Jacques QUINQUIS, CEREMA eau, mer et fleuve
Patrick RONDEAU, Armateurs de France
Ludovic SCHULTZ, sous-directeur du littoral et des milieux marins, MEDDE
Maddy CANCEMI, OEC
Jean-Louis FILLON, Délégué général de l’institut français de la mer
Alain PIQUEMAL, Professeur de droit international, expert consultant auprès de l’ONU
François-Xavier RUBIN DE CERVENS, Représentant permanent adjoint à la Représentation
permanente de la France auprès de l’OMI
Rouchdy KBAIER, Inspecteur général de l’administration du développement durable, CGEDD,
coordinateur de la mission « canal de Corse »
Vincent DENAMUR, Sous-directeur de la Sécurité maritime
Marie-Henriette ESQUIVIE, Chargée de mission auprès de l’Inspecteur général des Affaires maritimes
Camille BOURGEON, Cross Gris-Nez
Sophie SANQUER, Chef du Bureau Circulation et sauvetage de la Préfecture maritime de l’Atlantique
Catherine RATZIVALAKA, Chargée d’étude au CEREMA ;
Jean-Charles CORNILLOU, Conseiller technique pour la Sécurité maritime au CEREMA
François MARENDET, CGEDD
Antoine PICHON, CGEDD
Jean-Marie BERTHET, CGEDD
Michel PINET, CGEDD
Isabelle RAYMOND-MAUGÉ, CGEDD
Guillaume DENIAU, CGEDD
Florence WAGNER, Etat-major de la Marine
François GARBER, CGEDD
Jacques LE GUILLOU, CGEDD
Charles BRUNER, CGEDD
Françoise SEIGNOUX, CGEDD
Guy BARET, CGEDD
Philippe BELAY, CGEDD
Léa MULLER-DARDELIN, MAEDI/DJ/MER
Nicolas LE BIANNIC, Chef du Bureau du Sauvetage et de la circulation maritime, DAM
François MARTINEAU, AEM
Jean-Michel CHEVALIER, Préfecture maritime Manche mer du Nord
Alexandre ELY, DIRMer MEMNor
Thierry LEMPEREUR, CGEDD
Patrick AUGIER, SGAM
Frédéric AUVRAY, le Marin
Alexandra BELLAYER-ROILLE, DJMer
Pierre COURBARIEN, SGAE
Nathalie DANIEL, MINDEF
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François MARTINEAU, AEM
Anna MILESI, Préfecture maritime Manche mer du Nord
Géraud MONTAGUT, Ministère de la Défense
Mireille SCHMITT, CGEDD
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Sommaire
OUVERTURE
7
Anne-Marie LEVRAUT, Vice-présidente du CGEDD
Thierry COQUIL, Directeur des affaires maritimes au MEDDE
9
LES MESURES D’ORGANISATION DU TRAFIC ET L’INSTAURATION DU DISPOSITIF
D’UNE ZONE DE NAVIGATION COTIERE ET D’UNE SEPARATION DE TRAFIC FRANCOITALIEN DANS LE CANAL DE CORSE
11
Jean-Luc LE LIBOUX, Directeur du BEA mer
Les enjeux des mesures d’organisation du trafic sur la sécurité et la sauvegarde de la vie
humaine en mer dans des zones particulièrement fréquentées
12
Jean-Jacques MORVANT, Chargé de mission, IGA
Les enjeux en Méditerranée des mesures d’organisation du trafic sur la sécurité et la
sauvegarde de la vie humaine en mer
16
Antoine FERRI, Directeur du Cross Méditerranée
Le DST franco-italien dans le canal de Corse approuvé par l’OMI
19
Nicolas MAIRE, Bureau du sauvetage et de la circulation maritimes, Direction générale des
infrastructures de la mer (DGITM)
La zone de navigation côtière et le DST, la complémentarité des règles nationales et des règles
internationales : les arrêtés du préfet maritime régissant la navigation dans la ZNC et au-delà
22
Eric LEFEBVRE, Administrateur en chef des affaires maritimes, Préfecture maritime de la
Méditerranée
Les outils techniques de préparation des mesures d’organisation du trafic
26
Jean-Jacques QUINQUIS, CEREMA eau, mer et fleuves
Débat
29
La navigation commerciale internationale, la sécurité en mer et la protection de
l’environnement marin, retour d’expériences de bonnes pratiques
34
Patrick RONDEAU, Responsable sécurité, sûreté, environnement, Armateurs de France
La sécurité en mer et la protection de l’environnement marin : la relation DST/ZMPV
37
Ludovic SCHULTZ, Sous-directeur du littoral et des milieux marins, MEDDE
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Protection de l’environnement et sécurité en mer : l’exemple de la Corse
39
Maddy CANCEMI, Directrice déléguée adjointe à la préservation et au développement durable des
espaces littoraux et marins protégés, Office de l’Environnement de la Corse
Débat
42
LE DST « CANAL DE CORSE », RETOUR D’EXPERIENCE SUR QUELQUES ASPECTS
JURIDIQUES
46
Jean-Louis FILLON, Délégué général de l’institut français de la mer
Le droit international, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer - La question
particulière de la sécurité de la navigation dans les détroits
47
Alain PIQUEMAL, Professeur de droit international, agrégé de droit public, expert auprès de l’ONU
(Division des Affaires maritimes et du Droit de la mer) et de ses agences spécialisées, membre du
Conseil de la mer de la Principauté de Monaco
La négociation à l’OMI
52
François-Xavier RUBIN DE CERVENS, Représentation permanente auprès de l’Organisation
maritime internationale
La relation UE/OMI : concurrence ou complémentarité : la coordination européenne, aspects
juridiques, institutionnels et tactiques
55
Rouchdy KBAIER, Inspecteur général de l’administration du développement durable, CGEDD,
coordinateur de la mission « canal de Corse »
Débat
58
Vers l’adoption d’un accord bilatéral entre la France et l’Italie en matière de surveillance
maritime
61
Vincent DENAMUR, Sous-directeur de la sécurité maritime, DGITM
Débat
64
La sécurité maritime en haute-mer
68
Michel BABKINE, Secrétariat général de la Mer
Débat
70
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CONCLUSIONS
72
Marie-Henriette ESQUIVIE, Chargée de mission auprès de l’Inspecteur général des Affaires maritimes
Rouchdy KBAIER, Inspecteur général de l’administration du développement durable, CGEDD,
coordinateur de la mission « canal de Corse »
73
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Ouverture
Anne-Marie LEVRAUT
Vice-présidente du CGEDD
Bonjour à tous.
Au nom du CGEDD, je suis heureuse de vous accueillir à ce séminaire organisé conjointement par le
Conseil général, la Direction des Affaires maritimes et l’Inspection générale des Affaires maritimes.
Ce séminaire est consacré au retour d’expérience sur le processus ayant abouti à l’accord
international de séparation du trafic franco-italien dans le canal de Corse. Cet accord a été adopté par
l’Organisation maritime internationale.
Le thème du séminaire, « Sécurité en mer et protection du milieu marin » est bien sûr au cœur des
enjeux du Ministère pour l’économie bleue. Nous étudierons en effet comment concilier protection de
l’environnement et activité économique. Les enseignements de la méthode pour aboutir à cet accord
sont sans doute utiles pour d’autres négociations à venir.
Je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement les organisateurs de ce séminaire et tous les
intervenants, qui nous permettront par leurs points de vue croisés d’analyser le déroulement du
processus ayant conduit à cet accord et les enseignements que nous pouvons en tirer.
L’accord international de création du dispositif de séparation du trafic a été une véritable course
d’obstacles et contre-la-montre. Le 8 décembre 2014, la ministre a confié au Conseil général de
l’Environnement et du Développement Durable, en relation avec l’Inspection générale des Affaires
maritimes et la Direction des Affaires maritimes, une mission de préparation et de mise en œuvre de
mesures de sécurité dans le canal de Corse. Depuis un peu moins de deux ans, nous avons donc
accompli beaucoup de chemin.
Cette mission a été diligentée après la catastrophe du Costa Concordia. Elle été voulue par notre
ministre, qui a pris conscience des risques pour l’environnement et les côtes suite à ce naufrage. Elle
s’est avérée compliquée, puisque nous nous sommes heurtés aux prérogatives des Etats, qui sont
très attachés au sacro-saint principe de la liberté des mers
Pourtant, cette catastrophe du Costa Concordia a coûté la vie à de nombreuses victimes et a perturbé
le trafic maritime. Elle témoigne de la nécessité de réguler les mouvements dans cette zone
particulièrement vulnérable. 20 000 navires – soit 54 navires par jour – transportant plus de
25 millions de tonnes de marchandises dangereuses empruntent le canal de Corse. Ce trafic
provoque le croisement de flux de navires dans la partie centrale du canal, créant ainsi un important
risque d’abordage. Jusqu’à présent, il n’existait aucun système d’organisation du trafic maritime dans
le canal et les navires n’utilisaient aucune séparation d’usage.
Aujourd’hui, à la veille de l’entrée en vigueur de cet accord, ce séminaire vise à faire le point sur les
18 mois de négociations et à tirer les leçons de cette méthode. Cette dernière a été basée sur la
concertation avec tous les acteurs, publics et privés, nationaux, européens et internationaux.
Pour mener ce travail à bien, les différents services ont fait preuve d’une coordination exemplaire, qui
s’est traduite par une convergence de moyens. Je pense au travail réalisé au plan national entre la
DAM, l’IGAM et le CGEDD, qui a permis de surmonter les obstacles et les doutes parfois forts que
nous avons rencontrés. Au plan déconcentré, ceux qui ont en charge la sécurité et la surveillance en
mer, notamment la Préfecture maritime de Méditerranée et le Cross, ont également fourni des apports
décisifs. Je souhaite aussi saluer l’apport du CEREMA dans la préparation du dispositif. Autour de
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cette table, vous êtes nombreux à avoir été des acteurs de cette aventure.
Un deuxième enseignement en conforte d’autres, beaucoup plus généraux. L’implication dès l’amont
des parties prenantes apparaît en effet comme un gage de réussite. Cette méthode correspond aux
objectifs de notre ministre de promouvoir, pour tout le projet, la participation des acteurs le plus
précocement possible. Ainsi, les élus corses, mais aussi l’office de l’environnement de la Corse et les
armateurs ont donné leur avis et fait part de leurs suggestions sur ce projet. Les deux déplacements
de la ministre sur place ont contribué à montrer l’importance qu’elle accordait à la sécurité dans le
canal de Corse, mais également aux intérêts environnementaux vitaux. Dans le même temps, la
préfiguration du parc naturel marin de Haute-Corse a été engagée.
Dans cet esprit, l’accord avec Armateurs de France est exemplaire de la volonté de rendre compatible
l’activité économique avec les conditions de sécurité et la protection de l’environnement. Les
armateurs emprunteront la zone de navigation côtière tout en s’éloignant de la côte et donc en la
protégeant.
Enfin, je salue toutes les personnes qui ont permis à ce projet d’aboutir. Il s’avère en effet plus que
jamais nécessaire d’être opiniâtre pour faire aboutir un tel projet. Il a fallu convaincre les autorités
italiennes, qui ont accepté le principe d’un dispositif de séparation du trafic, accompagné d’une zone
de navigation côtière. Il a fallu aussi convaincre l’Union européenne et les Etats-membres de
l’Organisation maritime internationale. Le Directeur des Affaires maritimes, Thierry Coquil, va évoquer
maintenant le travail technique particulièrement important mené par sa Direction pour arracher
l’accord de l’OMI.
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Thierry COQUIL
Directeur des affaires maritimes au MEDDE
Merci Anne-Marie.
Bonjour à toutes et tous et merci de me donner l’opportunité de co-introduire ce séminaire. Je
considère surtout cet honneur comme une reconnaissance pour les services des Affaires maritimes,
que je représente ici très modestement et qui ont contribué à cette action. Je n’ai en effet pour ma
part pas du tout contribué à cette dernière. C’est donc avec un grand détachement que je peux
introduire ce séminaire.
Il s’agit là d’un projet collectif, comme j’ai pu le ressentir dans les différents services. Autour de la
table sont réunis une grande partie des complices de ce forfait. En effet, comme je vais l’expliquer, il
s’agit tout de même d’un certain forfait. Je présume que la journée qui va suivre permettra de mieux
comprendre en quoi nous ne sommes pas très loin du blasphème.
Je voudrais remercier particulièrement Rouchdy Kbaier, parce qu’il me semble que, sans lui, ce projet
n’aurait pas été mené à bien. Sa persévérance à porter ce projet s’est en effet avérée déterminante et
les contacts qu’il a pu lier ont permis de dénouer cet écheveau.
Je tiens également à remercier les membres de la représentation permanente auprès de l’OMI et
François-Xavier Rubin de Cervens, qui a été un acteur très important de cette négociation, ainsi que
Madame Cancemi, de l’Office de l’Environnement de la Corse et Monsieur Alain Piquemal. Je
remercie aussi évidemment tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à cette action et vous
toutes et tous qui êtes présents aujourd’hui.
Trois dispositifs ont été mis en place. Le dispositif international est double, avec un rail de séparation
du trafic et une mesure d’éloignement de la côte. Le dispositif national vise à éloigner les ferries de la
côte. Une action de coopération bilatérale avec les Italiens vient en outre de commencer. Ce sont
donc trois actions qui ont été mises en place, dont la première prendra effet le 1er décembre. Nous ne
sommes évidemment pas encore en capacité de dresser un bilan de ces dispositifs, mais allons
entamer la première étape, celle de la mise en place.
Cela n’a pas été facile, car comme l’a dit Anne-Marie, il a fallu convaincre les Italiens, l’Union
européenne et les armateurs français. Il me semble d’ailleurs qu’un représentant de nos armateurs
est aujourd’hui à ce séminaire. Ces derniers ont facilité la tenue de ce débat, même si les
transporteurs maritimes sont toujours vigilants à ce que l’on ne leur impose pas de barrières. Les
armateurs n’ont donc pas été un frein et je les en remercie.
Avec l’OMI, le travail semble toutefois avoir été plus compliqué. Cette Organisation s’est évidemment
montrée plus réservée face à cette initiative, ce qui est normal. Le ministère que nous représentons
ferait preuve de réticences similaires dans des situations comparables. L’OMI a donc sans surprise
souhaité connaître les raisons qui justifiaient les obstacles que nous entendions lui imposer. Lorsque
nous étudions les chiffres, le passage concerné reçoit beaucoup de trafic, mais il ne s’agit pas pour
autant d’un passage de premier plan au niveau mondial. L’OMI était donc réticente, d’autant qu’elle
s’appuie largement sur la convention de Montego Bay et sur le principe de libre circulation au sein des
espaces maritimes. Les discussions sur la souveraineté et la possibilité de nationaliser des espaces
marins sont donc complexes à mener avec l’OMI, qui ne souhaite pas créer de jurisprudence sur ces
sujets. Il s’agit là d’une bataille de fond pour l’OMI, qui est aussi très vigilante au sujet des éventuelles
barrières au transport maritime, comme les distorsions de concurrence, la simplification du transport
maritime, etc. Un tel projet lui semblait donc étonnant.
Les rails de sécurité tels qu’ils existent en France, comme dans le canal de la Manche, sont naturels
en ce qu’il s’agit de questions de sécurité. Effectivement, la sécurité maritime fait partie des intérêts
du monde maritime. Dès lors que l’on est sur une question environnementale, c’est un peu plus
compliqué. Notre projet n’avait pas trait à un rail déterminé par une considération de sécurité maritime
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proprement dite. C’est en effet un déterminant environnemental qui a poussé ce projet, qui a d’ailleurs
pour cette raison été entouré de réticences. La Terre compte environ 250 rails de ce type et l’OMI
craint que ces rails se multiplient à terme, ainsi qu’une espèce d’urbanisation de l’espace marin qui
compliquerait les déplacements. Toutefois, cette urbanisation ou planification de la mer aura sans
doute un peu lieu et nous serons certainement de plus en plus amenés à poser sur la mer des
restrictions de circulation qui ne sont plus liées au système maritime, mais à d’autres intérêts,
notamment environnementaux. Il faudra donc s’y habituer. C’est sans doute pour cette raison que les
négociations avec l’OMI ont duré six heures et qu’avec cette jurisprudence du rail de Corse, une
question plus importante était en jeu. Nous pouvons également imaginer qu’un jour, des aires marines
protégées puissent également générer quelques restrictions de circulation. Des restrictions de
mouillage ont déjà été mises en place dans certaines zones. Le développement des énergies en mer
et les parcs éoliens ont également induit des restrictions de circulation, ce qui semble mieux accepté.
L’OMI paraît en effet comprendre plus facilement les intérêts économiques que les intérêts
environnementaux. Les gisements pétroliers sont protégés depuis un certain temps, de même que les
fermes aquacoles. Nous sommes donc face à un sujet plus vaste.
Par ailleurs, contrairement à d’autres instances internationales, l’OMI n’est pas totalement dans les
mains des pays développés. Cette situation pose problème, mais nous habitue à ce que sera le futur.
Nous, pays développés, devons en effet nous habituer au fait que le monde ne sera peut-être plus
comme il l’a été, ni comme nous l’avons construit. Les équilibres sont ainsi en train de changer dans
des instances que nous, pays développés, avons créées, mais qui nous ont échappé. L’OMI a été
créée à une époque où les flottes étaient européennes et américaines, alors qu’elle est
principalement tenue par des pays qui ne sont pas développés et qui ont d’autres considérations que
les nôtres. C’est un fait que nous devons avoir en tête.
Ce sujet « Environnement et sécurité maritime » résume par ailleurs assez bien une grande partie de
l’action que nous menons aux affaires maritimes. Souvent, nous sommes perçus comme une
administration obsédée par la sécurité, une administration de contrôle qui n’aurait pas compris les
enjeux environnementaux. Or ce projet montre bien le lien intrinsèque entre ces deux sujets ; il n’est
pas possible de protéger l’environnement sans sécurité maritime. A l’inverse, nous constatons au
quotidien que, souvent, ce sont in fine des objectifs environnementaux qui motivent nos actions de
sécurité maritime. Si nous nous penchons sur les quinze à vingt dernières années, l’essentiel des
textes que nous avons produits ou que nous mettons en place en matière de sécurité maritime ne
concerne en fait plus du tout la sécurité maritime, mais les eaux de ballast, le soufre, le CO2, etc. Ce
sont surtout ces sujets que nous traitons aujourd’hui lorsque nous parlons de sécurité maritime.
L’administration de la mer est donc en pleine mutation.
Vous pourrez également vous interroger sur la façon dont nous traiterons ces sujets lorsque les
navires ne seront plus gouvernés par des capitaines. Les navires seront-ils alors télécommandés ?
Comment les rails vivront-ils à cette époque ? Ces questions sont intéressantes.
Merci beaucoup et bonne journée.
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Les mesures d’organisation du trafic et
l’instauration du dispositif d’une zone de navigation
côtière et d’une séparation de trafic franco-italien
dans le canal de Corse
Jean-Luc LE LIBOUX
Directeur du BEA mer
Bonjour à tous.
Ma présence ici tient essentiellement à mes précédentes fonctions, lorsque j’assurais le pilotage de la
sous-direction de la Sécurité maritime. J’ai été aux côtés de Rouchdy l’un des acteurs de ce dossier
passionnant et parfois un peu surprenant.
Il me revient donc l’honneur de tenir le rôle de modérateur ce matin et je vais sans plus tarder céder la
parole à Jean-Jacques Morvant, chargé de mission auprès de l’Inspection générale des Affaires
maritimes. Précédemment, il était chef du Bureau du Sauvetage et de la circulation maritimes. Il a été
l’une des chevilles ouvrières de ce dossier. Il est donc particulièrement bien placé pour nous faire
ressentir les enjeux de ce projet.
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Les enjeux des mesures d’organisation du trafic sur la sécurité et la sauvegarde de la vie
humaine en mer dans des zones particulièrement fréquentées
Jean-Jacques MORVANT
Chargé de mission, IGA
Merci, Jean-Luc. Je fais effectivement partie de l’équipe qui a permis l’adoption du dispositif mis en
place dans le canal de Corse.
Je souhaitais revenir sur les conditions générales qui prévalent en matière d’assurance de la
navigation, domaine qui évolue très rapidement et dans lequel les contraintes sont de plus en plus
lourdes, avec toujours plus de réglementations qui pèsent sur les navigants, ainsi que sur l’ensemble
du monde maritime (Cross, ports et tout le dispositif nautique).
Je propose de revenir avec vous sur les bases légales qui définissent cet environnement, puis de me
concentrer dans un second temps sur l’environnement opérationnel.
J’ai utilisé une présentation en anglais et j’ai décidé de ne pas le traduire, puisqu’il s’agit d’une
matière éminemment opérationnelle que je veux traiter ici. La surveillance de la navigation se joue en
effet en anglais au sein de l’OMI et se pratique en anglais dans les Cross. Pour camper le débat, ma
présentation sera donc effectuée dans la langue de Shakespeare.
Je reviendrai tout d’abord sur l’environnement international et toutes les conventions et résolutions.
Nous étudierons ensuite le rôle de l’Union européenne, acteur de plus en plus prégnant dans ce
domaine. Enfin, je traiterai de notre organisation nationale, avec notre dispositif réglementaire.
Ma deuxième partie aura trait à l’environnement opérationnel. Je reviendrai ici sur notre organisation
opérationnelle dans le Nord de la France. Cette région a en effet été pionnière sur ces sujets et, au
cours de mes fonctions précédentes, j’ai participé à plusieurs réunions internationales, ce qui m’a
permis de constater que certains états s’étaient appuyés sur les mesures mises en œuvre par nos
grands anciens. De même, nous avons également joué un rôle fondamental en matière de systèmes
d’information. Enfin, j’ébaucherai l’intervention d’Antoine Ferri en en venant à la considération
environnementale, qui est de plus en plus forte.
Réglementation internationale
La Convention de Montego Bay a été signée le 10 décembre 1982. Elle comporte toute une série de
rappels, notamment au sujet du droit de passage inoffensif à travers les eaux territoriales. Elle
contient également des dispositifs réglementaires pour les états côtiers, que ces derniers doivent
respecter en matière de liberté de passage des navires. Son item 41 a trait aux dispositifs de
séparation de trafic, qui permettent de construire ces mesures qui vous seront expliquées plus en
détail avec l’étude de l’exemple du canal de Corse. Son item 42 concerne les dispositifs relatifs aux
états qui bordent les détroits et qui sont en relation avec les passages de la navigation internationale.
La Convention Solas, signée au 1er novembre 1974, contient des éléments relatifs aux routes des
navires, notamment dans son chapitre 5. Elle se penche aussi sur le système de report de
positionnement des navires, avec sa règle 5.11, sur les centres de surveillance de la navigation et,
dans sa règle 5.13, sur les aides à la navigation et les équipements. Cette convention fait figure de
réglementation incontournable. Son chapitre 6 traite plus spécifiquement du transport des matières
dans les navires, pour lequel l’environnement réglementaire est très précis. Les états côtiers sont
soumis à des obligations en matière d’inspection et de surveillance des navires et ont notamment
l’obligation de réparer tout incident qui peut survenir aux navires. La règle 7.7 se rapporte au transport
de matières dangereuses solides sur les navires. La règle 1 est également très importante. Elle définit
ce que sont les séparations de trafic et les règles à suivre pour se mettre en conformité avec cet
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environnement réglementaire. La règle 10 a trait quant à elle au comportement des navires au sein
des dispositifs de séparation de trafic. Elle est au cœur des dispositifs ; nous y reviendrons.
La règle de MARPOL (Marine et Pollution), établie de 1973 à 1978, concerne le report des incidents
qui surviennent sur des navires transportant des substances dangereuses. Elle comporte également
des précisions sur les obligations de report de compte rendu, sur les moments selon lesquels ces
comptes rendus doivent être rédigés, sur les contenus de ces comptes rendus et sur les éventuels
comptes rendus supplémentaires qui doivent être établis.
Ces conventions internationales apparaissent donc bien comme les pivots de notre réglementation.
Certaines résolutions doivent être suivies dans l’élaboration d’une réglementation. Tout d’abord, la
résolution 572 de l’OMI, en date du 20 novembre 1985 concerne les routes des navires. La résolution
du 27 novembre 1997 a trait quant à elle aux principes généraux relatifs au report des navires et des
équipements obligatoires des navires. Elle évoque aussi les lignes directrices des reports d’incidents
liés à des matières dangereuses ou des substances toxiques, ainsi que d’autres lignes directrices,
pour les centres de surveillance de la navigation.
L’OMI a en outre édicté une résolution le 5 décembre 2003, concernant les lieux de refuge, en cas
d’assistance notamment. Cette résolution se rapporte aussi aux centres d’assistance des navires.
Directives européennes
La directive 2002/59 a été suivie par la directive 2009/17. Toutes deux établissent une sorte de
communauté pour l’ensemble des services qui font de la surveillance maritime et emportent plusieurs
obligations concernant les reports et la surveillance en tant que telle. Les notifications lors de l’entrée
des navires dans les ports y sont évoquées, ainsi que la surveillance des navires qui entrent dans les
zones de report obligatoires (les comptes rendus obligatoires) et l’utilisation de l’AIS, système de
navigation qui a révolutionné la pratique de la surveillance de la navigation. Jusqu’au milieu des
années 2000, la reconnaissance était en effet compliquée, car elle ne passait que par l’image radar et
nécessitait donc un contact radio. A présent, l’identification des navires est beaucoup plus simple. Elle
est en effet automatique avec les AIS.
L’utilisation des systèmes de routage des navires et les équipements à bord sont donc évoqués dans
ces directives européennes, ainsi que l’équipement des VTS et des spécifications relatives à
l’enregistrement des navires, plus connu sous le sigle « VTR », et tout ce qui concerne les systèmes
d’enquête.
Ces directives emportent en outre des notifications concernant le transport des produits dangereux à
bord des navires, comme l’obligation de notification et de déclaration des produits dangereux, ainsi
que les règles d’échanges d’informations entre états membres. Le titre 3 a trait à la surveillance des
navires transportant des produits dangereux, en cas d’incident en mer. Il prévoit la transmission des
informations concernant certains types de navires, les reports d’incidents en mer et les mesures qui
doivent être prises en cas d’environnement nautique exceptionnel, notamment lors de conditions
météorologiques dégradées. Il a également trait aux lieux de refuge.
Voilà donc pour ce qui concerne les références de niveau européen.
Références françaises
Entrons à présent dans le niveau français.
Nous pouvons évoquer la réglementation du 30 décembre 2011, qui est très importante pour les
Cross. Il s’agissait alors de se conformer aux exigences européennes, l’obligation de mise en
conformité étant fixée au 1er janvier 2012.
Ce décret définit les mesures de surveillance et l’organisation des Cross, notamment la responsabilité
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de la surveillance de la navigation. Cette dernière est effectuée sous l’autorité du Préfet maritime, qui
a pour représentant permanent le Directeur du Cross, qui agit sous son autorité. La surveillance de la
navigation consiste à recevoir l’ensemble de l’information provenant des navires, et notamment les
comptes rendus obligatoires des navires longeant les côtes françaises. Il s’agit également de codifier
les échanges avec les partenaires européens. Nous disposons ainsi à présent d’une vaste toile, à
laquelle l’ensemble des ports européens sont connectés. Il est donc possible d’échanger en temps
réel toutes ces informations concernant les navires. Les difficultés peuvent ainsi s’anticiper.
En France, ce sont les Cross qui assurent ces missions. Ces dernières sont déclinées à travers les
VTS. Les Cross effectuent des missions de surveillance, voire de conseil, pour les navires qui
composent le flux de trafic.
Nous en venons à présent au cœur de notre sujet, la détection des situations à risque et la possibilité
d’intervention, pour faire en sorte que les navires soient au courant de l’existence d’un risque. Au titre
du MAS ??, le Cross organise l’information et l’assistance éventuelle aux navires, ainsi que la
fourniture d’une assistance avec le recours à un remorqueur si cela s’avère nécessaire. Une
coopération entre le commandant et les autorités est donc prévue.
Les Cross sont en train de mettre en œuvre des procédures internes, qui leur permettront de faire
face à ces situations. Je suppose que ce travail est en bonne voie, comme je le constate d’ailleurs à
la vue de vos visages qui s’éclairent.
Environnement opérationnel
Je vous propose d’en venir à présent aux considérations opérationnelles.
La Manche compte trois dispositifs de séparation de trafic, à Corsen, Jobourg et Gris-Nez. Nous
constatons des situations différentes en fonction de ces trois Cross. Celui de Corsen est pour
l’essentiel confronté à des problématiques liées à des flux issus du sud de l’Atlantique, qui entrent en
Manche, et à la présence de nombreux bateaux de pêche, qui complexifie la navigation à cet endroit,
notamment pour la route du Nord vers les ports de la façade Ouest française. A Jobourg, nous
sommes face à des situations similaires, avec des flux d’entrées de navires du continent nordaméricain, qui se retrouvent dans le flux de trafic du DST. Gris-Nez se caractérise pour sa part par la
longueur de son DST. Il s’agit d’un cas d’école, car nous y retrouvons l’ensemble des risques qui
pèsent sur la navigation, avec des routes qui viennent couper le flux. Les ports de commerce de
Calais et de Douvres occasionnent un fort trafic de navires de transports de passagers. Douvres est
en effet le premier port à passagers au monde et Calais, le second. Le flux est donc très important.
36 000 navires empruntent ainsi le détroit de Gris-Nez chaque année, pour 160 millions de tonnes de
matières dangereuses. Les situations rapprochées sont au nombre de deux par jour, ce qui est
énorme. Les considérations opérationnelles sont donc très prégnantes à Gris-Nez, puisque les Cross
sont les gardiens de la fluidité du trafic. Ils ont en effet la possibilité de dresser des contraventions dès
lors que la conformité avec les règles n’est pas parfaite. Lorsque j’étais directeur de Gris-Nez, j’avais
ainsi coutume de comparer le Cross à un chien de garde dans sa composante surveillance de la
navigation, et un saint-bernard dans sa composante sauvetage. Le Cross ne doit donc pas hésiter à
dresser des procès-verbaux. 32 procès-verbaux ont d’ailleurs été établis en 2014.
Le Cross doit intervenir en cas de DEFREP ??, lorsque le navire est en difficulté. Nous en constatons
une trentaine chaque année pour Gris-Nez et davantage sur Jobourg. Ces situations sont plus
fréquentes l’hiver, lorsque les navires sont soumis à des conditions difficiles. Avec les nouvelles
réglementations relatives au soufre, nous remarquons que, lorsque les navires entrent dans les eaux
européennes, ils effectuent des changements de fioul qui peuvent occasionner de nombreux
problèmes. Ces situations attirent donc la vigilance des Cross.
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Point sur les situations rapprochées
J’ai essayé de lister très rapidement et de façon très synthétique les situations rapprochées,
notamment lorsque les routes des navires convergent et que leurs routes laissent supposer que le
rapprochement est effectif à 0,5 nautique et un délai de 10 minutes. Chaque Cross est en effet
sensibilisé sur ces critères. Nous sommes également sensibilisés à la navigation le long des côtes,
notamment à Corsen. Il est aujourd’hui possible d’emprunter ce détroit, ce qui attire donc la vigilance
de ce Cross. Les navires à passagers peuvent emprunter les détroits et la mise en place de cette
réglementation s’est effectuée un peu contre certains états du pavillon. En effet, les Cross offrent des
garanties, de même que la présence toujours réaffirmée de remorqueurs de haute mer sur nos
pointes. A Corsen, nous disposons ainsi d’un RIAS, un remorqueur d'intervention, d'assistance et de
sauvetage.
Perspectives
Nous poursuivons un projet de compte rendu unique pour la Manche, même si un tel projet peut
paraître illusoire et ne semble aujourd’hui pas encore d’actualité. La perte de containers constitue un
autre sujet de préoccupation. Nous constatons en effet que la navigation dans le Nord de la France
est difficile et, bien souvent, des navires perdent des containers. Il est ainsi arrivé qu’au large de
Brest, un navire perde 517 containers. Cet épisode avait alors suscité des inquiétudes. Dans ces caslà, il est important de collecter l’information et de la faire connaître aux navires en transit dans la zone.
Des fermes éoliennes ont été mises en place côté anglais et devraient l’être également en France.
Elles constitueront alors une problématique pleine et entière.
Le panorama du Nord de la France est donc plutôt stressant, notamment pour les navigants, qui
doivent rester vigilants sur cette zone. Dans le Sud, la problématique est différente, mais il ne faut pas
la négliger. Il s’agit d’une problématique essentiellement environnementale. Ces sujets peuvent être
liés à la présence de mammifères marins, de baleines, de dauphins et de la flore et de la faune en
général. Dans ces cas-là, la surveillance de la navigation doit être effectuée de façon efficace et
permanente. Elle doit également être la plus dissuasive possible.
Je propose à présent à Antoine Ferri d’évoquer les questions d’environnement nautique du canal de
Corse et du détroit de Bonifacio.
Merci.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci, Jean-Jacques. Cette transition est tout à fait bienvenue.
Nous allons en effet donner la parole à Antoine Ferri, Directeur du Cross Méditerranée, qui connaît
donc parfaitement les questions de la surveillance de la navigation. Il va d’ailleurs nous exposer ce
problème sous l’angle de la Méditerranée.
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Les enjeux en Méditerranée des mesures d’organisation du trafic sur la sécurité et la
sauvegarde de la vie humaine en mer
Antoine FERRI
Directeur du Cross Méditerranée
Merci Jean-Luc.
Bonjour à tous.
Je ne me sens pas un spécialiste de la surveillance de la navigation telle qu’elle vient d’être
présentée. En effet, je ne vis pas cette problématique des rails de circulation en Méditerranée.
Les missions du Cross Méditerranée
Le Cross Méditerranée doit assurer de nombreuses missions. Si le sauvetage est bien connu, les
missions de prévention et de protection ne doivent pas être oubliées. Nous intervenons dans un vaste
domaine. Nous sommes donc bien un centre de sauvetage au sens de la convention de Hambourg,
mais notre mission de surveillance de la navigation est parfois bien plus complexe que le sauvetage,
car elle n’est pas organisée comme en Manche. J’aime beaucoup ce rôle de centre de prévention et
de protection. Pour nous, ce rôle consiste à surveiller plusieurs activités économiques en mer, pour
prévenir tout risque et toute atteinte à l’environnement, assez fragile en Méditerranée. C’est bien cette
mission que je vais tenter d’illustrer par mes propos.
Deux zones sont importantes pour nous. Dans la zone recherche et sauvetage définie par l’OMI, le
Cross agit dans ses missions de sauvetage en mer et de services d’assistance maritime, c'est-à-dire
les points de contact entre les navires et les autorités à terre. Il agit aussi dans la zone économique
exclusive méditerranéenne, qui date de la fin de l’année 2012 et dans laquelle il exerce sa mission de
suivi du trafic maritime, mais aussi de surveillance des pollutions et de diffusion des renseignements
de sécurité maritime. Ces missions sont donc toutes liées à ce rôle de sauveteur et de protecteur.
L’environnement méditerranéen
Vous connaissez tous les richesses de cette mer, que l’on appelle Mare nostrum, mais je tenais à
rappeler des éléments essentiels dans notre quotidien, qui font la spécificité de la Méditerranée. « La
grande bleue » correspond à une image d’Epinal trompeuse. Je rappelle en effet que nous
connaissons des bulletins météo spéciaux deux jours sur trois, avec des vents soudains, qui rendent
cette mer dangereuse. Celle-ci attire énormément d’activités touristiques, ce qui a des influences en
matière de surveillance de la navigation. La plaisance correspond ainsi à une grande partie de notre
activité, avec de nombreux yachts de plus de 80 mètres, sans parler du trafic maritime de passagers.
Ce trafic s’effectue de plus dans un espace fermé, ce qu’il ne faut pas oublier. L’activité croisières a
quant à elle tellement progressé qu’elle dépasse actuellement quasiment celle de l’arc des Caraïbes,
avec des navires transportant de 4 000 à 5 000 personnes. Tout cela représente donc des défis de
grande ampleur. L’actualité nous rappelle d’ailleurs que, si la Méditerranée est le théâtre de la
question des migrants, pour un Cross, ce terme de « migrants » n’existe pas, puisqu’il ne s’agit pour
lui que de personnes à sauver en mer. Si ces affaires sont pour l’heure un peu éloignées de ma zone,
il est possible qu’elles y fassent irruption prochainement, à partir de la Sardaigne.
En outre, en Méditerranée, l’activité halieutique est moindre qu’ailleurs, avec moins de 2 % des
captures mondiales. Elle demeure néanmoins conséquente au regard de ses zones de pêche, qui ne
représentent que 1 % du volume mondial. Lorsque nous évoquerons les enjeux d’environnement,
nous pourrons également aborder la faune et la flore présentes en Méditerranée, où 30 % des
espèces sont endémiques et représentent 7 % des espèces marines globales, pour moins de 1 % de
la surface globale.
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Les aires maritimes protégées s’y développent, ainsi que les coopérations avec les pays tiers, tels
que le sanctuaire de protection des mammifères marins.
Les risques en Méditerranée
Une fois cet environnement brossé, penchons-nous à présent sur les risques. Pour le sauveteur
protecteur que je suis, mon premier métier est lié aux risques relatifs à la vie humaine, mais il n’y a
pas que cela. L’activité de plaisance est prédominante dans l’activité quotidienne d’un Cross, mais il
ne faut pas oublier les activités liées aux navires à passagers. Des milliers de personnes passent en
mer chaque jour et les événements tragiques du Norman Atlantic survenus à la fin de l’année 2014
nous rappellent que, dans des conditions météorologiques difficiles, l’évacuation de plus de
400 personnes sur un navire est très compliquée.
La Méditerranée est donc bien une zone de navigation sensible, en raison des trafics de passagers,
mais aussi de l’environnement géographique. Cette mer semble ainsi très ouverte, alors qu’entre la
Corse et la Sardaigne et entre le Cap Corse et les îles italiennes se situent des zones de fort trafic et
des passages resserrés, qui méritent toute notre attention.
Nous devons également citer les atteintes à l’environnement dues au trafic commercial, aux activités
touristiques, industrielles ou halieutiques.
Il faut également noter que les risques en Méditerranée sont empreints d’une saisonnalité très forte.
La période de juin à fin septembre représente en effet 60 % de notre activité. Le trafic des navires
passagers est doublé en Corse pendant cette période. La saisonnalité est donc importante. En
matière de sauvetage, vous savez également que nous effectuons 60 % à 70 % de notre activité sur
cette période.
Surveillance de la navigation maritime
La mission de surveillance de la navigation pour le Cross Méditerranée est originale, parce que,
contrairement à ce que vous avez pu constater dans le Nord, il n’y a pas de service de circulation
maritime dans notre zone. Le Cross de Méditerranée et son sous-Cross en Corse ne disposent pas
de personnel qui surveillerait l’activité derrière des écrans. Cette activité est originale, parce qu’elle
est basée sur la récupération d’informations issues de nos partenaires des différentes administrations
et d’informations obligatoires, que doivent nous transmettre les navires dès qu’ils rentrent dans nos
zones ou dès qu’ils connaissent une difficulté. Ensuite, nous devons analyser ces informations.
Même si cette mission est originale, nous remplissons les trois items de la mission de surveillance de
la navigation telle qu’elle nous a été définie, avec le suivi du trafic maritime, basé sur les comptes
rendus obligatoires des navires et le service de trafic maritime. Si nous disposons d’un VTS à
Bonifacio, cet outil n’a rien à voir avec ce qui est fait en Manche. De plus, ce n’est pas le Cross qui le
pilote directement, puisqu’il s’appuie sur un sémaphore que nous évoquerons par la suite. Nous
disposons également des services d’assistance maritime que j’ai évoqués tout à l’heure.
Cette mission de surveillance est conduite pour assurer la surveillance générale de navigation dans
l’ensemble de la zone, SRR comme ZEE et mettre en œuvre, par l’intermédiaire du sémaphore de la
marine nationale de Pertusato, le dispositif de route recommandée et de signalement obligatoire des
bouches de Bonifacio. Il s’agit aussi de réceptionner toutes les informations et de les analyser, et de
gérer les autorisations de mouillage tout en préservant l’environnement.
Vous constaterez donc que notre travail est très différent de celui d’un service de circulation maritime
abrité par les Cross du Nord.
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Les bouches de Bonifacio
Bonifacio Trafic est un système d’information au profit des navires. Dans la zone des bouches de
Bonifacio, nous devons gérer 3 000 navires par an, soit huit à neuf par jour. Ce trafic est modeste,
mais la zone est très étroite et très fragile. Les résolutions et circulaires émises par l’OMI il y a
presque vingt ans ont institué ce système de surveillance et d’information, développant des zones de
prudence et des voies recommandées. Nous avons également mis en place il y a deux ans un
pilotage hauturier, qui est proposé aux navires transitant par les bouches de Bonifacio. Pour assurer
cette surveillance confiée au sémaphore de Pertusato, il a fallu mettre en place un protocole entre la
Marine nationale et la Direction des Affaires maritimes. Nous avons également dû définir des
procédures opérationnelles et institué des accords de coopération avec nos amis italiens, puisque les
sémaphores de Pertusato et de Maddalena assurent alternativement chaque semaine la surveillance
du trafic. Italiens et Français se sont également entendus pour interdire l’accès à la zone à leurs
navires transportant des cargaisons dangereuses.
Le DSTdu canal de Corse
Nicolas Maire développera ce sujet tout à l’heure. L’environnement de ce DST vous a été détaillé,
avec son parc marin et son aire marine protégée, mais c’est surtout l’activité qui différencie ce canal
des bouches de Bonifacio. Ce sont en effet 20 000 navires qui l’empruntent chaque année. Nous
notons récemment une légère baisse d’activité, mais le tonnage des navires ne diminue pas. Les
navires sont donc désormais moins nombreux, mais plus gros, ce qui ne limite pas le danger. Il ne
faut également pas oublier les activités de plaisance, de pêche et le trafic important avec le port de
Bastia, dont l’activité double en période estivale.
Ce DST est original, puisqu’il n’est pas doté de comptes rendus obligatoires. Il s’appuie également sur
les sémaphores de Sagro et du Cap Corse, en plus de celui d’Alistro, qui constitue une première
sentinelle. Le Cross travaille donc en partenariat avec les sémaphores et avec les Italiens pour
assurer cette mission.
La mise en œuvre de cette mission de surveillance de la navigation constitue donc la tâche finale d’un
travail commun, avec de nombreux partenaires. Elle nécessite pour le Cross une nouvelle
organisation. Nous avions en effet pris l’habitude de travailler sur un DST avec Pertusato, alors que
nous travaillerons désormais avec deux sémaphores. J’ai la chance de disposer de personnel en
Corse. Je vais donc pouvoir bien utiliser ce personnel pour réaliser cette mission. Le Cross de
Méditerranée est en ordre de marche pour relever ce défi.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci, Antoine, pour cette présentation claire. Nous avons donc brossé les enjeux, d’un point de vue
global, avec l’exemple de la Manche/Mer du Nord, puis avons étudié la partie méditerranéenne.
J’ajouterai une singularité pour la Corse : le trafic y est particulier. En Manche et en Mer du Nord, le
trafic est surtout marchand, avec des flottilles de pêche, habituées à partager l’espace, tandis que
pour le canal de Corse, comme Antoine l’a souligné, l’activité plaisance est très saisonnière et très
forte. Ces navires, même s’ils sont petits, peuvent être largement perturbateurs par rapport au trafic
marchand.
Je cède la parole à présent à la véritable cheville ouvrière de ce dossier, Nicolas Maire, administrateur
des affaires maritimes. Nicolas est chargé de mission au Bureau du Contrôle de la navigation et du
sauvetage maritime. Il a dû établir plusieurs scenarii, en fonction de l’évolution de ce dossier, qui n’a
pas été simple.
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Le DST franco-italien dans le canal de Corse approuvé par l’OMI
Nicolas MAIRE
Bureau du sauvetage et de la circulation maritimes, Direction générale des infrastructures de la mer
(DGITM)
Merci, Monsieur le Liboux.
Je vais donc vous présenter en détail le dispositif de séparation du trafic. Cette présentation va
probablement croiser deux problématiques qui ont été ou seront abordées pendant ce séminaire. Je
ne ferai que les effleurer et laisserai les experts approfondir ces sujets. Néanmoins, il m’a semblé
nécessaire d’aborder ces facteurs qui permettent une meilleure compréhension des raisons qui ont
poussé la création de ce DST.
Situation du canal de Corse
Le canal de Corse est un passage naturel entre la mer de Ligurie, la mer Tyrrhénienne, la Sicile,
l’Italie continentale et la Corse. Il mesure 45 nautiques de long et 15 de large dans sa partie la plus
étroite, et 28 dans sa partie la plus large. Il est situé entre la Corse et l’archipel toscan, dépendant de
l’Italie et composé pour l’essentiel des îles de Capraia, d’Elbe, de Pianosa, de Montecristo et du
Giglio.
Le 21 mars 2015, la France et l’Italie ont signé un accord portant sur la délimitation des mers
territoriales et des zones sous juridiction nationale. Cet accord devait au départ combler un vide
juridique, car aucune disposition juridique ne délimitait les eaux du canal de Corse, mais il n’a pas
encore été ratifié par les Italiens.
Le DST sera établi dans la partie la plus étroite du canal de Corse, entre le Cap Corse et l’île du
Capraia. Au sens de la convention de Montego Bay, cette zone est située dans les mers territoriales
franco-italiennes et pas du tout dans les zones économiques exclusives. Néanmoins, au sens de
cette convention, ce canal est considéré comme un détroit servant à la navigation internationale. La
présentation de ce projet à l’OMI et son adoption par les états membres étaient indispensables.
La réglementation locale
En ce qui concerne la réglementation locale, je passerai très rapidement, car Eric Lefebvre abordera
ce point de manière plus précise.
Les autorités maritimes françaises ont établi une réglementation laissant certains navires transportant
des matières dangereuses naviguer au large du Cap Corse. Il en est de même pour les Italiens. Ces
deux pays affichent la volonté de laisser au large certains types de navires et de matières
dangereuses. En effet, les autorités françaises ont bien conscience du risque potentiel que peut
engendrer le trafic maritime, très important en Méditerranée.
Le trafic en Méditerranée
Dans cette mer, la route la plus importante part du détroit de Gibraltar pour rejoindre le canal de Suez
via le Sud de la Sicile. Ce sont environ 100 000 navires qui l’empruntent chaque année – contre
18 000 navires en 2015 pour le canal de Corse – transportant entre 27 et 28 millions de tonnes de
produits dangereux.
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Les études du CEREMA
Pour étudier précisément le trafic maritime en Méditerranée française, le CEREMA a réalisé une
étude de trafic sur la base de la collecte des pistes AIS des navires. Trois routes majeures ont été
dégagées :
•
Une route Nord/Sud depuis Savone, Gênes et Livourne ;
•
Une route depuis Bastia vers les ports de Marseille, Toulon et Nice, ainsi que vers Savone et
Gênes. Cette route est surtout utilisée par les navires à passagers.
•
Une route entre Livourne et Bastia, qui passe au Nord et au Sud de Capraia. Cette route est
exclusivement empruntée par les navires à passagers.
Nous constatons que les navires à passagers passent au plus près de la côte corse pour rejoindre et
quitter Bastia. Il n’y a en outre pas de distinction claire entre les flux opposés de navires dans le canal
de Corse.
Depuis le continent, les navires à passagers passent au plus près du Cap Corse pour rejoindre
Bastia, à moins de deux nautiques de la côte, ce qui fait peser des risques par gros temps. Nous
constatons également qu’il n’y a aucune distinction entre les navires montants et descendants, ce qui
fait craindre des risques d’abordage frontaux dans la partie la plus étroite du canal de Corse.
Il me semble que les 2 paragraphes précédents exposent les mêmes constats, même si le 2ème de
manière complète que le 1er...le 2ème serait suffisant à mon sens
Un environnement méditerranéen sensible
Nous sommes donc au cœur des enjeux de sécurité maritime, qui se conjuguent en Méditerranée aux
enjeux de protection de l’environnement. Des espèces protégées, comme les baleines, les cachalots,
les dauphins et les phoques s’y trouvent en effet. C’est pour cette raison que la France, l’Italie et
Monaco ont créé en 2002 le sanctuaire Pelagos, zone protégée pour les mammifères marins. Il faut
également protéger les côtes corses et italiennes. Ainsi, le parc naturel marin du Cap Corse, d’une
superficie de 7 000 km², a été créé cet été. Côté italien, le parc naturel de l’archipel toscan existe
depuis des années et englobe les îles de cet archipel ainsi que les eaux environnantes, soit environ
700 km² de superficie.
Certes, aucun échouement ni aucun événement de mer significatif ne sont survenus depuis quelques
années dans le canal de Corse – si l’on excepte l’échouement du Costa Concordia sur l’île de Giglio.
Il est néanmoins nécessaire de protéger cet environnement, parce qu’un événement de mer qui
engendrerait une pollution maritime aurait des conséquences catastrophiques pour l’environnement
marin et l’économie locale, très dépendante du tourisme du littoral.
Face à ces enjeux, les autorités maritimes françaises et italiennes ont vite pris conscience de la
nécessité de dialoguer pour réguler ce trafic, prévenir et réduire les risques maritimes. Une première
initiative a ainsi été menée en 2010, qui consistait en la mise en place d’une zone de prudence
circulaire de 15 nautiques de rayon et d’un quadrilatère établissant une obligation de compte rendu.
Ce projet n’a pas abouti en 2010 et n’a pas été repris en 2015. En effet, la zone de prudence ne crée
pas de contrainte particulière, mais constitue un simple appel à la prudence. Or cette mesure ne sera
efficace que si elle est accompagnée d’autres mesures contraignantes. En ce qui concerne le compte
rendu obligatoire, il n’est plus pertinent en 2016, car l’évolution des technologies permet à présent
d’identifier les navires d’autres manières, notamment avec l’AIS.
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Présentation du DST
Le premier objectif du DST consiste à réduire le nombre de situations rapprochées en séparant les
flux opposés de navire. Le second vise à éloigner les navires de la côte corse. Pour le troisième, il
s’agit de réduire au maximum les impacts des navires qui transitent dans le canal de Corse.
Le DST adopté par l’OMI contient donc un dispositif de séparation de trafic au milieu du canal de
Corse, avec deux rails de circulation, le rail descendant côté français et le rail montant côté italien.
Deux zones de prudence ont été mises en place, au nord et au sud du DST. La zone de navigation
côtière pousse l’ensemble des navires à emprunter le DST et à s’écarter de la côte corse, mais
préserve la circulation du trafic local vers Bastia.
Ce DST est situé à 5 nautiques de la côte corse et 5 nautiques de l’île italienne de Capraia. Sa
longueur est de 8 nautiques. Il est donc plutôt petit à l’échelle mondiale (le DST du Pas-de-Calais
dépasse en effet la centaine de nautiques). Les rails de circulation sont longs de 2 nautiques et larges
de 4. Des petites zones de séparation permettent de séparer les flux. Il n’est pas obligatoire d’y établir
des comptes rendus, pour ne pas induire de charges supplémentaires pour les marins et car la
couverture AIS est suffisante pour identifier les navires de cette zone.
Les impacts du DST
Nous avons eu le souci de ne pas trop impacter les navigants en mer. Le CEREMA a ainsi réalisé une
étude d’impact sur les principales routes des navires transitant dans le canal de Corse, qui révèle que
les conséquences du DST seront pratiquement inexistantes pour ces navires.
En effet, le tracé du DST correspond exactement à la route empruntée actuellement par ces navires,
à l’exception de la zone de séparation créée au milieu du canal.
Les navires transportant des matières dangereuses depuis et vers Bastia ne connaîtront aucun
impact, car la réglementation à laquelle ils sont soumis les écarte des côtes corses.
Enfin, les impacts seront mineurs pour les navires à passagers, avec des trafics augmentés de
3 nautiques entre Bastia et Toulon.
J’en ai terminé avec ma présentation et vous remercie pour votre attention.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci, Nicolas, pour cette présentation très pratique et très claire. Vous avez donc tous compris qu’il
fallait transcrire les dispositions internationales en droit interne, dans le cadre des responsabilités du
préfet maritime. Pourquoi « dans le cadre des .. » ? veut on dire que la transcription des dispositions
internationales modifient ou impactent surtout les responsabilités du préfet maritime ?
Je vais à présent laisser la parole à Eric Lefebvre, qui va nous expliquer l’articulation de ces
dispositions entre l’échelon l’international et l’échelon local.
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La zone de navigation côtière et le DST, la complémentarité des règles nationales et des
règles internationales : les arrêtés du préfet maritime régissant la navigation dans la ZNC et
au-delà
Eric LEFEBVRE
Administrateur en chef des affaires maritimes, Préfecture maritime de la Méditerranée
Merci, monsieur l’administrateur général.
Je vais essayer d’éviter les répétitions, car beaucoup a déjà été dit. Maintenant que le travail aux
échelons international et national a été réalisé, charge à la Préfecture maritime de la Méditerranée de
mettre en œuvre ce nouveau dispositif, avec une obligation de résultat dans des délais plutôt
contraints.
Le Préfet maritime
Le Préfet maritime a trois cerveaux :
•
deux cerveaux militaires, dans deux chaînes différentes (une chaîne opérationnelle sous
l’autorité de l’état-major des Armées et une chaîne organique au sein de l’état-major de la
Marine) ;
•
un cerveau civil, sous l’autorité du premier ministre et de chacun des membres du
Gouvernement, pour exercer des responsabilités civiles.
Cette double casquette prend aujourd’hui, notamment dans les sujets de surveillance de la
navigation, toute son importance, avec une interaction toujours plus accrue (plutot « plus
importante ») entre la sécurité maritime, la sûreté maritime et la lutte contre le terrorisme.
Pour ce qui est de la partie (« composante » plutôt) « action de l’Etat en mer », le Préfet maritime
dispose d’une division, qui est l’incarnation physique et administrative de notre principe de
fonctionnement de l’action de l’Etat en mer, reposant sur la mutualisation des moyens et la
coordination des administrations. Au sein de cette division, les trois ministères les plus importants en
mer sont représentés (MEDDE, ministère de l’Intérieur et ministère de la Défense).
Le Préfet maritime est investi du pouvoir de police générale en mer. Cette autorité s’exerce dans
trois grands domaines : celui de l’urgence en mer, de la police en mer et de la gouvernance de
l’espace marin. Ces trois domaines sont intimement liés et nous nous rendons compte au quotidien
qu’il ne faut surtout pas raisonner « en silo » pour bien agir en mer.
Les principales missions sont, par ordre de priorité :
•
la sauvegarde des personnes et des biens ;
•
la sécurité maritime ;
•
la prévention des conflits d’usage ;
•
la protection de l’environnement (nous faisons d’ailleurs de la protection de l’environnement
lorsque l’on améliore la sécurité maritime -je dirais plutôt : améliorer la sécurité maritime
contribue aussi à la protection de l'environnement . L’une des priorités de la sécurité maritime
consiste ainsi à éviter que les navires ne s’échouent sur notre littoral, ce qui relève de la
protection de l’environnement) ;
•
la coordination de la lutte contre les activités illicites ;
•
la planification de l’espace marin.
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Nos actions consistent en :
•
la coordination des administrations ;
•
la planification ORSEC ;
•
la réglementation des usages par arrêtés ;
•
l’instruction des projets industriels.
Protection de l’environnement marin en Corse
Madame Cancemi développera ce sujet largement. Nous dénombrons une vingtaine d’aires marines
protégées autour de l’île de Beauté, à divers titres : des sites Natura 2000, des réserves naturelles, un
site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, une aire spécialement protégée
d’importance méditerranéenne (ASPIM), la réserve internationale des bouches de Bonifacio et la zone
maritime des bouches de Bonifacio. Cette protection de l’environnement marin est donc aujourd’hui
une réalité, qui se traduit également dans la réglementation du Préfet maritime.
La réglementation nationale autour de la Corse
Cette réglementation est riche et foisonnante. Nous devons donc faire en sorte qu’elle soit la plus
lisible possible pour les usagers.
Nous avons mené un important travail de refonte concernant la réglementation des mouillages des
navires de grande taille dans les eaux territoriales françaises et les eaux intérieures. Ce travail s’est
concrétisé cette année par un nouvel arrêté, qui vise à concilier les questions de sûreté et de sécurité
maritime, pour éviter que les gros navires viennent s’échouer sur notre côte. Il est en effet important
pour nous de savoir exactement quels sont les navires de grande taille au mouillage. Nous avons
aussi concilié ces deux impératifs avec celui de la protection de l’environnement, pour aboutir à une
réglementation élargie en termes de navires impliqués. Nous traitons ainsi désormais tous les navires
de plus de 45 mètres, ce qui correspond au seuil fixé par la directive 2002/59. La problématique de la
grande plaisance est en effet purement méditerranéenne, cette grande plaisance exerçant une
pression importante sur le milieu et les fonds marins. Nous nous devions donc de traiter cette
problématique dans ce nouvel arrêté. En nous fondant sur l’existant de la réalité des mouillages, nous
avons défini des zones préférentielles pour le mouillage de ces navires, ce qui n’a pas toujours été
simple, s’agissant notamment de la préservation des herbiers de posidonies.
Ce travail montre bien que nous pouvons concilier les différents impératifs de sécurité de la
navigation, de sécurité maritime et de protection de l’environnement.
Lorsque l’on évoque un DST dans les bouches de Bonifacio, il faut bien avoir conscience que le
dispositif mesure 1,2 nautique de large en son point le plus étroit. Il sera donc complexe dans cet
espace de placer une voie est/ouest, une voie ouest/est et un terre-plein, comme c’est le cas pour le
dispositif mis en place dans le canal de Corse. Cette réalité physique est incontournable et devait être
rappelée.
Pour prendre un autre exemple, le site du golfe de Porto, des Calanques de Piana, du Golfe de
Girolata et de la réserve de Scandola est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1983. Au
gré d’une réflexion importante menée par l’Etat, la collectivité territoriale de Corse et les acteurs
locaux, nous avons abouti à la définition de mesures opérationnelles, destinées à garantir la bonne
conservation de ce site Unesco. Le classement d’une zone doit en effet s’accompagner de mesures
concrètes, justement pour que ce classement perdure. Pour participer à la protection de ce site, nous
avons imaginé une zone qui serait interdite d’une jauge supérieure à 500 UMS1, par analogie avec les
1
UMS : universal measurement system
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mesures mises en place en Italie pour l’archipel toscan à la suite de la catastrophe du Costa
Concordia. Ce projet d’arrêté a été soumis à la consultation du public, qui ne s’est conclue par aucune
observation négative. Toutefois, la fédération des industries nautiques s’est emparée de ce dossier,
qui fait à présent l’objet de nouvelles discussions. Cette fédération argue en effet d’un plan de
développement de la grande plaisance autour de la Corse, que cet arrêté viendrait contrarier. La
Préfecture de Corse a donc souhaité que nous discutions encore sur ce sujet, alors que nous avons
de notre côté la ferme volonté d’aboutir.
La réglementation nationale autour du canal de Corse
La réglementation actuelle éloigne certaines catégories de navires de cette zone. Un arrêté de 1998 a
été pris à la suite d’accidents de baignade provoqués par les vagues des traves (d'étraves plutot ,
sauf si c est 1 terme spécifique ?) des navires à grande vitesse. Cet arrêté a ainsi permis d’éloigner à
1,5 nautique – soit un peu moins de 3 km de la côte – les navires dont la vitesse est supérieure à 25
nœuds. Les navires transportant des hydrocarbures, des substances liquides nocives ou des
marchandises dangereuses ont également été éloignés de cette zone. Cette réglementation nationale
éloigne ces navires à 7 nautiques des côtes, mais, dans la zone du canal de Corse, très resserrée,
les navires sont actuellement repoussés à 5 nautiques des côtes.
Une autre réglementation concerne les chenaux d’accès au port de Bastia. Il a été question d’interdire
les marchandises dangereuses dans le canal de Corse, mais il faut bien être conscient que les
premiers impactés seraient alors les Corses eux-mêmes, puisque l’approvisionnement énergétique de
la Corse s’effectue par moyens maritimes, avec des navires venant décharger en mer leurs
cargaisons de produits raffinés, de gaz, etc.
Une réglementation particulière dans la zone du canal de Corse permet donc d’assurer la sécurité du
trafic maritime et des opérations de dépotage, avec notamment un arrêté interpréfectoral qui vient
d’être modifié, définissant l’ensemble de mesures de police et donc de sécurité applicables à ces
opérations, avec la présence obligatoire d’un remorqueur, des conditions météorologiques
particulières, la présence d’un pilote, etc., pour concilier la satisfaction des besoins énergétiques de la
Corse aux impératifs de sécurité maritime et de protection de l’environnement.
Projet d’arrêté préfectoral «DST Canal de Corse»
Le foisonnement réglementaire que je viens d’évoquer et l’impact du dispositif sur ces différents
arrêtés complexifieront l’intitulé de cet arrêté. Ce dernier ne sera d’ailleurs peut-être pas aussi lisible
que nous le souhaiterions, malgré nos efforts. Il modifiera ainsi d’autres arrêtés. Nous souhaiterions
nous livrer à un travail de codification, mais les délais courts qui nous sont imposés pour une mise en
œuvre du dispositif au 1er décembre ne nous permettent pas de réaliser ce travail. Nous espérons
être en mesure de soumettre l’arrêté à la consultation du public le 15 octobre, ce qui devrait nous
laisser trois semaines pour prendre en compte les observations éventuelles qui auraient alors été
remontées.
L’arrêté se concentrera surtout sur la navigation en zone de navigation côtière, avec « la voie règle
10 ». Cette règle 10 s’applique aux dispositifs de séparation du trafic et comporte quelques
paragraphes relatifs à la zone de navigation côtière, en indiquant que : « les navires ne doivent pas
utiliser une zone de navigation côtière lorsqu’ils peuvent, en toute sécurité, utiliser la voie de
circulation appropriée du dispositif adjacent de séparation du trafic ». Ce point nous permettra de
conforter l’arrêté interdisant aux navires transportant des matières dangereuses en vrac d’emprunter
la voie descendante. Cette règle 10 indique également que « les navires de longueur inférieure à
20 mètres, les navires à voiles et les navires en train de pêcher peuvent utiliser la zone de navigation
côtière. Les navires peuvent utiliser une zone de navigation côtière lorsqu’ils gagnent ou quittent un
port, une installation ou une structure au large, une station de pilotage, etc. » C’est donc bien
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l’installation de cette zone de navigation côtière jusqu’au sud de Bastia qui permet aux navires
desservant Bastia d'emprunter cette voie. Dans un souci de cohérence avec la création du parc
naturel marin du Cap Corse, cette voie règle 10 sera éloignée de la côte.
Notre arrêté modifiera donc l’arrêté 80/98 sur les matières dangereuses, l’arrêté 23/98, qui concerne
les MGV ?? et les navires exploités à plus de 25 nœuds, mais il s’appliquera à tous les ferries
naviguant à moins de 25 nœuds.
Pour conclure, je vous dirai que, pour la Préfecture maritime de la Méditerranée, la sécurité maritime
et la protection de l’environnement sont une affaire réglementaire, certes, mais sont surtout des
réalités opérationnelles. Il est important de rappeler qu’autour de la Corse, le dispositif déjà en place
est important, avec sept sémaphores et le Cross corse, qui assurent une vigilance permanente. Le
remorqueur d’intervention d’assistance et de sauvetage peut être déployé lorsque la situation l’exige,
ainsi que des bâtiments de soutien, d’assistance et de dépollution, pour traiter les catastrophes
maritimes le plus en amont possible. Des vols de surveillance sont aussi effectués quotidiennement,
tant pour la marine que pour la douane. Des matériels antipollution sont aussi disponibles, il est
possible d’affréter des remorqueurs portuaires et des marins-pêcheurs et des exercices
internationaux de lutte antipollution sont régulièrement effectués.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci beaucoup, Eric, pour ces précisions. Nous cernons mieux à présent le rôle de chacun. C’est
effectivement une chose de prévoir de la réglementation, encore faut-il l’appliquer, la surveiller et la
contrôler.
J’ai employé tout à l’heure l’expression « boîte à outils », à propos de la présentation de
Nicolas Maire. Cependant, il a fallu élaborer ces outils. Nous avons ainsi profité de l’expertise du
CEREMA, qui a utilisé des données issues des systèmes transpondeurs AIS pour réaliser des études
sur la nature du trafic et les flux de trafic.
Je laisse à présent la parole à Jean-Jacques Quinquis, Directeur de la sécurité maritime au CEREMA,
à Brest. Monsieur Quinquis nous précisera comment ces outils ont été élaborés et comment ils ont
été mis à notre disposition, pour mieux comprendre les problématiques et ajuster notre travail de
négociation avec nos collègues italiens et au niveau de l’OMI.
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Les outils techniques de préparation des mesures d’organisation du trafic
Jean-Jacques QUINQUIS
CEREMA eau, mer et fleuves
Merci, Jean-Luc.
Le titre de cette présentation est sans doute un peu ambitieux, car l’étude a surtout consisté pour le
CEREMA à tracer des routes maritimes à partir des données AIS.
Je brosserai rapidement l’action du CEREMA pour la sécurité maritime, puis évoquerai le réseau
d’acquisition de données AIS français, qui nous permet effectivement de disposer d’une vision du
trafic. J’en viendrai ensuite au serveur Envisia que nous avons développé, pour le stockage de ces
données et l’étude du trafic dans le canal de Corse.
Pour la sécurité maritime, l’action du CEREMA est très axée sur la technologie des équipements et
des systèmes dédiés aux aides à la navigation maritime, comme le balisage, les systèmes de
surveillance et les télécommunications pour les opérations de sauvetage menées par les Cross. Nous
sommes donc le service technique de référence de la Direction des Affaires maritimes.
Actions du CEREMA dans le domaine de la sécurité maritime
Notre métier, c’est l’innovation et, dans une moindre mesure, l’ingénierie nautique, en particulier pour
les plans de balisage. Nous travaillons également dans le domaine de l’appui au service, au moyen
de méthodologie, de diffusion technique, de formation et d’une assistance à la conduite des
investissements des programmes de la Direction des Affaires maritimes dans la modernisation de ses
équipements.
Notre action porte sur les éléments qui jalonnent le littoral et qui font partie du parc géré par la
Direction des Affaires maritimes. Nous travaillons ainsi sur la modernisation des phares, en
introduisant des systèmes d’automatisation. Nous mettons en place des sources lumineuses à diodes
électroluminescentes, pour des gains importants en exploitation, avec des systèmes qui durent des
années, contre six mois auparavant. Ces nouveaux systèmes nécessitent également moins
d’interventions sur site. Nous développons aussi des bouées légères.
En matière d’aides radioélectriques, nous avons installé les stations terrestres qui permettent de
vérifier l’intégrité du signal GPS, qui sert à l’AIS. Nous avons développé avec une entreprise française
des balises radars, qui servent pour les atterrissages, dans les grandes zones maritimes. L’AIS est
également utile pour le balisage, comme outil d’identification des ESM ?? pour les navires et comme
outil de projection pour les situations de crise, notamment sur des zones de naufrage.
Notre deuxième domaine d’intervention pour les Cross correspond aux VTS et aux systèmes dédiés
au sauvetage. Dans les Cross, nous modernisons aussi les capteurs (les radars, l’AIS, etc.), ainsi que
les systèmes de communication avec les navires. Nous avons ainsi modernisé 60 stations sur le
littoral français. Nous avons également déployé les systèmes de gestion de ces voies radio sur les
plateformes opérationnelles des Cross pour le compte de la Direction des Affaires maritimes.
Réseau d’acquisition de données AIS français
Dans les années 2004-2005, un important projet a consisté à installer des stations AIS sur l’ensemble
du littoral français pour récupérer les données des navires. L’AIS a été développé au départ pour
éviter les collisions entre navires. Ce système permet d’identifier les navires (les numéros
d’immatriculation, les noms, les positions dynamiques, les vitesses, les caps et les données liées au
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trajet, avec les ports de départ et d’arrivée et la nature des matières transportées, ainsi que l’état du
navire). Les états côtiers ont été contraints de récupérer ces données pour constituer des situations
d’approches maritimes, en vue d’établir une vision de l’ensemble du trafic. Ces données ne sont
certes pas parfaites, parce qu’une partie d’entre elles est déclarative, mais elles permettent d’enrichir
l’information et de la recouper par des échanges phoniques.
Nous avons mis en œuvre un programme conjoint avec la Marine nationale et la Direction des Affaires
maritimes et deux maîtres d’œuvre, la DGA et le CEREMA, la Direction des Affaires maritimes restant
l’autorité compétente en matière d’AIS. Nous avons ainsi jalonné l’ensemble du littoral avec cette
technologie, sur des installations civiles, des sémaphores ou des installations militaires. Ce système
est piloté par la Direction des Affaires maritimes et fait partie d’un réseau Marine nationale. Son
interface est assurée par un serveur de la Direction des Affaires maritimes, qui permet de respecter
les obligations d’échanges avec les pays européens.
Envisia
Le CEREMA a vocation à réaliser des études de manière générale. Il a saisi l’opportunité de cette
connaissance des trafics pour mettre en place un serveur dans lequel sont référencées les données
accumulées au cours du temps et définies par zones géographiques, par dates et prétraitées. Les
applications du serveur sont multiples. Il s’agit par exemple d’évaluer le bruit des navires dans les
zones dans lesquelles se trouvent des mammifères marins ou de retracer des accidents.
Etude du trafic dans le canal Corse
Nous avons constitué une petite équipe pour mener ce travail, avec un expert en organisation du
trafic, un expert en connaissance des règles de navigation et un expert en collecte et traitement de
données de trafic maritime.
Les cartes qui vous ont été présentées tout à l’heure ont servi à la Direction des Affaires maritimes
pour définir les orientations. Nous avons mené une première étude générale sur la densité de trafic,
avec une vision été et une vision hiver. Nous avons ainsi constaté que 50 navires en moyenne
empruntaient chaque jour le canal.
Trois phases d’étude nous ont été demandées. La première était donc générale et portait sur le trafic.
La deuxième avait trait à la comparaison de trois solutions d’organisation du trafic, avec un DST long,
un DST court et une zone interdite. Nous avons cherché l’impact sur le temps de trajet en premier
lieu, puis avons mené une autre étude, sur les situations rapprochées.
Ces études ont abouti à une analyse des routes et des croisements de routes. Il convient également
d’insister sur l’importance pour les ferries de pouvoir changer de cap suffisamment rapidement une
fois le Cap Corse franchi, en raison de la houle traversière hivernale, qui complexifie la route vers le
Nord. Il est donc nécessaire de ne pas trop s’éloigner de la côte dans le cas particulier des ferries.
L’impact d’un DST est plus important sur les ports français, ce qui met l’accent sur la nécessité du
compromis qui a fini par être trouvé.
Vous avez également eu connaissance du tableau qui définissait l’augmentation des temps de trajet
pour les navires entre les différents DST. Nous constatons que ce sont surtout les armements français
qui sont pénalisés.
Les situations rapprochées
Nous n’avons observé que peu de situations rapprochées et avons sélectionné les points à moins de
0,5 nautique sur 1,5 mois. Pour ce travail, nous n’avons pas pu utiliser les données de notre serveur
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Envisia, dont le pas de temps est de six minutes. Or ce laps de temps est trop long pour que deux
points dynamiques soient significatifs dans notre analyse. Nous avons donc récupéré les données du
serveur italien, échantillonné à une minute. Nous avons ainsi constaté qu’une situation rapprochée
avait lieu tous les trois jours.
Conclusion
Selon nous, il est important de prévoir une collecte des données AIS exhaustive, alors que nous
avons constaté des manques, en particulier pour les dernières années, du fait des réseaux limités et
très sécurisés de la Marine nationale. L’échantillonnage doit également être suffisant pour mener ce
type d’études. Il est en outre nécessaire de fiabiliser l’archivage et d’enrichir la base de données AIS,
notamment en la nourrissant avec d’autres bases de données. Pour se faire comprendre de l’OMI, il
faut aussi passer par l’outil IWRAP d’analyse des trafics et d’étude de risque. Cet outil combine une
vision d’utilisation des données AIS.
Enfin, compte tenu de cette expérience, il s’avère intéressant de faire évoluer la doctrine au moment
des choix. Un service technique peut en effet apporter des aides à la décision, mais, une fois que
l’aide est apportée, la décision appartient à la maîtrise d’ouvrage. La sensibilité des paramètres
dépend ainsi de l’autorité décisionnaire.
Merci.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci, Jean-Jacques. Je vous propose à présent de poser vos questions.
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Débat
Jean-Luc LE LIBOUX
Avez-vous des questions sur cette première partie, à la fois technique et opérationnelle ? Nous avons
également décrit le dispositif et la façon dont il se traduira dans la réalité.
De la salle
Existe-t-il un système de contrôle des données AIS ? Ces données sont en effet surtout déclaratives.
Jean-Jacques QUINQUIS
On peut recouper ces données, mais il n’est pas possible de le faire en direct. Nous disposons avec
AIS d’éléments dynamiques et des noms de navires. Le croisement de bases de données nous
permettra sans doute d’améliorer la qualité de ces informations.
De la salle
Par rapport à l’étude demandée, les données AIS étaient parfaitement correctes, car il s’agit de
données automatiquement transmises lors des déplacements de navires. Les données
potentiellement erronées sont les ports de départ et d’arrivée ou la présence éventuelle de
marchandises dangereuses. Cependant, les ports de départ et d’arrivée sont vérifiables via les
données AIS.
Thierry LEMPEREUR
Dans le domaine de la navigation aérienne, il existe des filets de sauvegarde. Avec les données
dynamiques que vous obtenez au moyen de l’AIS, n’avez-vous pas la possibilité de construire des
cercles permettant d’identifier les risques de collision ?
Jean-Jacques QUINQUIS
Des alertes existent déjà au sujet des systèmes opérationnels, sur les équipements de bord. Nous
sommes à présent en train de mettre la base de données en place et nous n’avons pas encore
effectué de développements dans ce domaine, que nous gardons cependant en ligne de mire. Les
points rapprochés que nous avons étudiés tout à l’heure peuvent effectivement se traduire par des
cercles, mais nous n’avons pas encore fait évoluer notre outil dans ce sens.
De la salle
Vous faites allusion aux problèmes d’abordage, mais la notion de filet de sauvegarde existe depuis
longtemps, avec l’utilisation du radar. L’AIS permet à présent d’effectuer des recoupements avec
l’information radar, qui reste l’outil principal pour les centres de surveillance de trafic maritime.
Eric LEFEBVRE
L’organisation prévue pour le DST du canal de Corse passe par des sémaphores de la Marine. Nous
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devrons développer des outils techniques, au-delà des procédures que nous devrons proposer au
Cross Méditerranée, au Cross Corse et aux sémaphores. Des réflexions pourront ainsi être
engagées, qui prendront en compte les données des Italiens. Des outils sont d’ores et déjà
disponibles, mais il faut à présent bien les utiliser, ce qui peut s’avérer compliqué.
De la salle
J’ai une interrogation d’ordre très général. Quelles sont, dans les trois phases d’élaboration du travail
– la phase nationale, la phase de négociation avec les Italiens et la phase internationale avec l’OMI –
les écueils que vous avez rencontrés, les difficultés de justification sur les données
techniques auxquelles vous avez fait face ? A quels points bloquants vous êtes-vous heurtés à tous
les stades de la procédure ?
Jean-Luc LE LIBOUX
Nous avons effectivement dû faire face à plusieurs points bloquants. Ceux qui ont quelque ancienneté
le savent ; dans le domaine maritime, les évolutions réglementaires de ces dernières années ont fait
suite à des catastrophes maritimes. A présent, une approche plus préventive semble avoir été
adoptée, notamment en ce qui concerne la protection de l’environnement. D’autres enjeux que la
sécurité du navire et de son équipage se font ainsi jour à présent.
Comparativement aux données constatées dans la Manche, la Mer du Nord et Ouessant, le trafic est
divisé par dix, avec deux navires par heure. Nous savons tous ici que le fait de rencontrer un navire
une ou deux fois par heure n’est pas très complexe du point de vue de l'abordage. Cependant,
d’importantes catastrophes survenues dans le passé, comme celle de Fukushima, nous ont montré
que le pire était toujours possible, bien qu’il ne soit qu’à peine envisageable d’un point de vue
statistique.
Dans un contexte international, le travail avec nos collègues italiens n’a pas toujours été simple. La
volonté politique de notre ministre a ainsi été nécessaire pour imposer ce travail. Toutefois, les gardecôtes italiens sont aujourd’hui largement accaparés par la problématique des migrants, qui
monopolisent leurs forces vives. Ils n’ont donc pas sauté de joie lorsque nous leur avons proposé de
travailler sur le canal de Corse.
Nous avons également dû prendre en compte les réalités socio économiques du trafic, que nos
travaux ont nécessairement impactées. Nous avons donc dû trouver les voies techniques pour mener
notre projet à bien et atteindre nos objectifs, tout en restant en conformité avec les dispositions
réglementaires et en impactant le moins possible le trafic maritime.
Enfin, à l’échelon européen, il ne nous a pas été simple de nous assurer de l’absence de contreindication auprès d’autres états que la France et l’Italie. Il ne faut en effet pas oublier que certaines
nations de commerce maritime continuent de se prévaloir fortement du principe de liberté des mers.
Toute disposition réglementaire apparaît pour ces états comme un obstacle à cette libre circulation.
Au niveau de l’OMI, nous nous sommes heurtés à ce même principe de liberté des mers, partagé par
de très nombreuses puissances maritimes, dont la place est prépondérante au sein de cette instance.
Ces états ne partageaient pas forcément notre vision des choses et ne considéraient pas toujours la
préservation de l’environnement comme une priorité. Nous avons donc dû déployer des trésors de
persuasion et répondre aux questions qui nous ont été posées.
Rouchdy pourrait peut-être ajouter quelques éléments sur ce sujet, car il a été très largement à la
manœuvre au cours de cet épisode.
Rouchdy KBAIER
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Cet après-midi, nous traiterons de la question purement juridique. Nous aborderons ainsi le sujet des
détroits avec le professeur Piquemal, dont l’interprétation de la convention sur le droit de la mer sera
peut-être différente. Nous traiterons également cet après-midi de la coordination européenne. Ce
point fait en effet l’objet de nombreux contentieux devant la Cour de Justice de l’Union européenne.
Nous essaierons de savoir si nous aurions dû nous dispenser de l’étape européenne. Nous avons
pour notre part considéré que, malgré le délai très tendu, l’aval du Conseil maritime de novembre
2015 était nécessaire avant le dépôt du dossier à l’OMI. Il s’agit là de l’un des enseignements à tirer
pour les prochaines modifications de DST. J’aborderai personnellement la question de la tactique à
adopter vis-à-vis des autorités françaises. Le ministère des Affaires étrangères et le SGAE seront
d’ailleurs présents cet après-midi et notre discussion devrait donc être utile, notamment sur ce sujet
de la coordination européenne.
Les questions relatives au problème de la coordination entre l’OMI et les directives européennes ont
été évoquées tout à l’heure par Messieurs Quinquis et Lefebvre. La directive 2002/59 est une
directive de base, mais d’autres dispositions impactent largement le transport. Sans anticiper les
discussions de cet après-midi, il semble évident que l’Union européenne reste en situation « d’
occuper le terrain » dans l’interprétation des traités, notamment la Commission, lorsqu’il s’agit du
marché intérieur et des transports. Ces domaines relèvent en effet de politiques communes et non de
politiques exclusives. Nous pourrons d’ailleurs revenir sur ces sujets tout à l’heure. Nous devrons
donc anticiper l’étape européenne, pour éviter les contentieux et nous assurer la bienveillance des
états maritimes, comme le Royaume-Uni, qui ne partagent pas toujours notre point de vue à l’OMI.
De la salle
Pour être tout à fait clair, le DST que vous nous avez présenté a bien reçu l’aval de l’OMI. Il s’agit
donc à présent d’un dispositif international reconnu. Dans ce cas, je ne comprends pas bien quelles
nouvelles interrogations juridiques il met à jour, puisqu’il s’inscrit dans la ligne du DST de la Manche.
J’aurais souhaité que vous expliquiez que le DST ne représentait pas l’alpha ni l’oméga de la sécurité
maritime. Il s’agit d’un dispositif comportant des dérogations. J’aurais donc aimé que vous évoquiez
les navires perpendiculaires à la route du DST ou les navires dont les modes de navigation sont
spécialisés. Ces éléments correspondent en effet aux difficultés rencontrées par les navigants.
Certains aspects très pratiques, rencontrés quotidiennement par les navigants, doivent ainsi être bien
intégrés. J’aurais donc souhaité que vous évoquiez ces sujets, qui modifient sensiblement la réalité
au sein d’un DST.
Par ailleurs, Thierry Lempereur a évoqué la différence entre la navigation maritime et la navigation
aérienne. Une route, une altitude et une vitesse sont imposées au pilote, qui est impuissant face au
pouvoir des contrôleurs aériens. Dans la navigation maritime, le commandant dispose quant à lui
d’une liberté de manœuvre plus large. L’avenir ne passe-t-il pas par un contrôle maritime accru et une
régulation qui serait effectuée à terre ? Nous sentons que nous y venons, mais il faut le dire.
En outre, les états sont souverains dans la zone des 12 nautiques à partir de leurs côtes. Le reste de
l’espace maritime est un espace de liberté. Les mers représentent les deux tiers de la planète, alors
que le trafic n’y est somme toute pas très important. Le monde ne compte en effet que 50 000 navires
de commerce, pour une population de marins d’1 million au maximum. La mer est donc quasiment
vide.
Les trois pays comptant le plus de bateaux au monde sont des « faux-nez » des Etats-Unis : Panama,
les îles Marshall et le Libéria. Ceux qui ont navigué longtemps et loin savent que la mer appartient à
ceux qui sont dessus. Si nous, Français, comptons une flotte maritime de 250 ou 300 navires, nous
ne pouvons prétendre à peser d’un quelconque poids à l’OMI, en Europe et dans le monde en matière
maritime.
Le débat que vous venez de tenir ce matin vous fait apparaître à la frontière entre une police de
l’environnement et une police de la navigation, pour des enjeux certes importants pour les Français,
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mais qui, à l’échelle du monde, restent peu significatifs.
Voilà la modeste réflexion d’un homme qui a navigué pendant une vingtaine d’années.
Jean-Luc LE LIBOUX
Cette réflexion est tout à fait intéressante. A l’avenir, la Direction des Affaires maritimes, la DGITM et
le CGEDD pourraient organiser des présentations et un débat plus large sur ces questions que vous
avez soulevées.
Le sujet qui nous occupe aujourd’hui vous semble un peu réducteur, mais cible précisément la
problématique du canal de Corse, dans le cadre de la préservation de l’environnement et des règles
de sécurité maritimes et du trafic. Voilà l’objet de ce séminaire. Si les questions que vous posez
suscitent un intérêt plus large, nous pouvons tout à fait organiser un nouveau séminaire élargi aux
questions générales de sécurité de la navigation.
Vous évoquez également la place du marin sur ces sujets. Je vous invite, si vous avez un peu de
temps, à lire le dernier numéro du Marin, paru cette semaine. Avec le dernier séminaire du shipping à
Hambourg, nous voyons se dessiner, dans les 30 à 40 prochaines années la notion du navire
autonome, c'est-à-dire le navire sans marin, qui sera probablement piloté à partir de centres de
contrôle établis à terre. Je considère effectivement que le cheminement emprunté par le maritime
n’est pas très éloigné de celui de la navigation aérienne.
Maddy CANCEMI
J’ajouterai que la mer appartient également à ceux qui sont dessous.
Je ne connaissais pas l’équipe du CEREMA, dont le travail est très intéressant. Nous travaillons pour
notre part beaucoup avec les sémaphores, qui accomplissent un travail remarquable. Si les accidents
maritimes ne sont guère nombreux aujourd’hui, nous rencontrons en revanche de nombreux
incidents, qui ne sont jamais évoqués. Nous devrons cependant aborder ce sujet cet après-midi. Il
arrive en effet que les commandants s’endorment. Il nous faut alors les réveiller pour qu’ils traversent
correctement les bouches de Bonifacio.
Le suivi des données est pour nous très important. Les sémaphores disposent de nombreuses
données, qui ne sont pas systématiquement traitées, pour des raisons de manque de moyens,
notamment. Tous les bateaux empruntant les bouches de Bonifacio doivent envoyer un compte rendu,
ainsi que leurs contenants. Ces données ne pourraient-elles pas être transmises au CEREMA, afin de
mettre en place un suivi complet, en particulier dans les bouches de Bonifacio ?
Catherine RATZIVALAKA
Il est effectivement prévu de corréler ces données AIS avec d’autres bases de données, pour fiabiliser
le transport de marchandises dangereuses. Il s’agit là de la prochaine étape que nous mettrons en
œuvre.
De la salle
En ce qui concerne l’AIS, certaines bases de données sont à disposition de tous, notamment Marine
Traffic. Le site marinetraffic.com permet en effet de suivre en temps réel tous les navires du monde.
L’AIS a été mis en place pour la sécurité de la navigation et pour éviter les situations rapprochées. Il
est à présent utilisé pour effectuer des contrôles, ce que je comprends. Ces données relèvent du
domaine public, ce qui pose des problèmes commerciaux.
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De la salle
Quel est le poids de la France au niveau de l’OMI ? Au sein de l’organisation de l’aviation civile
internationale (OACI), la France dispose d’un certain poids, avec Air France et plusieurs autres
compagnies aériennes. Nous constatons que la Chine prend de plus en plus d’importance au sein de
l’OACI. Qu’en est-il au sein de l’OMI ? La Chine y est-elle aussi de plus en plus présente ?
Parvenons-nous à y donner notre avis et à y être écoutés ?
François-Xavier RUBIN DE CERVENS
Nous avons encore du poids au sein de l’OMI, même si nous ne sommes pas à la hauteur du
Panama. Le poids des états dans cette organisation dépend en effet tout d’abord des interventions
effectuées en séance, les décisions étant prises au consensus. Le représentant des îles Cook est en
effet très actif depuis vingt ans dans cette instance et personne ne conteste ses interventions. La
France est également membre du Conseil. Elle jouit donc elle aussi d’un poids quantitatif. Le conseil
de l’OMI fait figure de Comité exécutif de cette organisation. Il regroupe 40 membres parmi les
171 membres de l’organisation. Nous faisons donc toujours partie de ce Conseil. En ce qui concerne
notre poids financier, nous occupons environ la 20e place sur les 171 membres. Nous disposons donc
d’un certain poids, du fait de nos contributions, de notre présence, de nos délégations françaises, de
nos participations aux groupes de travail, etc. La réussite du projet du canal de Corse illustre d’ailleurs
bien ce poids, sans lequel nous ne serions sans doute pas parvenus à faire passer ce projet au
forceps.
Je participe aux réunions de l’OMI depuis environ dix ans et, à mes débuts, la Chine était
pratiquement absente de nos réunions. Elle est aujourd’hui très présente dans nos débats, en
particulier dans le domaine de la prévention de la pollution et dans celui de la construction navale.
Ses délégations comptaient une ou deux personnes il y a dix à vingt ans, contre 15 à 40 personnes
aujourd’hui. Les interlocuteurs chinois sont donc de plus en plus nombreux et très accrocheurs en
réunion, notamment dans le domaine de la prévention de la pollution. Les délégués chinois
prolongent parfois beaucoup les débats sur ce sujet, ce qui n’était pas imaginable il y a dix ans.
Jean-Luc LE LIBOUX
J’ajoute que la France est encore écoutée au sein de l’OMI.
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La navigation commerciale internationale, la sécurité en mer et la protection de
l’environnement marin, retour d’expériences de bonnes pratiques
Patrick RONDEAU
Responsable sécurité, sûreté, environnement, Armateurs de France
Bonjour à tous.
Armateurs de France est la fédération professionnelle qui regroupe les entreprises de service et de
transport maritimes. Nous comptons parmi notre cinquantaine d’adhérents des leaders mondiaux,
comme CGA-CGM, Bourbon, Louis Dreyfus Armateurs et de nombreux autres armateurs.
Je remercie les organisateurs d’avoir invité l’un des seuls non-représentants de l’administration. Nous
sommes nous aussi, comme l’a dit Monsieur Ferri, en bout de ligne. C’est en effet nous qui allons
utiliser le DST que vous avez institué.
L’importance de la sécurité pour les armateurs
J’évoquerai tout d’abord la vision des armateurs français sur le sujet de la sécurité en mer et de
l’environnement. Nous avons surtout évoqué aujourd’hui l’environnement marin littoral. Or pour nous,
l’environnement va au-delà et englobe les questions de la pollution atmosphérique et du
réchauffement climatique. Nous sommes confrontés à ces problématiques au travers des
réglementations que se mettent place, principalement à l’OMI.
La sécurité est primordiale pour les armateurs. Davantage de sécurité représente en effet un nombre
d’accidents en baisse, pour les marins comme pour les passagers. Nous avons évoqué les cas du
Costa Concordia et du Norman Atlantic. Il est également fréquent que des navires disparaissent en
mer, ce dont on parle assez peu. L’augmentation de la sécurité améliore également la protection de
l’environnement et du milieu de marin. La sécurité favorise en outre l’économie, puisque tout accident
crée un risque économique et un risque d’image pour l’entreprise.
Depuis les années 1970, les réglementations mises en place dans le domaine du pétrole ont permis
de diminuer largement les pollutions marines. A cette même époque, nous dénombrions 24 pollutions
chaque année, contre deux au cours des cinq dernières années.
Nous étudions de plus avec une grande attention le sujet des containers perdus en mer. Selon nous,
ce type d’accidents reste rare. Certaines mesures ont déjà été mises en place, pour s’assurer que les
containers soient mieux saisis. Depuis le 1er juillet, les chargeurs doivent fournir le poids réel des
containers, ce qui permet d’assurer un chargement de qualité. Cette problématique est donc
relativement maîtrisée selon nous, même si nous demeurons très vigilants à ce propos.
La flotte française
Le niveau de qualité en matière de sécurité est très élevé parmi le pavillon français. Notre flotte est en
effet très jeune. Le pavillon français compte entre 200 et 300 navires, pour une moyenne d’âge de
7,2 ans, soit un niveau assez faible. En effet, cette dernière est en moyenne de 12,5 ans dans la flotte
européenne. Cette flotte jeune permet de mettre en œuvre facilement les exigences les plus récentes
en matière de sécurité et de protection de l’environnement. Depuis plusieurs années, nous sommes
classés sur le podium du Paris MoU, le contrôle paritaire du port au sein des états européens et au
Canada. Nous avons d’ailleurs occupé la première place de ce classement pendant trois années
consécutives et sommes à présent deuxièmes. La flotte française est donc d’une grande qualité, ce
qu’il faut également lier à notre bonne coopération avec la Direction des Affaires maritimes et en
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particulier la Direction de la Sécurité maritime.
La mise en œuvre de la sécurité
Les armateurs français mettent en place plusieurs mesures pour améliorer la sécurité des navires.
Tout d’abord, nous travaillons avec l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM) pour assurer la
formation des équipages. La notion d’équipage français demeure en effet très importante pour nous,
même si, pour des raisons économiques, de nombreux navires se placent sous pavillon étranger.
Nous pouvons aussi citer la mise en œuvre chez certains de nos adhérents de systèmes de
récupération des hydrocarbures JLMD, lorsque le navire a sombré. C’est d’ailleurs une société
française qui a développé ce système.
Plusieurs armateurs méditerranéens français se sont en outre dotés de l’outil REPCET, qui permet
d’éviter les collisions avec les cétacés. Ce système deviendra d’ailleurs obligatoire pour plusieurs
navires, suite à la loi Biodiversité. Nous sommes ainsi en discussion avec la Direction des Affaires
maritimes au sujet des modalités de mise en œuvre de cet outil.
Dans le domaine de la pollution de l’air, nous développons l’électrification à quai au sein des navires
de la Méridionale, à Marseille.
Si la plupart des armateurs des pays développés font des efforts sur ces sujets, il n’en est pas de
même pour une bonne partie de la flotte. Il est donc important que des réglementations soient mises
en œuvre au niveau de l’OMI pour améliorer la qualité des navires. Ces réglementations doivent ainsi
être internationales, mais pas européennes ni nationales. La réglementation OMI s’applique en effet à
tous. Nous sommes malheureusement largement tributaires des réglementations régionales.
La convention « Eaux de ballast » vient d’être adoptée au niveau de l’OMI, mais les Américains ont
mis en place leur propre réglementation, ce qui nous complexifie la tâche.
Le DST du canal de Corse
Je tiens à remercier Messieurs Kbaier, le Liboux et Maire, avec lesquels nos échanges ont été
nombreux sur ce sujet du DST du canal de Corse. Nous sommes parvenus à obtenir un compromis
sur ce sujet, même si cette situation ne nous convient pas complètement.
Selon nous, outre la sécurité en mer et l’environnement marin et littoral, les questions liées à la
pollution de l’air et au réchauffement climatique doivent également être prises en compte. Or même si
la zone de navigation côtière nous permettra de passer plus près des côtes dans le cas de ce DST,
l’écartement de la côte des navires à passagers aura des impacts en termes environnementaux. Ces
impacts peuvent sembler relativement faibles, avec une augmentation de la distance de 3 % pour les
navires venant de Marseille. Toutefois, un allongement de 3 % de la distance conjugué à la nécessité
de tenir un délai contraint à une augmentation de la vitesse. Cette augmentation de la distance de
3 % se traduira donc par 6 % à 8 % d’augmentation de la consommation, et donc de la pollution et du
réchauffement climatique. Ces contraintes représentent également des coûts, pour les armateurs
comme pour les utilisateurs finaux. Or les réglementations nous obligent dans le même temps à
diminuer nos émissions de CO2.
Les limites des réglementations environnementales
Je regrette d’ailleurs que les réglementations environnementales soient si segmentées. En 2008,
nous avons négocié la révision de l’annexe 6 de la règle de MARPOL. Il s’agissait alors de diminuer
les quantités de combustibles soufrés de 3 % à 0,5 %. Or cette mesure a eu des impacts sur le
réchauffement climatique. A la même époque, nous avons également évoqué les NOx ( oxydes
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d'azote). Il apparaît que les méthodes de traitement des NOx nous conduiront à émettre davantage
de CO2. De même, la convention « Eaux de ballast » nous conduira à traiter les eaux et donc à
émettre davantage de CO2.
Je regrette donc cette absence de vision globale de la préservation de l’environnement au niveau de
l’OMI, ainsi qu’au niveau du DST du canal du Corse. Ce manque, je le ressens tant comme
représentant d’Armateurs de France que comme citoyen français.
En guise de conclusion, je tiens à remercier une nouvelle fois Messieurs Kbaier et le Liboux, pour les
négociations que nous avons menées sur ce sujet et pour celles que nous menons d’une façon plus
générale avec la Direction des Affaires maritimes.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci, beaucoup, Patrick, pour cette conclusion, qui nous touche. Vous avez souligné cette
problématique relative aux émissions de CO2. Nous avons expliqué tout à l’heure qu’au sein de l’OMI,
nous avancions par consensus, et non par compromis. L’essentiel reste que nous avancions au
global, même si nous n’avançons pas aussi vite que nous le souhaiterions dans tous les domaines.
Nous pouvons néanmoins espérer qu’avec les progrès technologiques accomplis dans le secteur de
la motorisation des navires, les équipements des navires et les économies d’énergie, nous parvenions
rapidement à diminuer les émissions de CO2.
Nous estimons que les navires actuels ont progressé dans ce domaine de 15 % à 20 % par rapport
aux navires de la génération précédente. La voie est donc tracée et les débats tenus aujourd’hui
démontrent bien que ce souci de protection de l’environnement et de la diminution des émissions de
CO2 en particulier sont tout à fait prégnants.
Nous allons à présent céder la parole à Ludovic Schultz, sous-directeur du littoral et des milieux
marins au MEDDE. Il nous fera part de son approche des DST et d’une autre disposition de zonage
mise en place par l’OMI, les zones maritimes particulièrement vulnérables, qui font également l’objet
de réglementations spécifiques, au titre de la préservation de l’environnement.
36 / 75-
La sécurité en mer et la protection de l’environnement marin : la relation DST/ZMPV
Ludovic SCHULTZ
Sous-directeur du littoral et des milieux marins, MEDDE
Merci, et bonjour à tous.
Je tiens tout d’abord à vous présenter les excuses de François Mitteault, qui était retenu par les
travaux de mise en place de l’Agence française de la Biodiversité. Je le représenterai donc
aujourd’hui.
Je tiens également à remercier le CGEDD et la DAM de nous avoir conviés à ce séminaire. C’est
l’occasion pour nous de mettre en perspective ces réflexions sur la sécurité maritime au travers de
l’exemple de la mise en place du DST du canal de Corse, avec les enjeux de préservation de
l’environnement marin, qui sont au cœur de ces réflexions.
Situation environnementale du canal de Corse
Le canal de Corse se situe dans une zone à forts enjeux environnementaux, comme cela a été
rappelé ce matin. Cette zone fait l’objet d’un accord régional sur la protection des cétacés en
Méditerranée, auquel adhèrent la plupart des états riverains. Ce canal se situe également dans la
zone de l’accord tripartite entre la France, l’Italie et Monaco, qui a donné lieu à la constitution du
sanctuaire Pelagos, dédié à la protection des mammifères marins. Au niveau national, cette zone
demeure à fort enjeu, comme l’a rappelé à l’instant Monsieur Rondeau. La loi biodiversité a en effet
prévu l’obligation pour les navires naviguant dans cette zone de se doter d’un dispositif de
signalement des mammifères marins, en vue d’éviter les collisions. Le parc marin du Cap Corse a par
ailleurs récemment été créé. Ce parc illustre bien la richesse des écosystèmes marins dans cette
partie de la Méditerranée et la nécessité d’en assurer la protection. La question de la constitution d’un
DST dans cette zone doit donc être analysée à l’aune des enjeux de protection de l’environnement
qui la concernent. Dans les débats qui ont précédé la constitution de ce DST, plusieurs questions ont
porté sur la pertinence de la création de ce dispositif et sa compatibilité avec ces enjeux de protection
de l’environnement marin.
L’arbitrage entre les différents enjeux environnementaux
Nous avons donc dû procéder à des arbitrages entre des enjeux de sécurité maritime et des enjeux
environnementaux, ainsi qu’entre différents types d’enjeux environnementaux. A priori, la constitution
d’un DST permet normalement de limiter les risques de collision et donc de pollution, de marée noire,
etc. Ce type de dispositif semble donc bénéfique pour l’environnement et notamment pour la
protection des habitats marins et de la biodiversité côtière. Il permet d’éloigner une bonne partie du
trafic au large et d’éviter les collisions. Il semblait donc aller plutôt dans le sens de la protection de
l’environnement. Or la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.
En effet, la création d’un DST concentre le trafic et accroît la vitesse moyenne de ce trafic. Nous
touchons là à un autre enjeu environnemental, celui de la protection des cétacés. Une importante
population de cétacés se concentre effectivement dans cette zone. Nous recensons 22 espèces de
cétacés en Méditerranée, dont huit régulièrement présentes dans la zone du sanctuaire Pelagos. Ces
espèces marines sont très sensibles au bruit, car l’ouïe est un sens vital pour plusieurs d’entre elles.
Dès lors, toute perturbation de l’ouïe est néfaste pour ces animaux. La concentration du trafic conduit
à accroître le bruit et la fréquence du bruit. Ce type de dispositif peut donc avoir un impact important
sur l’état de santé des populations de mammifères marins.
37 / 75-
L’accroissement des vitesses augmente quant à lui le risque de collisions et de mortalité suite à des
collisions.
Il a donc fallu arbitrer entre ces différents enjeux environnementaux. Pour procéder à cet arbitrage,
nous nous sommes fondés sur les cartes de présence des mammifères marins dans la zone, ce qui
nous a permis de pondérer les risques, en constatant que la plupart des espèces, notamment les
rorquals, les cachalots et les grands dauphins se situaient plus au Nord et peuplaient peu le canal de
Corse. Le risque de collision était donc limité et nous avons pu conclure à une absence d’effet notable
de la création de ce DST.
Conclusion
Nous avons fait le choix de privilégier ce dispositif permettant de répondre aux enjeux de sécurité
maritime auxquels il s’adresse prioritairement et donc de limiter les risques de pollution littorale. Le
risque de dérangement des mammifères marins a été évalué comme mineur par rapport aux
avantages présentés par ce dispositif.
La question plus générale de la perturbation des populations de mammifères marins en Méditerranée
demeure cependant. Le trafic maritime reste en effet extrêmement dense en Méditerranée et continue
d’augmenter. La possibilité de la mise en place plus large d’une zone de protection comparable à la
ZMPV 2 située dans le golfe du Lion se pose donc. Il s’agit toutefois là d’un autre débat.
Je vous remercie pour votre aimable attention.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci pour cet éclairage. J’ajouterai que la problématique du bruit est un dossier qui commence à
donner lieu à documents au niveau de l’OMI. Elle pourrait ainsi être discutée et réglementée à
l’avenir.
Merci beaucoup.
Ludovic SCHULTZ
Les questions de la mesure du bruit et de l’impact du bruit sur les écosystèmes et notamment sur les
mammifères marins constituent l’un des 11 descripteurs du bon état du milieu marin recensés dans la
directive-cadre stratégie pour les milieux marins. Il existe donc d’ores et déjà une obligation
européenne de prise de mesures pour limiter les émissions sonores et tenir compte de leurs impacts
sur les populations animales.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci pour ces précisions.
Je passe à présent la parole à Madame Cancemi, directrice déléguée adjointe à l’Office de
l’environnement de la Corse.
2
Zone Maritime Particulièrement Vulnérable
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Protection de l’environnement et sécurité en mer : l’exemple de la Corse
Maddy CANCEMI
Directrice déléguée adjointe à la préservation et au développement durable des espaces littoraux et
marins protégés, Office de l’Environnement de la Corse
Merci.
Je vais vous présenter les aires marines protégées de Corse. Depuis plusieurs années, la Collectivité
Territoriale de Corse souhaite, aux côtés de l’État, protéger un maximum de zones de cette île qui
nous est chère.
Etat des lieux
Nous comptons trois réserves naturelles en Corse et un réseau Natura 2000, qui couvre 45 % du
territoire. Nous sommes également situés au centre du sanctuaire Pelagos et quelques
cantonnements de pêche ont été mis en place. La réserve naturelle de Scandola est quant à elle
toute petite. Elle est située au centre du site classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. La réserve
naturelle des îles Finocchiarola est située au centre du projet de parc naturel marin du Cap Corse et
de l’Agriate. Elle constitue un îlot dans le Cap Corse, essentiellement terrestre, mais elle est en train
d’être étendue en mer.
Pour en venir à la réserve naturelle des bouches de Bonifacio, il faut rappeler que, dans les années
1990, les populations corse et sarde ont souhaité la mise en place d’une protection forte pour les
bouches de Bonifacio, à cause du passage des navires transportant des substances dangereuses.
Cette forte implication de la population a amené les ministres de l’époque à proposer un programme
de financement européen et à demander la création d’un espace protégé dans les bouches de
Bonifacio. En l’absence d’outil international permettant de créer un parc marin international, une
réserve naturelle des bouches de Bonifacio a été créée, ainsi que le parc national de l’archipel de la
Maddalena. Ces deux espaces protégés constituent un groupement européen de coopération
territoriale, qui permet à deux entités de s’associer pour gérer des problématiques de protection de
l’environnement.
Cette réserve a été labellisée ASPIM et, pendant toutes ces années, nous avons mis en œuvre
plusieurs résolutions, à l’initiative de la Région et reprises par l’Etat. L’OMI également a émis des
résolutions, ainsi que les états français et italien, qui ont interdit le passage dans les bouches de
Bonifacio.
Ces outils permettent une protection plus large des bouches de Bonifacio, pour sa partie
environnement et patrimoine naturel.
La Corse compte enfin huit cantonnements de pêche, qui sont gérés par les prud’homies.
Analyse stratégique régionale
En 2011, la collectivité territoriale et l’agence des aires marines protégées a mis en œuvre une
stratégie pour mener des actions concrètes en vue de la création d’aires marines protégées autour de
la Corse. Cette stratégie s’applique aux espaces marins. Il s’agit d’un outil d’aide à la décision pour
des actions à moyen et long terme. Cette stratégie s’est appliquée en deux phases : le diagnostic et
les propositions. Ces actions ont été menées en concertation et l’Assemblée de Corse a pris une
décision à l’unanimité en 2012 sur ce sujet.
Plusieurs autres décisions ont ensuite été prises, notamment pour impliquer davantage les
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collectivités corses au sein de Pelagos. Un parc naturel marin a également été créé en 2016, sur une
zone englobant les Agriates et le Cap Corse. L’extension de la réserve naturelle de Scandola est en
cours en ce moment. Il s’agit d’un espace marin très important, qui sera alors protégé. Le groupement
européen de coopération territoriale a été relancé en octobre 2016, avec une première assemblée qui
se tiendra en décembre 2016.
Cette stratégie régionale vise également à terminer les documents d’objectifs de tous les sites Natura
2000 et à participer à une connaissance océanographique et écologique générale autour de la Corse.
En guise de mesure compensatoire, après la création du port de la Carbonite, situé au sud de Bastia,
il a été proposé de créer une réserve naturelle de Corse, pour préserver des herbiers remarquables et
emblématiques de la Méditerranée. Cette réserve est ainsi en cours de création.
L’exemple des bouches de Bonifacio
Le Fénès s’est échoué en 1996 sur les îles Lavezzi. Il transportait du blé et environ un hectare
d’herbiers de posidonies a été détruit par ce naufrage. En 1855, c’était la Sémillante qui faisait
naufrage sur les îles Lavezzi, provoquant la disparition de 700 marins. Cette zone est donc très
dangereuse, parce qu’elle est étroite, parsemée d’îles et d’îlots et parce que les tempêtes y sont
nombreuses et le vent, très violent.
Les deux zones de prudence et les routes mises en place à cet endroit correspondent à une
résolution de l’OMI mise en œuvre depuis 1998.
Des sémaphores corse et sarde surveillent tour à tour chaque semaine les bouches de Bonifacio et
disposent donc de tous les renseignements sur les bateaux qui traversent la zone. Ces informations
sont contrôlées par les marines nationales des deux pays. Ces sémaphores disposent de moyens
importants et ont bénéficié de programmes européens. Ils se sont ainsi modernisés.
C’est donc une coopération opérationnelle et innovante qui a été mise en œuvre entre la France et
l’Italie, avec des centres opérationnels de coordination des secours qui échangent systématiquement
leurs informations sur les navires présentant des risques. Les moyens navals disponibles de part et
d’autre du détroit en 2001 sont en outre mis en commun, avec l’adoption d’un protocole autorisant la
pénétration, la présence et l’intervention des unités de la garde côtière italienne et des navires
français dans les eaux territoriales de l’autre Etat (ou état?), pour les missions de surveillance
générale et d’identification des navires transitant par le détroit.
Les résultats de cette coopération sont significatifs et témoignent d’un renforcement de la sécurité
maritime dans le détroit international de Bonifacio. Le nombre de navires franchissant ce détroit a
diminué de manière très significative, ainsi que les quantités de produits dangereux transitant par le
détroit. Le carburant de soute ne figure pas cependant dans la liste de ces matières dangereuses, ce
qu’il faudrait sans doute davantage prendre en compte à l’avenir.
La résolution relative à la ZMPV a par ailleurs été très longue à obtenir. Corse et Sardaigne devaient
en effet être en mesure de proposer un service de pilotage. Nous aurions souhaité que le pilotage soit
hautement recommandé, ce qui n’a pas été le cas malheureusement. Le pilotage est ainsi simplement
« recommandé » par l’OMI. Au total, sept navires ont été pilotés dans les bouches de Bonifacio, ce
qui est très peu. Il faudrait donc faire du lobbying sur ce sujet, car il serait regrettable que le service
que nous proposons ne soit pas utilisé.
L’exemple du canal de Corse
Ce DST est donc tout récent. Sa mise en place a été accélérée suite à l’accident du Costa Concordia
survenu sur l’île du Giglio et elle est liée à la création du parc naturel du Cap Corse, qui est à présent
effective. Les spécialistes de ce sujet sont nombreux autour de la table et je ne développerai donc
pas ce thème.
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Je vous remercie de votre attention.
Jean-Luc LE LIBOUX
Merci beaucoup pour cet éclairage.
Je vous propose à présent de poser des questions et de débattre.
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Débat
De la salle
J’ai une question, qui n’est toutefois peut-être pas tout à fait dans le sujet. J’ai constaté que vous
aviez mis en place des réserves naturelles au sein du parc naturel marin. S’agit-il de réserves
naturelles régionales ou nationales ? Pouvez-vous évoquer les modalités de gestion de ces deux
espaces superposés ?
Maddy CANCEMI
En Corse, toutes les réserves naturelles ont été créées par l’Etat et sont toutes des réserves
nationales. Les nouvelles réserves de Corse n'ont pas encore été créées. La première sera une
réserve de lac de montagne et la seconde pourrait être la réserve naturelle des sites éclatés, pour les
herbiers, en forme de mesure compensatoire suite à la mise en place du port de la Carbonite. C’est
une association qui gère la réserve naturelle des îles Finocchiarola, mais le parc naturel marin
constitue un outil du code de l’environnement qui sera géré par un conseil de gestion. Ce Conseil se
réunira pour la première fois en octobre ou en novembre 2016. L’association en charge de la réserve
naturelle des îles Finocchiarola travaillera donc avec ce Conseil de gestion.
Jean-Luc LE LIBOUX
J’aurais moi aussi souhaité vous poser une question.
Comment parviendrez-vous à concilier l’activité touristique de plaisance, particulièrement importante
en Corse, avec ces parcs marins de plus en plus larges ? Il est en effet intéressant de montrer ses
joyaux. Avez-vous défini une stratégie vous permettant de concilier ces deux impératifs ?
Maddy CANCEMI
Nous avons commencé à y travailler. La Préfecture maritime propose ainsi plusieurs arrêtés pour
nous aider à gérer la grande plaisance. Dans le Cap Corse, la plaisance n’est pour l’heure pas si
développée que dans les bouches de Bonifacio, dans lesquelles, entre le 15 et le 20 août, on trouve
tous les bateaux imaginables, du bateau de 2 mètres au yacht de 150 mètres. Ces bateaux
occasionnent beaucoup de dégâts pour les herbiers de posidonies. Jusqu’à dix et douze mètres, les
ancres font des dégâts, mais les herbiers se renouvellent facilement. Au-delà, les impacts sont
irréversibles.
Nous avons choisi des sites très fréquentés, comme les îles Lavezzi, au Sud-est de Bonifacio, pour
mettre en place un plan de balisage, en concertation avec la Préfecture maritime. Il s’agit ainsi de
créer des zones d’ancrage dans le sable et une interdiction d’ancrage de 0 à 40 mètres. Nous avons
donc délimité des périmètres par des bouées, dans du sable. Ces opérations ont été mises en œuvre
sur deux ou trois sites au sein de la réserve nationale des bouches de Bonifacio et sont à présent très
bien suivies par la grande plaisance. Nous allons également mettre en place des mouillages
organisés, spécialement pour la grande plaisance.
L’arrêté pour l’ancrage des bateaux de plus de 45 mètres a été pris, mais il faut aussi des hommes
pour le faire respecter sur le terrain. Ce ne sont en effet pas les quelques personnes présentes dans
les sémaphores qui pourront déplacer les bateaux situés dans des zones interdites.
Ces mesures prendront sans doute du temps, mais avec les mouillages organisés, les ports à sec, les
arrêtés du Préfet maritime et les interdictions, nous pouvons limiter les dégâts, mais pas donner
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toutes les réponses à la grande plaisance. Celle-ci est active deux mois par an, mais peut
occasionner d’importants dégâts en une courte période.
Eric LEFEBVRE
Pour compléter cette intervention, j’ajouterai que la mise en place des mouillages propres, notamment
pour les grands navires, n’est pas très contraignante. Cependant, ce sont l’entretien et le
fonctionnement qui sont les plus onéreux. Il est ainsi souvent difficile d’identifier la structure adéquate
pour assurer l’entretien de ces installations. Des problématiques de place se posent également.
Jean-Luc LE LIBOUX
Des expériences pilotes pourraient peut-être être conduites, puisque l’exemple de la Corse doit
intéresser d’autres zones, en France, métropolitaine, en Outremer, mais aussi sans doute à l’étranger.
Les parcs de ce type sont certainement appelés à se développer. Ces projets sont coûteux et des
modes de financement partagés pourraient servir l’intérêt collectif, auquel nous adhérons tous.
De la salle
Bonjour.
Au sujet des compromis sur l’environnement, une problématique concerne la navigation des ferries
sur le DST du canal de Corse. Ces navires seront donc éloignés des côtes. Or il y a deux ans, dans
une autre zone, Brittany Ferries s’était vu autorisé de se rapprocher des côtes pour les liaisons entre
la Grande-Bretagne et l’Espagne, en vue de réaliser des économies de carburant. La Préfecture
maritime atlantique maintient-elle cette mesure dérogatoire, prise dans un contexte de cherté du
carburant, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ?
En outre, pensez-vous que nous nous orienterons vers une réglementation en ce qui concerne le bruit
dans les aires marines protégées ? Des solutions techniques se font jour à présent dans le domaine
de la propulsion, avec l’arrivée sur le marché de modèles hybrides, pour une navigation électrique et
silencieuse dans certaines zones. Cette solution hybride commence à concerner des petits paquebots
et des ferries. Comment voyez-vous l’avenir de la réglementation du bruit des navires ?
Jean-Luc LE LIBOUX
Je ne sais pas si un représentant de la Préfecture maritime atlantique peut apporter quelques
éléments de réponse à votre première question. Je préciserai cependant que ces dispositions sont
très encadrées et font l’objet de décisions individuelles.
Patrick RONDEAU
Effectivement, les combustibles ne sont pas très chers actuellement, mais je crains que cette situation
ne dure pas. Ensuite, ces mesures sont en effet très encadrées et contraignantes. Elles présentent
également un intérêt environnemental, puisque le navire profite du courant montant pour gagner du
temps. Là encore, il faut envisager la situation de façon globale et prendre en compte les questions
liées au réchauffement climatique et de santé.
Jean-Luc LE LIBOUX
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Ces dispositions ne sont pas ouvertes à toutes les compagnies ni à tous les équipages. Les
commandants de ces ferries disposent de la licence de capitaines-pilotes et ont suivi une formation
spécifique. Ces navires sont également en nombre réduit.
Par ailleurs, nous savons que, l’hiver, les conditions météorologiques sont difficiles sur cet axe. Or il
serait plus compliqué d’apporter une assistance à un navire transportant de 1 500 à 2 000 passagers
qui se trouverait éloigné de la côte. Il s’agit toutefois d’une zone particulière et d’une disposition
réglementaire spécifique et très encadrée.
Ludovic SCHULTZ
Concernant le bruit sous-marin et la probabilité d’une évolution de la réglementation en vue de limiter
strictement les émissions de bruit, tout est fondé sur l’état de la connaissance. Or aujourd’hui, la
connaissance est encore incomplète. Nous savons que le bruit a un impact sur les populations de
cétacés, mais nous ne savons pas mesurer avec précision les niveaux d’émission sonore. Ces sujets
font l’objet de discussions dans le cadre de la révision de la directive-cadre stratégie pour le milieu
marin. Comme je le disais, le bruit est l’un des descripteurs du bon état du milieu, mais nous ne
sommes pas encore parvenus aujourd’hui à un état de la connaissance suffisant pour fixer des seuils
d’intervention et de limitation. A court terme, je crains que la réglementation ne soit pas en mesure de
déterminer des niveaux d’émission de bruit, mais nous sommes appelés à progresser sur la mesure
du bruit et sur la connaissance de l’impact du bruit sur ces populations. La France devra donc mettre
en place des mesures dans le cadre de son programme de surveillance de l’état du milieu marin. Ces
dispositifs sont très onéreux, mais nous allons devoir les mettre en place. Une fois que la
connaissance suffisante sera acquise, la réglementation évoluera effectivement à terme, à compter
de 2018.
Concernant les évolutions technologiques, je ne suis pas en mesure de vous répondre, mais j’ai déjà
eu connaissance de travaux relatifs à la réduction du bruit des moteurs de navires. J’ignore jusqu’à
quel point ces travaux sont avancés.
Patrick RONDEAU
L’OMI a émis des recommandations sur la réduction du bruit des navires. L’une des causes
principales de ce bruit reste l’hélice et peut-être la vitesse. Les navires hybrides sont toujours dotés
d’hélices, ce qui ne diminuera donc pas beaucoup leur bruit. Ce niveau sonore dépend également de
l’entretien du navire.
Jean-Luc LE LIBOUX
A l’image des situations que nous connaissons dans les marines militaires, le bruit est une
problématique qui a été prise en compte depuis longtemps. Sur les navires à passagers également,
ce phénomène vibratoire tend à être contrôlé pour le confort des passagers. Pour réglementer ces
sujets, il faudra toutefois en passer par l’échelon international. Nous n’en sommes cependant
aujourd’hui qu’à la première phase, comme le soulignait Patrick Rondeau. Il convient ainsi de prendre
en compte les impacts de cette problématique du bruit, puis d’étudier quels éléments techniques sont
les plus contraignants pour effectuer des modifications réglementaires en ce qui concerne la
conception des navires. Sur ces sujets, le travail doit être mené en concertation avec les armateurs,
les chantiers de construction et les motoristes. Ce dossier devrait être traité dans les années à venir,
mais nécessitera encore du temps, sans doute une dizaine d’années.
Maddy CANCEMI
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Le bruit est un phénomène très complexe. Outre le bruit des navires, il faut en effet également
prendre en compte le bruit provenant de la terre. Les travaux dans les ports occasionnent des
perturbations sonores qui se répandent à plusieurs milles alentour. Il ne faut donc pas négliger cet
aspect.
Ludovic SCHULTZ
Effectivement, dans le cadre des études d’impact conduites pour les travaux d’infrastructures
portuaires, les mesures de limitation de bruit font partie des éléments pris en compte. La navigation
maritime n’est donc pas discriminée à ce titre, mais ce sujet est considéré de façon plus large.
Eric LEFEBVRE
Bientôt, le bruit des éoliennes s’ajoutera à ceux des bateaux et de la terre.
Jean-Luc LE LIBOUX
Si vous n’avez pas d’autres questions, je vous propose de clore la première partie de ce séminaire. Je
vous remercie pour votre attention et cèderai la main à Monsieur Fillon pour la partie juridique de ce
séminaire.
45 / 75-
Le DST « canal de Corse », retour d’expérience
sur quelques aspects juridiques
Jean-Louis FILLON
Délégué général de l’institut français de la mer
Nous allons donc commencer cette deuxième table ronde, dont je suis le modérateur. Je suis délégué
général de l’institut français de la mer et ancien commissaire général à la Préfecture maritime de
Toulon. Lorsque j’étais en fonction à Toulon, il y a une bonne dizaine d’années, c’était l’époque de la
mise en place du dispositif dans les bouches de Bonifacio. Nous commencions alors une convention
bilatérale constructive et parfois aléatoire avec nos homologues de la garde côtière italienne pour la
surveillance de cette zone. Notre regard était alors déjà tourné vers le canal de Corse et nous nous
prêtions à rêver d’une surveillance partagée du canal de Corse.
Nous l’avons rêvée et vous l’avez donc faite.
Nous avons fait allusion ce matin à l’emboîtement de réglementations internationales multilatérales,
européennes, bilatérales, etc. C’est à cette architecture juridique internationale que nous allons
consacrer cette seconde session.
Notre premier intervenant abordera des questions de droit international et la convention des Nations
Unies sur le droit de la mer, qui constitue la clé de voûte juridique de droit de la mer. Il se concentrera
sur l’application de la question particulière de la sécurité de la navigation dans les détroits et son
application au canal de Corse.
Alain Piquemal est professeur émérite à l’université de Nice. Il est professeur de droit de la mer. Je
salue cette compétence qui malheureusement se raréfie. Monsieur Piquemal a œuvré dans cette
discipline auprès des Nations-Unies et continue à apporter ses conseils à la Principauté de Monaco.
Je vous remercie, Monsieur le Professeur, de nous éclairer de votre science juridique.
46 / 75-
Le droit international, la convention des Nations-unies sur le droit de la mer - La question
particulière de la sécurité de la navigation dans les détroits
Alain PIQUEMAL
Professeur de droit international, agrégé de droit public, expert auprès de l’ONU (Division des Affaires
maritimes et du Droit de la mer) et de ses agences spécialisées, membre du Conseil de la mer de la
Principauté de Monaco
Merci, Monsieur le modérateur.
Qu’il me soit permis au préalable de remercier de leur invitation les organisateurs de ce colloque et
notamment Rouchdy Kbaier, qui, en tant que juriste, a joué un rôle important dans la négociation.
J’aborderai plusieurs questions dans cette présentation relativement large. Je le constate au nom des
Nations-Unies dans différentes réunions : la sécurité maritime devient un thème majeur. Du 10 au
15 octobre prochain se tiendra ainsi le sommet des chefs d’état et de gouvernement de l’organisation
de l’Union africaine à Lomé où les Nations-Unies seront présentes. Ce sommet sera entièrement
dédié à la sécurité maritime.
Sur le plan juridique, je me limiterai à la constitution des océans, c'est-à-dire à la convention de
Montego Bay. Ce matin, un panorama complet a été dressé à partir des textes de l’OMI et des textes
européens et je me limiterai moi-même aux aspects relatifs au droit international de la Convention.
J’ai été frappé ce matin par le rappel du fait que le droit de la mer avait toujours été en tension entre
liberté et appropriation. Dès le début du droit de la mer, le juriste Grotius a introduit le principe de
liberté des mers et s’est heurté à un autre juriste, Selden, qui au contraire était favorable à
l’appropriation des mers. Toute l’évolution du droit de la mer a suivi cette dialectique qui existe encore,
comme nous le constatons sur l’utilisation des ressources halieutiques en haute mer.
Cette sécurité prend un sens plus large qu’il y a encore 30 ou 40 ans. Lors de la première conférence
des Nations-unies sur le droit de la mer de Genève, la sécurité était essentiellement entendue dans
son sens militaire. Progressivement, sa définition s’est élargie et désormais, de nombreux états
évoquent la protection de leur sécurité écologique, notamment les états riverains de détroits.
La détermination de ces détroits pose une question de droit international. D’ailleurs, en droit
international, on utilise l’expression « détroits servant à la navigation internationale », ce qui a des
conséquences sur le statut de la navigation dans ces détroits.
La problématique qui va guider notre réflexion au sujet du canal de Corse peut également s’appliquer
à d’autres espaces maritimes. Nous nous pencherons tout d’abord sur la détermination du statut
juridique du canal de Corse, puis nous évoquerons quelques éléments relatifs à la sécurité de la
navigation dans les détroits, ainsi que les droits et les obligations reconnus aux états riverains.
Détermination du statut juridique du canal de Corse en droit international
Ce canal entre-t-il dans la définition de la convention de Montego Bay ? Nous devons à cet endroit
prendre plusieurs précautions. L’expression « canal » revêt une signification avant tout géographique,
qui n’entraîne pas de conséquences juridiques particulières. Un canal peut ainsi revêtir le statut de
détroit. Or le statut juridique des détroits peut varier, notamment avec le réchauffement climatique et
la fonte des glaces. Les détroits arctiques, canadiens et russes, pourraient ainsi devenir des détroits
servant à la navigation internationale.
La carte géographique européenne d’Eurostat recense les différents détroits d’Europe. On retrouve
dans cette liste les bouches de Bonifacio, mais pas le canal de Corse. Le canal de Corse n’est ainsi
jamais cité dans les détroits servant à la navigation internationale.
47 / 75-
Cette approche juridique des détroits servant à la navigation internationale s’est fondée sur des
critères coutumiers. Dès l’arrêt Wimbledon de la Cour permanente de justice internationale de 1923,
puis l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice de 1949 dans l’affaire du détroit de Corfou, les
états riverains ne peuvent pas suspendre le droit de passage inoffensif.
Deux critères se sont affrontés pendant la troisième conférence pour définir ce que nous pouvions
entendre par ce type de détroits. Les critères de géographie et du passage ont ainsi été retenus. Ces
critères ont parfois été contestés par des états, mais, dès 1949, la Cour internationale de justice a
accordé une supériorité au facteur du trafic.
A l’appui de cet arrêt de 1949, un consensus s’est fait jour. Les grandes puissances et les états en
développement se sont accordés sur une largeur maximale de mer territoriale portée à 12 nautiques,
ce qui a eu une conséquence directe sur les détroits susceptibles de servir à la navigation
internationale, puisque le département américain a recensé 116 détroits.
Pour revenir à la situation du canal de Corse, nous relèverons l’accord du 21 mars 2015 entre la
France et l’Italie relatif à la délimitation des mers territoriales et des zones sous juridiction nationale
des deux états. L’Italie n’a pas encore ratifié ce traité, dans lequel la France avait mis la zone du canal
de Corse entre parenthèses. Cet obstacle est à présent levé. Il en résulte que la majeure partie du
Canal de Corse est constituée des eaux territoriales de la France et de l’Italie et que seule une petite
partie au sud de la Corse relèverait du régime de la ZEE, où le principe de la liberté de navigation
s’applique.
La sécurité de la navigation dans les détroits
Quelles sont les conséquences juridiques d’un classement en « détroit servant à la navigation
internationale » sur les droits des états riverains et des états tiers ? Dans la partie 3 de la convention
de Montego Bay, « Détroits servant à la navigation internationale », les articles 34 à 45 distinguent
deux types de passage : le « passage en transit » ou le « passage inoffensif ». Ce dernier est donc un
« standard minimum », dégagé par la jurisprudence internationale bien avant la convention de
Montego Bay, dès l’affaire de Wimbledon. Ce droit de passage inoffensif ne peut donc être suspendu.
Le régime des détroits servant à la navigation internationale tel que réglementé par la CNUDM ? est
en la matière plus favorable aux états tiers qu’aux états côtiers. Les nombreux droits accordés aux
premiers limitent les capacités de sécurisation des seconds et entravent l’exercice de la protection de
leur environnement. Or la vulnérabilité écologique des détroits méditerranéens relativement à
l’importance du trafic maritime dans la région demeure une question majeure, y compris dans le canal
de Corse.
La mise en œuvre du simple « passage inoffensif » donne plus de latitude aux états concernés : ces
derniers, lorsqu’ils mettent en place des « voies de circulation et dispositifs de séparation du trafic
dans la mer territoriale » doivent simplement tenir compte « des recommandations de l’organisation
internationale compétente ».
De la salle
Je suis désolé de vous interrompre, mais j’aurais souhaité savoir ce qu’on entendait par « inoffensif ».
Alain PIQUEMAL
Si vous le permettez, je répondrai tout à l’heure à cette question.
Si le canal de Corse est considéré au sens de la CNUDM comme un « détroit servant à la navigation
internationale », les droits des deux états riverains sont plus limités et leurs obligations plus larges, en
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ce sens qu’ils doivent appliquer aux navires, mais aussi aux aéronefs, un « droit de passage en
transit », régi par les articles 37 à 44 de la CNUDM.
L’alternative, dans une certaine mesure, pouvait être ouverte, s’agissant du canal de Corse, même si
le critère du trafic tendrait à l’inclure assez objectivement dans la catégorie des « détroits servant à la
navigation internationale ».
Que le canal de Corse soit ou non considéré juridiquement comme un « détroit servant à la navigation
internationale », sur la base du droit international et des articles précités de la CNUDM, un dispositif
de régulation de la navigation maritime était juridiquement possible.
Si le régime juridique des détroits servant à la navigation internationale, notamment le passage en
transit et la mise en place de mesures régionales de protection de l’environnement semblent
contradictoires, le droit international n’oppose pas liberté et réglementation. Les dispositions prises
dans le détroit de Bonifacio s’inscrivent d’ailleurs dans ce sens.
La gestion intégrée du littoral (dernier protocole d’application de la convention de Barcelone) devrait
poser les questions de l’adaptation du cadre juridique, des compétences, de l’évaluation des risques,
des routes alternatives, etc. Les zones, les risques, les besoins, voire les modes de gestion
expérimentés ailleurs, devraient être identifiés de manière à construire un projet susceptible d’orienter
et de soutenir la gouvernance régionale. Le système de Barcelone ne saurait cependant se substituer
à celui de la convention des Nations-unies sur le droit de la mer, selon un principe de hiérarchie. Il
peut toutefois prendre des mesures d’application plus strictes, en l’occurrence pour mieux assurer la
sécurité écologique du canal de Corse et de ses espaces maritimes et littoraux adjacents. Lorsque
Madame la Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a installé le comité de
pilotage du parc naturel marin du Cap Corse, l'enjeu de la sécurité dans le canal de Corse a été
clairement posé.
Droits et obligations reconnus aux états riverains
L'article 39 (2) de la CNUDM prévoit que, exerçant leur droit de transit, les navires sont obligés d'obéir
aux règles et pratiques internationales généralement acceptées de prévention des risques
environnementaux. Cette règle implique d'autant plus les états économiquement usagers du détroit
qu'en cas de non-respect des règles de l'état côtier ayant entraîné des dommages pour celui ci, l'état
dont le navire en question porte pavillon est reconnu comme internationalement responsable (article
42 (5) CNUDM III).
D’une manière générale, la CNUDM maintient la responsabilité de l'état riverain dans la gestion des
risques sécuritaires. Les eaux du détroit sont toujours des eaux territoriales et l'état a le droit d'y
exercer ses prérogatives de souveraineté.
Un lien étroit doit donc être établi entre le contrôle de la navigation dans le canal de Corse et les
futures mesures de protection qui devront régir le parc naturel marin du Cap Corse. Lors de la réunion
du comité de pilotage du parc en 2015, le Préfet maritime a ainsi souligné la compatibilité entre la
protection de l’environnement et la régulation du trafic maritime.
Même si le « passage en transit » institué par la CNUDM limite les pouvoirs de l’état côtier dans le
processus du contrôle de la navigation, la convention a expressément prévu des garanties au titre des
mesures de police susceptibles d’être prises par les états riverains d’un « détroit servant à la
navigation internationale ». L’objectif pourrait être d’harmoniser les positions juridiques vis-à-vis de
l’OMI concernant les demandes de ZMPV, aux fins d’éviter une juxtaposition de demandes couvrant
les mêmes zones, même si les objectifs sont la protection écologique des milieux marins. Cette
juxtaposition est cependant envisageable si les fins visées sont différentes. Pour le canal de Corse, la
mise en place d’un « rail de navigation » s’applique au contrôle de la navigation stricto sensu, mais
l’objectif de protection des mammifères marins (exemple du sanctuaire Pelagos) ne peut que
s’étendre sur une zone beaucoup plus vaste, avec des modalités de protection différentes.
49 / 75-
Les objectifs de régulation de la navigation préservant l’environnement des zones côtières et
littorales
Il convient à présent de se situer dans la perspective d’une véritable gestion intégrée. Il serait
intéressant de mieux explorer le dispositif franco-italien Marittimo. Le nouveau programme de
coopération transfrontalière, Italie/France, 2014-2020, a proposé un axe de coopération susceptible
de concerner la protection des espaces marins adjacents aux espaces maritimes corses et,
éventuellement, leur aménagement. L’axe prioritaire 2 vise ainsi notamment « à améliorer la sécurité
en mer, comme risque spécifique lié à la navigation ». Il vise aussi « à augmenter la gestion conjointe
durable et responsable du patrimoine naturel et culturel de la zone, et notamment à augmenter la
protection des eaux marines face aux risques causés par les activités humaines dans les nouveaux
ports ».
Un projet dans le cadre de cette coopération franco-italienne 2014-2020 serait susceptible de
s’intégrer dans la problématique de la protection du canal de Corse, et plus largement dans la
perspective de la mise en place du parc naturel marin du Cap Corse.
Merci de votre attention.
Jean-Louis FILLON
La question a déjà été posée ; nous pouvons peut-être y répondre dès à présent. Quelle est la
signification du terme « inoffensif » dans l’expression « droit de passage inoffensif » ?
Alain PIQUEMAL
L’article 19 de la Convention est très précis à ce sujet. Le paragraphe premier de cet article dispose
que « le passage est inoffensif aussi longtemps qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à
la sécurité de l’état côtier. Il doit s’effectuer en conformité avec les dispositions de la Convention et les
autres règles du droit international. » Le paragraphe 2 donne quant à lui des exemples selon lesquels
le passage n’est pas considéré comme « inoffensif ». Il peut s’agir ainsi de menaces et d’emploi de la
force, d’exercice de manœuvre avec arme, etc. Un navire de guerre étranger ne peut donc pas
effectuer de manœuvre dans les eaux territoriales d’un autre état, sauf s’il en a obtenu l’autorisation.
Ces cas d’application ne sont cependant pas exhaustifs.
De la salle
Merci beaucoup. Je me demandais si les matières dangereuses pouvaient être considérées comme
faisant partie d’un « passage inoffensif ».
Alain PIQUEMAL
Il est difficile de répondre d’une manière générique par la négative à cette question. Plusieurs états
ont considéré que des navires transportant des substances nocives et dangereuses constituaient un
élément qui ne rentrait pas dans « le droit de passage inoffensif ». Pour les Nations-unies, j’ai mis en
place des régimes impliquant une assurance obligatoire. Certains états considéraient qu’ils avaient la
possibilité d’interdire l’entrée de leurs eaux territoriales à des navires et d’autres ont établi des
mesures d’assurance obligatoire. Ce problème s’était d’ailleurs posé avec l’apparition des navires
nucléaires.
Jean-Louis FILLON
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On peut ajouter que le paragraphe I de la Convention donne toute latitude aux états, puisqu’il dispose
que « toute autre activité sans rapport direct avec le passage peut être considérée comme étant non
inoffensive ». L’état côtier a donc la capacité de qualification du passage, qu’il pourrait refuser à un
navire chargé de marchandises dangereuses.
Merci beaucoup, Monsieur le Professeur, de cet éclairage très intéressant. Merci aussi d’avoir cité la
Convention de Barcelone, applicable à l’ensemble de la Méditerranée, dont l’appareil principal et les
nombreux protocoles offrent un cadre incontournable à l’application de notre cas d’espèce.
Je vous propose à présent de nous tourner vers l’OMI, dont Monsieur Piquemal vient de nous faire
remarquer qu’à travers la notion même de « détroit international », son intervention était nécessaire.
C’est ce cheminement à l’OMI que va nous exposer Monsieur Rubin de Cervens, adjoint de la
représentation permanente de la France à l’OMI. Il s’agit d’un ancien navigant, qui dispose donc à la
fois de la compétence administrative et de l’expérience opérationnelle.
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La négociation à l’OMI
François-Xavier RUBIN DE CERVENS
Représentation permanente auprès de l’Organisation maritime internationale
J’aborderai deux principaux thèmes et exposerai la vision particulière du Secrétariat de l’OMI sur les
dispositions de séparation de trafic, en continuité avec les exposés de ce matin. Les discussions avec
le Secrétariat de l’OMI ont été nombreuses sur ce dossier hors normes.
L’OMI
L’OMI est une agence spécialisée des Nations-unies, dont le siège est situé à Londres depuis 1958.
Son budget est restreint et se monte à 32 millions de livres sterling. Son Secrétariat compte
270 personnes environ, de 50 nationalités différentes. Ce sont ses états-membres, au nombre de
171, qui prennent les décisions. Des administrations, des agences gouvernementales et des experts
participent à ses sessions. Des organisations non gouvernementales représentent également
l’industrie, les marins, les armateurs, etc. Plusieurs organisations intergouvernementales, comme
l’Union européenne, siègent aussi à l’OMI. De 500 à 1 400 délégués participent à ces sessions, selon
l’ampleur des sujets traités. C’est le Comité qui regroupe le plus de personnes, surtout lorsque les
sujets sont sensibles. L’OMI couvre environ 100 000 navires. Ses contributeurs les plus importants
sont Panama, le Libéria, les îles Marshall, le Royaume-Uni et les Bahamas. La France arrive en
20e position environ.
L’OMI s’appuie sur l’Assemblée, qui est aussi son organe directeur. Cette Assemblée se réunit tous
les deux ans et repose sur un organe exécutif, le Conseil, qui ne comprend que 40 membres élus
tous les deux ans par l’Assemblée. La France fait partie de ce Conseil depuis les origines. Cette
organisation fonctionne avec des comités et des sous-comités, encore plus techniques. Des groupes
de travail se réunissent également pour chaque comité et sous-comité. Des groupes par
correspondance, des groupes de rédaction, des groupes intersections, des comités de pilotage
forment également une palette de lieux de travail répondant aux comités, qui sont les organes de
décision. La France dispose de délégations dans tous les comités et sous-comités, ainsi que dans
presque tous les groupes de travail.
L’organisation de l’OMI est donc très technique. Ses sujets peuvent ainsi être très pointus et les
représentants sont souvent d’anciens capitaines ou des ingénieurs navals, ainsi que des juristes. Le
Secrétariat rédige l’ensemble des briefings transmis aux Présidents et il oriente donc les débats.
Les ONG sont très présentes et très écoutées au sein de l’OMI. Les échanges de positions sont rares
dans cette organisation, car il s’agit surtout de discussions techniques.
Principes de la négociation
Pour bien négocier, il importe tout d’abord de séparer les personnes du problème, tout en établissant
une relation de confiance. S’agissant de la discussion engagée au sujet du DST du canal de Corse,
nos interlocuteurs ont été le Secrétariat, les Italiens ainsi que les autres délégations. Les autres
principes de la négociation sont :
•
•
•
•
•
la bonne connaissance de l’autre partie ;
la recherche des options pour un gain mutuel ;
l’argumentation sur une base factuelle technique ;
l’anticipation ;
l’adaptation.
52 / 75-
L’adoption du DST du canal de Corse par l’OMI
Dans le cas du DST du canal de Corse, le sous-comité NCSR, qui traite de la sécurité de la
navigation, a étudié la proposition et l’a renvoyée au Comité de sécurité maritime. Ce dernier a
ensuite adopté le système d’organisation de trafic. Enfin, le Secrétariat a publié la circulaire emportant
cette séparation de trafic. Tout ce processus doit obéir à un calendrier précis et contraint.
Le projet du DST a été élaboré dans un premier temps à Paris et à Rome. Les représentations
permanentes française et italienne ont été saisies lorsque ce projet est arrivé à maturation. Le projet
nous est ainsi parvenu très peu de temps après la date limite de soumission. La représentation
permanente française compte trois personnes : une ambassadrice et deux représentants adjoints.
Nous avons joué un rôle d’interface avec la représentation permanente italienne et le Secrétariat de
l’OMI. Nous avons en outre effectué des actions de lobbying.
Le projet comportait plusieurs difficultés et nous avons dû présenter des solutions alternatives à la
mouture qui avait été initialement proposée. Ce travail s’est avéré délicat, puisque les volontés
italiennes étaient très fortes sur certains points. Une fois le premier projet présenté à l’OMI, il a fallu
évoquer la question du détroit international.
Au sein de l’OMI, c’est le chapitre 5 de la Convention Solas qui régit les DST. Or ce chapitre ne fait
pas obligation pour les états-membres de déposer les DST. Cependant, lorsque le dossier de DST est
déposé, il faut suivre les dispositions de l’OMI, comme le précise ce chapitre 5.
Notre travail préparatoire s’est avéré quelque peu compliqué. En effet, une première version du projet
a été soumise et il est apparu au fil des discussions qu’elle était bien difficile à faire accepter par
l’OMI. Le Secrétariat de cette organisation était en effet hostile à cette première version, pour
plusieurs raisons. Cette version mélangeait effectivement des dispositions nationales et des
dispositions propres à l’OMI. Le Secrétariat regrettait ainsi l’absence de vision d’ensemble du projet.
Nous avons donc dû proposer une deuxième version du DST, plus en accord avec les attentes du
Secrétariat de l’OMI. Cependant, le dernier jour de dépôt du projet, Rome a fait part de son désaccord
quant à cette alternative. Ce travail n’a donc pas pu être soumis. Nous avons alors proposé la
première version du projet, en dépit de ses imperfections, dans l’espoir d’être en mesure de la
défendre devant le Secrétariat.
Ce dernier a de prime abord fait part de son vif regret face à cette version initiale, qui ne recevait pas
du tout son aval. Nous avons alors expliqué que ce projet était très important pour nous et avons
beaucoup insisté auprès du Secrétariat. De nombreuses réunions ont ainsi été organisées. Nous
avons également dû expliquer notre intention au Président du groupe de travail, de nationalité
panaméenne. Ce dossier a donc fait l’objet d’un lobbying particulièrement intense de notre part.
La version du projet que nous avons déposée n’avait donc que très peu de chances d’aboutir. Elle a
pourtant franchi l’obstacle du sous-comité et a été renvoyée au groupe de travail. Une fois en groupe
de travail, nous n’avons plus travaillé sur la version soumise initialement, mais sur une troisième
version, qui avait reçu l’aval de nos homologues italiens et de Paris, notamment grâce au travail de
Monsieur Maire. Nous avons alors défendu notre dossier en groupe de travail. Le projet comportait
encore des points bloquants pour l’OMI, en particulier les points relatifs aux mesures nationales. Les
discussions ont donc été nourries et six heures de négociation intensives ont été nécessaires en
groupe de travail pour faire passer nos idées.
La première version du projet faisait état d’un système de routage obligatoire sans zone côtière. Les
différents dispositifs sont décrits dans les textes et deux de ces dispositifs sont bien identifiés : un
système de routage obligatoire et un dispositif de séparation de trafic. Il nous a été difficile de
défendre la première version, car le système qu’elle évoquait est très peu utilisé à l’OMI. Tous les
dispositifs faisant référence à la notion d’ « obligatoire » concernent en effet des interdictions de
mouillage ou des dispositions propres au mouillage. Sur la partie routage, un seul dispositif s’applique
à un seul type de navire, pour les pétroliers, dans le Nord de l’Allemagne. Le Secrétariat préférait pour
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sa part le dispositif de séparation de trafic, qui est pensé pour être combiné à une zone de navigation
côtière. En effet, le DST est régi par la règle 10 de la Convention Colreg, qui prévient les abordages
en mer. C’est cette convention qui prédispose des possibilités et impossibilités. En l’occurrence, la
règle 10 de la Convention Colreg est claire sur ce sujet : il est nécessaire d’établir une zone côtière,
ce que nous n’avions cependant pas fait dans les premières versions du projet. Le Secrétariat de
l’OMI a donc considéré qu’un DST appuyé à une zone de séparation côtière constituait une obligation
au titre de cette règle 10.
Conclusion
En guise de retour d’expérience, nous constatons qu’il est nécessaire de bien préparer les dossiers
en amont, ce qui peut toutefois prendre du temps. En effet, pour certains projets, l’OMI reçoit des
premières sensibilisations trois ou quatre ans avant la demande officielle. Nos délais étaient donc
complètement hors-normes, ce qui a posé problème.
Il est également nécessaire de disposer d’une bonne expérience et d’un réseau solide pour parvenir à
partager ses idées et corriger les soumissions lorsqu’elles peuvent l’être. Il importe enfin de ne pas
négliger le rôle du Secrétariat.
J’espère avoir répondu à l’une des questions qui m’ont été posées ce matin, au sujet des leçons à
retenir de ce projet.
Merci pour votre attention.
Jean-Louis FILLON
Merci beaucoup, Monsieur Rubin de Cervens.
Il ne vous aura pas échappé que l’une des diapositives qui vient de vous être présentées mentionnait
« l’Union européenne ». Ce matin déjà, Monsieur Kbaier a souligné l’importance de l’UE. Or vous
n’ignorez pas que l’UE n’est pas membre de l’OMI. En toute rigueur, nous aurions pu nous dispenser
de sa participation à la mise en place de ce projet. Cela n’a pas été le cas et nous pouvons nous
réjouir de l’intervention de l’UE dans le montage de ce projet du DST du canal de Corse, comme
Monsieur Kbaier va nous l’exposer à présent.
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La relation UE/OMI : concurrence ou complémentarité : la coordination européenne, aspects
juridiques, institutionnels et tactiques
Rouchdy KBAIER
Inspecteur général de l’administration du développement durable, CGEDD, coordinateur de la mission
« canal de Corse »
Merci, Monsieur le modérateur.
Mon intervention fait donc suite à celles d’Alain Piquemal et de François-Xavier Rubin de Cervens.
Nous nous demandons parfois aujourd’hui si l’Union européenne intervient comme concurrente et,
pour ce dossier, nous nous sommes demandé si nous devions la saisir rapidement.
Pour bien saisir ce sujet, j’évoquerai le contexte de la mission diligentée par la ministre, Madame
Royal et que nous avons menée dans un délai très court, compliqué encore par l’intervention de
l’Union européenne. Ensuite, j’aborderai la question des compétences externes de l’Union
européenne et la posture parfois hégémonique de la Commission européenne, voire du Conseil. Ce
point n’est en effet pas très clair dans bien des domaines et pour de nombreuses organisations
internationales. Comment faire face à ces incertitudes et quelles sont les solutions pour les affronter ?
Nous tenterons de répondre à ces questions dans une troisième partie.
Le contexte de la mission diligentée par la ministre et le choix précoce de la mission de saisir
l’UE
Dans cette mission de dialogue et de pilotage, notre objectif était triple :
•
expertiser les conditions de faisabilité techniques, juridiques et diplomatiques de mesures
d’organisation de trafic dans le contexte de la catastrophe du Costa Concordia et du
positionnement de la ministre sur cette question ;
•
organiser les relations entre les parties prenantes nationales, les élus corses, les armateurs,
les services de l’Etat, les autorités italiennes et l’OMI ;
•
élaborer des propositions de mesures d’organisation.
La mission a démarré en décembre 2014, avec l'objectif d'une adoption éventuelle en mai 2016 à
l'OMI. Le délai de gestation a donc été très court. Nous avons dû attendre que des préalables soient
levés : le 32e sommet franco-italien de Paris du 24 février 2015, a entériné le principe « du
renforcement rapide de la sécurité maritime dans le canal de Corse » et de soumission par la France
et l’Italie de mesures auprès de l’OMI après coordination européenne. Ce sommet a également
confirmé l’accord franco-italien sur la délimitation des eaux territoriales des deux pays.
La faisabilité du projet a été testée aux plans national et international. Nous avons également
rencontré des difficultés pour faire accepter le projet à nos homologues italiens, qui font face à
d’autres priorités en ce moment, notamment pour le sauvetage des migrants.
Le "timing" était donc très tendu. Il nous fallait passer le projet au NCSR du mois de mars 2016, qui
conditionne le passage en comité de sécurité maritime. C’est en effet cette instance qui adopte la
résolution juridique du DST et de la zone de navigation côtière.
Dès le début de notre réflexion, nous nous sommes demandé s’il était nécessaire de passer par
l’étape communautaire. Or les jurisprudences sanctionnant les Etats-membres s'affranchissant de
cette étape sont de plus en plus importantes. Nous disposions cependant de l’accord des Italiens sur
le pré-projet, comme l’a évoqué François-Xavier. Ce pré-projet ne correspondait pas complètement
aux standards de l’OMI et n’a donc pas du tout plu au Secrétariat de l'OMI. La coordination
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européenne a été effectuée le 18 novembre 2015, alors que le dossier devait être déposé à l’OMI le
27 novembre au plus tard.
Je ne souhaite toutefois pas donner l’impression que ce dossier a été adopté par hasard. Ce n’est pas
du tout le cas. Ce dossier avait, l'ambition de concilier les attentes des armateurs et des deux parties,
italiennes et françaises dès sa première version, tandis qu’il est très difficile de composer avec
l’orthodoxie de l’OMI. Le Secrétariat de l’OMI est ainsi très rigide et n’a pas compris au détail la
spécificité de notre projet.
Suite à notre engagement avec les armateurs, nous souhaitions en effet faire passer le DST, tout en
proposant une troisième voie dédiée aux ferries desservant Bastia. L’OMI a refusé ce dossier en bloc,
sans chercher à en savoir davantage.
Nous avons alors dû revoir le dossier avec les Italiens, pour aboutir à une version plus conforme à la
vision de l’OMI. Plutôt qu’à cette troisième voie, nous avons en effet adossé le DST à une zone de
navigation côtière, ce qui plaisait davantage à l’OMI. Je ne souhaite pas néanmoins donner
l’impression que la solution que nous avions proposée initialement était fantaisiste ; ce n’est pas le
cas du tout. Cette première proposition était conforme à nos engagements avec les armateurs
français et italiens. Elle n’était certes pas absolument conforme aux exigences de l’OMI, mais elle
confortait les Italiens. Madame Royal a rencontré le ministre des Transports italien, Monsieur Delrio, à
plusieurs reprises et a systématiquement évoqué ce sujet avec lui ; ce qui a été de matière à
emporter l'adhésion de la partie italienne.
Les compétences externes de l’UE
Dans le domaine du transport comme dans celui du marché intérieur ou de l’environnement, le sujet
des compétences externes de l’UE se pose nécessairement. Faut-il systématiquement assurer une
coordination européenne sur ces sujets ?
L’article 216 du Traité probablement relatif aux compétences externes de l’UE dispose que les traités
prévoient ces champs de compétences et que la conclusion d’un accord est nécessaire pour réaliser
l’un des objectifs visés par les traités. Il prévoit également que la conclusion d’un accord est prévue
pour un acte juridique contraignant et que la conclusion d’un accord est susceptible d’affecter des
règles communes ou d’en altérer la portée.
Pour le cas qui nous occupe, comment interpréter cet article au regard de l’impact d’un accord sur le
fonctionnement d’une politique de l’UE ? Nous pouvons à ce titre nous appuyer sur une jurisprudence
de principe, en défaveur de l’Allemagne. Cette dernière avait décidé de porter la position du Conseil
devant la Cour de justice. Le Conseil avait en effet établi une position commune de l’UE sur des
résolutions de l’OIV. Cette jurisprudence indiquait que l’UE n’était pas partie à l’OIV – comme elle
n’est pas parti à l’OMI l'offre internationale de la vigne et du vin. La Cour de justice a considéré qu’il
n’était pas nécessaire d’être partie à un accord ou à une organisation internationale pour prendre une
position commune, dès lors que les questions traitées impactent les politiques de l’UE. En outre,
l’accord de l’OIV en question considérait que même une résolution contraignante peut avoir un impact
sur l’une des politiques de l’Union. Il s’agit donc d’un arrêt de principe, qui nous a guidé.
De plus, dans le domaine du transport, l’arrêt de principe de 1985 a conduit le Parlement européen à
demander la censure du Conseil pour carence. Le Parlement considérait en effet que le Conseil ne
prenait pas suffisamment de mesures pour mettre en œuvre la politique commune de transport. Le
Conseil est ainsi aujourd’hui tout à fait influencé par cette jurisprudence. Or la politique de transport
de l’UE est régie par le traité de fonctionnement de l’Union. Plus l’UE intervient dans le domaine des
transports, plus elle réclamera la compétence exclusive de négociation. Il a été rappelé ce matin que
la directive 2002/59 sur la mise en place d’un système de surveillance relevait du droit dérivé
européen, qui engage les Etats-membres et implique que le Conseil demande des positions
communes, notamment vis-à-vis de l’OMI. L’arrêt de principe de la Cour de justice AETR du
31 mars 1971 englobe quant à lui les compétences de l’UE dans le domaine du transport.
56 / 75-
La condamnation de la Grèce du 12 février 2015 nous concerne également directement. La Grèce
avait saisi l’OMI pour modifier certaines dispositions relatives à la conformité des navires et des
installations portuaires. C’était la convention Solas qui était alors concernée, tandis que la Grèce a
décidé de se passer du niveau européen. Or elle a été condamnée pour cette raison.
Nous avons donc joué la carte de la prudence, d’autant qu’une autre jurisprudence dans le domaine
maritime a condamné un autre Etat-membre. L’Allemagne a ainsi été condamnée en 2014 par la
Commission pour avoir directement saisi le Comité de sécurité maritime pour une affaire qui avait trait
à la piraterie et au vol à main armée à l’encontre des navires. Suite à cette affaire, une jurisprudence
a défini la notion d’obligation de coopération loyale avec les institutions européennes. Il a ainsi été
considéré que, dans plusieurs domaines, il était nécessaire que ce soit l’UE qui négocie.
La tendance est donc à l'implication de plus en plus forte de l’UE, car chaque politique commune est
appréhendée de manière extensive. Au CGEDD, nous travaillons beaucoup dans le domaine du droit
de l’environnement et nous constatons que l’interprétation de la Cour de justice est toujours
extensive, s’agissant des obligations des états-membres. La négociation en amont, l’évaluation et la
coordination sont donc à présent et plus que jamais nécessaires.
La coordination européenne Pour notre affaire, la coordination européenne est intervenue le 18 novembre 2015. Cette
coordination était-elle nécessaire. J’en suis convaincu. En effet, le risque d’être débouté pour une
raison de vice de forme ou même de droit était trop grand. Nous craignions que l’UE engage une
action contre nous devant la Cour de justice européenne. Des incertitudes continuent de peser
cependant au sujet du partage ou de l’exclusivité des compétences. La théorie de la « compétence
exclusive implicite » consiste en effet à ce que, plus le droit dérivé européen englobe de champs
d’action, moins les états-membres disposent de marges de manœuvre.
Comment organiser cette coordination européenne ? Le 18 novembre, cette coordination s’est avérée
particulièrement simple à mettre en œuvre. Je me demande même si le fond de dossier a été
examiné par le groupe maritime du Conseil.
Au cours de la négociation avec l’OMI, nous avons constaté que les délégations britanniques et
danoises étaient tenues par cette coordination européenne et par le silence du Conseil Transport sur
notre dossier.
Pour ce dossier du canal de Corse, la coordination européenne nous a donc été favorable. Le sera-telle toujours, pour de futurs dossiers ? Je ne saurai l’affirmer.
En séance, le représentant américain contestait le projet franço-Iialien justifiant son désaccord sur
l'argument selon lequel il s'agissait d'une mesure unilatérale , non conforme à la convention sur le
droit de la mer. Cette position nous est apparue un peu curieuse, quand on sait la propension
des Etats-Unis à pratiquer l'unalétarilisme, notamment en matière maritime.
Or les délégués britannique et danois sont restés silencieux, alors que les Belges, les Polonais et les
Russes nous ont soutenus. Le fait d’avoir été particulièrement respectueux des prérogatives
européennes a sans doute joué en notre faveur.
Pour autant, est-il nécessaire de mettre en œuvre une coordination européenne sur tous les
dossiers ? N’est-il pas pertinent de prévoir un accord avec la présidence tournante de l’UE pour éviter
d’encombrer le groupe maritime du Conseil ?
Dans ce type de dossier le travail technique en amont est déterminant. La DAM a été à la manoeuvre.
Au plan national, le travail de coordination avec le SGAE et le MAE est essentiel. Au plan européen et
compte tenu de l'importance des dossiers à traiter, il serait utile d'adopter une règle de conduite entre
la Commission, la présidence du Conseil et l'Etat-membre concerné pour décider si tel ou tel dossier
mérite une coordination et dans ce cas préciser les conditions d'une saisine du Conseil, ou de
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ou du groupe maritime de Conseil.
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Débat
Jean-Louis FILLON
Merci.
Je poserai la première question, pour ouvrir le débat. Vous nous avez dit que cette présentation au
Conseil maritime de l’UE ne « pouvait pas être néfaste », mais est-elle bénéfique ? Quelle a été la
valeur ajoutée de cette présentation au niveau européen ? Il ne semble pas à vous écouter qu’il y ait
eu une valeur ajoutée, mais que l’intervention de l’UE avait uniquement vocation à marquer le
territoire de cette instance et la nécessité de la consulter au préalable, sans apporter une quelconque
valeur ajoutée, d’autant que l’UE n’est pas présente à l’OMI.
Rouchdy KBAIER
La valeur ajoutée vient de l’absence d’obstacles des états-membres maritimes, qui protègent
beaucoup les états du pavillon. A l’OMI, les questions les plus difficiles nous ont été posées par les
associations d’armateurs. Ces derniers demandaient le report de la décision. Même si notre dossier
n’a pas été présenté dans l’orthodoxie des règles voulues par le Secrétariat de l’OMI, les pays
maritimes européens ne l’ont pas attaqué. Les pays de l’UE ont même fait preuve d’une certaine
cohésion en séance, au sein de l’OMI, ce qui nous a donc aidés. La négociation de l’accord avec
Armateurs de France a également facilité notre négociation avec les associations d’Armateurs devant
l’OMI.
Jean-Louis FILLON
Autrement dit, la valeur ajoutée technique de la soumission préalable du dossier au niveau européen
ne pèse pas très lourd, tandis que cette valeur ajoutée est surtout politique.
François-Xavier RUBIN DE CERVENS
Il faut également ajouter que, nonobstant les poursuites éventuelles de la Commission européenne
vis-à-vis d’une soumission de dossier qui ne respecterait pas la compétence de l’UE, nous pouvons
faire face à une demande de retrait du dossier à l’OMI en l’absence de consultation préalable du
niveau européen. De nombreux Etats ont ainsi déjà soumis un document à l’OMI, avant que la
Commission européenne estime que ce dossier relève de sa compétence. L’état concerné peut alors
retirer son dossier ou s’exposer à un risque de contentieux s’il décide de le maintenir.
Le dépôt du dossier au niveau européen permet donc d’éviter les problèmes de ce type. Cependant,
nous devons souvent composer avec des pas de temps particulièrement resserrés, surtout lorsqu’il
s’agit de documents répondant à d’autres documents déjà soumis à l’OMI. Cette procédure peut
s’avérer très pénalisante dans ce cas, voire même incompatible avec une soumission du dossier de
réponse à l’OMI dans les délais impartis.
Une juste méthode de travail doit donc encore être définie, sur laquelle la Commission et l’Europe
travaillent.
Michel BABKINE
Pour répondre à la question de Monsieur Fillon ; oui, la présentation du dossier au niveau européen a
été bénéfique d’un point de vue psychologique pour la sous-direction de la sécurité maritime et à la
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DAM. Comme l’a expliqué Monsieur Rubin de Cervens sur les questions de coordination, nous avons
essuyé plusieurs revers par le passé. Nos partenaires n’étaient en effet pas toujours loyaux et nous
avions dû retirer des dossiers que nous estimions pourtant tout à fait fondés. Nous avons donc réussi
pour ce dossier du canal de Corse, avec l’aval de la Commission, à faire passer ce dossier et à faire
taire nos meilleurs ennemis.
Alain PIQUEMAL
J’aurais souhaité poser une question à Rouchdy Kbaier. J’ai fort apprécié votre intervention et
comprends parfaitement la sécurisation juridique préalable, suite aux jurisprudences que vous avez
évoquées.
Je pratique d’ailleurs moi-même la Cour de justice de temps en temps et je me demande si, plus
largement que ce seul dossier du DST du canal de Corse, nous n’assistons pas à une dérive dans
l’application du principe de subsidiarité. J’aurais souhaité vous entendre sur ce sujet.
Rouchdy KBAIER
Le traité de Lisbonne fait de la procédure de codécision la procédure de législation ordinaire.
Aujourd’hui, la Commission "occupe le terrain". Les politiques communes sont quant à elles élargies,
alors qu’il ne s’agit pas de politiques exclusives, comme la politique des transports. Plus cette
dernière est élargie, plus la Cour de justice considère la légitimité de l’UE comme importante sur cette
question.
En outre, la politique de transport de l’UE trouve une application directe sur le marché intérieur, selon
les sacro-saints principes de liberté d’établissement, de liberté de commerce et de liberté de
navigation. La primauté de l’Union européenne est évidente à ce titre.
Il ne s’agit pas à présent de savoir si l’UE est légitime pour travailler sur la question de la sécurité
Maritime ; elle est effectivement légitime sur ces sujets. Les affaires telles que celle de l’Erika ont en
effet renforcé ses compétences. L’UE est également légitime en matière de libre échange et de
marché intérieur. Cette politique exclusive est l'une des conséquences de la politique commune.
Maddy CANCEMI
Je ne sais pas si vous avez participé aux négociations pour la ZMPV des bouches de Bonifacio. Nous
avions alors demandé en guise de mesure compensatoire la mise en place d’un pilotage obligatoire.
Or j’ai appris que l’OMI n’est pas en mesure de se prononcer sur ce sujet du pilotage obligatoire. Je
ne comprends pas dès lors que cette mesure ait été soumise à l’OMI. Pouvez-vous m’éclairer sur ce
point ? Dans le futur, lorsque les politiques corses nous demanderont de travailler avec les services
de l’Etat sur ce dossier, je souhaiterais que nous puissions leur répondre correctement.
Michel BABKINE
Je vais essayer de vous apporter une réponse sur les modalités de décision à l’OMI, qui pourrait être
complétée par François-Xavier Rubin de Cervens.
En juillet 2011, j’étais présent à l’OMI lors de la présentation du dossier de demande de création d’une
ZMPV. Nous avions alors effectivement demandé un pilotage obligatoire.
Cette disposition de pilotage obligatoire a tendance à fâcher certains états, en particulier à l’OMI. Or
les décisions prises par l’OMI sont consensuelles. Si nous sentons une réprobation générale ou
fortement marquée par rapport à une disposition, c’est donc tout le dossier qui est reporté.
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Pour ce qui concerne la ZMPV des bouches de Bonifacio, nous aurions pu maintenir notre demande
de pilotage obligatoire. Dans ce cas cependant, la ZMPV n’aurait pas été adoptée. Nous avons fait le
choix d’une position intermédiaire, avec une mesure accessoire. Le ZMPV ne vaut en effet que par
rapport aux mesures ou recommandations qui y sont associées. Nous avons donc recommandé le
pilotage obligatoire, afin qu’officiellement, cette ZMPV soit créée.
Cette situation évoluera peut-être, mais ces demandes de pilotage obligatoire, formulées dans ce
cadre ou dans d’autres, n’ont jamais été adoptées à l’OMI. Nous avons donc revu notre position en
groupe de travail, pour que notre demande de ZMPV soit adoptée.
Maddy CANCEMI
Vous avez répondu à ma question de façon indirecte. L’OMI peut-elle se prononcer sur ce sujet de
pilotage obligatoire ? S’il ne s’agit que d’une question de lobbying et de diplomatie, nous pouvons
envisager le futur, mais si l’OMI n’a pas le pouvoir de se prononcer sur le pilotage obligatoire, il n’est
pas nécessaire de proposer cette mesure.
Michel BABKINE
L’OMI regroupe 171 états et il n’est arrivé qu’une fois que cette instance procède à un vote pour
prendre une décision. Si le consensus ne s’établit pas sur la création du pilotage obligatoire, cette
mesure ne sera pas mise en œuvre. Dans ce cas, le dossier peut être retiré pour plusieurs années.
Ce dossier sortira alors en effet de l’ordre du jour du programme de travail de l’OMI et il sera alors
nécessaire d’attendre la biennale suivante pour le présenter à nouveau. Il est donc parfois préférable
d’avancer à petits pas, de conserver le dossier ouvert et d’attendre une opportunité pour le soumettre.
Jusqu’à présent, nous sommes un peu isolés sur ce sujet du pilotage obligatoire. Il serait donc assez
peu opportun de faire cette demande à présent. Par le passé, concernant la chute des containers à la
mer, nous nous sommes retrouvés un peu isolés et le dossier s’est refermé. Nous devons donc à
présent attendre une prochaine opportunité pour soumettre à nouveau ce sujet.
Jean-Louis FILLON
Merci.
Je vous propose de passer à l’exposé suivant, relatif à l’accord bilatéral entre la France et l’Italie en
matière de surveillance maritime. Nous allons ainsi écouter Monsieur Denamur, administrateur en
chef des Affaires maritimes.
Nous avons beaucoup fait allusion jusqu’à présent à la coopération avec les Italiens, sans traiter ce
sujet en profondeur. Or je sais d’expérience qu’il s’agit d’un sujet toujours très riche.
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Vers l’adoption d’un accord bilatéral entre la France et l’Italie en matière de surveillance
maritime
Vincent DENAMUR
Sous-directeur de la sécurité maritime, DGITM
Merci, Monsieur le Commissaire général.
Avec ce titre en forme d’interrogation, j’ai pêché par pessimisme. En effet, mon propos correspond
bien à une affirmation, car le contexte régional et les enjeux attachés au DST plaident pour parvenir à
un résultat avec la partie italienne.
Ma présentation ne relève pas du retour d’expérience, mais donne une perspective d’action qui se
matérialisera dès le 19 octobre prochain, avec la première réunion avec les garde-côtes italiens, la
Préfecture maritime et la DAM, à la Préfecture maritime de Toulon. Il s’agira alors d’esquisser des
pistes de travail pour parvenir à un accord bilatéral.
Ma première partie sera consacrée à la définition de ce que seront ces mesures de surveillance. J’en
viendrai ensuite à la manière dont nous devons envisager la coopération pour le canal de Corse, en
vue d’obtenir un résultat satisfaisant.
Le DST Canal de Corse : quelles mesures de surveillance ?
Le parti-pris adopté pour le canal de Corse correspond à un DST « simple ». Le chapitre 5 de la
convention Solas conditionne toute mesure d’organisation de trafic à une évaluation du risque et à
une quantification du trafic. Il faut alors tenir compte du volume de trafic commercial et du
dimensionnement du risque pour adopter ces mesures d’encadrement.
Avec le DST, il a été estimé que l’objectif était atteint. En particulier, nous avons renoncé à mettre en
place un service de trafic maritime. Ce service d’assistance offert aux navires relève d’une résolution
de l’OMI et nous avons estimé que le simple rail de navigation constituait une mesure adaptée. Nous
avons également renoncé à organiser un compte rendu obligatoire, parce qu’à l’heure de l’AIS,
l’identification des navires entrant dans une zone maritime est très simple, comme cela a été évoqué
ce matin. J’y reviendrai d’ailleurs.
Au regard du trafic et de la nécessité de ne pas surcharger les procédures administratives appliquées
à bord des navires, il a été considéré que le STM ? et le compte rendu obligatoire ne s’imposaient
pas.
La création d’un DST et d’un rail de navigation n’impose pas ces mesures de CRO ni de mesure de
surveillance. Le monde compte quelque 280 rails de navigation, selon le Ship routing de l’OMI. De
plus, la majorité de ces DST ne fait pas l’objet d’un CRO ni n’est surveillée. Pour reprendre l’exemple
bien connu des Cross français, le DST des îles Scilly n’a rien à envier au DST du canal de Corse en
termes de complexité ni en termes de trafic, mais il n’est pas contrôlé par les Britanniques. Cette
mesure sans dispositif associé est donc courante, voire majoritaire, le long des côtes du monde
entier.
De quoi devons-nous parler en matière de surveillance ? Il s’agit évidemment de respecter les règles
de circulation dans le DST, en particulier, pour le flux principal, Nord/sud et Sud/nord, mais également
pour les navires traversiers. Il faut également organiser une surveillance, évidemment, de la
fréquentation de la zone de navigation côtière associée au DST. Le navire de commerce doit ainsi de
facto emprunter le DST et rester à plus de 5 nautiques des côtes entre le Cap Corse et Bastia. Les
navires à passagers à destination de Bastia doivent quant à eux rester à 3,5 nautiques au large.
Il faut respecter les règles de route dans le rail de navigation et l’accès ainsi que la fréquentation de la
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ZNC.
Quels sont les acteurs potentiels de la surveillance dans le canal de Corse ?
J’indiquerai tout de suite l’asymétrie complète entre le dispositif français et le dispositif italien. Côté
français, le dispositif associe deux sémaphores de la Marine nationale, celui de Sagro – éminemment
stratégique – et celui du Cap Corse. Le Cross Lagarde est également associé au dispositif de
surveillance. Les deux institutions, DIRM et Marine nationale, sont donc placées sur un pied d’égalité.
Le décret de décembre 2011 sur la surveillance de la navigation maritime précise d’ailleurs bien que
chacun doit jouer un rôle en matière de surveillance des côtes et du trafic. Le Cross Lagarde a en
outre la particularité d’être un service d’assistance maritime. C'est-à-dire que, lorsqu’un navire est en
avarie, il joue un rôle d’interface entre le capitaine et l’autorité maritime et portuaire.
Nous savons par ailleurs d’expérience que, sur l’île de Capraia, le dispositif de surveillance italien
n’est guère développé. Il faudra donc mener des discussions à ce propos avec les Italiens, pour
identifier les partenaires possibles de la partie française. Nous connaissons la position italienne. C’est
mon alter ego italien qui m’a contacté pour organiser la réunion du 19 octobre à Toulon. Les Italiens
nous prennent en effet au mot après la création de ce DST et sont à présent dans l’attente de
mesures concrètes. Notre premier objectif sera donc d’obtenir cette collaboration bilatérale et, si
possible, symétrique avec la partie italienne. Or l’expérience des bouches de Bonifacio montre que, si
notre coopération avec l’Italie est satisfaisante, elle peut parfois s’avérer difficile entre Maddalena et
Pertusato. Un accord d’alternance a été passé entre ces deux stations côtières, qui n’est toutefois pas
respecté dans les faits.
Nous avons longuement évoqué ce matin l’enjeu technologique de la surveillance du canal de Corse.
J’ai déjà indiqué que nous avions bien pour objectif de mettre en place un système intégré et partagé
entre l’Italie et la France. Au regard des enjeux attachés à cette organisation et à cette réglementation
de trafic maritime, en cette période d’attrition des moyens, il est difficile de concevoir une équipe
présente en permanence pour un service de circulation, comme on le conçoit dans un Cross de la
Manche. Nous devrons donc faire preuve d’intelligence et exploiter les nouvelles technologies, de
manière à offrir le système le plus automatisé possible. Il sera nécessaire de partager les senseurs, et
en particulier l’AIS. L’objectif serait ainsi de mettre en place une plateforme d’exploitation partagée,
avec des systèmes programmables qui permettent, de manière automatisée, de signaler la présence
d’un navire dans la zone de navigation côtière. Pour ce faire, nous devrons concevoir un système
nouveau. Le système français ne permet pas aujourd’hui de mettre en place une détection
automatique des navires qui naviguent là où ils ne devraient pas, notamment parce qu’il nous manque
une base de données. Dans Spationav, nous n’avons pas encore interfacé de base des données
permettant d’associer des caractéristiques à un navire. Nous allons donc dans un premier temps
adresser identifier cette difficulté.
En outre, quelle plateforme allons-nous mettre en place ? Aujourd’hui, l’Italie n’est pas un opérateur
comme les autres. Dans le cadre d’un programme régional, couvrant la Méditerranée, le programme
MARES, l’Italie est l’opérateur de Safeseanet en Méditerranée. Il s’agit du réseau de l’UE de système
et d’échange d’information sur le trafic maritime le long des côtes des états-membres. Nous allons
donc étudier cette piste de travail, pour interfacer notre système interministériel français, Spationav,
avec les données italiennes.
L’autre axe de discussion pourrait être la mise en place d’une plateforme dédiée. Nous sommes en
effet sans doute capables de drainer des fonds européens. La démarche DST est surtout motivée par
des considérations de sécurité maritime, mais aussi de planification des espaces, d’organisation des
usages et de protection de l’environnement. Nous pouvons donc imaginer qu’au titre de la politique
maritime intégrée et selon un concept communautaire d’espace commun d’échange d’informations,
nous puissions promouvoir un réseau dédié, qui permettrait également de mettre en place le package
corse. D’après notre retour d’expérience sur les bouches de Bonifacio, nous pouvons encore
progresser. Nous pourrions donc imaginer une discussion globale avec l’Italie, pour traiter
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uniformément les voies recommandées, le dispositif mis en place dans les bouches de Bonifacio et le
DST canal de Corse.
Le Fonds européen des Affaires maritimes et de la pêche comporte une mesure nationale, que la
France a su négocier de manière à intégrer des mesures de PMI et de CISE . Ce fonds national
s’élève à 7 millions d’euros à partager sur six ans, selon une logique de remboursement. Il pourrait
nous permettre de mettre en place un projet emblématique, qui suppose certes d’avancer le premier
euro. Les questions de portage de projet devront donc également être discutées avec les Italiens.
Outre le FEAMP national, l’Italie a su se faire désigner maîtresse d’ouvrage d’un CISE régional, qui
est directement financé par l’UE. Un appel à projets CISE a également été lancé en 2015, que l’Italie
a obtenu, pour d’évidentes raisons de contexte migratoire. Nous pourrions donc peut-être nous
appuyer sur cette démarche CISE, à vocation certes plus régionale.
Je mesure bien le défi que ce projet représente, y compris dans le contexte uniquement français.
Nous prendrons donc le soin de bien préparer cette réunion du 19 octobre avec la partie italienne. Je
mesure également le défi technique et financier que nous nous emploierons à relever avec cette
mesure de surveillance.
Je vous remercie.
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Débat
Jean-Louis FILLON
J’aurais souhaité vous poser une question, pour compléter votre intervention. Vous venez d’ouvrir des
perspectives à moyen et long terme. Or le DST entrera en vigueur très rapidement, dès le
1er décembre. Dès lors, comment allons-nous procéder dans l’immédiat ? Côté italien, les ressources
humaines sont particulièrement limitées, alors qu’en France, nous ne disposons que de deux
sémaphores. La charge effective de surveillance, même si l’appareil réglementaire est très
minimaliste, reposera-t-elle sur les épaules des guetteurs du sémaphore de Sagro ?
Vincent DENAMUR
Nous avons besoin de discuter de ce sujet avec la Préfecture maritime, afin d’identifier le quotidien de
l’ensemble du Cross Méd et celui de Sagro. Nous devrons définir la surcharge de travail que
représentera l’entrée en vigueur du DST. Il s’agit là de l’un des défis du dispositif. Dans la mesure où
les sémaphores sont déjà soumis à des principes d’interrogation des navires, en quoi la surveillance
du positionnement sur Spationav, qui peut très vite intégrer les caractéristiques du DST en fond de
carte, poserait-elle d’insurmontables difficultés ? Nous devrons effectivement envisager un montage
« manuel » pour les premiers mois d’entrée en service du DST. Le Cross ne sera pas absent de cette
problématique quoi qu’il en soit.
Jean-Louis FILLON
Je propose que nous poursuivions ce débat relatif au canal de Corse, avant l’intervention de Michel
Babkine, qui ouvrira les horizons sur la haute-mer, en répondant à deux questions.
Maddy CANCEMI
Je voudrais faire une observation, que Monsieur Piquemal a d’ailleurs effectuée ce matin au sujet des
programmes de financement. Le PO programme opérationnel maritime entre la France et l’Italie
contient une mesure relative à la sécurité, parce que nous souhaitions que des fonds spécifiques
soient dévolus aux bouches de Bonifacio et au Cap Corse. Par le passé, les sémaphores ont été
équipés grâce à ces projets. J’ignore si les services de l’Etat peuvent bénéficier de ces fonds, mais
cette question doit être posée. Si ce n’est pas le cas, la région pourrait s’associer aux services de
l’Etat pour utiliser ces fonds, spécialement dédiés aux questions de sécurité.
Alexandre ELY
Un élément me paraît un peu flou. Le dispositif est donc censé entrer en vigueur au 1er décembre et il
est autoporteur, puisqu’il est validé au niveau international et qu’il a fait l’objet d’une consultation
communautaire. Il a donc à présent une valeur réglementaire opposable aux navigants.
Comme l’expliquait Monsieur Denamur, ce DST ne contient pas d’obligation de CRO ni de dispositif
de surveillance du trafic maritime. Il est donc simple et autoporteur, avec l’opportunité de disposer de
deux sémaphores à proximité, qui peuvent également apporter des informations. Nous disposons
aussi de l’outil Saptionav. L’état côtier devra s’assurer que les navires empruntent bien les voies
adaptées, y compris la voie de navigation côtière. Un délai de prévenance pour les situations
anormales telles que les avaries devra également être prévu, pour que l’état côtier puisse jouer son
rôle.
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Dès lors, que faut-il développer de manière complémentaire, si ce n’est une bonne compréhension
administrative et interministérielle entre le Préfet maritime, ses services et la DAM ? Le CISE peut
constituer une piste intéressante, mais son architecture me semble plutôt complexe par rapport à
l’enjeu que je pense avoir résumé. Peut-être toutefois ai-je commis une erreur de compréhension.
Eric LEFEBVRE
Il y a plusieurs sujets.
La gestion de la zone de navigation côtière sera un sujet franco-français et sera l’objet principal de
l’arrêté préfectoral en cours d’écriture. Plusieurs incertitudes ne pourront cependant être levées que
lorsque le dispositif fonctionnera, s’agissant par exemple des besoins de police et de la charge de
travail que le projet engendrera pour le Cross et les sémaphores.
Ensuite, il est essentiel de travailler avec les Italiens pour mettre en place la police du dispositif, pour
les voies montantes et descendantes. En effet, la voie montante se situe dans les eaux territoriales
italiennes. Les Italiens sont très soucieux des questions de souveraineté, y compris en mer et il n’est
pas question pour la partie française de mener des opérations de police côté italien. C’est en cela que
nous devrons mettre en place une coordination qui ira au-delà de la prévention des collisions et du
traitement des situations d’urgence.
Vincent DENAMUR
La plateforme que j’évoquais au sujet du volet technique ne correspond pas à un gadget. Il sera
complexe de faire évoluer Spationav, outil sous maîtrise d’ouvrage de la Défense nationale, en
l’interfaçant avec un dispositif civil, de surcroît étranger. Nous souhaiterions créer cette plateforme
dédiée au package corse en dérivant une plateforme italienne, qui serait mise en commun entre le
Cross et les sémaphores, surtout si nous pouvons bénéficier d’un financement communautaire.
Jean-Louis FILLON
Pour le projet de DST du canal de Corse, quel avantage pouvons-nous retirer de la coopération
franco-italienne dans les bouches de Bonifacio ?
Eric LEFEBVRE
Pour prendre un exemple récent, à l’été 2015, la surveillance a été interrompue pendant deux mois
côté italien, pour des raisons techniques. C’est donc le sémaphore de Pertusato qui a assuré cette
surveillance pendant ces deux mois. Le retour d’expérience est donc plutôt mitigé sur ce dossier.
Nous sommes d’autant plus inquiets pour ce DST du canal de Corse qu’il impacte moins les Italiens
que la ZMPV des bouches de Bonifacio. Dans cette zone, lorsqu’un navire rate son point tournant,
quelle que soit sa direction, il termine sa course côté italien. Dans le canal de Corse, le flux de trafic
est orienté selon une direction Nord/sud et le dispositif permettra d’écarter les deux flux. Nous
craignons que les Italiens ne soient pas très proactifs pour mettre en place des mesures de
surveillance.
Nous souhaitons que, lorsque le dispositif sera mis en œuvre le 1er décembre 2015, ses
conséquences soient bien précisées aux Corses. La surveillance ne sera ainsi pas nécessairement
renforcée dans un premier temps. Le projet prévoit une indéniable amélioration de la sécurité, ainsi
qu’une régulation du trafic. Les navires, notamment les ferries, seront éloignés de la côte du Cap
Corse, mais le DST ne sera pas entouré de mesures de surveillance particulièrement draconiennes
qui devraient être mises en œuvre immédiatement.
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Vincent DENAMUR
Lors de notre réunion avec les garde-côtes italiens du 19 octobre, un point de l’ordre du jour portera
sur le balisage. Le DST sera en effet balisé. Il ne s’agit pas toutefois en 2016 de créer par là des
obstacles à la navigation, mais, lors de cette réunion, nous proposerons aux Italiens de mettre en
place deux balises AIE virtuelles, pendant une durée de deux ans, pour matérialiser le DST sur les
cartographies électroniques des navires. L’information nautique circulera également dès la mise à jour
du document ship routing.
Maddy CANCEMI
Les Italiens sont absents de ce séminaire et j’aurais donc souhaité les défendre un peu. Il faut en effet
également dire que ce sont souvent eux qui arrivent les premiers sur les incidents, du fait de leur
proximité. Ainsi, lors du naufrage du Fénès, les Italiens étaient déjà sur place lorsque les Français
sont arrivés, deux jours plus tard. Les Italiens sont en effet très attentifs à ces dispositifs.
Jean-Louis FILLON
Merci pour ce rappel géographique, qui était peut-être nécessaire.
Patrick RONDEAU
Quelle publicité sera effectuée concernant ce DST ? Comment cette information sera-t-elle dispensée
à l’ensemble des armements et des marins ?
En outre, puisque nous avons la chance de compter parmi nous un brillant professeur de droit
maritime, quel est le statut juridique exact de ce DST ? Ce dispositif est-il du niveau d’un traité
international ?
Enfin, je tenais à dire que, lorsque je naviguais, les sémaphores de la Marine nationale, armés par
des marins sous les ordres du Préfet maritime, disposaient de capacités directives, voire de routage.
Ces capacités sont-elles toujours d’actualité ? Comptez-vous vous en servir ?
Vincent DENAMUR
Je vais répondre à votre première question. Nous allons mettre à jour le document obligatoire à bord
des navires avant la fin de l’année. Par ailleurs, la circulaire OMI actant la création du DST comporte
la mention de la carte française et de la carte italienne, qui sont les références sources du
positionnement et de la configuration du DST. Cette référence de cartographie sera communiquée
aux établissements de cartographie des états côtiers du monde entier, afin que ces derniers mettent à
jour leurs propres portefeuilles. Ensuite, des mesures d’informations locales et automatisées seront
prises.
Eric LEFEBVRE
Pour répondre à votre deuxième question, je vous rassure, la qualité des personnels des sémaphores
s’est plutôt améliorée au fil du temps. En revanche, sur le routage, la navigation maritime doit être
distinguée de la circulation aérienne, comme vous l’avez d’ailleurs parfaitement rappelé ce matin. Les
sémaphores et les Cross ne disposent donc d’aucun pouvoir contraignant concernant les routes à
emprunter pour les navires. Toutefois, ils doivent informer les navires des risques qu’ils sont en train
de prendre ou de faire courir. En Méditerranée, hormis le canal de Corse et les bouches de Bonifacio,
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les routes de navigation sont telles que ces pratiques ne sont guère mises en œuvre par les
sémaphores ni par le Cross. J’ai été Directeur du Cross Méditerranée pendant quatre ans, avant
Antoine Ferri, et je suis donc bien placé pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un Cross de navigation.
Néanmoins, au vu de l’expérience des bouches de Bonifacio, un véritable travail de STM ? est
effectué par les sémaphores. Dans le cas du canal de Corse, il ne faudra pas attendre le sémaphore
de Sagro pour distiller des informations aux navires. Les sémaphores situés plus au sud pourront
ainsi sans doute, dès l’arrivée des navires, donner une information sur la mise en œuvre du DST. Ces
procédures seront en effet bénéfiques pour tous.
Jean-Louis FILLON
Merci, Eric, pour ces précisions.
Je vous propose à présent d’élargir davantage notre champ de vision. S’il n’y a pas de DST en hautemer, la sécurité maritime y est toutefois assurée.
Michel Babkine, chef de l’organisme Secmar au Secrétariat général de la Mer, va nous en parler.
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La sécurité maritime en haute-mer
Michel BABKINE
Secrétariat général de la Mer
Merci, Monsieur le Commissaire général. Bonjour à toutes et à tous.
Permettez-moi d’abord de présenter les excuses de l’Amiral Augier, Secrétaire général adjoint de la
Mer, qui devait faire cette présentation.
La haute-mer n’a jamais été une zone de non-droit. L’Etat côtier y exerce des prérogatives et a des
obligations de rendre un certain nombre de services, indépendamment du zonage. Lorsque l’on
évoque la haute-mer, on pense aux espaces situés au-delà de la mer territoriale, au-delà de la zone
économique exclusive et qui peuvent aller assez loin en mer.
J’aborderai la sécurité maritime dans un sens très large, en commençant par la sécurité maritime au
profit des marins. En tant que chef de l’organisme Secmar en charge de la coordination
interministérielle du sauvetage en mer, je vous dirai quelques mots brefs sur le sauvetage maritime.
Un état côtier est d’abord responsable, dans une zone déclarée auprès de l’organisation maritime
internationale, d’un service de sauvetage maritime dans le cadre duquel il veille aux alertes et
coordonne les secours. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en Métropole et en Outremer, dans des
zones parfois très éloignées au large, notamment dans des zones répondant au concept de l’OMI de
« zones particulièrement éloignées » des régions où se trouvent basées des services de sauvetage,
parfois à plusieurs milliers de milles. Nous sommes donc là véritablement en haute-mer.
Actuellement, le sauvetage maritime concerne tout d’abord le sauvetage des personnes isolées. Il
s’agit d’un sujet que nous traitons régulièrement, mais le sauvetage touche également à une
problématique exceptionnelle, qui peut s’avérer très lourde. Il s’agit du sauvetage maritime de grande
ampleur, service conçu pour répondre à une catastrophe maritime dans laquelle un nombre élevé de
vies humaines peut être engagé. C’est le cas lorsque des navires à passagers sont sinistrés. Ce
segment de responsabilité des états côtiers est particulièrement sensible et constitue une réponse au
gigantisme des navires, notamment sous l’influence de l’évolution du marché de la croisière et de la
multiplication du nombre de très grands paquebots et de ferries, qui peuvent transporter plusieurs
milliers de passagers. Alors, l’état côtier est astreint à fournir une réponse, qui s’apparente de sécurité
civile, même en haute-mer.
Pour répondre à ces situations de crise majeure, nous déployons une coopération interministérielle
nationale, ainsi que des coopérations bilatérales transfrontalières, avec les états avec lesquels nous
avons passé des accords de coopération, comme l’Espagne et l’Italie. Nous appliquons ces accords
depuis des années avec les Britanniques, les Espagnols et les Italiens.
Nous essayons également de développer un appel au mécanisme européen de protection civile. Il
s’agit d’un dispositif nouveau en matière maritime, qui a fait ses preuves lors de catastrophes
terrestres. Au titre de leur solidarité, les états-membres de l’UE interviennent pour assister un état
confronté à une catastrophe. Ce système est nouveau dans le monde maritime, où nous essayons de
l’expérimenter. Nous essaierons également de le faire vivre, pour voir comment les dispositifs
applicables au titre de la Convention de Hambourg peuvent être relayés efficacement au sein de l’UE,
selon la solidarité entre les gens de mer.
J’ai bien conscience que l’organisation du sauvetage maritime à la façon de la Convention de
Hambourg ne correspond pas à une compétence de l’UE, mais les secours terrestres relèvent bien
quant à eux des compétences de l’Union. Par ce biais, nous espérons pouvoir fédérer une réponse
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opérationnelle suffisante face à une éventuelle catastrophe maritime.
En matière de surveillance du trafic maritime, nous intervenons dans un champ relativement bien
connu, que nous savons organiser en zone côtière et qui aurait peut-être vocation à s’appliquer en
haute-mer. Sous l’effet des contraintes d’organisation d’escales, les routes maritimes s’organisent très
en amont et peuvent ainsi s’organiser en haute-mer, à l’instar de la navigation aérienne. Les outils de
l’état côtier pour assurer la surveillance maritime n’ont cependant pas encore grand-chose à voir avec
ceux du contrôle aérien.
Néanmoins, au début des années 1980, le monde de la surveillance maritime était relativement
aveugle et la circulation maritime, relativement opaque. Nous ne disposions en effet de guère d’outils
pour percevoir la sécurité maritime. Nous nous appuyions sur une vague surveillance radar côtière
discontinue et ne disposions pas de dispositif d’identification des navires. A cette époque, l’OMI
n’avait pas instauré les CRO ni les obligations d’identification aux stations côtières. C’est d’ailleurs au
début des années 1990 qu’a été mis en place le premier CRO mondial, à Ouessant.
Nous avons ensuite progressivement institué un dispositif de suivi, en mettant en réseau les systèmes
de surveillance côtiers, pour assurer un suivi continu d’Ouessant au Pas-de-Calais, mais nous
demeurions même alors très loin du contrôle de la navigation aérienne.
Des outils juridiques nous permettent en outre d’imposer des systèmes d’organisation du trafic en
zone côtière depuis une vingtaine d’années, comme c’est le cas à Bonifacio et dans le canal de
Corse.
Nous disposons d’autres moyens d’agir sur la haute-mer, avec la possibilité d’imposer à un navire en
difficulté de gagner un lieu de refuge. Un navire subissant un accident doit le déclarer à un centre
d’assistance maritime. Nous avons alors la capacité de le contraindre à gagner un lieu de refuge et
d’imposer à une collectivité de recevoir un navire en difficulté, par solidarité européenne.
Nous avons donc réussi à imposer l’autorité décisionnelle du Préfet maritime. Comme le Préfet
maritime de l’Atlantique l’a éprouvé cet hiver avec le Modern Express, l’élément financier
accompagnant une prise de décision contraignante continue de manquer. L’accompagnement
financier n’existe pas pour le moment. La Commission s’est proposée pour mener une étude au sujet
de cet accompagnement financier. Le SG Mer a participé à cette étude, mais nous souhaitions
proposer un fonds communautaire. En effet, un système d’accueil de navires en difficulté dans un lieu
de refuge correspond à un système de solidarité communautaire. Un état accepte ainsi de prendre en
charge une calamité pour l’intérêt général. En retour, l’UE pourrait être soumise à une obligation de
financement, pour compenser les préjudices économiques subis par une collectivité acceptant de
prendre en charge cette catastrophe. Il m’a été répondu que le dispositif de lieu de refuge était
rarement employé et qu’il n’était pas question en retour de créer des contraintes économiques
permanentes. Or la création d’une redevance portuaire supplémentaire pour faire face à une situation
exceptionnelle ne correspond pas à une mesure économique de bon sens. Nous avons donc préféré
nous limiter au principe général de la responsabilité civile, pour écrire que ce sont finalement les
armateurs qui sont responsables de leurs navires et donc des préjudices que ces derniers pourraient
causer. Au-delà, c’est l’Etat ? qui enjoint l’autorité portuaire concernée d’accueillir un navire.
Voilà, à mon sens, ce qui amoindrit l’efficacité du dispositif d’accueil des navires en difficulté, qui est
particulièrement contraignant.
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Débat
Jean-Louis FILLON
Merci beaucoup, Michel. J’ai beaucoup apprécié votre intervention sur la haute-mer, parce qu’elle
nous rappelle à tous que la mer n’est pas compartimentée. Les espaces maritimes sont régis par des
réglementations différentes, mais la mer et le courant marin sont uniques. Une catastrophe qui
survient en haute-mer peut ainsi avoir des conséquences sur la côte. Il convient donc de bien garder
en tête cette idée de l’unité du monde maritime et de son caractère international.
Avant d’en venir aux conclusions, souhaitez-vous poser quelques questions ?
François GueRBER
Sans empiéter sur les conclusions, je tenais à féliciter tous les intervenants qui se sont succédé au
cours de ce séminaire. Nous avons en effet beaucoup appris sur le plan technique, comme sur le plan
juridique. J’ai cependant ressenti un manque au sujet des aspects économiques, relativement à des
éléments de coûts, d’investissements, de coûts de fonctionnement, de bénéfices et de dommages
évités.
Dans les négociations internationales dont nous avons parlé ce matin, voire dans les négociations au
sein des états, ne disposons-nous cependant pas d’informations intéressantes au sujet de ces coûts ?
Cette réponse pourrait faire écho à la remarque effectuée ce matin au sujet des objectifs
environnementaux différents, qui peuvent se heurter. Nous avons cité le cas de l’allongement du
trajet, qui augmente l’émission des gaz à effet de serre. Quels sont les ordres de grandeur en matière
de coûts ? C’est en effet souvent par la question du coût que l’on parvient à aboutir à un compromis.
Une journée de débat pourrait sans doute spécifiquement porter sur ces sujets, mais Monsieur Kbaier
ayant évoqué la possibilité d’actes faisant suite à cette journée, quelques sources bibliographiques
sur ces questions seraient bienvenues.
Jean-Louis FILLON
Merci, Monsieur. Nous prenons note de ce besoin.
Alain PIQUEMAL
J’ai beaucoup apprécié votre intervention relative à la sécurité en haute-mer. On pourrait y ajouter
plusieurs éléments strictement juridiques. Vous l’avez souligné, en haute-mer, les droits et obligations
des états existent et sont codifiées dans la Convention de Montego Bay.
Puisque l’on a travaillé aujourd’hui largement sur les conventions OMI, il convient de rappeler que,
suite à l’accident du Torrey Canyon, lorsque l’aviation britannique a dû détruire ce navire situé à
l’époque en haute-mer, l’OMI a pris une convention relative à l’intervention de l’état côtier en hautemer. Il s’agissait là d’une grande brèche dans ce sacro-saint principe de liberté de navigation, puisque
cela a donné à l’état côtier le droit d’intervenir en haute-mer en cas d’accident de pollution, ainsi qu’en
cas de menace d’accident de pollution. Les états côtiers disposent donc de pouvoirs en haute-mer
également, hormis les dispositions codifiées par la Convention, comme les principes relatifs à
l’intervention en haute-mer sur tout navire pratiquant l’esclavage ou la piraterie.
La piraterie est d’ailleurs redevenue d’actualité et ne se cantonne plus aux albums d’Astérix. Il s’agit
d’un fléau que nous retrouvons dans de nombreuses régions du monde. Tout état peut intervenir sur
un navire qui pratique des actes de piraterie.
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Je citerai enfin une disposition de la Convention des Nations-unies sur le droit de la mer, qui, dans
son article 111, évoque le droit de poursuite en haute-mer en cas d’infraction commise par un navire
étranger dans les eaux intérieures.
Plusieurs moyens d’actions permettent donc d’appréhender cette sécurité en haute-mer, qui sont
d’ailleurs conformes à l’article 87 alinéa 2 de la Convention de Montego Bay. Cet article indique
clairement que chaque état exerce ses libertés en tenant dûment compte de l’intérêt que présente
l’exercice de la liberté de la haute-mer pour les autres états. Précisément, la liberté n’est pas la
licence. Cette distinction se retrouve ainsi aussi bien dans notre droit administratif qu’en droit
international.
Jean-Louis FILLON
Merci beaucoup, Monsieur le Professeur, de ce rappel des principales dispositions sur la haute-mer,
qui montre que les états côtiers ne sont pas désarmés devant des événements pouvant se produire
en haute-mer. Le statut de la haute-mer est d’ailleurs actuellement étudié par les Nations-unies et il
sera susceptible d’évoluer sous deux ans, avec l’ouverture d’une conférence diplomatique qui pourrait
adopter un accord particulier relatif à la biodiversité et à l’exploitation des ressources génétiques
marines en haute-mer.
Je vais maintenant passer la parole à Madame Esquivié et à Monsieur Kbaier, pour les conclusions
qu’ils ont eu le talent de rédiger à la pointe de leurs plumes.
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Conclusions
Marie-Henriette ESQUIVIE
Chargée de mission auprès de l’Inspecteur général des Affaires maritimes
Je vous remercie.
D’abord, je voudrais saluer toutes les présentations qui nous ont été faites. Chacun a pu mesurer le
corpus textuel dont nous disposons, ainsi que toutes les performances techniques actuelles et à venir
dans ce secteur maritime.
Sur le DST du canal de Corse, Rouchdy Kbaier m’a rappelé que l’Inspection générale des Affaires
maritimes avait été sollicitée pour avis il y a déjà quelques mois. Il faut saluer la performance de tous
ceux qui ont participé à ce travail, pour parvenir à ce dispositif de séparation de trafic dans le canal de
Corse. En effet, en très peu de temps, vous y êtes parvenus.
En matière d’évolution technologique et textuelle de la sécurité maritime, les processus mis en œuvre
étaient toujours curatifs. Le naufrage du Costa Concordia fait figure d’élément déclencheur d’un
changement de paradigme à ce titre, mais je retiendrai les propos de Jean-Luc le Liboux, qui a dit que
nous nous acheminions vers une approche préventive.
La sécurité maritime est un outil de protection de l’environnement, de même que cette dernière
favorise la sécurité maritime. Vous constatez donc que les frontières s’amenuisent, pour atteindre un
confluent.
Je retiendrai aussi l’importance de ne pas faire peser de contraintes supplémentaires sur les navires
et les marins. L’acceptabilité de la mesure a donc été prise en compte, pour parvenir à une protection
commune de l’environnement et une sécurité maritime commune.
Un énorme travail réglementaire doit à présent être poursuivi de concert, par nos différentes
composantes françaises et nos amis italiens.
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Rouchdy KBAIER
Inspecteur général de l’administration du développement durable, CGEDD, coordinateur de la mission
« canal de Corse »
Merci.
Je vous remercie tous pour vous être déplacés et pour avoir consacré toute la journée à ce séminaire.
Je dirai d’abord qu’un dossier sans volonté politique et non relayé techniquement ne peut pas aboutir.
Il s’agit là d’une des principales conclusions de cette journée.
Vous vous êtes tous exprimés aujourd’hui clairement et sans tabous. Un travail de qualité commence
d’ailleurs par se dire la vérité, sans sous-estimer ni surestimer une situation. Si nous nous étions
contentés de nos impressions de départ, nous n’aurions pas atteint notre objectif.
Il nous faut à présent transformer l’essai, en élaborant et en publiant les arrêtés du Préfet maritime.
Le rôle de ce dernier est en effet très important pour régir les rapports dans cette zone de navigation
côtière. Le Préfet a déjà pris des arrêtés par le passé et a déjà éloigné des navires dangereux au-delà
des 5 milles nautiques.
La qualité des intervenants techniques et juridiques d’aujourd’hui a clarifié la situation sur les rôles de
chacun et a mis en lumière l’importance de la préparation technique du dossier, notamment par le
CEREMA. Ce dernier n’a d’ailleurs pas été tendre lors de cette phase de préparation concernant
l’option qui avait été retenue au départ.
Pour revenir sur les questions de données posées par le CGEDD, avec l’autorisation d’Armateurs de
France, nous vous communiquerons des informations sur le coût financier et économique des
différents scenarii.
Il importe de rester très modeste sur ces sujets, notamment sur la définition du « détroit ». Plusieurs
interprétations peuvent se heurter à ce propos et les démonstrations d’Alain Piquemal et de Nicolas
Maire nous prouvent qu’il faut envisager ce point au cas par cas.
Au-delà de la concertation nécessaire de tous les acteurs, publics et privés, notre collaboration avec
les élus corses s’est révélée tout à fait essentielle l’acceptation sociale de la mesure est aussi
importante que la mesure elle-même.
Des actes seront édités suite à cette journée. Nous vous enverrons ainsi les présentations
PowerPoint des différents intervenants, ainsi que des contributions plus académiques, avec
davantage de détails.
Merci à tous et bon retour. Nous serons amenés à nous revoir sur des sujets similaires.
Document rédigé par la société Ubiqus
Tél : 01.44.14.15.16
http://www.ubiqus.fr – [email protected]
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Index
Nous vous signalons que nous n’avons pu vérifier l’orthographe du terme suivant :
NOCS ......................................................................................................................................35
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