Lecture Jeune

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Lecture Jeune
36e année
trimestriel
Lecture Jeune
Lecture Jeune
Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents
Les derniers numéros
LES JEUNES ET
N°137
Les jeunes adultes
et la littérature
Lecture Jeune - N° 143 - septembre 2012
LES INÉGALITÉS
N°138
La fantasy
Le tour d'un genre
N°140
N°141
Oralité(s)
Adolescents
et médiations
N°142
Les tendances
de l'édition pour
adolescents et jeunes
adultes
Illustration de couverture © Marion Montaigne
N°139
Melvin Burgess
Les adolescents,
la lecture et
les bibliothèques
en Europe
NUMÉRIQUES
Actes du colloque du 7 juin 2012
organisé par Lecture Jeunesse
septembre 2012
N°143
I
Calendrier des formations 2013
Janvier
23 -24 -25
Février
13 -14 -15
Mars
21
27 -28 -29
Avril
3-4-5
Mai
15 -16
29 -30 -31
Juin
12 -13-14
26 -27-28
Juillet
2-3
Septembre
18 -19 -20
Octobre
2-3-4
16 -17
Novembre
20 -21
Décembre
4-5
11-12 -13
Accueillir des adolescents, tour d’horizon européen :
vers une bibliothèque « 3e lieu » ?
3 jours
Travailler en partenariat
3 jours
Journée d’étude : les prix littéraires décernés
par des adolescents/jeunes adultes
La bande dessinée sous toutes ses formes
(romans graphiques, comics, mangas etc.)
Violence, adolescence, offre culturelle :
comment appréhender des contenus « dérangeants »
La fantasy et les littératures de l’imaginaire
Les jeux vidéo en bibliothèque :
se familiariser avec la culture transmédiatique des jeunes
Faibles lecteurs ou jeunes éloignés du livre :
médiations et réflexion sur la prévention de l’illettrisme
La recherche informationnelle des jeunes :
quelle place pour les livres documentaires aujourd’hui ?
Les romans pour adolescents :
accompagner les parcours de lecture des jeunes
1 journée
3 jours
3 jours
2 jours
3 jours
3 jours
3 jours
2 jours
Les romans pour jeunes adultes : une littérature « passerelle » ? 3 jours
Les adolescents et Internet :
la culture numérique en bibliothèque
Les adolescents et la musique :
quel rôle pour les bibliothèques ?
3 jours
2 jours
Les « mangados » :
le manga, un genre plébiscité par les jeunes
2 jours
Le polar : se familiariser avec un genre
La culture de l’image des adolescents
2 jours
3 jours
Sommaire
Éditorial
page 2
Le dossier
Les jeunes et les inégalités numériques page 3
Parcours de lecture
Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 60
page 69
page 78
page 87
Formations
page 92
Index
page 96
22
Édito de lecture
Parcours
Livres accroche
Sonia de Leusse - Le Guillou Littératures
Lecture Jeunesse remercie
le ministère de la Culture
et la fondation d’entreprise Free pour
leur soutien ainsi que
Madame Cordebard, 1ère adjointe
au maire, Conseillère
d’arrondissement chargée
de la Culture et des Affaires scolaires,
d’avoir accueilli le 7 juin 2012
à la mairie du 10e arrondissement
ce colloque organisé
par Lecture Jeunesse.
Cela fait maintenant plusieurs années qu’à travers ses journées d’étude ou sa
revue, l’association suit et diffuse des recherches sur ce qui est communément
appelé « la culture numérique » des jeunes. Les médias dans leur ensemble
relaient l’image d’une « génération Y » qui semble être uniformément experte
sur Internet et les supports numériques.
Or, comme les études tendent à le souligner, ces raccourcis médiatiques
confondent utilisation et compréhension, pratique et maîtrise des outils.
Mais surtout, cette image globalisante ne rend pas compte de la diversité des
usages des jeunes, des différentes dimensions (psychologiques, pédagogiques,
ludiques, etc.) en jeu dans ces pratiques et de l’hétérogénéité des situations
face aux TIC. Enfin, lorsque la question de la fracture numérique est
abordée, elle porte le plus souvent sur les adultes, les seniors ou se concentre
principalement sur l’accessibilité à Internet et la sociologie des publics.
Pour cerner quelques causes d’inégalités, la disparité des activités ou
des niveaux des adolescents, ce colloque s’est intéressé aux jeunes en marge
des stéréotypes sur les digital natives. L’adolescence est une période
aux frontières floues aussi nous semblait-il intéressant d’envisager
les jeunes comme des élèves en cours d’apprentissage, des individus en pleine
construction de leur identité, des internautes confrontés à des compétences
cognitives fort exigeantes, des jeunes adultes illettrés ou en difficulté avec
l’écrit qui doivent cependant faire preuve de compétences en scrolling ou en
hyperlecture, des professionnels en devenir qui cherchent à s’insérer sur le
marché de l’emploi. On l’aura compris, cette réflexion – forcément partielle –
sur la question des inégalités numériques se voulait ouverte en abordant
des données sociétales, le lien entre prévention de l’illettrisme et e-inclusion,
la psychologie (du traitement de l’information à la construction de soi),
la pédagogie, les sciences de l’information et de la communication
et la sociologie.
Au terme de ce colloque, on entrevoit plusieurs fractures, l’une au sein
même des jeunes, l’autre, entre les usages des adolescents et les attentes du
monde du travail. On ne peut passer du « vécu numérique » aux exigences
de la vie professionnelle que lorsqu’on a la capacité de donner du sens
aux informations collectées sur Internet et à ses usages. Même si chacun
dispose peu à peu d’une connexion dans sa poche, le rôle des médiateurs –
bibliothécaires, animateurs multimédia, enseignants, éducateurs, etc. – reste
essentiel afin de proposer des accompagnements personnalisés dans les lieux
fréquentés spécifiquement par les jeunes ou dans les espaces publics mettant
à disposition ressources et supports. La formation, l’autoformation et
la veille doivent y être les maîtres mots pour ne pas entériner une troisième
fracture, entre les compétences numériques des médiateurs cette fois,
et les besoins des jeunes de l’autre.
Lecture Jeune - septembre 2012
Le
L
Le dossier
Les jeunes et
les inégalités numériques
Nouvelles cultures et institutions de transmission
par Sylvie Octobre
Expression de soi et
créations identitaires sur le Web 2.0
par Christophe Aguiton et Dominique Cardon page 10 à 15
Fracture numérique
page 16 à 20
par Fabien Granjon
Comment se manifeste la fracture
numérique chez les jeunes
page 21 à 27
par Gérard Valenduc
Le numérique, levier de prévention de l’illettrisme
par Elie Maroun page 28 à 29
Le numérique et les publics en situation de précarité
Entretien avec Marion Liewig par Anne Clerc page 30 à 33
Les pratiques informationnelles
des adolescents sur Internet
par Karine Aillerie page 34 à 38
Les compétences mobilisées par la lecture sur écran
par Véronique Drai-Zerbib et Thierry Baccino page 39 à 43
L’adolescence à l’épreuve du virtuel
Entretien avec Michael Stora par Sonia de Leusse-Le Guillou page 44 à 47
Le numérique au service des apprentissages
pour les collégiens et les lycéens
Entretien avec Pascal Cotentin par Sonia de Leusse-Le Guillou page 48 à 52
La médiation numérique en bibliothèque
Entretien avec Silvère Mercier par Anne Clerc @
page 4 à 9
Retrouvez notre e-dossier complémentaire sur le blog de Lecture Jeunesse
http://bloglecturejeune.blogspot.com
page 53 à 58
4
Nouvelles cultures et
institutions de
Le dossier littéraires
autransmission
Cinéma
Taiunique/Gaïa
Jean-baptiste
SylvieCoursaud
Octobre Analyse
Sylvie Octobre
est chargée d’études au Département
des études, de la prospective et des
statistiques du ministère de la Culture.
Elle y est responsable des études
et recherches portant sur les jeunes et
leurs rapports à la culture.
Article paru dans le n°133 de
la revue Lecture jeune, « Culture
numérique. Nouveaux espaces
d’expressions et de créations
adolescentes », mars 2010
1 Digital natives, digital immigrants, Marc
Prensky, 2001, www.marcprensky.com
2 Le Pouce et la souris, enquête sur
la culture numérique des ados,
Pascal Lardellier, Fayard, 2006.
3 Voir le numéro spécial de la revue
Réseaux, « Web 2.0 », n° 154,
mars-avril 2009.
4 « Approche générationnelle des pratiques
culturelles et médiatiques », Culture
prospective, Olivier Donnat et Florence Lévy,
2007 (www.culture.gouv.fr/deps).
5 Les Français face à la culture :
de l’exclusion à l’éclectisme, Olivier Donnat,
La Découverte, 1994.
Les jeunes générations (les 15-25 ans) sont nées dans un
monde dominé par les médias et ont grandi avec les technologies de l’information et de la communication apparues
dans les années 80. L’expression « nouvelles technologies »
n’a pas de sens pour eux puisqu’ils se sont approprié en
même temps tous les objets médiatiques et tous les usages,
de l’ancienne bureautique aux nouvelles messageries et
outils de création (PAO, mixage, montage…). Ils sont des
digital natives1, dont l’aisance face aux technologies de l’information et de la communication les distingue des digital
immigrants, contraints à un perpétuel effort d’adaptation.
Le renouveau de leurs pratiques – fortement impulsées
par les révolutions technologiques et leur rythme accéléré
– semble creuser un abîme culturel entre cette génération
et celles qui l’ont précédée. Symétriquement, émerge un
discours « angéliste » et techniciste2, vantant les mérites de
la créativité naturelle des jeunes générations, leur aptitude
à réinventer – si ce n’est « réenchanter » le monde. Qu’en
est-il des rapports des 15-25 ans à la culture ?
La prééminence des technologies
Les digital natives constituent une part importante des usagers
fréquents des nouvelles technologies, et leurs usages sont caractérisés : niveaux d’équipement à domicile et de connexion élevés,
forte assiduité, usages orientés vers la communication, mais également vers certains loisirs et les activités de création3.
C’est donc chez les jeunes que se réalise le plus précisément la convergence des écrans sur l’ordinateur. Cette convergence n’a pas
seulement des effets sur les équipements, mais aussi sur les usages,
qu’elle densifie. En outre, elle ne fait que recomposer les agendas
culturels : les jeunes regardent de moins en moins la télévision,
écoutent de moins en moins la radio, lisent de moins en moins4.
Cette jeunesse se donne à voir dans ses cultures et dans les mutations que celles-ci opèrent par rapport aux générations précédentes.
On en retiendra quatre, principalement dues à la révolution numérique :
• une mutation du rapport au temps : via la consommation
à la demande, la convergence des usages, la multi-activité, les
technologies permettent d’abolir la linéarité et la mono-occupation des temps culturels de même que la dépendance à l’égard
des grilles des diffuseurs, et favorisent une individuation, une
démultiplication et une déprogrammation des temps culturels.
• une mutation du rapport aux objets culturels : le nombre
de produits culturels accessibles a considérablement augmenté
Lecture Jeune - septembre 2012
55
grâce au numérique. Les produits culturels se sont par ailleurs
hybridés, avec des effets de chaînages culturels et de métissage
des genres, ce qui a favorisé le développement de l’éclectisme5
et une porosité croissante des catégories culturelles. Ce, d’autant
que le numérique a opéré une disjonction entre contenus et supports, depuis la mise en place de sites « replay6 » ou « podcast7 »,
ce qui enjoint à repenser la typologie des consommations, qui
ne sont plus identifiables par un objet matériel (l’homothétie
télévision/contenus télévisuels, radio/contenus radiophoniques,
livres/contenus littéraires est remplacée par un accès unique via
l’ordinateur à des contenus multiples).
• une mutation du rapport à l’espace : le numérique a
également aboli une partie des contraintes géo-physiques, en
mettant en relation potentiellement toutes les parties du monde,
réalisant le village global prophétisé par Mac Luhan8, produisant
un double mouvement de mondialisation de la culture et de
micro-localisation des cultures.
• une mutation des modes de production et de labellisation culturelle : le fonctionnement ouvert du numérique (wiki9,
mods10, etc.), basé sur la collaboration, a d’une part, déplacé
la notion d’auteur et brouillé la frontière avec l’amateur, quand,
d’autre part, le fonctionnement en réseau favorisait l’apparition
de nouveaux acteurs et systèmes de labellisation, en marge des
institutions traditionnelles de transmission et de labellisation que
sont principalement les institutions culturelles et l’école.
La recomposition des agendas culturels
Si la prééminence des technologies ne sonne pas le glas de leur
intérêt pour les autres pans de la culture, les agendas culturels
des jeunes opèrent dans ce cadre une série de basculements.
L’appétence des jeunes générations pour les technologies de l’information et de la communication a modifié le paysage médiatique
qui prévalait dans les générations précédentes. Si la télévision
reste le média qui a leur préférence pour tout ce qui relève de l’information et leurs sujets de préoccupation (emploi, environnement,
terrorisme…), si la radio a su leur proposer des contenus culturels
et interactifs répondant au « moment adolescent11 », la concurrence,
en termes de budget et de temps, est rude et tourne en défaveur
des médias anciens (télévision et radio). Seule la place de l’écoute
musicale reste prédominante : l’intérêt des jeunes pour la musique
se traduit par une très grande diversité de goûts et de préférences.
C’est dans ce domaine que l’on a pu parler de montée de l’éclectisme des jeunes12.
Ceux-ci se caractérisent en outre par une culture de sorties, qui
place en tête le cinéma puis les concerts de musiques « actuelles ».
Ils figurent par ailleurs parmi les habitués les plus fidèles des
musées, des bibliothèques/médiathèques et des lieux de spectacle
vivant, notamment parce qu’ils bénéficient, pour ceux qui sont scolarisés, des efforts d’incitation de l’institution13. Enfin, la jeunesse est
une période de prédilection des activités artistiques amateurs : pratique d’un instrument, peinture, danse, tenue d’un journal intime…
Lecture Jeune - septembre 2012
6 Ce service consiste à proposer aux
usagers équipés et reliés, la rediffusion d’un
programme peu de temps après sa première
diffusion sur la chaîne et généralement pour
une période de quelques jours. Après ce
délai, soit le contenu est inaccessible ou
supprimé, soit il devient payant.
7 Un podcast est un fichier multimédia
(audio, vidéo ou texte) délivré sur votre
ordinateur, à la demande, qui peut ensuite
être synchronisé sur votre baladeur MP3.
8 The Global Village, Transformations in
World Life and Media in the 21th Century,
Marshall Mac Luhan et Bruce R. Powers,
Oxford University Press, 1989.
9 Un wiki est un logiciel de la famille des
systèmes de gestion de contenu de site web
rendant les pages web modifiables par tous
les visiteurs y étant autorisés. Il facilite l’écriture collaborative de documents avec un
minimum de contraintes (ex. : Wikipedia).
10 Un mod (de l’anglais mod, abréviation
de modification) est un jeu vidéo créé à partir d’un autre, ou une modification du jeu
original, sous la forme d’une greffe qui se
rajoute à l’original, le transformant parfois
complètement. Les mods les plus courants se
rencontrent sur PC, dans les genres tir subjectif ou stratégie en temps réel. Les auteurs
de mods sont appelés modeurs.
11 Libre antenne. La réception de la radio
par les adolescents, Hervé Glevarec,
Armand-Colin/INA, 2005.
12 “Changing Highbrow Taste : From Snob
to Omnivore”, Richard Peterson et Robert
Kern, American Sociological Review, n° 61,
55, 1996.
13 Les Loisirs culturels des 6 -14 ans,
Sylvie Octobre, La documentation française,
2004 ; Enquête Participation à la vie
culturelle et sportive, Insee, 2003.
6
Nouvelles cultures
et institutions de transmission
14 Approche générationnelle des pratiques
culturelles et médiatiques, Olivier Donnat et
Florence Lévy, DEPS, Ministère de la Culture
et de la Communication, coll. « Culture
prospective », 2007-3 ; « Tels parents, tels
enfants », Revue française de sociologie,
Yves Jauneau et Sylvie Octobre, 2008-49-4,
octobre-décembre 2008. Voir Les Pratiques
culturelles des Français à l’ère numérique,
Olivier Donnat, La Découverte/Ministère de
la Culture et de la Communication, 2009.
15 Cette culturalisation prend à certains
égards le visage d’une banalisation (ce qui,
remarquons-le, est un renversement saisissant
de la rhétorique de la démocratisation) :
la disjonction savoir/culture, la disjonction
capital culturel/capital social et économique
ont accéléré la perte de valeur symbolique
de la culture.
16 La Distinction, critique sociale
du jugement, Pierre Bourdieu, Minuit, 1979.
17 « Ce phénomène ancien est probablement accéléré par la massification scolaire
et la banalisation culturelle ». Le Savant et
le Populaire. Misérabilisme et populisme en
sociologie et en littérature, Claude Grignon
et Jean-Claude Passeron, Seuil, 1989.
Plus encore, le niveau d’investissement dans les « nouvelles » pratiques culturelles est corrélé avec le niveau d’investissement dans les
pratiques traditionnelles : la loi du cumul se vérifie, sauf en matière
de lecture de livres imprimés, qui est une pratique en baisse de
génération en génération14 – baisse que la révolution numérique
n’a fait qu’accélérer et qui s’accompagne d’une mutation des supports de la lecture, au profit des supports thématiques (journaux,
magazines) et surtout, de la lecture sur écran, dont on a encore
bien du mal à mesurer l’ampleur.
Ce qui s’apparente à une massification culturelle a plusieurs origines : une origine historique – les jeunes sont les enfants de la
seconde massification scolaire qui a été marquée par une généralisation de l’accès à la culture, des produits médiatiques aux pratiques amateurs – ; un effet de cycle de vie – la jeunesse comme
moment de suspension des contraintes de la vie adulte notamment
pour les jeunes qui poursuivent des études, a tendance à gommer
pour un temps les disparités de capital culturel incorporé, les univers culturels se caractérisant par un patrimoine commun de produits
médiatiques et industriels – ; et un effet d’offre – la démultiplication
des produits culturels et de leurs modes d’accès a favorisé tendanciellement une culturalisation du rapport au monde15.
Les élites d’aujourd’hui ne sont plus systématiquement porteuses des
valeurs de la culture légitime : certes les diplômés sont toujours plus
nombreux parmi les lecteurs de livres ou les visiteurs de musées,
mais les écarts de pratiques se résorbent, notamment sous l’effet
de l’abandon de ces pratiques par les catégories qui naguère les
appréciaient. Et surtout, la légitimité culturelle16, qui fonctionnait
tant par élection de pratiques et genres valorisés que par exclusion
des consommations dites « populaires » (ou médiatiques) et par
incorporation par les individus de ces hiérarchies de valeur, semble ne plus distinguer si précisément les deux registres, ni pouvoir
se baser sur une telle incorporation : nombre de membres des
catégories diplômées sont des consommateurs « décomplexés » de
produits culturels industriels (les séries américaines notamment) et le
sentiment d’illégitimité des catégories populaires à l’égard de leurs
pratiques n’est plus si évident17.
Autonomie culturelle, autonomie relationnelle et
espaces de socialisation
18 La Culture de la chambre,
Hervé Glévarec, La Documentation
française, Questions de culture), 2009.
Cette réorganisation des agendas culturels n’est possible que parce
qu’émerge une nouvelle position du jeune dans la société, notamment dans la famille. De manière croissante, les jeunes se voient
conférer une autonomie culturelle et une autonomie relationnelle,
la seconde venant nourrir la première tant la dimension sociale
des consommations culturelles est prégnante, qu’il s’agisse de
sociabilité (co-présence physique) ou de communication au sujet
des consommations culturelles (médiatisée ou non). Du côté de
l’autonomie culturelle se dessine précocement la reconnaissance
d’un statut de consommateur culturel, avec des moyens afférents
(indépendance financière gagée sur l’argent de poche, qui est
généralisé dès le lycée), un espace (la chambre), des objets (les
Lecture Jeune - septembre 2012
7
équipements en propre des jeunes sont nombreux, pluriels et largement répandus18).
Ce statut fait du jeune un acteur intégré dans la négociation familiale pour les consommations culturelles : choix des contenus, des
lieux et modalités de consommations, etc. Du côté de l’autonomie
relationnelle se placent les autorisations de sortie, mais également
la liberté de contacts laissée aux jeunes par les familles, soit qu’elles
soient incapables de les contrôler (comment savoir ce qu’un jeune
fait sur son ordinateur dans sa chambre ?) soit que cette liberté
relationnelle soit versée au registre de l’épanouissement personnel,
valeur centrale de l’éducation moderne.
À côté des influences familiales, le rôle des pairs est prégnant, tant
parce que ceux-ci proposent des modèles comportementaux, qui
s’alimentent à ceux des médias et des dynamiques juvéniles, que
parce qu’ils sont des espaces de construction identitaire et de reconnaissance de soi par les autres où il importe de « tenir son rang19 ».
Ainsi, les sites relationnels – Facebook par exemple20 – ou les sites
de jeux vidéo en réseaux ne sonnent pas le glas de la sociabilité. Il
faut pour le comprendre concevoir que le désir d’intimité qui caractérise la construction identitaire des jeunes se double d’un désir
« d’extrimité21 », de mise en scène de soi sur des sphères sociales
où l’on peut tester des hypothèses identitaires, sans pour autant
que la personnalité soit au risque de la schizophrénie : l’usage de
pseudos, de changement de sexe sur les réseaux virtuels se saisit
dans ce cadre explicatif.
C’est là que le lien avec la question de la transmission se fait jour,
dans ces mutations qui questionnent, redéfinissent les périmètres
et le rôle des acteurs de cette socialisation culturelle. Encore faut-il
procéder à un éclaircissement conceptuel : la transmission n’est pas
la reproduction à l’identique de comportements d’une génération à
une autre (sinon, la culture ne pourrait être vivante). Elle suppose
un processus de réappropriation, une action des héritiers qui est
toujours également une transformation : cette transformation peut
se matérialiser par un déplacement des contenus consommés,
des modalités de consommation intégrant les innovations technologiques22, etc.
Dans la famille moderne, individualiste, et plurimodale23, semblable
à une agora à certains égards, les parents souhaitent laisser une
large liberté aux héritiers et les identités culturelles sont co-construites24. La culture est donc négociée, partagée, mais rarement objet
d’opposition générationnelle, comme cela a pu être le cas dans les
générations précédentes (par exemple autour de la musique rock
dans les années 60-70). Il n’y a donc pas de rupture générationnelle, mais plutôt un continuum de situations de décalage vers les
cultures dites populaires ou médiatiques, qui connaît des accélérations technologiques.
Du côté de l’école et des institutions culturelles, les choses sont différentes. Ce que François Dubet appelle « la crise du programme
institutionnel de l’école »25 peut s’interpréter sur les trois registres :
crise des mécanismes de la transmission, des statuts des transmetteurs et des contenus. Les mécanismes traditionnels de transmission
Lecture Jeune - septembre 2012
19 Cultures lycéennes, la tyrannie
de la majorité, Dominique Pasquier,
Autrement, 2005.
20 Voir numéro spécial de Réseaux,
« Réseaux sociaux de l’Internet »,
n° 152, décembre 2008.
21 Virtuel mon amour, Serge Tisseron,
Albin Michel, 2008.
22 Ainsi, les parents écouteront les Beatles
sur un lecteur CD et les enfants Tokyo Hotel
sur un MP3, mais les deux générations
partageront un fort attachement à la consommation de musique enregistrée.
23 Les Adonaissants, François de Singly,
Armand Colin, 2008.
24 « Tels parents, tels enfants »,
Yves Jauneau et Sylvie Octobre, Revue
française de sociologie, 2008-49-4,
octobre-décembre 2008.
25 Le Déclin de l’institution,
François Dubet, Le Seuil, 2002.
26 Évaluer les effets de l’éducation
artistique et culturelle, La Documentation
française/Centre Georges-Pompidou,
2008 ; Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet
et Dominique Ottavi, Conditions
de l’éducation, Stock, 2008.
27 Olivier Galland pose ainsi la question :
« Est-il légitime de penser la jeunesse
comme une catégorie sociologique, c’est-àdire comme un groupe social doté, à côté
d’autres déterminations, d’une certaine
unité de représentations et d’attitudes tenant
à l’âge ? » Olivier Galland, Sociologie de
la jeunesse, Armand Colin, 2007.
28 La génération « 11 septembre »
rassemble des jeunes qui auront 20 ans
entre 2005 et 2014, et la génération
« Internet » ceux qui ont eu 20 ans entre
1995 et 2004.
8
Nouvelles cultures
et institutions de transmission
29 Source : Pratiques culturelles des
Français.
30 Masculin-Féminin I. La pensée de la
différence, Françoise Héritier, Éditions Odile
Jacob, 1996 ; La distinction de sexe,
Une nouvelle approche de l’égalité,
Irène Théry, Odile Jacob, 2007.
31 « La féminisation des pratiques culturelles », Olivier Donnat, Développement
culturel, n° 147, 2005 ; « La construction
intra-familiale des différenciations de “genre”
à travers les loisirs culturels », Sylvie Octobre,
Agora, n° 47, 2008 ; « La fabrique sexuée
des goûts culturels. Construire son identité
de fille ou de garçon à travers les activités
culturelles », Sylvie Octobre, Développement
culturel, n° 150, décembre 2005.
32 Tel père, tel fils : position sociale et origine familiale, Claude Thélot, Pluriel, 1982 ;
Le destin des générations : structure sociale
et cohortes en France au XXe siècle, Louis
Chauvel, PUF, 1998 (2e édition).
33 « Valeurs des jeunes : une spécificité
française ? », Olivier Galland, Regards sur
les jeunes en France, Bernard Roudet (dir),
Injep/PUL, 2009 ; « Un nouvel âge de la vie »
Olivier Galland, Revue française
de sociologie, n° 4, 1990.
34 « Culture adolescente et révolte
étudiante », Edgar Morin, Annales E.S.C.,
n° 3, 1969.
35 Les Valeurs des jeunes, tendances en
France depuis 20 ans, Olivier Galland et
Bernard Roudet (dir), L’Harmattan, 2001.
Publications
de Sylvie Octobre
• Les Loisirs culturels des 6 - 14 ans,
La Documentation française, 2004.
• « Les loisirs culturels des 6 -14 ans »,
Développement culturel, n° 144, 2004
(sur www.culture.gouv.fr/deps).
sont concurrencés par l’irruption de nouveaux modes d’accès au
savoir (wiki, moteurs de recherche, etc.) ; les sites, plates-formes,
forums et commentaires de blogs proposent désormais les contenus
précédemment fournis par l’école. Les statuts des transmetteurs
(professeurs, documentalistes, bibliothécaires, etc.) sont également concurrencés par les nouveaux modes d’accès au savoir et
les nouvelles relations enseignants/enseignés. Enfin, le savoir ne
semble plus être le passage obligé pour réussir sa vie, la moindre
performativité de l’école sur le marché du travail en est un indice.
Ceci incite à une véritable réflexion pédagogique sur les modes
de transmission, qui ne se réduise pas à l’insertion de technologies
mais englobe une réflexion sur les apprentissages26.
Pourtant, faut-il céder à l’illusion culturaliste d’une homogénéité de
la jeunesse à l’égard des loisirs ?27 Génération « Internet » et génération « 11 septembre »28 recouvrent des réalités variées, des cultures
diverses, opérant des mutations autour des grandes tendances
présentées plus haut – les plus récentes générations sont toujours
plus technophiles que leurs aînés, ce qui modifie leurs usages des
technologies (MSN pour les plus jeunes, téléchargement pour les
plus âgés) – mais aussi des statuts de consommateurs culturels
différents (autonomie culturelle cantonnée aux produits pour les
uns, ouverte aux équipements et aux sorties pour les autres), qui
matérialisent leur degré d’autonomie culturelle et relationnelle. Des
fractures d’origine sociale, quoi que moins prégnantes que chez
les adultes sont perceptibles, qui laissent environ 10 % des jeunes
de chaque classe d’âge à l’écart des loisirs culturels29 et qui différencient fortement les normes éducatives des familles en matière
d’autonomisation. À ces clivages sociaux s’ajoutent des différenciations de sexe : les clivages entre filles et garçons prennent dans le
monde postmoderne une nouvelle acuité, qui revêt la forme, selon
l’optique que l’on choisit, d’une reconnaissance des différences ou
d’un creusement des inégalités30. Sociologiquement et politiquement, la question est alors de savoir si les écarts de comportements
et de traitements des filles et des garçons sont des différences
intéressantes en tant que telles et significatives de la féminité et de
la masculinité, considérés comme des états historiques plus que
comme des vérités « essentialisantes », ou bien si elles sont une (nouvelle) forme d’inégalité : le discours unisexe ou mixte de la plupart
des institutions de transmission – école, institutions culturelles, etc.
– doit être révisé à l’aune de cette question31. Ces clivages d’âge et
de sexe se combinent avec les clivages sociaux, tant les définitions
statutaire et identitaire des âges et des sexes peuvent y varier32.
Jeunesse plurielle, jeunesse rare, jeunesse désirée… Jeunesse qui
se rassemble autour de deux caractéristiques : un niveau d’engagement dans la culture supérieur à la moyenne et une propension à
s’emparer des innovations technologiques ou artistiques.
Cultures, valeurs et générations
Est-ce à dire que ces mutations des rapports aux produits et activités culturelles traduisent une mutation des valeurs de ces jeunes générations ?
Lecture Jeune - septembre 2012
9
Le « modèle de l’identification »33 qui avait prévalu dans les générations précédentes, reposant sur un processus de transmission de
statuts et de valeurs relativement stables, semble remplacé par
ce qu’Edgar Morin34 désignait comme l’autonomie d’une culture
juvénile liée aux loisirs, qui entraîne une conquête d’autonomie par
rapport à la famille et à la société dans son ensemble, autonomie
qui ne se situe plus dans les marges de la résistance culturelle mais
bien au centre des processus de consommation. Là où les cultures
juvéniles des années 60 -70 se comportaient comme des isolats
fermés au monde des adultes, lieu de revendication de liberté,
d’évasion, etc. Les cultures juvéniles d’aujourd’hui paraissent bien
plus ancrées dans les fonctionnements des marchés de leur temps.
Il semble qu’avec les outils technologiques, les jeunes soient passés
dans un modèle de l’expérimentation, dans lequel la transmission
des statuts et des rôles est moins efficace. Expérimentation qui
prend un visage processuel : la jeunesse est un continuum. Le conflit
des générations, dans lequel les cultures avaient une place importante, comme élément de visibilité des espaces de conflits, a perdu
de sa force car les adultes sont également issus des générations de
la culture de masse : de ce fait, les valeurs des jeunes et de leurs
parents tendent à se rapprocher, sans que les jeunes ne désinvestissent les groupes de pairs35.
Les caractéristiques de la culture jeune ne sont donc pas volatiles,
et liées à l’âge, mais générationnelles et durables : en vieillissant
les jeunes conservent les activités qui ont défini leur culture jeune.
L’exemple des jeux vidéo peut nous en convaincre : pratique
supposée liée à une mode adolescente au moment de son développement, elle apparaît bien plus durable puisque les adultes
d’aujourd’hui, notamment les hommes, restent joueurs. Les industries culturelles l’ont bien compris, qui proposent de plus en plus de
produits générationnels en lien avec la « culture jeune d’avant » :
reprise de séries télé au cinéma, stations radio axées sur la musique
des années 80… La juvénilisation de la culture a comme corollaire cette permanence des univers culturels avec le vieillissement.
Lecture Jeune - septembre 2012
• Enfants et littérature : encore
beaucoup à dire, Actes du colloque
des 4 et 5 avril 2005, Centre de
promotion du livre de jeunesse en
Seine-Saint-Denis, 2005.
• « La fabrique sexuée des goûts
culturels : construire son identité
de fille ou de garçon à travers les
activités culturelles », Développement
culturel, n° 150, 2005.
• « Les loisirs culturels des 6 -14 ans.
Contribution à une sociologie de
l’enfance et de la prime adolescence », revue Enfance, Famille,
Génération (http://www.uqtr.ca/
efg), n° 4, printemps 2006.
• « Les jeunes et les “N Yic” »,
numéro spécial « Cultures à égalité »,
Diversité Ville-École-Intégration,
n° 148, CNDP, mars 2007.
• « Les loisirs culturels des 6 -14 ans,
réflexions et résultats », dans
Panorama Art et Jeunesse, INJEP/
Centre Georges Pompidou, 2007.
• « La construction intra-familiale des
différenciations de “genre” à travers
les loisirs culturels », Agora Débats
Jeunesse, n° 47, 2008.
• « Tels parents, tels enfants ? Une
approche de la transmission culturelle », (avec Yves Jauneau),
Revue française de sociologie,
2008-49-4, octobre-décembre
2008.
• « Les horizons culturels des
jeunes », Revue française de pédagogie, n° 163, 2008.
• « Pratiques culturelles chez
les jeunes et institutions de transmissions : un choc de cultures ? »,
Culture prospective, 2009-1, (sur
www.culture.gouv.fr/deps) ; texte
également présent dans « La culture
au cœur de l’enseignement, un
vrai défi démocratique », Actes du
colloque organisé le 17 novembre
2008 à Bruxelles, « Culture et
Démocratie ».
Expression de soi
10
et créations identitaires
Le dossier sur le web 2.0
Christophe Aguiton et Dominique Cardon Enquête
La notion de « créations identitaires » est à aborder sur deux
points : tout d’abord, une typologie des plateformes relationnelles du web 2.0 qui s’organise autour des différentes
dimensions de l’identité numérique et du type de visibilité
que chaque plateforme confère au profil de ses membres. Nous reviendrons ensuite sur l’étude « Sociogeek »,
première enquête sociologique en ligne sur le web 2.0 qui
explore les nouvelles formes d’exposition de soi sur les
plateformes relationnelles du web 2.0.
Christophe Aguiton
est chercheur en sciences humaines
et sociales à Orange Labs (Division
recherche et développement du
groupe France Télécom). Le laboratoire travaille sur les nouveaux
usages des outils de communication.
Sociologues, ergonomes et économistes analysent les transformations
sociales et culturelles associées au
développement des pratiques de
communication électronique, notamment dans le monde du web 2.0. Les
chercheurs du laboratoire ont déjà travaillé sur la typologie des plateformes
relationnelles et sur les principales
caractéristiques des réseaux sociaux
sur le web 2.0.
Article paru dans le n°133 de
la revue Lecture jeune « Culture
numérique. Nouveaux espaces
d’expressions et de créations
adolescentes », mars 2010
1 Vous pouvez consulter une version longue
et orientée « recherche » de cette typologie :
Dominique Cardon, « Le design de la visibilité.
Un essai de cartographie du web 2.0 »,
Réseaux, n° 152, 2008.
2 Les Uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, François de Singly, Armand
Colin, 2003, et « Express Yourself ! Les pages
perso entre légitimation techno-politique de
L’identité numérique
Du point de vue des usages, le succès du web 2.0 est relativement
inattendu1. Les utilisateurs ont contredit au moins deux des présupposés
que les offreurs de services traditionnels avaient cru pouvoir extrapoler
de leurs comportements dans le monde réel. D’une part, ils n’hésitent
pas à rendre visible des traits de leur identité dont on supposait qu’ils
auraient préféré les réserver à un cercle fermé de proches. D’autre
part, les utilisateurs ne se contentent pas d’entrer en relation avec des
proches ou des personnes partageant avec eux des traits identitaires
similaires. Ils abordent aussi le Web dans un esprit exploratoire afin
d’élargir leur cercle relationnel. La manière dont est rendue visible
l’identité des personnes sur les sites du web 2.0 constitue l’une
des variables les plus pertinentes pour apprécier la diversité des
plateformes et des activités relationnelles qui y ont cours. Que montre-ton de soi aux autres ? Comment sont rendus visibles les liens que l’on a
tissés sur les plateformes d’interaction ? Comment ces sites permettentils aux visiteurs de retrouver les personnes qu’ils connaissent et d’en
découvrir d’autres ?
La décomposition de l’identité numérique
L’identité numérique est une notion très large. Aussi, nous pouvons la
décomposer autour de deux tensions qui se trouvent aujourd’hui au
cœur des transformations de l’individualisme contemporain2.
• L’extériorisation de soi caractérise la tension entre les signes qui
se réfèrent à ce que la personne est dans son être (sexe, âge,
statut matrimonial, etc.), de façon durable et incorporée, et ceux
qui renvoient à ce que fait la personne (ses œuvres, ses projets,
ses productions). Ce processus d’extériorisation du soi dans les
activités et les œuvres renvoie à ce que la sociologie qualifie de
subjectivation.
• La simulation de soi caractérise la tension entre les traits qui se réfèrent
à la personne dans sa vie réelle (quotidienne, professionnelle,
amicale) et ceux qui renvoient à une projection ou à une simulation
de soi, virtuelle au sens premier du terme, qui permet aux personnes
d’exprimer une partie ou une potentialité d’elles-mêmes.
l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer-to-peer », Laurence Allard, Frédéric
Vandenberghe, Réseaux, n° 117, 2003.
Lecture Jeune - septembre 2012
11
Cinq formats de visibilité
Sur ces deux axes, il est possible de projeter trois modèles de visibilité,
auxquels s’ajoutent deux modèles. Ceux-ci correspondent aux
différentes formes d’éclairage que les plateformes réservent à l’identité
des participants et à leur mise en relation.
Lecture Jeune - septembre 2012
12
Expression de soi
et créations identitaires sur le web 2.0
Le paravent. Les participants ne sont visibles aux autres qu’à travers
un moteur de recherche fonctionnant sur des critères objectifs. Ils restent
« cachés » derrière des catégories qui les décrivent et ne se dévoilent
réellement qu’au cas par cas dans l’interaction avec la personne
de leur choix. Le principe du paravent préside aux appariements
sur les sites de rencontre (Meetic, Rezog, Ulteem). Les individus se
sélectionnent les uns les autres à travers une fiche critérielle découverte
à l’aide d’un moteur de recherche, avant de dévoiler progressivement
leurs identités et de favoriser une rencontre dans la vie réelle.
Le clair-obscur. Les participants rendent visibles leur intimité, leur
quotidien et leur vie sociale, mais ils s’adressent principalement aux
proches et sont difficilement accessibles pour les autres. La visibilité en
clair-obscur est au principe de toutes les plateformes relationnelles qui
privilégient les échanges entre petits cercles d’internautes (Cyworld,
Skyblog, Friendster). Si les personnes se dévoilent beaucoup,
elles ont l’impression de ne le faire que devant un nombre restreint
d’amis, souvent connus dans la vie réelle. Les autres n’accèdent que
difficilement à leur fiche, soit parce que l’accès est limité, soit parce
que l’imperfection des outils de recherche sur la plateforme le rend
complexe et difficile. Pour autant, ces plateformes refusent de se fermer
complètement dans un entre-soi et restent ouvertes à la nébuleuse des
amis d’amis et des réseaux proches.
Le phare. Les participants rendent visibles de nombreux traits de leur
identité, leurs goûts et leurs productions et sont facilement accessibles à
tous. En partageant des contenus, les personnes créent de grands réseaux
relationnels qui favorisent des contacts beaucoup plus nombreux, la
rencontre avec des inconnus et la possibilité de trouver une audience. La
photo (Flickr), la musique (MySpace) ou la vidéo (YouTube) constituent
alors autant de moyens de montrer à tous ses centres d’intérêts et ses
compétences et de créer des collectifs fondés sur les contenus partagés.
Dans l’univers du phare, la visibilité fait souvent l’objet d’une quête
délibérée et s’objective à travers des indicateurs de réputation, des
compteurs d’audience et la recherche d’une connectivité maximale.
Le post-it. Les participants rendent visibles leur disponibilité et leur
présence en multipliant les indices contextuels, mais ils réservent cet
accès à un cercle relationnel restreint (Twitter, Dodgeball). Les plateformes
fonctionnant sur le modèle du post-it se caractérisent par un couplage très
fort du territoire (notamment à travers les services de géolocalisation) et
du temps (notamment, afin de planifier de façon souple des rencontres
dans la vie réelle). Ainsi, les plateformes de voisinage (Peuplade) se
développent-elles dans une logique mêlant territorialisation du réseau
social et exploration curieuse de son environnement relationnel.
La lanterna magica. Les participants prennent la forme d’avatars
qu’ils personnalisent en « découplant » leur identité réelle de celle qu’ils
endossent dans le monde virtuel (Second Life). Venant de l’univers des
jeux en ligne (World of Warcraft), les avatars se libèrent des contraintes
Lecture Jeune - septembre 2012
13
des scénarios de jeu pour faire des participants les concepteurs de leur
identité, de l’environnement, des actions et des événements auxquels ils
prennent part. Dans ces univers, l’opération de transformation, voire de
métamorphose identitaire facilite et désinhibe la circulation et les nouvelles
rencontres à l’intérieur du monde de la plateforme, tout en rendant encore
rares l’articulation avec l’identité et la vie réelle des personnes.
De cette typologie, on peut dégager quatre enjeux de recherche pour les
approches de sciences sociales sur le web 2.0.
L’enjeu de la visibilité
Chaque plateforme propose une politique de la visibilité spécifique
et cette diversité permet aux utilisateurs de jouer de leur identité sur
des registres différents. Si l’utilisateur peut avoir un intérêt pratique
à fédérer ses multiples facettes, en revanche il est peu probable qu’il
souhaite partager avec d’autres son puzzle identitaire recomposé. Par
ailleurs, à trop vouloir garantir, certifier et assurer la confiance dans
le « réalisme » de l’identité, on néglige le fait que, dans beaucoup de
contextes et souvent dans les plus dynamiques d’entre eux, les personnes
n’aient pas envie d’être elles-mêmes. Cette typologie s’appuie sur l’idée
que dans la présentation qu’ils sont amenés à faire sur Internet, les
individus contrôlent la distance à soi qu’ils exhibent à travers leur identité
numérique.
Dans la partie haute de notre carte, ils sont amenés à être le plus
réaliste possible et à transporter dans leur identité numérique les
caractéristiques qui les décrivent le mieux dans leur vie réelle, amicale
ou professionnelle. En revanche, dans la partie basse, il leur est loisible
de prendre beaucoup plus de liberté en dissimulant certains traits de leur
identité sociale ordinaire et en accusant ou projetant d’autres traits avec
une coloration particulièrement accentuée. Ce constat invite à ne pas
considérer la question de l’identité sur Internet sous le seul angle de la
multiplicité des facettes de l’individu, celui-ci disposant d’un portefeuille
de rôles au sein duquel il aurait à arbitrer selon les contextes. En fait,
ces diverses identités n’ont rien de comparable ni de substituable. Elles
témoignent de profondeurs différentes dans le rapport à soi que les
individus souhaitent exhiber sur le Web. De sorte que la question de la
distance au réel peut se révéler être un critère d’arbitrage beaucoup plus
important pour les personnes que le choix d’une facette identitaire.
La forme du réseau social
Cette typologie aide à différencier la taille et la forme des réseaux
sociaux selon les différentes plateformes. Alors que les sites du modèle
du paravent refusent l’affichage du réseau relationnel pour préserver
la discrétion d’une rencontre que l’on espère unique (significativement,
seuls les sites gays et libertins se risquent à un affichage du réseau
relationnel de leurs membres), les plateformes en clair-obscur se signalent
par de petits réseaux de contacts très fortement connectés entre eux. En
revanche, les sites du modèle du phare se caractérisent par l’importance
du nombre de contacts et par des réseaux beaucoup plus divers,
inattendus, longs et distendus que ceux qui s’observent dans la vie réelle.
Lecture Jeune - septembre 2012
Dominique Cardon
est sociologue au Laboratoire des
usages de France Télécom R&D
et chercheur associé au Centre
d’étude des mouvements sociaux
de l’École des Hautes Études en
Sciences sociales (CEMS/EHESS).
Ses travaux portent sur les
relations entre les usages des nouvelles technologies et les pratiques
culturelles et médiatiques. Si les
nouvelles technologies contribuent
à transformer les relations sociales
des individus, elles modifient aussi
l’espace public, les médias et la
manière de produire de l’information. L’articulation entre sociabilités
et espace public est à l’origine
de différents travaux portant
sur les pratiques culturelles,
les médias alternatifs ou les programmes télévisés « interactifs ».
Il s’intéresse notamment aux
usages des nouvelles technologies
par les militants internationaux
du mouvement.
14
Expression de soi
et créations identitaires sur le web 2.0
Les modes de navigation
La rupture introduite par le web 2.0 s’appuie sur un changement de
paradigme dans les systèmes de recherche d’information. Un premier
déplacement est apparu avec la navigation relationnelle qui voit les
personnes circuler sur les plateformes à partir de leurs amis et des
amis de leurs amis. Cependant, lorsqu’elle s’étend, cette navigation
relationnelle s’accroche de plus en plus aux traces, explicites ou
implicites, laissées par la navigation des autres. Ce second déplacement
dans les systèmes de navigation ouvre alors l’espace à une navigation
« hasardeuse » (appelée serendipity) qui permet d’explorer la plateforme
en circulant à travers les agrégats que les autres participants ont
constitués à travers les tags, les groupes thématiques ou les playlists.
Ces agrégats d’un nouveau type ne sont pas édités par la plateforme,
mais sont produits par la composition des comportements des autres
utilisateurs. Cette navigation hasardeuse peut aussi être guidée par des
systèmes des recommandations basées sur le filtrage collaboratif ou
s’appuyer sur des repères externes comme l’audience ou la réputation.
L’exposition de soi : l’enquête « Sociogeek »
Quelles sont les différentes manières de s’exposer sur les principales
plates-formes de réseau social du web 2.0 ? Qui s’expose et comment
ces formes d’exposition conduisent-elles à des comportements
relationnels spécifiques sur Internet ? Ces questions ont présidé au
lancement de « Sociogeek », première enquête sociologique en
ligne sur le web 2.0. Mise en ligne début octobre 2008 sur www.
sociogeek.com sous la forme d’un quiz basé sur le classement de
photos et l’identification des amis, cette enquête d’un genre nouveau
présentait les nouvelles pratiques des internautes en terme d’exposition
de soi. Réalisée sous une forme ludique, l’enquête était aussi pour
les participants, un test permettant de calculer son « web-appeal »,
c’est-à-dire sa capacité d’attraction sur le web, avec un vrai résultat,
qui pouvait être ensuite diffusé. Il s’agissait de proposer une série de
photos en allant de la plus pudique à la plus osée et l’internaute devait
désigner ce qu’il était prêt à montrer sur sa page Web. Cet aspect
divertissant avait permis d’obtenir une participation record (plus de
12 000 internautes), grâce à l’appui de Libération, notamment.
Comment se montre-t-on ?
L’échantillon de cette enquête n’etait pas du tout représentatif de la
population française avec une moyenne d’âge de 28 ans. Le plus
important était l’âge médian de 23 ans. C’est-à-dire que 50 % des
enquêtés avaient moins de 23 ans. 96 % des répondants se connectaient
plusieurs fois par jour sur Internet et étaient membres d’un ou plusieurs
réseaux sociaux. Les enquêtés étaient également fortement diplômés.
L’enquête faisait apparaître deux formes « nouvelles » d’exposition de
soi des individus. En effet, les répondants avaient d’abord sélectionné
des photos qui renvoient à deux formes « classiques » d’exposition :
« l’exposition de soi traditionnelle » (photos de famille, de vacances,
de mariage) et l’impudeur corporelle (photos de nudité explicite).
Il y avait également des formes d’exposition de soi autour de « l’impudeur
corporelle » (nudité, intimité, vie amoureuse).
Lecture Jeune - septembre 2012
15
Enfin, l’enquête Sociogeek révélait deux nouveaux archétypes :
­– « L’exhib’ » : qui correspond aux formes d’expression de soi selon
lesquelles les personnes se mettent en scène dans divers contextes : en
mangeant, décontracté au travail, en colère, dansant…
­– « Le trash » : qui correspond à des formes d’exposition de soi
outrancières lorsque les participants exhibent des images « négatives »
d’eux-mêmes (pleurs, maladie, disgrâces corporelles).
Les utilisateurs des réseaux sociaux sculptent leur représentation avec
des objectifs souvent très explicites. Loin d’être composé de données
objectives, attestées, vérifiables et calculables, le patchwork désordonné
et proliférant de signes identitaires exhibés est tissé de jeux, de
parodies, de pastiches, d’allusions et d’exagérations. L’exhib’, dans le
monde numérique, est moins un dévoilement qu’une projection de soi.
Les utilisateurs produisent leur visibilité à travers un jeu de masques,
de filtres ou de sélection de facettes3. Ainsi dévoile-t-on des éléments
très différents sur une fiche de Meetic destinée à séduire, sur le profil
estudiantin de Facebook, dans le patchwork de goût de MySpace ou
à travers l’iconographie imaginative des avatars de Second Life. Les
utilisateurs multiplient par ailleurs les stratégies d’anonymisation pour
créer de la distance entre leur personne réelle et leur identité numérique,
et ce jusqu’à défaire toute référence à ce qu’ils sont et font dans la « vraie
vie ». L’identité numérique produit donc moins des informations que des
signaux.
3 Voir l’article de Michael Stora p. 14
de ce dossier.
L’exposition de soi sur le Web reste mesurée et « contrôlée »
Les répondants exposent modérément leur identité sur le Web. La note
moyenne des réponses obtenues sur l’ensemble de l’échantillon est en effet
de 2,07 (les niveaux d’exposition allant de 1, « très pudique » à 4, « très
impudique »). L’exposition de soi n’est donc pas outrancière. Seulement
7,6 % de l’échantillon a une note d’impudeur supérieure à 3 (dont 90 %
sont des hommes). Par ailleurs, le niveau d’exposition de soi est fortement
lié à l’âge : les moins de 19 ans sont moins pudiques que leurs aînés et la
« réserve » est croissante au fil des années.
Être actif sur les réseaux sociaux du Web n’entraîne pas une exposition
de soi plus forte que la moyenne. En revanche, pour élargir son cercle
relationnel et augmenter le nombre de ses amis, il est nécessaire d’exposer
plus fortement son identité. L’image de soi que l’on expose sur le Web est
une manière d’exprimer sa singularité auprès de son réseau d’amis, ce
qui conduit souvent les répondants à des stratégies d’image très réfléchies.
Pour l’essentiel, l’exposition est donc une stratégie sociale, avec une
tendance sous-jacente à l’exhibition, à la drôlerie ou à l’esbroufe
qui correspondent très probablement et plus profondément à des
changements dans la façon dont les individus se construisent pour
pouvoir agir et vivre en société.
Lecture Jeune - septembre 2012
Pour aller plus loin
• « Le Web 2.0 est l’héritier de
la contre-culture des années 60 »,
Christophe Aguiton, 01net, 2009.
• « Vertus démocratiques de
l’Internet, Dominique Cardon »,
La Vie des idées, 2009.
• « Le design de la visibilité : un
essai de typologie du web 2.0 »,
Dominique Cardon, Internetactu,
2008.
• Deux numéros de la revue
Réseaux coordonnés par
Dominique Cardon : « Réseaux
sociaux de l’Internet » (2008) et
« Web 2.0 » (2009).
• « La blogosphère est-elle
un espace public comme les
autres ? », Dominique Cardon,
Transversales, 2006.
• Vous pouvez consulter l’enquête
« Sociogeek » et les résultats sur
http://sociogeek.com
16
Le dossier
Fracture numérique
Fabien Granjon Analyse
Fabien Granjon
est sociologue, professeur
en sciences de l’information et
de la communication à l’Université Paris 8 Vincennes/SaintDenis au sein de l’UFR Culture &
Communication. Ses recherches
portent sur les usages sociaux des
médias et des technologies de
l’information et de la communication. Depuis une perspective
critique, ses principaux travaux
abordent les thèmes de l’action
collective, de la production alternative d’information, de l’exposition
de soi ou encore des pratiques
culturelles en ligne.
Article paru dans la revue
Communications,
Cultures du numérique,
mai 2011, n° 88
De la même manière que « fracture sociale » est un syntagme « euphémisant » pour désigner le large répertoire
des inégalités sociales, l’expression « fracture numérique »
entend ramasser sous un même label un ensemble très
hétérogène de situations mettant en lumière des différences
plus ou moins marquées quant à l’utilisation des dispositifs
de communication les plus récents (nous n’évoquerons ici
que le cas des « fractures numériques » liées à l’informatique
connectée). Disposer d’un ordinateur, d’une connexion
Internet et les utiliser sont les deux dimensions généralement retenues permettant de repérer et d’analyser les cas de
« fracture numérique1 ». Trop souvent, la diffusion des TIC
est encore appréhendée comme un indicateur pertinent de
son usage social effectif, ce qui relève d’un amalgame abusif
qui a été soumis à de sévères critiques, notamment chez les
auteurs qui s’intéressent à la « fracture numérique » dite « de
second degré2 ».
Il est toutefois une autre manière de considérer la « fracture
numérique » en l’envisageant comme un ensemble d’écarts de
pratiques constitutifs d’inégalités sociales. Dans cette perspective,
traiter de la « fracture numérique » ne revient pas seulement à porter
attention aux conditions de possibilité de l’accès et de l’acculturation
à l’informatique connectée, mais plutôt à s’intéresser aux logiques
et aux régulations sociales qui structurent l’actualisation des
usages. La notion de « fracture numérique » présuppose en effet des
aptitudes d’appropriation partagées de tous et elle fait l’impasse
sur les obstacles que rencontrent certains individus pour convertir
les « chances » technologiques en avantages pratiques concrets. Se
cache ici une rhétorique égalitariste (tous égaux devant l’usage des
TIC) et techniciste qui suggère un passage naturel des ressources
techniques aux bénéfices tirés de leur mobilisation. Que tout le monde
dispose d’un ordinateur et d’une connexion n’assurerait pourtant en
rien l’existence d’un régime d’avantages de type égalitaire. Le croire
c’est faire l’impasse sur la disparité dans la distribution des capabilités
sociales culturelles et techniques au sein des classes sociales. Il
est donc essentiel de bien distinguer, d’une part, les conditions de
possibilité matérielle d’accès à l’informatique connectée, d’autre
part, les potentialités économiques, sociales et culturelles pouvant
être offertes par un usage de l’informatique connectée, et enfin, les
accomplissements effectifs de ces virtualités. Sans doute pouvonsnous alors désigner par « inégalités numériques » les dissemblances
effectives concernant la conversion en accomplissement de « bien-être »
des possibilités d’action offertes par l’informatique connectée3.
Lecture Jeune - septembre 2012
17
L’exemple du non-usage
La littérature portant sur la « fracture numérique » liée à l’informatique
connectée est aujourd’hui des plus abondantes. En revanche, celle
qui lui est adjacente et traite des « retardataires », « non-utilisateurs » et
autres « abandonnistes » s’avère pour le moins restreinte, tout du moins
en France. Si les travaux français traitant de cette question sont, à
quelques exceptions près4 quasi inexistants, il existe toutefois un corpus
conséquent de textes anglophones qui abordent diverses facettes des
phénomènes de « non-usage ».
Un des premiers objectifs de la littérature sur le non-usage a été
d’essayer de catégoriser le phénomène et de lui redonner de la
profondeur en en repérant diverses modalités. En la matière, le
travail séminal mené par James Katz et Philip Aspden5 a entériné
une première différenciation entre ceux qui n’utilisent pas (encore)
Internet (non-users) et ceux qui se sont investis à un moment donné
dans l’informatique connectée, mais ont finalement abandonné
cet engagement (drop-outs). Ils montrent notamment que les
« abandonnistes » ont partagé les mêmes motivations à s’équiper que
les utilisateurs récents ou plus anciens (communiquer avec d’autres
personnes, s’informer, rester « à la page »). Par ailleurs, abandonnistes
et non-utilisateurs sont moins favorisés socialement que les utilisateurs
et disposent aussi d’un niveau de certification scolaire moindre. De
nombreuses études montreront par la suite que le déficit en différentes
sortes de capital (culturel, économique, social), mais également
certains autres facteurs (être âgé, être une femme, être parent isolé,
etc.) restent de fait des indicateurs pertinents du non-usage 6. Cette
première distinction entre non-utilisateurs et abandonnistes va pousser
d’autres chercheurs à discriminer encore davantage les situations
de non-usage pour en comprendre plus finement les mécanismes.
Ils vont par exemple proposer de repérer quels sont précisément les
interfaces et services mobilisés (ou non) par les utilisateurs (par ex.,
surfer, mais ne pas utiliser le courrier électronique). Par le biais de
la notion de capital-enhancing, Paul DiMaggio et Eszter Hargittai 8
vont, dans une perspective assez similaire, s’intéresser aux différents
types de pratiques en ligne susceptibles de véritablement améliorer
les conditions sociales d’existence des internautes et montrer que les
usages les plus « utiles » sont, sous cet aspect singulier, socialement très
mal distribués.
Une des principales manières dont vont être travaillées les données
statistiques issues des différents terrains empiriques va alors être de
proposer des typologies du non-usage. Il en existe de très nombreuses
qu’il serait ici par trop fastidieux de présenter, mais retenons que
pour l’essentiel, elles sont fondées sur des approches qui laissent
assez largement de côté la question des représentations. Sally Wyatt
et ses collègues9 vont par exemple identifier quatre groupes de nonutilisateurs : les « abandonnistes volontaires » (rejecters) qui n’utilisent
plus Internet par choix personnel, les « abandonnistes involontaires »
Lecture Jeune - septembre 2012
1 « Les sociologies de la fracture numérique.
Premiers jalons critiques pour une revue de
la littérature », F. Granjon, Questions de communication, 6, 2004 ; « Les usages du PC au
sein des classes populaires. Inégalités numériques et rapports sociaux de classe, de sexe
et d’âge », Inégalités numériques. Clivages
sociaux et modes d’appropriation des TIC,
Hermès-Lavoisier, 2008.
2 “Second-Level Digital Divide : Differences
in People’s Online Skills”, E. Hargittai, First
Monday, 7-4, 2002, http://firstmonday.org/
issues/issue7_4/hargittai ; P. Vendramin,
G. Valenduc, Internet et inégalités.
Une radiographie de la fracture numérique,
Éditions Labor, 2003.
3 “The new digital inequality : Social stratification among internet users”, P. DiMaggio,
E. Hargittai, intervention au congrès annuel
de l’Association américaine de sociologie,
Chicago, 2002.
4 « Des technologies inégalitaires ?
L’intégration d’internet dans l’univers domestique et les pratiques relationnelles »,
B. Lelong et al., Conférence TIC & inégalités :
les fractures numériques, Paris, 2004 ;
« Le « non-usage » de l’Internet : reconnaissance, mépris et idéologie », F. Granjon,
Questions de communication, 2010
(à paraître).
5 “Motives, Hurdles and Dropouts”,
J. Katz, P. Aspden P., Communications
of the ACM, 40(4), 1997, et « Internet
dropouts in the USA. The invisible group »,
Telecommunications Policy, 22(4/5), 1998.
6 “Comparing internet and mobile phone
usage : digital divides of usage,
ado-ption, and dropouts”, R. Rice et J. Katz,
Telecommunications Policy, 27, 2003 ;
Charting and bridging Digital Divides :
Comparing Socio-economic, Gender, Life
Stage and Rural-Urban Internet Access and
Use in Eight Countries, C. Wenhong,
B. Wellman B., rapport AMD Global
Consumer Advisroy Board, 2003.
18
Fracture numérique
7 “User resistance to new interactive media :
Participants, processes and Paradigms”,
I. Miles, G. Thomas, dans Bauer M. (éd.),
Resistance to New technology : Nuclear Power,
Information Technology and Biotechnology,
Cambridge University Press, 1995 ; “Whose
space ? Differences among users and non-users
of social network sites”, E. Hargittai, Journal
of Computer-Mediated Communication, 13-1,
2007, consultable en ligne : http://jcmc.
indiana.edu/vol13/issue1/hargittai.html ; The
Deepeening Divide, J. Van Dijk, Sage, 2005.
8 “Digital Inequality: Differences in Young
Adults’ Use of the Internet”, P. DiMaggio,
E. Hargittai, art. cit., 2002 ;
Communication Research, E. Hargittai,
A. Hinnant, 35-5, 2008.
9 “They Came, They Surfed, They Went
Back to the Beach : Conceptualizing Use
and Non-Use of the Internet”, S. Wyatt
et al., dans Virtual Society ? Technology,
Cyberpole and Reality, S. Woolgar (éd.),
Oxford, 2002.
10 The Ever-Shifting Internet Population.
A nex look at Internet access and the digital
divide, A. Lenhardt et al., Pew Internet &
American Life Project, 2003.
11 Resistance to New technology :
Nuclear Power, Infromation Technology
and Biotechnology, M. Bauer M. (éd.),
Cambridge University Press, 1995 ; “NonUsers Also Matter : The Construction of
Users and Non-Users of the Internet”,
S. Wyatt, dans How users matter.
The co-construction of users and technology,
N. Oudshoorn, T. Pinch T. (éd.),
MIT Press, 2003.
12 “They came, they surfed, they went back
to the beach : why some people stop using
the internet ?”, S. Wyatt, Society for Social
Studies Conference, San Diego, 1999 ;
“Challenging the digital imperative”, intervention à l’Académie royale des arts et des
sciences des Pays-bas, Maastricht, 2008.
(expelled) qui ont arrêté d’utiliser Internet pour des raisons qui ne
relèvent pas cette fois de leur volonté ; les « exclus » (excluded) qui
ne peuvent avoir d’accès par manque d’infrastructure ou de moyens
socio-économiques et les « résistants » (resisters) qui n’ont jamais
utilisé Internet par choix. Ces catégorisations dont il existe par ailleurs
d’autres versions présentant de menues variations10 sont fondées sur
trois dimensions classantes de natures assez diverses : infrastructurelle
d’abord (l’accès – haves vs. have nots), pratique ensuite (l’usage – use
vs. non-use) et décisionnaire enfin (le caractère « volontaire » ou non
des deux premières variables). Cet exercice de raffinement dans le
catalogage des non-utilisateurs possède un intérêt évident qui permet
d’éclairer plus précisément certains attributs du non-usage, mais aussi,
dans certains cas hélas trop rares, de lire possiblement le non-usage
comme un acte de résistance plus ou moins actif11 et pas seulement
comme une défaillance ou le révélateur de nouvelles inégalités12.
Car la « fracture numérique » est souvent présentée comme un déficit
d’acculturation technique. Sans remettre en cause frontalement
le bien-fondé de cet examen, ce type de cadrage ne permet
d’envisager les inégalités numériques que sous l’angle d’une figure
de l’extension du domaine de la dépossession contre laquelle il faut
lutter. Cette perspective a pour faiblesse, d’une part, de n’envisager
les conditions sociales de la pratique que sous l’angle de l’acquisition
et de l’exercice d’une forme de capital spécifique et, d’autre part,
d’appréhender le non-usage comme une dynamique sociale relevant
de la « limitation de soi ». Ce type d’approche se déploie ainsi au
risque même du mythe de la « société de l’information13 », c’est-à-dire
sans remettre fondamentalement en question la « définition socialement
approuvée14 » de nos sociétés contemporaines qui fait de la « fracture
numérique » une nouvelle forme d’inégalité à laquelle il faut croire et
construit le non-usage comme une déficience contre laquelle il faut
agir15. Les politiques en faveur des « publics éloignés », des « havenots » ou des « e-exclus » sont ainsi des mesures considérées comme
étant destinées à des « défavorisés numériques », alors que ceux-ci sont
évidemment, la plupart du temps, d’abord des « défavorisés sociaux ».
Leur but n’est ni de remédier aux causes des inégalités numériques en
tant qu’elles sont un effet de discriminations situées en leur amont, ni
d’étayer une réflexion sur leur formation. Il s’agit plutôt de considérer
une forme émergente d’inégalités, subséquente à la « société de
l’information », et non d’examiner la dernière déclinaison en date
d’inégalités sociales préexistantes.
Les motifs du non-usage
Outre ce recours fréquent à la catégorisation des formes de nonusage, un autre trait distinctif de la littérature du domaine est de porter
une attention toute particulière aux raisons du non-investissement
de l’informatique connectée. Les travaux déjà évoqués de Katz et
Aspden n’ont pas dérogé à cette logique d’investigation et présentent
une évaluation des raisons pour lesquelles les abandonnistes cessent
Lecture Jeune - septembre 2012
19
de se servir d’Internet. Ils ont ainsi mis en avant que les motifs de
l’abandon varient selon l’âge. Les moins de vingt ans n’utilisent plus
Internet généralement par manque d’intérêt ou par perte de leur accès,
tandis que les plus âgés avancent des motifs qui tiennent davantage
à leurs difficultés à maîtriser l’informatique connectée ou aux coûts
économiques trop élevés. D’autres études plus récentes confirment
peu ou prou ces résultats. Elles soulignent par ailleurs combien la
question de l’acquisition des compétences et d’une expérience dans la
manipulation des équipements tend à devenir de plus en plus centrale .
Elles observent aussi que les abandonnistes ne sont généralement pas
des néophytes. Si les changements de statuts professionnel, scolaire,
ou encore l’éloignement d’un lieu d’accès sont des causes évidentes de
l’abandon, celles-ci n’expliquent qu’un seul cinquième des cas. Dans
les faits, il existe ainsi de multiples facteurs qui peuvent déterminer
l’arrêt d’usage de l’Internet17.
Selon les cas de non-usage pris en compte, le domaine des
représentations est donc généralement abordé par le biais d’un intérêt
tout particulier pour les motivations des non-utilisateurs à s’équiper, ou
les motifs pour lesquels ils n’investissent pas (davantage) la pratique
de l’informatique connectée ou bien l’ont délaissée. Cette focalisation
sur des aspects socio-psychologiques censés fournir toute explication
utile permettant de saisir les raisons du non-usage a, sous l’effet d’une
logique de l’évidence, pour conséquence de faire l’économie d’une
interrogation sur les structures sociales et les dispositions des nonutilisateurs. Elle entérine une vision utilitariste assurant la promotion
d’un agent social qui témoignerait de sa capacité à conduire une
auto-évaluation rationnelle de ses besoins (contrariés). En l’occurrence,
du fait de la méthode employée (réponses à des questions fermées),
rien n’est dit sur les causes sociales de ces justifications par trop
autoguidées par les appareils de preuves des enquêtes quantitatives.
On retrouve là, un des travers classiques des problématiques de la
« fracture numérique » qui certes soulignent l’existence d’inégalités
dans le champ des TIC, mais ne disent en revanche rien ou pas grand
chose des origines sociales de ces inégalités numériques. Comme
le suggère Eszter Hargittai18, nous ne saurions donc nous contenter
de ces listes de motifs qui, s’ils ont valeur de descripteurs manquent
de précision interprétative et noient dans les eaux troubles du sens
commun les véritables générateurs sociaux de ces non-pratiques.
Paul DiMaggio et ses confrères19 insistent ainsi avec raison sur le
fait qu’il s’avère, là encore, nécessaire de réconcilier les approches
portant sur les comportements des (non-) utilisateurs (usages, valeurs
et représentations) et les analyses macrostructurelles (institutional and
political-economic factors) qui cadrent ces comportements.
In-capacités matérielles et in-capabilités pratiques
Répétons-le, la « fracture numérique » ne saurait seulement se résumer
à un défaut d’usage. Si les inégalités numériques s’expriment avec
la force de l’évidence dans le non-usage ou dans une pratique
Lecture Jeune - septembre 2012
13 Critiques de la société de l’information,
E. George, F. Granjon F. (dir.), L’Harmattan,
2008.
14 La Culture du pauvre, R. Hoggart,
Éd. de Minuit, 1970.
15 “Reconceptualizing the Digital Divide”,
M. Warschauer, First Monday, 7-7, 2002.
http://firstmonday.org/issues/current_issue/
warschauer/index.html ; “Second Thoughts:
toward a critique of the digital divide”, D. J.
Gunkel, New Media & Society, 5-4, 2003 ;
« Inégalités numériques et reconnaissance
sociale. Des usages populaires de l’informatique connectée », F. Granjon, Fracture
numérique et justice sociale, « Les Cahiers
du numérique », 5-1, 2009.
16 The Internet in Britain : The Oxford
Internet Survey, W. Dutton et al., Oxford
Internet Institute, 2005.
17 « La diffusion des technologies d’information et de communication : une enquête
longitudinale en Pologne », D. Batorski,
Z. Smoreda, Réseaux, 24-140, 2006.
18 “Internet acces and use in context”,
E. Hargittai, New Media & Society, 6-1,
2004.
19 “Social Implications of the Internet”,
P. DiMaggio P. et al., Annual Review of
Sociology, 27, 2001.
20
Fracture numérique
Quelques publications
récentes
Ouvrages et directions
• Actualités et citoyenneté à l’ère
numérique, F. Granjon, J. Jouët et
T. Vedel (dir.), Réseaux, vol. 29,
n° 170, 2011.
• Communiquer à l’ère numérique.
Regards croisés sur la sociologie des
usages, J. Denouël, F. Granjon,
coll. « Sciences Sociales »,
Presses des Mines, Paris, 2011.
• Inégalités numériques. Clivages
sociaux et modes d’appropriation
des TIC, F. Granjon, B. Lelong et
J-L. Metzger (dir.), coll. « Technique et
scientifique des télécommunications »,
Hermès/Lavoisier, Paris, 2009.
Articles
• « Les pratiques des écrans des
jeunes Français. Déterminants
sociaux et formes d’appropriation »,
F. Gire, F. Granjon, Reset, vol. 1,
n° 1, 2011.
• « Mobilisations collectives et web
participatif », Les Cahiers de la
SFSIC, n° 7, 2011.
• « Penser les usages sociaux
de l’actualité », F. Granjon,
A. Le Foulgoc, Réseaux, 2011.
• « Fracture numérique »,
Communications, n° 88, 2011.
• « Le « non-usage » de l’Internet :
reconnaissance, mépris et idéologie », Questions de communication,
n° 18, 2010.
• « Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur
les sites de réseaux sociaux »,
F. Granjon F., J. Denouël, Sociologie,
vol. 1, n° 1, Presses Universitaires de
France, 2010.
« indigente », elles ne sauraient toutefois se résumer aux phénomènes
d’« e-exclusion », qui ne sont que l’expression des formes les plus
radicales d’inégalités numériques. En réalité, ces inégalités peuvent
aussi être présentes dans des usages les plus stabilisés et les plus
élaborés sur le plan des manipulations. Car ce que nous désignons
par « inégalités numériques » ne concerne pas tant des régimes
de manipulations besogneuses d’Internet, que des dissemblances
effectives concernant la conversion en accomplissement de « bien-être »
des possibilités d’action offertes par l’informatique connectée. Et ces
dissimilitudes ne sont pas autre chose que des traductions pratiques
de formes de rapports sociaux fondés sur des injustices sociales. Elles
sont des modalités différenciées d’appropriation produites par des
déficits de capitaux ou de compétences, ou des capacités et des sens
pratiques (manières d’être et de faire) qui sont les produits intériorisés
de formes de domination sociale.
Considérer la « fracture numérique » comme un ensemble d’écarts
de pratiques constitutifs d’inégalités sociales, nous invite alors à
développer une vision agrégative du « non-usage » et à nous intéresser
aux logiques et régulations sociales qui structurent le phénomène.
Ainsi faut-il sans doute travailler à la fois sur les non-utilisateurs (havenots) qui ne se sont jamais investis dans la pratique de l’informatique
connectée, sur les abandonnistes (drop-outs) qui, après avoir essayé
Internet, se sont in fine dégagés de cet engagement, mais aussi sur
les individus qui, s’ils disposent des éléments matériels (ordinateur
et connexion) leur permettant un accès au réseau des réseaux
ne développent pour autant que de faibles usages en termes de
fréquence, de durée et/ou de répertoire d’usages (low-users). La prise
en compte de ces faibles utilisateurs nous invite à bien appréhender
sous l’angle de l’appropriation, un phénomène social qui est encore
trop souvent ramené à des indicateurs essentiellement infrastructurels
(i.e. à une problématique de l’adoption des innovations). Elle nous
engage également à saisir pratiquement une population constituée
de celles et ceux pour qui disposer d’Internet n’est pas, loin s’en
faut, synonyme d’une conversion des opportunités ouvertes par
ces ressources technologiques en avantages pratiques concrets.
Aussi peut-on désigner par « non-usage » et « non-utilisateurs » (avec
des guillemets), l’ensemble des pratiques et des individus dont la
caractéristique est de relever d’une « in-capacité » matérielle et/
ou d’une « in-capabilité » pratique à tirer bénéfice des potentialités
économiques, sociales et/ou culturelles pouvant être offertes par un
usage de l’informatique connectée. Dans cette perspective, essayer
de comprendre le « non-usage » et ses significations, c’est chercher à
saisir le rapport qu’entretiennent les « non-utilisateurs » à l’informatique
connectée, ou autrement dit, à appréhender les sens pratiques qu’ils
mobilisent en tant qu’ils sont les produits intériorisés de conditions
sociales particulières.
Lecture Jeune - septembre 2012
L
Comment se manifeste
la fracture numérique
Le dossier chez les jeunes ?
21
Gérard Valenduc Etude
En Belgique, 17 % des jeunes âgés de 16 à 24 ans ne sont
pas des utilisateurs assidus d’Internet (tous les jours ou
presque) et 3 % se connectent peu ou pas du tout. Toutefois,
33 % des jeunes de cette tranche d’âge estiment que leurs
compétences concernant les usages des technologies de
l’information et de la communication (TIC) sont insuffisantes par rapport aux exigences du marché du travail. Ces
chiffres extraits de l’enquête européenne sur la société de
l’information1 témoignent d’un décalage entre, d’une part,
la grande familiarité des jeunes avec Internet et, d’autre
part, les compétences en matière de TIC que le monde
économique et les pouvoirs publics attendent d’eux.
À la demande du ministère fédéral belge de l’Intégration sociale et
dans le cadre du plan national de lutte contre la fracture numérique,
la Fondation Travail-Université a étudié les inégalités dans l’accès à
Internet et ses usages chez les jeunes de 16 à 25 ans2. Cette tranche
d’âge a été privilégiée car, à la sortie de l’adolescence, les jeunes
connaissent une série de transitions dans leur vie personnelle et
deviennent progressivement concernés par les usages d’internet dans
tous les domaines de la vie en société. C’est aussi à ce moment que la
plupart des jeunes se construisent et partagent une culture numérique
commune. Ceux qui exploitent peu Internet sont minoritaires au sein
de leur génération, ce qui les expose d’autant plus à des risques de
marginalisation ou d’exclusion.
Quelles fractures chez les jeunes ?
La fracture numérique
L’expression « fracture numérique » (digital divide) est apparue dans la
littérature à la fin des années 1990. Elle désigne le fossé séparant les
personnes qui bénéficient de l’accès aux technologies et aux services
d’information numériques de celles qui en sont privées. Les recherches
en sciences sociales se sont rapidement écartées de cette conception
dichotomique3. La fracture numérique a une dimension matérielle qui
renvoie à des déficits en termes de moyens, d’équipements et d’accès :
la fracture numérique au premier degré. Par-delà cette première
acception, la fracture numérique a aussi une dimension cognitive et
sociale. Elle renvoie alors à des disparités liées au manque de maîtrise
des compétences nécessaires à l’usage des TIC et à l’exploitation
de leurs contenus, ainsi qu’à un déficit de ressources sociales pour
développer des pratiques qui permettent de négocier une position
valorisante au sein des univers sociaux fréquentés. Ces aspects
constituent la fracture numérique au second degré.
Lecture Jeune - septembre 2012
Gérard Valenduc
dirige le Centre de recherche de
la Fondation Travail-Université (FTU,
Namur, www.ftu-namur.org), est
professeur invité à l’université de
Louvain-la-Neuve (UCL, école de
communication) et à l’université
de Namur (FUNDP, faculté d’informatique). Physicien et docteur
en informatique, il s'est spécialisé
dans la recherche sur la dimension
humaine et sociale des changements technologiques. Il a créé une
unité de recherche sur le travail et
les technologies à la FTU dès 1984
et a participé à de nombreux projets concernant les aspects sociaux
de l'innovation technologique, à
l'échelle régionale, nationale ou
européenne. Ses recherches
et publications concernent les
mutations du travail, les métiers
des TIC, l’exclusion et l’inclusion
numériques, les relations entre
technologie et société.
1 Statistiques sur l’usage des TIC par
les individus et par les ménages, Statbel,
SPF économie, Bruxelles, 2011.
22
Comment se manifeste la fracture numérique
chez les jeunes ?
2 Les jeunes off-line et la fracture numérique
– Les risques d’inégalités dans la génération
des “natifs numériques”, P. Brotcorne,
L. Mertens, G. Valenduc, rapport pour
le Ministère fédéral de l’Intégration sociale,
2009. Téléchargeable sur www.mi-is.be.
3 “The digital divide : current and future
research directions”, S. Dewan, F-J. Riggins,
Journal of the Association for information
systems, vol. 6, n° 12, Atlanta, 2005 ;
Digital inequality : from unequal access to
differentiated use, P. DiMaggio, E. Hargittai,
C. Celeste, S. Shafer dans Social inequality,
K. Neckerman, Russel Sage Foudation,
2004 ; “Reconsidering political and popular
understandings of the digital divide”,
N. Selwyn, New Media and Society, vol. 6,
n° 3, Sage publications, 2004.
Dans cette optique, il importe de distinguer les différences et les
inégalités dans l’accès aux TIC et dans leurs usages. Les disparités
reflètent la diversité, tandis que les inégalités sont liées à des
phénomènes de discrimination, de ségrégation ou d’injustice
sociale. Des discriminations dues au non-accès et au non-usage
peuvent s’instaurer dans plusieurs domaines : le travail et le
développement professionnel, la consommation, l’accès aux services,
la communication avec les autres et l’exercice de la démocratie.
L’analyse de ces effets discriminatoires est essentielle pour comprendre
les conséquences de la fracture numérique.
Les inégalités sociales parmi les jeunes entre 16 et 25 ans
Les jeunes entre 16 et 25 ans sont censés appartenir à la génération
des « natifs numériques4 ». Le discours qui la caractérise renvoie
l’image d’un groupe homogène dans lequel les jeunes évolueraient
dans un environnement peu différencié. Pourtant, loin de présenter des
caractéristiques similaires, cette tranche d’âge constitue un public fort
diversifié. Les situations respectives des moins de 20 ans et des plus de
20 ans5 sont très contrastées, comme le montre le tableau n° 1.
« Fractures numériques, inégalités sociales
et processus d’appropriation
Tableau 1
des innovations », P. Vendramin,
G. Valenduc, Terminal, n° 95-96,
L’Harmattan, 2006.
4 Le néologisme de natif numérique a été
inventé en 2001 par Marc Prensky pour
désigner une génération d’apprenants qui,
par leur immersion dans les nouvelles
technologies et les jeux vidéo, aurait
développé des capacités cognitives peu
ou mal exploité par les enseignants
des générations précédentes.
5 La population de l’enquête européenne
sur les forces de travail commence à 15 ans,
tandis que la population de l’enquête sur la
société de l’information commence à 16 ans.
C’est ce qui explique la coexistence
de références aux « 15-24 ans »
et aux « 16-24 ans ».
6 EU Youth report, DG Education and
culture, European Commission, 2009.
http://ec.europa.eu/youth/documents/
youth_report_final.pdf
Répartition de la population des jeunes de 15 à 24 ans selon le statut (Belgique)
15 à 19 ans
20 à 24 ans
Hommes Femmes HommesFemmes
En emploi
7 %
5 %
47 %
41 %
Demandeur d’emploi
4 %
3 %
12 %
10 %
inscrit au chômage
Étudiant
87 %
90 %
35 %
40 %
Inactif non étudiant
3 %
3 %
6 %
9 %
100 %
100 %
100 %
100 %
Source : Enquête sur les forces de travail (LFS), Eurostat, 2011
Le public des plus jeunes (15 -19 ans) est assez homogène sur le plan
du statut socioprofessionnel : environ neuf jeunes sur dix sont encore
étudiants et à peine un sur dix est sur le marché du travail. En revanche,
le public des 20 -24 ans se caractérise par une grande hétérogéité et
par des écarts de genre plus importants : 47 % des hommes contre
41 % des femmes ont un emploi, 35 % des hommes contre 40 % des
femmes étudient encore. On constate de nombreuses inégalités en
termes d’emploi, de chômage et de décrochage scolaire dans cette
tranche d’âge (20 -24 ans). De plus, la proportion d’inactifs non
étudiants est significative. En Région bruxelloise, un jeune sur huit entre
20 et 25 ans n’est ni étudiant, ni au travail, ni demandeur d’emploi ;
les deux tiers d’entre eux sont des femmes.
Les données sociodémographiques sur le niveau d’indépendance des
jeunes belges entre 16 et 25 ans sont fragmentaires. Selon le EU Youth
Report 2009 6 (données de 2007), l’âge médian auquel les jeunes
Lecture Jeune - septembre 2012
23
belges quittent le foyer familial est de 25,3 ans pour les hommes et
23,5 ans pour les femmes. En Flandre, 42 % des 18 -25 ans vivent de
manière indépendante. L’âge de la transition se situe autour de 21 à
22 ans, un peu plus tôt pour les femmes que pour les hommes7.
Les ambuguïtés du discours sur la génération des « natifs numériques »
Les discours triomphants sur une génération de « natifs numériques »
uniformément branchée sont rapidement devenus populaires8. Ils ont
largement contribué à orienter les travaux sur les jeunes et les TIC
vers des problématiques spécifiques aux usages juvéniles et à leurs
conséquences éducatives et culturelles9. En ce qui concerne les jeunes
entre 16 et 25 ans, deux remarques s’imposent :
• Les publications sur la génération des natifs numériques définissent de
façon variable voire imprécise la tranche d’âge qu’elles qualifient.
Les adolescents, de 11 jusque 16 ou 18 ans y occupent une place
centrale. Peu d’études s’intéressent au comportement numérique des
jeunes dans la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, entre
la formation et le marché du travail, entre le foyer familial et la vie
autonome.
• Le discours sur la génération numérique considère surtout les jeunes
sous l’angle de leurs activités récréatives et relationnelles. Or, les
jeunes de 16 à 25 ans poursuivent des études, ont un travail ou sont
demandeurs d’emploi. Leurs usages d’internet dans le cadre de leur
formation ou de leur activité professionnelle sont peu pris en compte.
Cette orientation particulière des débats « jeunes et internet » a eu en
partie pour effet de détourner l’attention des chercheurs d’une autre
problématique – pourtant non moins pertinente et réelle –, celle de
l’exclusion effective de certains groupes de jeunes de l’univers des TIC
et de la société de l’information en général10.
7 Jongeren in cijfers en letters – Bevindingen
uit de JOP-monitor 2, N. Vettenburg,
J. Deklerck, J. Siangers, Acco, 2010.
8 “Digital natives, digital immigrants”,
M. Prensky, On the Horizon, vol. 9 n° 5,
2001.
9 « Jeunes internautes avertis ou l’ordinaire
des pratiques », A. Messin et J. Jouet
dans Internet : une utopie limitée.
Nouvelles régulations, nouvelles solidarités,
B. Conein, F. Massit-Foléa, S. Proulx, Presse
de l’Université de Laval, 2005.
10 Facer et Furlong, 2001 ; Livingstone
et al., 2005 ; Livingstone et Helsper, 2007.
Les résultats : un regard dégrisé sur
les « natifs numériques »
À la recherche des jeunes en risque de marginalisation numérique
Selon l’enquête Eurostat/Statbel sur la société de l’information (2011),
la population des 16 à 24 ans inclus se répartit entre 83 % d’utilisateurs
assidus d’internet (tous les jours ou presque), 14 % d’utilisateurs peu
réguliers (au moins une fois par semaine) et 3 % de non utilisateurs ou
utilisateurs épisodiques (moins d’une fois par semaine). Un jeune belge
sur six ne correspond donc pas au stéréotype du natif numérique,
continuellement branché.
Où les jeunes naviguent-ils sur la toile ? Lorsqu’on observe leur
évolution au cours des six dernières années (2005 -2011), on constate
une diversification des lieux d’utilisation d’Internet par les 16 -24 ans :
le domicile passe de 81 à 96 % des utilisateurs, le lieu de formation de
26 à 52 %, les voisins et les proches de 15 à 48 %, le lieu de travail
de 9 à 26 %, tandis que la proportion de jeunes qui utilisent internet
uniquement à la maison décroît de 53 % à 17 %11. L’importance
de l’accès à domicile pour les jeunes de 16 -24 ans est mis en lien
avec la « culture de la chambre12 » souvent équipée comme un studio
Lecture Jeune - septembre 2012
11 Voir note 1.
12 La Culture de la chambre.
Préadolescence et culture contemporaine
dans l’espace familial, Hervé Glévarec,
La Documentation française, 2009.
24
Comment se manifeste la fracture numérique
chez les jeunes ?
13 « Jongeren en ICT, een divers publiek »,
T. Boonaert, N. Vettenburg, Jongeren binnenstebuiten, Jeudg Onderzoeksplatform
(JOP), Acco, 2009.
14 Les pourcentages du graphique
se rapportent à la population utilisatrice
d’internet dans chaque tranche d’âge.
multimédia où nombre d’entre eux passent l’essentiel de leur temps.
Cette « culture de la chambre » est liée à la taille des habitations et
aux possibilités de contrôle que les parents souhaitent exercer ou
non13.
Les acteurs de terrain confirment qu’il n’existe pas de groupe
particulier de jeunes peu utilisateurs d’internet que l’on pourrait
caractériser par des variables sociologiques ou démographiques.
L’hypothèse selon laquelle ces jeunes appar tiendraient
essentiellement à des milieux économiquement défavorisés ne serait
donc pas recevable. Les professionnels identifient plutôt une grande
diversité de situations d’usage rare ou épisodique, ne concernant,
pour chacune d’entre elles, qu’un très petit nombre de jeunes :
• Des ménages sans connexion, dans lesquels les jeunes ont peu de
possibilités de compenser cette absence par une utilisation d’Internet
hors du domicile (lieux de formation, amis, voisins, cybercafés,
associations, etc.), soit pour des raisons d’isolement géographique
(zones rurales), soit pour des raisons culturelles.
• Des situations liées à des problèmes dans le milieu familial : conflits
familiaux, troubles psychologiques, situations d’accueil en milieu
ouvert.
• Des situations liées à la marginalisation de certains jeunes qui
vivent essentiellement dans la rue et pour lesquels Internet n’est pas
un moyen de socialisation pertinent.
• Des situations liées à la qualité ou à l’organisation du logement :
ordinateur dans une pièce commune sans possibilité d’utilisation
personnalisée et isolée ; connexion monopolisée par d’autres
membres du ménage (notamment la domination des utilisateurs
masculins) ; équipement ou connexion en partage avec des
colocataires, etc.
• Des situations liées à des barrières culturelles : restrictions ou
interdits imposés par la famille (au sens large), notamment à l’égard
des jeunes filles ; situations particulières de certaines minorités
ethniques, notamment les gens du voyage.
• Des situations de handicap, physique ou mental, non prises en
charge par des institutions qui favorisent l’utilisation des TIC par les
handicapés.
• Des situations liées à des cas individuels de mise à l’écart de la
société (centres fermés, emprisonnement, etc.).
De plus, dans chacun de ces cas, on trouve à la fois des jeunes qui
se servent fréquemment d’Internet et d’autres qui naviguent très peu.
L’univers numérique des jeunes
L’univers numérique des jeunes présente cependant quelques
caractéristiques spécifiques. Le graphique n° 1 rassemble une série
d’indicateurs recensés par l’enquête sur la société de l’information
pour décrire l’activité des utilisateurs d’Internet, dans trois tranches
d’âge : 16 -24, 25- 34 et 35- 44 ans14.
Lecture Jeune - septembre 2012
25
Graphique 1: Proportion d’individus ayant utilisé divers services en ligne au cours
des trois derniers mois
(% de la population utilisatrice d’internet dans chaque tranche d’âge
– source : Statbel/Eurostat, 2011)
Infos et services de formation
Interactions avec pouvoirs publics
Achats en ligne
(3 derniers mois)
Vente en ligne (enchères)
Banque en ligne
infos santé
35-44
25-34
16-24
Journaux et revues
Infos sur biens et services
Jeux en lignes ou téléchargé
Forums, chat
Réseaux sociaux
Courrier
0 10 2030 40 50 6070 8090
100
Le graphique souligne le profil contrasté des jeunes de 16 à 24
ans par rapport aux tranches d’âge suivantes. D’une part, certains
usages liés à la communication sont beaucoup plus répandus chez les
16 -24 ans (les réseaux sociaux, la messagerie instantanée, les jeux et
la musique). D’autre part, dans toutes les autres pratiques (recherche
d’informations, démarches administratives, activités commerciales), les
25-34 ans et les 35-44 ans sont significativement plus nombreux que
les 16-24. Ces distinctions esquissent, en quelque sorte, les contours
d’un « profil jeune » – dont rien ne permet d’attester de l’homogénéité –
et ceux d’un « profil adulte » dans les usages d’Internet.
Le graphique ci-dessous (graphique n°2) tente de schématiser, sous
la forme d’un nuage de tags, les différences entre les utilisations
d’internet préférées par les jeunes et les utilisations attendues par le
monde socioéconomique.
Graphique 2
Usages préférés et usages imposés, représentés sous la forme d’un nuage de tags
Usages préférés par les jeunes
office software office
software
e-learning e-government e-commerce
facebook music photo video chat
online messaging
e-mail online gaming
ambient intelligence
second life
Usages attendus par le monde
socioéconomique
e-learning e-gov e-commerce facebook
music
photo video chat
online messaging e-mail
online gaming
ambient intelligence
second life
Le niveau de familiarité des jeunes avec l’informatique et Internet n’est
pas homogène. L’enquête Statbel indique que 36 % des 16-24 ans
sont uniquement capables d’y réaliser des tâches élémentaires.
Lecture Jeune - septembre 2012
26
Comment se manifeste la fracture numérique
chez les jeunes ?
15 “Digital Inequality : Differences in Young
Adults’ Use of the Internet”, E. Hargittai et
A. Hinnant, Communication Research,
vol. 35 n° 5, 2008.
Quel que soit leur degré de familiarité avec les TIC, ces jeunes
sont 33 % à considérer que leurs compétences informatiques sont
insuffisantes par rapport aux exigences du marché du travail.
Les acteurs de terrain confirment la plausibilité de ces données qui
reflètent assez bien la réalité à laquelle ils se trouvent confrontés.
Ils considèrent toutefois que, malgré ces difficultés et disparités,
l’utilisation d’Internet a une fonction sociale et identitaire essentielle
pour les jeunes. Ceci corrobore les résultats de plusieurs enquêtes qui
montrent qu’Internet contribue à modifier les modalités de socialisation
et à développer de nouveaux formats culturels de communication
propres aux jeunes. Cette fonction sociale et identitaire est ce qui
distingue le plus leurs pratiques numériques de celles des adultes15.
Usages et non-usage chez les jeunes
16 « Mieux comprendre les situations de
non-usage des TIC – Le cas de l’informatique
et d’internet », A. Boutet et J. Trémembert,
Les Cahiers du Numérique, vol. 5, n° 1,
Hermès Lavoisier, 2009.
Pour aller plus loin
• « Les compétences numériques et
les inégalités dans les usages
d’internet », P. Brotcorne et
G. Valenduc, Les Cahiers du
Numérique, vol. 5 n° 1,
Hermès Lavoisier, 2009.
• « Les collégiens et la transmission familiale d’un capital
informatique”, C. Fluckiger, dans
Technologies de l’information et
de la communication : construction
de soi et autonomie, Y. AmsellemMainguy, F. Labadie, C. Metton
(dir.), dossier de la revue
Agora de l’INJEP, n° 46,
L’Harmattan, Paris, 2009.
Si la question du non-usage des TIC a été étudiée récemment par
plusieurs auteurs16, le problème spécifique du non-usage chez les jeunes
a jusqu’ici peu fait l’objet de travaux. Contrairement aux autres tranches
d’âge, la frontière entre usage et non-usage d’Internet est assez floue
chez les jeunes entre 16 et 25 ans. La grande majorité d’entre eux est,
d’une manière ou d’une autre, familiarisée avec Internet, mais certains
se trouvent dans des situations intermédiaires, entre l’usage et le nonusage, qui peuvent être provoquées par deux types de causes.
D’une part, certains font un usage épisodique, intermittent, frugal ou
restreint d’Internet, essentiellement pour des raisons liées à la qualité
de leur connexion. Ils ont une autonomie limitée due aux contraintes
imposées par l’environnement familial et ils se trouvent dans des
situations précaires par rapport au logement ou à l’insertion sur le
marché du travail.
D’autre part, les disparités cognitives et culturelles entraînent une
segmentation des territoires d’usage d’Internet. La littérature sur la
fracture numérique au second degré met l’accent sur les inégalités
en termes de compétences numériques : elle souligne non seulement
les compétences instrumentales mais aussi et surtout les compétences
informationnelles grâce auxquelles on sélectionne et traite les
contenus numériques sans oublier les compétences stratégiques
qui permettent de mettre les usages des TIC au service d’objectifs
personnels, professionnels, individuels ou collectifs. Si les jeunes de
16 à 25 ans possèdent en général les compétences instrumentales
de base, les compétences informationnelles et stratégiques sont très
inégalement réparties. Liées au capital culturel et social des individus,
elles interfèrent avec la question récurrente de l’illettrisme et du
décrochage scolaire. Ainsi, alors que certains jeunes affichent leurs
préférences parmi les différentes fonctions d’Internet et sont capables
d’évoluer selon des circonstances, d’autres restent cantonnés à des
usages limités au divertissement audiovisuel et à la communication
instantanée. Des phénomènes de segmentation des usages se créent
au sein de la jeune génération, notamment entre les usages récréatifs
et les usages utilitaires. Ils peuvent aussi révéler d’autres fragilités par
rapport au marché du travail.
Lecture Jeune - septembre 2012
27
Il existe donc un décalage entre l’expérience des jeunes sur Internet et
les attentes de la société à leur égard en matière d’usages des TIC dans
la sphère socioéconomique. Les jeunes en risque de marginalisation
numérique sont caractérisés par des usages limités d’Internet et des
services en ligne qui témoignent d’un compromis entre, d’une part,
des obstacles matériels ou cognitifs restreignant le développement de
leurs pratiques, et d’autre part, le besoin et la volonté de ne pas se
marginaliser par rapport à leur groupe de référence, d’affirmer leur
identité, de se distinguer de leur milieu familial. En revanche, ces
jeunes sont confrontés à des difficultés lorsqu’ils sont soumis à des
épreuves imposées par le contexte socioéconomique ou institutionnel :
rédiger un document, remplir un formulaire en ligne, postuler pour un
emploi, organiser une activité, etc.
La marginalisation numérique des jeunes n’est donc pas une mise
à l’écart des TIC mais une situation de décalage profond entre leur
expérience limitée des TIC et les attentes de leurs employeurs éventuels,
ou les pré-requis nécessaires pour vivre de façon autonome en société.
C’est précisément ce hiatus que pointent les acteurs de terrain, car
il peut compromettre l’autonomie et l’insertion socioéconomique de
certains jeunes.
Le défi de l’inclusion numérique des jeunes consiste donc à construire
des passerelles entre ces deux univers. Les individus en situation
de marginalisation numérique ont besoin de découvrir ces ponts,
apprendre comment les emprunter avec succès et être accompagnés
pour surmonter ce qui constitue, pour les plus défavorisés d’entre eux,
un véritable parcours d’obstacles.
Lecture Jeune - septembre 2012
• “Gradations in digital inclusion :
children, young people and the
digital divide”, S. Livingstone et
E. Helsper, New Media and
Society, vol. 9 n° 4, 2007.
• Theorising the benefits of new
technology for youth : controversies
of learning and development,
S. Livingstone, ERSC Seminar
Series on the educational and
social impact of new technologies on young people in Britain,
University of Oxford and London
School of Economics, 2008.
• Internet literacy among children
and young people : findings from
the UK children go online project,
S. Livingstone, M. Bober et
E. Helsper, London School
of Economics and Political
Science, 2005.
Disponible à l’adresse suivante :
www.children-go-online.net.
• “Beyond the digital divide :
towards an agenda for change”,
N. Selwyn et K. Facer,
Overcoming digital divides,
E. Ferro, Y. Dwivedi, R. Gil-Garcia,
A. William (éd.) Hershey PA, IGI
Global, 2009.
Le numérique,
28
levier de prévention
Le dossier de l’illettrisme ?
Elie Maroun Focus
Propos d’Elie Maroun
mis en forme par Sonia
de Leusse-Le Guillou
Comment utiliser les technologies de l’information au travail, en société, dans sa vie privée lorsqu’on ne maîtrise ni
la lecture, ni l’écriture ? Comment, dans ces conditions,
chercher, recueillir et diffuser de l’information de manière
autonome ? Comment utiliser de façon adaptée et pertinente
le numérique pour apprendre et renouer avec la lecture,
l’écriture et le calcul ? Ces questions se posent aujourd’hui
avec d’autant plus de force que les outils numériques n’ont
jamais été aussi présents dans notre vie quotidienne.
Illectronisme… un nouvel avatar de l’illettrisme ?
Elie Maroun
est chargé de mission national
à l’Agence nationale de lutte contre
l’illettrisme (ANLCI) depuis 2003,
en charge du pilotage du Forum
permanent des pratiques et
des activités liées à la professionnalisation des acteurs et à l’usage
des TIC. Il a une longue expérience
dans l’enseignement, la formation
d’enseignants et formateurs
et la conduite de projets
d’ingénierie et de développement
de dispositifs de formation
([email protected]
www.anlci.gouv.fr ).
1 www.atd-quartmonde.fr/
2 Le terme apparaît pour la première fois en
1978 dans le rapport moral du mouvement
ATD quart-monde, fondé en 1957 (Geffroy,
Grasset-Morel, 2003). L’analphabétisme concerne les personnes qui n’ont jamais appris à
lire et à écrire.
En 1978, ATD quart-monde1 invente le néologisme « illettrisme2 » pour
qualifier la situation de personnes francophones qui ne maîtrisent
pas suffisamment la communication écrite malgré leur scolarité.
Depuis lors, l’avènement de la société de l’information et du savoir
a fait émerger le besoin d’un usage minimal des TIC dans la vie
quotidienne et professionnelle. Toutefois, après plusieurs expériences
d’intégration des TIC dans l’éducation dès la fin des années 80, il
a fallu attendre l’année scolaire 2000-2001 pour que s’instaure le
Brevet informatique et Internet (B2i)3 à l’école et au collège. Celui-ci a
permis « l’alphabétisation numérique » (digital literacy) des premières
générations de jeunes (comme le Passeport de compétences
informatiques européen – PCIE4 –, pour les adultes)5. Ceux qui n’ont
pas acquis les compétences de base pour mener leur vie d’adulte
malgré ces enseignements scolaires sont en situation d’illettrisme
électronique. L’« illectronisme6 », au sens indéfini et multiple, renvoie
au « fossé » ou à la « fracture » numériques, en soulignant les
difficultés d’accès à la société de l’information et de la connaissance.
Les rapports entre le numérique et la prévention de
l’illettrisme
Partout en France, des acteurs de l’éducation formelle et informelle
utilisent le numérique comme levier pour éviter le décrochage scolaire
des jeunes. Le Forum permanent des pratiques de l’Agence nationale
de lutte contre l’illettrisme (ANLCI7) qui s’est tenu à Lyon en février
2012 avait pour vocation de valoriser certaines de ces actions de
terrain relayées sur le site Internet de l’agence8. Il apparaît que si le
numérique peut permettre de renouer avec la lecture et l’écriture, le
support mal utilisé devient au contraire un frein : certains jeunes ne
comprennent pas les usages éducatifs souhaités par les professeurs.
Ensuite, l’incapacité à utiliser d’une manière adéquate l’outil numérique
amplifierait les obstacles d’apprentissage des autres compétences
Lecture Jeune - septembre 2012
29
du socle commun. Une pédagogie personnalisée, créative et une
ingénierie inventive sont donc essentielles pour proposer une nouvelle
manière de motiver les jeunes en difficulté.
3 Voir le Bulletin Officiel du ministère de
l'Education Nationale N°42 du 23-11-2000
(www.education.gouv.fr/bo/2000/42/
encart.htm) et le site du B2i (www.eduscol.
education.fr/cid46073/b2i.html ).
Quelques recommandations
A partir des initiatives exposées lors du Forum permanent des
pratiques, l’ANCLI fait trois recommandations :
• Articuler et mettre en complémentarité, en cohérence, les actions
relatives aux deux luttes, contre l’illettrisme et contre l’analphabétisme
numérique pour qu’elles gagnent en efficacité et pertinence sur les
deux plans. Ainsi, on évitera une nouvelle exclusion, une « double
peine » chez les jeunes en difficulté. Quant à la prévention de la
fracture numérique, notamment dans les usages, elle est inévitablement
liée à la prévention de l’illettrisme ; car il s’agit bien de l’une des
compétences de base.
• S’interroger à chaque moment de face-à-face sur les usages adaptés
du numérique aux diverses stratégies d’apprentissage formel et
informel. Une pédagogie innovante, adéquate tiendrait en compte les
spécificités des outils et contenus numériques proposés aux jeunes en
difficulté.
• Consolider en permanence la compétence numérique d’une manière
fonctionnelle pour éviter que de nouvelles situations d’analphabétisme
numérique (d’illectronisme) émergent, notamment avec l’arrivée de
nouvelles technologies. Non intégrées par les jeunes en difficultés,
ces nouvelles situations risquent d’accentuer l’illettrisme et freiner les
apprentissages.
Enfin, rappelons que la prévention de l’illettrisme n’est pas uniquement
l’affaire des « spécialistes ». Tout médiateur peut instaurer les conditions
nécessaires pour qu’un jeune retrouve le plaisir de la communication
écrite. La tentation de mettre les usages des TIC dans un champ à
part existe. Il ne faut pourtant pas cloisonner les apprentissages et les
actions mais les faire interagir.
4 Le PCIE a été lancé en France par
la fondation ECDL (European Computer
Driving Licence ; ICDL au niveau international), l’autorité certifiante du principal
programme international de certification des
compétences informatiques (www.ecdl.org/
ecdlfrench/)
5 On parle de digital illiteracy ou Computer
illiteracy lorsque les individus ne se sont pas
approprié les codes et usages numériques
ou ne maîtrisent pas les outils informatiques.
6 Terme utilisé pour la 1ère fois en France
par le 1er ministre L. Jospin, le 26 août
1999 à Hourtin : « L'essor des technologies
de l'information ne doit pas creuser un
"fossé numérique". L'internet ne doit pas
nourrir de nouvelles inégalités dans l'accès
au savoir. Il revient au service public de
veiller au développement équilibré de ces
technologies sur le territoire national et à
l'égal accès de tous aux contenus essentiels
que diffusent ces réseaux. A travers l’école,
en particulier, l’Etat peut prévenir
"l’illectronisme", avant qu'il ne devienne
un nouvel avatar de l’illettrisme ».
7 Voir aussi les actes de la 2e rencontre
européenne de la presse sociale, organisée
Pour prolonger la réflexion, liens vers les travaux de l’ANLCI sur ce
thème :
• Les journées ANLCI du numérique : www.anlci.gouv.fr/index.
php?id=actualite&tx_ttnews[tt_news]=820&tx_ttnews[backPid]=492&cHash=7558c098e2
• Les principaux travaux du Forum permanent des pratiques dans
le domaine des TIC : www.fpp.anlci.fr/index.php?id=usages_tic
en octobre 2008 par le Syndicat de la
presse sociale sur le thème « De l’illettrisme
à l’illectronisme : une même exclusion ? ».
8 www.anlci.gouv.fr/
9 Voir les documents sur
www.anlci.gouv.fr/index.php?id=actualite&tx_ttnews[tt_news]=820&tx_ttnews[backPid]=492&cHash=7558c098e2 ; le dossier
spécial du magazine ANLCI Infos, n° 18
(disponible sur commande) et les principaux travaux du Forum permanent des
pratiques dans le domaine des usages
des TIC (http://www.fpp.anlci.fr/index.
php?id=usages_tic).
Lecture Jeune - septembre 2012
30
Le numérique et les publics
Le dossier en situation de précarité
Marion Liewig Entretien
Propos recueillis
par Anne Clerc
Chargée du programme d’inclusion au numérique pour
l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives1 (ANSA), Marion
Liewig conduit dans plus d’une dizaine de villes des projets
d’innovation sociale numérique à destination des publics
en situation de précarité. Elle dresse pour la rédaction un
constat des inégalités d’accès à Internet chez les jeunes et
donne des pistes pour la nécessaire évolution des structures
d’action sociale et culturelle.
Anne Clerc : Comment est née l’ANSA ?
Marion Liewig
est responsable du programme
Numérique pour tous (TIC’Actives)
au sein de l’ANSA.
1 www.solidarites-actives.com/
Et pour consulter le volet « numérique et
insertion » : www.solidarites-actives.com/
#Numerique_et_insertion
2 L’association a débuté par l’expérimentation du Revenu de Solidarité Active (RSA)
dans une vingtaine de départements puis a
guidé sa généralisation lors de l’entrée au
gouvernement de Martin Hirsch en 2007, en
tant que Haut Commissaire aux solidarités
actives contre la pauvreté et à la Jeunesse.
La mise en place du RSA a permis d’identifier les difficultés des allocataires et des
personnes en recherche d’emploi. Au-delà de
l’assistance financière, il s’agit surtout de proposer un accompagnement pour déterminer
les freins au retour à l’emploi. L’ANSA conduit une réflexion sur des questions telles que
la mobilité, l’accès aux soins, la formation
professionnelle et l’inclusion financière avec
la prévention du surendettement et l’éducation
économique.
Marion Liewig : L’Agence a été créée en 2006 dans le cadre de la
loi de 1901 par Martin Hirsch, ancien président d’Emmaüs et Benoît
Genuini, président de la société de conseil Accenture. Ils ont ainsi
associé les compétences méthodologiques des entreprises privées à une
cause d’intérêt général pour les mettre au service de la lutte contre la
précarité et évaluer efficacement la conduite de projets. Cette alliance
se reflète aujourd’hui dans les profils des employés de l’ANSA et dans
l’organisation du travail2.
AC : Dans quelles circonstances démarrent les actions en
direction du numérique ?
ML : Le programme d’inclusion au numérique a été lancé dès janvier
2008. Nous avons réuni durant trois mois une dizaine d’acteurs
avec la délégation interministérielle des usages de l’Internet3, des
entreprises, des associations, des collectivités, des institutions publiques
et des allocataires du RSA pour définir les projets numériques qui
méritaient d’être développés et généralisés auprès de personnes en
situation de précarité. Nous avons pu identifier deux propositions : tout
d’abord, équiper et connecter soixante ménages à revenus modestes
dans l’Eure. Cette première expérience nous a permis d’analyser les
besoins des publics.
Le deuxième projet concerne la formation des jeunes et l’emploi dans
le secteur des TIC. L’ANSA a accompagné la création d’une Unité
de Formation par l’Apprentissage (UFA), également portée par
l’association « Réseau 20003 ». Basée dans le 19e arrondissement
de Paris, l’UFA a accueilli trois promotions d’une quinzaine d’élèves
depuis sa création et se donne pour mission de former les jeunes
aux nouveaux métiers du numérique (maintenance, médiation,
gestion électronique de documents, constitution de bases de
données…5).
Dès 2010, un appel à projets numériques a été lancé, qui comprenait
un soutien financier, un accompagnement méthodologique et la mise
à disposition de matériel. L’ANSA a ainsi pu soumettre son expertise
pour mettre en place différentes expériences à travers toute la France.
Lecture Jeune - septembre 2012
31
s
En Charente, un bus mobile de formation numérique a été inauguré :
« L’Esp@ce mobile6 ». Ce véhicule itinérant circule dans les écoles,
les collèges, les centres communaux d’action sociale, les médiathèques
et les chantiers d’insertions du pays Sud-Charente pour proposer une
formation à la recherche documentaire et informationnelle sur le Web
ainsi que sur les usages plus ludiques d’Internet ; il touche ainsi les
personnes âgées autant que les chercheurs d’emploi ou les jeunes.
Un autre projet se déroule à Paris, dans le centre d’hébergement de la
Bastille – et désormais déployé sur trois autres centres. Nous mettons
à disposition dans les foyers des ordinateurs portables et du matériel
informatique. Dans le même temps, en partenariat avec l’Association
des Cités du Secours Catholique (ACSC)7, nous formons les travailleurs
sociaux pour qu’ils deviennent médiateurs numériques et puissent à
leur tour dispenser leurs connaissances aux pensionnaires. Ils peuvent
de cette manière animer des ateliers et connaître les outils pour mieux
les transmettre aux jeunes. Nous avons ainsi élaboré une première
approche des technologies digitales et de la recherche d’informations
sur le Web pour démontrer l’utilité du numérique dans les tâches
quotidiennes.
Ainsi, dans une cité d’accueil à Bourges, les adolescents ont eu
l’opportunité d’intervenir eux-mêmes sur le règlement intérieur à
l’aide de l’ordinateur : ils ont travaillé sur le format mais aussi sur la
dimension visuelle. À présent, convaincus par les possibilités offertes
par le numérique, ils en profitent pour œuvrer à l’organisation d’un
tournoi de foot, d’une colonie de vacances… Cela permet de les
familiariser à la recherche d’informations, leur facilite le calcul d’un
budget par eux-mêmes et les stimule en valorisant leurs compétences.
Il faut donc partir des centres d’intérêt des jeunes sans tenter de les
projeter dans un autre environnement si on veut capter ce public.
3 Aujourd’hui rattachée au ministère délégué
à l’Économie numérique.
4 http://reseau2000.net/
5 Voir le site dédié : http://ufa.reseau2000.
net/index.php?option=com_content&view=frontpage&Itemid=1
6 www.espace-mobile.org/
7 www.acsc.asso.fr/
AC : Les jeunes en situation de précarité sont-ils
inévitablement en rupture avec le numérique ?
ML : L’offre sociale d’abonnement Internet reste encore hors de portée
pour de nombreux ménages. Il subsiste un large publics en précarité
qui ne peut accéder au numérique pour des raisons financières. Ainsi,
des adolescents éprouvent encore une certaine méfiance envers
Internet : ce lieu auquel ils n’ont pas accès les effraie et cristallise
leurs fantasmes aussi bien que leurs angoisses. Néanmoins, même
en situation de chômage ou de précarité, beaucoup ont acquis des
compétences informatiques, savent manier les smartphones ou les
ordinateurs et communiquer à l’aide de ces outils. Cependant, leurs
connaissances ne sont pas encadrées dans un contexte pédagogique
d’acculturation et d’éducation au numérique. Or la formation à l’ère
digitale est nécessaire au processus de construction de l’identité
numérique. À défaut d’éducation parentale, une structure comme la
Fabrique à Liens8 propose des modules de formations dans les centres
d’hébergement pour familiariser les jeunes à cette notion : lorsqu’ils
vont chercher une information sur le Web, il faut qu’ils parviennent
à dépasser une vision « court-termiste » qui tend à considérer Internet
comme une simple plateforme de centres d’intérêt ou d’échanges avec
des amis au lieu d’un espace de prolongement des connaissances.
Lecture Jeune - septembre 2012
8 http://lafabriquealiens.org/
32
Le numérique
et les publics en situation de précarité
AC : Comment encadrer au mieux ces jeunes ?
9 Destiné à tous, un espace public numérique
(EPN) propose à ses usagers des activités
variées et encadrées, par le biais d’ateliers
collectifs, mais également dans
le cadre de médiations individuelles et de
plages réservées à la libre consultation.
Les EPN sont recensés ici : www.netpublic.fr/
ML : Leur encadrement s’inscrit autour de trois enjeux : il faut tout
d’abord cerner les envies et les besoins des usagers avant de leur
proposer un produit. Ensuite, une véritable segmentation des publics
doit être effectuée en fonction des âges et des parcours de chacun.
En effet, pour les jeunes, l’ère digitale représente un vrai levier
d’insertion sociale : s’ils ne reçoivent pas aujourd’hui une éducation
au numérique, ils rencontreront des difficultés dans leurs emplois
de demain. Enfin, pour les professionnels, il est essentiel de savoir
comment intégrer les usages numériques dans leurs pratiques : par
exemple, les travailleurs sociaux traitent un nombre croissant de
demandes administratives qui exigent une bonne connaissance des
outils informatiques pour pouvoir aider les usagers. C’est pourquoi
la formation des professionnels est essentielle afin de leur apporter
les ressources nécessaires pour qu’eux-mêmes développent une
méthodologie pour accompagner les publics. Le bibliothécaire,
tout autant qu’un professionnel de l’action sociale, est confronté à
l’intervention du numérique : il peut alors aider les jeunes à effectuer
des recherches mais il n’est pas de son ressort de les former, il doit
plutôt les diriger vers les Espaces Publics Numériques (EPN)9.
AC : Les EPN sont peu mis en avant dans vos études. Il s’agit
pourtant de lieux d’accueil à promouvoir et à valoriser car ils
permettent un accès à Internet libre et gratuit. Parviennentils à toucher les jeunes ? Pensez-vous qu’il soit plus important
de développer Internet dans les foyers plutôt que dans des
espaces dédiés ?
ML : En fonction des besoins des territoires, les EPN pourraient devenir
de véritables pôles de ressources qui permettraient aux usagers de
travailler sur des projets de quartiers, de retour à l’emploi, d’accès
au droit… Des animateurs sont présents pour faciliter la tâche du
public mais ces espaces ressources ne sont désormais plus suffisants,
d’autant plus que l’acquisition d’équipement est devenue moins
problématique ces dernières années : même les foyers en situation
de précarité possèdent un ordinateur et parfois Internet. Or, l’accès
au numérique n’est plus considéré comme une fin en soi mais plutôt
comme un moyen. Les EPN doivent donc s’inscrire dans des enjeux de
parentalité et de jeunesse pour favoriser les projets locaux plutôt que
de simplement proposer un équipement numérique.
Les publics en parcours d’insertion reçoivent déjà un accompagnement
multiple avec plusieurs référents car ils sont guidés par les centres
d’action sociale mais aussi par les professionnels provenant d’autres
structures. Aussi, ils ne fréquentent pas d’eux-mêmes les EPN bien
que ceux-ci pourraient leur permettre de renforcer leurs compétences
numériques. De même, ce n’est qu’en proposant aux jeunes des
ateliers susceptibles de les intéresser vraiment qu’il est possible de
les aiguiller par la suite vers des espaces dédiés comme les EPN :
il reste primordial de s’implanter d’abord dans les lieux où se rendent
les adolescents.
Lecture Jeune - septembre 2012
33
AC : En effet, les bibliothécaires ont souvent l’envie et les
moyens de réaliser un projet numérique avec des adolescents
mais ne parviennent pas à capter ce public s’il n’est pas
présent dans la médiathèque.
ML : La question du « hors les murs » est essentielle pour conquérir une
audience réfractaire. Ainsi, dès ses débuts l’EPN mobile de Charente
partait lui-même au contact des publics. Désormais, ce sont les structures
locales qui demandent sa venue. La captation du public s’opère en
allant le chercher dans son propre milieu. Or, les jeunes se trouvent
davantage dans les missions locales qu’en bibliothèque.
AC : Certains bibliothécaires craignent de n’être plus
sollicités si leur établissement ouvre un accès Internet aux
usagers…
ML : Il existe encore beaucoup de structures sociales ou culturelles
qui ne disposent pas d’accès au réseau via le Wifi – alors que c’est
une préconisation de l’étude de l’ANSA – de peur que cela entraîne
uniquement la consommation du lieu sans le recours aux services.
Or, le fait de pouvoir établir ses repères dans un espace encourage
les usagers à requérir un accompagnement pour prolonger la simple
connexion individuelle : le bibliothécaire doit donc être présent pour
proposer son aide et ses renseignements en tant que professionnel.
AC : Quelles sont les expérimentations que vous aimeriez
développer ou mettre en place dans les années à venir ?
ML : Les projets numériques concernent davantage les jeunes adultes
que les adolescents car ils nous permettent de réfléchir à la formation à
l’accès à l’emploi. Nous travaillons par exemple avec la mission locale
de Dinan. Les jeunes sont nommés « ambassadeurs du numérique »
auprès de leurs pairs et des élus locaux. Deux professionnels de l’action
sociale sont formés à ces sujets puis transmettent leurs compétences
à des groupes de trois ou quatre jeunes, qui vont s’occuper durant
trois mois de familiariser leurs camarades au monde numérique dans
les écoles ou les centres sociaux. Le trimestre écoulé, le processus
recommence avec d’autres adolescents. La clé du succès de cette
entreprise réside dans la brièveté du projet : les jeunes éprouvent
des difficultés à s’investir longtemps dans une tâche, il faut donc leur
proposer des missions ponctuelles et de courte durée pour qu’ils aient
envie de revenir. Enfin, à Nanterre, nous travaillons sur un projet de
réduction des dépenses contraintes des ménages à revenus modestes
dans un quartier d’habitat social pour établir un diagnostic numérique
des situations de mal-équipement : nous tentons ainsi de cerner si les
abonnements sont correctement adaptés aux usages des familles pour
éviter la surfacturation due à la multiplication des souscriptions. Nous
avons également lancé une campagne de sensibilisation au numérique
dans les écoles pour toucher les jeunes mais aussi leurs parents sur les
questions des réseaux sociaux et d’accès au droit par Internet.
Lecture Jeune - septembre 2012
Pour aller plus loin
• L'accès aux télécommunications
pour tous : la parole aux personnes
en situation de précarité, avril
2012. Publication à consulter sur
le site de l’ANSA : www.solidarites-actives.com/pdf/ANSA_TIC_
contribution_15_acces_telecoms.
pdf
• Espaces publics numériques et
politique de la ville: propositions
pour mieux travailler ensemble au
service des habitants des quartiers,
septembre 2011 : www.solidarites-actives.com/pdf/Etude_EPN_
Politique_Ville_Propositions.pdf
Les pratiques
34
informationnelles
Le dossier des adolescents sur Internet
Karine Aillerie Étude
Karine Aillerie
a été documentaliste pendant une
quinzaine d’années et en charge de
la formation continue des enseignants
documentalistes. Aujourd’hui, elle
est chargée de mission à l’Agence
nationale des usages des technologies de l'information et de la communication pour l’enseignement (TICE)
(http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/index.htm). En 2011, elle a
soutenu une thèse en sciences de
l’information et de la communication
traitant des « pratiques informationnelles informelles d’adolescents
(14 -18 ans) sur le Web » (thèse à
l’Université Paris-Nord - Paris XIII, sous
la direction de Roger Bautier).
1 L’Activité informationnelle juvénile,
N. Boubéé, A. Tricot, Hermès Lavoisier,
(Système d’information et
organisations documentaires), 2011.
Voir également « TIC : analyse de certains
obstacles à la mobilisation des compétences
issues des pratiques personnelles dans les
activités scolaires », C. Fluckiger, E. Bruillard,
L’Education à la culture informationnelle,
Presses de l’ENSSIB, (Papiers), 2010.
http://hal.archives-ouvertes.fr/
docs/00/34/31/28/PDF/2008-10_-_
Fluckiger-27-CICI2.pdf
L’appellation « digital native », par opposition à « digital
immigrant », désigne la génération née à la fin des années
90. Le consultant Marc Prensky souligne que ces jeunes,
en fréquentant assidument les écrans, auraient développé
des capacités de raisonnement privilégiant les démarches
inductives et aléatoires. Néanmoins, les études scientifiques
démontrent que cette maîtrise « spontanée » des TIC est à
reconsidérer. En effet, les jeunes connectés de manière intensive ne développent pas automatiquement des compétences
techniques nécessaires à une tâche précise ou à un contexte
donné1. L’enquête menée à l’initiative de la British Library
fut l’une des premières à établir clairement les difficultés des
jeunes à rechercher ou à trouver l’information sur Internet
et à affirmer l’insuffisance de la seule entrée générationnelle
pour caractériser leurs pratiques informationnelles2. Cette
perspective a été celle de notre travail de thèse – sur lequel
nos propos s’appuieront – mené en 2008-2009 à partir de
59 entretiens semi-directifs auprès de collégiens et lycéens
âgés de 14 à 18 ans et disposant d’un accès à Internet (connexion à domicile et dans l’établissement scolaire).
Se baser uniquement sur le facteur générationnel masque en effet les
disparités individuelles existantes dans l’appropriation des TIC. Cela
atténue paradoxalement la portée des enjeux spécifiques de la jeunesse
en matière de maîtrise de l’information numérique : haut niveau
d’exigence des institutions politiques et scolaires, autonomisation
des pratiques culturelles et médiatiques, individualisation du rapport
à l’information et au savoir, crises des instances de médiation... La
recherche informationnelle et documentaire est déterminante dans une
« société du savoir » où la formation n’est plus restreinte au seul temps
scolaire et où l’esprit d’initiative est valorisé comme une compétence
à part entière alors même que ces dispositions sont de plus en plus
indissociables de l’espace privé, voire intime, et de ses ressources
propres3.
Nous présenterons ici l’hétérogénéité des pratiques individuelles
d’information via le numérique en revenant tout d’abord sur la
notion générale de « culture numérique » avant d’analyser la relation
particulière que les jeunes utilisateurs de Google entretiennent avec
l’information. Notre troisième et dernier point permettra d’insister
sur la distinction entre recherches privées et prospection pour
l’école, caractéristique d’un public d’âge scolaire et révélatrice
d’implications personnelles tout aussi diverses que discriminantes
dans les recherches.
Lecture Jeune - septembre 2012
t
35
Vous avez dit « culture numérique » ?
Depuis les années 50, la culture jeune est inséparable de l’innovation
technique : électrisation des instruments de musique et de la guitare en
particulier, apparition de la télévision et développement des radios...
Travaillée par un « […] contact quotidien avec les médias [qui] tend à
structurer leur temps extra scolaire […]4 », elle se transmet aujourd’hui
par les appareils de communication multifonctionnels (smartphone,
Ipod, Ipad, téléchargement, streaming…), comme elle s’est auparavant
diffusée par le transistor, premier média mobile et individuel. La notion
de « culture numérique » est ainsi étroitement associée à celle de « culture
jeune ». Cependant, insistons sur le fait que le concept parfois flou de
« culture numérique » ne concerne pas seulement les jeunes : cette
désignation renvoie fondamentalement au processus de numérisation,
c’est-à-dire de quantification de l’information. Cette « représentation
par nombres » de l’information est indissociable des réseaux de
communication qui la transportent, aux dimensions tout aussi sociales
que techniques. Ensuite, cette désignation s’applique aujourd’hui à
tous les contenus, textes, photos, vidéos, sons et même objets, voire
personnes au travers du principe émergent de l’« identité » ou de la
« présence » numériques. En ce sens, « le numérique », constitutif de notre
rapport au monde, est d’essence culturelle. Cela dit, s’inscrivant dans
l’histoire des supports de mémoire, la « culture numérique » ne saurait
être entièrement résumée par la culture « tout court ». La numérisation des
contenus et ses usages afférents s’enchâssent en effet dans les dispositifs
préexistants d’externalisation de la mémoire. Paradoxalement, elle
oblige dans le même temps à en repenser les modalités et les enjeux.
« Le numérique » n’est pas seulement un moyen parmi d’autres qui
permet le rapport de l’homme au monde : il s’agit d’un modèle tout
à fait spécifique dont la particularité repose sur le choix individuel. Le
rapport mondial de l’UNESCO, Vers les sociétés du savoir 5, délimite
ainsi la culture numérique : « il existe une culture propre à la Toile, qui se
construit par un processus de distribution où tous les acteurs ont un rôle
à jouer, ne serait-ce que par les choix et les tris auxquels ils procèdent
entre toutes les sources d’information disponibles, contribuant à une
circulation créative continue d’informations et de savoirs dont aucun
individu ou aucune institution n’a l’initiative […] ». Ce qui apparaît ici
comme fondement de la culture numérique comprise comme culture en
tant que telle, c’est effectivement la place centrale qui y est attribuée à
l’acteur social.
En outre, l’information, ubique et obsolescente, notion capitale qui
sous-tend le numérique, se construit par opposition aux techniques
scripturales forgées sur l’idée de conservation d’un patrimoine et de
formalisation d’une somme de savoirs. Cette constatation établit la
fin des ambitions encyclopédiques à l’échelle humaine et atteste de
la capacité individuelle à trouver puis traiter l’information, c’est-à-dire
à la critiquer d’une part et à la transformer en connaissance d’autre
part. C’est à partir de cette perspective qu’émerge le concept de
« culture informationnelle », valorisant la connaissance en train de se
construire. Le rapport au savoir de tout un chacun s’en trouve renouvelé
Lecture Jeune - septembre 2012
2 Information behaviour of the researcher
of the future, University College London (UCL)
CIBER group,CIBER Briefing paper, 2008.
Document disponible en ligne :
www.jisc.ac.uk/media/documents/
programmes/reppres/gg_final_keynote_11012008.pdf
3 La Culture de la chambre. Pré-adolescence
et culture contemporaine dans l’espace
familial. H. Glévarec, La Documentation
française, (Questions de culture), 2009.
4 Sociologie de la culture et des pratiques
culturelles, L. Fleury, Armand Colin, (128),
2008.
5 2005.
36
Les pratiques informationnelles
des adolescents sur Internet
et désormais basé sur le rôle réaffirmé de l’autonomie individuelle
ainsi que sur la capacité singulière à critiquer et à donner un sens à
des informations. Ces nouvelles formes d’expertises sont celles dont
devront se rendre maîtres les plus jeunes alors même que les dispositifs
de formation actuels ne font qu’effleurer les compétences sur lesquelles
elles reposent.
L’« information Google »
La culture numérique se nourrit des usages quotidiens que font les
personnes des procédés communicationnels, parmi lesquels les
pratiques informationnelles occupent une place prépondérante. Au
regard du rôle structurant joué par les TIC dans le rapport au savoir
aujourd’hui, ces pratiques d’information ne sauraient être seulement
circonscrites au loisir ou à la satisfaction personnelle momentanée.
Au cœur de cette relation à l’information et à la connaissance,
nous trouvons le Web et les moteurs de recherche qui en permettent
l’exploration, en particulier Google. Là encore, les jeunes ne sont
pas les seuls concernés – les professionnels de l’information, le
« grand public » et des personnes de tous âges ayant recours quasi
quotidiennement à cet outil pour une multitude de tâches. Ainsi,
lorsque les jeunes sont interrogés sur les moteurs de recherche qu’ils
connaissent, très peu sont capables d’en citer un autre que Google,
la notion même de moteur de recherche étant très vague dans certains
de leurs propos. Ce recours systématique à Google tient de l’ordre
du réflexe, voire du rituel. Il faut souligner ici que cette mobilisation
exclusive du géant américain est toujours présentée comme une
habitude personnelle, un choix assumé, valable quels que soient les
contextes : « Les autres doivent être bien aussi mais moi, c’est Google ».
Lorsque que les utilisateurs sont questionnés sur les raisons éventuelles
qui président à cette option, beaucoup les résument par l’habitude. Le
pas est cependant vite franchi entre ne pas connaître d’autres outils
et estimer le seul que l’on utilise comme le plus performant de tous.
Google est ainsi défini par les qualités attribuées par les jeunes :
rapidité, simplicité, exhaustivité, popularité. Ce sont là des arguments
vantés par la marque elle-même. Concernant leur ressenti quant à
leur degré de compétence en recherche d’information sur Internet,
ces jeunes s’attribuent un niveau de qualification proportionnel
à des objectifs informationnels jugés modestes : « C’est pas très
compliqué ce que je recherche... ». Nous notons surtout que s’opère
une forte confusion entre l’efficacité perçue du moteur de recherche
et les capacités du chercheur d’information lui-même : « C’est pas
compliqué, les moteurs sont efficaces » ; « Ça trouve toujours, il y a
tout... ». Les capacités individuelles sont ici directement reliées, voire
totalement dédiées, à la performance supposée de l’outil. Ce sont ces
arguments qui contredisent à leurs yeux l’idée même d’apprentissage
en matière de recherche d’information sur le Web. L’expert est alors
envisagé comme celui qui arrive à se détacher de cette soumission à
l’outil ou alors qui parvient à coller parfaitement à son fonctionnement.
Peu importe l’objet de la recherche à ce stade, la compétence se place
Lecture Jeune - septembre 2012
37
bien ici majoritairement du côté de la trouvaille et plus rarement du
côté de l’acte de recherche. C’est ainsi que dans leurs discours peuvent
être confondus l’utilisabilité de l’outil, qui « trouve » à tous les coups,
avec l’habileté du chercheur d’informations.
Une implication personnelle déterminante
Les démarches informationnelles des adolescents peuvent être
abordées de manière globale, du point de vue du groupe
d’utilisateurs. Il est pourtant possible d’entrevoir une grande diversité
de pratiques derrière le recours aux mêmes outils pour tous (Google
mais aussi Wikipédia, Facebook...). En effet, parmi les jeunes
interrogés, il a été possible de distinguer de multiples relations à
l’information via Internet. Pour ces élèves scolarisés en collège ou
en lycée, la recherche menée pour l’école, sur prescription d’un
enseignant ou non, est une motivation unanimement partagée.
Cependant, cette recherche scolaire résume à elle seule l’activité
informationnelle de certains, qui n’expriment pas de réels besoins
personnels de quérir de l’information sur le Web : « Généralement
quand je vais sur internet c’est pour aller sur MSN ou pour écouter de
la musique mais sinon la recherche c’est pour l’école, ce n’est pas de
mon plein gré que je ferais une recherche ». Ces derniers effectuent
des recherches personnelles qui s’apparentent à du renseignement
ponctuel et pragmatique, prélevé sur des sites précis (résultats sportifs,
horaires de transports, actualités cinéma...). D’autres pourtant
décrivent une activité informationnelle dense, embrassant des thèmes
d’origine tout autant scolaire que personnelle, ouverte à l’incertitude6
et basée sur une prise d’initiative fortement subjective. Ainsi, ils
déclarent comme « personnelles » des recherches menées pour l’école,
y compris pour répondre à la demande explicite d’un enseignant... Le
scolaire est donc très présent dans les recherches considérées comme
personnelles, l’inverse ne se vérifiant pas. Pour parler véritablement
de pratique informationnelle, l’activité de recherche limitée à sa
forme scolaire ne suffit pas. Sur la toile, les jeunes qui prennent des
initiatives sont conscients d’ignorer l’objet de leur recherche initiale,
ont la capacité de formuler un besoin d’information, ou de reconnaître
leurs lacunes pour vouloir les combler. La résolution ici évoquée
renvoie à l’investissement de l’individu dans la recherche et à la prise
de contrôle sur le fonctionnement imposé par les outils de recherche
tels Google. Cette implication personnelle gomme la différenciation
qui existe au départ entre investigations personnelles et prospection
scolaire.
L’écart entre l’école et la maison est une thématique largement
abordée par les études sur les pratiques numériques des jeunes. Ce
sujet revient systématiquement sur le devant de la scène dès qu’il
est question de « crise de la culture scolaire » ou de l’intégration du
numérique dans les pratiques pédagogiques. Ce hiatus peut constituer
une entrée valable pour réfléchir à la possible prise en compte des
pratiques informelles dans les dispositifs de formation. Reste toutefois
Lecture Jeune - septembre 2012
6 « Pratiques juvéniles d’information : de
l’incertitude à la sérendipité », K. Aillerie,
Documentaliste-Sciences de l’information,
2012.
38
Les pratiques informationnelles
des adolescents sur Internet
Publications
de Karine Aillerie
• « Pratiques informationnelles
informelles des adolescents
(14 -18 ans) sur le Web »,
thèse de doctorat, sous la dir. de
Roger Bautier, Université Paris
13-Paris Nord, décembre 2011.
Disponible sur :
http://tel.archives-ouvertes.fr/
docs/00/65/39/58/PDF/versionTEL.pdf
• « Pratiques juvéniles d’information :
de l’incertitude à la sérendipité »,
Documentaliste-sciences
de l’information, 2012.
• « Les pratiques d’information des
adolescents avec l’internet : des
pratiques informelles ? », MUSSI
2011, Colloque international
France Brésil, Médiations et
hybridations : Construction sociale
des savoirs et de l’information
15, 16, 17 juin 2011, Université
Paul Sabatier Toulouse.
• « Adolescents en recherche
d’informations », Inter CDI, n° 223,
janvier/février 2010.
• « Pratiques de recherche d’information informelles des jeunes sur
internet. », L’Education à la
culture informationnelle,
Actes du Colloque international de
l’ERTé, Lille, 16 -17-18 octobre
2008, Presses de l’ENSSIB,
(Papiers), 2010. Disponible sur :
http://hal.archives-ouvertes.fr/
docs/00/34/41/81/PDF/aillerie-05-CICI2.pdf
indispensable de garder à l’esprit que la pratique informationnelle
ne fait que déplacer ce constat de l’écart entre l’individualité des
pratiques et l’implication personnelle dans la recherche d’information
via Internet.
Le rapport général à quelques outils récurrents plébiscités par les jeunes
ne suffit pas à décrire cette relation fondamentalement individuelle
qui se tisse entre un sujet et Internet comme moyen d’information. Les
disparités d’une personne à l’autre peuvent s’avérer considérables :
ainsi chaque individu entretiendra un rapport différent à cette possibilité.
Ces conclusions sont à rapprocher des réflexions qui tendent à définir
de façon plus fine la notion de « fracture numérique » en démontrant
l’hétérogénéité distinctive des pratiques numériques juvéniles, toutes
familles d’usages confondues. Le trait est accentué, concernant les
adolescents, au vu de la relation intense qu’ils entretiennent avec
l’internet comme moyen de communication et d’information. Les enjeux
sociaux et culturels s’en trouvent démultipliés car les conséquences
d’une maîtrise plus ou moins affirmée de l’information, de leur capacité
à distinguer ce qui fait information et à choisir en connaissance de
cause, seront directement lisibles dans leurs vies d’adultes et de
citoyens. Ainsi, les pratiques informationnelles ordinaires de ces jeunes
mettent en lumière un processus d’agrégation plus que d’exclusion entre
recherches personnelles et recherches scolaires, entre pratiques de loisir
et pratiques d’apprentissages, entre lectures traditionnelles et lectures
numériques... Ce processus est le marqueur de la pratique et l’initiative
personnelle y est déterminante.
Lecture Jeune - septembre 2012
L
Les compétences
mobilisées par la lecture
Le dossier sur écran
39
Véronique Drai-Zerbib Étude
En 5000 ans, l’écriture et ses ressources ont connu de
nombreuses métamorphoses. L’invention de l’imprimerie,
rendant le livre et la connaissance accessibles à tous, était
en son temps révolutionnaire. Dans les années 1980, l’apparition des écrans a généré les bouleversements actuels.
Aujourd’hui, non seulement les supports de lecture (tablettes,
liseuses, téléphones, etc.) se sont multipliés et sophistiqués,
mais nous pouvons accéder à des données où que nous
soyons et pour toutes sortes d’activités. En outre, l’évolution
de la technologie a permis de miniaturiser ces outils électroniques qui nous accompagnent partout, nous transformant en lecteurs « nomades ». Les principales différences
entre lecture sur papier et déchiffrage sur écran portent
sur la présentation des documents devenue dynamique,
hypertextuelle et multimodale en lecture électronique.
Comment notre système cognitif parvient-il à s’adapter à ces
changements ?
La technique d’enregistrement des mouvements oculaires que nous utilisons au Laboratoire des Usages en
Technologies d'Information Numérique1 (LUTIN, Cité des
Sciences, Paris) permet de mener des recherches sur le fonctionnement des opérations mentales dévolues à la lecture.
Comment parvient-on à repérer l’information pertinente
et à trouver du sens, à établir une cohérence lorsque nous
décodons des signes ? Mais surtout, comment le lecteur
peut-il s’accommoder de la présentation multimodale du
texte apparue avec les nouveaux formats de lecture alors
que notre capacité cérébrale de traitement de l’information
en simultané est limitée ?
Mécanisme perceptif visuel
Tout d’abord, qu’il s’agisse de lecture « profonde2 » ou de recherche
informationnelle, qu’il soit question de lecture papier, électronique ou
musicale, les mêmes mécanismes perceptifs visuels sont convoqués.
En effet, l’œil est tapissé d’une mince couche de cellules nerveuses
interconnectées (neurones) appelée rétine sur laquelle se crée
une image par l’intermédiaire de neurones photorécepteurs. Les
photorécepteurs sont de deux types : les cônes, chargés de la
discrimination fine et les bâtonnets qui transmettent des variations
d'intensité lumineuse dans l'obscurité.
La densité et la répartition de ces photorécepteurs varient sur la
rétine : le centre, appelé fovéa (voir Fig. 1) en contient le plus
grand nombre et est constitué presque exclusivement de cônes.
Lecture Jeune - septembre 2012
Cet article a été rédigé
avec la collaboration
de Thierry Baccino
Véronique Drai-Zerbib
est docteur en Psychologie
Cognitive, chercheur au laboratoire
des usages en technologie d’Information numérique (Lutin) à Paris, et
attachée temporaire d’enseignement
et de recherche au laboratoire
adaptations travail individu (LATI) de
l’université Paris-Descartes où elle
enseigne l’ergonomie. Bien que ses
publications portent davantage sur
la lecture musicale, elle intervient
régulièrement avec Thierry Baccino
(Directeur scientifique du LUTIN,
CHART et Professeur à l’Université
Paris 8) dans le domaine de la lecture électronique et ses implications
sur le système cognitif.
1 www.lutin-userlab.fr
2 Il s’agit dans ce cas d’une lecture linéaire,
continue, qui réclame la concentration.
40
Les compétences mobilisées
par la lecture sur écran
3 La Vision, R. W. Rodieck, De Boeck,
coll. « Neurosciences & cognition », 2003.
La périphérie rétinienne comporte un nombre moindre de récepteurs et
est composée essentiellement de bâtonnets. Ainsi lorsque nous lisons,
les mots sont projetés sur trois zones rétiniennes : fovéale, parafovéale
et périphérique. Plus on s’éloigne de la sphère fovéale, plus l’acuité
visuelle décroit jusqu’à l’interruption de toute vision dans le champ
périphérique3. Nos yeux s’adaptent donc sans cesse afin de placer le
matériel à lire sur la zone la plus sensible aux détails, la fovéa. Et nous
parcourons un document au moyen de petits mouvements extrêmement
précis et rapides. En moyenne, les saccades – mouvements balistiques
de l’œil – durent 40 microsecondes et les fixations – pauses de l’œil –
durent 250 microsecondes.
Figure 1. Acuité visuelle
3 zones de projection sur la rétine :
fovéale, parafovéale et périphérique.
Plus on s’éloigne de la fovéa, plus
l’acuité visuelle décroît.
Les mouvements oculaires
dirigent le regard sur une cible
nouvelle pour placer une image
sur la fovéa, région rétinienne
la plus sensibles aux détails.
4 « L’expertise en lecture musicale :
intégration intermodale »,
V. Drai-Zerbib & T. Baccino,
L’Année psychologique,
vol. 105-n° 3, 2005.
rétine
vaisseaux sanguins
de la rétine
cornée
iris
cristallin
fovéa
Selon le matériel à lire, la difficulté du texte et surtout le niveau d’expertise
du lecteur dans le domaine, le nombre et la durée des saccades et
fixations peut augmenter considérablement, signe d’un obstacle dans le
traitement cognitif de l’information. Par exemple, en lecture musicale, les
figures 2 et 3 permettent d’observer un nombre supérieur de saccades
et fixations oculaires pour les musiciens non experts (5 années d’études
au conservatoire) en comparaison aux musiciens experts (plus de 10
années de pratique de la discipline musicale) lors de la lecture d’une
partition dans les mêmes conditions expérimentales4.
Figure 2. Lecture de partition : parcours oculaire d’un musicien expert
Figure 3. Lecture de partition : parcours oculaire d’un musicien non
expert
Lecture Jeune - septembre 2012
41
L’empan perceptif
Toutefois, la quantité de signes que nous percevons en lisant un texte,
appelée l’« empan perceptif », ne dépasse jamais une vingtaine de
caractères (voir Fig. 4). Cet empan perceptif est asymétrique (plus
large sur la droite que sur la gauche pour une écriture de gauche à
droite), s’ajuste à la direction de lecture et varie selon la difficulté du
texte et les capacités du lecteur. Lorsque l’information est perçue, elle
est envoyée vers une zone cérébrale dévolue à l’activité de lecture.
Cette région cérébrale (aire occipito-temporale ventrale gauche)
dédiée à la reconnaissance des mots écrits est adaptée à l’écriture qui
nous est familière (occidentale, arabe, hébreu, chinois…). Il est fort
intéressant de constater que cette zone est absente chez les pré-lecteurs
(enfants), les illettrés, ou disparaît dans le cas d’alexie5.
Figure 4. Empan perceptif
- Asymétrie
- Asymétrie inverse selon
le système d’écriture
- Variabilité de l’empan
selon complexité du texte
œil
Empan visuel
Nous l’avons vu, la lecture est contrainte par notre système
physiologique oculaire, les capacités de notre cerveau et nos
apprentissages. Cependant, il existe des distinctions fondamentales
entre lecture sur papier et déchiffrage électronique. Ces différences
portent sur la luminosité du support, le mode de présentation du
matériel, le type de lecture, la modalité de présentation du texte, etc.
Lecture sur écran versus la lecture sur papier
Lorsqu’on lit sur papier, l’éclairage peut être naturel ou superficiel
mais il provient d’une source extérieure. En revanche, sur écran, la
source de lumière est interne au document : c’est le « rétro-éclairage »,
qui est à l’origine d’une importante fatigue visuelle. Sur papier, les
informations sont stables et présentées page après page, alors que sur
écran, différents procédés permettent de se déplacer sur un document
électronique, notamment le « scrolling » qui induit un mouvement
de haut en bas. Cet affichage dynamique peut être préjudiciable à
l’encodage spatial (le cadre de la feuille) qui permet à tout moment de
retrouver une information déjà lue. La lecture d’un ouvrage papier est
linéaire alors que sur un document électronique, les procédés de type
hypertexte offrent la possibilité de « choisir » son chemin de lecture.
Cela induit une surcharge cognitive éloignant l’individu de son objectif
de départ. A force de cliquer de lien en lien, le lecteur se retrouve sur
Lecture Jeune - septembre 2012
5 Les Neurones de la lecture, S. Dehaene,
Odile Jacob, 2007. L’alexie est un trouble
pathologique de la sphère sensorielle
consistant en la perte des compétences
cognitives qui permettent non seulement la
lecture mais également la compréhension du
langage écrit et la transposition phonatoire
(source : Wikipedia).
42
Les compétences mobilisées
par la lecture sur écran
une page Internet abordant un sujet fort éloigné du domaine de la
recherche initiale.
Enfin, lorsqu’on lit sur papier, seulement deux sources d’informations
sont disponibles : le texte et les images alors que les applications
digitales offrent la possibilité d’ajouter du son ou de la vidéo. Cela
soulève la question de la gestion de la multimodalité : comment le
système cognitif manie-t-il des informations émanant simultanément de
diverses sources ?
La surcharge cognitive
6 Jamet et al. dans Sciences et vie,
septembre 2009.
Le cerveau est naturellement multimodal puisque nous avons
plusieurs canaux sensoriels (la vue, l’ouie, le toucher…). Par
conséquent, le lecteur enrichirait sa représentation mentale d’une
notion, d’un concept. Cependant, croiser des données redondantes
nuit à la compréhension et à la mémorisation d’un texte. Bien que
la mémoire permette de gérer en parallèle des sources émanant de
plusieurs modalités, il est parfois difficile d’intégrer différents types
d’informations car les capacités visuelles, attentionnelles et mnésiques
des individus ne sont pas extensibles. Comme le montre la figure 5,
si l’on compare6 la mémorisation, la compréhension et la restitution
d’un diagramme dans trois situations différentes, on observe que la
multiplication des sources brouille le message et nuit à la mémorisation
et à la compréhension. Dans un premier temps, un diagramme est
montré et expliqué oralement. La même opération est réitérée en
affichant progressivement, à droite, le texte de l’explication. Enfin, le
texte à droite est, cette fois, affiché en totalité dès le début.
Figure 5. La multiplication des sources brouille le message (Sciences
et vie, 2009)
La multiplication des sources…
1. Dans un premier
2. La même oprération
est réitérée sur d’autres
candidats en affichant
progressivement à
droite, le texte de
l’explication
3. Enfin les mêmes élé-
ments sont soumis à un
dernier groupe. Le texte
à droite est, cette fois,
affiché en totalité dès
le début
… brouille le message. L’apparition du texte nuit à la mémorisation et à la
compréhension.
70
60
50
40
30
20
10
0
Diagramme + commentaire audio
Diagramme + commentaire audio
+ texte défilant
Nbre de bonnes réponses
Bien que notre mémoire nous permette
de gérer en parallèle des sources
émanant de plusieurs modalités, il est
parfois difficile d’intégrer différents
types d’informations car nos capacités
visuelles, attentionnelles ou mnésiques
ne sont pas extensibles
temps, un diagramme est montré
et expliqué oralement
à des candidats
Diagramme + commentaire audio
+ texte statique
Mémorisation
Compréhension
Restitution
du diagramme
Lecture Jeune - septembre 2012
M
43
Le modèle attentionnel de Wickens
7 “A coherence effect in multimedia lear-
Il est également nécessaire que l’ajout de multimédia soit directement
en relation avec le domaine d’apprentissage afin que l’apprenant
puisse se construire une représentation mentale cohérente. Ainsi,
lorsqu’on présente à des collégiens une animation décrivant la
foudre en faisant varier les conditions7 – 1) narration simultanée, 2)
narration simultanée accompagnée du son de la foudre, 3) narration
simultanée accompagnée du son de la foudre mais également d’une
musique –, les collégiens obtiennent des scores de concentration plus
faibles dans le troisième cas. Il semble ainsi que la musique ait servi
de distracteur attentionnel. Néanmoins ces ajouts ne présentent pas
que des inconvénients ; c’est « l’effet de modalité ». Ainsi, l’utilisation
conjointe d’un schéma électrique complexe et de commentaires oraux
s’avère plus efficace que la présentation de ces mêmes commentaires
à l’écrit8. Des résultats similaires ont été obtenus en situation de
résolution de problèmes géométriques9. Il faudrait donc privilégier une
présentation orale pour accompagner une figure ou un schéma. Ces
observations sont cohérentes avec un modèle attentionnel largement
utilisé en psychologie cognitive, le modèle attentionnel de Wickens10
(1992) qui prévoit que l’usager possède des ressources de traitement
de l’information spécialisées par type d’activité (voir figure 6). De ce
fait, si deux activités utilisent la même ressource, elles iront puiser dans
le même réservoir (auditif, visuel…) et il deviendra difficile de gérer les
deux tâches en même temps.
ning: The case for minimizing irrelevant
sounds in the design of multimedia instructional messages”, R. Moreno & R. Mayer,
Journal of Educational Psychology,
Vol. 92-1, 2000.
8 “When two sensory modes are better
than one”, S. Tindall-Ford, P. Chandler &
J. Sweller, Journal of Experimental
Psychology : Applied 3 - 4, 1997.
9 “Reducing cognitive load by mixing
auditory and visual presentation modes”,
S. Mousavi, R. Low et J. Sweller, Journal of
Educational Psychology, 87-2, 1995.
10 Multiple Resources and Mental
Workload, C.D. Wickens, Harper Collins
publication, 1992.
Figure 6. Modèle de Wickens (1992)
Exemples :
• Auditif/visuel : parler au téléphone et conduire
• Visuel/visuel : regarder son GPS et conduire
Etapes
Visuelle
Encodage
Traitement
Spatial
Réponse Manuelle
Verbal
Réponses
Modalités
Auditive
Spatiale
Vocale
Codes
Verbal
- Modèle de WICKENS (1992) : l’usager possède des ressources de traitement de
l’information spécialisées par type d’activité.
- Optimiser la performance humaine en recherchant la meilleure compatibilité entre les
ressources disponibles et les activités à effectuer.
- Si deux activités utilisent la même ressource elles vont puiser dans le même réservoir et
entraîner une difficulté à gérer deux tâches en même temps.
Ainsi, bien que nos processus cognitifs soient malléables – ils sont
capables de s’adapter à de nouvelles fonctions –, ils possèdent des
limites. En produisant des outils de plus en plus puissants et mobiles, les
concepteurs d’interface de lecture électronique, doivent tenir compte
des spécificités du cerveau humain et des contraintes cognitives.
Lecture Jeune - septembre 2012
Publication
de Véronique Drai-Zerbib
• « L’expertise en lecture musicale :
intégration intermodale », Véronique
Dra-Zerbib, Thierry Baccino,
L’Année psychologique, 3 - 105,
2005.
Pour prolonger la réflexion,
titres recommandés par
Véronique Drai-Zerbib
• « Lire sur Internet, est-ce toujours
lire ? », Thierry Baccino, Bulletin des
bibliothèques de France, 56(5),
2011.Disponible sur : http://bbf.
enssib.fr/consulter/bbf-2011-050063-011.
• La Lecture électronique, Thierry
Baccino, Presses Universitaires de
Grenoble, 2004.
L’adolescence à l’épreuve
44
du virtuel : entre construction
Le dossier identitaire et excès
Michael Stora Entretien
Si la lecture sur écran sollicite de nouvelles compétences,
les réseaux sociaux engendrent également des modifications dans la construction identitaire des adolescents.
Comme le souligne Michael Stora, les jeunes internautes
transforment les images, endossent des rôles – sous la
forme d’avatars ou de pseudos – et se confrontent
à leurs pairs dans les jeux vidéo. Une inquiétude peut
émerger lorsque ces univers numériques ou autres
mondes persistants permettent d’éviter la confrontation
au réel avec toutes les désillusions qu’il comporte.
Michael Stora
est psychologue et psychanalyste.
Il fonde en 2000 l‘Observatoire des
Mondes Numériques en Sciences
Humaines (www.omnsh.org).
En 2002, il crée un atelier jeu vidéo
au sein du Centre médicopsychologique de Pantin pour enfants
et adolescents et fait figure de pionnier dans l'utilisation thérapeutique des
jeux vidéo. Il publie trois livres et une
dizaine d‘articles sur ce nouveau lien
qu'est l‘interactivité. Expert auprès
de différents ministères et consultant
auprès d’éditeurs de jeux vidéo,
il travaille actuellement sur le serious
game en santé mentale. En 2013,
son prochain livre, Clinique du virtuel,
de l‘addiction à la médiation sortira
chez Dunod.
Sonia de Leusse-Le Guillou : Qu’est-ce qui, selon vous,
caractériserait le rapport des adolescents au numérique ?
Michael Stora : Les 15 -25 ont quasiment tous abandonné la télévision
du salon pour l’écran d’ordinateur dans leur chambre : la question du
fossé générationnel se joue concrètement autour des écrans, même si,
paradoxalement, les adultes passent beaucoup plus de temps devant
l’ordinateur chaque jour. Pour moi, qui travaille depuis plus de 10 ans sur
les phénomènes numériques, cette culture est une forme de contre-culture
de l’image idéale et « vraie » de la télévision. Les digital natives ont une
capacité à manipuler des avatars, à jouer avec des images comme avec
n’importe quel objet (ils se jouent des images comme elles peuvent se
jouer d’eux). On pourrait parler d’une culture du « bal masqué » dans
laquelle domine l’idée d’avoir la mainmise sur un monde qui d’habitude
leur échappe. Un enjeu de maîtrise évident se manifeste quand on
tient une souris, une tablette tactile ou une manette : la main serait la
métaphore du Moi qui tente de serrer le monde dans son poing fermé.
SLG : Qu’est-ce qui vous semble intéressant dans la pratique
d’Internet des jeunes ?
MS : Les adolescents vont utiliser les réseaux sociaux et les blogs comme
un espace de construction identitaire – parfois avec un risque d’addiction
ou de cyberdépendance. Plus les médias, les parents diabolisent les jeux
vidéo et les réseaux sociaux, plus les adolescents s’attachent à cette
culture qui devient pour eux un espace de transgression.
SLG : Est-ce à dire que les adolescents se rebellent désormais
en ligne ?
MS : La crise d’adolescence actuelle est de plus en plus virtuelle.
L’adolescent ne veut plus prendre le risque de sortir du corps de la
maison. Il s’enferme dans sa chambre pour s’ouvrir sur le monde à
l’aide de l’ordinateur ; il exprime sa rage sur les écrans, alors que,
paradoxalement, l’accès à Internet ou à certains jeux vidéo est
financé par les parents. On en vient alors à se demander si cette crise
d’adolescence virtuelle n’est pas qu’un ersatz de crise.
Lecture Jeune - septembre 2012
45
SLG : Comment décririez-vous la parentalité ? A-t-elle
évolué ?
MS : La parentalité a changé : les parents ne tiennent pas toujours le
rôle d’un Surmoi clair et constitutif. On peut observer une parentalité
plus fragile qui a basculé du côté de l’idéal du Moi. Par exemple,
dans La Promesse de l’aube de Romain Gary, la mère élève le
héros avec l’idée qu’il sera guerrier, homme politique et écrivain.
En effet, il devient les trois ! Les adolescents sont comme une forme
de prolongation narcissique des idéaux parentaux. Or, l’idéal est
finalement beaucoup plus tyrannique qu’une autorité claire. L’enfant
devient une sorte d’image à investir, aussi le fameux stade du miroir1
décrit par Lacan s’en trouve-t-il modifié.
1 Entre 6 et 18 mois, pour Lacan, l’enfant se
constitue comme « je » face à l’Autre. L’enfant
se découvre à travers le miroir auquel il est
présenté dans les bras de ses parents. C’est
donc par le dire et le regard de ceux-ci que
le sujet conçoit son unité.
SLG : Y a-t-il une spécificité de cette jeune génération ?
MS : Nous avons affaire à une génération de héros aux ambitions
grandioses qui existent même dans le monde des entreprises :
les trentenaires qui arrivent diplômés sur le marché du travail ne
supportent plus le rapport hiérarchique habituel et tentent de le remettre
en question.
SLG : Si les adolescents se jouent des images, comment se
manifeste leur capacité de distanciation ?
MS : Lorsqu’on surfe sur Internet, on peut mesurer l’importance
du second degré. C’est ce que l’on appelle la « culture du fake ».
Le mensonge que l’on répand sur la toile contient souvent une
forme de vérité. En voici un exemple. Je dirige depuis cinq ans la
cellule psychologique de la plateforme de blogs Skyrock.com 2.
Le service de modération m’avait transféré un lien vers le blog d’une
adolescente qui exprimait son envie de mourir avec une force littéraire
impressionnante. Je lui ai envoyé un mail en lui demandant ce qui
l’avait poussée à écrire ce texte. Sa réponse commençait par deux
accents circonflexes – qui chez les adolescents expriment le second
degré (^^) – et me précisait de ne pas m’inquiéter : « avec cet article,
j’ai eu 400 commentaires et 3 000 clics. D’ailleurs, j’ai trois autres
blogs ». Dans la « culture du fake », la souffrance peut être réelle. La
blogueuse s’est servie de la créativité de l’écriture pour la sublimer
avec un talent littéraire certain. Elle a également utilisé des images et
des photographies, modifiées avec Photoshop qui permet de travailler
cette mise en scène de soi. Je suis allée voir ses autres blogs. L’un
était plutôt obscur et triste. Un autre traitait de la sexualité3. En dépit
d’une tonalité plutôt comique, le troisième, plus édulcoré, n’offrait rien
de franchement créatif (photos de son chien, de sa famille)4. Enfin, le
dernier type de blog (plus généralement masculin) est celui à vocation
de fan (autour d’un film, d’un groupe…).
SLG : Tout devient donc signifiant dans ces jeux d’identité
virtuels ?
MS : Oui, on peut vraiment reprendre l’analogie avec le « bal
masqué » que j’avais évoquée, et qui reste pertinente quand on
observe les sites de rencontres tels que Meetic. Les internautes
s’autorisent à être un autre. Par exemple, une fille un peu timide va
Lecture Jeune - septembre 2012
2 Il y a près de 34 millions de blogs – beaucoup moins depuis l’arrivée de Facebook –
sur cette plateforme. Le service de modération
m’envoie l’adresse de certains adolescents
qui expriment leurs souffrances, leurs désirs d’en
finir avec la vie (scarifications, anorexie…).
À travers ce signalement, je rentre en contact
avec les adolescents par mail et les interroge
pour les aider, les orienter vers des structures
de soins. Dans certains cas urgents, on
récupère l’adresse de l’adolescent grâce à
son IP puis on envoie les cyber-gendarmes
chez lui. Aucun réseau social ne fait un tel
travail de modération psychologique.
3 On y trouvait une mise en page rose,
des questions sur le sexe et une mise en
scène de soi qui pouvaient choquer : la fille
s’était prise en photo en plongée pour
dévoiler sa poitrine naissante.
4 Il s’agissait sans doute de celui
que l’on montre à ses parents.
46
L’adolescence à l’épreuve du virtuel :
entre construction identitaire et excès
s’appeler « pétillante75 » ! Les adolescents jouent beaucoup sur cette
question du masque. Comme le dit Oscar Wilde : « j’en saurais plus
lorsque tu portes ton masque que lorsque tu l’enlèves ». Le choix du
masque en lui-même est très révélateur. Nous sommes dans une ère
du jeu, nécessaire à la construction psychique. Il s’agit d’un espace de
récréation dans l’idée d’une recréation des frustrations et tensions, que
nous, adultes, pouvons ressentir.
SLG : Le blog (aujourd’hui en perte de vitesse) serait un
espace de construction de soi expérimental ?
MS : L’adolescent est un être particulier, à multiples facettes. Il doit
vérifier que chacune est compatible avec le reste du monde. Le blog
devient un moyen d’exposer ses facettes et de vérifier laquelle remporte
l’adhésion. C’est une sorte de laboratoire de la quête identitaire qui
permet de mettre en scène ses multiples personnalités que les clics et les
commentaires viennent confirmer ou infirmer. Des blogs aux réseaux
sociaux, ces espaces révélent également des facettes qu’un individu ne
veut pas forcément montrer mais expose presque malgré lui. La réalité
virtuelle ressemble à la réalité psychique : une part de l’inconscient se
met en scène alors qu’on est dans la culture du secret et de la honte,
notamment en France.
SLG : Les médias ou les parents expriment encore
régulièrement leurs craintes face aux pratiques numériques
des jeunes. Les partagez-vous ?
5 Marie Rose Moro est psychiatre pour
enfants et adolescents, psychanalyste, docteur
en médecine et en sciences humaines.
De formation philosophique, elle est aussi
écrivaine. C’est la chef de file actuelle
de l’ethnopsychanalyse et de la psychiatrie
transculturelle en France.
MS : Philippe Gutton, spécialiste de l’adolescence, parle de la création
comme processus adolescent. Pour valoriser ce phénomène, nous
avons créé avec Marie-Rose Moro5 un atelier blog à la Maison des
Adolescents. J’imposais 10 articles et laissait libre le dernier. Alors qu’il
rédigeait son texte sur le thème de l’amour, un adolescent est venu me
voir pour demander en quelle couleur et dans quelle police écrire le
mot « amour ». Pour des jeunes, c’est un choix crucial : la forme donne
du poids au monde. Facebook a appauvri ce processus créatif mais je
perçois cependant un élément positif : les adolescents se bercent moins
d’illusions que leurs parents. Les familiers de Photoshop, par exemple,
savent que le monde lisse et brillant des programmes publicitaires
est faux, mensonger. Les jeunes ont un rapport aux images bien plus
lucide que les adultes.
La crainte que je pourrais exprimer, en tant que clinicien, serait celle
des no-life, ceux qui tentent d’éviter à tout prix le réel pour s’enfermer et
ne vivre que dans le virtuel.
SLG : Comment expliquez-vous ce rejet du monde « réel »
par les no-life ?
6 Rencontre nationale des Espaces Culture
Multimédia, « Pratiques culturelles numériques
des jeunes », Paris, Cité des sciences et de
l’industrie, 5- 6 octobre 2007.
MS : J’ai reçu pendant 6 ans 200 jeunes de 15 à 25 ans, en majorité
des garçons – sauf une fille –, souvent déscolarisés, qui passaient
leur temps à incarner un elfe ou un troll dans World of Warcraft et
préféraient le combat virtuel à celui, trop coûteux, de la réalité. Ce
jeu, très esthétique est aussi addictif, mais pas dans le mauvais sens
du terme. Il s’agit d’un monde sans fin, qu’on ne peut pas terminer.
Lecture Jeune - septembre 2012
47
De plus en plus de jeunes sont pris dans une quête de l’idéal, de
la performance… Qu’en est-il lorsque tout d’un coup, ces enfants
« idéaux » sont confrontés à l’échec scolaire ? Ce choc se produit
souvent vers la 5e/4e ou la 3e. La chute des notes peut être désastreuse
pour l’enfant car celles-ci correspondent souvent à un enjeu d’amour –
d’où le sentiment d’un effondrement total lorsqu’elles diminuent. Or, les
jeunes peuvent trouver dans ces mondes virtuels une quête commune
possible à continuer quoi qu’il arrive.
SLG : Qu’est-ce qui explique l’attachement très fort de ces
jeunes aux jeux vidéo ?
MS : Dans la réalité, les adolescents sont perturbés par l’idée que l’autre
puisse être un ennemi. Reprenons l’exemple de World of Warcraft. Nous
sommes face à un monde manichéen très clair : on identifie facilement
gentils ou méchants. La question de l’ambivalence semble évacuée. Des
guildes se constituent, qui réunissent jusqu’à 50 ou 60 joueurs, avec
une organisation militaire très structurée (officiers, sous-officiers…).
Il faut présenter un CV et une lettre de motivation pour y rentrer (et on
peut être exclu également) ! J’ai reçu beaucoup de jeunes qui, plus ou
moins inconsciemment, recherchaient des limites qu’ils ne trouvaient plus
dans la réalité. 90 % de ceux que je recevais étaient dits « précoces »
ou HPI (Haut Potentiel Intellectuel). Vers l’âge de 6 ou 7 ans, leurs
parents découvraient que leur enfant avait un QI de 130. Confondant
compétences cognitives et maturité affective, ils s’adressaient parfois à
leur enfant comme à un mini-adulte. Cela renforce un sentiment de toutepuissance qui devient inquiétant à l’adolescence, car l’enfant ne sent
plus les limites. Aussi les jeunes se réinventent-ils des rituels de passages
par la montée en puissance de leur avatar et la reconnaissance du
groupe qui leur confère un statut d’adulte en devenir. Cependant, ce
rituel de passage n’est qu’un ersatz.
SLG : Plutôt que de décrier les jeux vidéo et craindre l’usage
d’Internet, ne peut-on pas souhaiter leur intégration dans
l’apprentissage scolaire ?
MS : Le numérique commence à être inclus à l’école et prend de
plus en plus d’importance. Lors d’une table ronde organisée par le
ministère de la Culture à la Villette6, une enseignante exposait son
utilisation pragmatique des jeux vidéo en classe. Ainsi demandait-elle
à ses élèves de jouer à un jeu sur le commerce maritime au XVIIIe siècle
puis de le résumer. Dans un troisième temps, elle vérifiait avec eux la
véracité historique du contenu. Passer d’un média à un autre, tout en
s’appropriant une histoire à laquelle on donne du sens, me semble une
perspective très enrichissante. Toutefois, le concept de gamification
(mettre du ludique dans l’apprentissage) reste encore peu usité et
difficile à mettre en œuvre. Pourtant, le fonctionnement du jeu vidéo est
intéressant pour les cancres qui se sentent isolés du reste du monde car
c’est en perdant qu’on apprend à gagner. Il faut s’y essayer à plusieurs
reprises, élaborer des stratégies pour avancer… C’est un processus
pédagogique bénéfique que l’école ne prend pas encore en compte.
Lecture Jeune - septembre 2012
Quelques publications
de Michael Stora et
contributions à des ouvrages
collectifs
• « Image », in Le Breton David et
Marcelli Daniel (dir.), Dictionnaire
de l’adolescence et de la jeunesse, Éditions Quadrige-Presses
Universitaires de France, Paris,
2010.
• Les écrans, ça rend accro…,
Hachette Littérature, Coll. « Ça reste
à prouver… », Paris, 2007.
• Missonnier Sylvain, Stora
Michael, Tisseron Serge,
L’enfant au risque du virtuel, Dunod,
coll. « Inconscient et Culture »,
Paris, 2006.
• Guérir par le virtuel, une nouvelle
approche thérapeutique, Éditions
les Presses de la Renaissance, Paris,
2005.
• « Marcher dans l’image : une
narration sensorielle », Cahiers des
sciences humaines, « Pratique du
Jeu Vidéo, virtualité ou réalité ? »,
sous la direction de Mélanie
Roustan, L’Harmattan, Paris, 2003.
Disponible sur : http://www.omnsh.
org/spip.php?page=imprimer&id_
article=8
Articles
• « Le blog à l’épreuve de l’adolescence », EMPAN, n° 76, Edition
Ères, 2009.
• « Jouer au jeu vidéo ; entre rêve
et passion. Un self-interactif à portée
de main », Psychiatrie Française,
n° 3, 2009.
• « Rêve et réalité : une clinique du
jeu vidéo comme médiation thérapeutique », Revue Dialogue, « De
l’imaginaire au virtuel », n° 186,
Éditions Érès, 2009.
• « Ça ne regarde que les autres,
la blogthérapie », Enfance et psy,
2008.
Le numérique au service
48
des apprentissages pour
Le dossier les collégiens et les lycéens
Pascal Cotentin Compte-rendu
Propos de Pascal Cotentin
mis en forme par Sonia
de Leusse-Le Guillou
Michael Stora (voir p. 44) mentionnait la complémentarité
du ludique – encore loin des conceptions pédagogiques
scolaires – et de l’apprentissage. Pour Pascal Cotentin, il est
effectivement nécessaire d’apprendre et d’enseigner autrement. Il s’agit désormais de se former, d’échanger, de collaborer, d’innover : tous les métiers de demain exigent des
compétences numériques. Il y a donc urgence à faire évoluer l’école pour que tous les élèves puissent réussir. À partir
d’exemples d’usages en classe dans l’académie de Versailles,
Pascal Cotentin montre que le numérique est un véritable
levier de changement et un moyen d’agir sur l’avenir.
Sonia de Leusse-Le Guillou : Quelle est la priorité de
l’académie de Versailles ?
Pascal Cotentin
est Inspecteur d’académie, conseiller
de Monsieur le recteur pour les TICE,
directeur du Centre Régional de
Documentation Pédagogique (CRDP)
de Versailles1.
1 www.crdp.ac-versailles.fr/
Pascal Cotentin : Nous essayons de construire une académie
numérique pour prendre l’élève dans sa globalité. L’école ne peut pas
rester en marge de la société numérique ; il faut modifier en profondeur
la conception des inégalités, pour proposer une égalité des chances
dans la réussite. Il s’agit d’une pédagogie des « petits pas » qui évolue
progressivement, lentement, notamment à cause des disparités dans
l’accès à Internet. Nous collaborons avec les établissements sur un
projet et essayons de leur donner de l’autonomie mais il y a aussi un
important travail d’accompagnement.
SLG : Quelle est la particularité de votre secteur ?
PC : C’est la plus grande des académies, qui accueille près de 10 %
des élèves de France. Certaines villes sont connues, plutôt riches, mais
il y a aussi une forte ruralité. Pour que nos projets fonctionnent, il faut
une bonne connexion à Internet, ce qui est parfois difficile à faire
comprendre aux différentes collectivités. La fracture numérique n’est
pas toujours là où on l’imagine. Par exemple, à Mantes on trouve une
meilleure connexion qu’en centre-ville de Versailles. Nous travaillons
donc à différents niveaux sur les « leviers du changement » pour
accompagner les professionnels au plus près du terrain et développer
les projets au fur et à mesure, en fonction de la créativité de nos
interlocuteurs et de notre capacité d’innovation.
SLG : Qu’est-ce qui caractérise votre démarche ?
PC : Nous plaçons au centre de nos actions la notion d’apprentissage :
le développement de nouvelles pratiques amène des usages
complètement différents. Il ne faut pas avoir peur de se lancer et de
travailler autrement.
SLG : En quoi le numérique peut-il modifier l’environnement
scolaire ?
Lecture Jeune - septembre 2012
du
49
PC : La vie scolaire elle-même est fortement touchée par le numérique
et les lieux évoluent en conséquence (salle d’étude, CDI). Par exemple,
une salle de travail avec 30 postes informatiques ne donne pas du tout
la même ambiance qu’une classe avec un surveillant et des chaises.
Nous tentons d’aménager de nouveaux espaces et de nouveaux temps
(en classe et hors-les-murs) pour prolonger l’acte pédagogique à la
maison. Il faut alors être vigilant pour prévenir les inégalités car hors
de l’établissement scolaire, les élèves n’ont ni le même matériel ni le
même accès à internet.
SLG : En quoi le numérique a-t-il des apports spécifiques par
rapport à l’enseignement traditionnel ?
PC : Le numérique permet d’être autonome. Cette notion
d’individualisation est très importante pour l’élève, qui se sent moins
noyé dans la masse du groupe. De plus, le côté nomade est attractif
pour les jeunes qui veulent accéder à l’information en instantané et être
connectés en réseau en permanence. La particularité – et l’avantage
– qu’on retrouve avec les tablettes, c’est qu’elles ne modifient pas le
poste de travail. Leur utilisation est très rapide à mettre en œuvre mais
elles s’écartent tout aussi facilement pour laisser la place à d’autres
activités.
SLG : Comment les enseignants utilisent-ils les outils
technologiques ?
PC : Il y a de nombreuses façons de les intégrer aux cours. Par
exemple, une enseignante d’anglais utilisait la balado-diffusion
au collège. Les élèves devaient regarder des vidéos sur Ipad puis
enregistrer un argumentaire d’une minute sur les apports de la
citoyenneté européenne. Chacun pouvait ainsi travailler à son rythme,
regarder les vidéos autant de fois que nécessaire pour les comprendre,
s’enregistrer, etc. Grâce à la synchronisation, l’enseignante récupérait
le devoir de l’élève, l’écoutait et le notait sans l’interrompre ni le faire
répéter. L’évaluation s’avérait plus rapide et moins contraignante à
organiser (il n’était plus nécessaire de trouver une salle où s’isoler avec
chaque élève).
SLG : Quel est le bilan dressé par les enseignants de langues ?
PC : Avec leurs collègues de lettres, ils constatent que les élèves, en
s’enregistrant, parlent et lisent beaucoup plus. La qualité ne varie pas
forcément mais la quantité augmente. J’insiste à nouveau sur la notion
d’individualisation : l’élève a le sentiment que son devoir va vraiment
être écouté !
SLG : Comment les enseignants s’approprient-ils ces outils ?
PC : C’est un point essentiel : on ne peut pas donner un équipement aux
élèves sans avoir formé en amont les enseignants. Disposer de matériel
sans savoir l’utiliser n’a pas de sens. C’est la raison pour laquelle
nous accompagnons les enseignants vers leur objectif pédagogique.
De plus, nous essayons de mutualiser les expériences et d’échanger
le plus souvent possible autour de la question du numérique en classe,
Lecture Jeune - septembre 2012
50
Le numérique au service des apprentissages
pour les collégiens et les lycéens
de façon à ce que chacun ne réinvente pas ce que le voisin a déjà
expérimenté. Aussi mettons-nous en ligne des conférences qui peuvent
profiter à tout le monde pour réduire les inégalités. Ces échanges
rencontrent un vif succès pour les disciplines spécifiques dans lesquelles
il y a peu de professeurs. Nous avons par exemple deux sites très bien
documentés sur les outils numériques autour de l’apprentissage de la
langue arabe et du russe, ou encore sur les métiers de l’hôtellerie.
SLG : Pourriez-vous nous énumérer quelques outils
numériques qui ont pénétré dans les classes ?
PC : Sont apparus le tableau numérique – qui de plus en plus va
disparaître au profit d’un mur numérique –, la communication autour
des différentes versions de l’Environnement Numérique de Travail
(ENT). Actuellement, nous testons des activités avec des tablettes
tactiles, que nous espérons diffuser à plus grande échelle, suivant la
maîtrise des enseignants. Enfin, s’est beaucoup développé tout un
travail autour de la pratique orale et des activités de communication à
l’aide de la balado ou de la visio-diffusion. Finalement, nous proposons
des supports et des projets valorisant l’aspect ludo-pédagogique. Les
jeunes sont attirés par les outils technologiques. Il faut donc partir de
l’appétence des élèves pour le virtuel et les ramener vers des travaux
plus scolaires.
SLG : Est-ce seulement au sein de la classe que les jeunes
bénéficient de ces supports numériques ?
2 Pour voir les diapositives de présentation
des projets mentionnés : www.projet-ten.fr/
et www.eed.ac-versailles.fr/SPIP2/IMG/pdf/
presentation_tablette_numerique.pdf
PC : Non. Il est important aussi de prolonger le travail à la maison et
de voir ce que l’on peut mettre en place lors d’activités péri-éducatives.
Nous avons tenté l’expérience de la « tablette nomade » (en partenariat
avec Orange et le système d’exploitation Android pour Samsung)
au collège2 : il s’agit d’une tablette connectée en 3G et disponible
24h/24 pour l’élève, qui peut alors la rapporter à la maison. Cette
tablette est équipée d’un filtre pédagogique ; l’élève ne peut pas
aller sur d’autres sites que ceux définis par les enseignants mais il
dispose d’un « cartable numérique » construit par ses professeurs qui
peuvent ainsi proposer davantage de ressources. Sur 500 tablettes,
deux seulement ont été endommagées sans qu’aucun autre problème
ne nous ait été signalé. Il y a donc un grand respect des élèves,
honorés qu’on leur fasse confiance, pour le matériel. Bien sûr, les
enseignants sont formés avant que les jeunes ne reçoivent ces supports.
Pour compléter le dispositif, les parents et les enfants suivent une
conférence d’éducation aux médias, aux dangers de l’internet mais
aussi aux avantages et aux plaisirs qu’on peut en tirer.
SLG : Qu’en pensent les enseignants ?
PC : Les tablettes sont globalement un élément positif pour la
pédagogie. Il y a eu de bons retours : aucun enseignant ne souhaite
revenir en arrière et de plus en plus de professeurs veulent entrer
dans le dispositif même si cela reste progressif. Selon les dernières
statistiques, les enseignants se servent des tablettes environ 15 à 20
minutes par séquence. Ils s’impliquent également plus, en commençant
Lecture Jeune - septembre 2012
51
à poster leurs propres reportages sur les projets qu’ils mènent avec
leurs élèves (des enseignants d’EPS y ont vu des avantages pour mieux
expliquer les consignes, ceux de SVT ont utilisé les tablettes pour
enregistrer des vidéos lors d’une sortie d’observation afin de constituer
un herbier sans endommager l’écosystème – l’engouement de la part
des élèves était plus important que dans la constitution d’un herbier
papier traditionnel.
SLG : L’aspect ludique serait donc celui qui prime ?
PC : Il est certes important mais c’est loin d’être le seul intérêt de ces
outils numériques. Cette année, nous avons expérimenté l’utilisation
de tablettes en lycée professionnel. Les jeunes devaient émettre des
hypothèses pour déterminer des causes de panne sur des machines.
Selon les élèves, la tablette facilitait le rassemblement des informations
et leur classement d’une manière plus pratique et concise. Les
impressions d’écran leur permettaient de garder en mémoire leurs
schémas électriques, de pointer et détailler exactement la partie qui
les intéressait et ainsi, d’avancer plus vite. Enfin, auparavant, les
jeunes devaient chercher manuellement les documents nécessaires
à leur travail dans de volumineux classeurs – à raison d’un pour…
15 élèves ! Désormais, ils disposent de ces ressources sur leur tablette.
Et comme tout est centralisé, leur enseignant constate qu’ils ont envie
de compléter ces documents, de prendre des photos et de rendre
compte de leur intervention beaucoup plus qu’ils ne le faisaient avant.
Plus important encore, ce dispositif a changé l’image et l’approche
qu’ils avaient d’eux-mêmes, de leur propre apprentissage et de leur
futur métier, comme en témoigne l’un des élèves en disant qu’ils ont
« l’impression d’être des ingénieurs avec [leurs] tablettes à la main ».
Certains ont gagné en confiance en eux, notion primordiale pour les
jeunes de lycée professionnel dont beaucoup se sentent « inférieurs »
aux classes générales.
SLG : Y a-t-il d’autres types d’expériences porteuses pour
les collégiens ou les lycéens menées dans l’académie de
Versailles ?
PC : Des enseignants ont utilisé des boîtiers de réponses au collège, par
exemple en mathématiques, pour répondre à une série de questions
sur les fractions. L’intérêt majeur du boîtier réside dans l’implication
des élèves. Ceux qui n’auraient pas levé la main, pris la parole en
public vont répondre parce que cet objet joue le rôle d’intermédiaire
entre eux et le professeur. L’enseignant a instantanément la réponse
de chacun à ses questions et peut ainsi mesurer le niveau de la classe
par rapport à l’exercice demandé. Cette fois, l’anonymat est l’aspect
essentiel de l’expérience, également tentée avec des élèves de BTS qui,
bien que plus âgés, osaient participer davantage. L’enseignant s’est
ainsi rendu compte que la notion étudiée n’était pas acquise et il a pu
recommencer son cours.
SLG : Quelle est votre vision de l’école numérique du futur ?
PC : Elle doit offrir de plus en plus de services en lignes, des outils
Lecture Jeune - septembre 2012
52
Le numérique au service des apprentissages
pour les collégiens et les lycéens
Pour prolonger la réflexion,
les liens Internet proposés
par Pascal Cotentin
• www.crdp.ac-versailles.fr
• www.creatice.ac-versailles.fr
• www.doctice.fr
• http://scolawebtv.crdp-versailles.fr
• www.audio-lingua.eu
• http://webtv.ac-versailles.fr
• http://blog.crdp-versailles.fr
• www.hotellerie-restauration.
ac-versailles.fr/
• http://blog.crdp-versailles.fr
• www.missionfourgous-tice.fr
• www.missionfourgous-tice.fr/
missionfourgous2
d’apprentissage pour individualiser les rythmes de travail et des
espaces ludo-éducatifs qui prolongent l’acte d’éduquer. Enfin, les
supports doivent être obligatoirement « nomades » et pouvoir s’utiliser
hors de l’école. Idéalement, ces ressources doivent aussi être gratuites :
d’ici 3 à 4 ans, 50 % de celles utilisées en classe auront été produites
par les enseignants et les élèves grâce au travail collaboratif et à
l’échange communautaire entre les membres de l’académie.
SLG : Quelle sera la différence majeure de cette école de
demain avec la pédagogie actuelle ?
PC : Je répondrais en insistant à nouveau sur la notion d’individualisation. Actuellement, le positionnement éducatif est placé sur
le collectif. Or il est nécessaire d’obtenir une personnalisation des
parcours pour lutter contre les inégalités et permettre la progression
de chaque élève.
Lecture Jeune - septembre 2012
L
La médiation numérique
Le dossier en bibliothèque
53
Silvère Mercier Entretien
Web éditeur et chargé de médiation numérique à la
Bibliothèque publique d’information (Bpi1), Silvère Mercier
se présente comme un « bibliothécaire engagé pour les
libertés à l'ère numérique et la libre dissémination des
savoirs ». Convaincu de la nécessité d’introduire les TIC
au sein de la bibliothèque, il expose ses idées sur son blog
Bibliobsession2. Anne Clerc l’a interrogé sur la formation
des bibliothécaires au numérique.
Anne Clerc : L’ENSSIB3 (École nationale supérieure des
sciences de l’information et des bibliothèques) propose-telle une formation au numérique pour les bibliothécaires ?
Silvère Mercier : L’ENSSIB a inclus un volet lié à la médiation
numérique dans son parcours de formation mais cela représente
une faible proportion du tronc commun réservé aux conservateurs
et aux bibliothécaires. De surcroît, par expérience, il me semble
que l’apprentissage des outils est moins nécessaire pour les jeunes
bibliothécaires ou conservateurs car ils ne subissent pas la fracture
numérique autant que certains aînés. Il s’agit en effet davantage d’une
fracture générationnelle que territoriale. La génération précédente a
tendance à considérer trop souvent l’avènement du numérique comme
une défaite de la culture lettrée au profit d’une simple « conversation »
ouverte au monde entier.
Silvère Mercier
AC : Cependant, certains jeunes bibliothécaires opposent
une sorte de résistance au numérique : ils se disent peu
intéressés par les réseaux sociaux ou Internet et décident
de ne pas utiliser ces outils alors qu’ils sont devenus des
supports, des services et des ressources indispensables dans
les établissements.
2 www.bibliobsession.net/
SM : C’est ici que réside toute la difficulté ! Il y a un certain « snobisme »
à vouloir éviter à tout prix des outils comme les tablettes mais il faut
faire comprendre à ces réfractaires la nécessité d’investir dans ces
objets dans leurs pratiques quotidiennes : il est essentiel de convaincre
ces agents de distinguer leur avis personnel de leur positionnement
professionnel. Les bibliothécaires ont souvent le préjugé – faux
– que les réseaux sociaux ne servent qu’à la communication. En
DUT Information-communication4, où je propose des formations,
les étudiants ne sont pas sensibilisés à la « culture numérique »
au-delà d’une initiation à la création de sites Web ; ils sont pourtant
intéressés par ce questionnement mais le reste du cursus n’est
absolument pas axé vers ces interrogations professionnelles. Il y a
peu de réflexions sur le besoin d’innovation lié au livre numérique,
par exemple.
Lecture Jeune - septembre 2012
est bibliothécaire à la Bibliothèque
publique d’information, auteur
du blog Bibliobsession et cofondateur du fil de veille collaboratif
le Bouillon ; il s’est spécialisé dans
la médiation numérique.
www.bibliobsession.net
1 www.bpi.fr
3 www.enssib.fr/
4 Université Paris X Nanterre.
54
La médiation numérique en bibliothèque
AC : Certains bibliothécaires sont poussés à créer un blog
ou à monter des ateliers ludiques en lien avec le numérique
ou les jeux vidéo alors qu’ils ne maîtrisent pas toujours les
outils informatiques les plus simples. Ils veulent concevoir
des projets ambitieux mais ne sont pas en mesure d’aider
les jeunes dans leurs recherches documentaires, pour faire
un exposé ou réaliser un CV, alors que ce sont les besoins
prioritaires des adolescents.
5 Le blog Jeune et je lis (les gars aussi !)
est disponible à l’adresse suivante :
http://jeuneetjelis.over-blog.com/
SM : Beaucoup de professionnels étaient dans le métier depuis
un certain temps lors de l’arrivée du numérique ; ils n’ont donc pas
toujours pu se former à de nouveaux outils ni prendre un recul suffisant
par rapport à la manière d’inclure ces ressources pour les proposer
aux usagers. C’est précisément pour cette raison qu’il y a un fort
besoin de formation à la médiation numérique.
Dans les bibliothèques, le premier pas vers le positionnement sur la
toile s’établit autour de la création d’un blog : c’est un outil aisé d’accès
et facile à gérer, qui devient une sorte de fourre-tout d’informations au
détriment des supports institutionnels comme les sites-portails. Le blog
est un format plus souple et moins rigide où les contraintes d’écriture
sont moindres. Par exemple, le blog de la médiathèque de Bagnolet5,
bien fourni et animé, permet de soutenir un club de lecture adolescent
qui valorise les critiques des jeunes sur leurs lectures. Cette expérience
montre que les bibliothécaires sont tout à fait capables d’utiliser les
outils numériques en pleine cohérence avec un projet tourné vers les
publics d’un territoire donné. Il est primordial que l’équipe compte au
moins une personne sensibilisée aux questions du numérique capable
de coordonner la présence de la bibliothèque sur le Web.
AC : Parfois, les bibliothécaires craignent que leurs
initiatives personnelles contrecarrent la position de leur
institution ou des élus.
SM : Effectivement, la « vieille histoire » de neutralité du service public
peut freiner la prise de parole de certains bibliothécaires qui se sentent
en retrait et n’osent pas émettre de jugement de peur d’être accusés
de prendre parti. Il faut lutter contre ça et leur permettre d’être acteurs
à part entière des projets ; pour cela, il faut que les différentes prises
de position soient cadrées le plus clairement possible. Les agents
publics sont bridés par une vision exagérée du devoir de réserve alors
que c’est précisément le rôle du bibliothécaire de donner son avis et
d’avoir un regard critique. Dans ce cas, il est indispensable de se sentir
soutenu par sa hiérarchie : les responsables de bibliothèque ont donc
un grand rôle à jouer dans la résolution d’éventuels problèmes. Ainsi,
à la bibliothèque de Val d’Europe où j’ai travaillé quelque temps, il a
fallu s’accorder pour organiser la modération. Et désormais, à la Bpi,
nous allons élaborer une charte d’expression en ligne pour les agents :
de cette manière, ils se sentent légitimes pour intervenir en tant que
professionnels.
AC : Quels conseils donneriez-vous aux bibliothécaires
pour mener une médiation numérique efficace et réussie ?
Lecture Jeune - septembre 2012
55
SM : Il est dommage de voir que beaucoup d’argent public et
d’énergie sont investis dans la création de portails institutionnels
alors que ce n’est pas dans cette direction qu’il est intéressant d’agir.
Il est certes important de proposer un site mais pour déployer une
présence en ligne beaucoup plus large, il vaut mieux créer des blogs
thématiques ou encore se positionner comme le spécialiste d’un
sujet sur Facebook. C’est une opération moins compliquée – et plus
plaisante ! – à gérer, qui demande peu d’investissement financier : cela
coûte bien moins cher qu’un site-portail et c’est plus simple à entretenir.
Dans ce cas, on peut s’approprier l’outil et se concentrer davantage
sur le contenu. D’autre part, cette démarche s’inscrit contre l’idée
reçue qu’il faut investir beaucoup pour faire du numérique. Enfin, le
concept de « guichet unique » en ligne (un seul site sur lequel tout le
monde interagit) est plutôt contreproductif : il vaut mieux se disséminer
pour créer un vaste « écosystème » aux multiples portes d’entrée.
Cependant, cette politique a encore du mal à trouver sa place : les
bibliothécaires éprouvent l’impression de se disperser en acceptant
l’idée d’un outil à plusieurs entrées.
AC : Les projets en lien avec le numérique peuvent
parfois représenter une somme importante de travail
supplémentaire. Comment gérer les différentes activités sur
une durée raisonnable ?
SM : Le vrai défi, c’est de parvenir à articuler le travail numérique
avec les tâches quotidiennes des bibliothécaires. Je vous donne un
exemple : les agents des sections jeunesse sont habitués à un important
travail de veille informationnelle pour le suivi de l’actualité littéraire.
Or, cette activité de veille n’est pas exploitée dans un objectif de
médiation numérique alors que la moitié du travail est déjà accomplie :
les sites sont repérés, les habitudes de lecture sont installées…
Il faudrait récupérer les informations et les diffuser de manière plus
lisible sur le Web, ce qui, à terme, représenterait un véritable gain
de temps ! D’autre part, je reconnais que la mise en place du cadre
occupe des délais plus ou moins longs, mais une fois cet investissement
effectué, la nouvelle coordination créée par le numérique permet
d’obtenir un rythme plus efficace, d’autant plus qu’on demande aux
bibliothécaires d’exercer leurs compétences sur les contenus à l’aide
d’un outil facile à manipuler.
AC : Le public de la Bpi est essentiellement étudiant.
Observez-vous une certaine fracture numérique dans cette
assistance ?
SM : De manière générale, les étudiants se rendent à la Bpi
davantage pour profiter du réseau WiFi et consulter leurs propres
documents sur leur ordinateur personnel que pour utiliser le service
documentaire proposé par la bibliothèque. Ils ont une très mauvaise
connaissance des bases de données et ne parviennent pas à identifier
les sources majeures d'information propres à leur domaine. Il y a
un besoin important non pas seulement de formation à la recherche
documentaire mais bien à la culture de l’information. Ce besoin n'est
Lecture Jeune - septembre 2012
56
La médiation numérique en bibliothèque
5 Le réseau Ubib par exemple : www.ubib.fr
malheureusement pas reconnu au niveau national. Les bibliothécaires
proposent alors des interventions ponctuelles dans l'année scolaire et
privilégient la formation à distance : ils mettent en ligne des tutoriels,
des vidéos, des catalogues de liens... Il s'agit d'un aspect fondamental
de la médiation numérique et de l'accompagnement des étudiants, qui
fonctionne par ailleurs très bien : par exemple, le service instantané de
questions-réponses par tchat interposé a beaucoup de succès pour les
bibliothèques qui ont fait le choix de ce dispositif5.
AC : La fracture numérique concerne-t-elle toutes les
catégories de population, indépendamment des clivages
de génération ? L’évolution perpétuelle des pratiques et des
outils risque de déconcerter jusqu’aux plus jeunes…
6 Ziklibrenbib est un blog collaboratif consacré aux musiques en libre diffusion, créé à
l’initiative de la Médiathèque de Pacé (35)
et de la Médiathèque de la CDC du Pays
d’Argentan (61) en janvier 2012.
La Médiathèque d’Oullins (69) s’est jointe à
l’équipe au mois de mars de la même année
et la BDP de la Gironde (33) en mai.
Sur ce blog, une sélection régulière d’albums
en libre diffusion, présentés à travers
une chronique et un morceau en écoute,
est proposée : http://ziklibrenbib.fr/?cat=8
SM : Au-delà de la querelle entre « anciens » et « modernes », il s’agit
surtout d’une division structurelle entre ceux qui ont compris l’utilité
des TIC et ceux qui y sont toujours réfractaires. Il est certain qu’il est
indispensable de se tenir informé des évolutions technologiques.
Une formation de temps à autre ne suffit pas ; le numérique suppose
une auto-formation régulière : l’accompagnement est certes essentiel
mais il faut aussi que les bibliothécaires s’approprient eux-mêmes les
outils qui leur sont présentés. L’auto-formation et l’activité de veille
informationnelle sont fondamentales dans tous les corps de métiers :
beaucoup de journalistes y sont également confrontés.
D’autre part, les bibliothécaires se sont construits sur l’idée que leur
légitimité provient de la qualité de l’offre qu’ils fournissent, dans
sa représentativité des différents courants éditoriaux, des sujets et
thèmes d’actualité. Il faut repenser en profondeur la question des
collections dans un contexte qui n’est plus celui d’une offre légale, fixe
et marchande. Il convient donc de reconsidérer cette problématique
dans un univers ouvert, galvanisé par la montée en puissance de
l’auto-publication qui perturbe les bibliothécaires et les éditeurs.
Cependant, à l’inverse des éditeurs, les bibliothécaires n’ont pas de
modèle économique à inventer ; ils peuvent donc lancer des projets
qui permettrait de dégager des éléments innovants et intéressants
même si non commerciaux, comme par exemple, le programme
« Ziklibrenbib6 » : c’est ce genre de positionnement qui me paraît plus
pertinent dans l’avenir.
AC : Certains services proposés par les bibliothèques
reprennent des usages qu’un individu peut accomplir seul
chez lui, comme par exemple la mise à disposition de films
ou de musique. Quelle est dans ce cas la « valeur ajoutée » de
la bibliothèque ?
SM : Nous avons surtout une valeur de prescription et de
recommandation. Au vu de la diversité de l’offre culturelle actuelle,
il est essentiel de pouvoir accorder sa confiance à un medium de
référence. À notre époque, les filtres humains et sociaux sont de plus en
plus remplacés par des préconisations algorithmiques et scientifiques,
comme la fonction « vous avez aimé tel livre, vous aimerez tel autre »
sur Amazon. Cette faculté peut s’avérer intéressante – il s’agit pour moi
Lecture Jeune - septembre 2012
57
d’un dispositif de médiation – à condition qu’on en maîtrise les critères,
il serait dangereux de voir une « gouvernementalité algorithmique
aveugle7 » dominer et remplacer systématiquement des algorithmes à
visées non commerciales ou communautaires.
7 www.internetactu.net/2010/12/16/
du-role-predictif-des-donnees-a-la-gouvernementalite-algorithmique/
AC : La fracture numérique est-elle amenée à se réduire ou
à perdurer dans le temps ? Y aura-t-il toujours des publics
marginalisés par rapport à la recherche documentaire et
informationnelle ?
SM : Je pense que la fracture numérique ne va pas se résorber dans
l'avenir : elle persistera, non pas en termes d'accès mais en ce qui
concerne les usages, du moins dans les pays développés. Selon Fabien
Granjon8, les usages du Web ne sont pas spontanément habilitants :
ils sont situés dans l'espace social et ne sont donc pas déconnectés
des déterminants contextuels existants. Le numérique reproduit des
déterminisme – et par là, tend à répercuter une certaine fracture sociale
– mais paradoxalement, il peut en faciliter le dépassement. Internet
a favorisé l’instauration de nouveaux liens qui rendent possibles des
innovations sociales à grande échelle. C’est là tout l’enjeu lié à la
culture informationnelle et c'est dans cette action que les bibliothécaires
et les documentalistes ont un rôle à jouer.
Lecture Jeune - septembre 2012
8 Reconnaissance et usages d’Internet –
Une sociologie critique des pratiques de
l’informatique connectée, Fabien Granjon,
Presses de l’École des mines, 2012,
voir l’article « Fracture numérique », p. 16
de ce numéro.
58
La médiation numérique en bibliothèque
Point de vue de Dominique Arot
Anne Clerc : Les étudiants se destinant au métier de
bibliothécaire sont-ils suffisamment formés au numérique
pour accompagner les publics ?
Dominique Arot : Non, la formation au numérique des futurs
Dominique Arot
est doyen de l’Inspection générale
des bibliothèques. Il est l’un
des auteurs de l’ouvrage
Horizon 2019 : bibliothèques
en prospective (sous la
dir.d’Anne-Marie Bertrand,
Presses de l’ENSSIB, 2011).
1 C’est ce qui est souligné par Walter
Galvani dans son mémoire de recherche :
La Bibliothèque Nationale de France sur les
réseaux sociaux ; http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-56706
2 https://www.facebook.com/
groups/307223672648685/
bibliothécaires est insuffisante. La priorité est donnée à la réussite aux
concours et à la validation des épreuves de culture générale. Le cursus
repose donc sur une approche académique des connaissances. En
revanche, on constate que les bibliothécaires manifestant un intérêt
pour le numérique et les réseaux sociaux ont le plus souvent d’abord
développé cette orientation à titre individuel1. Ainsi, de plus en plus
de professionnels partagent et échangent sur leurs compétences via
les réseaux sociaux. On peut citer récemment, la création du groupe
« Jeux vidéo en bibliothèque2 » sur Facebook qui compte plus de 300
membres et qui témoigne d’un dynamisme remarquable. Du côté des
bibliothécaires universitaires, les professionnels maîtrisent également
parfaitement les enjeux des réseaux sociaux et du numérique. AC : Aujourd’hui, quelle est la place de la bibliothèque dans
l’accès et la formation au numérique en direction des publics ?
DA : Les établissements ont contribué à l’initiation des usagers au
maniement des ordinateurs et à l’utilisation d’Internet – notamment en
direction des seniors. Les professionnels ont toujours su s’adapter aux
évolutions technologiques et aux attentes des publics. Il faut souligner
que les directeurs d’établissement jouent un rôle déterminant dans le
dynamisme d’une structure et dans le développement d’une politique
orientée vers les enjeux numériques. Enfin, face à la pression sur l’emploi
et aux restrictions budgétaires, pourquoi ne pas envisager d’externaliser
certaines missions plus répétitives – comme le catalogage par exemple.
Cela permettrait de disposer de plus de temps pour la médiation.
AC : Quels seront les enjeux de la profession dans les années
à venir ?
DA : Un nouveau métier est amené à se développer, celui de médiateur
numérique et de nombreuses places sont à pourvoir pour ceux qui
se spécialiseraient dans ce domaine. Le métier de bibliothécaire
est en pleine mutation. La communication, par exemple, doit être
développée en direction des publics, tout comme l’action culturelle
dans les bibliothèques municipales ou les bibliothèques universitaires.
L’ouverture ou l’accentuation de partenariats culturels et éducatifs,
en particulier avec les établissements scolaires, constituent autant de
possibilités d’ancrer davantage la bibliothèque dans la cité.
AC : Que préconisez-vous en terme de formation ?
DA : Il est nécessaire de renforcer la formation initiale et de solliciter
un plus grand nombre d’intervenants pour sensibiliser les « apprentis
bibliothécaires » aux enjeux du numérique. Il faut aussi encourager
la formation tout au long de la vie professionnelle, favoriser la
diversité des carrières et envisager des passerelles entre les différentes
catégories statutaires.
Lecture Jeune - septembre 2012
59
Parcours de lecture
Livres accroche
Littératures
Bandes dessinées
Documentaires page 60 à 66
page 67
page 68
Et après
Littératures
Bandes dessinées
Documentaire page 69 à 74
page 75
page 76 à 77
Lecteurs confirmés
Littératures
Bandes dessinées
Documentaires
Ouvrages de référence Lecture Jeune - septembre 2012
page 78 à 81
page 82 à 86
page 87
page 88 à 89
60
60
Parcours de lecture
Livres accroche
1I
Tom Angleberger
Trad. de l’anglais (Etats-Unis)
par Natalie Zimmermann
Seuil jeunesse, 2012
156 p.
9,90 €
978-2-02-107353-9
Genre
Humour
Mots clés
Ecole
Amitié
Star-Wars
Littératures
L’Etrange cas Origami Yoda, T. 1
Dennis est le garçon le plus bizarre du collège, le mauvais élève à
qui personne n’adresse la parole. Mais il arrive un jour avec au doigt
une marionnette en origami : il prétend qu’Origami Yoda, à l’effigie
du héros de Star Wars, est un sage qui peut lire l’avenir et répondre
à toutes les questions. D’abord incrédules et moqueurs, les autres
collégiens finissent par s’interroger, d’autant que le Jedi de papier
fait preuve de sagesse et délivre des conseils fort avisés…Tommy, un
élève de 6e, décide de mener l’enquête. Dans ce charmant « roman
scolaire », les collégiens s’expriment à tour de rôle et ajoutent leurs
commentaires, plus ou moins aimables, au récit de leurs camarades.
Certains croient à Origami Yoda, d’autres doutent, mais tous ont
expérimenté son étrange magie.
Analysant avec justesse cette micro-société qu’est une classe, l’auteur
décrit les rapports de force entre élèves, le poids de l’opinion du
groupe et la difficulté du dialogue entre filles et garçons. Ce récit
humoristique peut être lu dès 10 ans mais il plaira aussi aux lecteurs
plus âgés et moins habiles. Il faut le conseiller à tous ceux qui ont aimé
Le Journal d’un dégonflé de Jeff Kinley (Seuil Jeunesse). On y retrouve
la même légèreté et le texte est également parsemé de dessins, de facsimilés de devoirs ou de bulletins de retenue. Dans le deuxième tome,
l’auteur mettra en scène… Dark Vador en origami !
■ Soizik Jouin
2 I La Guerre de Catherine
Julia Billet
L’école des loisirs, 2012 (Médium)
297 p.
14,80 €
978-2-211-20728-7
Genre
Roman historique
Mots clés
Seconde Guerre mondiale
Juif
Photographie
Pour échapper aux lois antisémites sous la seconde Guerre
Mondiale, Rachel Cohen a été confiée par ses parents à la Maison
des enfants de Sèvres. Mais il est de plus en plus dangereux pour
les enfants juifs cachés de vivre en zone occupée : pour rejoindre la
zone libre, Rachel doit devenir Catherine Collin et fuir. Elle emporte
avec elle son appareil Rolleiflex et photographie ceux qui l’hébergent
et l’aident, de couvent en orphelinat, du maquis du Vercors à Paris
libéré. Les images qu’elle saisit constitueront son témoignage sensible
et personnel sur la guerre.
Ce roman n’est pas un énième récit de guerre. Il permet de découvrir
la Maison de Sèvres dont les fondateurs, surnommés Pingouin et
Goéland, prônaient une pédagogie nouvelle et libérée des carcans,
offrant un enseignement résolument avant-gardiste. Il a surtout un
intérêt artistique : les réflexions littéraires de Catherine sur sa pratique
de la photographie, en particulier sur le choix pertinent des moments
à capturer, invitent à réfléchir au sens des images, alors qu’elles nous
Lecture Jeune - septembre 2012
61
submergent aujourd’hui. Aussi regrette-t-on que l’éditeur n’ait pas
reproduit les clichés décrits par Catherine, en dehors de celui qui
illustre la couverture. ■ Colette Alves
Réseau de lecture : Les plus curieux pourront consulter le site de la
Maison de Sèvres, créé par un ancien élève (http://lamaisondesevres.
org/) et sur lequel se trouvent quelques unes des photographies
qui ont inspiré l’auteur, en particulier celui des danseuses : (http://
lamaisondesevres.org/foto/d/source/24.htm).
3 I La Déclaration d’anniversaire
Aurélien va avoir 17 ans. En ce jour « d’anniversaire férié » selon le
calendrier familial, le dîner réunira sa mère biologique Juliette, sa
compagne Bénédicte (l’« autre mère » du jeune homme), Teddy, son
oncle, et Cindy, nouvelle compagne de celui-ci. Aurélien a décidé de
profiter de l’occasion pour annoncer une grande nouvelle qui va faire
l’effet d’une bombe même si la famille se veut très « ouverte d’esprit ».
Après son baccalauréat, le jeune homme souhaite intégrer une école
de commerce et devenir banquier.
Dans ce roman polyphonique, chaque personnage expose son point
de vue sur cette journée et cette soirée très spéciales. L’annonce
d’Aurélien est certes artificielle, mais elle importe peu : sa déclaration
permet surtout de renforcer les relations humaines de cette famille après
les avoir ébranlées. En prenant nombre de clichés à contrepied, le
récit s’attache à montrer que les apparences sont souvent trompeuses.
Cindy, « bimbo » et caissière, se révèle cultivée et férue de littérature.
Aurélien, malgré une éducation bohême et une vie baignée de
fantaisie, est quant à lui un garçon tout à fait classique. Ce court texte
au style fluide aborde avec humour les questions de la tolérance, des
préjugés, de l’homosexualité, de la place des enfants et des projections
des parents qui pèsent sur eux, même dans un foyer « hors norme ».
■ Marilyne Duval
Réseau de lecture : On pourra lire deux autres romans polyphoniques
sur l’intimité familiale et les secrets : Pièce montée, de Blandine Le
Callet (Stock), et la série Blue Cerise dirigée par Cécile Roumiguière
(Milan Jeunesse).
Eléonore Cannone
Océan éditions, 2012 (Océan Ados)
108 p.
11 €
978-2-36247-036-3
Mots clés
Homoparentalité
Tolérance
Humour
4 I Le Secret d’Esteban
Fils de commerçant dans un petit village, Esteban Casillas n’envisage
pas de reprendre la boulangerie de son père. C’est l’arène qui fascine
le garçon, la danse des toreros en habit de lumière. Son affectueuse
grand-mère, Babi, le berce de ses récits de jeune mariée. Comme
elle était fière de son Esteban, le grand matador ! Ses passes étaient
admirées dans le silence brûlant de l’arène. Et quand il recevait les
deux oreilles et la queue, les gradins entiers l’acclamaient d’une seule
voix. N’est-ce pas le même sang qui bout dans les veines du petit-fils ?
La tante Estrella ne s’y est pas trompée : ils se ressemblent étrangement,
Lecture Jeune - septembre 2012
Axl Cendres
Sarbacance, 2012 (mini-romans)
66 p.
6 €
978-284865526-0
Mots clés
Corrida
Tauromachie
Légende
62
Livres accroche
cet aïeul et son descendant… A 18 ans, n’y tenant plus, Esteban
rentre à l’école taurine. C’est dans le traje de luces de son grandpère qu’il devient à son tour matador. Babi a accompli sa mission.
Il lui reste encore un secret à révéler à Esteban avant de s’éteindre
paisiblement. Il existe un taureau légendaire, un animal mythique
et fascinant que nul ne peut vaincre et auquel il ne doit jamais se
mesurer, El Eterno. D’aucuns disent même que c’est le descendant du
Diable. Esteban jure d’ignorer ces corridas clandestines, les Mises
à mort, dont on murmure à peine le nom. Mais la curiosité cède la
place au désir qui devient obsession. Comme son grand-père avant
lui, le toréro fait une promesse qu’il ne pourra pas tenir.
En quelques phrases, Axl Cendres chauffe les pages d’un soleil
andalou et entraîne son lecteur dans les souvenirs d’Esteban,
narrateur de sa propre histoire. Mais cette Espagne aux airs
authentiques devient de plus en plus intrigante et fantasmatique
au fil du récit. Avec son style oral, ce texte très court qui oscille
entre réalisme et légende, se découvre d’une traite et se prêterait
particulièrement bien à une lecture à voix haute. On y retrouve dans
la chute, l’humour d’Axl Cendres qui se joue de son lecteur. Un miniroman qu’on glisse dans la poche, à conseiller à tous les adolescents.
■ Sonia de Leusse-Le Guillou
5 I Night School, T. 1
C. J. Daugherty
Trad. de l’anglais
par Cécile Moran
Robert Laffont, 2012 (R’)
480 p.
17,90 €
978-2-221-13090-2
Genre
Roman à suspens
Mots clés
Disparition
Surnaturel
Thriller
Traumatisée par la disparition de son frère aîné, Allie perd pied.
Puisqu’elle multiplie les crises d’angoisse et les arrestations pour
vandalisme, ses parents décident de l’envoyer en pension loin
de Londres. Or Cimmeria n’est pas une école privée ordinaire :
isolement complet, règlement strict et grand luxe… Tous les élèves
appartiennent à l’élite, et leurs parents y étaient scolarisés avant
eux. Comme elle ne remplit aucun de ces critères, Allie s’interroge
sur son admission dans cet établissement, d’autant que d’effrayants
événements se produisent.
Ce premier tome d’une série de cinq volumes se distingue par son
caractère inclassable, entre univers fantastique et intrigue policière.
Si le jeune lecteur n’est pas déstabilisé par ce mélange des genres, il
sera enchanté par une histoire riche en rebondissements et en fauxsemblants. Allie est une jeune fille moderne, emplie de doutes et de
craintes. Plutôt que de se lancer de façon intrépide à la découverte
des secrets qu’elle perçoit, elle cherche surtout à se faire des amis.
Une fois n’est pas coutume, ce roman s’achève sur une « vraie » fin,
révélant au lecteur le projet de l’école – former l’élite mondiale – et
démasquant les coupables.
■ Cyrielle Bonnot
Nouvelle collection : Lancée en début d’année 2012 et dirigée
par Glenn Tavenec, la collection « R’ » des éditions Robert Laffont
s’adresse aux jeunes adultes et propose des romans fantastiques, des
thrillers, de la dystopie, etc. Sophie Audoin-Manoukian est l’un des
auteurs de la maison.
Lecture Jeune - septembre 2012
63
6 I Tempête au haras
Au haras Saint-James, alors qu’elle aide une jument à mettre bas,
Marie Goasquin donne naissance, dans le même box, à un fils. Ainsi
naît Jean-Philippe, presque jumeau d’une pouliche. L’enfant grandit
en parfaite symbiose avec les chevaux. Cependant, durant une nuit
d’orage, Jean-Philippe est piétiné par une jument qu’il était venu
calmer. La colonne vertébrale brisée, il restera handicapé. Pourtant,
le garçon de dix ans à peine n’est pas prêt à renoncer à son désir
de devenir jockey. Dans un prodigieux dépassement de lui-même, le
jeune narrateur accomplira son rêve.
Avec ce court roman, Chris Donner montre qu’il maîtrise parfaitement
son sujet, décrivant dans un style remarquable l’opposition entre le
monde des éleveurs, portés par l’amour des chevaux, et l’univers
impitoyable des courses hippiques. Cette lecture, malgré des moments
dramatiques, se révèle vive et pleine d’humour, souvent ironique ;
résolument optimiste, elle n’est réservée ni aux passionnés de chevaux,
ni aux seuls jeunes lecteurs !
■ Cécile Robin-Lapeyre
Réseau de lecture : Ce texte n’est pas sans rappeler Cheval de Guerre
de Morpurgo (Gallimard Jeunesse, 1982) qui décrit les destins croisés
d’un jeune garçon et de son cheval pendant la première Guerre
Mondiale. Enfin, on pourra conseiller aux adolescents de visionner
l’adaptation éponyme réalisée par Spielgerg, en 2012.
Chris Donner
L’école des Loisirs (Neuf), 2012
133 p.
8,70 €
978-2-211-20793-5
Mots clés
Cheval
Equitation
Handicap
7 I Le Théorème des Katherine
Colin, jeune homme surdoué, jongle avec les chiffres mais aussi avec
les lettres, puisqu’il est passionné d’anagrammes. Il est sorti avec dixneuf filles, qui s’appelaient toutes Katherine, et qui l’ont toutes quitté.
Quand la dix-neuvième Katherine le rejette, il décide de partir sur les
routes avec son meilleur ami, Hassan, qui se présente lui-même comme
un « musulman non terroriste ». En chemin, Colin a une illumination : et
s’il était possible d’établir un modèle mathématique pouvant prédire la
durée et la fin des relations amoureuses ? Il va s’attacher à rédiger son
théorème…
Une fois encore, John Green (auteur de Qui es-tu Alaska ou du plus
récent Will & Will, publiés aux éditions Gallimard Jeunesse) parvient à
surprendre le lecteur. Si le voyage s’apparente au début à un très drôle
« road-movie pour losers », il prend toute sa saveur dans les derniers
chapitres où le roman gagne en profondeur par une réflexion non
dénuée d’humour sur le sens de l’existence et notre relation au passé.
John Green campe des personnages étonnants aux personnalités
complexes et attachantes.
■ Aurélie Forget
Réseau de lecture : Eternal sunshine of the spotless mind réalisé par
Michel Gondry (2004), évoque les aléas amoureux dans une société
où le Docteur Howard Mierzwick invente un procédé qui permet
d’effacer de sa mémoire l’être aimé.
Lecture Jeune - septembre 2012
John Green
Trad. de l’anglais (USA)
par Catherine Gibert
Nathan, 2012 (Grands formats)
272 p.
14,50 €
978-2-09-253709-1
Genre
Roman psychologique
Mots clés
Surdoué
Amour
Humour
64
Livres accroche
8 I Une fille à la mer
Maureen Johnson
Trad. de l’anglais
par Laetitia Devaux
Gallimard Jeunesse, 2012 (Scripto)
336 p.
12,50 €
976-2-07-064335-6
Genre
Chick-lit
Mots clés
Relations Père/Fille
Amour
Humour
Clio, jeune américaine de 17 ans, doit passer l’été sur le yacht de son
père, en Méditerranée. Cette perspective ne l’enthousiasme guère car
elle l’éloigne d’un garçon séduisant. L’adolescente redoute par ailleurs
les retrouvailles avec son père, dont le caractère aventurier et possessif
est à l’origine du divorce de ses parents. Clio est chargée de faire la
cuisine pour tous les passagers : la nouvelle compagne de son père,
sa fille – une superbe blonde –, Martin, ami fidèle du père, et Aidan,
jeune ingénieur au regard magnétique. La jeune fille supporte mal
ce huis-clos d’autant qu’elle ignore tout du projet d’archéologie sousmarine qui rassemble les autres. Néanmoins, les relations se tissent
et s’exacerbent entre les adolescents tentés par les jeux de l’amour,
jusqu’au moment où la découverte d’une pierre immergée au plus
profond d’une épave accélère le récit.
Ce roman « pour filles », très facile à lire, majoritairement dialogué,
évoque de façon légère et distanciée les relations sentimentales
entre les personnages et les rapports entre père et fille. Le temps de
la lecture, on pardonnera l’invraisemblance des situations et des
péripéties en s’attachant aux états d’âme d’une adolescente troublée
par la découverte de l’amour. ■ Colette Broutin
9 I Des yeux dans le ciel
Jean-Marc Ligny
Syros, 2012 (Soon)
251 p.
15,50 €
978-2-74-851150-5
Genre
Science fiction
Mots clés
Environnement
Nature
Violette et Jasmin sont amoureux l’un de l’autre. Comme tous les
habitants de leur village, ils consacrent leur vie au culte de Mère
nature. Aussi, quand Jasmin est attaqué par une panthère, personne
ne vient le défendre en vertu de la règle qui interdit de tuer un animal.
Mais un étranger lui sauve la vie en abattant le fauve grâce à un
rayon laser. Pour Jasmin, cette rencontre n’est pas tout à fait une
surprise, il a déjà vu Kruger, l’homme au costume d’argent, dans ses
cauchemars. Mais parce qu’il a contrevenu aux règles, l’adolescent,
sa petite amie et leur sauveur fuient pour échapper à la vindicte du
village.
Jean-Marc Ligny reprend ici un court roman paru dans Je bouquine.
En développant le récit initial, il étoffe les personnages et éclaire le
lecteur sur les Âges sombres qui ont précédé le monde de Jasmin
et Violette. La seconde partie, totalement inédite, apporte une autre
facette à l’intrigue : en suivant le mystérieux visiteur, les deux héros
découvrent sur Mars une société dont toutes les émotions ont été
exclues. Mêlant fantasy et science-fiction, parcouru de références
nombreuses, notamment à La Planète des singes, ce roman,
comme les autres titres de la collection « Soon », place la question
environnementale au cœur du récit. ■ Sébastien Féranec
Lecture Jeune - septembre 2012
Littératures
65
10 I Le Journal de Ruby Oliver
« Un petit ami pour de vrai. Définition :
Un petit ami pour de vrai n’engendre aucune angoisse.
Tu ne te demandes pas s’il va te passer un coup de fil.
Tu ne te demandes pas s’il va t’embrasser.
Tu ne redoutes pas qu’il jette un œil à l’écran de son mobile au beau
milieu d’une conversation pour vérifier s’il a reçu un SMS. »
Après Le Journal d’une allumeuse (2006) et Le Grand Livre des
garçons (2008), la pétillante Rudy – obsédée par les listes – est de
retour ! En dernière année au lycée, l’adolescente consulte toujours un
psychologue suite à de fréquentes crises d’angoisse. Plus stable, elle
est éperdument amoureuse de son petit ami Noël mais Gideon lui fait
les yeux doux, sa grand-mère vient de mourir, son père déprime et sa
mère quitte la maison. De quoi ébranler à nouveau le psychisme de la
jeune fille, mais c’est sans compter sur son sens de la dérision à toute
épreuve.
De prime abord, la couverture de ce roman laisse penser qu’il s’agit
d’un titre « chick lit » parmi d’autres, mais Rudy n’a rien de superficielle.
Anxieuse et sensible, elle ne peut s’empêcher de tergiverser sur ses
amours et ses amitiés. Dans ce troisième tome, la jeune femme a
grandi. Elle parvient à faire face à ses émotions contradictoires et à
assumer ses désirs sans qu’ils ne se manifestent sous forme d’attaques
de panique. Cette série est méconnue des lecteurs (couvertures peu
convaincantes) bien que le style soit juste et les personnages attachants.
Nul doute en revanche que les adolescent(e)s sauront apprécier les
tourments psychologiques de Rudy. ■ Anne Clerc
E. Lockhart
Trad. de l’anglais
par Antoine Pinchot
Casterman, 2012
236 p.
15 €
978-2-203-04515-6
Genre
Humour
Mots clés
Relations filles/garçons
Amour
Amitiés
11 I La Cité, T. 1. La Lumière blanche
La Cité, T. 2. La Bataille des confins
Thomas découvre avec son ami Jonathan un jeu vidéo révolutionnaire
en ligne : la Cité. Il permet aux joueurs du monde entier – mais l’accès
ne sera possible que pour dix millions d’inscrits – de se plonger dans
un extraordinaire univers virtuel, une ville immense où tout est gratuit.
Dans ce monde parallèle n’existe qu’une seule règle : il est interdit d’y
évoquer sa vie hors connexion, sous peine de ressentir les douloureux
effets de « la lumière blanche ». Thomas devient rapidement accro
au jeu et à ses amis virtuels. Peu à peu, le danger rôde, le monde
idyllique de la Cité se fissure et l’angoisse monte. Mais est-il encore
possible de s’échapper ? Le deuxième tome met davantage en scène
le personnage de Liza, elle-aussi passionnée et intriguée par le jeu. Le
malaise est grandissant et les menaces diffuses dans le premier tome se
concrétisent : les mondes réel et virtuel se mêlent ; la violence envahit
la Cité ; un mystérieux Planificateur s’empare des avatars abandonnés
par les joueurs…
Lecture Jeune - septembre 2012
Karim Ressouni-Demigneux
Rue du Monde, 2011 et 2012
236 p.
238 p.
16 €
16,50 €
978-2-35504-184-6
Genre
Roman fantastique
Mots clés
Jeu vidéo
Addiction
66
Livres accroche
Ce roman, comme le jeu auquel s’adonne Thomas, captive le lecteur
qui découvre au même rythme que le narrateur les arcanes de la Cité.
Le récit convainc par son inventivité littéraire (comme la récitation des
poèmes qui permettent à Thomas et son amie Liza de vieillir ou de
rajeunir ou leur utilisation de la langue elfique que les ordinateurs
espions de la cité ne comprennent pas), ses multiples rebondissements.
Facile à lire, ces premiers tomes d’une tétralogie séduiront les
adolescents passionnés de jeux en ligne et présents sur les réseaux
sociaux. ■ Soizik Jouin
Autre avis : Certes le thème de l’intrigue – un jeu vidéo à réalité
augmentée – fait écho à l’univers culturel des adolescents. Le suspense
s’installe à mesure que l’univers du jeu se dévoile et le rythme de
l’action est soutenu. Cependant, on peut regretter une caractérisation
des personnages assez stéréotypée ou fabriquée, des dialogues trop
explicites et une série d’artifices apparents (ainsi les références à des
auteurs classiques comme les brefs paragraphes expliquant l’histoire
d’un lieu ou d’un objet qui manifestent une volonté pédagogique avant
d’être au service du récit). ■ Sonia de Leusse-Le Guillou
Réseau de lecture : On pourra relire No pasarán, le jeu, de Christian
Lehmann (L’École des Loisirs, 1996), qui met en scène trois adolescents
hypnotisés par un jeu vidéo dont ils deviennent à la fois acteurs et
victimes, sur fond de guerre et d’idéologies politiques.
Lecture Jeune - septembre 2012
67
Parcours de lecture
Livres accroche BD
12 I Bienvenue, T. 2
Marguerite Abouet développe ses personnages et installe son histoire
dans ce deuxième tome aussi séduisant que le premier. On retrouve
avec plaisir les anecdotes qui ponctuent la vie de Bienvenue, étudiante
en histoire de l’art dont les journées s’articulent autour de ses études,
ses petits boulots et son entourage – toute une galerie de personnages
attachants liés par cette héroïne qui s’immisce dans leurs tracas
du quotidien, désireuse de les aider. Elle est le pont central entre les
histoires d’amour, d’amitié, les petits mélodrames et les grandes crises
existentielles qui rythment la vie de tous les jours de ses amis et voisins.
Les personnages gagnent dans ce tome en consistance et en complexité.
L’auteur croque la vie parisienne avec le charme acidulé et le brin de
folie du quotidien en une palette de sentiments aussi large que haute
en couleurs. Le trait vif de Singeon ainsi que les couleurs franches
ajoutent spontanéité et dynamisme aux péripéties de Bienvenue et de
ses compagnons. On regrette que des nombreuses histoires évoquées
certaines soient moins creusées que d’autres. Elles titillent cependant
assez la curiosité du lecteur pour lui donner envie de suivre cette série
qui retranscrit dans un tourbillon coloré et savoureux la banalité du
quotidien dans ce qu’elle a de plus fantasque. ■ Marieke Mille
Marguerite Abouet
Ill. de Singeon
Gallimard, 2012 (Bayou)
128 p.
16,75 €
978-2-07064-597-8
Mots clés
Amitié
Quotidien
13 I Enigma, T. 1
Achevée au Japon après 7 volumes, la nouvelle série de Kenji Sakaki
est un thriller fantastique, paru dans le plus célèbre magazine de
prépublication japonais, Shônen Jump, à qui l’on doit aussi Naruto
ou One Piece. Sumio est un lycéen presque ordinaire, mais il a le
pouvoir de lire l’avenir pendant son sommeil en écrivant ses rêves
dans son dream diary. Alors qu’il n’a pas réussi à éviter la disparition
mystérieuse de sa mère, Sumio se réveille dans un gymnase, enfermé
en compagnie de six autres lycéens. Un certain Enigma les a réunis
pour un bien étrange test : ils ont 72 heures pour résoudre des énigmes
et se libérer en utilisant chacun leur faculté spéciale. En récompense,
tous verront leur vœu le plus cher se réaliser.
Graphiquement, cette série se démarque des autres mangas du genre
par la maîtrise de son dessin, jouant sur le clair-obscur. Mais c’est
surtout sa construction qui la distingue : le lecteur découvre lui aussi les
indices en essayant de résoudre les énigmes. L’enquête est émaillée de
multiples péripéties, notamment sur l’identité des personnages et leur
évolution : Sumio, malgré sa confiance naïve, devient vite le leader du
groupe. Dès le premier tome le suspens convainc et les suivants sont
d’ores et déjà annoncés.
■ Sébastien Féranec
Lecture Jeune - septembre 2012
Kenji Sakaki
Trad. du japonais
par Fédouci Lamodière
Kazé manga, 2011 (shônen)
195 p.
6,69 €
978-2-820-30326-4
Genre
Shônen manga
Mots clés
Thriller
Lycée
Enigme
68
Parcours de lecture
Livres accroche
Documentaires
14 I Les Pierres qui brûlent,
qui brillent, qui bavardent
Martial Caroff
Ill. de Marion Montaigne
et Matthieu Rotteleur
Gulf Stream, 2012 (Dame nature)
86 p.
15,50 €
978-2-35488-163-4
Mots clés
Pierres
Histoire de la Terre
Ce titre surprenant invite à découvrir comment l’étude des pierres
peut contribuer à l’élaboration de l’histoire de la terre et même de
la vie. Huit chapitres précédés d’une introduction stimulante guident
le lecteur et suscitent sa curiosité. Les titres insolites (« des pierres
qui photographient, qui paressent, qui osent… ») encouragent le
questionnement : les pierres sont-elles des minéraux, des roches, des
corps solides sans vie ? Comment des pluies fossiles ont-elles pu se
conserver ?
La composition des doubles-pages est claire et structurée : à gauche,
des définitions et des photographies légendées et localisées ; à droite,
des informations scientifiques et historiques, relevées par d’excellents
dessins d’humour. Une échelle des temps géologiques, un glossaire et
un index complètent le volume. Cet ouvrage documentaire se distingue
par la qualité de l’information et la lisibilité de son contenu et répond
de façon pertinente aux questions que peuvent se poser les jeunes
lecteurs comme les adultes.
■ Colette Broutin
15 I Les (vraies) histoires de l’art
Sylvain Coissard
et Alexis Lemoine
Palette, 2012
48 p.
12,95 €
978-2-35832-085-6
Mots clés
Pastiche
Détournement
Art
Voici une approche surprenante des chefs-d’œuvre de la peinture : les
« vraies ! » histoires de l’art replacent les plus grands tableaux (Courbet,
Arcimboldo, Monet, Munch…) dans une narration pleine d’humour.
Que pense le désespéré de Courbet ? Quelle est la raison de ce cri
chez Munch ? La chambre de Van Gogh a-t-elle toujours été aussi bien
rangée ?
En trois vignettes pour chaque tableau et par des procédés uniquement
visuels, Sylvain Coissart et Alexis Lemoine expliquent à leur manière
la genèse de ces œuvres. Par un travail de pastiche remarquable,
ils détournent et revisitent les tableaux en respectant le style de chaque
peintre. En livrant les secrets d’une vingtaine d’œuvres picturales à
travers des intrigues délirantes, les auteurs s’amusent avec talent mais
rendent aussi un très bel hommage aux artistes. Ils offrent ainsi un
moment de plaisir narratif et visuel au lecteur !
■ Mélanie Archambaud
Lecture Jeune - septembre 2012
69
Parcours de lecture
Et après Littératures
es
16 I Le Garçon talisman
Heinrich a fui le pensionnat spécialisé dans lequel il vivait, comme
d’autres adolescents à « la peau étrange ». Celui que certains appellent
l’« enfant du diable » se terre dans un container du port sans que
jamais la sensation d’être traqué ne le quitte. La menace peut venir de
Val, adolescent du même âge, qui est à la recherche de l’ingrédient
très spécial réclamé par un sorcier pour pouvoir guérir sa sœur. Elle
émane également de Joseph, ancien orpailleur délaissé par sa fille, et
qui désire, plus que tout, même au prix du sang retrouver l’affection de
sa famille. Malgré les liens qui les unissent, ces trois personnages vont
connaître un destin tragique.
Les pouvoirs attribués aux albinos par la croyance populaire sont au
cœur de ce roman à l’atmosphère étrange. Heinrich est déterminé à
s’assurer une vie décente en dépit des persécutions de marabouts et
de sorciers divers. Si le terme n’apparaît jamais dans le récit, le lecteur
adulte le déduira aisément et les lecteurs plus jeunes le comprendront
à partir des notes de l’auteur : Florence Aubry a été inspirée par
un reportage sur la traque des albinos en Afrique de l’Est. L’auteur
construit une intrigue sous tension : ni le lieu ni l’époque ne sont définis,
les relations entre les personnages suscitent interrogations et situations
dramatiques, et la narration qui alterne les focalisations sur chacun des
trois personnages, renforce ces effets. ■ Marilyne Duval
Florence Aubry
Le Rouergue, 2012 (DoAdo noir)
10,70 €
978-2812-60337-2
Genre
Roman noir
Mots clés
Albinos
Différence
17 I Ceux qui rêvent, T. 2
Ceux qui osent, T. 3
Ces deux volumes achèvent la trilogie entamée par Pierre Bordage
en 2008 avec Ceux qui sauront. Au début des années 2000, Clara,
aristocrate en rupture familiale, et Jean, un « cou noir », ouvrier
instruit et révolté, vivent dans une Europe marquée par la misère et
l’illettrisme où les régimes monarchiques dominent. Les états européens
ont conquis tout le territoire à l’exception de l’état de l’Arcanecout.
Cet état, laboratoire de la démocratie, échappe au modèle dominant
et représente le rêve américain que les nations coalisées veulent
détruire par une guerre sans pitié. Clara et Jean vont rejoindre
cette terre d’utopie et de liberté. L’intrigue se déplace donc vers une
Amérique du nord raciste et inégalitaire et se construit autour de la
séparation des deux amants.
Sur un arrière-plan social bien dessiné, le rythme est soutenu et le
suspense ménagé par l’alternance des chapitres consacrés aux
Lecture Jeune - septembre 2012
Pierre Bordage
Flammarion Jeunesse, 2010
et 2012 (Ukronie)
335 p.
15 €
978-2-08-123031-6
978-2-08-124430-6
Genre
Uchronie
Mots clés
Liberté
Guerre
Démocratie
70
Livres accroche
différents protagonistes, même si le journal intime de Clara ou les
lettres qu’elle adresse à Jean sont parfois redondants avec le récit.
De nombreux personnages secondaires animent la narration. Ces
deux volumes résonnent d’un appel au courage et à la résistance aux
dictatures et sont un plaidoyer en acte pour la tolérance, l’amour et la
liberté, sans tomber dans une caricature moralisatrice. Les Éditions J’ai
lu ont repris en poche les deux premiers volumes car cette série a de
nombreux atouts pour séduire un large public.
■ Marie-Françoise Brihaye
18 I Quatre filles et un jean
pour toujours
Ann Brashares
Trad. de l’anglais
par Vanessa Rubio-Barreau
Gallimard Jeunesse, 2012
400 p.
18 €
978-2070647309
Genre
Chick-lit
Mots clés
Amitié
Deuil
Jeune adulte
Tibby, Lena, Carmen et Bridget ont grandi depuis leurs dernières
aventures avec le fameux jean. À l’approche de la trentaine, les quatre
amies ont évolué, construit leur vie et leur carrière, et si les événements
les ont éloignées, elles sont toujours amies. Alors qu’elles s’apprêtent à
se retrouver en Grèce pour passer des vacances ensemble, elles sont
loin d’imaginer à quel point ce voyage va changer leur vie à jamais.
Ce dernier tome de la série entamée il y a dix ans marque la fin d’une
époque. Les lectrices adolescentes ont grandi et ont désormais l’âge des
héroïnes d’Ann Brashares. Plus mûr et plus sombre que les précédents,
il est davantage question de carrière, de maternité, d’amour et de
mariage dans ce livre. Si le récit est riche en émotions traduites avec
justesse, il s’avère inégal ; certains passages sont en effet exagérés
et prévisibles. Néanmoins, les adolescentes qui ont apprécié les
précédentes aventures des quatre filles ne pourront qu’être conquises
par ce dernier tome au dénouement surprenant.
■ Léa Lefèvre
19 I Goodbye Berlin
Wolfgang Herrndorf
Trad. de l’allemand
par Isabelle Enderlein
Thierry Magnier, 2012
336 p.
15 €
978-2-36474-037-2
Mots clés
Interculturalité
Adolescence
Humour
Maik, quatorze ans, fils d’une mère alcoolique et d’un père volage,
est l’élève qu’on ignore au collège. Mais il est secrètement amoureux
d’une camarade, aussi la vie ne lui semble-t-elle pas si affreuse. Quand
arrive dans la classe Tschik, qui paraît encore plus étrange et asocial
que lui, les deux garçons nouent une relation faite d’amour et de haine.
Les vacances d’été venues, se retrouvant seuls l’un et l’autre, sans
parents ni amis, ils se lancent sur les routes de la Valachie au volant
d’une Lada volée.
Ce road-movie répond aux exigences du genre : les deux comparses
vont s’apprivoiser et, surtout, se découvrir eux-mêmes. Cette lecture
au style un peu âpre laisse une impression douce amère, comme
l’adolescence, période de repli et champ d’expérimentation qui peut
être enthousiasmant. En dépit de tout, et de leurs propres a priori,
Maik et Tschik deviendront amis. L’auteur parvient à abattre les murs
qui séparent les classes et les cultures pour montrer que l’amitié n’est
jamais là où on l’attend.
■ Nicolas Beaujouan
Lecture Jeune - septembre 2012
Littératures
71
20 I Comme un poisson hors de l’eau
Fils d’émigrés cubains, Rico vit à Harlem. La vie dans ce ghetto est
douloureuse : le garçon a la peau trop claire pour ressembler à un
Cubain, trop foncée pour être un Américain. Les uns lui reprochent son
absence de culture de rue, les autres le considèrent toujours comme
suspect. Jimmy, un voisin toxicomane, et Gilberto, qui le traite comme
son petit frère, sont ses deux seuls amis. Lorsque Gilberto gagne au
loto et réalise son rêve, il quitte New York pour devenir fermier dans
le Wisconsin. Rico fugue alors avec Jimmy pour le retrouver. Après
un voyage mouvementé, les deux garçons découvrent une autre vie
dans cette auberge espagnole qu’est la ferme de Gilberto mais Rico
continue à s’interroger sur son avenir et son rôle dans la société.
Ce roman sur la construction de soi dresse le portrait d’un adolescent
qui ne trouve pas sa place dans sa communauté et qui tente d’échapper
à la violence du ghetto. La structure du récit en trois parties – la vie
à Harlem, le voyage, la vie à la ferme – fait écho à l’évolution du
personnage. Le roman expose avec justesse les questions de l’identité,
de l’intégration au groupe et du rapport aux adultes. L’auteur a été le
premier écrivain hispanique à recevoir le Prix Pultizer pour son roman
The Mambo Kings Play Songs of Love en 1990.
■ Marilyne Duval
Autre avis : Si ce roman n’est pas toujours crédible – mais les
jeunes travaillent et gagnent plus tôt leur autonomie aux Etats-Unis
– et n’échappe pas à quelques longueurs, il conquiert cependant
vite le lecteur en mettant en scène le personnage de Rico, positif et
débrouillard. Dans ce récit qui s’apparente au roman d’apprentissage,
le héros persévère pour changer sa destinée et finit par se réconcilier
avec lui même. Cette bouffée d’optimisme, portée par une écriture
facile, devrait séduire les jeunes lecteurs.
■ Cécile Robin-Lapeyre
Réseau de lecture : Autre roman identitaire, Le Premier qui pleure a
perdu de Shermann Alexis (Albin Michel Jeunesse, 2008) narre les
péripéties d’un jeune Indien souffre-douleur dans sa communauté,
à qui seul le départ de la Réserve donnera un avenir.
Oscar Hijuelos
Trad. de l’anglais (Etats-Unis)
par Maïca Sanconi,
Bayard Jeunesse, 2012 (Millézime)
383 p.
11,50 €
978-2-7470-2985-8
Mots clés
Identité
Culture
Ghettto
21 I Swing à Berlin
En 1942, pour remonter le moral du peuple allemand, Goebbels
décide de créer un groupe de jazz aryen. Un pianiste anticonformiste
à la retraite et un fonctionnaire nazi zélé sont chargés de recruter de
jeunes talents et rassemblent un quatuor d’adolescents très différents
les uns des autres. La tournée est l’occasion pour les musiciens et leur
mentor de sonder leur conscience : sont-ils contraints à collaborer ou
saisiront-ils l’opportunité de résister activement au régime ?
La propagande nazie tenta de récupérer le jazz, qualifié de « musique
dégénérée », en le renommant hypocritement « musique allemande de
danse fortement rythmée ». A partir de ce fait historique, Christophe
Lambert construit une fiction qui interroge la place de l’artiste face
aux événements politiques : doit-il s’engager, doit-il le faire au-delà
même de l’exercice de son art ? Bien qu’ils restent assez superficiels,
Lecture Jeune - septembre 2012
Christophe Lambert
Bayard Jeunesse, 2012 (Millézime)
274 p.
12,50 €
978-2-7470-4327-4
Genre
Roman historique
Mots clés
Seconde Guerre mondiale
Musique
Propagande
72
Et après
les personnages constituent une galerie de portraits qui permet à
l’auteur d’évoquer à travers leurs situations (un jeune homosexuel en
quête d’identité, un esprit façonné par les jeunesses hitlériennes qui
ouvre les yeux sur le régime, une gouvernante juive échappée d’un
camp de concentration…) des aspects différents de l’idéologie nazie.
Swing à Berlin rappelle également la nécessaire distinction entre
nazis et Allemands, dont certains choisirent la voie de la résistance.
Christophe Lambert se livre sur le sujet de son roman dans une note
en fin d’ouvrage qui comporte aussi une passionnante bibliographie.
■ Cyrielle Bonnot
Mise en réseau : Le film de Lorraine Lévy La Première fois que j’ai eu
vingt ans (2004) retrace l’histoire d’un groupe de jazz dans les années
soixante, à travers le regard de Hannah, jeune femme confrontée à
l’antisémitisme et à la misogynie de la société française d’alors.
22 I Luz
Marin Ledun
Syros, 2012 (Rat noir)
116 p.
14 €
978-2-7485-1180-2
Genre
Roman à suspens
Mots clés
Adolescence
Conduites à risque
Suspens
Sylvain Levey
Théâtrales, 2012
(Théâtrales Jeunesse)
85 p.
8,10 €
978-2-84260-439-4
Genre
Théâtre
Mots clés
Désir
Poésie
Dans le sud de la France, Luz quitte le repas dominical. Ses parents se
disputent, son père et son ami Vanier sont ivres et celui-ci a des gestes
déplacés. Elle s’échappe pour retrouver Thomas, un garçon qui lui
plaît et la populaire Manon, qui sort avec lui. Tous trois gagnent une
plage isolée des sentiers touristiques. Ils y rencontrent des jeunes plus
âgés et la situation devient de plus en plus confuse et dangereuse.
Bien qu’il montre les risques à dépasser les interdits et les
conséquences de conduites dangereuses, Luz n’est pas un
roman moralisateur. L’auteur joue avec le temps (toute l’action est
concentrée en quelques heures) et le lieu de l’intrigue pour faire
progressivement monter la tension. Le personnage de Luz se découvre
progressivement. D’abord présentée comme inconséquente,
elle se révèle mature et courageuse. Cette randonnée mortelle
tient en haleine jusqu’au dénouement très ambigu : Luz avoue les
attouchements dont elle est victime depuis des mois mais choisit de
taire l’agression dont Thomas s’est rendu coupable sous l’emprise de
l’alcool. ■ Laurence Guillaume
23 I Lys Martagon
Lys Martagon a 17 ans et vit dans une cité de province entourée par
les montagnes. Rêveuse et battante, elle aspire à une vie meilleure
éloignée de ses tours d’immeubles désincarnées. Elle habite seule
avec sa mère qui se consacre essentiellement à son travail. Les longs
monologues de la jeune fille montrent à quel point la poésie fait partie
d’elle-même. Sa rencontre avec Démétrio va lui permettre de s’affirmer
et de faire un pas vers l’âge adulte.
Sylvain Levey poursuit son évocation urbaine à travers des
personnages féminins. Après Léa (Ouasmok) et Alice (Alice pour le
moment), Lys se protège du monde extérieur – sur lequel elle porte un
regard singulier – en jouant avec son imaginaire. Démétrio, adepte
Lecture Jeune - septembre 2012
73
des échanges violents, se laissera séduire par cette exubérante jeune
fille. Avec ce portrait sensible et vibrant, l’auteur renvoie aux lecteurs
une image flatteuse de leur adolescence sans occulter les réalités
parfois difficiles, comme la relation entre Lys et sa mère. La pièce rend
hommage à la beauté qui réside dans toute chose, pour peu qu’on
s’attarde à la contempler. ■ Marilyne Duval
24 I Quelques minutes après minuit
Conor vit une période difficile. Sa mère est atteinte d’un cancer et
suit un lourd traitement. Depuis qu’elle est malade, il fait toujours le
même cauchemar : l’if du cimetière d’en face se transforme en un
monstre végétal qui vient lui parler. Mais ce rêve en cache un autre,
plus effrayant encore qui forcera Conor à affronter ses peurs les plus
terribles pour trouver la vérité.
Patrick Ness reprend une idée originale de son amie Sioban Dowd
(auteur anglaise dont les quatre romans pour adolescents ont été
traduits et publiés par Gallimard Jeunesse), qui, vaincue par le cancer,
n’a pu achever son récit. Son style semblera simpliste voire trivial aux
lecteurs de l’inventif Chaos en marche. Il permet pourtant de délivrer
un message d’une grande poésie : les 3 rêves autour du monstre
s’apparentent à des contes philosophiques que Conor doit interpréter
avant d’envisager la mort de sa mère. Les illustrations sombres et
torturées mettent en valeur la profondeur du récit et font écho à la
colère de l’adolescent. Le roman qui peut être lu à plusieurs niveaux
est poignant. S’il est abordable dès l’âge de douze ans, nul doute que
les lecteurs plus âgés en tireront d’autres leçons selon leur degré de
maturité et leur expérience.
■ Aurélie Forget
Patrick Ness
D’après une idée originale
de Sioban Dowd
Ill. de Jim Kay
Trad. de l’anglais par Bruno Krebs
Gallimard Jeunesse, 2012
210 p.
18 €
978-2-07-064290-8
Genre
Roman fantastique
Mots clés
Cancer
Deuil
25 I Traverser la nuit
Etrenjoie est une commune en apparence paisible, jusqu’au jour où
l’ancien maire est retrouvé la jugulaire tranchée et la tête plongée
dans un ruisseau. Vilor, un jeune gendarme de la région, est chargé
de l’enquête. Aucun suspect ni mobile ne se dessinent. Blanche, la
fille de la victime, ferait-elle piétiner l’enquête ? La ravissante jeune
femme séduit le pauvre Jonnhy, Vilor et obsède le nouveau maire.
Ce policier est d’abord un roman d’atmosphère : la France
rurale qu’il dessine rappelle celle brossée par Jean-Paul Nozière
dans Rien qu’un jour de plus dans la vie d’un pauvre fou (Thierry
Magnier, 2011). On y retrouve en effet les mêmes ingrédients :
un village isolé, des personnages de prime abord stéréotypés (la
belle au cœur de pierre, le fou du village, le maire libidineux) mais
qui révèlent une psychologie fine, un dénouement inattendu digne
d’un coup de théâtre. Le tout est servi par la plume aux accents
cinématographiques de l’auteur, par l’usage du patois picard et
une écriture à la fois poétique et désinvolte. L’ensemble saisit par
son réalisme surprenant.
■ Colette Alves
Lecture Jeune - septembre 2012
Martine Pouchain
Sarbacane, 2012 (Exprim’)
224 p.
15,50 €
978-2-84865-524-6
Genre
Roman policier
Mots clés
Ruralité
Quotidien
Amour
74
Et après
Autre avis : Martine Pouchain dépeint, certes avec tendresse et
bienveillance, un monde rural peuplé de personnages en mal de
vivre mais elle n’atteint pas le talent de Jean-Paul Nozière qui l’avait
fait de manière touchante, sans tomber dans le misérabilisme. La
narration, confiée au jeune enquêteur ne convainc ni ne retient le
lecteur. En outre, l’atmosphère est artificielle sans être complètement
invraisemblable, tandis que le personnage de la jeune Lolita manque
de profondeur et de mystère. ■ Marilyne Duval
Lecture Jeune - septembre 2012
75
Parcours de lecture
Et après BD
26 I Texas Cowboys, T. 1
Harvey Drinkwater, journaliste à Boston, est envoyé dans une sombre
bourgade de l’ouest sauvage, Hell’s Half Acre. Naïf, le jeune homme,
se lie d’amitié avec Ivy, un cow-boy désabusé. Ce dernier l’initie aux
joies des saloons, du poker et des rasades de whisky. Harvey croise
également la route du célèbre bandit, Sam Bass et de Besty Malone,
beauté froide, qui poignarde régulièrement les hommes lui rappelant
ceux qui ont abusé d’elle dans sa jeunesse.
Texas Cowboys est un hommage au western. Shérifs corrompus,
cowboys vénaux, femmes fatales et bandits patibulaires s’entrecroisent.
Trondheim et Bonhomme ne craignent pas les clichés pour le plus
grand bonheur des amateurs du genre. L’ouvrage est découpé en
autant de chapitres que de fascicules publiés gratuitement au cours
de l’année scolaire 2011-2012 au sein de la revue Spirou. Chaque
personnage est ainsi introduit par une couverture « d’époque ». Les
feuilletons croisent les récits sans que le lecteur ne soit jamais perdu.
A défaut de héros principal, les auteurs ont construit un univers où le
genre du western en lui-même tient la vedette. Bonhomme a choisi
une mise en couleur tout en aplat, souvent en camaïeux ocre (et bleu
pour les scènes de nuit). Les couleurs nous immergent dans cet univers
suranné et participent à l’ambiance. Le format du livre renforce l’aspect
désuet et séduira tous ceux qui ont rêvé de grandes chevauchées dans
le Far-West. ■ Anne Clerc
Trondheim
Ill. de Mathieu Bonhomme
Dupuis, 2012
152 p.
20,50 €
9782800152721
Mots clés
Western
Cowboys
27 I Billy Bat, T. 1
À Los Angeles, Kevin Yamagata est un dessinateur de comics dont le
dernier titre, Billy Bat, rencontre un grand succès. Lorsqu’il apprend
que le personnage de son œuvre existe déjà au Japon, il décide de
s’y rendre pour rencontrer l’auteur. Une fois sur place, tout dérape et
Yamagata se retrouve au cœur d’une histoire de complot et de meurtre…
Alors que la publication de Pluto vient de s’achever, les éditions Pika
proposent une nouvelle série de Naoki Urasawa à qui l’on doit entre
autres Monster et 20th century boys. Avec Billy Bat, le mangaka
s’aventure une nouvelle fois dans le thriller fantastique. Si le début
de cette série peut sembler tout à fait classique, l’auteur entraîne
rapidement son lecteur dans une intrigue très élaborée fondée sur les
voyages temporels. Le scénario complexe est servi par un graphisme
soigné : cette série en cours au Japon s’annonce de grande qualité.
■ Sébastien Féranec
Lecture Jeune - septembre 2012
Naoki Urasawa
Trad. du japonais
par Sylvain Chollet
Pika, 2012 (seinen)
199 p.
8,05 €
978-2-8116-0633-6
Genre
Seinen manga
Mots clés
Thriller
Fantastique
76
Parcours de lecture
Et après
Documentaires
28 I Sports et handicaps :
le handisport
Jean-Philippe Noël
Actes Sud Junior (Le sens du sport),
2012
101 p.
9,90 €
978-2-330-00515-3
Mots clés
Sport
Handicap
La pratique régulière d’un sport peut représenter un véritable
changement dans la vie d’un handicapé en lui permettant de se
réconcilier avec ses déficiences. Il est fort regrettable que le handisport
soit si mal connu et si peu valorisé en France, même si de grands
progrès ont été réalisés ces dernières années. Alors que les XIVe Jeux
paralympiques d’été de Londres ont rassemblé plus de 4 500 athlètes
issus de 150 pays, ce petit documentaire explique avec beaucoup
de clarté en quoi consiste le handisport : histoire, sports pratiqués en
loisir ou en compétition, problèmes spécifiques des handicapés, rôle
de l’école et des associations, sites à connaître, etc. Malgré un contenu
riche, le lecteur sera frustré par la brièveté de l’ouvrage (la description
des sports est, par exemple, très succincte) et par la pauvreté de
l’iconographie, réduite à quelques photographies. Cependant, face
au manque de livre sur le sujet, cette excellente initiation est accessible
à tous, dès 13 ans. Après Football made in Afrique et Le sport vert, la
collection « Le sens du sport » porte décidément un regard différent sur
le sport contemporain.
■ Soizik Jouin
Réseau de lecture : Le Sport autrement : handisport, du loisir à la
compétition (Chiron, 2010) sans doute plus complexe mais plus
illustré, permettra d’approfondir le sujet. Les adolescents pourront aussi
lire avec intérêt l’autobiographie d’Oscar Pistorius, Courir après un
rêve (éditions de l’Archipel, 2010) ; cet athlète amputé qui court avec
les valides est sans doute actuellement le sportif handicapé le plus
médiatisé.
29 I Chouette ! Philo.
Abécédaire d’artiste à zombie
Myriam Revault d’Allones
et Michaël Foessel (dir.)
Gallimard Jeunesse,
Giboulées, 2012
264p.
25,50 €
9782070640553
Cet ouvrage s’attache à décrire un concept philosophique par lettre
de l’alphabet, passant par des entrées aussi originales que « Kiffer »,
« Waouh ! » ou « Zombies », toujours reliées à des préoccupations de
jeunes auxquels il s’adresse. Ce titre accompagne les premiers pas en
philosophie des adolescents, porté par une réflexion alimentée par
des parallèles entre les concepts évoqués et leur quotidien. Le propos
clair et concis, dans une langue qui se veut proche de celle de ses
lecteurs, parfois, un peu trop (on pense notamment à l’entrée « jeune »
Lecture Jeune - septembre 2012
es
77
justement, ou à « kiffer » qui a force d’être employé à tort et à travers fini
par perdre de son sens et de sa portée), permet cependant d’offrir une
vision globale sur les grands concepts philosophiques comme la vie,
la liberté, le travail ou le bonheur. L’utilisation d’exemples empruntés
au cinéma ou à l’actualité insuffle du dynamisme au déroulement de
la pensée. On déplore cependant, par moment, certaines facilités,
que ce soit dans le propos – on pense à certaines introductions un
peu simplistes comme celles de « désobéir » ou d’« opinion » – ou
dans l’approche (est-il réellement nécessaire de définir « virtuel » aux
adolescents d’aujourd’hui ?
On reste néanmoins sur un ouvrage de fonds qui offre aux adolescents
– et aux jeunes désireux de replacer la philosophie dans un contexte
actuel et en regard de leurs propres interrogations et expériences –
une base solide pour découvrir les fondements du questionnement
philosophique. ■ Marieke Mille
Lecture Jeune - septembre 2012
Mots clés
Philosophie
Adécédaire
Réflexion
78
Parcours de lecture
Lecteurs confirmés
Littératures
30 I Max
Sarah Cohen-Scali
Gallimard Jeunesse, 2012 (Scripto)
480 p.
15,90 €
978-2-070-64389-9
Mots clés
Eugénisme
Nazisme
Propagande
Max-Conrad, le narrateur de cet effroyable récit, naît en 1936 dans
un foyer du Lebensborn, d’une mère choisie pour donner naissance à
un pur enfant aryen. Ce programme de sélection raciale a été mis en
place par les services de Himmler afin de produire une élite aryenne
destinée à peupler l’Allemagne. Offerte au Führer, enlevée à leur mère,
cette progéniture est destinée à être adoptée par de hauts dignitaires
nazis. Mais Max est rétif à toute adoption. Il grandit dans le foyer,
sans amour et soumis à une discipline de fer, devenant un « parfait »
enfant nazi. Il sert même d’appât dans le programme d’enlèvement
et de germanisation d’enfants polonais. Il dénonce et trahit sans états
d’âme jusqu’à l’enlèvement de Lukas. Son physique purement aryen et
sa violence fascinent Max qui lui voue une amitié indéfectible, même
après avoir découvert que Lukas est juif et se joue des Nazis.
Ce roman s’inspire de faits historiques et le choix narratif établi par
l’auteur accentue, s’il en était besoin, la capacité de l’idéologie
nazie à priver un individu de toute humanité. C’est en effet Max qui
raconte – avant même sa naissance – et expose les fondements de ce
totalitarisme dont il est le fruit et l’instrument. Même si le parti-pris est
dérangeant et le ton, parfois simpliste et trivial, pas toujours compatible
avec l’âge supposé du personnage, le récit souligne la violence et
le rationalisme de ce régime pour modeler les corps et les esprits au
service d’une idéologie raciste et totalitaire.
■ Colette Broutin et Sophie Lartigue
Autre avis : Malgré l’intérêt du sujet – l’eugénisme – qui est peu traité
en littérature, on peut s’étonner du parti pris de l’auteur de donner la
parole à un fœtus, ce qui sous-entend un raccourci fâcheux : l’enfant
d’un nazi sera forcément un être cruel, comme s’il s’agissait d’un
trait héréditaire. Outre le contenu, sujet à controverse, le procédé est
maladroit et désagréable. Certaines scènes de violences sexuelles
sont choquantes car elles sont décrites du point de vue d’un enfant
très jeune et le lecteur devient voyeur. La simple évocation des faits
historiques étant elle-même horrifiante, il est déplacé d’en rajouter
dans le domaine du scabreux. Sarah Cohen-Scali possède un
indéniable talent lorsqu’elle s’aventure du côté du roman noir et le
lecteur poursuivra certainement sa lecture pour connaître l’issue du
récit. Quel dommage ! ■ Cécile Robin-Lapeyre
Réseau de lecture : Sur le sujet de la sélection raciale, on peut
proposer, et préférer, la lecture de Ils ne sont pas comme nous de JeanSébastien Blanck (Alzabane éditions), plus précisément sur le sort des
handicapés et malades mentaux sous le régime nazi. Etranger à Berlin
de Paul Dowswell (Naïve) montre le parcours d’un jeune polonais
Lecture Jeune - septembre 2012
79
orphelin, envoyé en Allemagne pour être élevé dans une famille nazie,
car son physique est parfaitement conforme au modèle aryen.
31 I Le Fil à recoudre les âmes
En 1941, après l’attaque de Pearl Harbor, Kenichiro, un jeune
garçon de 12 ans est, comme tous les Japonais habitant aux ÉtatsUnis, envoyé dans un « centre de réinstallation ». Dans ce camp, ce
brillant élève correspond avec son ancienne institutrice à qui il décrit
les difficultés du quotidien. Deux ans plus tard, son père est finalement
libéré, à condition que toute la famille retourne au Japon. Kenichiro y
fait la connaissance de Yuriko mais celle-ci doit rentrer chez sa mère à
Hiroshima, quelques jours avant l’explosion de la bombe.
Ce roman magistral sur un épisode méconnu de la Seconde Guerre
mondiale se structure en deux grandes parties. La première est
consacrée au jeune Kenichiro ; la seconde s’attache au destin de
Yuriko, gravement défigurée par l’explosion nucléaire. Le lecteur suit
la jeune fille dans son chemin vers la reconstruction et la réhabilitation
sociale. Le récit frappe par sa violence : les descriptions des ravages
causés par la bombe sont quasi insoutenables. Outre les qualités
littéraires, on retiendra la dimension pédagogique et documentaire
du texte. En effet, des références sont glissées ça et là et invitent les
lecteurs les plus motivés à découvrir d’autres œuvres, en particulier
celle de John Hersey, Hiroshima, fruit de son reportage pour The New
Yorker. ■ Colette Alves
Autre avis : Jean-Jacques Greif s’est emparé d’un thème méconnu
du grand public : l’incarcération d’environ 110 000 ressortissants
japonais et américains d’origine nippone dans des centres appelés
« War Relocation Camps », à la suite de l’attaque de Pearl Harbor.
Le sujet est intéressant mais la fiction dissimule assez mal la volonté
documentaire du livre. La correspondance entre Kenchiro et son
institutrice perd rapidement en vraisemblance, tout comme sa rencontre
avec Yukiro. L’auteur propose une œuvre artificielle qui rend compte
de cette réalité historique au détriment de la cohérence narrative et des
personnages, peu crédibles. ■ Marie-Françoise Brihaye
Réseau de lecture : Sur le même thème, on pourra conseiller L’Enfant
d’Hiroshima d’Isoko et Ichirô Hatano (Folio junior, rééd. 2010),
et parmi les nombreux mangas, la série Gen d’Hiroshima de Keiji
Nakazawa (Vertige Graphic, rééd. 2009-2011) et Le Pays des
cerisiers de Fumiyo Kono (Kana, 2006).
Jean-Jacques Greif
L’école des loisirs, 2012 (Médium)
231 p.
10,70 €
978-2-211-20860-4
Genre
Roman historique
Mots clés
Seconde Guerre mondiale
Etats-Unis
Bombe atomique
32 I Seins et œufs
Makiko vit dans l’obsession de redonner du volume à sa poitrine,
désespérément plate depuis la naissance de Midoriko, 12 ans plus tôt.
Pour programmer une chirurgie plastique, elle se rend à Tokyo avec sa
fille et loge chez sa jeune sœur Natsu, trentenaire célibataire. Tandis
que Natsu porte un regard critique sur la situation, Midoriko s’enferme
Lecture Jeune - septembre 2012
Mieko Kawakami
Trad. du japonais
par Patrick Honnoré
Actes Sud, 2012
112 p.
80
13,50 €
978-2-330-00240-4
Mots clés
Japon
Féminité
Relations mère/fille
dans le silence, perturbée tant par le désir incompréhensible de sa
mère que par sa puberté naissante.
Le récit de Natsu alterne avec le carnet intime de l’adolescente. Cette
relation douloureuse entre mère et fille est traitée avec beaucoup
de justesse. Elles ressentent de manière radicalement différente leur
rapport au corps et à la féminité. Au-delà de la situation des femmes
dans la société japonaise, cette tragi-comédie souligne le poids et la
tyrannie de l’image. Il va sans dire que ce roman intergénérationnel
concernera davantage un lectorat féminin. Concis, d’un style
fluide quoique direct et parfois cru, ce récit séduira notamment les
adolescentes familières des Shojo manga et pourra attirer également
des lectrices moins aguerries, d’autant qu’il est mis en valeur par une
très belle couverture.
■ Cécile Robin-Lapeyre
33 I Ramayana, la divine ruse
Sanjay Patel
Trad. de l’anglais
par Lise Mortier et Nicolas Le Bon
Ankama, 2011 (Cosmo)
184 p.
29,90 €
978-2-35910-223-9
Genre
Album
Mots clés
Mythologie
Hindouisme
Inde ancienne
Avec cet album, Sanjay Patel rend accessible un monument de la
mythologie indienne qu’est le Ramayana, ce récit épique de sept livres
et 48 000 vers ! Le lecteur y découvre l’incessante lutte du bien contre
le mal qui oppose Vishnu et Rama, son avatar, à Ravana, l’invincible
démon qui laisse les ténèbres envahir la terre et l’univers. Le récit est
simplifié mais la trame initiale de la légende, conservée. La naissance
et l’enfance de Rama, son mariage avec la belle Sita, son exil et
la quête de son épouse enlevée par Ravana s’achèvent – après de
multiples batailles – par la victoire de l’homme à la peau bleue.
Les illustrations simples et géométriques créent l’illusion du mouvement
tout en rappelant les bas-reliefs et les peintures de la tradition indienne.
Les images, foisonnantes et très expressives, d’une grande modernité,
sont servies par des couleurs vives. En conclusion, Sanjay Patel a
ajouté un glossaire des personnages, une carte des voyages de
Rama et des croquis préparatoires qui permettent de comprendre sa
manière de travailler (il est par ailleurs animateur et scénariste pour
les studios Pixar). Par son graphisme singulier, Ramayana, la divine
ruse, permettra à tous de découvrir avec plaisir ce texte fondateur de
l’hindouisme. ■ Marie-Françoise Brihaye
34 I Dans l’ombre du monde
Maud Tabachnik
Flammarion Jeunesse, 2012 (Tribal)
212 p.
13 €
978-2-0812-6372-7
Genre
Nouvelles
Mots clés
Violence
Haine
Délinquance
En huit nouvelles inspirées par l’actualité, Maud Tabachnik saisit
la violence de nos sociétés. Les conflits inter-ethniques au Rwanda
et le conflit israélo-palestinien illustrent le fanatisme qui conduit au
terrorisme et l’engrenage de la haine dans lequel des adolescents
sont acteurs ou témoins. Le récit d’une excision en Égypte condamne,
plus efficacement qu’un plaidoyer, la barbarie de certaines sociétés
traditionnelles à l’égard des filles. En France aussi, il est difficile
d’échapper à la loi des gangs dans les prisons et les cités.
Dans des genres littéraires très différents – humour noir, fantastique,
enquête policière – maniant aussi bien l’humour que le suspens,
Lecture Jeune - septembre 2012
Littératures
l’auteur campe avec virtuosité des personnages qui suscitent l’empathie
ou l’effroi et ménage des chutes déconcertantes. Par leur actualité et
leur style, ces nouvelles séduiront des lecteurs avertis.
■ Colette Broutin
Autre avis : Pour traduire la brutalité et la violence du monde
contemporain, Maud Tabachnik a choisi d’évoquer des réalités
éloignées de l’univers des adolescents européens. Malgré la force des
récits, l’atmosphère noire et l’hyper-réalisme des situations, la narration
trop classique et trop construite atténue la dureté du propos.
■ Marilyne Duval
35 I Les Lumières de septembre
Au début de l’été 1937, Suzanne Sauvelle et ses deux enfants (Irène,
14 ans, et Dorian, 12 ans), quittent Paris pour la côte normande et
le manoir de Cravenmoore, où la jeune mère, veuve, a obtenu un
emploi de gouvernante. Elle est chaleureusement accueillie par
le propriétaire des lieux, Lazarus Jann, génial créateur de jouets et
d’automates. Les premières semaines sont enchanteresses. Irène se lie
avec la jeune cuisinière, Hannah, et ne tarde pas à tomber amoureuse
d’Ismaël, un séduisant matelot. Lazarus se livre peu à peu à Suzanne :
son épouse, malade depuis vingt ans, survit dans une chambre de
l’immense et labyrinthique manoir. Un jour, Hannah libère une ombre
à la violence meurtrière en ouvrant un flacon en cristal noir. Dès lors,
tous sont impitoyablement poursuivis par cette créature polymorphe,
et les événements s’enchaînent jusqu’au dénouement apocalyptique
de l’intrigue, .
Zafòn renouvelle le thème du pacte avec le diable et multiplie les
références littéraires, le roman rappelle évidemment La Chute de la
maison Usher d’Edgar Allan Poe mais aussi les contes d’Hoffmann ou
d’Andersen. En croisant habilement les récits des protagonistes, il offre
au lecteur une vérité abominable qui fait clairement allusion aux thèses
du nazisme. ■ Colette Broutin
Lecture Jeune - septembre 2012
Carlos Ruiz Zafòn
Trad. de l’espagnol
par François Maspero
Pocket Jeunesse, 2012
264 p.
19 €
978-2-266-21305-9
Genre
Roman fantastique
Mots clés
Amour
Mal
Automates
81
82
Parcours de lecture
Lecteurs confirmés
BD
36 I Bonne nuit PunPun, T. 1
Inio Asano
Trad. du japonais
par Thibaud Desbief
Kana, 2012
224 p.
7,45 €
978-2-5050-1413-3
Mots clés
Adolescence
Désir
Famille
Punpun est un petit garçon dont la vie bascule lors d’ une vive dispute
de ses parents. Sa mère finit à l’hôpital et son père en prison. Son
oncle vient donc s’installer chez eux pour s’occuper de lui.
L’une des originalités de ce titre est de représenter Punpun et toute
sa famille sous les traits d’oiseaux minimalistes rappelant les dessins
d’enfants. Le contraste avec les autres personnages et l’environnement
est d’autant plus frappant que leur dessin est, lui, très réaliste et
détaillé. Le regard critique de l’enfant sur la société japonaise traite
certains thèmes – violence familiale, développement des sectes – sans
concession. ■ Sébastien Féranec
Autre avis : Représenté sous la forme d’un petit volatile stylisé, Punpun,
âgé d’une douzaine d’années, est en fait une vision, un double du
lecteur adolescent au tout début de son parcours initiatique : la famille,
le grand amour, la violence, l’exploration, les égarements… Le trait
épuré de l’oiseau en fait un héros a priori enfantin ou imaginaire mais
la force des thèmes abordés le replacent totalement dans l’adolescence
La série devrait attiser la curiosité des lecteurs par son originalité dans
l’univers manga. Avec cet oiseau qui suscite rapidement la connivence
ou l’identification, l’auteur offre une histoire décalée et intime.
■ Sophie Lartigue
37 I L’Etranger
Albert Camus
Ill. de José Muñoz
Futuropolis/Gallimard, 2012
144 p.
22 €
978-2-7548-0768-5
Mots clés
Existence
Meurtre
Jugement
Par son grand format, son poids et sa couverture, ce livre s’impose
d’emblée ! Futuropolis et Gallimard publient le texte intégral de
L’Etranger, accompagné – et non « illustré » – des dessins de José
Muñoz, maître du noir et blanc. L’accord entre le roman et les dessins,
le papier blanc et l’encre noire est parfait. La mise en page du texte et
des images pleine page ménage des respirations, isole des phrases,
crée des paragraphes, tantôt denses, tantôt aérés.
L’œuvre de Camus acquiert une force renouvelée et un sombre pouvoir
poétique. Ainsi la silhouette de Meursault, bras tendu et poing serré
répond au texte de Camus : « Et c’était comme quatre coups brefs que
je frappais sur la porte du malheur. » La beauté des encres, la force
expressive des portraits, toute en suggestion et en retenue, s’accorde
très bien avec la densité des personnages du roman. Cette nouvelle
édition permettra aux lecteurs de découvrir ou de redécouvrir une
œuvre majeure du XXe siècle, publiée il y a tout juste soixante-dix ans.
■ Colette Broutin
Lecture Jeune - septembre 2012
83
38 I Egon Schiele. Vivre et mourir
Egocentrique, rebelle, dandy, Egon Schiele n’a que 16 ans lorsqu’il
rentre à l’Académie des beaux arts de Vienne. Fervent admirateur
de Gustav Klimt, ses premières œuvres s’inspirent ostensiblement
du maître dont il dérobe même le modèle, Wally Neuzil, séduite
par le jeune homme. Puis le peintre sulfureux trace sa propre voie,
torturée et provocante. Ses traits noirs, anguleux et ses personnages
inquiétants aux postures indécentes choquent ses contemporains.
Schiele s’épuise entre les bras de ses maîtresses et la composition de
ses toiles. Les mœurs de ce scandaleux Autrichien choquent autant
que sa peinture : condamné, le pornographe est emprisonné. Mais
ni ce court séjour carcéral ni la guerre qui éclate quelques années
plus tard n’empêcheront l’artiste de dessiner et de peindre. C’est la
grippe espagnole qui aura raison de sa fougue et de sa jeunesse.
A 28 ans, quelques jours après la mort d’Edith Harms, son épouse,
l’artiste succombe à l’épidémie qui ravage l’Europe.
Personnage et narrateur de cette magnifique bande dessinée, Egon
Schiele entraîne le lecteur dans le tumulte de ses relations amoureuses
et les tourments de la création. Cette biographie romancée livre
une interprétation personnelle et sensible de la vie troublante de cet
artiste qui a profondément marqué la peinture du XXe siècle. Dans
les 5 dernières pages de l’ouvrage, Xavier Coste retrace en quelques
paragraphes et croquis son interprétation du parcours d’Egon
Schiele à qui il rend ce si brillant hommage. Il semblerait que le talent
n’attende pas le nombre des années : le scénariste et illustrateur de ces
planches les achève à 22 ans et signe son premier album ! Si certains
monologues du personnage gagneraient à être moins explicites,
soulignons le trait remarquable de Xavier Coste, l’excellence de ses
dessins, la pertinence de ses choix graphiques pour représenter les
peintures ou esquisses de Schiele ainsi que la composition des pages
et l’harmonie de sa gamme chromatique.
Artiste maudit au destin tragique, l’insolence des œuvres et
l’insoumission du peintre viennois trouveront un écho auprès des
adolescents et jeunes adultes.
Réseau de lecture : une autre figuree d’artiste rebelle, un poète, cette
fois, peut être proposée aux amateurs de parcours atypiques dans la
bande dessinée : Mary Shelley, 2 tomes, Le Lombard, 2012.
Xavier Coste
Casterman, 2012
66 p.
18 €
978-2203047785
Mots clés
Peinture
Artiste
Klimt
39 I Gueule d’amour
Ils ont été affublés de toutes sortes de noms, ces héros du front
déchiquetés par des éclats d’obus. Certes, ils sont rentrés mais ils n’ont
plus figure humaine. A l’horreur des tranchées, succède l’angoisse
de la difformité : membres en lambeaux, mâchoires arrachées,
brûlures et béances, les glorieux soldats médaillés ressemblent à des
bêtes de foire. Certains isolés ou rejetés, succombent lentement dans
l’oubli général ; d’autres sont tour à tour objet de pitié, de dégoût, de
Lecture Jeune - septembre 2012
Aurélien Ducoudray
Ill. de Delphine Priet-Mahéo
La Boîte à Bulles, 2012
(Hors-champs)
112 p.
19 €
978-2-84953-143-3
84
Mots clés
Guerre 1914-1918
Monstruosité
Violence
curiosité – fascinantes images de la barbarie de la guerre –, comme
le personnage de cette bande dessinée. S’il ne peut reconstituer son
corps, il lui faut pourtant reconstruire une vie. Sa libido, elle, est restée
intacte mais ses relations avec les femmes sont bouleversées. Entre les
infirmières, mères de substitution, et les prostituées, Gueule d’amour tente
de redevenir un homme. Flanqué de Sambene, son acolyte, un géant
noir aux dents pointues qui « lui aussi vivait de sa gueule », il parvient
à assouvir ses pulsions, de sauteries en lupanars. Il peine cependant à
trouver une place dans la société après les ravages du canon, malgré les
discours patriotiques qu’il abhorre et veulent faire de lui un héros.
Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, cette bande dessinée
évite le pathos au profit d’un humour noir et d’une sensibilité distillés
avec intelligence. Les propos crus, le style oral du texte et l’aspect
grand-guignolesque de certaines saynètes contrastent avec des
dessins très travaillés au crayon, dont les faces expressionnistes
rendent hommage à Otto Dix ou évoquent parfois les visages déformés
de Francis Bacon. Les adolescents et jeunes adultes découvriront
également dans les dernières pages documentaires un contrepoint
de Sophie Delaporte, universitaire spécialiste de la question, qui
nuance les partis-pris de la bande dessinée et apporte un éclairage
historique fort intéressant. Non seulement l’album aborde de façon
aussi esthétique qu’originale un événement rarement traité – le sort des
15 à 20 000 gueules cassées de la Grande Guerre – mais il cultive
habilement le décalage entre la violence du sujet et l’incongruité de
situations mises en scène avec brio. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou
40 I Demain, demain. Nanterre
Bidonville de la Folie (1962-1966)
Laurent Maffre
Suivi de 127, rue de la Garenne
raconté par Monique Hervo
Actes Sud BD, 2012 (Arte éditions)
160 p.
23 €
978-2-330-00622-8
Mots clés
Bidonville
Immigration
Nanterre
Cette bande dessinée en noir et blanc, entre fiction et documentaire,
retrace quatre années de vie quotidienne dans le bidonville de la Folie
à Nanterre. Situé sur le territoire de la Défense alors en construction,
il couvrait 21 hectares où quelques 1500 ouvriers célibataires et 300
familles s’entassaient. Pour répondre au besoin de main-d’œuvre
durant les Trente Glorieuses, la France fait venir des travailleurs
marocains, algériens, tunisiens et portugais qui très vite ne trouvent plus
à se loger et bâtissent des habitations de fortune sur les terrains vagues
à proximité des chantiers et des usines. Certains font venir leur famille.
Laurent Maffre suit l’une d’elle, jusqu’à son relogement dans une cité
de transit en 1966. Comme le bidonville est promis à la destruction,
certains de ses habitants sont déplacés à la Maison départementale
de Nanterre, surnommée « le pénitencier de la misère », et les enfants
sont parfois confiés à l’assistance publique. Les familles s’entraident
cependant, assurant les besoins du quotidien et l’éducation des
enfants, en attendant des jours meilleurs puis, peut-être, le retour au
pays. Pour reconstituer l’histoire du bidonville, Laurent Maffre s’est
appuyé sur les archives de Monique Hervo qui s’est engagée auprès
des travailleurs immigrés. Elle a passé douze ans à la Folie, notamment
Lecture Jeune - septembre 2012
85
pendant les années de la guerre d’Algérie, largement évoquée par
l’auteur (en particulier la manifestation du 17 octobre 1961 et sa
répression). Des enregistrements sonores proposés par Arte (http://
bidonville-nanterre.arte.tv/) en complément de la bande dessinée
permettent de découvrir davantage l’histoire du bidonville. Si le livre
de Monique Hervo (Chroniques du bidonville, Nanterre en guerre
d’Algérie, Seuil, 2001) n’est plus disponible, une partie des archives
de cette femme politiquement engagée se retrouvent sur Internet
(www.ihtp.cnrs.fr/spip.php%3Farticle1152&lang=fr.html). Enfin, une
brochure consacrée aux bidonvilles de la banlieue parisienne réalisée
par le Conseil général de Seine-Saint-Denis en 2007 (www.atlaspatrimoine93.fr/documents/patrimoine_en_SSD_20.pdf) a été éditée
suite à l’exposition « Bidonvilles. Histoire et représentations en SeineSaint-Denis. 1954-1976 ».
■ Colette Broutin
41 I Seven Shakespeares, T. 1
En 1600, à Londres, la première représentation d’Hamlet est sur le
point d’être interrompue par un juge de paix puritain qui considère
le théâtre comme un spectacle pervers. Malgré l’intervention de
Shakespeare lui-même, seule la présence de la Reine dans la salle
empêche l’homme de loi de mettre son projet à exécution. Au même
moment, dans une taverne, un homme cherche à vendre le manuscrit
original d’Hamlet. Pris à parti et violemment battu, il jure ne pas être
un imposteur.
Après le monde de la musique (avec la série Beck), Harold Sakuishi
s’attaque aux sept années qui demeurent inconnues du public
dans la biographie du grand dramaturge anglais. Par une habile
construction en flash-back, il imagine que Shakespeare a rencontré
une jeune chinoise, Li, sacrifiée par sa communauté en raison de ses
étranges pouvoirs. Dès le prologue, l’auteur critique toutes les formes
de fanatisme religieux, qu’il s’agisse du puritanisme ou des traditions
chinoises. Le mangaka a particulièrement travaillé les personnages :
les traits fins de Shakespeare et Li les rendent immédiatement
charismatiques alors que le dessin plus arrondi et déformé caractérise
avec humour les personnages secondaires. Ce seinen manga entraîne
avec brio le lecteur dans le monde du théâtre et des faux-semblants.
■ Sébastien Féranec
Harold Sakuishi
Trad. du japonais
par Thibault Desbief
Kazé manga, 2012 (seinen)
281 p.
9,99 €
978-2-82030-309-7
Genre
Seinen manga
Mots clés
Théâtre
Shakespeare
Imposture
42 I Journal d’un adieu
Journal d’un Adieu décrit les longues heures que l’auteur a passées
à accompagner son père en fin de vie. Victime d’un arrêt cardiaque,
celui-ci est dans état végétatif sans que l’on puisse déceler de réels
signes de conscience. Pendant cinq années, l’auteur lui a régulièrement
rendu visite à l’hôpital. Ce témoignage poignant évoque l’attente et les
espoirs des proches d’un homme plongé dans le coma. La mort, vécue
comme une délivrance, laisse cependant un vide douloureux.
Lecture Jeune - septembre 2012
Pietro Scarnera
Çà et là, 2012
80 p.
13 €
978-2-916207-68-1
86
Lecteurs confirmés
Mots clés
Mort
Euthanasie
Le dessin minimaliste, en bichromie, convient par sa sobriété au
traitement d’un tel sujet. Beaucoup de blanc et peu de mots traduisent
la difficile relation que le fils tente de garder avec son père plongé
dans le silence. Le graphisme austère pourra déplaire aux adolescents.
Aussi, cet album exige-t-il une médiation en direction des jeunes.
Deux témoignages sur le soutien apporté aux familles et sur la
législation de l’euthanasie nourrissent la réflexion du lecteur sur ces
questions d’actualité.
■ Cécile Robin-Lapeyre
Réseau de lecture : Sur le même thème, on pourra revoir Parle avec
elle, film réalisé par Pedro Almodovar en 2002.
Lecture Jeune - septembre 2012
87
Parcours de lecture
Lecteurs confirmés Documentaire
43 I La Guerre d’Algérie expliquée à tous
Ce documentaire s’adresse aux jeunes générations qui n’ont pas
connu la guerre d’Algérie mais qui veulent en saisir les enjeux « loin
des polémiques inutiles ». L’historien Benjamin Stora, pied-noir né à
Constantine en 1950 et « rapatrié » en avril 1962, répond clairement
aux questions posées par son interlocuteur, soucieux de monter en
quoi ce conflit peut être défini comme un « arrachement ». Entre la
« Toussaint rouge » qui marque le début de la guerre, le 1er novembre
1954, et l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962, on compte
des centaines de milliers de morts, des déplacements massifs de
population, des tortures et de nombreuses disparitions. Ce conflit n’a
pas seulement opposé Français et Algériens, il a aussi divisé chacune
des communautés.
En s’attachant à souligner les causes profondes du conflit tout en
expliquant comment la France a évolué dans la conduite de cette
guerre coloniale, Benjamin Stora restitue cette histoire dans sa
complexité. À sa lecture, on comprend également pourquoi les « plaies
de la guerre d’Algérie » se rouvrent régulièrement et combien les
travaux des historiens permettent de dépasser les polémiques liées à la
mémoire. Pour approfondir le sujet, une bibliographie est proposée à
la fin de cette remarquable synthèse.
■ Colette Broutin
Lecture Jeune - septembre 2012
Benjamin Stora
Seuil, 2012
131 p.
8 €
978-2-02-081243-6
Mots clés
Guerre d’Algérie
Histoire
Décolonisation
88
Parcours de lecture
Ouvrages de référence
44 I Atlas des jeunes en France
Yaëlle Amsellem-Mainguy
et Joaquim Timoteo
Préface
de Cécile Van de Velde
Autrement/INJEP, 2012
96 p.
19 €
978-2-74673091-5
Mots clés
Jeunesse
Sociologie
Statistiques
« Génération « X » puis « Y », « Tanguy », « Kangourou » ou « Baby
Loosers » : les formules fleurissent pour tenter de désigner les « jeunes »
par leurs traits les plus distinctifs ». Comme le souligne Cécile Van
de Velde dans sa préface, cet ouvrage dessine une jeunesse plus
complexe que les médias ne le laissent entendre. Ici, la tranche d’âge
retenue est celle des 15- 30 ans. Qui sont les jeunes en France ?
5 entrées structurent le documentaire pour tenter de cerner cette
génération. Comment deviennent-ils adultes et peut-on parler d’une
culture commune ? Si les jeunes témoignent d’un dynamisme fort dans
leurs engagements – associatifs, politiques, culturels –, il faut souligner
que l’entrée dans la vie active est toujours plus difficile. En effet, « ils
subissent de plein fouet les fluctuations du marché du travail et sont
placés aux premiers rangs du risque de chômage et de précarisation ».
Malgré les difficultés, au fil de l’analyse sociologique se dégage le
portrait d’une génération volontaire et responsable qui souhaite
intégrer une société porteuse d’avenir. Trois agglomérations sont
notamment mises en avant : Le Havre, première ville à avoir fondé
une maison des jeunes en 1999 ; Tours et Montreuil pour leurs actions
dans le domaine de l’emploi et de l’orientation (création de missions
locales et de points informations jeunesse).
Cette synthèse s’appuie sur les données les plus récentes. Santé,
éducation, emploi, logement, sexualité, loisirs, addictions, engagement
politique… sont autant de thèmes analysés dans cet atlas. Chaque
chapitre est introduit par un extrait de La Vie secrète des jeunes de
Riad Sattouf (L’Association) rappelant que les représentations de la
jeunesse, au-delà des données scientifiques et sociologiques, sont
aussi culturelles. Cet atlas – synthétique et accessible – constitue un
outil précieux pour tous ceux qui travaillent en direction des jeunes.
■ Anne Clerc
Lecture Jeune - septembre 2012
89
45 I Les 1001 bd
qu’il faut avoir lues dans sa vie
Impressionnant par son format et son contenu, ce guide dresse
le panorama de la bande dessinée de la fin du XIXe siècle à nos
jours. Les nombreux contributeurs offrent différents points de vue et
une sélection d’une grande diversité. Si le classement des quelques
800 titres retenus est chronologique, d’autres entrées sont possibles ;
par titre, scénariste ou illustrateur. Les notices signées varient tant
par la longueur que par le traitement de leur auteur ; elles sont à la
fois descriptives et analytiques et peuvent être utilisées pour monter
ou compléter un fonds de bande dessinée, dans un CDI comme en
bibliothèque. Enfin, une mise en réseau oriente le lecteur et propose
pour chaque titre plusieurs références du même auteur ou du même
genre. Cependant, la recherche thématique est impossible faute
de « mots clés ». Les notices sont le plus souvent accompagnées
d’une reproduction de la couverture de l’œuvre. Malheureusement,
les illustrations retenues sont tantôt les éditions originales, tantôt les
éditions françaises, ce qui gêne leur identification rapide dans une
lecture parcellaire à laquelle l’ouvrage se prête. On peut regretter aussi
que les publications de ces dernières années soient moins représentées
que la production historique ou que la bande dessinée franco-belge
soit privilégiée, même si mangas et romans graphiques sont proposés.
Malgré ces réserves, l’ouvrage se révèlera utile au prescripteur et aux
amateurs du 9e art. ■ Cécile Robin-Lapeyre
Réseau de lecture : À compléter par la lecture de l’ouvrage Romans
graphiques : 101 propositions de lectures des années soixante à deux
mille, de Joseph Ghosn, Le Mot et le reste, 2009.
Lecture Jeune - septembre 2012
Ouvrage collectif sous
la dir. de Paul Gravett
Préface de Benoît Peeters
Flammarion, 2012
960 p.
32 €
978-2-0812-7773-1
Mots clés
Bande dessinée
Manga
Roman graphique
Comic
90
Lecture Jeunesse
est partenaire
de Babelio
www.babelio.com
Retrouvez des notices critiques de livres
à destination d’adolescents et jeunes adultes
publiées dans la revue trimestrielle
Lecture Jeune (entre 2003 et 2009)
Lecture Jeune - septembre 2012
En savoir plus
Formations Index
page 92
page 96
92
En savoir plus
Formations Lecture Jeunesse Programme
Second semestre 2012
Nos stages et journées d’étude se déroulent à Paris à des dates prédéterminées. Les rencontres
d’auteurs et d’éditeurs sont organisées dans le cadre de nos formations et sont désormais ouvertes
à un large public. Les journées d’étude abordent des problématiques professionnelles et de société,
croisant les regards de spécialistes de la jeunesse et de la lecture, ainsi que les créateurs. Les
programmes détaillés seront annoncés sur notre site Internet www.lecturejeunesse.com, notre blog
http://bloglecturejeune.blogspot.com/ et Facebook.
Stages
● Accueillir des adolescents
en bibliothèque
Espaces, collections, services,
médiations
● Les romans pour jeunes adultes/
young adults
Quelles passerelles de la littérature
« pour » adolescents
à la littérature générale ?
Problématique
L’adolescence est un moment de passage à prendre
en compte et à accompagner. La fréquentation
des bibliothèques par ce public constitue une
problématique singulière. Comment considérer les
besoins des jeunes pour en améliorer l’accueil et
répondre à leurs attentes ?
On assiste depuis quelques années à l’émergence
d’un nouveau « segment de marché » : les young
adults – pour reprendre le terme anglo-saxon –
sont courtisés par les éditeurs. Derrière la stratégie
commerciale, quelles sont les spécificités de ces titres ?
Quels sont les livres que l’on peut qualifier d’ouvrages
« passerelles » ? Comment susciter les passages d’une
littérature de jeunesse à une littérature adulte ?
Dates : 26-27-28 septembre 2012
Clôture des inscriptions : 12 juillet 2012
Dates : 17-18-19 octobre 2012
Clôture des inscriptions : 10 septembre 2012
● Les adolescents et Internet :
la culture numérique
en bibliothèque
● Les littératures graphiques
Romans graphiques, albums,
bandes dessinées, mangas…
Problématique
Problématique
Problématique
Internet a bouleversé notre société et en particulier
notre rapport au savoir et à l’information. Les
adolescents se sont emparés de l’outil pour inventer
pratiques et usages. Comment mieux appréhender
cette « culture numérique », la prendre en compte ou
l’accompagner en médiathèque ?
Dates : 3-4-5 octobre 2012
Clôture des inscriptions : 3 septembre 2012
Les adolescents d’aujourd’hui ont une culture de l’image
très étendue. Ils sont lecteurs de mangas et de bandes
dessinées. On voit se développer dans le secteur de
l’édition des formes hybrides : romans graphiques,
récits illustrés, albums… Fondées sur la force et la
singularité du rapport entre le texte et l’image, elles
offrent des pistes d’entrée dans la lecture riches et
étonnantes. Comment leur faire découvrir et apprécier
ces nouvelles formes visuelles dans le domaine du livre ?
Quels liens tisser entre ces littératures graphiques ?
Dates : 14-15-16 novembre 2012
Clôture des inscriptions : 17 septembre 2012
Lecture Jeune - septembre 2012
93
Inscriptions
Catherine Escher
Tél. : 01-44-72-81-50
[email protected]
Tarifs des stages de 3 jours
En savoir
410 € TTC (Prise en charge de l’employeur)
305 € TTC (Prise en charge personnelle)
Tarifs des stages de 2 jours
Renseignements pédagogiques
275 € TTC (Prise en charge de l’employeur)
205 € TTC (Prise en charge personnelle)
Sonia de Leusse-Le Guillou
Tél. : 01-44-72-81-52
Anne Clerc
Tél. : 01-44-72-81-53
65 € TTC (Prise en charge de l’employeur)
35 € TTC (Prise en charge personnelle)
15 € TTC (étudiants)
Tarifs des journées d’étude
Tarifs des formations sur site
Nos formations peuvent être organisées sur site
(devis à la demande).
Nouveau !
● La fantasy et les littératures
de l’imaginaire
Problématique
Souvent considérée par les adultes comme une
littérature de niche voire une paralittérature, la fantasy
et plus largement les littératures de l’imaginaire
séduisent les jeunes lecteurs. De plus en plus de livres
brouillent les limites entre les genres ou les âges. La
fantasy semble ignorer les frontières entre littérature
jeunesse et générale... Comment se repérer dans cette
production méconnue ?
Dates : 29-30 novembre 2012
Clôture des inscriptions : 29 octobre 2012
● Concevoir et animer un projet
en direction des adolescents
en bibliothèque
Problématique
Les adolescents représentent un public – ou un « non
public » – aux attentes et pratiques parfois déroutantes.
Comment instaurer une relation de confiance avec
les jeunes pour les intéresser aux fonds et actions
proposées par la bibliothèque ? Comment mettre en
œuvre des projets de médiation en direction de ce
public ?
Dates : 20-21 décembre 2012
Clôture des inscriptions : 20 novembre 2012
● Les documentaires
Quelle place pour les ouvrages
documentaires dans la construction
des savoirs à l’heure d’Internet ?
Problématique
Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent
Internet avant de se tourner vers le livre documentaire,
oubliant qu’il peut constituer une étape du repérage
tout en suscitant le plaisir de la lecture. Comment
prendre en compte la demande de renseignements
scolaires et le besoin de découvertes personnelles
dans la constitution d’un fonds qui soit à la fois
cohérent et repérable ?
Dates : 12-13-14 décembre 2012
Clôture des inscriptions : 12 novembre 2012
Lecture Jeune - septembre 2012
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Index
Auteurs page 96
Titres
page 97
Genres et mots clés
page 98
96
Index Auteurs
A
notice
Abouet, Marguerite 12
Allones (d’), Myriam Revault 29
Amsellem-Mainguy, Yaëlle 44
Angleberger, Tom 1
Asano, Inio 36
Aubry, Florence 16
Axl Cendres
M
Maffre, Laurent Montaigne, Marion Muñoz, José B
Billet, Julia Bonhomme Mathieu Bordage, Pierre Brashares, Ann P
Patel, Sanjay Pouchain, Martine Priet-Mahéo, Delphine C
Camus, Albert Cannone, Eléonore Caroff, Martial Cendres, Axl Cohen-Scali, Sarah Coissard, Sylvain Coste, Xavier D
Daugherty, C. J. Donner, Chris Ducoudray, Aurélien F
Foessel, Michaël G
Gravett, Paul Green, John Greif, Jean-Jacques H
Herrndorf, Wolfgang Hijuelos, Oscar J
Johnson, Maureen K
Kawakami, Mieko Kay, Jim
L
Lambert, Christophe Ledun, Marin Lemoine, Alexis Levey, Sylvain Ligny, Jean-Marc Lockhart, E. notice
2
26
17
18
notice
37
3
14
4
30
15
38
notice
5
6
39
notice
29
notice
45
7
31
N
Ness, Patrick Noël, Jean-Philippe R
Ressouni-Demigneux, Karim Rotteleur, Marion notice
40
14
37
notice
24
28
notice
33
25
39
notice
11
14
S
notice
Sakaki, Kenji 13
Sakuishi, Harold 41
Scarnera, Pietro 42
Singeon12
Stora, Benjamin 43
T
Tabachnik, Maud Timoteo, Joaquim Trondheim, Lewis U
Urasawa, Naoki
Z
Zafòn, Carlos Ruiz
notice
34
44
26
notice
notice
35
notice
19
20
notice
8
notice
32
notice
21
22
15
23
9
10
Lecture Jeune - septembre 2012
97
Index Titres
A
Atlas des jeunes en France B
Bienvenue, T. 2
Billy Bat, T. 1
Bonne nuit PunPun, T. 1 notice
44
notice
12
27
36
C
notice
Ceux qui rêvent, T. 2
et Ceux qui osent, T. 3 17
Chouette ! Philo.
Abécédaire d’artiste à zombie 29
Cité (La), T. 1. et T. 2 11
Comme un poisson
hors de l’eau 20
D
notice
Dans l’ombre du monde 34
Déclaration d’anniversaire (La) 3
Demain, demain. Nanterre
Bidonville de la Folie
(1962-1966) 40
Des yeux dans le ciel 9
E
notice
Egon Schiele. Vivre et mourir 38
Enigma, T. 1 13
Etrange cas Origami
Yoda (L’), T. 1
1
Etranger (L’) 37
F
Fil à recoudre les âmes (Le) G
Garçon talisman (Le) Goodbye Berlin Guerre d’Algérie
expliquée à tous (La) Guerre de Catherine (La)
Gueule d’amour J
Journal de Ruby Oliver (Le) Journal d’un adieu L
Lumières de septembre (Les) Luz Lys Martagon M
Max N
Night School, T. 1 notice
31
notice
P
Pierres qui brûlent,
qui brillent, qui bavardent (Les) 14
Q
notice
Quatre filles et
un jean pour toujours 18
Quelques minutes après minuit 24
R
Ramayana, la divine ruse S
Secret d’Esteban (Le)
Seins et œufs Seven Shakespeares, T. 1 Sports et handicaps :
le handisport Swing à Berlin notice
33
notice
4
2
41
28
21
T
notice
Tempête au haras 6
Texas Cowboys, T. 1 26
Théorème des Katherine (Le) 7
Traverser la nuit 25
U
Une fille à la mer notice
8
V
notice
(vraies) histoires de l’art (Les) 15
1001 bd qu’il faut avoir
lues dans sa vie (Les) 45
notice
16
19
43
2
39
notice
10
42
notice
35
22
23
notice
30
notice
5
Lecture Jeune - septembre 2012
98
Index Genres et mots clés
Genres
A
notice
Album33
C
notice
Chick-lit8,18
notice
H
Humour1,10
N
notice
Nouvelles34
Cowboys26
Culture20
D
notice
Délinquance34
Démocratie17
Désir23,36
Détournement15
Deuil18,24
Différence16
Disparition5
à suspens
5,22
fantastique
11,24,35
historique
2,21,31
noir
16
policier
25
psychologique
7
E
notice
Ecole1,
Enigme13
Environnement9
Equitation6
Etats-Unis31
Eugénisme30
Euthanasie42
Existence37
S
notice
Science-fiction9
Shônen manga
13
Seinen manga
27,41
F
notice
Famille36
Fantastique27
Féminité32
T
notice
Théâtre23
G
notice
Ghetto20
Guerre17
Guerre 1914-1918
39
Guerre d’Algérie
43
R
Roman
Roman
Roman
Roman
Roman
Roman
notice
U
notice
Uchronie17
Mots clés
A
notice
Abécédaire29
Addiction11
Adolescence19,36
Albinos16
Amitié
1, 10,12,18
Amour7,8,10,25,35
Art15
Artiste
38
Automates35
B
notice
Bande dessinée
44
Bidonville39
Bombe atomique
31
C
notice
Cancer24
Cheval 6
Comic44
Conduites à risque
22
Corrida4
H
notice
Haine34
Handicap6,28
Hindouisme33
Histoire43
Histoire de la Terre
14
Homoparentalité3,
Humour3,7,8,19
I
notice
Identité20
Immigration39
Imposture 41
Inde ancienne
33
Interculturalité19
notice
L
Légende4
Liberté17
13
Lycée M
notice
Mal35
Manga44
Meurtre37
Monstruosité39
Mort 42
Musique21
Mythologie33
N
notice
Nanterre39
Nature9
Nazisme30
P
Pastiche
Peinture
Philosophie Photographie
Pierres
Poésie
Propagande
notice
15
38
29
2,
14
23
21,30
Q
notice
Quotidien12,25
R
notice
Réflexion29
32
Relations mère/fille Relations filles/garçons
10
8
Relations père/fille
Roman graphique
44
Ruralité25
S
notice
Shakespeare 41
Seconde Guerre mondiale 2,21,
31
Sociologie44
Sport28
Star Wars
1
Statistiques44
Surdoué7
Surnaturel5
Suspens22
J
notice
Japon 32
Jeu vidéo
11
Jeune adulte
18
Jeunesse44
Jugement37
Juif2
T
notice
Tauromachie4
Thriller5,13,27
Tolérance3
K
notice
Klimt38
W
notice
Western26
V
notice
Violence34,39
Lecture Jeune - septembre 2012
99
Ours
Lecture Jeune
190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris
Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47
Courriel : [email protected]
Site : www.lecturejeunesse.com
Directrice de la publication
Bernadette Seibel
Directrice de la rédaction
Sonia de Leusse-Le Guillou (81-52)
Rédactrice en chef
Anne Clerc (81-53)
Administration
Catherine Escher (81-50)
Conception
Réalisation
Isabelle Dumontaux
Correction
Caroline Gaume
Illustration de couverture
Marion Montaigne pour Gulf Stream éditeur (La Toile et toi, ill. p.30)
Ont collaboré à ce numéro
Colette Alves, Mélanie Archambaud, Nicolas Beaujouan, Cyrielle Bonnot, Marie-Françoise
Brihaye, Colette Broutin, Anne Clerc, Marilyne Duval, Sébastien Féranec,
Aurélie Forget, Laurence Guillaume, Soizik Jouin, Sophie Lartigue, Léa Lefèvre, Sonia de LeusseLe Guillou, Marike Mille, Cécile Robin-Lapeyre, Anna Romani.
Impression
L’Artesienne - Dépôt légal : septembre 2012
Tél. : 03 21 72 78 90
I.S.S.N. 1163-4987
C.P.P.P. n° 1112G79329
Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse
Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974
Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sports le 27/01/1977 – N° 94.155
Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris,
le Centre national du livre,
le Ministère de la culture et de la communication
Lecture Jeune - septembre 2012
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Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Email : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Lecture Jeune - septembre 2012
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23 -24 -25
Février
13 -14 -15
Mars
21
27 -28 -29
Avril
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Mai
15 -16
29 -30 -31
Juin
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26 -27-28
Juillet
2-3
Septembre
18 -19 -20
Octobre
2-3-4
16 -17
Novembre
20 -21
Décembre
4-5
11-12 -13
Accueillir des adolescents, tour d’horizon européen :
vers une bibliothèque « 3e lieu » ?
3 jours
Travailler en partenariat
3 jours
Journée d’étude : les prix littéraires décernés
par des adolescents/jeunes adultes
La bande dessinée sous toutes ses formes
(romans graphiques, comics, mangas etc.)
Violence, adolescence, offre culturelle :
comment appréhender des contenus « dérangeants »
La fantasy et les littératures de l’imaginaire
Les jeux vidéo en bibliothèque :
se familiariser avec la culture transmédiatique des jeunes
Faibles lecteurs ou jeunes éloignés du livre :
médiations et réflexion sur la prévention de l’illettrisme
La recherche informationnelle des jeunes :
quelle place pour les livres documentaires aujourd’hui ?
Les romans pour adolescents :
accompagner les parcours de lecture des jeunes
1 journée
3 jours
3 jours
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3 jours
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Les romans pour jeunes adultes : une littérature « passerelle » ? 3 jours
Les adolescents et Internet :
la culture numérique en bibliothèque
Les adolescents et la musique :
quel rôle pour les bibliothèques ?
3 jours
2 jours
Les « mangados » :
le manga, un genre plébiscité par les jeunes
2 jours
Le polar : se familiariser avec un genre
La culture de l’image des adolescents
2 jours
3 jours
36e année
trimestriel
Lecture Jeune
Lecture Jeune
Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents
Les derniers numéros
LES JEUNES ET
N°137
Les jeunes adultes
et la littérature
Lecture Jeune - N° 143 - septembre 2012
LES INÉGALITÉS
N°138
La fantasy
Le tour d'un genre
N°140
N°141
Oralité(s)
Adolescents
et médiations
N°142
Les tendances
de l'édition pour
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Illustration de couverture © Marion Montaigne
N°139
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Les adolescents,
la lecture et
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en Europe
NUMÉRIQUES
Actes du colloque du 7 juin 2012
organisé par Lecture Jeunesse
septembre 2012
N°143
I