DCF : regardez donc sous le capot
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DCF : regardez donc sous le capot
actualité évaluation auteur DCF : regardez donc sous le capot ! 5 Commission évaluation – sous-commission "Méthodes" DCF : regardez donc sous le capot ! Dans le cadre de la commission de la SFAF consacrée aux méthodes de valorisation, notre équipe s’est attachée à comprendre l’application réelle de la méthode classique des DCF, très souvent et légitimement utilisée en analyse financière. Nous avons constaté que la même méthode, appliquée par plusieurs analystes différents, pouvait fournir une forte dispersion des résultats en fonction des hypothèses de départ retenues. Nous invitons donc le lecteur d’analyses financières à bien comprendre les hypothèses de départ retenues par les analystes avant retenir leurs conclusions. l a crise financière a ébranlé nombre de paradigmes de la théorie de l'évaluation financière, comme la notion de taux sans risque par exemple. À cet égard, l’approche par actualisation des flux est la méthode la plus vulnérable. L’objectif de cet article est de mettre en perspective l’une des méthodes d’évaluation les plus couramment utilisées en finance : la méthode des flux de trésorerie actualisés, que nous mentionnerons aussi par son appellation anglaise de DCF ou Discounted Cash Flows. Nous observerons différents cas d’application du DCF par des analystes sell-side en comparant leurs recommandations pour une société donnée puis nous estimerons la portée et aussi les limites de la méthode en analysant la sensibilité des résultats aux hypothèses initiales. Nous limiterons notre étude au cas des sociétés cotées. Les objectifs de cours ou valeurs intrinsèques fournies par les analystes reposent sur une large palette de méthodes : approche patrimoniale, approches par multiples ou par les flux en sont les principales. Le secteur d’activité, la classification de la société en valeur de croissance ou valeur défensive, la génération de cash-flow entre autres orienteront l’évaluateur dans son choix. Le plus souvent, celui-ci “mixe” plusieurs méthodes selon des pondérations qui ne relèvent d’aucune orthodoxie financière. (et ne sont pas toujours normées). Hors conjectures strictement opérationnelles conduisant à la détermination des flux estimés (dont la visibilité actuelle est relativement réduite), on constate une large dispersion des hypothèses et paramètres intrinsèques aux modèles d'actualisation. Nous observerons principalement la sensibilité des valorisations aux paramètres retenus sur deux sociétés françaises aux profils boursiers et opérationnels différents. Pour approfondir le sujet, nous suggérons aussi la lecture de l’article de Franck Bancel (Pratiques d’évaluation et mise en œuvre du CAPM - Capital asset pricing model) également publié dans cette édition d’Analyse financière (page 80) qui reprend les résultats d’une étude publiée par l’ESCP Europe et l’Université du Manitoba auprès de 416 acteurs européens réalisant régulièrement des évaluations (banquiers Cet article a été rédigé par la sous-commission “Méthodes de valorisation” (commission “évaluation” de la SFAF), dont les membres sont Claire Barbaret, Stéphane Bellanger, Claude Heriard-Dubreuil, Nadine Michotey, Marie-Anne Nemeth, Antoine Nodet, JeanLouis Sempé, et animée par Emmanuel Daugéras. d’affaires, directeurs financiers, analystes, évaluateurs, gérants de portefeuille, banquiers privés). Un petit sondage basé sur des notes d’analystes Nous avons procédé par sondage, sur la base des analyses financières publiées relatives à deux sociétés cotées de grande taille appartenant à l’indice CAC 40 (une société cyclique et une société non cyclique). Ces études ont été publiées au cours d'une même période, par des analystes Sell-side travaillant dans des cabinets de renommée internationale, européenne ou nationale. a) Le cas d’une société industrielle non cyclique Il s’agit d’une société de taille mondiale, leader de son secteur. Les analystes se font tous écho du caractère résiliant de son business model et de la robustesse de sa croissance organique. Les Free Cash Flow positifs et réguliers font du DCF la méthode privilégiée pour sa valorisation, d’autant plus que la société ne dispose pas de comparables directs. Notre échantillon est composé des esti- E juillet aout septembre 2013 analyse financière n° 48 DCF : be aware of the assumptions before following an analyst recommendation The DCF is a key method of valuation. We show how the dispersion of input assumptions (discount rate, growth rate, terminal value) used by analysts causes a large dispersion in valuation results, even for stable, well known compagnies. Our recommendation : be aware of the input parameters before making an investment decision based on an analyst recommendation. This article was authored by the commission of the SFAF dedicated to valuation methods, which members are Claire Barbaret, Stephane Bellanger, Claude HeriardDubreuil, Nadine Michotey, Marie-Anne Nemeth, Antoine Nodet, Jean-Louis Sempé and led by Emmanuel Daugéras. www.revueanalysefinanciere.com 66 actualité évaluation auteur DCF : regardez donc sous le capot ! Commission évaluation – sous-commission "Méthodes" E mations de 7 analystes sell-side avec un fort biais France (6 acteurs français et un anglo-saxon). La période sous revue est relativement courte, d’avril à septembre 2012, garantissant ainsi un fort niveau d’homogénéité au plan de l'environnement macroéconomique, facteur crucial pour analyser en détail les différents paramètres des DCF. Le sondage révèle des variations importantes sur plusieurs critères clés. Le DCF seul est utilisé dans 5 cas sur 7. Dans un sixième cas, il contribue à hauteur de 35 % à la détermination de l’objectif de cours (les autres méthodes employées étant la sum of the parts, les multiples et l’actif net comptable). Un septième analyste utilise un PER cible à horizon 12 mois. (cf. tableau 1) Dans ce contexte, les objectifs de cours obtenus par les seuls DCF varient de 60 € à 76 € par action, soit une différence de 11,76 % par rapport à la médiane. On note ainsi : 1. Une hétérogénéité dans les hypothèses de taux de croissance à l’infini, certains analystes considérant que la société connaîtra une croissance long terme supérieure à la croissance nominale du PIB mondial du fait de relais de croissance dans les pays émergents. 2. Une hétérogénéité des taux sans risques. L’OAT est généralement prise comme taux de référence par les acteurs français. Sa volatilité élevée durant la période sous revue explique les écarts constatés, les analystes ou bureaux d’étude ne mettant pas à jour régulièrement les hypothèses de leur modèle. L’analyste 1 utilise un panier de 5 taux d’obligation d’État tandis que le cinquième considère le Bund. (cf. schéma 2) 3. Une hétérogénéité des primes de risque. Les données généralement fournies par les bureaux d’étude sont calculées soit par rapport à un marché, soit par rapport à un secteur en particulier. Les méthodes conduisant à Le sondage révèle des variations importantes sur plusieurs critères clés. Le DCF seul est utilisé dans 5 cas sur 7. Dans un sixième cas, il contribue à hauteur de 35% à la détermination de l'objectif en cours. Tableau 1 : Synthèse des hypothèses retenues pour une même société donnée (secteur non cyclique) Analyste 1 Analyste 2 Analyste 3 Analyste 4 Analyste 5 DCF DCF DCF DCF DCF Taux de croissance à l'∞ 2,5% 2,0% 3,0% 3,0% 2,5% Taux sans risque 3,4% 3,5% 3,5% 2,1% 1,9% Prime de risque 6,3% 5,0% 5,5% 5,8% 7,9% Bêta 0,75 0,75 0,80 0,90 0,80 Coût des fonds propres 8,1% 7,3% 8,1% 7,3% 8,2% Méthode Coût de la dette pré taxe 3,4% 4,5% 4,5% 5,0% 2,5% 30,0% 27,0% 30,0% 26,0% 26,0% Coût de la dette post taxe 2,4% 3,3% 3,2% 3,7% 1,9% WACC 7,9% 6,7% 8,1% 7,2% 8,0% Poids de la VT (>10 ans) 65% 69% 70% 70% 70% Taux d'imposition juillet aout septembre 2013 analyse financière n° 48 son calcul ne sont pas directement accessibles. 4. Les ß sont globalement homogènes traduisant le caractère défensif de la valeur. Leur calcul est généralement basé sur des séries historiques de 2 à 5 ans. 4. Le coût de la dette fait l’objet de grandes divergences méthodologiques, un analyste allant même jusqu’à prendre le taux à 30 ans français comme valeur de référence. Dans notre cas, la valeur étant peu endettée, ces divergences n’ont que peu d’impact. 5. Finalement, le coût du capital (WACC) varie de 6.7 % à 8.1 % 6. Le poids prépondérant de la valeur terminale dans la valeur d’entreprise, de l’ordre des 2/3. L’essentiel de la valeur provient donc de la valeur actuelle des flux des années se situant au-delà d’un horizon à 10 ans. b) Le cas d’une société industrielle cyclique Pour ce deuxième exemple, nous retenons le cas d’une société cyclique. Sur un échantillon de dix analystes, le DCF seul n’est utilisé que dans 40 % des cas. Les autres valorisations reposent sur une approche par multiples (PER, multiples de valeurs d’entreprises). La caractère volatil et incertain des flux futurs l’explique en partie. Notre échantillon est composé des estimations de dix analystes dont neuf français et un anglo-saxon. (cf. tableau 3) Pour cette société, les objectifs de cours varient de 28,50 € à 39 € par action, soit une variation de 15,5 % par rapport à la médiane des objectifs actualité évaluation auteur DCF : regardez donc sous le capot ! 7 Commission évaluation – sous-commission "Méthodes" SChema 2 . Taux de l’OAT à 10 ans ENTRE JANVIER 2012 ET DECEMBRE 2012 de cours. On note, ce qui est attendu, que la dispersion des objectifs de cours est plus forte que sur la valeur non cyclique. 1. Outre la dispersion des hypothèses relatives au taux de croissance à l’infini, la manière d’appréhender le taux sans risque ne fait pas consensus. Néanmoins, une majorité considère qu’une approche correcte est d’adopter une moyenne pondérée des principaux taux nationaux européens. 2. Le beta fait l’objet d’un consensus méthodologique, comme dans le cas précédent. 3. Le facteur faisant le plus débat est la prime de risque avec des écarts reflétant la durée sur laquelle porte son calcul (5/10 ans) et le(s) marché(s) considérés (national, moyenne de marchés européens…) 4. On constate que le poids de la valeur terminale est moindre que dans le cas précédant (non cyclique) reflétant pour partie des hypothèses de taux de croissance à l’infini plus faible. 5. Au final, le WACC varie de 8 % à 9.3 %. Pour conclure Notre sondage, limité par essence, montre aussi que certains analystes s’accordent pour dire que les valeurs obtenues par un DCF sont souvent des “valeurs de confort”. Ils préfèrent alors appliquer des multiples prospectifs (éventuellement pondérés par activité) sectoriels ou intrinsèques à la société (c'est-à-dire historiques). Dans ce cas, les objectifs de cours seraient donc largement fondés sur des multiples moyens historiques de la société étudiée, considérés comme normatifs pour l’avenir. Ces PER, VE/EBITDA ou VE/EBIT seraient la référence dans l’univers sectoriel de l’entreprise (parfois sur la base de transactions) et les analystes appliqueraient ces multiples à leurs prévisions. Cette tendance dénote probablement 3,4 3,2 3,0 2,8 2,6 2,4 2,2 2,0 1,964 DEC 11 janv fev mars avril le flou provoqué par la situation actuelle qui accroît l’incertitude sur les valeurs et donc les incertitudes sur les “bonnes” méthodes utilisables. Assisterait-on à une forme “d'empirisme méthodologique” ? n Analyste 1 Analyste 2 Analyste 3 Analyste 4 DCF DCF DCF DCF Taux de croissance à l'∞ 2,5% 2,0% 1,0% 2,0% Taux sans risque 3,3% 4,5% 5,0% 3,0% Prime de risque 6,1% 4,0% 5,0% 7,0% Bêta 1,22 1,26 1,20 1,17 10,7% 9,6% 11,0% 11,2% Coût des fonds propres Coût de la dette pré taxe 7,7% 6,2% 5,0% 5,0% 33,0% 34,0% 33,0% 29,0% Coût de la dette post taxe 5,1% 4,1% 3,4% 3,6% WACC 9,2% 8,0% 8,7% 9,3% Poids de la VT (>10 ans) 51% 52% 60% 53% Taux d'imposition juin juil. aout SEPT. OCT. nov. dec.12 Données Bloomberg Finance Tableau 3 : Synthèse des hypothèses retenues pour une même société donnée (société cyclique) Méthode mai juillet aout septembre 2013 analyse financière n° 48 Notre sondage montre que pour certains analystes les valeurs obtenues par un DCF seraient des "valeurs de confort".