Club Med - ISM Corum
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Lutte contre l’ignorance et les discriminations EQUAL au travail et dans l’entreprise EMPLOIS SAISONNIERS DU TOURISME État de la question des discriminations Une action initiée par : R H O N E - A L P E S En partenariatavec : Mai 2005 Financée par : Expertise et logistique : ISM-CORUM 32 cours Lafayette 69003 Lyon Contact : Annie MAGUER Tél. : 04 72 84 78 90 [email protected] ISM-CORUM RECRUTEMENT ET MOBILITE : ANALYSE POUR UNE PREVENTION DES DISCRIMINATIONS DANS L’ACCES AU TRAVAIL ET L’EVOLUTION PROFESSIONNELLE TOURISME EN MONTAGNE - EXEMPLE DU CLUB MED - Jacques BAROU Co-direction Annie MAGUER Avec la participation pour les enquêtes Sid Ali ZAIR, Antoine DEZALAY, Claude CHAFFRAN, Foued NASRI Septembre 2004 SOMMAIRE I - Introduction _________________________________________________________ 4 II - Méthodologie _______________________________________________________ 5 2.1 Déroulement de l’enquête __________________________________________________ 5 2.2 Caractéristiques de l’échantillon des personnes rencontrées _____________________ 6 Siège ______________________________________________________________________ 7 a) Pour le personnel du siège_______________________________________________________ 8 b) Dans les villages ____________________________________________________________ 9 III - Recrutement et affectation ___________________________________________ 11 3.1. Promotion d’une image et d’une éthique ____________________________________ 11 3.2 Constitution d’un « vivier » de candidats ____________________________________ 12 c) Recrutement de masse et critères de sélection ______________________________________ 13 d) Une logique fondée sur les métiers _____________________________________________ 15 3.3 Pratiques d’affectation ___________________________________________________ 16 e) Prise en compte de multiples paramètres __________________________________________ 16 f) Du « prêt à porter » au « sur-mesure » ____________________________________________ 17 IV – Typologie des emplois et profil des personnes ___________________________ 20 4.1 Les carrières au Club ____________________________________________________ 20 g) Les « permanents » _________________________________________________________ 20 h) Les « saisonniers » _________________________________________________________ 21 4.2 Diversité de profils et de stratégies__________________________________________ 22 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 2 V - Conditions de vie et conditions de travail ________________________________ 25 5.1 Rapport au travail _______________________________________________________ 25 i) Les « spectateurs » ___________________________________________________________ 25 j) Les « distanciés »ou les « prudents » _____________________________________________ 26 k) Les impliqués _____________________________________________________________ 28 5.2 Spécificités du travail saisonnier ___________________________________________ 30 5.3 Evaluation et suivi des compétences_________________________________________ 31 5.4 Différenciation G.O./G.E _________________________________________________ 34 l) m) Une différenciation accentuée par la catégorie du village______________________________ 34 une différenciation avant tout symbolique _______________________________________ 35 5.5 La Club Med attitude : entre mythe et mystification ? _________________________ 36 VI - effets induits de l’organisation et des pratiques sur l’accès aux métiers _______ 38 6.1. Une absence de discrimination directe proclamée_____________________________ 39 6.2 Des risques de discriminations directes ______________________________________ 41 6.3 Regard sur les catégories concernées ________________________________________ 43 n) Les femmes _______________________________________________________________ 43 o) Les étrangers ______________________________________________________________ 45 p) Les personnes issues de l’immigration non européenne ou supposés tels________________ 46 6.4 Du droit du travail aux « us et coutumes » ___________________________________ 48 q) Le respect du droit du travail__________________________________________________ 48 r) La hiérarchisation des produits et des statuts _______________________________________ 49 6.5 Des effets du cosmopolitisme ______________________________________________ 54 s) Bénéfice personnel et professionnel pour les salariés _________________________________ 54 t) Recrutement local en question __________________________________________________ 55 u) Tendance à une gestion ethnicisée des salariés ____________________________________ 56 VII - Conclusion ______________________________________________________ 57 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 3 I - INTRODUCTION Cette enquête, réalisée à partir d’une collaboration étroite avec la Direction des ressources humaines du Club Méditerranée pour la zone alpine s’inscrit dans le cadre du programme d’intérêt communautaire européen Equal de lutte contre les discriminations raciales et sexuelles dans le monde du travail 1 . Elle fait suite à une première investigation réalisée en 2003 sur les travailleurs saisonniers dans les stations de ski de la région Rhône-Alpes. Cette investigation avait mis en lumière un certain nombre de faits qui nous ont amenés à souhaiter approfondir la question traitée dans un cadre plus précisément défini : celui d’une grande entreprise de loisirs hivernaux confrontée aux mêmes problèmes que les divers acteurs économiques des stations, c’est-à-dire le recrutement des travailleurs saisonniers, leur fidélisation et leur formation. Le Club Méditerranée est le plus grand hôtelier des Alpes françaises avec neuf villages importants. Il a mis au point une politique de recrutement des saisonniers qui s’appuie sur un réseau national et international. Il a depuis ses origines une politique de formation et de promotion interne très développée. Il a également inscrit dans sa charte qu’il ne tolère pas les attitudes racistes tant de la part de son personnel que de la part de ses membres, c’est-à-dire de sa clientèle. Enfin, du fait de son implication au plan international on peut supposer qu’il est, plus que d’autres entreprises, sensible à la lutte contre les discriminations raciales. Il représente donc une entreprise que l’on peut interroger sur divers phénomènes que nous avions constatés à propos des travailleurs saisonniers dans les stations de sports d’hiver : la rareté des personnes d’origine non européenne, pourtant nombreuses dans les agglomérations de la région Rhône-Alpes, la sur-représentation du personnel étranger dans les métiers faiblement qualifiés, la faible représentation du personnel féminin dans certaines tâches et le turnover très élevé de la main d’œuvre saisonnière, signe d’un manque d’intérêt pour ce type d’activité et d’une absence d’espoir de promotion. En conséquence et par l’intermédiaire de la BEEFT, un des partenaires du projet, nous avons proposé à la direction des ressources humaines du Club Méditerranée de réaliser une enquête portant à la fois sur le recrutement des travailleurs saisonniers et le vécu du travail saisonnier 1 LUCIDITE est un programme Rhône-Alpin de lutte contre les discriminations en raison du sexe et de l’origine. Il est initié par des organisations syndicales de salariés (CFDT et CGT) d’artisans (UPA), des partenaires publics (FASILD, DDFE, ANPE) et privés (groupe CASINO, BEEFT, MRIE, ISM-CORUM tête de liste et expert. S’inscrit aussi dans cette démarche le groupe ADECCO. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 4 hivernal par les diverses catégories de personnel employées dans les villages. Cette proposition permet en comparant les contextes de travail de vérifier les éléments et processus qui préviennent le mieux les discriminations et ceux qui y concourent. L’image que le Club laisse de lui-même aux diverses catégories de son personnel après quelques saisons passées dans ses villages des Alpes contribue t’elle à favoriser la diversité des recrutements et sous quelles formes ? A une période où les évolutions dans le secteur du tourisme, que ce soit au niveau de la clientèle ou au niveau des opérateurs, amènent le Club Méditerranée à s’interroger sur son identité, l’analyse des propos tenus par les personnes rencontrées au cours de cette enquête peut sans doute apporter un éclairage utile. Parallélement on constate que l’on retrouve parfois, pour ce qui est de l’emploi et de la gestion de carrière de certaines catégories de population, les mêmes difficultés au Club Méditerranée -entreprise de dimension internationale dotée d’une éthique par rapport aux questions de discrimination- que celles que rencontrent les entreprises locales qui n’ont ni la même envergure ni la même éthique. Cela peut permettre de mieux identifier la nature des freins au recrutement et à la promotion professionnelle de ces catégories. II - METHODOLOGIE 2.1 Déroulement de l’enquête Ce travail ayant été mené auprès d’une population limitée n’a pas d’ambition d’exhaustivité. Celle-ci, en effet n’a pas de caractère forcément représentatif de l’ensemble des salariés du Club Méditerranée, sur un plan statistique tout au moins. Nous avons limité notre investigation à une enquête qualitative conduite à partir de guides d’entretiens semi-directifs et demandé à nos enquêteurs d’effectuer un certain nombre d’observations commentées au sujet des personnes rencontrées et du cadre dans lequel s’étaient déroulées ces enquêtes. La question centrale de cette étude étant celle des discriminations dans le recrutement et la gestion du personnel, il nous est apparu qu’il conviendrait de rencontrer d’abord au siège des personnes en charge de ce travail. Les entretiens réalisés auprès de ces personnes portaient sur le travail de recrutement, son organisation, son contenu, les critères intervenant dans le choix des candidats et dans les processus d’affectation sur les lieux de travail. Avec certains, nous avons aussi abordé le thème de la gestion des carrières, de l’évaluation du travail des candidats recrutés, de la formation et de la promotion. Dans une seconde étape nous avons réalisé deux enquêtes sur site auprès d’un échantillon de salariés représentant les diverses catégories de poste, allant du chef de village au personnel de ménage, incluant des personnes de nationalités étrangères, des Français d’origine non ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 5 européenne ; des saisonniers, des permanents ; des personnes dont c’était la première saison au Club, et d’autres avec plus d’ancienneté, voire parfois presque en fin de carrière. Ces enquêtes se sont déroulées dans deux villages situés en station de ski et présentant des caractéristiques susceptibles d’avoir des incidences différentes sur le vécu du personnel interrogé. Le premier village, celui de Tignes « Val Claret », correspond, dans la hiérarchie du Club à un « quatre tridents », offrant un degré de confort et une qualité de séjour particulièrement élevés. Il a une capacité d’accueil de 500 G.M, gentils membres. Il emploie entre 28 et 70 G.E et entre 73 et 83 2 G.O. Le second, celui des Deux Alpes, est un « deux tridents » et propose un niveau de confort et une qualité de séjour de niveau plus moyen. Il accueille de 600 à 650 G.M et emploie entre 27 et 60 G.E et entre 55 et 70 3 G.O. Il doit donc recevoir plus de monde avec moins de personnel. Deux équipes d’enquêteurs, composées de deux personnes, se sont rendues respectivement dans chacun des deux villages, en fin de saison. Nous avons interrogé les personnes qui ont été en capacité d’assurer une saison complète, mais qui pouvait ressentir une certaine fatigue, une inquiétude par rapport à la fin de la saison, la rupture de rythme et les incertitudes que cela comporte pour des salariés en CDD. Les entretiens devaient initialement se dérouler pendant le temps de travail du personnel. En fait la plupart se sont déroulés pendant le temps de pause des personnes rencontrées, afin d’éviter de perturber l’organisation du travail pendant la période où l’activité des villages était encore intense et la disponibilité du personnel très limitée. Cela n’a pas eu d’incidence semble-t-il, sur le déroulement des entretiens et n’a en rien nui à la qualité de la relation entre enquêtés et enquêteurs. Les entretiens ont eu lieu dans la salle à manger des villages. L’accueil a été bon, tant du côté de l’encadrement chargé d’organiser les entretiens que du côté des salariés eux-mêmes. 2.2 Caractéristiques de l’échantillon des personnes rencontrées Nos enquêteurs ont insisté sur la neutralité de notre enquête par rapport aux objectifs internes du Club et sur la garantie d’anonymat donnée aux personnes interrogées. Afin de respecter ces engagements qui sont méthodologiquement et déontologiquement incontournables, nous présenterons les citations extraites des entretiens en fonction des critères de la typologie de notre corpus correspondants à l’objet de l’enquête : 2 En fonction des sources d’information et en fonction des périodes au cours de la saison, entre haute et basse saison. 3 En fonction des sources d’information et en fonction des périodes au cours de la saison, entre haute et basse saison. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 6 Le statut : GO RH, personnes ayant une fonction dans le recrutement, l’affectation ou le management du personnel sur site, GO ayant des fonctions techniques, GE ayant des fonctions de services, Le sexe : Homme/Femme, L’origine : Nous prendrons en compte le critère de l’origine et non celui de la nationalité, car de nombreuses personnes sont de nationalité française et malgré tout peuvent subir des discriminations au motif de la couleur de leur peau, de leur origine maghrébine ou africaine, en particulier. Nous distinguerons, donc, les personnes originaires de l’Union Européenne ou de pays en dehors de l’Union européenne, prenant en compte, les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique, des Comores, des Antilles ou de Turquie, L’âge , en distinguant les personnes de plus ou de moins de 30 ans, L’ancienneté, lorsque celui-ci nous semble éclairer le sens d’une citation. Nous avions initialement prévu d’interroger vingt personnes dans chacun des deux villages, nous avons réalisé dix-neuf entretiens dans chacun des deux sites. Personnes rencontrées GO GE Total 6 0 6 Tignes Val Claret 10 9 19 Les 2 Alpes 10 9 19 Total 26 18 44 Siège Caractéristiques du corpus d’enquête en fonction des critères de statut, de sexe, d’origine et d’âge : Homme Statut Femme Origine UE Non UE Non UE GO RH 4 1 5 0 9 1 4 GO Tech 7 1 7 1 14 2 10 GE 3 10 2 3 5 13 Total 14 12 14 4 TOTAL Non UE - de 30 ans UE GO UE Origine UE Non UE + de 30 ans UE Non UE 5 1 1 4 1 3 6 2 7 17 7 11 9 26 18 28 16 24 20 60% 40% 64% 36% 55% 45% TOTAL RDV 44 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 7 Nous résumons ci-dessous les principales caractéristiques de nos échantillons : a) Pour le personnel du siège Statut et Fonction Six personnes ayant des fonctions dans la gestion des Ressources Humaines du Club Med ont été interrogées ; toutes ont le statut de GO : - Une responsable de l’accueil téléphonique, - Une responsable du recrutement itinérant dans le cadre du « tour de France » des villes, - Une responsable (CRH) de l’affectation et du recrutement des G.O du secteur petite enfance, - Un responsable du recrutement et de l’affectation des G.O du secteur sports, - Un coordonnateur des ressources humaines (C.R.H) s’occupant de l’affectation des employés, - Un responsable des ressources humaines (R.R.H) chargé de la gestion de carrière des employés. Age et ancienneté La moyenne d’âge de ces personnes est relativement jeune : 33,6 ans, les écarts allant de 28 à 46 ans. A une exception près, leur niveau de formation initiale est d’ordre supérieur et en rapport assez étroit avec l’emploi exercé aujourd’hui : diplômes d’institutrice d’école maternelle, de professeur d’éducation physique, de sciences économiques, de psychologie ou de gestion des ressources humaines. Tous ont commencé leur carrière au Club dans les villages. Ils ont une ancienneté moyenne au Club de 10,8 ans, les écarts allant de 4 ans à 18 ans. Ils sont depuis relativement peu de temps dans les postes qu’ils occupent actuellement, les écarts allant de quelques mois à cinq ans maximum. Leur demande à occuper de tels postes est liée à la volonté de faire un travail plus sédentaire et plus stable, volonté elle-même souvent liée à un projet familial : se marier ou assurer la scolarité de ses enfants dans un même lieu. Travailler au « siège » est en effet le principal moyen d’échapper à la mobilité récurrente et obligée qu’impose le travail en villages. C’est également un challenge, à chaque saison, de couvrir l’ensemble des besoins en personnel. Origine Pour ce qui est des origines, on compte une personne issue de l’immigration maghrébine, née en Belgique ayant une double nationalité. Les autres sont Français ou Belges mais ont vécu une partie de leur vie à l’étranger et ont un bon bagage linguistique. Une seule personne est originaire de la région Rhône-Alpes. Commentaires Les personnes interrogées disent apprécier leur activité actuelle qui présente souvent une certaine variété bien qu’elle soit plus sédentaire que celle qu’ils exerçaient auparavant. Pour les gens les plus diplômés, le fait de se retrouver au siège témoigne d’une certaine rapidité dans la progression de carrière. Par rapport à ceux qui se sont formés « sur le tas » ou qui ont des diplômes moins élevés, ils seront restés relativement peu de temps à travailler dans les villages. L’âge ne semble pas être un obstacle à l’accès aux responsabilités au Club, surtout pour les personnes qui sont diplômées dans des secteurs liés à la gestion. C’est ce que confirmeront nos ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 8 enquêtes auprès du personnel dans les villages. Dans une entreprise où l’expérience du terrain a longtemps primé pour faire carrière, les gens diplômés peuvent être promus assez rapidement vers des fonctions au siège mais ils apprécient cependant le fait d’être passés par les villages. Trois des personnes rencontrées au siège ont moins de trente ans et moins de dix ans d’ancienneté au Club. Elles ont un bagage de niveau licence ou plus et ont été relativement vite promues à un niveau élevé de responsabilité. b) Dans les villages • Tignes Statut et fonctions : 10 G.O et 9 G.E. Parmi les G.O interrogés, on trouve le chef du village et la gestionnaire du personnel, ayant une responsabilité dans le management du personnel et regroupés à ce titre dans le tableau récapitulatif du corpus d’enquête dans la catégorie « GO RH ». Les autres G.O sont représentatifs des différentes fonctions existant dans un village : bar, boutique, cuisine, réception, ski, mini-club. Les G.E interrogés reflètent aussi la diversité des métiers présents dans un village de ce type : employés d’entretien, lingère, commis de cuisine, magasiniers. Age La moyenne d’âge est de 32 ans mais cela cache une grande disparité d’âge entre le personnel européen, la plupart du temps très jeune, qu’il s’agisse de G.O ou de G.E et le personnel étranger, composé ici de Marocains et de Tunisiens, qui a autour de la cinquantaine. Les écarts d’âge vont de 19 à 53 ans. Ancienneté On retrouve la même différence au niveau de l’ancienneté au Club. 7 personnes effectuent leur première saison. Il s’agit très majoritairement de G.E. Pour les autres l’ancienneté va de 1 à 33 ans. Les Marocains et Tunisiens, embauchés dans leur pays d’origine quand ils étaient encore très jeunes ont près de trente ans d’ancienneté au Club en moyenne. Nationalités Du point de vue des nationalités, on compte parmi les personnes interrogées 10 personnes de nationalité française, 2 de nationalité belge, 2 de nationalité tunisienne, 2 de nationalité marocaine, 1 de nationalité britannique et une personne ayant la double nationalité française et israélienne. Origine Parmi les personnes de nationalité française, trois sont originaires du Maghreb et une de la Guadeloupe. On trouve une personne de nationalité belge originaire d’Ethiopie. Commentaires Deux personnes seulement ont été recrutées dans la région sud-est, ce sont toutes les deux des Français issus de l’immigration maghrébine qui font leur première saison, ce qui confirme l’intérêt du Club pour le recrutement local. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 9 La grande majorité des gens a été recrutée par le biais de l’ANPE. On trouve, comme nous l’avions déjà constaté au niveau de l’ensemble du personnel saisonnier des stations alpines une proportion importante de Français originaires des départements de l’ouest. • Aux Deux Alpes Statut et fonction : 10 G.O et 9 G.E Le chef de village et la gestionnaire du personnel (GORH) ont été interrogés ainsi que d’autres chefs de service : Maîtresse de maison et responsable du mini club. Les autres G.O travaillent au bar, à la gestion, à la réception ou à l’animation. Parmi les G.E, on trouve aussi un bon éventail des métiers représentés : chef de plonge, cuisiniers, serveurs, femmes de chambre, aide-économe. Moyenne d’âge La moyenne d’âge est plus élevée qu’à Tignes : 33,6 ans. Cela est dû à la présence de personnes d’âge relativement mûr parmi les G.E (pas seulement étrangers) et les G.O. Les écarts d’âge vont de 21 à 56 ans. Ancienneté On trouve 6 personnes qui effectuent leur première saison. Pour les autres, la durée de carrière au Club va de 1 à 34 ans. Cet échantillon de personnes étant aléatoire, il est difficile de dire si le personnel des Deux Alpes est statistiquement plus âgé et plus ancien que celui de Tignes. Aux Deux Alpes on observe une corrélation entre l’âge, l’expérience du directeur et la présence plus ou moins marquée de salariés plutôt mûrs. Le directeur a 56 ans et on trouve plus de gens d’âge mûr aussi bien parmi les G.O que parmi les G.E. Cela relève sans doute plus de la coïncidence que d’une stratégie systématique. Toutefois, il ressort de beaucoup d’entretiens que l’âge est un important critère d’affinité. Nationalité Du point de vue des nationalités, on trouve aux Deux Alpes 11 Français et 8 étrangers. Parmi ces derniers, on trouve 3 Turcs, 2 Italiennes, 1 Sénégalais, 1 Marocain et 1 Belge. Origine Parmi les Français on trouve une personne d’origine algérienne et une autre d’origine comorienne. On trouve également un Belge d’origine zaïroise. Commentaires Trois personnes ont été recrutées dans la région sud-est : une à Toulon, par le bais d’une mission locale pour l’emploi des jeunes, l’autre à Saint Etienne, par le biais de l’ANPE. La troisième, habitant Aubagne a été recrutée sur recommandation. Comme à Tignes, l’ANPE est le principal vecteur par lequel sont passées les candidatures. La provenance des Français est plus variée qu’à Tignes même si on trouve une forte représentation de la région parisienne. D’une manière générale, les enquêteurs ont eu l’impression que la majorité des personnes rencontrées s’est exprimée sans autocensure et a même apprécié de pouvoir parler de son vécu ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 10 quotidien. Le personnel étranger parlant mal le français a pu s’exprimer aussi sans difficultés particulières dans la mesure où certains de nos enquêteurs maîtrisaient bien l’arabe dialectal et où il a été possible de trouver des interprètes parmi les Turcs. La grande majorité des personnes interrogées s’est exprimée très facilement et, semble-t-il, très librement. Si, on a pu observer quelquefois des phénomènes d’autocensure, c’est soit chez des personnes ayant un poste de responsabilité et qui ont eu tendance à parler plus au nom de l’entreprise qu’en leur propre nom, soit chez quelques très rares salariés étrangers qui semblaient hésiter à formuler certaines revendications. Malgré leur caractère aléatoire qui les rend difficilement représentatifs sur un plan statistique, ces entretiens offrent un matériau très fiable et très pertinent pour éclairer un certain nombre de questions que nous nous posons dans le cadre du programme Equal à propos du travail saisonnier et des discriminations. III - RECRUTEMENT ET AFFECTATION Pour le Club Méditerranée, le recrutement des saisonniers requiert une organisation assez complexe qui fait intervenir plusieurs services et implique un partenariat avec divers organismes. Ces recrutements visent à constituer un « vivier » de candidats qui permet ensuite aux coordinateurs des ressources humaines d’affecter ceux qui sont retenus dans les villages en fonction des postes disponibles et du profil des personnes sélectionnées. 3.1. Promotion d’une image et d’une éthique Les candidats présélectionnés par téléphone, reçoivent une information sur l’entreprise lors de la première rencontre organisée au siège ou dans un hôtel de province dans le cadre du tour de France des recruteurs. Il y est question de l’organisation du Club, de son histoire et de son éthique. La charte du Club méditerranée proscrit, entre autres, toute attitude de caractère raciste ou discriminatoire, ce qui est en phase avec la vocation de l’entreprise à s’implanter partout à travers le monde et à travailler avec des gens de diverses cultures et de diverses origines. Par ailleurs l’esprit de convivialité qui se traduit à travers la prolifération du préfixe «gentil» devant toute appellation concernant le Club (gentil membre pour les clients, gentil organisateur pour les cadres, plus tardivement gentil employé pour le personnel de cuisine ou d’entretien) suppose l’acceptation d’une attitude amicale. C’est la «Club Med attitude» empreinte de sollicitude pour autrui et guidée par un souci de convivialité qui a fait le succès du Club dès le départ. Les clients sont incités à se sentir comme chez eux, entourés de professionnels ne souhaitant que créer des liens avec eux, le tout devant constituer une grande famille où joie de vivre et décontraction seraient les maîtres mots. Les candidats sont ainsi incités à se retirer eux-mêmes si leur profil et leur tempérament ne sont pas en phase avec les diverses exigences du Club, que celles-ci soient de l’ordre de ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 11 l’organisation (nécessité d’accepter une grande mobilité et un temps de travail fractionné) ou de l’éthique (être dénué de préjugés racistes) ou du savoir-être (avoir le sens du contact). Ceci contribue à donner du Club Med l’image d’une entreprise affichant une solide éthique. De ce fait beaucoup de salariés interrogés au cours de l’enquête pensent d’emblée que dans un tel milieu professionnel, les discriminations raciales ou sexistes ne peuvent exister, chacun ayant sa chance de faire carrière au Club, quelles que soient ses origines ou son sexe. « Ils n’ont pas parlé de discrimination. Ils ont dit plutôt que si on pratique la discrimination, on n’a rien à faire au Club. Dans le film de présentation, ils montrent des G.O de toutes les origines et on comprend que le Club c’est cosmopolite, que c’est tout le monde sans discrimination. On nous a parlé de la Club-med attitude pendant la présentation de groupe. » (G.O. 2ème saison) 3.2 Constitution d’un « vivier » de candidats Dans ce processus de recrutement l’accueil téléphonique est la première phase. A Lyon, il y a entre 700 et 1000 appels par jour. Huit personnes et un superviseur y réceptionnent les appels venant de France, d’Allemagne, du Royaume-Uni et du Bénélux. Le recrutement dans les pays européens proches ne concerne que les G.O. Ceux qui appellent ont été informés d’ouverture d’offres d’emplois soit par le biais de l’ANPE ou d’autres organismes, soit par consultation du site internet, soit par une connaissance ayant déjà travaillé au Club. Beaucoup tentent leurs chances sans savoir précisément s’il y a ou non offre d’emploi. Les candidats qui proposent leurs services sont ensuite orientés vers les « recruteurs siège » qui les reçoivent à Paris ou à Lyon ou vers les « recruteurs ville » qui se déplacent à travers la France et rencontrent les candidats dans diverses grandes villes. Deux personnes sont chargées du recrutement au siège et deux autres font chaque année deux tours de France et restent deux jours dans une grande ville pour recevoir des candidats ayant pris contact avec le centre d’appel téléphonique ou envoyés par l’ANPE ou les missions locales. Les rencontres se font souvent dans un hôtel. Les candidats ont des entretiens individuels et sont informés des conditions de travail dans les villages du Club. C’est là qu’une présentation de l’entreprise leur est proposée avec des informations sur les valeurs du Club Méditerranée et sur son organisation. S’il existe un parcours type en matière de recrutement, c’est celui qui commence par la lecture d’une offre d’emploi à l’ANPE, se poursuit par une conversation téléphonique avec un des responsables du « Call center », un rendez-vous dans un hôtel avec un responsable du recrutement effectuant un tour de France et enfin une affectation dans un village décidée par un des coordinateurs des ressources humaines du siège qui prend ainsi la fonction « d’affecteur », autre néologisme témoignant de l’inventivité linguistique de l’entreprise, cette dernière personne ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 12 étant ensuite en charge du suivi du salarié et de la gestion de sa carrière. Ce parcours est celui qu’a suivi la majorité de personnes que nous avons rencontrée lors de l’enquête. Une seule, d’origine maghrébine effectuant sa première saison comme G.E. a été recrutée par l’intermédiaire d’une mission locale pour l’emploi des jeunes. Le personnel chargé du recrutement observe d’ailleurs qu’il a plus de mal à trouver les candidats qui lui conviennent en s’adressant aux missions locales. Pour les étrangers européens les processus de recrutement sont sensiblement identiques. En Belgique, le Club passe par l’organisme équivalent de l’ANPE. Les autres étrangers européens ont été recrutés suite à une prise de contact avec le Club par petites annonces, un parent ou une connaissance. Ils ont passé des entretiens avec les services du Club présents dans leur pays. Certains recrutements se font très vite. Un G.O. a été recruté après avoir transmis son C.V. à des salariés du Club qu’il côtoyait à Tel Aviv, alors qu’il travaillait dans une compagnie de danse qui animait les soirées pour les touristes. c) Recrutement de masse et critères de sélection La personne qui reçoit les appels informe les candidats sur les conditions de rémunération et de travail et procède à une première sélection selon un certain nombre de critères. Il y a bien sûr le diplôme. Certains emplois ne peuvent être occupés que par des gens disposant du diplôme nécessaire. C’est le cas pour certains métiers de la cuisine ou de l’hôtellerie ainsi que pour les métiers d’animation envers les enfants où le BAFA est exigé. Dans certains sports, il faut avoir un brevet d’état dans la discipline concerné. L’âge est aussi un critère potentiellement éliminatoire. Certains emplois comme barman ou animateur pour jeunes enfants ne peuvent être exercés que par des personnes ayant au minimum 21 ans. L’âge est aussi un critère éliminatoire dans l’autre sens. Les conditions de travail et d’hébergement sur place conviennent davantage à des personnes jeunes qui ont plus de chances d’être mobiles et disponibles. La situation familiale en est un autre. Le fait d’avoir des enfants en bas âge ou de vouloir vivre en couple dans le même village constituent des obstacles pour être recruté. Nous avons pourtant trouvé au cours des enquêtes dans les villages quelques personnes d’âge mûr recrutées pour leur première saison et quelques personnes vivant en couples. Il est vrai que les unes et les autres n’avaient pas d’enfants à charge et étaient assez mobiles. L’expérience est un critère souvent pris en compte mais peu de candidats peuvent faire état d’une expérience très poussée. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 13 Dans le cas des G.O. des qualités relationnelles sont requises puisque ce statut impose d’être le plus en contact possible avec la clientèle et de participer au maximum aux animations. Dans le cadre de l’entretien de recrutement, il est difficile d’aller au delà des impressions superficielles que peut dégager un candidat par rapport à son potentiel relationnel. De ce fait, les recruteurs se fient à leur propre expérience du travail en village. Tous ont été G.O. parfois aussi G.E. et c’est à partir de là qu’ils établissent leurs principaux critères de choix. Bien qu’ils aient quitté ce travail depuis peu, ils conservent une image du travail en village qui s’est fixée à un moment donné et ils ont du mal à intégrer dans leur stratégie les évolutions récentes qui nous sont apparues en décryptant le discours des personnels rencontrés sur place. Par ailleurs ils font confiance au partage de la même culture d’entreprise et se concertent peu pour décider des recrutements. Ils disent avoir peu de retours négatifs de la part des villages. Il semble qu’il y ait pourtant un turnover important dans certains centres. Une responsable du personnel se rappelle par exemple avoir dû renvoyer plusieurs personnes au cours d’une saison précédente, essentiellement pour des problèmes de vols ou de consommation de drogue et d’alcool. Les choses sont très différentes d’une année sur l’autre. La motivation est aussi un critère. En fait, les recruteurs n’ont qu’un choix assez limité, tant le profil des candidats qui se présentent offre de l’homogénéité. Ce sont majoritairement des jeunes ayant peu d’expérience professionnelle et de faibles motivations au travail. Beaucoup de recruteurs déplorent une attitude peu sérieuse de la part de nombreux candidats. 54 % seulement des personnes convoquées viennent au rendez-vous qui leur a été fixé pour l’entretien. Beaucoup arrivent en tenue négligée, posent beaucoup de questions sur le salaire, les avantages, les horaires et sont peu intéressés par le contenu du travail. Selon certains recruteurs, ce phénomène serait essentiellement français. Les personnes recrutées en Belgique auraient, selon eux une attitude plus positive par rapport au travail. Il n’y a pas de critères très déterminants dans le recrutement. Une personne interrogée dit écarter assez systématiquement les candidats trop jeunes qui ont 18-19 ans et qu’elle considère comme immatures et inaptes à supporter les contraintes de l’organisation collective des villages. D’autres disent éviter au contraire de recruter des personnes plus âgées qui supportent mal la contrainte de l’hébergement partagé. En fait les choix sont souvent fondés sur des impressions et le sentiment que tous les responsables du Club Med ont la même perception des candidats. « S’ils ne nous plaisent pas, c’est qu’ils ne plairont pas aux chefs de village » Les recruteurs s’inspirant beaucoup de leur expérience personnelle au Club, recrutent les candidats en fonction de motivations qui leur rappellent celles qu’ils avaient eux-mêmes quand ils sont entrés au Club. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 14 « On recherche de plus en plus de gens qualifiés, des gens qui recherchent une aventure. Moi-même, je suis entré au Club pour voir, pour tenter une aventure, pas pour faire carrière au Club. » Mais souvent, ils déplorent ne pas retrouver chez les candidats actuels les motivations qu’ils avaient eux-mêmes lors de leur embauche au Club. « Les jeunes connaissent plus leurs droits, ils posent des questions sur le salaire….C’est pas comme quand je travaillais, ils ont leurs jours de congé, leurs heures de travail….Mais ils n’ont pas envie de travailler, les recruteurs le sentent aussi, tout le monde pense ça. » d) Une logique fondée sur les métiers La première dichotomie qui apparaît dans les critères de recrutement concerne le statut. Les critères pris en compte diffèrent sensiblement si l’on a affaire à des G.O ou à des G.E. La question de la « Club-Med attitude », cette capacité à créer un lien convivial avec le client interfère essentiellement dans le recrutement des G.O. Pour ce qui est des G.E, selon les propos d’une personne interrogée au siège : « l’importance du savoir-faire prime sur celle du savoirêtre ». Il y a moins d’attention apportée aux supposées qualités relationnelles du candidat. Toutefois, les responsables du recrutement mentionnent souvent un mélange de références aux compétences professionnelles et aux qualités personnelles : « Les profils qu’on recrute, c’est sur la base des diplômes, de l’expérience, de la motivation, l’envie de donner, de travailler pour le club, d’être dynamique, avoir de l’enthousiasme….Donner, faire plaisir, travailler sans se prendre au sérieux, donner du bonheur au client. » Dans un certain nombre de cas, la question du diplôme s’impose donc en raison des exigences de la loi sur les centres de vacances. Cela concerne plus les G.O que les G .E. Pour encadrer certaines activités sportives, il faut obligatoirement un diplôme national. Ainsi un moniteur de tennis ne peut pas être recruté sur le simple critère qu’il connaît bien ce sport. Il en va de même pour les métiers d’animation auprès des enfants où le BAFA est exigé avec quelquefois une spécialisation dans certains domaines, en particulier pour la petite enfance. Les métiers de la cuisine exigent aussi d’être diplômés. Les chefs cuisiniers ou les responsables des achats de nourriture qui ont le statut de G.O. ont au moins un C.A.P. Ces derniers métiers offrent l’intérêt de pouvoir passer au statut de G.O. tout en restant dans un domaine de spécialité professionnelle assez étroitement défini qui n’impose pas trop de relations avec la clientèle. Cela ouvre des possibilités intéressantes en matière de carrière. Au niveau des deux villages où nous avons enquêté, beaucoup de jeunes G.O sont diplômés et exercent une activité en rapport assez étroit avec leur spécialité. Les personnes en charge du 15 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations personnel ont des diplômes de psychologie ou de gestion des ressources humaines. Les responsables de la petite enfance ont toujours le BAFA, parfois un diplôme de puériculture. C’est au niveau des G.E. que l’on rencontre les gens les moins diplômés. Bien que dans les métiers liés à la cuisine on trouve des G.E. titulaires d’un CAP ou des jeunes en formation. Les travaux de service ou d’entretien par contre sont majoritairement effectués par des personnes jeunes et sans qualification. L’expérience existe toutefois chez certains G.E. et elle est synonyme d’une compétence au moins égale à celle que peut conférer la possession d’un diplôme. C’est vrai en particulier pour le personnel étranger. Les Turcs qui ont pourtant tous le statut de G.E. sont considérés par leurs collègues et les responsables des villages comme des gens « très professionnels » qui tirent plutôt vers le haut le niveau de compétence de l’ensemble du personnel. Le recours à ce personnel étranger pas forcément diplômé mais bien expérimenté permet pour l’instant aux responsables du recrutement de palier une difficulté importante sur le marché français du travail saisonnier à savoir la rareté des candidats qualifiés pour certains types d’emplois, en particulier dans le secteur des services de l’hôtellerie. 3.3 Pratiques d’affectation e) Prise en compte de multiples paramètres Si le recrutement se fait selon une grille de « métiers » en fonction des besoins définis globalement, les affectations, elles, distinguent les candidats, selon l’adéquation perçue entre leur profil, le travail qu’ils devront effectuer, le lieu où ils devront l’exercer et la clientèle avec laquelle ils seront en contact. Les services de coordination des ressources humaines sont en contact avec les villages pour l’affectation des candidats retenus et le suivi de leur activité sur place. Les interlocuteurs ne sont pas toujours les mêmes selon qu’il s’agit de G.E. ou de G.O. Pour les premiers, les affectations se décident surtout avec les responsables du personnel en place dans les villages alors que pour les seconds, les chefs de village interviennent de façon plus systématique. La différence de traitement entre ces deux catégories se retrouve aussi de manière récurrente au niveau du vécu du personnel dans les villages. En fait, il faut un important vivier de recrues pour pouvoir réaliser des affectations idoines. Il ne faut donc pas se montrer trop regardant sur le profil des candidats, ce qui devrait logiquement limiter les pratiques discriminatoires fondées sur des critères non liés aux exigences du travail. L’affectation permet d’atténuer les difficultés que pourraient rencontrer certains candidats recrutés qui n’offrent pas toutes les qualités souhaitées. Une responsable dit par exemple affecter les jeunes recrues manquant d’expérience dans des villages de petite capacité parce qu’ainsi ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 16 l’intégration à l’équipe se fait plus facilement. La question du diplôme peut aussi être contournée par une affectation adéquate. « C’est obligatoire pour la France d’avoir 80 % de G.O. diplômés. On est moins regardant sur ceux qu’on envoie à l’étranger. » Il est possible aussi que les recrues soient affectées en fonction des exigences supposées de la clientèle. Au cours de l’enquête réalisée dans le village « 2 tridents », un membre du personnel interrogé faisait la remarque suivante, semblant corroborer l’idée d’une orientation du personnel moins expérimenté vers les villages où le séjour est moins coûteux. « Il y a tous les âges mais on se croirait au collège. Les deux tridents, c’est pour les nouveaux sans expérience » Cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une pratique systématique, la clientèle des deux tridents n’étant pas spécialement moins exigeante que les autres et ce type de village qui ne représente que 5% du patrimoine du Club devant disparaître à terme. Les affectations se font souvent dans des délais très courts. Beaucoup de personnes rencontrées dans les villages disent avoir appris leur lieu d’affectation quelques jours avant de prendre leurs fonctions. De ce fait, il est difficile d’avoir une bonne maîtrise des affectations. Certaines recrues ne sont plus disponibles et ne se donnent parfois pas la peine de le faire savoir, obéissant en cela à la logique ultra-libérale qui prédomine dans certaines cultures. « Les Allemands, les Néerlandais et les Anglais sont durs à gérer. Ils ne sont pas fiables sur leurs disponibilités. Ils peuvent nous planter sans prévenir. On apprend par le chef de village qu’ils ne sont pas arrivés. » Ce constat procède-t-il d’un à priori négatif sur les comportements de certains salariés étrangers ou résulte-t-il d’une culture du travail différente dans les pays du nord de l’Europe où la vision libérale prédominante fait que le gens ne sentent pas tenus de perdre du temps à avertir un employeur qu’ils ont trouvé autre chose ailleurs ? Ces propos illustrent en tout cas la difficulté que créent les nécessités de gérer un personnel provenant d’horizons culturels différents. f) Du « prêt à porter » au « sur-mesure » La question de la diversité culturelle, très présente au Club, implique de penser les affectations en fonction de compatibilités et incompatibilités susceptibles d’exister entre certaines catégories de salariés. Les « incompatibilités » qui sont constatées au fil des expériences conduisent à nuancer fortement les analyses faites à propos de certains groupes « culturels » et à revenir sur des amalgames rapidement exercés entre des candidats ayant une soi-disant origine commune. Les personnes enquêtées au siège ainsi que certains responsables de village ont identifié une ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 17 incompatibilité entre les salariés étrangers venus du Maghreb et les jeunes Français issus de l’immigration maghrébine. « Pour le Maghreb, il y a juste un point de vigilance : ils s’intègrent facilement en France mais ont du mal à cohabiter avec les « beurs », enfin, je veux dire les jeunes des quartiers. Les jeunes beurs ont du mal à les supporter : les anciens ont des codes et des images qui les projettent dans leur propre cadre familial. Les anciens, eux, voient que les jeunes ternissent l’image de leur pays. » La stratégie est donc d’éviter autant que possible de mélanger ces deux catégories. « Dans les villages, quand on sait la proportion de Marocains, en complément d’équipe, on ne mettra pas de jeunes Français issus de l’immigration.» Les responsables interrogés expliquent ces difficultés de cohabitation par le fait que l’on retrouve, en raison des écarts d’âge et de l’origine commune, des risques de conflits du genre « père/fils ». En fait ces deux catégories évoluent dans des univers totalement différents et sont tout aussi étrangers l’une à l’autre que le seraient des catégories n’ayant aucune origine commune. Il est probable que, même si les écarts d’âge étaient beaucoup plus réduits et n’évoquaient pas symboliquement la relation père/fils, les difficultés de cohabitation n’en continueraient pas moins d’exister. Même si, au niveau du recrutement, on ne tient pas compte des origines, au niveau des affectations, on est amené à se préoccuper de ce qu’elles peuvent impliquer par rapport au vivreensemble dans l’espace tout de même très délimité des villages. Les affectations ne se font donc pas toujours de façon strictement individuelle mais prennent en compte les logiques de groupes et de sous-groupes, que ce soit pour éviter des conflits ou pour optimiser les capacités d’organisation interne et de solidarité que présentent certaines catégories. Parmi les salariés interrogés ici, les anciens disent qu’autrefois, la politique du Club était de faciliter la constitution de véritables équipes appelées à travailler toujours ensemble. Il y a aujourd’hui encore des pratiques de cooptation pour certaines catégories. Ainsi on affecte au même endroit un petit groupe auto-organisé de salariés de même origine qui manifestent à la fois une volonté de travailler ensemble et une capacité très forte d’organisation interne. « Il y a une multitude de nationalités et des métiers fortement représentés par telle ou telle nationalité. A la plonge il y a beaucoup de gens d’Afrique noire avec les Sénégalais et les Comoriens. On a un réseau d’anciens qui nous font le rabattement ; ce n’est pas sans risques. On a déjà eu des soucis de problèmes d’identité, de faux papiers. On reste vigilants avec eux.» ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 18 En fait, pour les responsables, cette concentration d’Africains noirs à la plonge s’explique par le faible niveau de qualification de ce personnel et par son souhait de fonctionner de façon collective. « Les Comoriens qu’on a, on les affecte en groupe ; ils fonctionnent en vase clos. On sait qu’on ne peut pas en laisser un tout seul en station, il va être perdu. » Nous avons pu vérifier, à travers l’enquête dans les villages, que les Africains souhaitaient effectivement fonctionner de cette manière, en quelque-sorte en équipes autonomes et que cela ne les empêchait pas d’avoir de bonnes relations avec le reste du personnel. Toutefois si ce système convient bien à l’ancienne génération d’immigrés, il est probable qu’il ne conviendra pas aux plus jeunes. Ainsi en est-il de l’évolution professionnelle souhaitée par une jeune comorienne qui espère devenir G.O. après avoir travaillé comme G.E. Arrivée très jeune en France, et bien qu’ayant bénéficié d’une recommandation d’un de ses compatriotes, elle a un mode de vie beaucoup plus individuel que les autres Comoriens qu’elle fréquente assez peu. Sur le plan du travail, alors que les Africains de la première génération se contentent des emplois non qualifiés et ne cherchent ni à se former ni à évoluer, elle, au contraire a des ambitions très précises en matière de formation et de progression de carrière. Ces différences d’ambition montrent, s’il en était besoin, le danger d’un traitement des personnels en raison de l’origine « vraie » ou « supposée ». Avec les Turcs arrivés pour leur première saison dans les Alpes, on retrouve cette tendance à une certaine gestion ethnique des salariés. Ces Turcs sont regroupés dans les mêmes villages (Aux Deux Alpes, on en trouve vingt-quatre). Ils constituent un groupe très cohérent, étant tous originaires de la même région et travaillant dans leur pays dans le même village du Club depuis très longtemps. Leur regroupement atténue leurs difficultés de communication linguistique mais renforce aussi leurs capacités d’organisation interne et explique sans doute pourquoi ils se montrent aussi performants dans leur travail. Là encore, on peut faire le constat qu’ils entretiennent de bons rapports avec les autres salariés même si ces rapports sont assez limités. La politique d’affectation doit tenir compte de ces demandes de regroupement partiel de certains salariés immigrés mais elle doit aussi apprendre à ne pas globaliser le traitement des gens en fonction de leurs origines et à reconnaître l’émergence d’aspirations individuelles chez les personnes qui seraient amenées à prendre leurs distances par rapport aux générations antérieures. Quoiqu’il en soit, cette logique du recrutement par métier combiné à une gestion des affectations par origine dessine une concentration de certaines catégories sociales et ethniques dans les mêmes emplois. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 19 IV – TYPOLOGIE DES EMPLOIS ET PROFIL DES PERSONNES Au Club, les salariés sont régis par différents cadres d’emploi : les GO à l’année, en CDI, relèvent de l’accord d’entreprise, ils représentent environ 20 % de l’effectif global du Club. Les GO saisonniers qu’ils soient en « pluri » ou « mono » saison sont recrutés en CDD et relèvent de l’accord social du village dans lequel ils travaillent. Ils constituent la grande majorité des salariés du Club Med. Les GE étrangers relèvent de contrats OMI, régissant le travail saisonnier et d’autres, en particulier des Marocains et Tunisiens, sont régis par le protocole d’accord signé entre syndicats et direction en 1985 pour régulariser leur situation par rapport à leur titre de séjour en France. Ce dernier concerne un nombre limité de personnes, nominativement identifiées. 4.1 Les carrières au Club Dans l’ensemble des deux villages, on trouve les mêmes types de salariés que l’on peut classer de manière schématique en deux grandes catégories. g) Les « permanents » Il y a ceux, peu nombreux, qui ont pratiquement fait toute leur carrière au Club. Ils ont au moins la quarantaine, souvent plutôt la cinquantaine et sont G.O. Certains ont eu une carrière orientée vers la promotion personnelle, franchissant progressivement les divers échelons de la hiérarchie jusqu’au niveau de chef de village. D’autres ne cherchaient pas la promotion individuelle mais un emploi plus tranquille leur permettant surtout de voyager et de profiter des voyages pour euxmêmes. Ce sont des personnes vivant seules, sans charges familiales et qui ont le goût du changement. Elles ont de la curiosité pour les différentes cultures que l’on peut côtoyer dans une telle entreprise, ne recherchent pas forcément les postes à responsabilité. Ainsi quelques profils peuvent être dessinés : un GO âgé aujourd’hui de 53 ans et entré au Club à 21 ans, précise que pour vivre pendant tant d’années dans le même type de poste, il lui a fallu avoir une grande « hygiène de vie », éviter de trop faire la fête afin de garder sa santé et faire les économies qui lui ont permis de s’acheter un appartement dans sa ville d’origine. Il dit avoir vécu beaucoup d’aventures au Club mais présente finalement le profil d’une personne soucieuse de s’inscrire dans la durée. D’autres revendiquent une posture plus marginale. Une GO UE de 40 ans qui habite toujours chez ses parents se dit décidée à continuer sa « vie de nomade » jusqu’à la retraite. Beaucoup ne veulent pas devenir de vrais permanents. Ils jonglent d’un contrat saisonnier à un autre CDD en restant toujours au Club. La personne citée précédemment a mené toute sa carrière ainsi, continuellement employée en qualité de saisonnière par le Club à l’exception de deux ans passés à Eurodisneyland, revalorisés au club. La plupart apprécient la situation de travailleur saisonnier parce qu’elle leur permet d’accepter ou de refuser certaines affectations alors qu’un salarié en C.D.I. doit l’accepter. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 20 Une autre catégorie correspond aux saisonniers originaires du Maghreb et de Turquie qui sont, comme le dit un des responsables rencontrés « des permanents déguisés ». Très fidèles au Club pour la plupart et très marqués par la période « Trigano » où l’ambiance était plus conviviale et plus familiale, ce qu’ils apprécient dans leur séjour en France, c’est d’abord le salaire. Le travail présente peu d’intérêt, ils ne pratiquent pas le ski et ne font pas la fête. Ils s’ennuient souvent mais préfèrent rester entre eux pendant les temps libres. Certains qui pourraient passer G.O ont refusé de le faire y voyant plus d’inconvénients que d’avantages. Les plus âgés espèrent tenir jusqu’à la retraite mais préfèreraient être permanents dans leur pays plutôt que de continuer à faire le va-et-vient saisonnier entre leur pays le Maghreb et les Alpes. Les plus jeunes parfois instruits et qualifiés ne souhaitent pas forcément poursuivre leur carrière au Club et voudraient profiter de leur séjour en France pour tenter de trouver un autre emploi. h) Les « saisonniers » Parmi les jeunes Français recrutés plus récemment, on peut distinguer plusieurs sous-catégories. Il y a ceux qui voient le travail au Club comme une occasion de prendre des vacances, de « faire la fête ». Ils ne cherchent pas à obtenir une promotion même si certains jeunes G.E souhaitent passer G.O, dont le statut est davantage associé au divertissement. Ils n’attendent pas grand chose en termes d’acquis professionnels. Pour ceux qui poursuivent des études en parallèle, le travail saisonnier au Club Med apparaît à la fois comme un délassement (une personne interviewée parle d’année « sabbatique »), un moyen de se faire un peu d’argent et une expérience humaine dont il est possible de tirer partie sur le plan professionnel. Ceux-là ne font en général que deux ou trois saisons. Parmi ceux dont la motivation principale est de « faire la fête », ils ont conscience qu’il y a un risque à multiplier les saisons. Ayant le sentiment d’apprendre peu de choses et de se laisser vivre parce que pris en charge par la structure pendant tout le séjour, certains craignent de s’engager dans un processus de marginalisation. Ceux qui voient le travail au Club Med comme un authentique travail se divisent eux-mêmes en diverses sous-catégories. Certains développent une stratégie de recherche de la promotion interne. Ceux qui sont bien diplômés semblent y parvenir assez vite. Ils apprécient les possibilités d’évolution que leur donne l’entreprise mais n’envisagent pas d’y faire toute leur carrière, sauf à travailler au siège dans un emploi plus sédentaire. D’autres considèrent leur séjour comme une occasion de se former personnellement aux métiers du tourisme, ayant des opportunités et des projets propres à leur niveau. Nous avons rencontré au cours des enquêtes deux jeunes dont les parents possédaient des campings et qui envisageaient de les reprendre plus tard à leur compte en s’appuyant sur les acquis, très complets et très appréciables selon eux, que leur séjour au Club leur permettait d’obtenir. Pour beaucoup le travail saisonnier au Club Med donne une bonne « carte de visite ». ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 21 Certains enfin ont des stratégies guidées par le principe de plaisir. Ils apprécient les voyages, le changement, la multiplicité des activités et des contacts que peut leur offrir l’entreprise et ne veulent pas se gâcher la possibilité d’en profiter en acceptant un poste trop prenant avec trop de responsabilités. Ceux là visent un emploi de G.O. avec le moins de contacts obligés avec la clientèle. Il faut noter que la plupart des salariés, même les jeunes ont déjà une expérience professionnelle avant d’entrer au Club. Ceux qui ont fait des formations dans le domaine hôtelier ont déjà quelques mois voire quelques années de pratique professionnelle. Ceux qui n’ont pas de formation très précise ont multiplié les « petits boulots » dans divers domaines. Même les étudiants ont souvent eu l’expérience du travail intérimaire avant d’entrer au Club. Ceux qui ont travaillé comme saisonniers pour d’autres employeurs apprécient la limitation des horaires de travail et la relativité du confort qu’offre le séjour dans un village du Club par rapport à d’autres lieux de travail. Certains sont venus au Club après y avoir passé des vacances. Ils sont surpris d’y découvrir une réalité différente de celle qu’ils connaissaient. 4.2 Diversité de profils et de stratégies Les stratégies varient en fonction des profils. Les anciens qui ont fait toute leur carrière au Club n’envisagent pas de le quitter et espèrent pouvoir y travailler jusqu’à la retraite. Ils n’ambitionnent pas de gravir encore des échelons dans la hiérarchie des métiers du Club et ne sont pas demandeurs de responsabilités supplémentaires. En général satisfaits de leur carrière au Club, ils ont le sentiment que s’ils devaient recommencer aujourd’hui, ils n’auraient sans doute pas les mêmes avantages. L’ambiance a changé et les ambitions de carrière s’en ressentent. Les permanents un peu plus jeunes sont partagés entre ceux qui s’accrochent et espèrent encore progresser avec souvent l’ambition d’obtenir un emploi au siège et ceux qui estiment avoir déjà tiré de l’expérience tout ce qu’ils pouvaient en tirer. Même chez ceux qui estiment avoir appris beaucoup au Club et avoir progressé de manière satisfaisante, on trouve souvent une stratégie consistant à savoir partir au bon moment. «Sincèrement, je proposerais à quelqu’un, ami ou famille de venir travailler au ClubMed quand il est jeune. Là, c’est intéressant entre 20 et 28 ans. Le Club-Med, c’est très formateur à plein de niveaux, c’est une très bonne école de la vie quand tu es jeune. » (GO, + de 30 ans) Ce n’est pas toujours la difficulté de vivre une vie de famille en étant salarié au Club ni son évolution vers une gestion plus rigoureuse qui pousse à partir, c’est aussi la conscience qu’il peut y avoir un piège à rester trop longtemps dans un lieu dont la vocation initiale était d’offrir une prise en charge totale et un rempart contre le monde extérieur. Même si une telle vocation était destinée à la clientèle, les salariés étaient aussi intégrés dans la même logique et pas seulement ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 22 pour la durée de quelques semaines de vacances. Le Club nourrit, loge, blanchit. Il n’y a pas à se préoccuper du loyer, des factures d’eau et d’électricité. Certains constatent qu’ils ne savaient plus rien de ce qui se passait à l’extérieur. « Ici, on vit dans une bulle, hors du temps, de l’actualité. Il ne faut pas rester trop longtemps. Si tu restes trop longtemps au Club, tu risques de ne plus être capable de travailler ailleurs, de faire autre chose. » Pour les salariés étrangers, qu’ils soient en contrat O.M.I ou sous un autre type de gestion, l’intérêt du travail au Club méditerranée en saison hivernale est principalement financier. Les Turcs gagnent 25% de plus que chez eux et pour une durée de travail bien moindre. La stratégie qu’ils déploient est de vivre à l’économie, quitte à s’ennuyer ferme. Ils ne sortent pas, dépensent le moins possible pour retourner au pays avec un maximum d’économies. Les salariés qui en sont à leur première saison font un bilan en demi-teinte de l’expérience. Sous l’angle stricte du contenu du travail, il est mitigé, surtout pour les G.E. Ceux qui ont un diplôme de cuisinier et qui ont exercé leur métier dans la restauration classique constatent qu’ils n’ont rien appris. La cuisine des villages en station, c’est avant tout du « décongelé ». « Moi, je pensais que j’apprendrais la cuisine française en venant travailler en France. Mais j’ai compris qu’ici je ne pourrais pas apprendre la cuisine française. Le chef-cuisinier est français mais il connaît seulement la « cuisine Club-med , ce qui n’est pas la même chose. » Cela est sans doute particulier au travail en station de ski où la clientèle vient avant tout pour profiter de la neige. Les cuisiniers s’adaptent, alors qu’en saison estivale, ils soignent bien davantage la composition et la présentation des buffets. Quoiqu’il en soit la stratégie des saisonniers employés en cuisine n’est pas de chercher à améliorer leurs compétences mais plutôt de profiter du séjour, comme d’ailleurs bien d’autres catégories de personnel. Ceux qui avaient un travail au niveau de l’entretien estiment qu’ils ne pouvaient de toutes façons rien apprendre d’important sur le plan technique. « Qu’est-ce que tu veux qu’il m’apporte ce travail comme compétences ? ça ne m’a rien apporté, c’est du ménage. Tu connais une arabe qui ne sait pas faire le ménage ? » (GE. d’origine non européenne). Pour beaucoup de jeunes G.E. l’apport d’une première saison ne se situe que rarement sur le plan professionnel. Très vite, ils adoptent une stratégie témoignant qu’ils n’attendent pas grand chose du travail en lui-même. Certains profitent au maximum des loisirs, en fonction de leurs centres d’intérêt pour faire du surf ou du ski, d’autres sortent tous les soirs. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 23 D’autres s’efforcent de profiter de ce que leur expérience au Club peut leur apprendre en dehors du strict travail. L’ambiance internationale, le mélange avec des gens d’autres milieux sociaux et d’autres cultures est considéré par beaucoup comme très formateur. Les quelques « jeunes de banlieue » que nous avons pu rencontrer expriment une forte satisfaction à ce niveau. Même s’ils restent très critiques sur les conditions d’hébergement, la nourriture, la coupure entre G.E. et G.O. et disent ne pas avoir appris grand chose au niveau du contenu même du travail, ils constatent avoir progressé sur le plan personnel et relationnel. Cela leur donne l’ambition d’évoluer et le désir de revenir au Club avec l’espoir d’obtenir une formation et ensuite une promotion. « Moi ici, j’ai appris à me connaître, à voir mes limites. J’ai beaucoup appris sur moimême…J’aimerais bien travailler au Club en tant que commun du soir, parce que j’adore parler avec les gens. Moi, j’aimerais avoir plus de contacts avec la clientèle » (G.E. d’origine non européenne) Chez certains, on voit se développer une stratégie de progression sur le plan personnel autant que sur le plan professionnel. « Les compétences que j’ai acquises au Club, c’est les langues, la danse, l’animation des enfants, être moins timide. J’ai aussi appris à me débrouiller, à être ouverte, connaître tout. C’est multiculturel. J’ai même discuté avec des Américains. Ici, j’essaye de pas être timide. » Cette stratégie par rapport au Club est simple et rejoint celle de beaucoup de jeunes saisonniers qui apprécient avant tout un milieu, une ambiance plus qu’un travail. « J’ai envie de rester au Club Med jusqu’à ce que j’en ai plus envie. » Cette philosophie est partagée par tous ceux qui, en raison de leur niveau de formation initiale ne craignent pas trop de se retrouver sans emploi. Ceux qui se sentent moins bien assurés seraient plus déterminés à saisir la chance que leur offre cette première expérience pour demander une formation et essayer de s’inscrire plus durablement dans l’entreprise. Ainsi un jeune Français d’origine non européenne, malgré un bilan mitigé de sa première saison au Club parce qu’il a mal vécu à la fois les conditions d’hébergement et le statut de G.E., envisage cependant de faire acte de candidature pour la prochaine saison et a demandé à suivre une formation. Etant donné les difficultés de ces jeunes à entrer sur le marché du travail et à intégrer une équipe, l’expérience débouchant sur la poursuite d’une activité voire d’une promotion par le biais d’une formation, est loin d’être inutile. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 24 Un autre exemple est celui d’un jeune lui aussi d’origine non européenne qui bien que critique sur la « Club Med attitude » et sur les relations entre G.E. et G.O. a tout de même défini une stratégie qui consisterait à suivre une formation pour passer assistant économe. « Le meilleur statut, c’est d’être G.O. à l’économat. Tu n’as pas d’obligation d’être en contact avec les G.M. Je ferais pas toute ma carrière au Club Med à moins que je passe à l’économat, ce serait un miracle !» En fait, les stratégies des saisonniers sont très liées à la possibilité qu’ils pensent avoir d’accéder à un emploi fixe. Les jeunes diplômés semblent se dire qu’ils ont le temps. Ils n’ont pas de stratégie par rapport au Club Med hormis de profiter de l’expérience qu’ils y acquièrent et des avantages qu’ils y trouvent sur un plan personnel. Ceux qui sont moins diplômés se sentent davantage placés en face de l’urgence. Ils identifient au Club un emploi qui leur conviendrait et s’efforcent de l’obtenir en suivant une formation. S’ils ne parviennent pas à leurs fins, ils abandonnent. V - CONDITIONS DE VIE ET CONDITIONS DE TRAVAIL 5.1 Rapport au travail Le rapport au travail varie beaucoup en fonction de divers paramètres. Il y a d’abord le degré d’investissement que les salariés ont initialement par rapport au travail. Leur rapport au travail va varier en fonction de critères liés à ce degré d’implication qui est lui-même déterminé par certaines motivations : volonté ou non de faire une carrière au Club, attente ou non d’un apport de compétences, volonté ou non de poursuivre ce type de travail à l’extérieur du Club Med. D’autres éléments vont intervenir qui sont liés au travail lui-même. Le contenu du travail semble moins déterminant que les projets par rapport au Club ou par rapport au métier exercé. Ainsi certains agents d’entretien s’impliquent beaucoup dans leur travail car ils espèrent une promotion, tandis que certains animateurs s’impliquent peu car ils ne sont là que pour une ou deux saisons et n’envisagent pas de faire leur carrière dans ce type d’activité. On peut esquisser la typologie suivante : i) Les « spectateurs » Certains se positionnent en « spectateurs », ne cherchant pas à entrer dans la mentalité « Club méditerranée ». Ils font ce qui leur est demandé sans zèle excessif et évitent tout investissement affectif ou psychologique dans le travail autant que dans l’environnement professionnel. Ainsi un jeune G.O. qui envisage de faire des études de journalisme déclare qu’il a pris « une année sabbatique » en travaillant au Club Med. Il précise qu’il ne cherche pas à intégrer l’esprit d’entreprise. Son travail le met en contact avec la clientèle mais il se dit gêné de devoir converser avec les G.M. au bar et se montre très critique à propos de l’obligation qui est faite aux G.O. 25 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations d’entretenir des liens avec des clients alors qu’il n’a spontanément aucune envie de sympathiser avec eux. Il essaye de s’en tenir au strict contenu de son travail. Certains également confondent la fête avec le travail. Ils ont du Club l’image d’un milieu de divertissement et de défoulement. Ils n’arrivent pas à faire la part de l’aspect ludique qui prévaut dans la production et l’organisation des activités de loisirs et la part de sérieux que cela implique. On retrouve là un reproche souvent fait aux travailleurs saisonniers dans les stations, celui du « manque de sérieux dans le travail ». Il est certain cependant que l’image du Club Med, telle qu’elle demeure pour la clientèle, image de vacances, de fête, de libération des mœurs contribue aussi à déformer la vision que les salariés embauchés ont vis-à-vis de ce que l’on attend d’eux. Selon certains, cela serait aggravé par la jeunesse du personnel et par la mentalité des « jeunes d’aujourd’hui », refrain bien connu et largement répandu chez les employeurs. De même si le temps de la libération sexuelle est révolu, le Club y a été si étroitement associé dans les images qui restent du début des années 1970 que certains salariés semblent penser que cela reste une spécificité à laquelle il faut se plier. Ce sont les discours des salariés plus expérimentés, qui dénoncent le plus ces types de comportement, constituant à la longue une gêne pour ceux qui veulent travailler sérieusement. « Pour moi, je ne finirai pas ma carrière professionnelle au Club Med….Je ne reviendrai pas. Je pense que c’est l’âge. Je me sens en décalage par rapport aux plus jeunes. C’est aussi la difficulté de mon métier par rapport à cette question d’âge. J’ai envie de travailler avec des gens sérieux qui ont envie de bien faire. Là, les G.O. se sentent en récréation. » (GO. de plus de 30 ans). Chez les salariés qui sont dans cette logique de la recherche du plaisir et du défoulement, il y a peu de conscience de la confusion entre loisirs et travail Cette représentation du travail au club est plutôt celle des jeunes saisonniers, G.O. et dans une moindre mesure G.E. qui n’ont aucune projection particulière ni par rapport au Club ni par rapport à l’emploi qu’ils y exercent et voient leur séjour comme une occasion de prendre des vacances. j) Les « distanciés »ou les « prudents » Sous ce terme, nous rangeons les salariés qui s’efforcent de faire leur travail correctement mais constatent vite qu’il ne sert à rien de faire du zèle et qu’ il vaut mieux se tenir tranquille, se reposer et épargner sur son salaire. La plupart des travailleurs étrangers sont dans ce type de rapport au travail, qu’ils soient en contrat O.M.I. ou non. Ils constatent d’abord que le rythme du travail est très acceptable, surtout pour les G.E. Ceux-ci ne sont tenus qu’à six heures trente de travail par jour. Certains sont même déconcertés par cette brièveté du temps de travail. Les Turcs par exemple qui, dans les villages de leur pays travaillent onze heures par jour et sont soumis à des exigences beaucoup plus fortes de la part de leur hiérarchie trouvent leur travail facile bien que le temps libéré sans les moyens de l’occuper aurait tendance à les angoisser. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 26 « Pendant mes temps de repos, je ne fais rien, je dors, je joue aux cartes. Je ne sors pas trop…Je m’ennuie énormément. Je préfère être occupé au travail. On a un jour de repos par semaine, je fais toujours la même chose : dormir, jouer aux cartes, dormir. C’est stressant. » En raison du contrat O.M.I. ils ne peuvent être que G.E. quelles que soient les responsabilités qui sont les leurs. Ils seraient prêts à en faire beaucoup plus mais ils comprennent assez vite que pour eux, le principal intérêt du séjour en France est d’ordre salarial. Cela, les Marocains et les Tunisiens qui viennent dans les Alpes depuis de nombreuses saisons l’ont bien intégré à leur pratique. Ceux qui sont bénéficiaires du protocole d’accord de 1983 pourraient progresser dans la hiérarchie et devenir G.O. Tous ceux que nous avons rencontrés s’y refusent. En étant G.O. ils seraient relativement moins bien payés et devraient passer plus de temps avec les clients. Ils préfèrent garder ce temps pour se reposer quitte à trouver cette inactivité pesante. En effet, pour les personnes qui sont loin de leur famille, les excès de temps libre font ressentir davantage la solitude. La plupart des salariés étrangers du Club venus du Maghreb ou de Turquie disent souffrir de l’éloignement de leur famille. Certains Européens séparés de leur compagne ou de leur compagnon ressentent aussi fortement cet éloignement. Un jeune étranger européen qui en est à sa quatrième saison en station regrette de ne pas pouvoir travailler avec sa copine car certains chefs de village sont hostiles à l’emploi de couples, craignant que ça les empêche d’être disponibles. Pour ceux qui sont seuls et qui n’aiment pas le ski ou les activités sportives que peuvent proposer les stations de montagne, la brièveté des journées de travail n’est pas vécue comme un avantage appréciable. Les G.O. bénéficient de forfaits de ski à des prix très intéressants alors que les G.E. doivent payer le même prix que les touristes. La vie en station est aussi très chère et décourage les amateurs de sorties et de shopping. Les gens sont souvent renvoyés à eux-mêmes et à leur village. Les sorties se font entre salariés du Club. Ceux qui trouvent le plus facilement leur équilibre sont ceux qui ont un conjoint ou une compagne à proximité. Certains amateurs de ski et de surf disent aussi le pratiquer mais au bout de quelques saisons, cet « avantage » perd de son charme. Pour les Maghrébins également, le séjour en station est vécu comme un mal nécessaire qui permet de garder son emploi et d’améliorer son niveau de revenus. Leur stratégie est de se limiter à ce qu’ils ont à faire et de vivre entre eux pendant leur temps de loisir pour passer le temps sans trop dépenser. De ce fait ils ont peu de contacts avec la clientèle. Certains Français parmi les anciens du Club ont aussi cette attitude. Ils sont un peu las des sorties et des fêtes et ne se sentent plus en phase avec leurs jeunes collègues. Ayant un peu ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 27 plus de moyens et étant souvent motorisés, ils essayent de s’éloigner des stations pendant leur temps de loisir pour ne pas retrouver l’ambiance village. k) Les impliqués Dans cette catégorie on trouve aussi bien des G.O. que des G.E. effectuant un travail de service ou d’entretien. L’implication est motivée soit par un désir de faire carrière au Club ou tout au moins de progresser dans la hiérarchie, soit par un intérêt pour le travail lui-même, que cet intérêt s’ancre dans le contenu même du travail ou relève d’une stratégie consistant à se former au Club dans certains types d’activités pour aller ensuite les exercer ailleurs. Certains de ces salariés impliqués pensent avoir le potentiel pour progresser dans la hiérarchie. Pour certains d’entre eux, il y a déjà eu une progression significative depuis la première embauche. Cette progression est due quelquefois à un niveau de compétences initial bien supérieur à ce qu’exigeait le poste occupé. Ainsi une personne diplômée d’une école supérieure de commerce d’un niveau bac + 5 a été embauchée comme employé à l’entretien des chambres ; deux mois et demi après elle était mutée dans un autre village comme « aide gouvernante » avec le statut de G.O. Ce qui lui importait initialement c’était de quitter son statut de demandeur d’emploi en prenant le premier poste disponible. Aujourd’hui elle se trouve dans une situation qui lui permet d’ambitionner une forte promotion à l’intérieur du Club et pouvoir travailler au siège. Le diplôme est incontestablement un atout important pour progresser dans la hiérarchie interne. Tous les salariés diplômés que nous avons rencontrés étaient assez vite parvenus à des postes de responsabilité. Pour les non-diplômés, c’est un peu plus difficile. Il faut faire la preuve de son implication et de ses compétences. Une jeune fille engagée comme employée à l’entretien des chambres se montre à la fois très impliquée dans son travail et en même temps très attentive à signaler qu’elle a d’autres capacités. Estimant avoir une belle voix, elle a pu, bien qu’ayant un statut de G.E. participer à plusieurs animations artistiques. Elle ambitionne un poste qui la mettrait plus en contact avec la clientèle et lui permettrait d’exprimer son goût et ses aptitudes pour le travail relationnel. « Si je ne suis plus femme de chambre, j’aimerais bien travailler au Club en tant que commun du soir parce que j’adore parler avec les gens…Au Club, ils seraient plus gagnants s’ils me mettaient en contact avec la clientèle parce que là, j’assure vraiment. » Un homme de plus de 30 ans, peu diplômé mais expérimenté compte sur son sérieux et sa compétence qui tranchent dit-il avec « l’amateurisme de ses jeunes collègues » pour parvenir à un poste de responsabilité dans le secteur de l’économat. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 28 L’implication est parfois liée à des objectifs externes à l’entreprise. Une jeune étudiante en tourisme dans son pays dit qu’elle parvient à conjuguer l’implication dans son travail et son intérêt personnel sans avoir envie pour autant de rester au Club. « J’utilise le Club et je travaille pour le Club. En l’utilisant, tu travailles mieux. Ton travail, c’est faire du contact avec les G.M. Il faut faire de la présence. Ici, si tu n’aimes pas, tu pars. C’est l’avantage ! Ils se fichent de ce que tu penses. » Un jeune dont les parents sont propriétaires d’un camping constate que, grâce à ce qu’il a appris au Club à travers plusieurs métiers, il est devenu très performant quand il intervient en gestion ou en animation dans l’entreprise familiale. « Ce qui fait l’intérêt de ces emplois pour moi c’est de découvrir des choses que je ne connaissais pas, découvrir le monde professionnel, celui du tourisme surtout pour savoir si c’était ma branche. C’est mon choix. J’ai fait un B.T.S dans le but de reprendre l’activité de mes parents. L’été, je travaille avec mes parents et je suis salarié par eux. Le travail au Club m’aide énormément pour travailler avec mes parents, ça me donne du professionnalisme dans mon travail. Comme ici, je fais le spectacle devant 500 personnes le soir, j’apprends à parler très clairement, la scène ne me fait plus peur. ça fait partie des plaisirs et des compétences que je mets à profit pour mes parents au camping ». Dans cette catégorie des « impliqués » il y a aussi des déçus qui pensent que leur niveau d’implication dans le travail n’a pas été payé en retour. Pour les G.E. c’est lié à la déception de ne pas avoir obtenu la promotion souhaitée. Pour les G.O. c’est souvent lié au contenu du travail luimême qui se renouvelle peu et se fait assez vite lassant : « Au bout d’un moment, on ne délire plus au spectacle. J’en ai marre de faire les répétitions. Le spectacle devient chiant…les mêmes spectacles sont répétés toutes les semaines ». D’autres sont frustrés de ne pas avoir pu exprimer leur talent, se jugeant trop innovants et trop créatifs pour le Club auquel ils reprochent de vivre sur ses acquis en matière d’animation et de spectacle en particulier. «J’ai pas pu donner des cours de danse. Je suis un peu frustré…Au Club, on reste dans un cercle fermé. C’est un cocon, les gens sont protégés, le boulot est un peu mâché…ils se mettent trop facilement dans une routine…Le problème, c’est qu’on te donne pas assez d’initiatives. Il n’y a pas de nouveaux spectacles, ça me semble un peu bloqué ! » La politique du Club qui consiste à faire tourner les salariés sans chercher à les fidéliser l’amène sans doute à se priver de certains talents qui ont besoin d’un minimum de temps pour s’épanouir ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 29 et se faire reconnaître. De ce fait, même si les effectifs se renouvellent à un rythme rapide, le Club n’intègre pas dans sa mémoire les nouveautés que certains salariés de passage ont pu apporter et se fonde avant tout sur ses acquis de l’époque Trigano qui ont fait alors sa réussite. Il y a là un risque de sclérose que certains salariés déçus perçoivent assez clairement. 5.2 Spécificités du travail saisonnier Le travail saisonnier est beaucoup moins dur au Club que dans la plupart des petites entreprises d’hôtellerie et de service que nous avons déjà pu voir au cours de l’enquête de 2003 sur les stations de la Tarentaise. Le personnel semble suffisamment nombreux pour ne pas être débordé et les horaires de travail sont limités, tout au moins pour les G.E. qui font 35 heures hebdomadaires. Les représentations du travail sont plus ambiguës pour les G.O puisqu’il consiste en partie à être en relation avec les clients, ce qui les amène à passer du temps auprès d’eux en dehors des heures qu’ils doivent consacrer à leur stricte activité. Certains G.O. estiment que c’est une contrainte et essayent de limiter leurs contacts avec la clientèle alors que cette même activité de contact avec les clients n’apparaît pas toujours comme un véritable travail pour les G.E : « Eux, leur travail, c’est plutôt cool ! Nous, on est actif toute la journée. On fait chacune 21 chambres par jour. Des fois, on a peur de tomber dans les pommes au boulot. Attends ! j’ai une salade dans le ventre ! Avec le travail qu’on abat ! Moi, c’est plutôt les G.O que je laisserais crever de faim parce qu’ils ne font pas grand-chose quoi, à part discuter et boire des verres gratos ». Ceux qui ont l’expérience du travail saisonnier dans un autre contexte apprécient les temps de repos que permet l’application des 35 heures. Ainsi cette G.O. qui a eu auparavant l’expérience du travail en station chez un tour operator britannique qui imposait des conditions de travail très difficiles : « L’hiver dernier, j’ai travaillé dans une société anglaise. J’ai fait trois semaines, c’était horrible ! On n’avait pas de relations avec les clients. On ne voyait que les enfants. Je voulais faire du ski, on m’a envoyée à la cuisine. Il n’y avait pas d’eau chaude, des travaux pendant tout le séjour. » En dehors de cette question du temps de travail qui est à l’avantage des salariés du Club, les inconvénients du travail saisonnier rencontrés ailleurs existent aussi dans cette entreprise. Aux dires des uns et des autres, ces inconvénients sont moins liés au travail saisonnier en luimême qu’aux particularités du travail en station hivernale. De manière générale, les salariés interrogés n’aiment guère les saisons hivernales et la vie en station. Beaucoup disent préférer la mer à la montagne et les saisons d’été aux saisons d’hiver même si le travail est plus intense pendant l’été. Selon certains, la clientèle n’a pas les mêmes ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 30 attitudes pendant l’hiver que pendant l’été. Beaucoup disent que l’été, les G.M sont plus décontractés, plus conviviaux. L’hiver, comme le dit un G.O. interrogé, « ils viennent pour bouffer du ski…ils sont crevés et chiants. » Les salariés interrogés à Tignes et aux Deux Alpes expriment sur le travail en saison hivernale le même point de vue que les saisonniers interrogés en 2003 dans les stations de la Tarentaise. La vie est chère dans les stations, les tentations de sorties sont nombreuses et les économies en fin de saison difficiles à faire. Une fois déduits les frais de nourriture et d’hébergement il ne reste à un G.E. que 800 Euros en fin de mois environ. C’est beaucoup pour les salariés étrangers déterminés à venir en France pour faire des économies, c’est relativement peu pour les jeunes Français plus attirés par les loisirs mais qui doivent aussi vivre le reste de l’année dans un pays où le niveau de vie est relativement cher, avec quelquefois des difficultés à trouver un autre travail saisonnier ou à bénéficier pleinement des ASSEDIC. Que ce soit au Club Med ou ailleurs, la condition de saisonnier garde ses inconvénients qui dissuadent beaucoup de personnes d’envisager l’avenir dans ce type d’activité. « Je pense qu’il est possible de faire toute une carrière professionnelle en tant que saisonnier. Pour moi, c’est possible et financièrement, ça peut être intéressant. Mais le gouvernement ne le permet pas. Si je veux acheter une voiture, les banques ne me suivent pas parce qu’elles ne savent pas comment se projeter sur mon avenir dans six mois. Dans les métiers saisonniers, moi je suis sûr de toujours travailler. Mais je pense le faire jusqu’à mes 25 ans…Encore deux ans pour apprendre le métier…Après je m’installe. » La contradiction entre la persistance d’une offre importante de travail saisonnier et la difficulté de trouver une véritable sécurité et stabilité dans ce type d’activité diminue les possibilités de trouver des salariés pouvant être intéressés par ces métiers pour s’y investir durablement. 5.3 Evaluation et suivi des compétences Les critères d’évaluation des compétences et de promotion demeurent flous pour les salariés. Bien qu’ils soient évalués par leur chef de service, ils ont l’impression que l’avis des clients compte beaucoup. Plusieurs G.O interrogés dans le cadre de cette enquête pensent qu’il serait essentiellement tenu compte de ce que dit la clientèle. Celle-ci est en effet invitée à remplir un questionnaire en fin de séjour sur l’appréciation des services dont elle a bénéficiés de la part des divers intervenants. Pour les G.E. c’est en principe le chef de service qui évalue le travail de ceux qui dépendent de lui. Beaucoup de salariés ont l’impression que tout ceci reste aléatoire et arbitraire. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 31 « Le chef de service regarde juste les retours du client, pas la propreté. L’évaluation n’est pas très importante. Il faut dire que les jeunes n’ont pas de conscience professionnelle. C’est aberrant. Je ne sais pas comment ils évaluent. Le clients sont gentils ! Le travail est mal fait. Le contrôle doit être plus suivi. Je suis déçue. » (G.E. + de 30 ans) « Si tu connais quelqu’un, si tu es pote avec un chef, si tu « frottes la manche » du chef de village…ça aide. » (G.O. moins de 30 ans) Un G.O. ressources humaines confirme cette tendance à la promotion par copinage, même si ce n’est pas le seul critère. « L’évolution, ça joue sur beaucoup de facteurs : la compétence, la sympathie avec l’affecteur ; ça marche beaucoup par copinage. C’est pas objectif. Faut passer le cirage ! » A la base, les impressions sont encore plus négatives, notamment lorsque les personnes s’impliquent dans le travail en espérant avoir une promotion. « En général, c’est à la tête du client, ça dépend si le chef de service t’aime bien ou pas. De toutes façons, c’est toujours le chef de service qui a le dernier mot…Il faut balancer ou faire des courbettes. Ils aiment les gens comme ça. Ceux-là, ils avancent vite. C’est ça le Club Med ! »(G.E.) L’absence d’objectivité dans les évaluations et les promotions favorisent les soupçons de « copinage » et laisse la place à des rumeurs invérifiables au sujet de discriminations raciales qui seraient pratiquées dans les promotions. « J’ai pas les mêmes chances d’évoluer que les autres. Lors de la saison hiver 2003, un gars qui était avec moi, il était français, a été promu assistant de stage. Il savait rien faire. J’avais un meilleur rapport que lui ! Moi, on m’a dit qu’il fallait deux ans. »(G.E. d’origine non européenne) Ce qui est certain c’est qu’une bonne relation avec le chef de service reste la base de la promotion pour les G.E. Cette bonne relation ne résulte pas forcément d’un travail de « fayotage » mais peut tout simplement reposer sur la qualité du travail du G.E bien prise en compte par son chef. « J’ai la chance d’être dans un bon service. L’économe est bien ! Je fais un travail de qualité qui est reconnu. On me met en formation. Y a rien à dire. Bravo ! » (G.E. + de 30 ans). Concernant les G.O. les « affecteurs » qui suivent les G.O. peuvent les aider et la relation avec eux est donc précieuse. Mais ce sont les chefs de village qui évaluent la qualité du travail des G.O. en s’appuyant entre autres sur les impressions formulées par la clientèle au sujet du travail de ces derniers. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 32 Selon les dires de certains G.O. interrogés, il faut argumenter pour faire reconnaître la qualité de son travail et même parfois pour éviter de subir une injustice. « A la mi-septembre, j’étais épuisée. Mon chef de service voulait me garder. Je n’ai pas accepté de prolongation. Je n’ai pas rompu mon contrat mais ça a été mal perçu par mon chef de village qui me marque à la fin de mon évaluation : très bonne G.O mais dommage, on ne peut pas compter sur elle parce qu’elle n’est pas capable de finir une saison. Alors que j’étais malade, je m’étais choppé une bronchite. J’ai appelé mon affectrice après cette évaluation. Elle me dit : je suis pas sûre qu’on fasse appel à toi de nouveau. Tu veux quitter le village alors qu’on a besoin de toi. J’ai dû expliquer oralement, par téléphone que j’étais malade, épuisée que je ne pouvais pas finir la saison…Si je ne m’étais pas défendue, je ne serais plus au Club Med aujourd’hui. Maintenant, je sais qu’il y a des G.O. qui ont de mauvaises évaluations et qui repartent quand même en village. Donc je ne sais pas maintenant comment les évaluations sont prises en compte. (G.O. plusieurs années d’ancienneté) A l’analyse de cet exemple, il apparaît que le travail se fait toujours en flux tendu et que la disponibilité des gens est un critère aussi important que la qualité de leur travail. Les besoins de « remplissage » déterminent le choix des chefs de village. La politique salariale du club ne semble pas non plus très claire à tous et peu incitatrice à prendre des responsabilités. « Maintenant, je ne sais pas qui recrute. Mais je vois arriver des gens au village que je n’aurais pas recruté : quand on sent l’alcool, quand on a l’air de fumer des joints, quand on ne prend pas soin de soi... »(G.O. origine européenne) « Il y a des choses que je ne comprends pas très bien ici. On est mal payé par rapport à l’ancienneté, au niveau de responsabilité. Certains avancent très vite et sont mieux payés tout de suite. Je ne sais pas pourquoi. »(G.O. origine non européenne) A l’instar des G.E. qui refusent de passer G.O. pour être moins impliqués on constate que beaucoup de G.O. ne veulent pas devenir chefs de service pour éviter d’avoir à assumer des responsabilités trop lourdes en échange d’une gratification salariale insuffisante. Si le travail au Club apparaît depuis l’origine comme une sorte de « vocation », elle implique des gratifications affectives que les gens ont longtemps trouvé dans l’ambiance de plaisir et d’insouciance dans laquelle ils baignaient. Aujourd’hui les problèmes financiers font que cette ambiance a perdu beaucoup de sa réalité. Alors on observe chez ceux qui veulent « durer » au Club des stratégies d’implication « a minima » et un turn over accru chez ceux qui persistent à confondre le travail avec les vacances. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 33 5.4 Différenciation G.O./G.E l) Une différenciation accentuée par la catégorie du village La différence de statut entre les deux villages apparaît, après analyse des entretiens, comme un élément important qui joue sur les relations entre G.E. et G.O. ainsi que sur l’ambiance générale dans le travail, manifestement plus décontractée dans le « 2 tridents ». Sans généraliser ce constat qui ne porte que sur la comparaison entre deux villages, il paraît utile de la mettre en évidence. Les conditions d’hébergement du personnel sont par exemple légèrement différentes entre les deux villages. A Tignes, plusieurs personnes sont logées à l’extérieur du village. Aux Deux Alpes, les G.O. sont dispersés dans le bâtiment parmi la clientèle alors que les GE sont pour la plupart concentrés au 9e étage en chambres de deux ou trois occupants, cet étage étant symboliquement appelé « la souricière » par le personnel. L’originalité du Club Méditerranée tient à une hiérarchisation des tâches qui entraîne l’existence de statuts différents. Les G.O. sont considérés comme le « plus » qu’apporte le Club par rapport à ses concurrents. Comme le rappellent plusieurs personnes aux sièges, c’est un statut et non un métier. Un responsable du recrutement précise même que « G .O. c’est une vocation ». Les G.O. sont donc censés outre le travail qui leur est demandé, être en contact avec la clientèle et participer à l’animation en soirées, quelle que soient les compétences qu’ils ont par ailleurs. Ils doivent manger à la table des G.M. et se montrer à l’écoute de leurs attentes. Pour une durée de travail souvent plus longue, ils sont légèrement moins payés que les G.E. Ils ont par contre des avantages matériels nombreux. Ils prennent leur repas en même temps que la clientèle et mangent la même chose que celle-ci. Ils ont accès à tous les équipements et à toutes les animations proposés à la clientèle, de même ils peuvent voyager, bénéficier des excursions. Les G.E. quant à eux ne bénéficient d’aucun de ces avantages matériels et leur principale critique dans les deux villages porte sur la nourriture. Ils mangent à « la famille », c’est-à-dire dans une partie de la salle à manger qui leur est réservée, selon des horaires peu pratiques, toujours avant la clientèle. Ils doivent dîner le soir à 18h30. A l’exception de certains étrangers, habitués chez eux à un régime alimentaire peu varié, tous se plaignent de manger toujours la même chose : steaks frites à tous les repas et en quantité insuffisante selon eux. Certains accusent la cuisine de leur servir les restes que la clientèle a laissés. « Le pire ici, c’est la bouffe. C’est toujours la même chose et elle est dégueulasse. La bouffe ici, c’est un truc de malade. Exemple, aujourd’hui, ils font des pâtes à la bolognaise. Nous, ils nous donnent les restes le lendemain. Là dessus, c’est grave ! »… (G.E. moins de 30 ans) Cette différence de traitement au niveau des repas vient renforcer le sentiment de discrimination au travail que les G.E. éprouvent par rapport aux G.O. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 34 Certains rapportent des propos de G.O. qui considèreraient les G.E. comme des « cas sociaux ». La différence de statut et les frustrations qu’elle entraîne sont ressenties de façon différente selon les individus et les villages. A Tignes, les G.E. ne doivent pas être en contact avec les clients et n’ont pas accès aux équipements utilisés par ceux-ci. Ils ne peuvent se trouver au bar ni assister aux animations destinées à la clientèle. Aux Deux Alpes, ce n’est pas le cas. Certains G.E. participent même à l’animation et les relations qu’ils ont avec les G.O. sont de nature plus conviviales. Plusieurs d’entre eux font état de sorties en commun avec les G.O. La différence entre G.O. et G.E. peut donc être accentuée d’un village à un autre en fonction du niveau de standing (4 tridents, 2 tridents) ou en fonction de la gestion locale du personnel. Plusieurs entretiens soulignent la responsabilité des chefs de village dans l’accentuation ou l’atténuation des distinctions matérielles et symboliques entre G.E. et G.O. m) une différenciation avant tout symbolique Les G.O. étant bénéficiaires de cette différence l’évoquent rarement. Un G.O en première saison, assez atypique par rapport aux autres parce que plus âgé et plus expérimenté se dit toutefois choqué de la coupure existant entre les deux catégories. « J’aime pas la façon dont on les traite (les G.E), Ici, ils sont sous terre à tous points de vue, au propre comme au figuré. Ils ont toujours dans leurs yeux un sentiment d’infériorité. Des fois, ils vouvoient même les G.O, ça me dérange, on est dans la même équipe, dans la même direction….c’est pas parce qu’il est plongeur qu’il est inférieur. » (G.O. plus de 30 ans) Pour les jeunes G.E, en particulier ceux qui viennent de milieux sociaux déjà stigmatisés, ce renvoi à un statut dévalorisé vient réactualiser un sentiment de différence souvent mal vécu. « Les G.O. ne nous calculent pas, ils nous ignorent…Même un G.O. qui sort avec des G.E. se fait convoquer et tirer les oreilles. » (G.E. origine non européenne). Bien que la plupart des G.E. interrogés disent que leur travail ne présentent pas de pénibilité particulière, certains ont tendance à interpréter le sigle qui les désigne comme les initiales de « gentil esclave ». La frustration qu’ils ressentent au niveau de la nourriture les amène aussi à désigner les G.M. comme les « gentils mangeurs ». Cette séparation entre les deux catégories de salariés plus ou moins forte selon les villages peut entraîner des incidents sérieux comme le rapporte un G.O. rencontré lors de cette enquête à propos d’un événement survenu dans un autre village où il était en poste auparavant. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 35 « Ici, il n’y a pas trop l’idée de clan automatiquement. Mais dans d’autres villages, il y a les G.O. et les G.E. séparés avec beaucoup de tensions….Là-bas, en tant que réceptionniste de nuit, j’ai eu l’occasion de séparer des G.E. qui se battaient avec des G.O. il y a des phénomènes de jalousie. L’accès au bar est interdit aux G.E ». Pour les G.E. étrangers, plus âgés et plus familiers de la culture d’entreprise du Club, la différence entre G.E. et G.O. n’est pas ressentie de la même manière. Un G.O. non européen dit même ne pas en connaître la signification. Certains ont choisi de rester G.E. pour disposer de plus de temps pour eux et éviter le contact avec les G.M. Leur motivation étant avant tout financière, ils sont peu attentifs au prestige et aux gratifications symboliques. Comme beaucoup ne pratiquent pas le ski et sortent peu, ils n’envient pas les avantages qui sont ceux des G.O. sous cet angle là. Les Français plus âgés qui se retrouvent G.E. ont aussi une attitude assez détachée par rapport à la différence de statut. Il y a ceux qui n’envisagent pas de revenir au Club et qui cherchent un travail assez tranquille. Certains perçoivent qu’il peut y avoir des avantages à rester G.E. à condition que ce soit dans un poste qui laisse une certaine autonomie. Le travail à l’économat par exemple paraît intéressant de ce point de vue tout autant que pour le contenu même du travail. D’autres qui pensent avoir des potentialités importantes en raison de leurs diplômes et de leur expérience acceptent d’être recrutés comme G.E. en sachant qu’ils pourront évoluer assez vite vers des fonctions comportant plus de responsabilités et de qualifications. 5.5 La Club Med attitude : entre mythe et mystification ? La Club Med attitude, est une signature, un style, une déclaration qui avec humour reprend les « dix commandements » 4 adressés aux futurs G.O. Elle fait partie des grands mythes du Club Méditerranée. C’est une attitude qui caractérise à la fois le don de soi, l’imagination, le respect de l’autre, des qualités intériorisées considérées par certains comme naturelles. « Il faut être sûr de ce que tu veux. G.O : tu l’as en toi, tu n’as pas de temps pour toi, tu peux pas te forcer. Soit tu aimes, soit tu aimes pas ! Si tu aimes pas, il vaut mieux pas. Il n’y a pas que le relationnel. Il faut avoir l’esprit Club Med, on voit très vite qui est fait pour ça. Il y a des choses où tu peux pas te forcer. » (G.O. moins de 30 ans) Ce point de vue n’est pas partagé par tout le monde, loin s’en faut. Aux dires de nombreux salariés, nouveaux mais aussi anciens, la Club Med attitude relèverait d’une mystification et peu se mettent « naturellement » à l’entière disposition du client. 4 Les dix commandements de la club med G.O. attitude : « Respect, give, provide, help, initiate, build, imagine, discover, cre-activate, organize » ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 36 « La club-med attitude, ça me gonfle. Il faut se couler dans ce moule et c’est totalement faux. C’est un masque que la plupart des gens qui travaillent au Club enfilent mais qui ne correspond pas à la réalité. » (G.E. plus de 30 ans ) Même des salariés qui ont plus d’ancienneté et de responsabilité bien qu’en contact avec les clients abondent dans le même sens. « Moi, j’ai un problème par rapport à l’esprit Club-med, à cause de mon caractère : c’est le fait que le Club Med tu n’en sors pas. Tu es toujours en représentation, tu dois toujours être agréable avec tout le monde. C’est quelque chose qui me dérange. » (G.O. plus de 30 ans) Pour d’autres, ce n’est pas le caractère de l’individu qui peut créer de la gêne vis-à-vis de cette obligation d’hyper-convivialité envers les clients et les collègues mais c’est la culture à laquelle ils appartiennent. « Je ne veux pas plus de relations avec la clientèle. Ce n’est pas une attitude anglaise de rencontrer les gens, de les aborder. » (G.0. moins de 30 ans) Parmi les jeunes G.O qui ont connu une évolution positive en peu de temps et qui ont souvent des responsabilités, on observe une tendance forte à critiquer la Club-med attitude qui ne correspond plus selon eux à la réalité d’aujourd’hui. « On nous prend la tête avec l’esprit Club-med, la Club-med attitude mais il n’y a pas de Club-med attitude. C’est seulement une personne qui n’est pas fonctionnaire. Je n’aime pas le mot « esprit Club-med », ça va dire qu’on adapte notre personnalité au Club. On a l’impression que c’est une secte. » (G.O. moins de 30 ans) Même parmi les anciens qui disent avoir l’esprit Club-med, on note une réticence à s’exposer à trop de contacts avec la clientèle. « On m’avait proposé un changement de poste, j’avais refusé. C’était un poste de responsable restaurant, mais bon…. Par exemple, tu vas dans un restaurant classique, s’il n’y a plus de confiture de framboise, les gens ne disent rien. Ici, s’il en manque, le G.M. va voir le chef de village. Moi, les conneries comme ça, je ne supporte pas. Comme si la terre allait s’arrêter de tourner pour ça, ça devient indécent. » (G.O. plus de 30 ans, ancien au club) La Club Med attitude renvoie pour beaucoup à une époque révolue. Certains de ceux qui l’ont connu la regrettent. C’est en particulier le cas des salariés non européens pour qui l’époque heureuse du Club Med reste associée à la figure de Gilbert Trigano, archétype du patron bienveillant et sympathique. « A l’époque, c’était facile d’être recruté. Il suffisait de sourire, d’accueillir, d’être gentil avec les clients. On embauchait plus sur les qualités humaines que sur les ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 37 compétences….C’étaient les années Trigano : il y avait beaucoup de travail mais aussi des avantages : l’ambiance, l’amitié, le côté familial….Depuis la gestion est plus rigoureuse, plus dure, plus désincarnée. » (G.O. plus de 30 ans) Quant aux jeunes qui n’ont pas connu cette époque, ils pensent que la situation actuelle du Club ne lui permet plus d’être conforme à l’image qu’en garde encore le public. « On a une pression financière qui est telle qu’il n’y a plus de Club-med attitude… Il n’y a plus de plaisir à travailler. Les G.O. ont perdu le plaisir de travailler. Le Club, c’est devenu un travail comme n’importe quel travail. Et ça, les clients le ressentent. Les clients aiment le Club comme il était avant. Et c’est ça qui est grave… On peut être comparé à d’autres opérateurs du tourisme mais être comparé à sa propre image et sûr de ne plus faire le poids, ça tue le Club. » (G.O. moins de 30 ans) De ce fait, certains jeunes, parmi les éléments les plus performants n’envisagent pas une longue carrière au Club. « Je ne pense pas travailler toute ma carrière pour le Club car son évolution ne me plaît pas. Je n’aime pas la mauvaise pression qu’on nous met, ça devient du management à l’américaine… On m’a dit qu’on me verrait chef de village. J’ai dit : jamais ! »(G.O. moins de 30 ans) Certes la politique managériale du Club ne semble pas aller vers une fidélisation. La politique salariale n’est pas faite pour encourager les meilleurs à rester. L’immense majorité des salariés reste très peu de temps. Mais ceux qui démontrent à la fois des capacités professionnelles pointues et un investissement fort dans la vie de l’entreprise avec une profonde adhésion à ses valeurs représentent pourtant un capital. Les années « Trigano » qui préfiguraient l’utopie de la société des loisirs sont passées mais elles ont pourtant laissé au Club une identité qui lui est particulière et que les jeunes salariés performants et motivés n’ont pas de difficulté à partager même s’ils restent critiques vis-à-vis de certaines conditions de travail. VI - EFFETS INDUITS DE L’ORGANISATION ET DES PRATIQUES SUR L’ACCES AUX METIERS La « Club Med Attitude » telle une charte s’appuie sur des valeurs de respect des peuples et des cultures aussi bien que sur celui de l’environnement et du patrimoine. Elle exhorte à la générosité, l’ouverture sur le monde et proclame l’amitié et la solidarité. Signature du G.O. elle s’offre comme un préalable à l’entrée dans la « maison », voire pour certains dans le « sanctuaire ». Ces dispositions au « multiculturalisme » et à la « fraternité » se présentent a priori comme un atout de taille pour la prévention des discriminations liées à l’origine notamment et au sexe. Cependant au-delà des principes de non discriminations affichés par le club et 38 ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations reconnus par les salariés, nous nous intéressons aux effets induits des modes de recrutement et des conditions de travail sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi qu’entre des personnes d’origines différentes dans l’organisation du travail. Autrement dit, est ce que certaines dispositions, critères ou pratiques même apparemment neutres, sont susceptibles d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une origine, d’un sexe, d’un âge donné par rapport à d’autres personnes sans que ceux-ci soient objectivement justifiés et les moyens appropriés ? 5 6.1. Une absence de discrimination directe proclamée Le Club Méditerranée doit conforter son image internationale et le recrutement de personnes d’origines différentes va donc dans le sens de sa vocation et de ses intérêts. « Il faut savoir qu’on est plutôt favorable au mélange des nationalités. Le brassage multiculturel donne de la force au produit. » (GO, RH) Les autres personnes chargées du recrutement affirment ne jamais avoir découragé aucune candidature en fonction de considérations ethniques ou raciales. « Dans le milieu du tourisme, il n’y a pas de racisme. Une fois, j’ai eu quelqu’un qui m’a demandé si ce n’était pas un problème qu’il soit une personne de couleur. Je lui ai répondu : le problème, c’est surtout que vous êtes belge ! Il faut les rassurer, les mettre à l’aise. » A l’appui de cette non-existence de discrimination raciale à l’embauche, les personnes interrogées citent le cas de personnes d’origine étrangère qui ont fait toute leur carrière au Club et sont parvenues à des postes de responsabilité. Dans les villages, la très grande majorité des personnes interrogées, qu’elles soient G.E ou G.O, françaises ou étrangères, qu’elles soient ou non issues de l’immigration dit ne ressentir aucune discrimination sexiste ou raciste dans l’environnement professionnel connu au Club. Cela peut concerner les relations entre collègues, les relations avec la hiérarchie, la clientèle ou les possibilités d’évolution de carrière. « J’ai fait l’entretien à Nice. Ils ont essayé de voir si j’avais le sens du contact humain. Mes origines n’ont pas semblé poser de problèmes du tout. » (G.E. non européen), « Ici, c’est très mélangé et c’est très bien. »(G.O. d’origine non européenne), « Pour moi, avec les Français, on est au même niveau : Français, Marocains ou autres, c’est pareil au Club-Med » (G.E. non européen), 5 Directives RACE, 2000/43 ; Emploi 2000/78. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 39 « C’est très bien mélangé ici : on rigole entre nous, on se traite, mais c’est gentil. Les jeunes qui se disent victimes cherchent en fait à masquer des attitudes d’irrespect et à dissimuler leur incompétence. »(G.O. non européen). Les quelques cas de salariés qui se plaignent d’attitudes racistes de la part de leurs collègues ou de leur hiérarchie paraissent isolés et suspects de dissimuler ainsi leur incompétence. Tous soulignent plutôt l’ambiance très positive existant au Club sous cet angle là. Ceux qui constatent qu’ils ont peu de possibilités d’évolution à l’intérieur du Club ne considèrent pas que cela soit dû à leurs origines. « Je pense que mon âge, la langue et le fait que je n’ai pas été scolarisé me freine. Je ne pense pas qu’il y a par contre des discriminations sur ma race ou sur ma couleur. Je ne l’ai pas senti. Parce qu’il y a ici des noirs qui ont des postes à responsabilité. »(G.E. non européen). L’insistance sur le mélange comme signe de l’absence de discriminations correspond d’assez près à l’image que le Club s’efforce de donner de lui-même à ses salariés lors de l’embauche. Plusieurs salariés se rappellent du film qu’on leur a projeté quand ils ont été embauchés et qui montrait une équipe d’animateurs de différentes origines, symbole du cosmopolitisme du Club. Pour beaucoup un tel cosmopolitisme ne peut pas être compatible avec des attitudes de discrimination. « Je ne pense pas qu’il y ait au Club des raisons qui font qu’à un moment tu ne peux pas évoluer. Moi, je ne crois pas qu’il y ait de la discrimination parce qu’au Club, il y a vraiment de tout, toutes les origines, du Belge au Sénégalais. » (G. E. moins de 30 ans, non européenne). Pour d’autres, ce mélange est la garantie d’un esprit de tolérance et il est un facteur d’intégration : « J’aime cette ambiance cosmopolite…J’ai entendu parfois des blagues limites mais de la discrimination, je ne pense pas qu’il y en ait au Club Med. Moi, ce qui me marque, c’est qu’il y a beaucoup d’homosexuels qui travaillent ici et ils ont pu s’épanouir. Ici, c’est un creuset d’intégration. Aux Arcs, il y avait des marocains qui avaient trente ans de boîte. J’ai beaucoup discuté avec eux et je n’ai pas senti de discrimination. » (G.O. moins de 30 ans) Il semble que l’encadrement des villages se montre effectivement très attentif aux incidents à caractère raciste. Un G.O. d’origine non européenne dit avoir subi de la part d’un client une réflexion désagréable et il a obtenu immédiatement l’appui de son chef de service. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 40 « Il y a un Flamand dont j’ai oublié la commande. Il m’a dit : Non, mais on n’est pas en Afrique, ici ! Nous quand on va au Kenya, on s’adapte. Je suis resté calme. Je ne m’attendais pas à ça au Club. On m’avait dit qu’il n’y avait pas de discriminations. J’ai appelé mon chef qui est venu et qui lui a dit que s’il n’était pas content, il ne serait pas servi….C’est le seul cas que j’ai eu sur la saison. Le reste, c’est des clients énervés. » (moins de 30 ans) L’action de la direction du Club Med contre les attitudes ou propos à connotation raciste semble porter ses fruits. Il faut mettre à son crédit que les salariés appartenant à des « minorités visibles » ne se sentent pas en butte à des attitudes racistes et arrivent ainsi à faire la part de ce qui relève d’un mécontentement, légitime ou non, de la part du client et d’une attitude raciste. Le fait de se sentir dans un milieu professionnel qui affiche et affirme une éthique cosmopolite facilite la prise de distance qui pour beaucoup de jeunes d’origine immigrée n’est jamais très facile à faire. C’est un apport important pour les aider à s’intégrer au monde du travail. Le Club arrive en tout cas à une certaine efficience pour empêcher ses salariés étrangers ou issus de l’immigration de ressentir leurs origines comme un handicap par rapport à l’embauche et à la progression dans la carrière. Il leur assure aussi une certaine garantie de protection contre d’éventuelles agressions verbales de la part de la clientèle. 6.2 Des risques de discriminations directes La discrimination est aujourd’hui entendue, notamment par les conseils de prud’homme comme une inégalité de fait entre deux personnes en situation comparable en raison notamment de son origine, de son sexe. L’intention n’est pas nécessaire pour qu’il y ait constat de discrimination. Soit elle est directe parce qu’une personne ou un groupe de personnes sont traitées moins favorablement que d’autres en raison d’un critère prohibé par les différentes lois. Soit elle est indirecte parce qu’en dépit d’une apparence « neutre » une pratique, un critère, une disposition sont susceptibles de désavantager des personnes d’une origine, d’un sexe par rapport à d’autres. Lorsque des salariés sont orientés vers tel ou tel type de travail ou tel ou tel type de milieu professionnel en raisons de leur sexe ou de leur origine ce n’est souvent lié à aucune tendance raciste ou sexiste consciente. Il s’agit de s’inscrire dans une logique qui tienne compte des réactions potentielles de l’environnement professionnel, de la clientèle et même de celles du salarié lui-même. Il arrive d’orienter vers tel ou tel type d’emploi ou de secteur de travail et d’écarter de tel ou tel autre pour éviter à tel salarié de s’y sentir mal à l’aise ou rejeté. Quelles qu’en soient les raisons si un emploi, un poste, une formation, une rémunération sont refusés à une personne en raison de son origine, de son sexe ou de son apparence physique, il y a discrimination. Toute la jurisprudence actuelle va dans ce sens pour condamner un employeur qui, au nom de demandes vraies ou supposées de la clientèle, rejette une candidature ou fait obstacle à une évolution de carrière en raison de son origine ou de sa couleur par exemple. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 41 Comme nous l’avons vu, le recrutement est un recrutement « de masse » ayant pour but de constituer un vivier dans lequel les affecteurs pourront puiser afin de pourvoir les postes disponibles. Les critères qui amènent à refuser un candidat au niveau du recrutement sont de nature objective : le manque de disponibilité, l’absence de diplôme, le manque de certaines compétences linguistiques et pour les étrangers la situation administrative en termes de droit au séjour et au travail. C’est au niveau de l’affectation que des discriminations directes peuvent se glisser. L’affectation implique de tenir compte de l’environnement dans lequel va se retrouver le salarié. Comment réagiront ses collègues par rapport à lui ? Comment réagira la clientèle à partir de l’image que le salarié lui donnera de lui-même au premier abord ? Les responsables rencontrés au siège disent qu’ils ont parfois de la part des villages des demandes qui font référence à l’origine des candidats. Les G.M. font savoir qu’ils n’apprécient pas certains types de personnel même si les incidents directement racistes sont rares. Cela découle d’abord d’une certaine image stéréotypée du G.O. genre « play-boy ». « Les recruteurs hésitent à dire oui aux candidats quand ils n’ont pas une belle gueule. Des fois, ils se font engueuler par le chef de village juste pour ça. Ils veulent de belles gueules, l’archétype du beau G.O… » Face à cela, les responsables du siège conservent le pouvoir de décision mais peuvent-ils aller à l’encontre des demandes des chefs des villages ? Ils acceptent l’idée que pour certains emplois, le G.O. doit avoir une belle apparence. « C’est plus pour les G.O. qui font l’animation, quelqu’un qui est aux lumières par exemple. Il doit avoir une bonne apparence physique, être représentatif. C’est vrai quand le G.O. est seul dans son secteur.» S’il n’y a pas forcément discrimination raciale il y a déjà discrimination en raison de l’apparence physique. On peut être étranger ou descendant d’immigré et avoir certes une « belle gueule ». Tout dépend cependant à quoi se réfère précisément l’archétype du « beau G.O » et de quel type de beauté physique il doit être représentatif ? Symptomatiquement en effet la personne interrogée enchaîne de l’idée de la « belle gueule » souhaitée par la clientèle à l’idée de l’origine conforme aux attentes de cette même clientèle. « Au niveau des discriminations, ça arrive que les chefs de villages nous disent qu’il y a beaucoup de « Ben machin » et qui nous demandent de ne plus leur en envoyer…Les chefs de village n’aiment pas quand il y a trop de non-européens. » ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 42 Si l’affecteur suit ici les demandes du chef de village, il commet une discrimination en raison du patronyme. Ces supposés non-européens viennent quelquefois de la ville la plus proche des stations. C’est le recentrage sur le « local » qui favorise l’arrivée de jeunes Français issus de l’immigration non européenne. Le recrutement dans les grandes agglomérations du sud-est semble favoriser l’entrée dans le personnel du Club d’un « type d’ autochtone » qui ne correspond pas à l’idée que le client se fait de l’autochtonie alpine. « Le recrutement se fait de plus en plus localement et la clientèle n’est pas satisfaite avec que des autochtones. Les chefs de village nous disent gentiment qu’ils ont déjà des locaux et qu’ils veulent des « français-français »….Maintenant j’anticipe leur demande. Quand on n’a que des étrangers, le G.M. est perdu. » Les attentes de la clientèle à propos des origines du personnel et de l’image qu’il doit offrir sont relayées auprès des affecteurs par les chefs de village qui se préoccupent avant tout de la satisfaction des G.M. puisque c’est à partir de l’opinion de ces derniers qu’eux-mêmes et leurs G.O. sont jugés. Cette situation amène les affecteurs à en tenir plus ou moins compte. Cela ne signifie pas que les candidats d’origine non européenne retenus après recrutement ne sont affectés nulle part ou seulement dans des villages où ils seront ultraminoritaires. Nous avons rencontré au cours de nos enquêtes dans les deux villages assez de salariés aux origines et nationalités diverses qu’il ne semble pas que la prise en compte des désirs de la clientèle contribue à écarter de l’emploi certaines catégories de candidats. Néanmoins cela peut conduire à orienter prioritairement de tels salariés vers des emplois qui limitent leurs contacts avec la clientèle, ce qui expliquerait que la très grande majorité de ceux que nous avons pu interroger avaient un statut de G.E. Encore une fois, il s’agit d’une constatation faite à partir d’un échantillon aléatoire, simplement l’anticipation systématique des exigences, supposées ou réelles, de la clientèle pourrait entraîner des risques de discriminations directes. Nous rassemblons ci-après un certain nombre de constats étayés par les propos des personnes interrogées au siège et dans les villages et qui témoignent des risques de discrimination pour certaines catégories de salariés. 6.3 Regard sur les catégories concernées n) Les femmes On note peu de conscience de l’existence de discriminations liées au sexe. Il y a pratiquement autant d’hommes que de femmes parmi les personnes recrutées aux dires des responsables interrogés. Les possibilités d’accès aux responsabilités sont perçues comme à peu près égales pour les hommes et les femmes. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 43 Nous avons rencontré lors de nos enquêtes beaucoup de très jeunes femmes ayant obtenu assez vite des responsabilités importantes. « En tant que femme, je ne peux pas me plaindre. J’ai été responsable en trois mois. » (GO, RH moins de 30 ans). Ce sont toutefois des personnes très diplômées et qui ont le sentiment d’être assez vite au sommet de ce qu’elles peuvent attendre du Club. Il y a peu de femmes chefs de village. On peut expliquer cela par les contraintes familiales qui sont souvent plus durement ressenties par les femmes que par les hommes. Mais il y a aussi plus de difficultés pour les femmes à assurer leur autorité sur un ensemble aussi complexe qu’un village. « Si tu regardes le nombre de chefs de village femme, tu te rends compte qu’elles sont peu nombreuses. Est-ce que pour devenir mère de famille, elles arrêtent le Club pour se stabiliser ? Il faut que ce soit une femme avec énormément de poigne, sinon, elle va se faire bouffer. Si tu veux gérer les sports, c’est beaucoup d’hommes et ils sont plutôt machos. Donc c’est difficile pour une femme de devenir responsable de certains services. La difficulté des femmes, ça tient à ces deux éléments et au Club, c’est pas facile d’avoir une vie de famille. » (GO, RH moins de 30 ans) De ce fait après être arrivée à un niveau de chef de service, une femme a moins de débouchés possibles qu’un homme qui peut briguer plus facilement un poste de chef de village. Les emplois au siège ne sont pas extrêmement nombreux et ne garantissent pas forcément une progression régulière. « Les villages, pour moi, c’est terminé. En interne, on me propose un poste. A terme, c’est un poste évolutif dans la fonction R.H. Mais il faut garder les pieds sur terre au Club, pas faire de plans sur la comète. »(GO, RH, moins de 30 ans) Certains métiers en revanche sont beaucoup plus féminisés que d’autres. « Dans l’hébergement par exemple, il y a une forte proportion de « femmes » de chambre.. » Les métiers d’animation auprès des jeunes enfants apparaissent trop féminisés aux yeux d’une responsable, spécialiste de ces questions qui souhaiterait un meilleur équilibre dans la répartition des sexes. « Dans la petite enfance, on a 98 % de filles. Avec le peu de garçons qu’on a, on essaye d’en mettre au moins un par équipe. Que des filles dans une équipe c’est déséquilibré ! » Cette idée d’une meilleure répartition des sexes selon les métiers est partagée par d’autres. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 44 « Dans une équipe, ça doit être mixte. Or, j’ai connu des équipes où on était 70 % de filles. C’est vrai que le mini-club, pour les mecs, c’est un strapontin pour passer au sport, au bar et c’est ça que je reproche au recrutement…ça m’arrive de demander des garçons parce que cet été, je n’avais que deux garçons sur seize…Il faut les deux, une équipe de filles, c’est hyper-dur ». Même si personne ne parle de discrimination en raison du sexe au Club, on constate qu’à travers le recrutement et les affectations, on retrouve les effets des à priori sur les métiers masculins ou féminins, ces derniers n’étant pas les plus attractifs ni les plus propices aux promotions. o) Les étrangers Plus encore que pour les femmes, on constate que le personnel de nationalité étrangère est plus nombreux dans certains postes que dans d’autres. Tous les groupes d’étrangers sont majoritairement composés de GE. Certains sont pourtant G.O. dans les villages de leur pays d’origine et quelques uns occupent en France, avec un statut de G.E. des fonctions habituellement occupées par des G.O. Cette situation en apparence anormale relève des accords passés entre les directions G.R.H des pays de provenance de cette main d’œuvre et la direction de Lyon. Nous avons aussi observé au cours des enquêtes que certains de ces salariés étrangers s’étaient vu proposer de passer G.O. mais avaient refusé pour des raisons de convenance personnelle. Pour les étrangers en contrat O.M.I, l’intérêt de venir travailler en France n’est pas lié à un espoir de mobilité mais plutôt à des avantages salariaux. Le personnel en provenance de Turquie, par exemple, voit son salaire augmenter de 25 % pour un travail avec des horaires beaucoup moins longs et contraignants. Au niveau du siège comme au niveau des villages, on apprécie beaucoup cette main d’œuvre étrangère expérimentée et discrète qui se ne se mêle pas aux jeunes saisonniers français dans leurs activités festives et fait preuve de beaucoup plus de conscience professionnelle. Certains responsables, sans parler pour autant de discrimination, admettent qu’il s’agit d’une population qui n’a pas les mêmes chances que les autres en matière de carrière au Club bien qu’elle représente une chance pour le Club pour palier les pénuries de personnel compétent dans certains métiers. « Il faut répondre à la pénurie de main d’œuvre dans la restauration. Il y a des enjeux sociaux en Turquie, donc ça colle avec notre besoin. On essaye de pas les perdre. C’est sûr que ces gens là évoluent peu à l’intérieur du Club. Mais ils ont un intérêt salarial évident. » Les enquêtes réalisées en village confirment la bonne image des salariés turcs qui, selon les responsables sur place « tirent le niveau vers le haut ». Toutefois, nous avons pu constater que tous ne se contentaient pas de l’intérêt salarial qu’ils peuvent avoir en travaillant en France et que certains, en particulier parmi les jeunes les plus qualifiés, attendaient une certaine progression dans leur carrière ou au moins une amélioration de leurs compétences. Si les plus anciens se ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 45 contentaient de leur situation, quelques jeunes déclaraient ne pas vouloir se porter candidats pour une autre saison. Pour certains, le contrat O.M.I. offrait d’abord une possibilité de venir légalement en France, ce qui permettait de prendre des contacts en vue d’une éventuelle recherche d’embauche dans un secteur plus intéressant. Selon les responsables du siège, cette limitation du personnel étranger au statut de G.E n’est pas due à l’origine mais plutôt au statut de travailleur saisonnier sous contrat qui limite les possibilités de progression dans la carrière. « Au niveau de l’égalité des chances dans l’évolution de carrière, on peut pas dire qu’il y ait discrimination, ça dépend aussi de la mobilité des personnes : un Marocain qui a son titre de séjour en France aura plus de facilités à évoluer qu’un Marocain du pays. Il y a des chefs de service ou des chefs de village d’origine marocaine. » Cette immobilité dans l’emploi s’accompagne d’une absence de formation. « J’ai pas eu de formation au Club. J’ai pas demandé non plus à en avoir. Je ne suis pas intéressé. » La situation des salariés étrangers non européens étant donné toutes ces raisons s’avère, dans les faits moins favorable que celle des salariés de l’union européenne bien que cette discrimination soit le produit de contrats validés par l’Etat. Les compétences qui leur sont reconnues tant par leurs collègues que par leur hiérarchie ne leur offrent guère de possibilités de promotion. Si eux ne s’en plaignent pas, d’autres s’en indignent à leur place. « Les Turcs chez eux en Turquie font le service, ils sont G.O. Ils arrivent ici en chambre en tant que G.E. C’est la France ! Ils font du travail du tonnerre. Ils ne se plaignent pas. » (G.E.+ de 30 ans, origine Union Européenne) Ajoutons cependant qu’un récent accord d’avril 2004 vient d’être signé entre la direction du club, l’UITA et l’EFFAT relatif au respect des droits fondamentaux au travail à la mobilité des salariés (personnel de service GE) de la zone Europe Afrique. Cet accord prévoit notamment les conditions de mobilité des personnels de services et celles du respect des droits fondamentaux des salariés. p) Les personnes issues de l’immigration non européenne ou supposés tels La difficulté d’embaucher et d’affecter les jeunes Français issus de l’immigration notamment maghrebine est soulignée par plusieurs responsables rencontrés. Pour certains, ce ne sont pas les origines de ces jeunes qui font obstacle à leur embauche mais plutôt, leur aspect vestimentaire, leur comportement, leur langage. C’est le type « jeune de banlieue » qui pose problème, quelles que soient ses origines. Un G.O. R.H. égrène un certain nombre de qualifications négatives qui correspondent d’assez près aux « jeunes de banlieue » sans mentionner leurs origines : ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 46 « (J’écarte) les jeunes des missions locales car ils sont souvent moins matures et ont besoin d’un suivi rapproché ; ils ne peuvent pas partir en station comme ça tout de suite, les jeunes qui ont un comportement qui ne correspond pas, qui ne savent pas parler, qui ont une casquette. » D’autres sont plus explicites à propos de cette catégorie de population qui est moins redoutée en raison de son inaptitude par rapport au travail demandé qu’en raison de son comportement avec les collègues de travail ou avec la clientèle. « Il y a quelques heurts en village avec les garçons d’origine étrangère, ils traitent les filles comme des moins que rien….Leur langage ne passe pas. En général, avec ces gens là, il n’y a pas de soucis au travail….Le problème, c’est dans la vie du village. Ils ont des discussions ou des propos qui font pas bien avec les G.M des trois et quatre tridents. Le cas des jeunes Français d’origine étrangère est difficile. » Le Club n’écarte pourtant pas systématiquement les jeunes d’origine non européenne. Au cours de notre enquête dans les villages, nous en avons rencontré quatre : un garçon et trois filles d’origine marocaine, algérienne et comorienne. Aucun ne se plaignait d’avoir subi des discriminations en raison de son origine, même si certains ressentaient assez mal leur statut de G.E. Le recrutement se fait avec plus de prudence que pour d’autres catégories, il mobilise un partenariat avec des intermédiaires spécialisés. Un responsable des ressources humaines rappelle qu’il est dans la vocation du Club d’accueillir cette population. « J’ai tenté des actions avec la mission locale qui s’occupe notamment des personnes d’origine maghrébine. Ce n’est pas une volonté de notre part d’intégrer spécifiquement cette population mais ça se fait automatiquement. On est pluriculturels. » En fait, les difficultés rencontrées avec cette population ne sont pas analysées en termes de culture ou d’origine mais en termes de milieu social. Les jeunes d’origine non européenne constituent un miroir grossissant des défauts attribués en général aux « jeunes de banlieue », appartenant à des milieux défavorisés et souffrant d’un déficit de socialisation qui se répercute sur leurs capacités à s’intégrer à un milieu aussi structuré et hiérarchisé que celui du travail et à s’adapter au contact avec une clientèle plus policée. « Avec les jeunes d’origine étrangère, il y a un problème de société, une perte des valeurs, le respect, l’écoute. Ce n’est pas un problème de valeurs dans leur culture mais un problème d’éducation. » (G.O. R.H.) ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 47 Au niveau de l’enquête menée dans les villages, peu de choses ressortent au sujet de cette difficulté spécifique qui serait la leur. Globalement, les responsables observent que beaucoup de jeunes salariés ne se comportent pas de façon sérieuse, ont des absences injustifiées, fument parfois des joints et manquent de tenue et de politesse vis-à-vis de la clientèle. Certains incriminent les « jeunes de banlieue » en général de statut G.E. « Il y a beaucoup d’absentéisme, de maladies plus ou moins justifiées…il y a des gens pas sérieux, des jeunes de banlieue dans les métiers de base, des gens qu’on récupère et qui sont pas trop….C’est une question d’hommes responsables. Il n’y a pas de problèmes avec la clientèle. Ils ont des problèmes entre eux. Il y a des sorties qui ne sont pas contrôlées. Ils fument des joints. » (G.O. R.H. ) Ces sorties ne concernent pas que les G.E. issus des banlieues, elles sont en accord avec l’esprit festif du Club qui invite ses clients et ses salariés G.O. à l’exprimer et le développer. Ce qui est mis en cause, c’est donc beaucoup plus le manque de motivation et de conscience professionnelle chez les jeunes salariés en général que des attitudes particulièrement asociales qui seraient propres aux jeunes issus de l’immigration non européenne. Les quelques jeunes Français d’origine maghrébine rencontrés au cours de cette enquête étaient pour la plupart en première saison. Ils étaient plutôt satisfaits de leur expérience au Club, soulignant qu’ils le voyaient comme un milieu professionnel favorable avec un fort espoir de promotion. 6.4 Du droit du travail aux « us et coutumes » q) Le respect du droit du travail Il est certain que le Club Méditerranée en tant que grande entreprise respecte mieux le droit du travail que beaucoup d’employeurs de salariés saisonniers qui profitent des difficultés de recours que rencontre en général cette catégorie de travailleurs et de la faible présence de l’inspection du travail dans la zone alpine pendant la saison hivernale. Le Club s’est retrouvé parfois sur la sellette pour des problèmes d’emploi de travailleurs étrangers en situation illégale recrutés par cooptation. Ceci lui a assez fait de tort pour qu’il soit incité à une certaine prudence par rapport à toutes les questions de droit du travail. Les recrutements se font essentiellement par le bais de l’ANPE. Les trente cinq heures sont appliquées et, même si le syndicalisme est encore faiblement implanté, les salariés bénéficient d’une assez large protection qui selon certains chefs de service interrogés résulterait plus d’une tradition de laxisme par rapport à certaines infractions au règlement intérieur que d’un rapport de force entre direction et syndicats. « Des fois, on se demande comment ces gens là (le personnel du village) feraient ailleurs. Ils arrivent en retard, ne se lèvent pas ! C’est difficile de licencier pour ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 48 faute grave. Au bout de trois avertissements, on n’est pas viré, comme c’est écrit dans le règlement intérieur. Le règlement, personne ne le lit. La drogue est rarement sanctionnée. C’est pas vu, pas pris. » (G.O. R.H) Toutefois, en cas d’urgence, le Club arrive à se séparer de salariés, en recourant aux mêmes moyens que beaucoup d’employeurs du secteur saisonnier, moyens qui restent dans le droit du travail mais relèvent tout de même d’un rapport de force très favorable à l’employeur. « J’ai été obligé de virer 20 personnes : vols d’ordinateurs portables, problèmes de shit. Il y a même eu une descente de flics. J’ai dû les faire partir sans les licencier. Il y a beaucoup de contrats saisonniers qui sont faits en période minimale, c’est plus simple pour faire partir les gens. Sinon, c’est nous qui dictons la lettre de démission. » Cette stratégie n’est pas propre au Club Méditerranée qui la pratique manifestement beaucoup moins que d’autres employeurs. Les usages internes au Club seraient plutôt de tolérer certains comportements de la part des salariés, tant que cela ne dérange pas la clientèle. On entre ainsi dans le domaine des us et coutumes propres au Club et qui ont des effets sur les relations que les salariés entretiennent entre eux, avec la clientèle ou avec leur hiérarchie. r) La hiérarchisation des produits et des statuts Le fait d’être dans un village 2, 3 ou 4 tridents a des incidences sur les attitudes des salariés et sur leur vision du Club. Nous n’avons bien sûr enquêté que dans deux villages différents mais les personnes interrogées ont souvent l’expérience de plusieurs villages et ils établissent des comparaisons. Pour certains, la vie dans les villages 2 tridents est « plus familiale ». La clientèle est plus décontractée. L’ambiance s’en ressent. En particulier les relations entre G.O. et G.E. sont meilleures du fait que les G.E. ne se voient pas interdire certains lieux et certaines activités. En revanche les conditions d’hébergement des G.E. paraissent assez médiocres. « Ici, on est logés au 9e, ça sent le torchon sale. Ces conditions, ça donne pas envie de donner le meilleur. Les chambres sont pas bien. Dans ma chambre, on est deux. Les toilettes sont dégueulasses…Il a fait aussi froid pendant deux semaines, on a eu une panne de chauffage dans la chambre. » (G.E. moins de 30 ans). Ces conditions de logement ne sont pas sans évoquer ce que l’on a constaté de manière plus générale pour de nombreux saisonniers dans les stations, et que divers rapports ont déjà dénoncées. A la différence des situations mentionnées, le prix du loyer reste abordable et ne grève pas exagérément les salariés des saisonniers. Beaucoup de salariés disent toutefois préférer les 2 tridents du fait que les rapports avec la clientèle leur paraissent plus faciles. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 49 Quelques uns, surtout parmi les jeunes, voudraient connaître les 3 et 4 tridents, pensant qu’ils pourraient y apprendre plus de choses. Une G.O. juge sévèrement la qualité des 2 tridents et prédit leur disparition à plus ou moins long terme. « Les spectacles sont ringards. La clientèle est plus familiale. L’objectif est de tirer la clientèle vers le haut pour supprimer à terme les 2 tridents. Le client qui serait jamais allé au Club trouverait que c’est cher pour ce que c’est. » Le personnel rencontré évoque d’autres distinctions entre villages. Certains se spécialisent pour l’accueil d’une clientèle particulière. « Il y a des villages adultes où les G.M. ne prennent pas d’enfants. C’est des villages de fête. Les G.M. viennent pour baiser. C’est le concept free style, boissons à volonté. On retrouve l’esprit festif du Club. » Inversement, il y a aussi des villages pour les retraités. Le rythme y est plus tranquille. Toutes ces spécialisations induisent soit une grande polyvalence du personnel, soit une politique d’affectation qui fasse vraiment du « sur-mesure » et qui écarte certains salariés en fonction de leur inaptitude supposée à s’adapter à tel ou tel type de clientèle. L’autre coupure hiérarchique spécifique au Club Med se situe entre G.O. et G.E. Nous avons déjà vu qu’elle pouvait être vécue de manière différente selon le nombre de tridents affichés par les villages et que la gestion du chef de village jouait beaucoup pour l’atténuer ou l’exacerber. Ce n’est pas une frontière hermétique. Les G.E. peuvent devenir G.O. Comme nous l’avons vu, certains le souhaitent, d’autres non. Il n’en reste pas moins que cette frontière peut être vécue comme une démarcation blessante par certains G.E. Les exemples abondent pour souligner les frustrations qu’elle entraîne. Un G.E. qui est rapidement devenu G.O. porte un regard très critique sur cette séparation. « Je suis quand même passé de G.E à G.O. le changement est énorme. Il y a des trucs inadmissibles que l’on fait supporter aux G.E. On le voit surtout quand on passe de l’autre côté et qu’on doit les manager. Il y a des choses sur les conditions de travail des G.E qui sont très dures, au niveau de l’hébergement et de l’alimentation. » Pour lui, ces différences de traitement entraînent des tensions et des jalousies. Il est vrai qu’il peut y avoir pour les G.E des barrières humiliantes qui leur font ressentir leur condition comme celle de véritables cas sociaux. Il existe une charte des G.E dans certains villages qui leur accorde le droit, sous certaines conditions, de côtoyer la clientèle. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 50 « Ici, c’est sous condition méritoire qu’ils peuvent se joindre au Club. Dans les faits, ils viennent au bar et discutent avec les G.M. Ici les G.E sont raisonnables. Dans certaines stations les G.E picolaient et savaient pas se tenir. » Dans d’autres villages, l’accès de la boîte de nuit est interdit aux G.E. Ils ne peuvent assister aux spectacles. Un Marocain se souvient que quand les G.E se rendaient à la plage pendant leurs jours de congé, ils devaient s’installer à une distance minimale de cent mètres des G.M. D’autres notent des petits détails assez révélateurs de la dévalorisation des G.E. par rapport aux G.O. « Il y a des G.E. qui disent vous aux G.O. c’est tout de même incroyable ! » « A Chamonix, chaque G.O. débarrassait son assiette. Ici, non. Certains ne disent même pas merci quand on le fait. » Si le statut de G.E. n’est pas valorisant, il n’est tout de même pas indépassable. On entend souvent citer le cas de salariés entrés au Club comme G.E. et qui ont connu de belles promotions. « G.E. est un statut limité aux emplois de service. Mais on peut devenir chef de partie. Il y a même des G.E. devenus chefs de village. Il n’y a aucune barrière. Je connais un Marocain chef de village qui a commencé en faisant les chambres. L’avantage au Club, c’est l’évolution. » Il existe effectivement une politique de formation interne et de promotion dont certains disent avoir bénéficié. Mais, pour cela, il faut avoir une stratégie pour se faire remarquer, sortir du rang, utiliser les bonnes relations que l’on arrive à créer avec la hiérarchie, disposer d’une véritable stratégie de recherche de la promotion, elle-même facilitée par la qualification ou le diplôme. Un G.E. diplômé est plus à même d’obtenir une promotion qu’un G.E. qui ne l’est pas. « Je suis passé de G.E. à G.O. en un mois. Et c’est comme ça que je voyais les choses : je voulais rentrer au Club quel que soit le niveau, puis faire jouer mes diplômes. Et, puis, c’est important de commencer par le bas, de voir les choses, de repérer les filons, de connaître toutes les ficelles d’un métier. » (G.O. moins de 30 ans, bac+5) Les promotions existent, mais elles sont plus accessibles à ceux qui sont surqualifiés par rapport au poste qu’ils occupent. Le G.O. cité plus haut constate : « Chacun peut évoluer à son niveau, à son rythme dans son service. Mais, c’est vrai que je crois qu’il y a trop de temps entre les propositions de promotion. En plus, on voit qu’ils ferment pas mal de villages à cause des difficultés financières. » Pour certains, l’évolution de carrière reste une loterie ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 51 « Je ne suis pas sûre que ce soit plus facile d’évoluer au Club med ; moi, je ne l’ai pas vu. Je connais des G.E qui ont travaillé 12 saisons et qui n’ont pas d’évolution, alors qu’il y a des personnes qui passent direct au niveau au dessus sans diplôme. Ce n’est pas un problème par rapport aux origines ». (G. E. d’origine non européenne, moins de 30 ans) Dans les faits, beaucoup de G.E se découragent assez vite. Il y a un turn-over beaucoup plus élevé chez eux encore que chez les G.O. De ce fait, l’avantage salarial initial que les G.E. ont par rapport aux G.O. tend à se retourner au profit de ces derniers. « Il peut y avoir une évolution de salaires pour les G.E. et les G.O. mais il faut avoir au minimum 7 saisons d’affilée. La moyenne de vie d’un G.E. étant plus faible, c’est souvent les G.O. qui ont l’évolution de salaire. » Les G.E. sont longtemps apparus pour le Club comme une population interchangeable. Depuis quelques années, ils font toutefois l’objet d’un intérêt plus marqué de la part des Coordinateurs des Ressources Humaines. Plusieurs disent connaître leur affecteur et bénéficier d’un bon suivi de sa part même s’ils ne l’ont jamais rencontré. Ce sont malgré tout les G.O. qui sont valorisés car ils représentent le plus que le Club apporte à sa clientèle. C’est à eux qu’on demande surtout d’adopter la Club-med attitude, autre us spécifique au Club. Un chef de village définit ainsi le rôle du G.O : « Le G.O, c’est une spécificité du Club : on accueille les gens comme des amis, non comme des clients. Ils doivent avoir la possibilité de parler à quelqu’un. C’est une personnalisation de l’individu. Il faut être attentif au client. On est organisateur mais on est aussi confident…On est là pour écouter les doléances, pour personnaliser les vacances des G.M. les gens qui partent connaissent le G.O, ça doit se faire naturellement. » Le problème tourne justement autour du « naturel ». Comme nous l’avons déjà fait observer, beaucoup de salariés trouvent que la recherche systématique du contact avec le client n’est pas quelque-chose de naturel. L’idée que la « Club med attitude » n’est qu’une pure hypocrisie est présente aussi bien chez certains G.E qui hésitent à passer G.O à cause de cela ou qui visent des postes de G.O limitant les contacts avec la clientèle que chez des G.O qui ont plusieurs années d’expérience et sont bien évalués par leur hiérarchie. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 52 « Le bon élément, c’est celui qui fait du contact avec le G.M, ça me plait pas car les G.M, ça défile. Ils sont là pendant une semaine, ça sonne faux, ça pue le faux. Tu peux pas être vrai avec les G.M, tu peux pas donner aux G.M, tu peux pas les connaître. A table, tu parles de quoi ? Toujours les mêmes questions. » (G.E, deuxième saison, vise un poste de GO) Pour certains, cet impératif à développer des relations amicales peut être une gêne pour bien faire son travail. Ils décident eux-mêmes de limiter les relations avec la clientèle. « Pour être crédible, il faut une distance avec les personnes. Je ne suis pas là pour être la copine de tout le monde…On est G.O mais je vis ma vie de G.O différemment. Le chef de village l’accepte. Je prends le droit de ne pas être là le soir même si c’est fortement conseillé. » (GO, moins de 30 ans) Les difficultés actuelles de beaucoup de salariés à se mettre dans ce type de relation avec la clientèle sont sans doute ce qui traduit le plus le décalage entre l’image du Club Med, telle qu’elle persiste dans les mentalités et la réalité d’aujourd’hui. Un salarié récemment embauché qui dispose d’une bonne capacité d’observation et d’analyse exprime très bien la conscience de ce décalage : « Moi, sur le Club Med, j’en avais plutôt entendu parler plus du côté vacances, fêtes. Je suis assez déçu. J’ai l’impression qu’ils cherchent leur identité, une clientèle qui parle toujours du passé. Ils n’arrivent pas à enchaîner sur une nouvelle période. Il y a une autre clientèle qui arrive, qui a d’autres besoins et l’organisation, la direction du Club, je ne suis pas sûr qu’elle a vraiment évolué avec sa clientèle. » (G.O, moins de 30 ans) Cet us propre au Club Med qui a fait son originalité et sa force dans le passé apparaît aujourd’hui pour beaucoup comme une contrainte vide de sens qui s’ajoute aux autres inconvénients de la vie en village. Celle-ci se déroule en effet en vase clos. Il y est difficile de protéger son intimité, d’échapper aux phénomènes de rumeurs. « Mais, c’est le loft-story ici !. C’est Big Brother, on est en vase clos. » Si les contraintes de gestion prennent de plus en plus le pas sur l’esprit festif qui vient compenser ces divers inconvénients, il sera de plus en plus difficile de convaincre les G.O. de continuer à jouer ce jeu du copinage avec la clientèle. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 53 6.5 Des effets du cosmopolitisme s) Bénéfice personnel et professionnel pour les salariés Dans l’ensemble, l’image du Club Méditerranée, entreprise à vocation internationale et au recrutement interculturel contribue à occulter les situations, il est vrai relativement peu nombreuses et toujours ambiguës, qui témoignent tout de même d’inégalités de chance au niveau de l’emploi et de la carrière en raison du sexe, de l’origine et surtout du milieu social de provenance. On peut dire que les valeurs liées au cosmopolitisme que revendique le Club sont bien appropriées par l’ensemble des salariés. Tous, quels que soient leur âge, leur sexe, leur statut, leur métier, leur origine ou leur ancienneté disent apprécier la dimension cosmopolite du travail au Club. Dans les villages des Alpes, même si la clientèle est surtout européenne et parfois à nette dominante française, il y a toujours une équipe internationale au niveau du personnel avec un large éventail d’origines. Pour certains cela crée une ambiance originale qui les dépayse et à laquelle ils trouvent du charme. « Moi, j’aime bien l’ambiance internationale qui existe dans le Club parce que le mélange a du bon. On apprend beaucoup de ces contacts. » (G.E. moins de 30 ans, origine non européenne) Pour d’autres, le contact avec des gens de différentes cultures ne relève pas seulement du plaisir du dépaysement mais permet aussi de s’enrichir personnellement et professionnellement. « J’aime l’ambiance internationale du Club, rencontrer des gens des quatre coins du monde. Il y a des gens qui paient beaucoup pour ça, alors qu’au Club, tu peux rencontrer des gens de partout tout en travaillant…J’ai le sentiment d’avoir appris beaucoup de choses sur la connaissance des différentes cuisines. Au niveau de la boucherie, pratiquement rien, un poulet, ça reste un poulet. Au niveau de la cuisine, les recettes changent, les préparations aussi. Au niveau des connaissances, il faut aller vers les gens. » (G.O. plus de 30 ans) Cette opportunité d’amélioration de ses compétences grâce au contact avec d’autres cultures est bien comprise par certaines personnes nouvellement embauchées qui ont assez de capacité d’analyse pour aller au delà des impressions superficielles. « …ce qui permet d’évoluer, c’est d’être au contact de plusieurs cultures. On s’inspire de différentes façon de travailler et de vivre au travail. Quand on voit le personnel turc, la manière dont ils travaillent, c‘est incroyable. Ils sont hyper-pro dans le travail. » (G.O. moins de 30 ans) ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 54 De cette situation cosmopolite revendiquée par le Club résulte logiquement une certaine éthique impliquant le respect des cultures et excluant les marques de racisme ordinaire. Là aussi, les salariés interrogés abondent dans le même sens. « C’est vraiment interculturel au Club. Il n’y a pas de problèmes. J’ai vécu au Maroc sans soucis. J’ai vécu aux Maldives sans soucis…Il n’y a pas de frictions religieuses. Je n’ai jamais été confronté au racisme. » (G.O.) Certains se souviennent toutefois d’avoir connu quelques attitudes racistes de la part de collègues ou de clients mais observent que la hiérarchie du Club a toujours su régler les choses dans le bon sens. « Il y a eu une ou deux personnes qui ont subi une réflexion raciste…Il peut y avoir des réflexions. L’an dernier, mon chef de village était Marocain. Il y a eu un G.O raciste. Mon chef de village n’a pas laissé passer ça. » (G.O. moins de 30 ans) t) Recrutement local en question Pourtant certains observent que cette dimension internationale existant dans les équipes risque de disparaître tout au moins dans certains pays où la politique du Club Med est d’embaucher du personnel local. Ceci perturbe parfois les habitudes de la clientèle comme le relate un chef de village. « Au Maroc, la majorité de l’équipe G.O est marocaine et ne fait que l’été. C’est sympa pour le pays mais ça limite l’envoi des Européens à l’étranger...Les pays préservent leurs emplois…A Agadir, à partir d’une époque, il y a eu plus de Marocains que d’habitude. Les clients ont fait certaines remarques comme quoi il y avait trop de Marocains. Mais je n’ai plus entendu ce genre de remarques. Les clients ont dû s’adapter aux exigences du Club et ça a été plus dur pour les vieux clients. » Certains sont partagés sur l’opportunité de recruter du personnel local qui n’a pas toujours les compétences voulues. « A l’étranger, le Club embauche de plus en plus de locaux comme responsables, comme G.O. Sinon, les locaux font la gueule. C’est un peu dommage, à nous ça nous fait perdre des opportunités. Dans certains cas, je considère que c’est un tort de recruter des locaux parce qu’ils n’ont pas forcément les compétences et les diplômes pour garder les enfants. En Tunisie, j’ai eu une fille qui dormait avant les enfants et se réveillait après eux. En Tunisie, je n’ai pas toujours travaillé avec des gens compétents. Mais je m’en fous des origines et des nationalités, ce sont les compétences qui m’intéressent. Nous, en France, on est un des rares pays qui donne des diplômes pour la gestion des enfants. En France, on forme des gens à ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 55 ces boulots là et je pense que c’est bien d’avoir des Français un peu partout pour qu’ils transmettent les compétences à d’autres G.O » (GO, moins de 30 ans) u) Tendance à une gestion ethnicisée des salariés Progressivement, une concurrence risque de s’instaurer entre personnels de diverses origines. Jusqu’ici le Club a pu échapper à cela car les postes étaient souvent répartis selon les nationalités avec une limitation de la concurrence. Cela amène les gens en fonctionner en groupe et pose parfois des problèmes de frictions interethniques. « L’an dernier, ça a été difficile entre Sénégalais, Tunisiens et Comoriens. Ils étaient en clans. » « Beaucoup de Turcs restent entre eux à cause de la langue. » « Les musulmans font leur prière. Il faut faire attention à ne pas les mettre avec des gens bourrés. Il y a des mélanges qu’on ne peut pas faire. » « Pour les Comoriens et les Sénégalais, ça peut arriver que ça ne se passe pas bien. Mais il n’y a jamais eu de clash, juste des problèmes de compréhension par rapport à leur culture. » Cet ensemble de réflexions contredit quelque peu l’image idyllique du milieu cosmopolite constitué par le personnel du Club et vient rappeler que travailler dans un contexte interculturel ne va pas de soi. Comme beaucoup d’autres employeurs confrontés à ce problème, le Club a tendance à pratiquer une certaine « gestion communautaire » de son personnel. C’est tout au moins l’impression que donnent les résultats des enquêtes menées dans les deux villages cités. On constate qu’à la plonge, il y a des Africains noirs, en cuisine des Turcs ou des Maghrébins, dans les métiers de services des jeunes Français d’origine non européenne en général faiblement diplômés et dans les fonctions de G.O. des jeunes Français d’origine européenne plutôt bien diplômés. Dans les métiers de la petite enfance, il y a une immense majorité de filles, dans ceux du sports plutôt des garçons et dans les métiers d’entretien beaucoup plus de femmes que d’hommes. Manifestement ceci permet une certaine « paix sociale ». Ce n’est pas le mélange mais il y a un bon équilibre lié au fait qu’il y a peu de concurrence directe entre les groupes différents qui ont d’ailleurs par rapport au travail des attentes et des stratégies différentes les uns des autres. Par ailleurs, les possibilités d’évolution individuelle, même si elles ne sont pas utilisées par tout le monde, offrent au moins en théorie une opportunité de ne pas rester confiné aux tâches vers lesquelles vous oriente votre appartenance à tel ou tel groupe. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 56 VII - CONCLUSION Cette enquête révèle une entreprise confrontée à la recherche d’une nouvelle identité avec un passé qui pèse encore sur les images que son personnel et sa clientèle ont gardées d’elle. Elle est engagée dans une période de mutation qui l’amène à prêter une forte attention à ses salariés. Les problèmes de recrutement et d’affectation demeurent aigus. Le Club satisfait ses besoins en main d’œuvre à partir d’un recrutement national et local en multipliant des recrutements à travers toute la France ainsi que dans certains pays européens. Les accords passés avec les pays dans lesquels le club est implanté participent d’une gestion internationale des salariés. Le Club s’est constitué une main d’œuvre aux origines et aux profils variés qui dispose de potentialités importantes, potentialités qui pourraient être optimisées par un meilleur suivi des salariés et par la mise en place de réelles possibilités de promotion. L’enquête révèle qu’il demeure une entreprise attractive mais qui épuise assez vite les salariés les plus motivés et ne retient pas ceux qui se sentent de passage. Il semble s’être peu intéressé à leur fidélisation. Sa politique salariale peine à retenir les bons éléments ou à motiver davantage ceux qui entrent avec un faible niveau de diplôme mais seraient prêts à s’y impliquer avec des perspectives de promotion. Certains points forts attirent et retiennent les salariés motivés. En particulier l’image du Club comme milieu cosmopolite. Celle-ci s’impose d’autant plus facilement aux salariés qu’ils découvrent un milieu professionnel correspondant de très près à l’image en question. Cela crée au départ une ambiance dans laquelle les gens peuvent se sentir à l’aise quelles que soient leurs origines. C’est un atout à optimiser. Le fait de n’avoir rencontré personne se plaignant d’avoir subi des discriminations avérées au cours des enquêtes n’empêche pas de constater que les étrangers, les gens de couleur et les Français issus de l’immigration sont fortement représentés parmi les G.E. et très rares parmi les G.O. Ce constat serait à vérifier bien sûr à une plus grande échelle. Cette première étude ne donne pas une vision statistiquement représentative de la composition ethnique et patronymique du personnel des villages concernés. Cependant nous pouvons considérer ce déséquilibre de la représentation comme le signe d’un risque de discrimination s’il s’avérait que la stratification des emplois entre G.O. et G.E. recouvre une inégalité de traitement plus globale entre des catégories de personnels identifiables par l’origine. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 57 Si l’on trouve au Club un personnel de Français issus de l’immigration maghrébine qui est pratiquement absent chez la plupart des employeurs des stations, on peut tout de même souligner une tendance à la gestion « ethnique » du personnel. Celle-ci prend la forme d’un regroupement de gens de même origine dans les mêmes emplois. Cela permet d’éviter de possibles conflits liés à la concurrence pour les mêmes postes entre gens d’origine ou de nationalité différente mais enferme un peu trop systématiquement les individus dans une appartenance à un groupe sans tenir compte de leurs aspirations et de leurs potentialités propres. Puisque le Club est et veut rester un milieu pluri-culturel, il faudrait sans doute qu’il affine ses connaissances et ses pratiques dans le domaine du management interculturel, celui-ci ne se résumant pas à la gestion de groupes différents dans le même espace de travail mais intégrant aussi les divers paramètres qui peuvent permettre aux divers salariés de se réaliser et de s’épanouir dans le cadre de l’entreprise indépendamment de leurs origines. ISM-CORUM Centre d’Observation et de Recherche sur l’Urbain et ses Mutations 58